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[2013] 2 R.C.F. 563

T-1680-09

2011 CF 983

Jim Bronskill (demandeur)

c.

Ministre du Patrimoine canadien (défendeur)

et

La commissaire à l’information du Canada (intervenant)

Répertorié : Bronskill c. Canada (Patrimoine canadien)

Cour fédérale, juge Noël—Ottawa, 28 avril et 11 août 2011.

Accès à l’information — Contrôle judiciaire du refus de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) de communiquer des parties du dossier du Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) relatif à Thomas Clement Douglas — Le Service canadien du renseignement de sécurité (qui a remplacé le Service de sécurité en 1984) a invoqué auprès de BAC une justification passe-partout des exceptions — Le Commissariat à l’information n’a pas jugé que les exceptions étaient excessives — Avant l’audience publique, un deuxième examen a eu lieu — Le demandeur a soutenu que les documents rendus publics dans le contexte du deuxième examen démontraient que des erreurs de logique avaient été commises dans l’appréciation des dossiers, dont il manquait une partie des documents — Il s’agissait de déterminer si les documents ont été considérés à juste titre comme étant visés par l’exception prévue à l’art. 15 de la Loi sur l’accès à l’information, si l’exercice du pouvoir discrétionnaire était raisonnable, et les facteurs à prendre en compte dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu de l’art. 15 — Le premier refus de divulgation des documents était contraire aux principes de la Loi et du mandat de BAC — BAC a omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel en vertu de l’art. 15 — La documentation est encore caviardée de façon non uniforme après le deuxième examen — Les renseignements relatifs à l’intérêt opérationnel actuel, aux sources techniques et humaines remplissent le critère relatif au préjudice prévu à l’art. 15 — Cependant, il n’existe pas de risque vraisemblable de préjudice probable si l’identité des cibles de « nature transitoire » est révélée — « La détection [et] la prévention […] d’activités hostiles ou subversives » dans le contexte de l’art. 15 ne doivent pas être utilisées selon une définition trop large — En l’espèce, refuser de divulguer des faits historiques est inacceptable — Il n’y a pas de cause vraisemblable de préjudice probable lorsque les menaces ressenties à une époque ne sont plus aussi importantes et que les « cibles transitoires » sont connues du public — La justification passe-partout dans l’évaluation des rapports des agents de la GRC a entravé l’évaluation du préjudice exigée par l’art. 15 de la Loi — Le fait de ne pas divulguer les documents dans lesquels Thomas Douglas était mentionné seulement en passant va à l’encontre de la Loi — Diviser un dossier en différentes parties en fonction de leur pertinence constituait une erreur — Il n’existe pas de risque vraisemblable de préjudice probable advenant que les opinions formulées « de manière accessoire » à l’endroit de Thomas Douglas dans son dossier seraient divulguées — La portée de l’art. 15 de la Loi a été outrepassée lors des deux examens — Le Commissariat à l’information ne s’est pas bien acquitté de ses fonctions au regard de son pouvoir discrétionnaire — Rien n’indique qu’un pouvoir discrétionnaire a été pris en considération lors du deuxième examen — Le pouvoir discrétionnaire n’a pas été exercé de façon raisonnable — Les facteurs à prendre en considération sont les principes et les objectifs de la Loi, l’intérêt public, la valeur historique, le passage du temps et la diffusion publique antérieure — Ces facteurs sont essentiels à l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu de l’art. 15 — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information (la Loi) du refus de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) de communiquer des parties du dossier du Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) (remplacé par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en 1984) relatif à un homme politique canadien, Thomas Clement Douglas.

BAC a consulté le SCRS quant à la nature des documents et à l’applicabilité des exceptions prévues à la Loi. Le SCRS a invoqué « une justification passe-partout », ce qui a permis aux analystes de BAC d’apprécier la justification générale des exceptions, mais pas la preuve propre à l’affaire en question. La communication de certains dossiers examinés par le SCRS a d’abord été refusée en vertu des exceptions prévues aux articles 15 et 19 de la Loi. Le demandeur a déposé une plainte auprès du Commissariat à l’information (la commissaire), pour protester contre la quantité et la portée excessives des exceptions appliquées. La commissaire a examiné les documents seulement sous l’angle du paragraphe 15(1) de la Loi et a conclu que la plainte du demandeur n’était pas justifiée. Avant l’audience publique de la demande, le défendeur a procédé à un deuxième examen des dossiers, alléguant, notamment, que plus de cinq ans s’étaient écoulés entre la demande initiale et l’audience du recours en révision, et qu’il y avait des incohérences dans les décisions de retenir des renseignements. L’exception prévue au paragraphe 19(1) n’était plus invoquée, dans le cadre du second examen. Le demandeur a soutenu que les documents rendus publics dans le contexte du deuxième examen démontraient des erreurs de logique commises par le défendeur dans son appréciation initiale des dossiers et que des documents ne figuraient pas au dossier.

Il s’agissait de déterminer si les documents ont été considérés à juste titre comme étant visés par l’exception prévue à l’article 15, si l’exercice du pouvoir discrétionnaire était raisonnable dans les circonstances, et les facteurs à prendre en compte dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 15.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le refus de divulguer les renseignements qui n’ont pas été communiqués dans le cadre de la réponse initiale était contraire aux principes de la Loi et au mandat de BAC. BAC a omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel après avoir constaté que les documents étaient visés par l’exception prévue à l’article 15. La documentation était encore caviardée de manière non uniforme, à la suite du deuxième examen. Le critère relatif au préjudice prévu à l’article 15 a été rempli en ce qui concerne les intérêts opérationnels actuels. L’approche privilégiée par le défendeur, à l’égard des sources techniques, était également raisonnable. La divulgation des renseignements concernant des sources humaines était visée par l’exception prévue à l’alinéa 15(1)f) de la Loi. L’identité des sources humaines doit être protégée, et cela peut se faire en prélevant raisonnablement des parties de documents, en vertu de l’article 25 de la Loi. La première réponse à la demande d’accès à l’information comportait une erreur quant aux cibles auxquelles la Direction générale du renseignement de la GRC s’est intéressée dans le passé. Il a été démontré qu’il n’y avait aucun risque vraisemblable de préjudice probable si l’identité de la plupart des cibles de « nature transitoire » était révélée. La Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada a exprimé des inquiétudes au sujet de la grande portée de la définition de la subversion. Le contexte de la présente demande a suscité les mêmes inquiétudes au sujet de la définition trop large de « la détection [et de] la prévention […] d’activités hostiles ou subversives » en vertu de l’article 15. Il n’y a aucun motif raisonnable de croire que le fait de communiquer ces documents causera un préjudice. L’histoire et la démocratie canadienne exigent que des faits historiques, comme la surveillance d’activités politiques légitimes, soient connus. Refuser de divulguer ces faits historiques en application de la Loi est inacceptable. Par ailleurs, il n’y a pas de « cause vraisemblable de préjudice probable » lorsque les menaces ressenties à une époque ne sont plus aussi importantes et que les « cibles transitoires » sont connues du public. Ainsi, l’approche suivie relativement aux cibles de « nature transitoire » pendant le deuxième examen est raisonnable. BAC a fait valoir de manière générale que l’évaluation qui a été faite des rapports rédigés par des agents de la GRC entravait l’évaluation du préjudice exigée par l’article 15, et que les suppressions faites relativement à leur identité étaient incompatibles avec une telle évaluation. Les noms de tous les agents de la GRC, à l’exception de ceux qui ont participé à des opérations secrètes à titre d’agent d’infiltration ou de source, doivent être divulgués. L’approche privilégiée par le défendeur, même dans le cadre du deuxième examen, selon laquelle il n’y avait pas à communiquer les documents dans lesquels Thomas Clement Douglas était mentionné seulement en passant, va à l’encontre de la Loi. Diviser un dossier en différentes parties au motif qu’elles n’ont aucun lien entre elles est une erreur de droit. BAC doit examiner les documents demandés en vertu de la Loi dans l’état où ils se trouvent. Les institutions fédérales ne doivent pas essayer de diviser les documents en catégories, en fonction de leur pertinence. La « divulgation accessoire » révèle des renseignements pertinents sur une personne et sur sa place dans l’histoire. Il n’y a pas de risque vraisemblable de préjudice probable sous le régime de l’article 15 si les opinions formulées « de manière accessoire » à l’endroit de Thomas Clement Douglas étaient divulguées. La portée de l’article 15 a été outrepassée lors des deux examens de la documentation, et lors de l’examen des documents par la commissaire à l’information. Ainsi, les documents dont la communication a été refusée pour des raisons de divulgation accessoire doivent être rendus publics. Les opinions des agents de la GRC à l’égard de Thomas Douglas constituent des « opinions exprimées au cours de leur emploi » et doivent être rendues publiques. Il n’existe pas de « motifs raisonnables de croire qu’un préjudice sera causé » par suite de la divulgation de ces documents, au sens de l’article 15.

Le Commissariat à l’information ne s’est pas bien acquitté de ses fonctions au regard de son pouvoir discrétionnaire. La commissaire n’a pas procédé à une enquête minutieuse, ni effectué d’analyse relative à l’article 19, parce qu’elle a estimé que la décision de ne pas communiquer les documents au cours du premier examen de la documentation était appropriée. La commissaire ne doit pas être aveuglée par les revendications fondées sur la sécurité nationale, car un examen minutieux et indépendant doit être effectué avec un esprit critique, en conformité avec les objectifs de la Loi. Le deuxième examen de la documentation découlait essentiellement de beaucoup plus que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, de sorte que rien n’indique qu’un tel pouvoir a été pris en considération, malgré la déclaration générale contraire. Si le législateur avait voulu reconnaître les intérêts protégés par l’article 15 comme faisant toujours l’objet d’un préjudice du fait de la communication, il aurait adopté une exception non discrétionnaire fondée sur la catégorie. Compte tenu des motifs donnés au sujet du second examen, ainsi que de l’attestation « générique » à savoir que le pouvoir discrétionnaire a été exercé, la Cour a conclu que tel n’était pas le cas, ou que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé, il ne l’a pas été de façon raisonnable.

  Les facteurs à prendre en considération au cours de l’analyse de l’exception prévue à l’article 15 sont les principes et les objectifs de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada, l’intérêt public dans le cadre des demandes d’accès à l’information, qui est implicite, compte tenu des principes de la Loi et de la qualification du mandat de BAC, la valeur historique d’un document, le passage du temps entre la création du document et la demande d’accès à l’information, et la diffusion publique antérieure d’information. Il est nécessaire de reconnaître que ces facteurs sont essentiels à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de BAC prévu à l’article 15 pour donner à la Loi son plein effet et pour qu’un poids approprié soit accordé à ses principes.

  Enfin, en ce qui a trait au caractère complet du dossier dont dispose la Cour, BAC a interprété restrictivement la demande d’accès à l’information comme visant le « dossier » de Thomas Clement Douglas, soit uniquement le dossier de renseignement lui-même, et non davantage de renseignements concernant cet individu sous le contrôle de BAC, sinon tous ces renseignements. Ces renseignements ont été demandés. C’est une demande d’accès à l’information qui a été adressée à BAC, et non une demande littérale d’accès à des documents. L’interprétation restrictive que le défendeur a peut-être faite de la demande d’accès à l’information constitue peut-être en soi un refus de communication.

En ce qui concerne la demande de nomination d’un intervenant désintéressé afin d’aider la Cour à analyser et à examiner la documentation, la Loi ne prévoit pas expressément ce pouvoir. Aux fins du présent dossier, il a été présumé que les vastes pouvoirs que confère l’article 50 de la Loi pourraient comprendre le pouvoir de nommer un intervenant désintéressé. Cependant, aucun intervenant désintéressé n’a été nommé, notamment parce que la demande n’a pas été présentée en temps opportun, et parce que faire intervenir un intervenant désintéressé à ce stade n’aurait rien ajouté de plus.

L’affaire a été renvoyée à BAC en vue d’un réexamen, et des directives précises ont été formulées pour qu’il soit tenu compte des présents motifs, de leur esprit ainsi que des exemples de documents retenus de façon inappropriée. BAC s’est vu ordonner de faire le détail et la preuve des étapes et des démarches suivies pour le troisième examen de la documentation, y compris la façon dont le pouvoir discrétionnaire a été exercé, et d’indiquer par écrit s’il détient d’autres renseignements sur Thomas Clement Douglas, outre ce qui a déjà été divulgué.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada, L.C. 2004, ch. 11, préambule, art. 2 « document fédéral », « document ministériel », « institution fédérale » (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 179.1), 7, 12.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 3.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38.04 (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141(7)), 38.12 (édicté, idem, art. 43), 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 5(F)).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 2 « renseignements personnels », 3j)(v).

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 4(2.1), 6, 9(1)b), 10, 13 (mod. par L.C. 2000, ch. 7, art. 21; 2005, ch. 1, art. 107; 2006, ch. 10, art. 32; 2008, ch. 32, art. 26; 2009, ch. 18, art. 20), 14, 15, 16(1)c),d), 18d) (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 146), 19, 20 (mod. par L.C. 2007, ch. 15, art. 8), 21(1)a), 23, 25, 30 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 4), 36(1)a),b),c),d),(2), 37(1),(2),(5), 41, 42, 45 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 182), 46, 47 (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 154), 49, 50, 52 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 112).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 18.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 83(1)d) (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66; Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, infirmant en partie [2000] 3 C.F. 589 (C.A.); Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182, infirmant 2009 CF 339; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427 (1re inst.); Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.); Harkat (Re), 2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370.

décisions différenciées :

Sheldon Blank & Gateway Industries Ltd. c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 374; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 147; Murchison c. Exportation et développement Canada, 2009 CF 77.

décisions examinées :

3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 254, [2002] 1 C.F. 421; Kitson c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2009 CF 1000, [2010] 3 R.C.F. 440; Maislin Industries Limited c. Ministre de l’Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (1re inst.); Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421; Steinhoff v. Canada (Minister of Communications) (1998), 10 Admin. L.R. (3d) 232, 83 C.P.R. (3d) 380 (C.F. 1re inst.); X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1992] A.C.F. no 1006 (1re inst.) (QL); Do-Ky c. Canada (Ministre des Affaires étrangères et du Commerce international), [1997] 2 C.F. 907 (1re inst.), conf. par 1999 CanLII 8083 (C.A.F.); Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815; Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services), [1988] A.C.F. no 902 (1re inst.) (QL), conf. par [1990] A.C.F. no 81 (C.A.) (QL); X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1992] 1 C.F. 77 (1re inst.); Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 R.C.S. 3; Canada (Procureur général) c. Almalki, 2011 CAF 199, infirmant 2010 CF 1106; R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477.

décisions citées :

Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306; Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 110 (C.A.); Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (C.A.); R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867; R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; Byer c. Canada (Commissaire à l’information), 2004 CF 119; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 253; Sherman c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CFPI 586; Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances), [1999] 4 C.F. 245 (1re inst.); Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 46, [2008] 3 R.C.F. 306; Sherman c. M.R.N., 2004 CF 1423; Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (C.A.); Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2008] 3 R.C.F. 248; Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281; Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253; Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592; Charkaoui (Re), 2008 CF 61, [2009] 1 R.C.F. 507.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (Commission McDonald). Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, août 1981.

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 4e éd. Montréal : Thémis, 2009.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, McNaughton Revision, vol. 8. Boston : Little, Brown & Co., 1961.

DEMANDE de contrôle judiciaire en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information du refus de Bibliothèque et Archives Canada de communiquer des parties du dossier du Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada (remplacé par le Service canadien du renseignement de sécurité) sur Thomas Clement Douglas, homme politique canadien. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Paul Champ pour le demandeur.

Gregory S. Tzemenakis pour le défendeur.

Patricia Boyd pour l’intervenant.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Champ & Associates, Ottawa, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Avocate principale, Commissariat à l’information du Canada, Ottawa, pour l’intervenant.

Table des matières

Paragraphes

I. Le contexte

A. La vie de Thomas Clement Douglas

3

B. Le droit applicable

4 à 27

C. L’historique de la procédure

28 à 46

D. Le deuxième examen du dossier relatif à M. Douglas

47 à 61

E. Les normes de contrôle applicables

62 à 82

F. Les questions déterminantes

83 à 85

II. Analyse

A. Questions préliminaires

1) Le caractère complet du dossier dont dispose la Cour

86 à 109

2) La demande de nomination d’un intervenant désintéressé

110 à 114

3) Les éléments de preuve au soutien de la confidentialité

115 à 122

B. Les documents ont-ils été considérés à juste titre comme des documents visés par l’exception prévue à l’article 15?

1) Considérations générales

123 à 139

2) Intérêt opérationnel actuel

140 à 141

3) Sources humaines

142 à 155

4) Sources techniques

156 à 158

5) Cibles de « nature transitoire »

159 à 171

6) Identité des agents de la GRC

172 à 177

7) « Divulgation accessoire »

178 à189

8) Évaluation de T. C. Douglas par la GRC

190 à 193

C. L’exercice du pouvoir discrétionnaire était-il raisonnable dans les circonstances?

194 à 209

D. Quels facteurs doivent être pris en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire?

210 à 223

III. Conclusion

224 à 228

IV. Annexe

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement  et du jugement rendus par

[1]        Le juge Noël : Le présent recours, présenté en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi), vise à ce que la Cour fédérale procède à la révision de la décision de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) de refuser de communiquer des parties du dossier de la Gendarmerie royale du Canada [GRC] relatif à Tommy Clement Douglas, un homme politique canadien décédé le 24 février 1986. Le demandeur, Jim Bronskill, est journaliste à La Presse canadienne.

[2]        Le litige consiste à savoir quelles parties, le cas échéant, du dossier de 1 142 pages relatif à M. Douglas auprès de BAC devraient être rendues publiques, en plus de celles que BAC avait initialement communiquées à la suite de la demande d’accès à l’information (la demande d’AI) et de celles qui l’ont été des suites du recours avant que la Cour ne rende le présent jugement. L’on doit souligner que la portée du présent jugement et de la demande d’AI sous‑jacente ne s’étend pas à la totalité du dossier relatif à T. C. Douglas. Il traite seulement des parties du dossier que BAC considérait visées par la demande d’AI (voir la transcription de l’audience publique du 23 février 2011, à la page 138).

I. Le contexte

A. La vie de Thomas Clement Douglas

[3]        Thomas Clement Douglas a occupé le poste de premier ministre de la Saskatchewan, de 1944 à 1961, et était alors à la tête de ce que l’on peut considérer comme étant vraisemblablement le premier gouvernement social-démocrate d’Amérique du Nord. En 1961, il devint le premier chef du Nouveau Parti démocratique, qui venait tout juste d’être créé, et a occupé ce poste pendant près de 10 ans. Il y a beaucoup à dire sur ses réalisations à titre d’élu, autant à la Chambre des communes qu’à l’Assemblée législative de la Saskatchewan. La Cour mentionne, au passage, que M. Douglas a été le fer de lance de la création du tout premier régime provincial d’assurance-maladie. Il ne fait aucun doute qu’autant l’histoire que l’ensemble des Canadiens ont beaucoup à apprendre au sujet de M. Douglas et que le présent recours peut être perçu comme pouvant être utile en ce sens. L’on peut aussi affirmer que l’accès à l’information profite à tous les Canadiens, peu importe que la personne faisant l’objet de la demande soit bien connue ou non.

B. Le droit applicable

[4]        Le droit du public à l’accès à l’information détenue par le gouvernement est régi par la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21. La Loi sur l’accès à l’information a pour objet d’enchâsser une composante essentielle de la démocratie : le droit du public d’avoir accès aux documents de l’administration fédérale (article 2 de la Loi). Ce droit d’accès aux documents de l’administration fédérale est essentiel tant pour permettre au public d’examiner les activités de l’administration fédérale que pour assurer une participation entière et constructive au débat public. Si l’adage voulant que l’information soit le pouvoir est véridique, notre démocratie repose donc sur une interprétation large et libérale de la Loi, sous réserve des préoccupations valables pour lesquelles des exceptions sont prévues. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, a conféré un statut quasi constitutionnel à la Loi.

[5]        La Loi elle-même est sans équivoque quant à sa portée et son objet. Tout d’abord, l’objet de la Loi est d’élargir le droit du public d’avoir accès aux renseignements et ne vise pas à « restreindre » l’accès aux documents de l’administration fédérale (article 2 de la Loi). Cet article exige aussi que les exceptions à ce droit soient « précises et limitées ». Cette portée limitée des exceptions prévues par la Loi est primordiale à l’interprétation que la Cour donne à toute demande qui lui est soumise, et les tribunaux ont constamment reconnu ce principe comme étant au cœur de toute révision des refus de communication (Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 110 (C.A.), à la page 129) :

Il ressort aussi clairement de ces deux dispositions que le législateur fédéral voulait que la Loi ait une application libérale et large et que les exceptions au droit du public à la communication de ces documents soient précises et limitées.

Voir aussi, entre autres, Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66; Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (C.A.).

[6]        Le processus d’accès à l’information commence par la présentation d’une demande écrite rédigée en termes suffisamment précis auprès de l’institution fédérale dont relèvent les documents (article 6 de la Loi). Dans la présente affaire, le demandeur a présenté sa demande directement à BAC. En ce moment, il n’y a aucun moyen direct par lequel les citoyens peuvent savoir quelles demandes d’accès à l’information sont pendantes et quels documents sont visés par ces demandes. Le « responsable de l’institution fédérale », tel que défini par la Loi, a la responsabilité de donner suite à la demande d’AI de façon précise et complète (paragraphe 4(2.1) de la Loi). De plus, selon la Loi, ce dernier doit, « sous réserve des règlements, […] communiquer le document en temps utile » à la personne qui fait ou s’apprête à faire une demande d’AI, sans égard à l’identité de cette personne (paragraphe 4(2.1) de la Loi).

[7]        Le responsable de l’institution fédérale peut refuser de donner accès aux dossiers sollicités :

10. (1) En cas de refus de communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi, l’avis prévu à l’alinéa 7a) doit mentionner, d’une part, le droit de la personne qui a fait la demande de déposer une plainte auprès du Commissaire à l’information et, d’autre part :

a) soit le fait que le document n’existe pas;

b) soit la disposition précise de la présente loi sur laquelle se fonde le refus ou, s’il n’est pas fait état de l’existence du document, la disposition sur laquelle il pourrait vraisemblablement se fonder si le document existait.

Refus de communication

(2) Le paragraphe (1) n’oblige pas le responsable de l’institution fédérale à faire état de l’existence du document demandé.

Dispense de divulgation de l’existence d’un document

(3) Le défaut de communication totale ou partielle d’un document dans les délais prévus par la présente loi vaut décision de refus de communication.

Présomption de refus

[8]        La Loi consacre aussi à titre de principe fondamental la révision indépendante des refus de communication des renseignements, afin de lui donner suffisamment de poids (paragraphe 2(1)). Le Commissariat à l’information du Canada est mandaté par la Loi pour réviser les refus de communication des renseignements dans l’éventualité de la présentation d’une plainte écrite et peut lui‑même entreprendre une enquête (article 30 [mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 4]). La Loi définit clairement les pouvoirs d’enquête de ce dernier, qui comprennent le pouvoir d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître (alinéa 36(1)a)), celui de faire prêter serment et de recevoir des éléments de preuve (alinéas 36(1)b) et 36(1)c)) ainsi que celui d’avoir accès à tous les documents qui relèvent d’une institution fédérale, à condition de satisfaire à l’attestation de sécurité du personnel (alinéa 36(1)d) et paragraphe 36(2)).

[9]        Le pouvoir d’enquête du commissaire à l’information est assorti d’une obligation de transmettre un rapport à l’institution fédérale dans les cas où il conclut au bien-fondé d’une plainte et de fournir les motifs à l’appui de ses conclusions (paragraphe 37(1)). À ce sujet, le commissaire à l’information peut aussi présenter des recommandations et demander d’être avisé des mesures prises ou envisagées pour la mise en œuvre de ces recommandations ou, subsidiairement, des motifs invoqués pour ne pas y donner suite (paragraphe 37(2) de Loi). Dans les cas où le responsable de l’institution fédérale persiste à refuser de communiquer les documents une fois l’enquête terminée, le commissaire à l’information informe le plaignant de l’existence d’un droit de recours en révision devant la Cour fédérale (paragraphe 37(5) de la Loi). Cependant, la Cour est chargée d’examiner le refus du responsable de l’institution fédérale et non la décision du commissaire à l’information (3430901 Canada Inc. c Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 254, [2002] 1 C.F. 421 (Telezone), au paragraphe 42).

[10]      L’on doit aussi mentionner que le mandat du commissaire à l’information est plus large que ce que les présents motifs ne le laissent croire. Il suffit de dire que le mandat du commissaire à l’information en est un qui nécessite la plus grande vigueur et énergie. Le commissaire à l’information est véritablement l’un des gardiens de notre démocratie.

[11]      Une fois que la révision du commissaire à l’information est complétée, et si le responsable de l’institution gouvernementale maintient son refus, le plaignant peut exercer un recours en révision de la décision de refuser la communication devant la Cour fédérale (article 41). Le commissaire à l’information peut lui aussi exercer ce recours et même comparaître au nom du plaignant initial (article 42). La Cour se voit accorder l’accès à tous les documents pertinents (article 46) et a la responsabilité de s’assurer qu’aucun renseignement protégé ne soit divulgué pendant l’instruction de la demande (article 47 [mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 154]). La nature de la révision qu’effectue la Cour sera abordée ci‑dessous.

[12]      Dans l’affaire dont la Cour est saisie, BAC invoquait principalement l’exception prévue à l’article 15 de la Loi. BAC fondait aussi, initialement, son refus de donner accès aux documents sur l’article 19. Ces dispositions se lisent comme suit :

15. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives, notamment :

a) des renseignements d’ordre tactique ou stratégique ou des renseignements relatifs aux manœuvres et opérations destinées à la préparation d’hostilités ou entreprises dans le cadre de la détection, de la prévention ou de la répression d’activités hostiles ou subversives;

b) des renseignements concernant la quantité, les caractéristiques, les capacités ou le déploiement des armes ou des matériels de défense, ou de tout ce qui est conçu, mis au point, produit ou prévu à ces fins;

c) des renseignements concernant les caractéristiques, les capacités, le rendement, le potentiel, le déploiement, les fonctions ou le rôle des établissements de défense, des forces, unités ou personnels militaires ou des personnes ou organisations chargées de la détection, de la prévention ou de la répression d’activités hostiles ou subversives;

d) des éléments d’information recueillis ou préparés aux fins du renseignement relatif à :

(i) la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada,

(ii) la détection, la prévention ou la répression d’activités hostiles ou subversives;

e) des éléments d’information recueillis ou préparés aux fins du renseignement relatif aux États étrangers, aux organisations internationales d’États ou aux citoyens étrangers et utilisés par le gouvernement du Canada dans le cadre de délibérations ou consultations ou dans la conduite des affaires internationales;

f) des renseignements concernant les méthodes et le matériel technique ou scientifique de collecte, d’analyse ou de traitement des éléments d’information visés aux alinéas d) et e), ainsi que des renseignements concernant leurs sources;

g) des renseignements concernant les positions adoptées ou envisagées, dans le cadre de négociations internationales présentes ou futures, par le gouvernement du Canada, les gouvernements d’États étrangers ou les organisations internationales d’États;

h) des renseignements contenus dans la correspondance diplomatique échangée avec des États étrangers ou des organisations internationales d’États, ou dans la correspondance officielle échangée avec des missions diplomatiques ou des postes consulaires canadiens;

i) des renseignements relatifs à ceux des réseaux de communications et des procédés de cryptographie du Canada ou d’États étrangers qui sont utilisés dans les buts suivants :

(i) la conduite des affaires internationales,

(ii) la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada,

(iii) la détection, la prévention ou la répression d’activités hostiles ou subversives.

Affaires internationales et défense

(2) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

Définitions

« activités hostiles ou subversives »

a) L’espionnage dirigé contre le Canada ou des États alliés ou associés avec le Canada;

b) le sabotage;

c) les activités visant la perpétration d’actes de terrorisme, y compris les détournements de moyens de transport, contre le Canada ou un État étranger ou sur leur territoire;

d) les activités visant un changement de gouvernement au Canada ou sur le territoire d’États étrangers par l’emploi de moyens criminels, dont la force ou la violence, ou par l’incitation à l’emploi de ces moyens;

e) les activités visant à recueillir des éléments d’information aux fins du renseignement relatif au Canada ou aux États qui sont alliés ou associés avec lui;

f) les activités destinées à menacer, à l’étranger, la sécurité des citoyens ou des fonctionnaires fédéraux canadiens ou à mettre en danger des biens fédéraux situés à l’étranger.

« activités hostiles ou subversives »

subversive or hostile activities

« défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada » Sont assimilés à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada les efforts déployés par le Canada et des États étrangers pour détecter, prévenir ou réprimer les activités entreprises par des États étrangers en vue d’une attaque réelle ou éventuelle ou de la perpétration d’autres actes d’agression contre le Canada ou des États alliés ou associés avec le Canada.

[…]

« défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada »

defence of Canada or any state allied or associated with Canada

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Renseignements personnels

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. [Non souligné dans l’original.]

Cas où la divulgation est autorisée

[13]      Les exceptions énoncées dans la Loi doivent être examinées sous deux angles par la cour siégeant en révision. Premièrement, les exceptions à la Loi sont fondées soit sur le préjudice, soit sur la catégorie. Les exemptions fondées sur la catégorie sont généralement invoquées lorsque la nature de la documentation sollicitée est intrinsèquement confidentielle. À titre d’exemple, l’exemption prévue à l’article 13 concerne les renseignements obtenus des gouvernements étrangers et est, de par sa nature, une exception fondée sur la catégorie. Les exceptions fondées sur le préjudice exigent que le décideur analyse la question de savoir si la communication des renseignements pourrait aller à l’encontre des intérêts exposés dans l’exception. L’article 15 est une exception fondée sur le préjudice : le responsable d’une institution fédérale doit examiner la question de savoir si la communication de l’information « risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives ».

[14]      Dans l’affaire dont nous sommes saisis, bien que BAC soit gardienne de certains des documents sollicités, la Loi et la politique du Conseil du Trésor l’obligeaient à consulter l’institution qui est à l’origine des documents. En l’espèce, les documents provenaient du Service de sécurité de la GRC. Puisque cette division a été remplacée par un service civil de renseignements de sécurité, le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) en 1984, BAC a consulté cette organisation pour obtenir des informations quant à la nature des documents et à l’applicabilité des exceptions prévues à la Loi.

[15]      La deuxième composante des exceptions prévues à la Loi est de vérifier si l’exception est de nature obligatoire ou discrétionnaire. Dans le cas des exceptions obligatoires, les dispositions de la Loi prévoient que le décideur « est tenu de refuser la communication » des documents lorsque ceux‑ci sont visés par une exception (voir, entre autres, l’article 19). Dans le cas des exceptions de nature discrétionnaire, le décideur « peut refuser » la communication des documents. L’exception visée par l’article 15 est de nature discrétionnaire, dont les aspects seront examinés en profondeur dans les présents motifs.

[16]      La Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada, L.C. 2004, ch. 11 est inextricablement liée à la Loi. Le lien le plus évident dans la présente demande est que BAC doit répondre à la demande d’AI, mais en plus de ce lien, on doit tenir compte de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada pour chacune des révisions d’une décision relative à une demande d’AI, sans égard à l’institution ou au décideur concerné. Cette affirmation est soutenue par les responsabilités conférées au responsable de BAC, soit l’administrateur général, par l’article 12 de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada :

12. (1) L’élimination ou l’aliénation des documents fédéraux ou ministériels, qu’il s’agisse ou non de biens de surplus, est subordonnée à l’autorisation écrite de l’administrateur général ou de la personne à qui il a délégué, par écrit, ce pouvoir.

Élimination et aliénation

[17]      Puisque la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada [à l’article 2] définit de manière large les termes « document fédéral » ou « document ministériel » et « institution fédérale » [mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 179.1], on peut affirmer que l’approbation définitive de la destruction et la conservation des documents sont une partie intégrale du mandat de BAC. Évidemment, le législateur considère l’accès à l’information et la conservation des documents comme des composantes essentielles du droit des citoyens d’avoir accès aux renseignements gouvernementaux.

[18]      Toute institution fédérale qui se penche sur des demandes d’AI doit tenir compte des objectifs de BAC, puisque ceux-ci apportent des précisions supplémentaires quant à l’objet de la Loi et renforcent l’importance de l’accès aux documents de l’administration fédérale. La mission de BAC est clairement définie dans les passages suivants :

7. Bibliothèque et Archives du Canada a pour mission :

a) de constituer et de préserver le patrimoine documentaire;

b) de faire connaître ce patrimoine aux Canadiens et à quiconque s’intéresse au Canada, et de le rendre accessible;

c) d’être le dépositaire permanent des publications des institutions fédérales, ainsi que des documents fédéraux et ministériels qui ont un intérêt historique ou archivistique;

d) de faciliter la gestion de l’information par les institutions fédérales;

e) d’assurer la coordination des services de bibliothèque des institutions fédérales;

f) d’appuyer les milieux des archives et des bibliothèques.

Mission

[19]      Il ne s’agit pas d’une mission passive. Le législateur enjoint à BAC de « constituer et de préserver » le patrimoine documentaire des Canadiens. On lui demande aussi de « faire connaître ce patrimoine » ainsi que de « le rendre accessible ». Dans la mesure où la Loi a pour objectif de rendre accessibles les documents de l’administration fédérale, le mandat de BAC est non seulement similaire à celui de la Loi, mais en constitue la suite logique. Le préambule de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada renforce cette synergie entre la Loi et le mandat de BAC :

Attendu qu’il est nécessaire :

a) que le patrimoine documentaire du Canada soit préservé pour les générations présentes et futures;

b) que le Canada se dote d’une institution qui soit une source de savoir permanent accessible à tous et qui contribue à l’épanouissement culturel, social et économique de la société libre et démocratique que constitue le Canada;

c) que cette institution puisse faciliter au Canada la concertation des divers milieux intéressés à l’acquisition, à la préservation et à la diffusion du savoir;

d) que cette institution soit la mémoire permanente de l’administration fédérale et de ses institutions,

Préambule

[20]      Le recours au préambule d’une loi pour pleinement en saisir l’objectif est une méthode qui ne suscite pas de controverses et qui se veut un moyen utile pour comprendre le mandat et la mission que le législateur a confiés à BAC. La professeure Ruth Sullivan a énoncé que les préambules et les énoncés d’objectifs sont [traduction] « la meilleure preuve quant à l’objectif » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008, à la page 271). Le professeur Côté est quant à lui d’avis que la jurisprudence a évolué dans le sens que la considération du préambule est toujours de mise, bien que les circonstances d’une affaire, comme la clarté du dispositif, puissent justifier qu’on mette de côté les indices de volonté que le préambule peut fournir (Pierre-André Côté, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd. Montréal : Thémis, 2009, au paragraphe 226).

[21]      La Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada met l’accent sur l’accessibilité de la documentation ainsi que sur sa propre contribution au régime politique canadien (« une source de savoir permanent accessible à tous et qui contribue à l’épanouissement culturel, social et économique de la société libre et démocratique que constitue le Canada »). Une fois de plus, BAC hérite d’une mission concrète : « l’acquisition, […] la préservation et […] la diffusion du savoir » (non souligné dans l’original). En fin de compte, BAC est la gardienne de notre patrimoine documentaire et de l’information que renferme celui-ci (« mémoire permanente » ou « continuing memory »). La question de savoir si BAC a possession ou non des documents n’est pas pertinente : toutes les institutions fédérales répondent à l’administrateur général et à ceux à qui ce dernier a délégué des pouvoirs en matière de conservation de documents. Toute décision de procéder à l’aliénation de ces documents revient donc à l’administrateur général ou aux personnes à qui il a délégué ce pouvoir (article 12 de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada).

[22]      Non seulement les principes d’interprétation des lois nous permettent de tenir compte des lois adoptées quant à des questions similaires, mais la cohérence du système juridique canadien exige que les principes inhérents des lois relatives aux mêmes objets soient considérés comme étant pleinement complémentaires, surtout en ce qui concerne une question aussi cruciale que l’accès à l’information. Il est manifeste que les objectifs complémentaires de la Loi et de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada sont inextricablement liés, tout comme le seraient ceux de la Loi sur la protection des renseignements personnels, si ceux-ci devaient être examinés par la Cour dans le contexte de la présente demande. La professeure Sullivan a offert une perspective savante quant aux lois ayant le même objectif (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, précité, à la page 412) :

[traduction] La présomption de cohérence et d’uniformité s’applique, au même titre que si les dispositions de ces lois faisaient toutes parties de la même Loi. Les définitions contenues dans une loi doivent être considérées comme applicables aux autres lois, et tous les énoncés d’objectifs contenus dans les lois doivent être lus ensemble. [Non souligné dans l’original.]

[23]      Cette manière d’aborder l’interprétation des lois relatives à des questions similaires est conforme à celle retenue par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867.

[24]      L’on doit souligner que la juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale a énoncé, dans l’arrêt Sheldon Blank & Gateway Industries Ltd. c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 374 [au paragraphe 12], que « la Cour ne doit examiner que la Loi et la jurisprudence qui en guide l’interprétation et l’application. Les lois exigeant la communication de documents dans d’autres procédures juridiques ne peuvent restreindre ni élargir la portée de la communication exigée par la Loi sur l’accès à l’information. » Cependant, dans l’arrêt Sheldon Blank, l’on demandait à la Cour d’appel de déclarer que la norme de communication exigée en matière criminelle, dégagée dans l’arrêt Stinchcombe [R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326], s’applique aux demandes d’AI. En l’espèce, la Cour distingue le présent recours de l’affaire Sheldon Blank et des passages relatifs à la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada que contient cet arrêt. Une fois de plus, la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et la Loi sur l’accès à l’information sont des lois adoptées en pareille matière et ne sont donc pas incompatibles et n’ont pas « les mêmes répercussions » ou « la même portée » que celle d’adopter aux demandes d’AI, la norme de communication en matière criminelle dégagée dans l’arrêt Stinchcombe.

[25]      Donc, tout décideur, lorsqu’il procède à l’examen d’une demande d’AI, doit tenir compte du mandat et l’objet de BAC, y compris de la valeur intrinsèque des archives documentaires et de l’accès à ces archives, puisque ceux-ci complètent les objectifs et l’esprit de la Loi elle-même.

[26]      On demande à la Cour de s’acquitter de la tâche importante de préserver la confidentialité des renseignements sur lesquels elle doit se pencher : elle doit prendre « toutes les précautions possibles » pour éviter qu’ils soient divulgués (article 47 de la Loi). La Cour fédérale doit aussi s’acquitter d’une tâche similaire pour d’autres questions liées à la sécurité nationale. La Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, à l’article 38.12 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43] et au paragraphe 38.04(4) [édicté, idem, art. 141(7)], confie à la Cour la responsabilité de protéger les renseignements confidentiels. L’alinéa 83(1)d) [mod. par L.C. 2008, ch.3, art. 4] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, prévoit qu’il incombe à la Cour de garantir la confidentialité des renseignements qui lui sont fournis dans le contexte de certificats de sécurité.

[27]      Cependant, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confèrent explicitement à la Cour le pouvoir de rédiger des résumés des renseignements. Le législateur n’a pas explicitement accordé ce pouvoir au Commissaire à l’information ou au décideur. Le résumé permet de parvenir à un compromis entre la protection des renseignements liés à la sécurité nationale et le droit de connaître la preuve ainsi que celui d’obtenir les renseignements pertinents. Dans le contexte de l’accès à l’information, le droit à l’accès aux renseignements lui‑même peut être mis en balance avec la question des renseignements liés à la sécurité nationale en préparant des résumés. Bien que la Cour puisse considérer la production de résumés en vertu des vastes pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 50, l’on doit souligner qu’il s’agit d’un long exercice qui nécessite des ressources considérables. On peut envisager que l’instruction de la présente demande aurait pu se dérouler de manière plus efficace si le responsable de l’institution fédérale et le commissaire à l’information avaient le pouvoir de produire des résumés, lesquels auraient alors pu être révisés par la Cour.

C. L’historique de la procédure

[28]      Depuis que le demandeur a présenté sa demande d’AI initiale en novembre 2005, la demande et les procédures subséquentes ont évolué de sorte qu’il est nécessaire de dresser un historique général pour rendre un portrait clair de la situation, qui d’ailleurs peut illustrer la dynamique de l’accès à l’information au Canada. Les recours prévus à la Loi sont censés procéder de manière sommaire (article 45 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 182] de la Loi). Comme on le verra, la nature et le volume des documents étaient tels qu’il était impossible que l’affaire soit traitée en procédure sommaire. L’on s’attendrait à ce qu’un dossier d’une telle importance historique soit traité de manière plus efficace, et ce, à tous les stades de la procédure.

[29]      Le demandeur a présenté sa demande à BAC en novembre 2005 et y déclarait ce qui suit :

[traduction] Une copie du ou des dossiers du Service de sécurité de la GRC sur Thomas Clement (Tommy) Douglas (voir biographie en annexe). Le 24 février 2006 représente le 20e anniversaire du décès de M. Douglas. Je vous demande de commencer à traiter immédiatement cette demande, puisque cela nécessitera probablement plusieurs semaines de préparation, compte tenu de l’arriéré dans le traitement des demandes présentées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

[30]      Comme l’indique l’affidavit public de Mme Jalbert, coordonnatrice de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS), le dossier de M. Douglas a été préservé [traduction] « en raison de son importance historique ». Il a ensuite été transféré aux Archives nationales du Canada, l’ancienne dénomination de BAC, en avril 2000.

[31]      Puisque les documents se trouvaient au dossier « RG146 — Documents du Service canadien du renseignement de sécurité », BAC a consulté le SCRS. Après cette consultation initiale, l’analyste principal responsable du dossier a écrit au demandeur le 9 décembre 2005 pour lui mentionner qu’une prolongation du délai pouvant aller jusqu’à 390 jours s’imposait, en plus du délai de 30 jours prévu par la Loi, en raison des consultations nécessaires avec le SCRS pour donner suite à la demande, comme le prévoit l’alinéa 9(1)b) de la Loi.

[32]      Le SCRS a reçu les instructions suivantes, qui émanaient d’une lettre envoyée par l’analyste principal de BAC (pièce 1 du contre-interrogatoire de Mme Jalbert, 2 mars 2010) :

[traduction] Si vous souhaitez que nous refusions de communiquer ces documents, ou une partie de ceux-ci, veuillez apposer une mention en ce sens sur les documents. Nous exigeons une justification écrite détaillée, qui démontre que les renseignements dont vous recommandez la non-communication font partie d’une ou de plusieurs des dispositions de la Loi relatives aux exceptions. Toute autre information que vous pourriez nous transmettre afin d’étayer une exception pourrait aussi être utile.

[33]      Mme Jalbert a mentionné au cours de son contre-interrogatoire que, pour des raisons de commodité administrative, le SCRS a seulement invoqué « une justification passe-partout », ce qui permet aux analystes de BAC d’apprécier la justification générale des exceptions, mais pas la preuve propre à l’affaire en question (pages 40 et 41 du contre-interrogatoire de Mme Jalbert, 21 janvier 2010). L’examen entrepris par le SCRS visait à savoir si les exceptions visées au paragraphe 15(1) de la Loi s’appliquaient bel et bien aux documents en question. Le 31 octobre 2006, le SCRS a fourni à BAC des documents caviardés, avec une mention quant à l’exception invoquée sur les parties du dossier en question (contre-interrogatoire de Bill Wood, 8 mars 2010).

[34]      Le document justificatif fourni par le SCRS a été rendu public, quoique sous forme caviardée. Comme nous le verrons plus tard, en raison d’une partie ex parte de la demande, entendue à huis clos, des parties caviardées de ce document sont devenues publiques. Le document de justification ainsi que celui relatif aux [traduction] « Consultations de Bibliothèque et Archives (BAC) » sont maintenant accessibles au public, par suite de la présente demande.

[35]      L’examen interne du document révèle que l’analyste principal affecté à l’examen des recommandations du SCRS a reçu le dossier le 5 décembre 2006 (« Demande d’accès à l’information — A-2005-00450/MIC — Bronskill, Jim (journaliste) », pièce 2 du contre-interrogatoire de Bill Wood, 8 mars 2010).

[36]      Le 12 décembre 2006, l’analyste principal de BAC a écrit au demandeur pour lui mentionner que 456 documents du dossier pouvaient être communiqués, mais qu’il ne communiquerait pas les autres documents, en vertu des exceptions prévues aux articles 15 et 19 de la Loi. Il était indiqué que l’on invoquait aussi l’application de l’article 10, par lequel l’institution refusait de confirmer ou de nier l’existence des documents. Il a toutefois été indiqué, plus tard, que le renvoi à l’article 10 a été fait par inadvertance.

[37]      Le 17 janvier 2007, le demandeur a déposé une plainte officielle auprès du commissaire à l’information du Canada, pour protester contre [traduction] « la quantité et la portée excessive des exceptions appliquées aux documents ».

[38]      Par voie d’une lettre datée du 27 août 2009, soit plus de deux ans après le dépôt de cette plainte, la commissaire à l’information a conclu que la plainte du demandeur n’était pas justifiée. De plus, la commissaire a mentionné que le Commissariat avait examiné les documents seulement sous l’angle du paragraphe 15(1) de la Loi et qu’il n’était pas nécessaire de les examiner sous l’angle du paragraphe 19(1), puisque le Commissariat avait conclu que ceux-ci avaient été retenus, à juste titre, en vertu du paragraphe 15(1).

[39]      Le recours en révision judiciaire au titre de l’article 41 de la Loi a été présenté à la Cour en octobre 2009. En vertu de l’article 52 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 112] de la Loi, la protonotaire Aronovitch a accordé au défendeur la permission de présenter sa preuve en l’absence de l’autre partie, au moyen d’une ordonnance datée du 9 décembre 2009. Le défendeur sollicitait que deux affidavits, qu’il estimait non pertinents et fondés sur des opinions, soient radiés du dossier. Bien qu’elle ait reconnu que certaines parties des affidavits de Wesley Wark et Craig Heron contenaient des opinions, la protonotaire Tabib a rejeté la requête en radiation des affidavits présentée par le ministre, au moyen d’une ordonnance datée du 11 février 2010.

[40]      En application de l’article 52, et en raison de la nature des exceptions prévues à l’article 15 qui étaient invoquées, le juge en chef Lutfy a chargé le soussigné de l’audition du recours, tant pour la partie à huis clos que pour l’audience publique (ordonnance datée du 7 septembre 2010).

[41]      La partie ex parte de l’audience a eu lieu à Ottawa, le 30 novembre 2010. Compte tenu des préoccupations soulignées par la Cour suprême dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3 et par le juge en chef Lutfy dans la décision Kitson c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2009 CF 1000, [2010] 3 R.C.F. 440, qui ont récemment été confirmées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182, il était sans équivoque pour toutes les parties concernées, y compris la Cour, que l’audition ex parte, à huis clos, devait être limitée au strict minimum, de manière à ne pas faire obstruction au principe de publicité des débats judiciaires et aux intérêts du demandeur. Comme l’avait relaté le juge en chef adjoint Jerome dans l’arrêt Maislin Industries Limited c. Ministre de l’Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (1re inst.), à la page 942, les directives pour procéder à une audition ex parte, à huis clos « doivent permettre de sauvegarder l’intérêt qu’a le public dans l’administration de la justice et les droits de toutes les parties qui sont exclues du débat ». La Cour a aussi examiné, de manière indépendante, une version complète, non caviardée du dossier avant de procéder à cette audience ex parte, à huis clos.

[42]      Après une téléconférence ex parte, un résumé de l’audience ex parte tenue à huis clos a été préparé par l’avocat du défendeur, à la demande de la Cour. Le résumé a été approuvé par la Cour et produit. Celui-ci relatait sommairement le processus suivi au cours de l’audience à huis clos, ainsi que les préoccupations de la Cour. Le résumé indiquait ce qui suit :

[traduction]

i. Les préoccupations soulevées par la Cour étaient les suivantes :

a.  De savoir si des renseignements additionnels pouvaient être communiqués pour deux des documents ayant auparavant été communiqués au demandeur, intitulés « Document justificatif pour les exceptions applicables au SCRS utilisé par les Archives nationales » et « Consultations de Bibliothèque et Archives (BAC) ».

b.  Dans quelle mesure la preuve traite-t-elle du mandat de BAC?

c.  De quelle manière BAC a-t-elle exercé le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 15?

d.  Dans quelle mesure ce pouvoir discrétionnaire a-t-il été exercé de manière raisonnable?

ii.   L’avocat du ministre a apporté des précisions quant aux catégories de renseignements qui avaient été protégés en présentant à la Cour un ensemble d’exemples au moyen de références précises aux documents.

iii. L’avocat du ministre a avisé la Cour de son intention d’examiner un certain nombre de documents pour une éventuelle communication, ce qu’il a d’ailleurs fait.

iv. La Cour a présenté à l’avocat du ministre un certain nombre de documents qui la préoccupaient; l’objectif de cette démarche était d’examiner la mesure dans laquelle le mandat de BAC avait été considéré dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 15.

[43]      En raison de circonstances extérieures, l’audience devant être tenue le 14 décembre 2010 a été ajournée sur consentement et une nouvelle date d’audience a dû être fixée. Entre-temps, l’avocat du ministre a proposé, au moyen d’une lettre datée du 13 décembre 2010, que l’affaire soit ajournée pendant une période de 90 jours, puisque le défendeur avait entrepris de bonne foi, à la suite de l’audience à huis clos, un examen des documents afin de communiquer davantage de renseignements. La communication additionnelle devait avoir lieu avant le 31 mars 2011. À ce moment-là, l’avocat du demandeur s’est opposé à ce nouvel examen de la documentation, puisqu’il prétendait que le dossier devrait être apprécié tel qu’il avait été initialement présenté à la Cour. Les renseignements ont tout de même été produits à la Cour le 16 février 2011.

[44]      La Cour a mentionné, au cours d’une téléconférence entre les parties tenue le 17 décembre 2010, qu’un jugement pourrait être directement rendu quant à la présente demande, sur fondement des observations écrites des parties. Cependant, les avocats des parties l’ont informé que l’affaire devait faire l’objet d’une audience publique, en raison de la présence de questions en litige devant être débattues publiquement. Une audience a été prévue le 23 février 2011, à Ottawa : celle‑ci s’est déroulée comme prévu.

[45]      L’audience publique a permis aux parties de présenter des observations sur la nature de l’exception prévue au paragraphe 15(1) de la Loi ainsi que sur d’autres questions qui seront traitées dans les présents motifs. Cependant, l’avocat du défendeur a clarifié certains aspects de ses observations présentées au cours de l’audience publique, au moyen d’une lettre transmise le 24 février 2011.

[46]      Si l’on fait exception des considérations relatives au deuxième examen de la documentation, l’avocat du défendeur a clarifié ce qu’il avait laissé entendre au sujet des changements à la politique du SCRS et de BAC qui ont découlé des procédures. Dans la lettre du 24 février 2011, l’avocat mentionnait que [traduction] « le SCRS a recommandé la communication de la plupart des documents obtenus au moyen de sources techniques (interceptions et surveillance) lorsque l’objet de l’intérêt est de nature transitoire. Désormais, cette recommandation sera appliquée à tous les dossiers du SCRS qui ont été transférés à BAC en raison de leur importance historique ». L’on a relevé que cela constituait un [traduction] « important changement de direction » en ce qui concerne les documents historiques ayant été examinés par le SCRS et BAC. Cela dit, ce en quoi consiste un objet d’intérêt de nature transitoire reste à être défini avec plus de précisions.

D. Le deuxième examen du dossier relatif à M. Douglas

[47]      Comme il a été mentionné ci-dessus, le défendeur a procédé à un deuxième examen du dossier relatif à M. Douglas et a présenté cet examen à la Cour juste avant l’audience publique.

[48]      Premièrement, dans la lettre datée du 24 février 2011 (voir paragraphe 46 des présents motifs), l’avocat du défendeur a clarifié les trois motifs pour lesquels le défendeur a entrepris un deuxième examen de la documentation. Ces trois motifs étaient les suivants : plus de cinq ans s’étaient écoulés entre la demande initiale et l’audience du recours en révision; le défendeur a admis à la Cour qu’il y avait des incohérences dans ses décisions de retenir des renseignements et qu’un certain nombre de commentaires faits lors des audiences à huis clos avaient fait en sorte [traduction] « qu’il était approprié de conduire un examen additionnel ».

[49]      Deuxièmement, dans la lettre datée du 24 février 2011, l’avocat du défendeur a donné de plus amples détails quant à la justification pour communiquer des renseignements additionnels. Dans cette lettre, l’avocat du défendeur a aussi mentionné qu’il n’invoquait plus l’exception prévue au paragraphe 19(1). Dans le cadre de l’examen de la documentation, la Cour a conclu que l’on pouvait toujours déceler des préoccupations relatives au paragraphe 19(1) dans les documents. Cependant, puisque l’article 19 n’a été ni invoqué, ni débattu, l’analyse porte strictement sur le paragraphe 15(1).

[50]      À la lumière du deuxième examen du dossier faisant l’objet du litige, la Cour est saisie d’une importante question : quelle était la nature de ce deuxième examen des documents? S’agissait‑il d’une décision de novo, qui doit être envoyée à la commissaire à l’information pour que la Cour puisse procéder à une révision valide? Au premier coup d’œil, il pourrait sembler que les exigences de l’article 41 laissent supposer que l’affaire soit d’abord envoyée à la commissaire à l’information avant que la Cour puisse en être saisie. Il s’agit aussi de l’interprétation récemment donnée à cet article dans l’arrêt Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421, au paragraphe 64.

[51]      Cette question a été soulevée au cours de l’audience publique, mais a été laissée en suspens, puisque les parties avaient besoin de temps pour présenter des observations supplémentaires. À cet égard, la Cour a aussi demandé aux parties de contacter le Commissariat à l’information en vue d’obtenir son avis sur la question de savoir si la Cour a compétence pour tenir compte de ce deuxième examen du dossier de M. Douglas.

[52]      La commissaire à l’information a présenté, sur consentement des parties, une requête écrite pour que lui soit accordée la qualité d’intervenant quant à la question de la compétence. La Cour a autorisé la commissaire à l’information à intervenir à l’égard de la question de la compétence par voie d’une ordonnance datée du 28 mars 2011.

[53]      La commissaire a formulé la question de la compétence comme suit :

[traduction] Est-ce que l’exigence, prévue à l’article 41 de la Loi, que le commissaire fasse enquête sur un refus de communication totale ou partielle de documents, avant la présentation d’un recours en révision au titre de l’article 41 de la Loi, a pour effet d’enlever à la Cour fédérale la compétence pour examiner les renseignements communiqués par BAC le 16 février 2011?

[54]      Se fondant sur la décision Byer c. Canada (Commissaire à l’information), 2004 CF 119, la commissaire à l’information a soumis qu’une fois que le compte rendu visé au paragraphe 37(2) de la Loi a été fourni, le Commissariat est dessaisi de la demande, à moins qu’une nouvelle plainte ne lui soit présentée. De plus, puisque l’on invoquait la même exception dans le nouvel examen des documents, la commissaire avait donc examiné la première communication des documents et conclu que la plainte n’était pas justifiée. Par conséquent, aucune nouvelle exception n’a été soulevée et les documents en cause étaient les mêmes. De ce fait, l’on peut donc prétendre que la commissaire à l’information est dessaisie de l’affaire, en ce qui concerne le présent recours.

[55]      La Cour a accordé aux parties, au moyen d’une directive prononcée de vive voix le 5 avril 2011, la permission de présenter des observations supplémentaires pour traiter de manière plus approfondie du deuxième examen des documents.

[56]      L’avocat du demandeur a fourni des observations supplémentaires à l’égard de la communication supplémentaire. L’avocat souligne, à juste titre, que les documents rendus publics dans le contexte du deuxième examen démontraient les erreurs de logiques commises par le défendeur dans son appréciation initiale des dossiers. De plus, l’avocat du demandeur a fait observer que des parties des documents ne figuraient pas au dossier.

[57]      Les questions fondamentales des documents absents et de la fragmentation du dossier relatif à M. Douglas seront abordées dans les présents motifs, puisqu’il s’agit d’éléments cruciaux du présent recours.

[58]      Le défendeur a prétendu que la communication a été refusée dans les cas où les renseignements, pris hors contexte, pouvaient s’avérer injustes pour M. Douglas. Le demandeur a fait observer que cette prétention était injustifiée et condescendante.

[59]      Le demandeur, citant une décision du Royaume-Uni, a aussi suggéré la nomination d’un intervenant désintéressé (amicus curiae) ou d’un avocat spécial, à une étape tardive du recours, pour effectuer un examen des documents. L’on affirme que la nature et la portée des documents visés étaient d’une telle ampleur qu’ils pourraient constituer un fardeau pour la Cour.

[60]      L’avocat du défendeur s’est vigoureusement opposé à cette demande, et ce, pour plusieurs motifs : premièrement, il affirme que toutes les questions avaient été présentées dans leur totalité à la Cour; deuxièmement, la question de procéder à une révision de novo revenait à la Cour; troisièmement, la nomination d’un intervenant désintéressé aurait pour conséquence de rendre le rôle de la commissaire à l’information sans importance et, dernièrement, il faut établir une distinction entre la présente affaire et les précédents invoqués, puisque ceux-ci portaient sur des contextes juridiques différents.

[61]      Puisque l’historique entier de la présente demande a été abordé, il convient de traiter de la question des normes de contrôle applicables à la présente demande.

E. Les normes de contrôle applicables

[62]      Comme il a précédemment été mentionné, le recours en révision a été présenté en vertu de l’article 41 de la Loi. De plus, dans la présente affaire, BAC a invoqué l’exception relative à la sécurité nationale, prévue à l’article 15. L’article 50 exige que la Cour se prononce sur la question de savoir si le refus du responsable de l’institution fédérale de donner communication totale ou partielle des documents en question « était […] fondé sur des motifs raisonnables ».

[63]      À première vue, une lecture simple de l’article 50 révèle que la révision porte sur l’appréciation de la raisonnabilité du refus de BAC de procéder à la communication. En effet, les « motifs raisonnables » pour refuser de communiquer les renseignements est la norme prévue à l’article 50. De plus, l’article 15 indique que le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication dans les cas où celle-ci « risquerait vraisemblablement de porter préjudice » aux objets visés à l’article 15. En se fondant sur une simple lecture de ces articles, la Cour pourrait être convaincue qu’elle doit procéder à la révision du refus de communication selon la norme de la décision raisonnable.

[64]      La Cour a effectivement appliqué la norme de la décision raisonnable pour procéder à la révision des recours présentés en vertu de l’article 50 (voir, entre autres, Steinhoff v. Canada (Minister of Communications) (1998), 10 Admin. L.R. (3d) 232 (C.F. 1re inst.); X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1992] A.C.F. no 1006 (1re inst.) (QL) (le juge Strayer); Kitson, précitée). L’analyse pragmatique et fonctionnelle requise pour déterminer la norme de contrôle à retenir pouvait être effectuée en se fondant sur la loi et la jurisprudence (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 57, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 18).

[65]      Cependant, la Cour doit procéder à la révision de quelle décision? Doit-elle effectuer une analyse en une étape du refus de communication fondé sur les motifs prévus à l’article 15, ou est-ce que les articles 15 et 50 exigent davantage de la Cour?

[66]      La Cour a retenu des approches différentes de ses pouvoirs de révision que la Loi lui confère au titre des articles 49 et 50. Ces articles restent distincts, et l’appréciation des normes de contrôle doit s’adapter aux réalités spécifiques de ces dispositions de la Loi. La détermination des normes de contrôle applicables au titre de l’article 49 ne peut être transposée dans l’analyse au titre de l’article 50. Dans la même veine, la Cour ne peut pas, dans le cadre de son analyse, incorporer une exception à une autre, même si la Cour tire sa compétence de la même disposition, c’est‑à‑dire, de l’article 49 ou de l’article 50. La nature des exceptions prévues à la Loi est telle que l’on ne retrouve pas la norme de contrôle applicable aux articles 49 ou 50, mais plutôt au libellé de l’article prévoyant l’exception, soit l’article 15 en l’espèce.

[67]      L’article 49 confère à la Cour le pouvoir d’ordonner la communication de documents ou de rendre une autre ordonnance si elle l’estime indiqué, à la suite d’une décision de refus de communication fondée sur des dispositions de la Loi autres que celles mentionnées à l’article 50. L’article 50 lui-même confère à la Cour le pouvoir d’intervenir dans les affaires qui mettent en cause l’article 14 (affaires fédéro-provinciales), l’article 15 (sécurité nationale et affaires internationales), l’alinéa 16(1)c) (activités destinées à faire respecter les lois et déroulement d’une enquête), l’alinéa 16(1)d) (sécurité des établissements pénitentiaires) ou l’alinéa 18d) [mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 146] (intérêts financiers du gouvernement) de la Loi. Les décisions de refus de communication révisées en vertu de l’article 50 ont tous en commun que le responsable d’une institution fédérale qui rend la décision de refus de communication a le pouvoir discrétionnaire de le faire, et les exceptions sont fondées sur un critère subjectif, et non objectif.

[68]      Étant donné ces dichotomies entre les exceptions obligatoires et les exceptions discrétionnaires ainsi qu’entre les exceptions subjectives et les exceptions objectives prévues par la Loi, la révision par la Cour d’une décision de refus de communication dépend beaucoup de la disposition en vertu de laquelle l’exception a été invoquée. Les exceptions objectives sont prévues lorsque la nature des renseignements fait en sorte qu’il est possible de déterminer selon la norme de la décision correcte si l’exception invoquée en vertu de la Loi s’applique ou non (Telezone, précité; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 253; Sherman c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CFPI 586). La Cour est en mesure d’évaluer si un document est visé par une exception objective précise. Par exemple, soit des renseignements obtenus d’un gouvernement étranger l’ont été à titre confidentiel, soit ils ne l’ont pas été (alinéa 13(1)a) de la Loi). Soit des renseignements sont des renseignements personnels visés à l’article 19 de la Loi, soit ils ne le sont pas. La décision d’invoquer une exception objective se prête effectivement à un contrôle selon la norme de la décision correcte, comme l’avocat du demandeur l’a noté durant l’audience publique; ces exceptions sont de nature « binaire ».

[69]      Cependant, l’applicabilité de l’exception subjective prévue à l’article 15 doit être déterminée selon la norme de la décision raisonnable. Premièrement, c’est ce que prévoient l’article 50 et l’article 15 eux-mêmes (« refus [de communication] fondé sur des motifs raisonnables », « risquerait vraisemblablement de porter préjudice »). Deuxièmement, la Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable lorsqu’elle avait affaire à l’exception prévue à l’article 15 (Do-Ky c. Canada (Ministre des Affaires étrangères et du Commerce international), 1999 CanLII 8083 (C.A.F.), au paragraphe 7; Kitson c. Canada (Ministre de la Défense nationale), précitée; Steinhoff v. Canada (Minister of Communications), précitée; X c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (le juge Strayer), précitée; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427 (1re inst.)). Troisièmement, la Cour note que la nature des renseignements visés à l’article 15 fait qu’il existe des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » quant à savoir quels renseignements sont préjudiciables aux activités visées à l’article 15. Des personnes raisonnables peuvent raisonnablement avoir des avis différents quant à savoir ce qui est visé à l’article 15, et la présente demande en est un parfait exemple.

[70]      Ainsi, dans le cadre d’une demande en vertu de l’article 50 contestant l’application de l’exception prévue à l’article 15, la première étape consiste à évaluer si les renseignements risqueraient vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives au sens de l’article 15. La norme de preuve à cet égard est celle du risque vraisemblable de préjudice probable, comme l’indique l’arrêt Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.).

[71]      L’évaluation des normes de contrôle applicables commande également l’évaluation de l’autre aspect de l’article 15 : sa nature discrétionnaire. La Cour doit souligner la dichotomie entre exceptions obligatoires et exceptions discrétionnaires dans l’évaluation de la révision à entreprendre. Si une exception est obligatoire, la première étape, c’est-à-dire l’évaluation de la question de savoir si des renseignements relèvent d’une exception, sera suffisante. Dans ces cas, puisqu’il n’y a aucun pouvoir discrétionnaire, le responsable de l’institution fédérale a l’obligation de refuser la communication si l’exception s’applique. Ainsi, il n’y a qu’une seule question à réviser, soit celle de savoir si l’application de l’exception est soit correcte ou raisonnable, dépendant de l’exception invoquée.

[72]      Lorsque la Cour a affaire à une exception discrétionnaire, elle doit également contrôler l’exercice que le responsable de l’institution fédérale a fait de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a décidé de refuser la communication. Le juge Rothstein, tel était alors son titre, a traité expressément de cette question dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), précitée, lorsqu’il a affirmé, à la page 439 :

Dans le cas des exemptions obligatoires, il s’agit seulement de décider si le document relève des catégories que la Loi soustrait à la communication. Dans le cas des exemptions discrétionnaires, telles les exceptions prévues à l’article 14, deux décisions sont nécessaires : il faut tout d’abord déterminer si le document relève de la catégorie soumise à l’exception légale invoquée dans le cas d’espèce; et ensuite, le cas échéant, s’il y a quand même lieu de communiquer ce document. [Non souligné dans l’original.]

[73]      Le juge Nadon, tel était alors son titre, a confirmé cette analyse en deux étapes relative au refus de communication en vertu des exceptions discrétionnaires dans la décision Do-Ky c. Canada (Ministre des Affaires étrangères et du Commerce international), [1997] 2 C.F. 907 (1re inst.), au paragraphe 32, un jugement qui a été porté en appel pour d’autres motifs, et que la Cour d’appel fédérale a confirmé (Do-Ky (C.A.), précité). Aussi, bien que l’affaire concernât l’alinéa 21(1)a) [de la Loi], la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans l’arrêt Telezone, précité, au paragraphe 47, que l’exercice du pouvoir discrétionnaire devait également faire l’objet d’un examen s’appuyant sur « les motifs qui permettent normalement, en droit administratif, de revoir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire administratif, notamment le caractère déraisonnable ». La Cour d’appel fédérale a également adopté une démarche en deux étapes dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 253 [précité]. Plus récemment, bien qu’elle examinât une loi provinciale, la Cour suprême a confirmé qu’il fallait examiner non seulement la qualification des documents, mais aussi l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’une loi confère au décideur, le cas échéant (Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815).

[74]      Il semblerait que la Cour n’ait pas toujours clairement appliqué avec constance l’analyse en deux étapes relative aux exceptions discrétionnaires. Cependant, pour donner tous leur sens et leur portée à l’objet et au but de la Loi, lorsque l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire doit également être contrôlé selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse en deux étapes doit prévaloir.

[75]      Premièrement, la Loi énonce clairement que les décisions qui portent sur la communication de renseignements gouvernementaux doivent être susceptibles d’un recours indépendant du gouvernement. C’est le Commissariat à l’information du Canada qui assume une partie de cette fonction essentielle de révision indépendante des refus de communication en vertu du mandat que lui confère la loi. Cependant, la loi ne confère pas au Commissariat le pouvoir d’ordonner la communication de documents. Bien que la commissaire ait un rôle essentiel à jouer à l’égard des demandes d’accès à l’information, il est clair que les pouvoirs de la commissaire ont leurs limites, et que ses recommandations relèvent du domaine des sanctions politiques. C’est la Cour fédérale qui a le pouvoir d’ordonner la communication de documents, et de rendre d’autres ordonnances si elle l’estime indiqué, conformément aux articles 49 et 50 de la Loi. Ainsi, pour que la révision soit véritablement indépendante du gouvernement, la Cour doit réviser aussi bien l’application de l’exception que l’exercice du pouvoir discrétionnaire, le cas échéant.

[76]      La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé la démarche d’analyse et de révision en deux étapes des exceptions invoquées en vertu de l’article 15, selon la norme de la décision raisonnable à l’égard des deux questions, dans l’arrêt Attaran c. Canada (Affaires étrangères), précité.

[77]      Ces éléments indiquent qu’un recours en révision exercé en vertu de la Loi est plus qu’une demande de contrôle judiciaire typique. Cette idée est étayée par le fait que les recours en révision sont déposés en vertu de la Loi elle-même et que la Cour dispose de vastes pouvoirs réparateurs, ce qui implique qu’il ne s’agit pas d’une question de normes de contrôle comme telle. La Cour joue également un rôle plus étendu dans le processus : des audiences à huis clos sont tenues, et les observations des demandeurs peuvent seulement traiter in abstracto des motifs pour lesquels les refus de communication ne sont pas justifiés (Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.), au paragraphe 36; Attaran c. Canada (Affaires étrangères), précité, au paragraphe 26). Par ailleurs, dépendant de l’exception invoquée, il se peut que le pouvoir discrétionnaire du décideur soit en cause, et que la Cour doive faire preuve ou non d’une certaine retenue à l’égard de sa décision.

[78]      Dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissiaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8 [précité], la Cour suprême a interprété le champ d’application et l’objet de la Loi, bien que ce fût dans le contexte de l’article 19, qui prévoit une exception objective obligatoire visant les renseignements personnels. Le juge Gonthier a effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle complète de la norme de contrôle au regard de l’article 19 de la Loi. À cet égard, le juge Gonthier a insisté sur le principe du contrôle indépendant prévu par la Loi ainsi que sur le fait que l’application des exceptions prévues à la Loi suppose une analyse juridique, un exercice aux fins duquel le commissaire de la GRC ne possédait aucune compétence spécialisée. Cela a amené la Cour suprême à conclure qu’il fallait envisager une norme de contrôle qui commandait une moins grande retenue. Plus précisément, la Cour a affirmé ce qui suit au sujet des objectifs de la Loi [aux paragraphes 17 et 18] :

Selon moi, l’adoption d’une norme de contrôle qui commande une moins grande retenue sert cet objectif. Sous le régime fédéral, les personnes chargées de répondre aux demandes de renseignements sont des représentants de l’institution fédérale en cause. Cette situation diffère donc de celle créée par de nombreuses lois provinciales sur l’accès à l’information qui prévoient l’examen des demandes de renseignements par un tribunal administratif indépendant du pouvoir exécutif (Macdonell c. Québec (Commission d’accès à l’information), [2002] 3 R.C.S. 661, 2002 C.S.C. 71). Une norme de contrôle qui comporte une moins grande retenue est donc conforme à l’objet déclaré de la loi, selon lequel les décisions quant à la communication de documents de l’administration fédérale doivent être susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif. Par ailleurs, les personnes chargées de répondre aux demandes de renseignements sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information pourraient être portées à interpréter les exceptions à la communication d’une manière libérale qui favorise leur institution (3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l’Industrie), [2002] 1 C.F. 421, 2001 CAF 254, par. 30). À cet égard, l’exercice de pouvoirs de contrôle étendus concorderait avec l’objet déclaré de la loi, qui est de consacrer le principe du droit du public à la communication des documents de l’administration fédérale, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées.

Enfin, la nature de la question soulevée appelle elle aussi l’octroi de larges pouvoirs de contrôle. Le litige exige du commissaire de la GRC qu’il interprète l’al. 3j) et, en particulier, l’énoncé suivant lequel les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant « un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions … ». En conséquence, le commissaire doit interpréter la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, en tenant compte des principes généraux qui les sous‑tendent. Il s’agit là d’une question de droit qui ne repose sur aucune question de fait. Il s’agit aussi d’une question de nature très générale, puisque la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels établissent les obligations imposées à chacune des nombreuses institutions régies par la Loi sur l’accès à l’information en ce qui a trait à la communication de renseignements. Ces facteurs portent eux aussi à croire que le pouvoir de contrôle des tribunaux à l’égard des décisions du commissaire ne devrait pas être restreint. [Non souligné dans l’original.]

[79]      La Cour ne peut pas importer la totalité du raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), précité, puisque l’exception invoquée dans cette affaire était différente. En outre, la décision correcte ne peut pas être adoptée comme norme de contrôle, notamment parce que cela serait contraire à l’article 15 de la Loi interprété selon le sens ordinaire des mots et parce que le décideur conserve un certain pouvoir discrétionnaire lorsqu’il décide de refuser de communiquer des renseignements.

[80]      Cependant, certaines des conclusions de la Cour suprême donnent un contexte approprié à la dynamique sous-jacente au droit relatif à l’accès à l’information au Canada. Premièrement, comme la Cour d’appel fédérale l’a noté dans l’arrêt Telezone, précité, que le juge Gonthier a cité avec approbation, les institutions qui répondent à des demandes d’accès à l’information peuvent avoir tendance à appliquer libéralement les exceptions de manière à limiter la communication de renseignements et l’examen approfondi de leur organisation. Aussi, il demeure vrai que les décisions relatives à l’accès à l’information exigent une interprétation de la Loi, ce qui constitue foncièrement une question de droit que la Cour de révision est bien placée pour trancher.

[81]      Il convient également de noter que l’avocat du défendeur a indiqué, durant le contre-interrogatoire de Mme Jalbert, alors qu’il discutait d’une autre question, qu’[traduction] « une demande de contrôle judiciaire est un examen de novo par la Cour fédérale, et un juge de la Cour fédérale voit les documents et rend sa propre décision quant à savoir si les exceptions invoquées s’appliquent aux documents » (transcription du contre-interrogatoire de Mme Jalbert, 2 mars 2010, à la page 9).

[82]      Compte tenu de ce qui précède, et afin que les exceptions prévues par la Loi soient véritablement « précises et limitées », comme la Loi l’exige, et puisque la Loi doit être interprétée d’une « manière téléologique et libérale » (Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315 [précité]), il est clair que la Cour qui procède à la révision des décisions de refus de communication au titre d’exceptions discrétionnaires doit examiner les questions de savoir : 1) si les documents sont visés par l’exception invoquée; 2) si le pouvoir discrétionnaire a été exercé d’une manière appropriée. Cependant, compte tenu des objectifs de la Loi et de l’interprétation que les tribunaux en ont donnée, ce pouvoir discrétionnaire se situe au bas du continuum, et la Cour a toute compétence et tous pouvoirs pour examiner les exceptions invoquées, de même que l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Cette conclusion s’impose afin de donner tout son sens et sa portée à la Loi. Comme la Cour d’appel fédérale l’a noté dans l’arrêt Telezone, précité, au paragraphe 36, « si la Cour devait limiter l’obligation qui lui est imposée par l’article 41 à la révision des demandes de communication refusées par le ministre en se fondant sur les interprétations et les applications de la Loi faites par le Ministère, cela équivaudrait à confier la garde du poulailler au renard » (voir aussi Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances), [1999] 4 C.F. 245 (1re inst.)). Par conséquent, une certaine retenue s’impose, mais non au point de neutraliser le rôle que la loi confère au pouvoir judiciaire.

F. Les questions déterminantes

[83]      La présente affaire soulève les questions suivantes :

1. Les documents ont-ils été considérés à juste titre comme étant visés par l’exception prévue à l’article 15?

2. Quels facteurs doivent être pris en compte dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire?

3. L’exercice du pouvoir discrétionnaire était-il raisonnable dans les circonstances?

[84]      La Cour examinera la documentation telle qu’elle a été examinée initialement ainsi que le deuxième exercice de pouvoir discrétionnaire qui a consisté dans le deuxième examen de la documentation. Cela est nécessaire afin d’exposer l’analyse la plus représentative de la façon dont la présente affaire s’est déroulée devant la Cour. En outre, il convient de noter que deux des motifs invoqués par l’avocat du défendeur pour justifier le deuxième examen découlent des particularités du déroulement de l’instance devant la Cour : le passage du temps et les commentaires de la Cour lors des audiences ex parte à huis clos. Le défendeur ne saurait échapper à l’examen et à l’analyse de la Cour par voie de jugement au motif qu’un pouvoir discrétionnaire a été exercé de novo au cours de l’instance.

[85]      Après avoir exposé des considérations générales applicables à la présente espèce, la Cour examinera les renseignements non communiqués dans l’ordre où le défendeur les a classés et les a présentés à la Cour.

II. Analyse

B. Questions préliminaires

1) Le caractère complet du dossier dont dispose la Cour

[86]      Après la deuxième communication du dossier Douglas, l’avocat du demandeur a signalé à juste titre à la Cour que la documentation présentée n’était pas complète, et que certaines parties des documents étaient absentes du dossier (par exemple, les pages 199 à 202, 213 à 215, 238 à 242, 645 à 649, 750 à 754, 819 à 821 et 832 à 836). Puisque cela n’avait jamais été porté à l’attention de la Cour et que celle-ci ne s’en était pas aperçue, une nouvelle audience publique a été tenue pour examiner cette importante question.

[87]      La plupart des pages manquantes correspondent à des parties de rapports de renseignement concernant d’autres cibles et dont seules certaines parties ont été communiquées en réponse à la demande d’AI. Certaines des parties concernant T. C. Douglas se trouvent encore dans le dossier, tandis que d’autres parties se trouvent encore dans le dossier mais ne concernent pas T. C. Douglas. Aussi n’y a-t-il aucun indice de ce qui pourrait se trouver dans les parties manquantes du rapport.

[88]      Le défendeur a répondu à ces préoccupations au moyen d’observations et d’affidavits additionnels. Il a été confirmé que ce qui avait été transmis au demandeur correspondait à l’intégralité du dossier que BAC avait en sa possession. Le SCRS n’a conservé aucune copie de ce dossier. Cependant, les affidavits n’indiquent nulle part si BAC possède d’autres renseignements concernant T. C. Douglas, par exemple, si celui-ci a été mentionné ou ciblé par un autre programme de la GRC ou quoi que ce soit du genre. La mention initiale de l’article 10 de la Loi dans la réponse initiale de BAC à la demande d’AI laisse subsister à cet égard des doutes, sinon des réserves, dans l’esprit de la Cour. Il a été affirmé dans le dossier public que le SCRS conservait les documents qui pourraient être visés par l’article 13 [mod. par L.C. 2000, ch. 7, art. 21; 2005, ch. 1, art. 107; 2006, ch. 10, art. 32; 2008, ch. 32, art. 26; 2009, ch. 18, art. 20] de la Loi (renseignements obtenus d’un gouvernement étranger, d’organisations internationales, de gouvernements provinciaux, etc., à titre confidentiel), et que la présente demande ne visait pas ces documents.

[89]      Les observations de l’avocat de BAC ont encore conforté ces doutes lorsqu’il a affirmé que la demande d’AI du demandeur [traduction] « ne visait pas tous les documents relatifs à M. Douglas se trouvant en la possession ou sous le contrôle de BAC ». BAC a interprété littéralement la demande d’AI du demandeur. De fait, la demande visait [traduction] « une copie du(des) dossier(s) du Service de sécurité de la GRC sur Thomas Clement (Tommy) Douglas » (non souligné dans l’original — il y a plusieurs dossiers). Évidemment, tous les documents détenus par BAC qui ont été transmis par la GRC ou le SCRS et qui concernent T. C. Douglas sont de nature à intéresser le demandeur. Il peut être soutenu que le libellé de la demande, qui visait [traduction] « le(les) dossier(s) du Service de sécurité de la GRC », s’étend aux renseignements relatifs à T. C. Douglas qui se trouvent dans d’autres dossiers.

[90]      Par exemple, l’avocat du demandeur a avancé que [traduction] « si le nom de M. Douglas apparaît dans un document intitulé, par exemple, “Conseil de sécurité : Plan d’internement de dissidents”, le public devrait savoir ». De fait, il est ressorti de la réponse du défendeur qu’un tel document n’aurait pas été inclus dans la réponse à la demande d’AI du demandeur. Encore une fois, la mention initiale de ce que BAC invoquait l’article 10 de la Loi n’est sans doute pas aussi involontaire qu’on l’a prétendu. Peut-être que la démarche initiale consistant à invoquer l’article 10 a cédé le pas à une interprétation strictement littérale de la demande d’AI, qui a rendu inutile la mention de l’article 10. Malheureusement, la teneur et l’étendue des renseignements que le gouvernement détient au sujet de T. C. Douglas n’ont jamais été examinés ex parte, puisque la Cour a été amenée à croire qu’il y avait un seul [traduction] « terrain de jeu », constitué de la documentation communiquée en réponse à la demande d’AI, à l’exclusion des renseignements provenant de sources étrangères, qui demeurent en la possession du SCRS. Il doit y avoir un équilibre entre la réponse littérale de l’institution à une demande d’AI et la question de savoir s’il pourrait y avoir autre chose sur le sujet qui serait relié à la demande d’AI, et ce, d’autant plus lorsque l’institution est BAC, le dépositaire de l’histoire et de la documentation patrimoniale du Canada.

[91]      Pour ce qui concerne les pages manquantes, l’affidavit de Mme Jalbert mentionne les passages pertinents d’une politique de la GRC applicable à l’époque où le dossier Douglas était actif ([traduction] « “I” Manuel de la Direction sur le classement des dossiers relatifs à des opérations, des cas et des politiques », 1er janvier 1959), et ces passages ont été joint à l’affidavit en question. Les commis au classement appliquaient une méthode appelée [traduction] « extraction », qui consistait à verser dans un dossier uniquement les passages pertinents d’un document avec les première et dernière pages du rapport original. Cependant, Mme Jalbert n’a pas pu dire dans quelle mesure cette méthode avait été appliquée au dossier Douglas. Cette politique a vraisemblablement été appliquée aux parties de la documentation dont il manque des pages. Cependant, il ne manque aucune page à certains documents ayant une longueur et portant sur un sujet comparables. Aussi, la question n’est toujours pas clair de savoir pourquoi il manquait des pages.

[92]      Chose plus importante, Mme Jalbert affirme ce qui suit : [traduction] « Lorsque j’ai examiné les documents contenus dans le dossier Tommy Douglas en janvier 2010, et lorsque la demande a été initialement traitée, j’ai constaté qu’il manquait certaines pages […] Étant donné que le demandeur n’a pas soulevé la question des pages manquantes avant le 18 avril 2011, et que cela ne semblait pas par ailleurs problématique, je n’en ai pas traité dans l’affidavit que j’ai souscrit en janvier 2010 ».

[93]      Cette affirmation est troublante. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le demandeur n’ait pas soulevé la question : il n’a obtenu qu’un accès très limité à ces documents, sinon aucun accès, en réponse à sa demande d’AI. Ce n’est qu’après que le défendeur eut effectué le deuxième examen que le demandeur a eu accès à de nombreuses parties de la documentation. Le demandeur a soulevé la question à la première occasion qu’il a eue de le faire. Aussi la démarche de l’auteure de l’affidavit est-elle artificieuse, et ce, d’autant plus lorsque l’on considère l’affirmation non étayée de l’avocat selon laquelle [traduction] « la Loi a pour objet de conférer un droit d’accès aux documents de l’administration fédérale. Ce droit d’accès ne doit pas être confondu avec un droit à la conservation de documents ».

[94]      Il est inquiétant que cette démarche ait été adoptée par le défendeur, à qui la loi confère la responsabilité : a) de constituer et de préserver le patrimoine documentaire du Canada; b) de faire connaître ce patrimoine aux Canadiens et à quiconque s’intéresse au Canada, et de le rendre accessible; c) d’être le dépositaire permanent des publications des institutions fédérales, ainsi que des documents fédéraux et ministériels qui ont un intérêt historique ou archivistique (article 7 de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada). En outre, cela mine complètement ce que le préambule de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada qualifie de « nécessaire », à savoir :

Attendu qu’il est nécessaire :

a) que le patrimoine documentaire du Canada soit préservé pour les générations présentes et futures;

b) que le Canada se dote d’une institution qui soit une source de savoir permanent accessible à tous et qui contribue à l’épanouissement culturel, social et économique de la société libre et démocratique que constitue le Canada;

c) que cette institution puisse faciliter au Canada la concertation des divers milieux intéressés à l’acquisition, à la préservation et à la diffusion du savoir;

d) que cette institution soit la mémoire permanente de l’administration fédérale et de ses institutions, [Non souligné dans l’original.]

Préambule

[95]      Contrairement à ce qui a été soutenu, il est permis de penser qu’il existe un droit à la préservation du patrimoine documentaire du Canada. Par exemple, si une politique excessivement ambitieuse de destruction de documents était adoptée, cette politique serait certainement susceptible de contrôle par la Cour. Il relève entièrement du mandat de BAC d’assurer une préservation adéquate du patrimoine documentaire du Canada, et il est troublant que le contraire ait été soutenu devant la Cour par BAC, lui qui est le dépositaire de l’histoire du Canada.

[96]      Il est également inquiétant que Bill Wood, directeur par intérim de la Division de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et des documents du personnel de BAC, affirme sous serment que [traduction] « BAC ne vérifie pas le caractère complet du document ni son contenu, et il n’en compte pas les pages ». Bill Wood affirme que [traduction] « le document qui a été présenté à la Cour était le même que le document dont BAC avait la garde et le contrôle dans les circonstances, et que la copie papier du dossier Tommy Douglas à partir duquel la demande a été traitée ne contenait pas les pages manquantes ». BAC a relevé d’autres pages manquantes, et la Cour la remercie des efforts, si tardifs furent-ils, qu’il a déployés pour régler ces problèmes pressants. L’on ne peut que se demander ce qui se serait produit si le demandeur n’avait pas relevé ces pages manquantes dans le contexte de la présente demande. Il est vrai que les réponses données ne sont pas parfaitement convaincantes, mais les renseignements communiqués sous serment indiquent que BAC a fait ce qu’il pouvait pour résoudre le problème des pages manquantes.

[97]      Mme Jalbert était présente à l’audience ex parte, tout comme M. Wood. Comme je l’ai indiqué plus haut, et tel qu’il ressort clairement de la jurisprudence, les observations faites dans le cadre d’une audience ex parte doivent l’être en conformité avec une obligation de bonne foi absolue (Ruby, précité; voir aussi le paragraphe 41 des présents motifs).

[98]      Ne pas relever des pages manquantes tout en ayant connaissance de ce problème ne saurait être excusé au motif que [traduction] « le demandeur n’en a pas traité ». Dans le contexte de l’audience ex parte, ne pas faire allusion à d’autres documents qui pourraient intéresser le demandeur ou ne pas expliquer l’interprétation littérale de la demande d’AI par BAC est source de préoccupation et peut être associé à des manquements à l’obligation de bonne foi absolue que la Cour suprême a soulignée dans l’arrêt Ruby, précité. Ou, tout simplement, ne pas dire à la Cour que BAC possède d’autres documents concernant T. C. Douglas pourrait également constituer un manquement à l’obligation de franchise. Par souci de clarté, une discussion a été tenue au sujet de l’applicabilité de l’arrêt Ruby à l’audience ex parte, et l’avocat du défendeur a reconnu à de nombreuses occasions ex parte son obligation de bonne foi absolue à titre d’auxiliaire de la Cour. Soyons clair : ce n’est pas la conduite de l’avocat du défendeur qui fait l’objet de la présente révision, mais plutôt celles de son client et du SCRS.

[99]      Pour ce qui concerne les mesures de redressement envisageables au regard de cet aspect de l’affaire, il semble que la Cour ait déjà fait tout ce qu’elle pouvait dans les circonstances en ordonnant une enquête sur le caractère complet du dossier. Des réponses insatisfaisantes ont été données, mais il semble que BAC soit satisfait de cette démarche. Au cours de la dernière audience publique, la Cour a clairement indiqué qu’elle serait prête à envisager de mettre le SCRS en cause d’une manière ou d’une autre, mais les avocats des deux parties ont décliné cette offre. La Cour ne peut pas faire grand-chose de plus dans les circonstances.

[100]   À cet égard, puisque la demande d’AI visait expressément le(les) dossier(s) du Service de sécurité de la GRC, en indiquant clairement la possibilité que plusieurs documents soient visés, la Cour n’est pas tout à fait convaincue que BAC ait valablement répondu à la demande. Nulle part n’est-il affirmé — sous serment ou autrement —, que par exemple : [traduction] « tous les renseignements que BAC a en sa possession et qui concernent ou mentionnent T. C. Douglas ont été communiqués ». L’accent est plutôt mis sur le dossier de renseignement concernant T. C. Douglas lui-même. L’avocat du défendeur a affirmé par écrit qu’[traduction] « il ne s’agissait pas d’une demande d’accès à tous les documents relatifs à M. Douglas en la possession ou sous le contrôle de BAC ». Aussi peut-on citer à cet égard la décision Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services), [1988] A.C.F. no 902 (1re inst.) (QL), au paragraphe 6, au soutien de la communication de renseignements accessoires pertinents, et ce, d’autant plus lorsque ces renseignements peuvent être considérés comme n’étant pas du tout « accessoires », puisqu’ils sont visés par la demande d’AI :

Il me semble que l’intimé se conforme à l’esprit de l’article 2 de la Loi en mettant à la disposition des demandeurs non seulement le document particulier demandé mais également les documents ou renseignements accessoires susceptibles de permettre aux demandeurs de bien saisir les renseignements gouvernementaux faisant l’objet de leur demande. De fait, je peux imaginer des cas où l’on pourrait à bon droit reprocher à l’intimé de retenir de tels renseignements accessoires après qu’il ait déterminé que les renseignements principaux doivent être communiqués.

[101]   La Cour conclut que BAC doit prendre des mesures additionnelles, étant donné que les documents litigieux ont constamment été désignés comme étant [traduction] « les documents se rapportant à la demande ». L’avocat du défendeur soutient qu’[traduction] « il n’y a aucun précédent jurisprudentiel qui étaye l’idée que la Cour devrait ordonner à BAC d’effectuer une recherche différente, plus étendue que l’objet de la demande du demandeur lui-même ». Or, la Cour est encline à croire que BAC a interprété restrictivement la demande d’AI comme visant le [traduction] « dossier » (singulier) sur T. C. Douglas — soit uniquement le dossier de renseignement lui-même — et non davantage de renseignements concernant cet individu sous le contrôle de BAC, sinon tous ces renseignements. Or, tel était le cas. Il est raisonnable d’en inférer autant de la demande faite sur le formulaire normalisé de demande d’AI, qui, faut-il le dire, ne prévoit pas beaucoup d’espace ni n’envisage une dissertation sur l’étendue exacte de l’objet de la demande d’AI. C’est une demande d’accès à l’information qui a été adressée à BAC, et non une demande littérale d’accès à des documents. BAC doit certainement tirer des inférences raisonnables pour déterminer si elle répond valablement à une demande d’AI.

[102]   Évidemment, d’aucuns se soucient du risque que ne soit créé un contexte où les auteurs de demandes en vertu de la Loi pourraient faire des demandes d’AI imprécises et de portée excessive. Cependant, les présents motifs ne devraient pas être interprétés comme tolérant ni comme encourageant de telles demandes. Simplement, en l’espèce, la demande était suffisamment claire, et la Cour n’est pas convaincue qu’une réponse valable y a été donnée.

[103]   Il est vrai que les pouvoirs que l’article 50 de la Loi confère à la Cour sont réparateurs, ce qui implique que des ordonnances découlent d’un refus de communication. Le juge Strayer a d’ailleurs indiqué dans la décision X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), précitée, qu’un « refus [de communication] est une condition préalable à une requête » déposée en vertu des articles 49 et 50 de la Loi.

[104]   En l’espèce, la Cour considère que l’interprétation restrictive que le défendeur a peut-être faite de la demande d’AI constitue peut-être en soi un refus de communication. Aussi, les manquements à l’obligation de bonne foi absolue commis au cours de la phase ex parte de la demande sont propres à justifier la réparation en vertu de l’article 50.

[105]   Autrement, il y a des refus de communication en l’espèce, et il est loisible à la Cour de rendre une ordonnance en vertu de l’article 50. Si la compétence de la Cour pour rendre l’ordonnance qui suit devait être mise en doute, sa compétence inhérente pour faire observer les normes exigeantes énoncées dans l’arrêt Ruby, précité, qui s’appliquent dans la présente instance, pourrait également être invoquée.

[106]   Comme nous le verrons, la mesure de réparation retenue n’est pas onéreuse : soit il y a d’autres documents, soit il n’y en a pas, ou BAC a une autre explication. Si le défendeur invoque l’article 10 de la Loi, cela constituera un refus en bonne et due forme que la Cour n’a pas actuellement compétence pour évaluer.

[107]   Étant donné que le mandat de BAC est proactif, qu’il vise à faciliter l’accès aux documents gouvernementaux et que BAC doit chercher à faire connaître le patrimoine documentaire du Canada, la Cour ordonne, en vertu de l’article 50 de la Loi, que BAC indique par écrit au demandeur s’il a d’autres renseignements sur T. C. Douglas sous son contrôle, au-delà de ce qui a déjà été communiqué dans le cadre de la présente demande, ou s’il invoque l’article 10 de la Loi, ou si quelque autre réponse est justifiée. Contrairement à ce que soutient l’avocat du défendeur, il ne s’agit pas d’élargir la demande d’AI, mais plutôt de s’assurer qu’une interprétation restrictive de la demande d’AI ne prévaut pas.

[108]   Peut-être que si le Canada appliquait, à l’instar d’autres démocraties, un processus de déclassification de vieux documents, bon nombre de ces questions se poseraient dans un contexte plus limité. Il en serait également plus facile pour le défendeur de s’acquitter de son fardeau de preuve consistant à présenter des éléments de preuve précis et détaillés relativement aux documents ou parties de documents dont la communication demeure refusée malgré la déclassification. De plus, cela imposerait un fardeau moins lourd aux ressources du SCRS et à celles de BAC, de même, d’ailleurs, qu’à celles de la Cour.

[109]   Pour ce qui concerne le caractère complet des documents et l’accession à la demande d’AI, la seule ordonnance contraignante vise à assurer que BAC a tenu dûment compte de l’esprit et de l’objet de la demande d’AI, soit comprendre l’intérêt que la GRC a porté à T. C. Douglas.

2) La demande de nomination d’un intervenant désintéressé

[110]   Tel qu’indiqué précédemment, l’avocat du requérant a demandé à la dernière minute à la Cour de se prévaloir des vastes pouvoirs que lui confère l’article 50 de la Loi pour nommer un intervenant désintéressé afin d’aider la Cour à analyser et examiner la documentation.

[111]   La Loi ne prévoit pas expressément le pouvoir de nommer un intervenant désintéressé. Un intervenant a été nommé plus d’une fois en vertu de la Loi sur la preuve au Canada (voir, par exemple, Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 46, [2008] 3 R.C.F. 306). Dans le contexte des certificats de sécurité, des avocats spéciaux sont nommés, et ils exercent des fonctions qui sont bien plus étendues que celles des intervenants désintéressés typiques. Le demandeur a soutenu que les vastes pouvoirs que l’article 50 de la Loi confère à la Cour comprenaient le pouvoir de nommer un intervenant désintéressé. Le défendeur a soutenu que non seulement la nomination d’un intervenant n’était pas nécessaire, mais que la loi n’envisageait pas une telle ordonnance.

[112]   Dans un contexte d’accès à l’information dans l’affaire Steinhoff v. Canada (Minister of Communications) (1998), 10 Admin. L.R. (3d) 232 [précitée], le juge Rothstein, tel était alors son titre, a rejeté une requête visant à obtenir que l’avocat du demandeur ait accès aux documents litigieux moyennant un engagement de non-divulgation, un engagement à obtenir la cote de sécurité idoine et un engagement à n’utiliser les documents à aucune autre fin.

[113]   Aux fins de la présente demande, aucun intervenant désintéressé ne sera nommé. Premièrement, faire intervenir un intervenant désintéressé à ce stade tardif obligerait à prolonger l’instance d’encore au moins six mois. La Cour était au courant qu’une telle requête serait peut-être formulée, et, aux premiers stades de la demande, cette requête n’a jamais été présentée à la Cour. Aussi n’a-t-elle pas été présentée en temps opportun, notamment parce qu’elle a été présentée après que la Cour eut procédé à de longs examens de la documentation. Deuxièmement, la Cour a examiné une deuxième fois toutes les exceptions invoquées et la documentation présentée. Faire intervenir un intervenant désintéressé à ce stade n’ajouterait rien de plus. Troisièmement, compte tenu des réparations que prévoient les présents motifs, il n’est pas nécessaire de procéder à un examen de la documentation avec un intervenant désintéressé.

[114]   Sans trancher cette question, la Cour présume, aux fins du présent dossier seulement, que les vastes pouvoirs que confère l’article 50 de la Loi pourraient comprendre le pouvoir de nommer un intervenant désintéressé.

3) Les éléments de preuve au soutien de la confidentialité

[115]   À part les observations de l’avocat durant les audiences à huis clos et les audiences publiques, l’avocat du défendeur a présenté trois affidavits. Deux d’entre eux ont une version publique et une version confidentielle. Le premier de ces affidavits est celui souscrit par Mme Nicole Jalbert, la coordonnatrice de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels du SCRS. À titre de pièce jointe à l’affidavit public de Mme Jalbert, un document général énonce les principaux motifs pour lesquels la communication de certaines parties de la documentation a été refusée. En gros, l’affidavit public énonce trois motifs pour lesquels les renseignements ne devraient pas être communiqués. Premièrement, la communication pourrait identifier des employés, des procédures internes ou des méthodologies administratives du SCRS. Deuxièmement, la communication pourrait identifier ou tendre à identifier l’intérêt que porte le SCRS à des individus, des groupes ou des questions, notamment l’existence ou l’absence d’enquêtes passées ou présentes, leur intensité et leur degré de succès. Troisièmement, Mme Jalbert soutient que les renseignements pourraient tendre à identifier des sources de renseignements ou la teneur de renseignements obtenus d’une source, technique ou humaine. L’affidavit de Mme Jalbert relate aussi brièvement l’histoire du SCRS et la façon dont il a hérité du mandat de la Direction du renseignement de la GRC lors de sa création.

[116]   Les affidavits de Mme Jalbert n’indiquaient pas le lien précis entre la communication de documents précis et le préjudice allégué : seuls des arguments généraux axés sur des catégories ont été présentés au sujet de la nature de la documentation et du préjudice qui résulterait de sa divulgation au public. En outre, aucun renseignement n’a été présenté quant à savoir si un pouvoir discrétionnaire avait été exercé au moment de décider de communiquer ou non des renseignements, ou si les renseignements avaient été communiqués parce que cela ne causait aucun préjudice. Relativement au pouvoir discrétionnaire, aucun renseignement n’a été présenté quant à savoir si un équilibre avait été établi entre des intérêts historiques et des préoccupations relatives à la sécurité nationale.

[117]   Tel qu’indiqué, BAC a entrepris un deuxième examen de la documentation, qui a indéniablement été effectué de concert avec le SCRS. À la suite du deuxième examen, certains des motifs que le défendeur avait invoqués au soutien du refus de communication n’étaient apparemment plus invoqués avec la même intensité, notamment quant aux [traduction] « intérêts opérationnels transitoires » et aux sources techniques. Ainsi, les affidavits de Mme Jalbert doivent être pris en compte à la lumière du deuxième examen, puisque celui-ci nuance les arguments formulés à l’origine relativement au préjudice qui résulterait de la communication selon les allégations du défendeur.

[118]   La deuxième série d’affidavits au dossier consiste dans les affidavits de Bill Wood, directeur par intérim de la Division de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et des documents du personnel de BAC. M. Wood a clarifié le mandat de BAC et a expliqué en détail le processus suivi pour évaluer la demande d’AI de M. Bronskill.

[119]   Le troisième affidavit est celui de Heather Squires, une stagiaire employée par le ministère de la Justice. L’affidavit présente ce que l’on appelle parfois un [traduction] « index Vaughn ». Il est intitulé [traduction] « Feuille de recommandations », et il indique quelle disposition de la Loi est invoquée pour justifier pourquoi la communication de documents a été refusée. Cependant, puisque le paragraphe 19(1) n’est plus en cause, l’on peut dire que la Feuille de recommandations n’est pas particulièrement utile, puisque tous les documents sont refusés en vertu du paragraphe 15(1) et la Feuille de recommandations ne précise pas quel aspect du paragraphe 15(1) est envisagé. Une liste plus précise a été mise à la disposition de la Cour à titre ex parte. Cette liste établit essentiellement la concordance entre les motifs de refus invoqués par Mme Jalbert et les pages précises du document. Aucune liste semblable n’a été fournie pour le deuxième examen. L’affidavit de Heather Squires est également accompagné d’un document caviardé intitulé [traduction] « Document de justification des exceptions relatives au SCRS appliquées par les Archives nationales ». La version non caviardée de ce document a été présentée lors d’une audience ex parte, à la suite de laquelle la Cour a conseillé au défendeur de vérifier si une plus grande proportion de ce document pourrait être divulguée. Le défendeur a fait cet exercice, et le document est maintenant dans le domaine public. Ce document expose les justifications qui sous-tendent l’interprétation que le SCRS fait de l’article 15 et d’autres exceptions prévues par la Loi.

[120]   Aussi, au cours de l’audience à huis clos, l’avocat du défendeur a présenté des observations concernant la façon dont un préjudice pourrait résulter de la communication. Cette question a également été traitée dans une certaine mesure dans le contexte public.

[121]   Des renseignements ont été présentés ex parte pour classer des documents sous différentes rubriques afin d’indiquer quels types de renseignements étaient protégés. Cette méthodologie n’a pas été suivie pour le deuxième examen, de sorte que la Cour peut seulement s’appuyer sur l’argumentation générale qui a été présentée.

[122]   Voilà la preuve du défendeur. En toute franchise, la Cour peut affirmer que l’examen de la documentation a consisté principalement en des déductions et des interprétations des observations générales et des éléments de preuve du défendeur. Les tribunaux ont reconnu de façon constante que, pour s’acquitter de son fardeau de preuve dans une affaire d’AI, le défendeur devait produire des éléments de preuve « précis et détaillés ». Le volume considérable de documents, s’étalant sur 40 ans d’activités de la GRC, ne se prêtait probablement pas au long exercice consistant à décrire avec précision le préjudice allégué, mais il n’incombe assurément pas à la Cour d’entreprendre un tel exercice sans disposer de plus d’éléments de preuve de la part du défendeur. Compte tenu des intérêts importants qui sont en jeu lorsque l’on a affaire à des renseignements relatifs à la sécurité nationale, il était clair que la demande ne pouvait pas être accueillie sur le seul fondement de l’incapacité du défendeur à satisfaire aux exigences en matière de preuve. Cependant, il importe de souligner qu’un fardeau considérable à été imposé aux ressources de la Cour au cours de l’examen de la documentation, puisque les éléments de preuve ne traitaient pas précisément de la documentation. Il n’incombe assurément pas à la Cour d’inférer un préjudice probable de plus de 1 000 pages de documentation. Le défendeur devrait en faire davantage pour fournir des renseignements plus précis, surtout à la suite du deuxième examen de la documentation.

B. Les documents ont-ils été considérés à juste titre comme des documents visés par l’exception prévue à l’article 15?

1) Considérations générales

[123]   Tel qu’indiqué précédemment, la présente demande met en jeu l’article 15 de la Loi. Conformément à l’analyse en deux étapes, la première étape consiste à déterminer si les documents sont visés ou non par l’exception invoquée. L’article 15 vise les documents dont la divulgation « risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives ». Puisque les préjudices envisagés sont indiqués de manière générale, l’article 15 décrit ensuite les éléments constitutifs possibles d’une telle divulgation préjudiciable de renseignements.

[124]   La Cour d’appel fédérale a récemment affirmé que le fardeau de preuve dans le contexte d’une demande présentée en vertu de la Loi dépend des circonstances de l’espèce (Attaran c. Canada (Affaires étrangères), précité, aux paragraphes 20 à 27). En fin de compte, la Cour d’appel fédérale a décidé que, dans le contexte de la demande déposée en vertu de l’article 15, où des audiences ex parte avaient été tenues et où le demandeur n’avait aucune connaissance précise, [traduction] « l’appelant ne peut pas être tenu en l’espèce d’assumer le fardeau d’établir que l’intimé a omis d’envisager d’exercer son pouvoir discrétionnaire à l’égard d’un document confidentiel auquel l’appelant ne peut pas avoir accès. Le fardeau de preuve incombe à l’intimé d’établir que le pouvoir discrétionnaire a été exercé d’une manière raisonnable » (Attaran c. Canada (Affaires étrangères), précité, au paragraphe 27). Un contexte similaire se présente dans le cadre de la présente demande, en raison de la nature du dossier, de son volume et de la situation particulière dans laquelle se trouve le demandeur. Il incombe donc au défendeur de démontrer que le pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière raisonnable. Il incombe également au défendeur d’établir que les exceptions invoquées s’appliquent.

[125]   La norme de preuve à laquelle doit se conformer le défendeur, à titre de partie s’opposant à la divulgation, exige que soit démontré un « risque vraisemblable de préjudice probable » (Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), précitée; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), précitée). Ce fardeau de preuve a été interprété comme étant un « lourd fardeau » (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), précitée, au paragraphe 113; voir aussi Sherman c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 1423; Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (C.A.)).

[126]   Le juge Rothstein, tel était alors son titre, a énoncé les normes auxquelles doivent se conformer les responsables d’institutions fédérales qui refusent une communication, dans la décision de principe Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), précitée. Notant que la Cour peut seulement se fonder sur les éléments de preuve dont elle dispose, le juge Rothstein a affirmé que la partie qui cherche à préserver la confidentialité doit justifier ses prétentions par des preuves « claires et directes », et qu’une « approche générale ne suffit pas pour justifier la confidentialité » (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), précitée, à la page 478). Il a également été affirmé qu’il doit y avoir un lien clair et direct entre les éléments de preuve présentés et le préjudice allégué, et que celui-ci ne doit pas être conjectural (voir, entre autres, Do-Ky (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 32 à 34).

[127]   La Cour ne saurait faire mieux que de citer à nouveau le juge Rothstein dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), précitée, lorsqu’il a affirmé on ne peut plus clairement [à la page 479] :

Les descriptions de préjudice possible, même détaillées, ne suffisent pas en elles-mêmes. À tout le moins, il faut qu’il y ait un lien clair et direct entre la divulgation de tel ou tel renseignement et le préjudice invoqué […] Plus les preuves et témoignages sont spécifiques et concluants, plus forte est la défense de la confidentialité. Plus les preuves et témoignages sont généraux, plus il serait difficile pour la Cour de conclure au lien entre la divulgation de documents donnés et le préjudice invoqué.

[128]   Bien que la Cour doive se fonder en l’espèce sur les éléments de preuve que lui a présentés la partie qui cherche à empêcher la divulgation, il est clair qu’« il faut trouver un équilibre entre », d’une part, les éléments de preuve présentés et l’expertise qui les sous-tend, et d’autre part, « le principal objectif de la Loi, savoir conférer au public un droit d’accès aux documents de l’administration fédérale » (Telezone, précité, au paragraphe 36).

[129]   La décision fondée sur le préjudice que doit rendre la Cour en est d’ailleurs une qui établit un équilibre entre les buts et les objectifs de la Loi, plus précisément, que les exceptions prévues par la Loi soient interprétées restrictivement. Encore une fois, le juge Rothstein n’a pas été avare de directives dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre) quant aux facteurs qui peuvent guider l’analyse de la Cour lorsqu’elle examine s’il y a des risques vraisemblables de préjudice probable. Voici une liste non exhaustive de ces facteurs (aux pages 444 et 445) :

1. Les exceptions au droit d’accès doivent être justifiées par un risque vraisemblable de préjudice probable.

2. On doit tenir compte de l’avis mûrement réfléchi du Commissaire à l’information.

3. Il faut présumer que les renseignements demandés seront utilisés, lorsqu’il s’agit d’examiner si la divulgation risquerait vraisemblablement de causer un risque probable.

4. Il convient d’examiner si les renseignements dont la communication est refusée peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a normalement accès, ou peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef.

5. La couverture par la presse d’un renseignement confidentiel est un facteur à prendre en considération dans l’examen du risque de préjudice probable résultant de la divulgation.

6. Est admissible la preuve relative à l’intervalle séparant la date du renseignement confidentiel et celle de sa divulgation.

7. La preuve des conséquences susceptibles de découler de la divulgation, qui donne une description générale de ces conséquences, ne satisfait pas à la norme de preuve applicable à l’exemption de communication.

8. Chaque document distinct doit être considéré à part et dans le contexte de tous les documents demandés car la teneur totale d’une communication doit influer énormément sur les conséquences vraisemblables de sa divulgation.

9. L’article 25 de la Loi prévoit la possibilité de séparer dans un document les renseignements qui peuvent être divulgués de ceux qui sont protégés par une exception. Le prélèvement doit être raisonnable. Il ne servirait à rien de divulguer quelques lignes hors de contexte.

10. Le refus de communication doit être justifié au moyen de témoignages par affidavit expliquant clairement la raison de l’exemption de chaque document. [Références omises.]

[130]   Il convient également de noter que, puisque le fait qu’un document ne soit pas directement lié à une demande d’AI ne constitue pas nécessairement un motif de refus de communication, il n’appartient pas au décideur d’exclure des documents qu’il estime non pertinent au regard de la demande d’accès dans la mesure où ces documents constituent les documents demandés (X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1992] 1 C.F. 77 (1re inst.) (juge Denault), à la page 108).

[131]   De plus, la Cour ne doit pas valider les exceptions prévues par la Loi lorsqu’elles sont invoquées pour prévenir des embarras ou pour cacher des actes illégaux (Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2008] 3 R.C.F. 248; voir aussi le paragraphe 47(2) de la Loi).

[132]   La Cour doit également évaluer si le prélèvement de parties des documents demandés, le cas échéant, ne pose pas de problèmes sérieux (article 25 de la Loi). En vertu des vastes pouvoirs que l’article 50 confère à la Cour, il serait concevable que la Cour se prête à cet exercice de prélèvement aux fins d’ordonner la communication partielle de documents. Cependant, les documents eux-mêmes en l’espèce comptent plus de 1 000 pages, et il ne relève certainement pas des compétences spécialisées de la Cour d’évaluer les prélèvements précis qui doivent être effectués et tous les intérêts en cause. La Cour ne procédera pas au prélèvement de parties des documents dans le contexte de la présente demande.

[133]   L’évaluation du risque vraisemblable de préjudice probable doit être uniforme. Il serait hautement illogique, et contraire à la Loi, que le responsable d’une institution fédérale applique des normes variables à différents documents, et ce, d’autant plus si ces variations se produisaient dans le cadre d’une seule et même demande d’AI. Lorsque le décideur doit statuer sur le préjudice que causerait une communication, des caviardages variables et des évaluations variables du préjudice pouvant résulter de la communication peuvent constituer un motif justifiant que la Cour ordonne une communication plus étendue.

[134]   À cet égard, la présente affaire diffère de l’affaire Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 147, où la question de l’uniformité des prélèvements effectués a été traitée dans le contexte d’une exception objective fondée sur le secret professionnel des avocats prévue à l’article 23 de la Loi. Dans l’arrêt Blank, la Cour d’appel fédérale a invoqué au soutien de ses conclusions l’arrêt Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 R.C.S. 3, où la Cour suprême avait jugé que la théorie de la renonciation au secret de la Couronne ne pouvait pas s’appliquer en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Cependant, l’article 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 5(F)] vise une exception objective, soit celle qui s’applique aux documents confidentiels du Cabinet. Or, en l’espèce, c’est l’évaluation du préjudice que causerait la communication qui est pertinent. La question de savoir s’il y a eu ou non renonciation à la confidentialité n’est pas pertinente comme elle l’est dans le contexte de l’application des articles 20 [mod. par L.C. 2007, ch. 15, art. 8] ou 23 de la Loi. Au lieu de cela, lorsqu’il a été statué qu’il n’y aurait aucun préjudice ou que celui-ci ne serait pas suffisamment grave pour justifier de ne pas communiquer les documents, la Cour doit également déterminer si cette évaluation a été uniforme à l’égard de l’ensemble de la documentation litigieuse.

[135]   En l’espèce, la Cour a clairement fait savoir à l’avocat du défendeur, lors de l’audience ex parte à huis clos, que les prélèvements et les divulgations effectués des différentes parties des documents ne l’avaient pas été de manière uniforme. L’avocat du défendeur en a admis autant, et il a reconnu que cela avait constitué un des motifs pour lesquels le deuxième examen avait été entrepris. Cependant, après avoir examiné les renseignements communiqués à la suite de ce deuxième examen, la Cour conclut que la documentation est encore caviardée de manière non uniforme, pour les motifs exposés ci-après.

[136]   Par souci de clarté, avant le deuxième examen de la documentation, la Cour tient à préciser que le refus de communiquer les renseignements qui n’ont pas été communiqués au demandeur dans le cadre de la réponse initiale était clairement contraire aux principes de la Loi et au mandat de BAC. En outre, l’on peut dire que BAC a omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel après avoir constaté que les documents étaient visés par l’exception prévue à l’article 15. La conclusion selon laquelle la divulgation de plusieurs documents créerait un « risque vraisemblable de préjudice probable » était mal fondée dans le cas d’une partie considérable de la documentation, comme l’a démontré la divulgation subséquente résultant de la présente instance. Il n’y a tout simplement eu aucun exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel de communiquer, qui est nécessaire à la réalisation de l’objet de la Loi ainsi qu’à la réalisation du mandat de BAC de préserver et de diffuser l’histoire du Canada.

[137]   Cela dit, la Cour doit analyser les documents dans leur état actuel. La Cour analysera les catégories de documents qui n’ont toujours pas été communiqués, dans l’ordre de l’argumentation du défendeur et de la logique qu’il a appliquée lorsqu’il a refusé de les communiquer. Lorsqu’il y a lieu, la Cour ajoutera d’autres catégories de renseignements qui n’ont toujours pas été communiqués. La Cour réitère qu’il s’agit-là du premier stade de la demande, soit l’évaluation de l’existence d’un risque vraisemblable de préjudice probable au regard de l’article 15 de la Loi.

[138]   Encore une fois, la Cour souligne que les documents dont il est question ici ne représentent pas la totalité des documents relatifs à T. C. Douglas que détient actuellement le gouvernement, mais seulement ceux dont BAC a estimé qu’ils étaient visés par la demande d’AI dans le cadre de sa réponse à cette demande.

[139]   En outre, plutôt que de traiter des documents eux-mêmes dans les présents motifs, une annexe est jointe qui comporte un tableau désignant les documents non communiqués à tort selon la Cour et précisant, dans chaque cas, les motifs de cette conclusion. L’annexe précise également comment le décideur devra interpréter ce tableau et en tenir compte.

2) Intérêt opérationnel actuel

[140]   L’avocat a indiqué ce qui suit au cours de l’audience publique du 23 février 2011: « Les documents qui pourraient identifier des sujets d’enquête qui présentent encore un intérêt pour le service n’ont pas été communiqués » (transcription de l’audience publique du 23 février 2011, à la page 135). Cependant, il convient de signaler que les éléments de preuve présentés n’ont pas révélé tous les intérêts opérationnels actuels probables identifiés dans le dossier. La Cour a effectué des recherches indépendantes limitées pour vérifier certains éléments, puisqu’une démarche prudente s’impose lorsqu’il est question de sécurité nationale. Le défendeur devrait cependant en faire davantage afin que la Cour ne se retrouve pas dans une telle situation.

[141]   Il est raisonnable que la divulgation de ce type de renseignements soit refusée. Le critère relatif au préjudice prévu à l’article 15 est clairement rempli en ce qui a trait à ces renseignements et la décision de BAC à cet égard est raisonnable, sauf si des suppressions peuvent être effectuées ou si le pouvoir discrétionnaire peut être exercé correctement de façon à ce que certains renseignements historiques soient divulgués. L’annexe énumère les documents où des suppressions pourraient être effectuées ou à l’égard desquels ce pouvoir pourrait être exercé.

3) Sources humaines

[142]   La divulgation de renseignements concernant des sources humaines est visée expressément par l’exception prévue à l’alinéa 15(1)f).

[143]   Le document justificatif remis par le SCRS à BAC indique qu’[traduction] « une source humaine est l’outil le plus important d’une agence de sécurité ». Le défendeur fait valoir que la protection des sources humaines du SCRS et de son prédécesseur doit être absolue et qu’[traduction] « il n’y a aucune raison, ni sur le plan du droit, ni sur le plan des faits, qui justifie que ce privilège s’applique seulement pendant un certain temps après avoir été reconnu par la Cour » (transcription de l’audience publique du 23 février 2011, à la page 129). L’anonymat des sources humaines, passées et présentes, serait primordial pour le travail actuel des sources ainsi que pour le recrutement de nouvelles sources dans l’avenir.

[144]   La Cour a reconnu le privilège relatif aux sources humaines dans la décision Harkat (Re), 2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370. La question de savoir si les indicateurs du SCRS bénéficient d’un privilège générique une fois que les conditions de l’existence d’un privilège de common law sont remplies a été certifiée afin qu’elle soit examinée par la Cour d’appel fédérale. Évidemment, les enjeux en cause dans la décision Harkat (Re) étaient différents de ceux en l’espèce, mais les mêmes principes devraient s’appliquer. Mon collègue le juge Mosley a suivi l’approche adoptée dans la décision Harkat (Re) dans la décision Canada (Procureur général) c. Almalki, 2010 CF 1106, [2012] 2 R.C.F. 508 (modifiée par 2011 CAF 199, [2012] 2 R.C.F. 594), une affaire découlant de l’article 38.04 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141(7)] de la Loi sur la preuve au Canada. Le juge Mosley a apporté des nuances à cette approche et a indiqué qu’il y avait certaines limites quant à la question de savoir si le privilège s’applique seulement à certains indicateurs à l’égard desquels la confidentialité a été garantie. Évidemment, des indications additionnelles de la Cour d’appel sur cette question s’avéreront utiles.

[145]   Les sources humaines dans les affaires de renseignement devraient bénéficier d’une protection semblable à celle dont jouissent les indicateurs de police en vertu du droit actuel.

[146]   La Cour suprême a reconnu que les indicateurs de police bénéficient du privilège de l’anonymat, sous réserve de l’exception relative à la démonstration de l’innocence de l’accusé (voir, de manière générale, Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281; Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253).

[147]   Le privilège des sources journalistiques est moins clair. Il s’applique dans le cadre de la preuve décrit dans Wigmore on Evidence [Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, McNaughton Revision, vol. 8, Boston : Little, Brown & Co., 1961] et appliqué par la Cour suprême dans les arrêts R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, et Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592. La Cour doit tenir compte des quatre facteurs suivants — ce qu’on a appelé le « cadre général » — lorsqu’elle décide si l’identité d’une source journalistique doit être divulguée (R. c. National Post, 2010 CSC 16, au paragraphe 53) :

1) les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance que l’identité de la source ne sera pas divulguée;

2) l’anonymat doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise;

3) les rapports doivent être, dans l’intérêt public, entretenus assidûment;

4) l’intérêt public protégé par le refus de la divulgation de l’identité doit l’emporter sur l’intérêt public dans la recherche de la vérité.

[148]   Il faut noter également que le cadre établi dans Wigmore on Evidence avait aussi été appliqué par la Cour dans la décision Charkaoui (Re), 2008 CF 61, [2009] 1 R.C.F. 507.

[149]   Les documents faisant l’objet de la demande ont été recueillis par la Division du renseignement de la GRC. La GRC est une « force de police » selon l’article 3 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10. On pourrait faire valoir que les sources humaines de la Division du renseignement de la GRC étaient des indicateurs de police. Cette prétention irait évidemment dans le sens des controverses ayant mené à la création de la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, connue sous le nom de Commission McDonald. En somme, les activités de la GRC en matière policière et en matière de renseignement avant la création du SCRS en 1984 étaient tellement alambiquées que les anciens indicateurs de la GRC en matière de renseignement ne peuvent être facilement qualifiés d’indicateurs de police.

[150]   La Cour estime que l’identité des sources humaines doit être protégée et qu’il est bien établi qu’elles sont essentielles au travail du SCRS. L’existence d’une espèce de triade composée des trois principaux privilèges du genre de celui relatif aux indicateurs devrait être reconnue : les sources de la police, les sources du renseignement et, dans une certaine mesure, les sources journalistiques. Encore une fois, la Cour indique que le pouvoir de produire des résumés dans d’autres affaires touchant la sécurité nationale s’est révélée être un moyen de fournir des renseignements tout en protégeant l’identité des sources. Le pouvoir de prélever raisonnablement des parties de documents en vertu de l’article 25 peut aussi être utile pour assurer la protection des sources humaines.

[151]   Cela étant dit, la Cour note que, dans leur état actuel, les documents publics révèlent une quantité considérable de renseignements concernant les sources qui ont participé aux enquêtes de la GRC sur T. C. Douglas. Évidemment, aucune source n’est facilement identifiable à la lecture de bon nombre des documents. Le défendeur a parfois révélé qu’[traduction] « une source fiable » ou [traduction] « une source » avait fourni les renseignements. Il n’a cependant pas toujours agi ainsi comme ce fut le cas après la deuxième série de divulgations. La Cour répète qu’elle accorde beaucoup d’importance à la cohérence dans le refus de communiquer des documents et des renseignements.

[152]   Il faut considérer de manière appropriée la protection des sources humaines dans le cadre d’une demande d’AI. Bien que la protection des sources soit expressément visée à l’alinéa 15(1)f) de la Loi, l’exception n’est pas une exception objective. On ne devrait pas refuser de divulguer des renseignements au motif qu’ils proviennent d’une source humaine. Le responsable de l’institution fédérale — BAC en l’espèce — doit déterminer, en consultation avec le SCRS, s’il existe un risque vraisemblable de préjudice probable en cas de divulgation des renseignements. En l’espèce, BAC a divulgué des renseignements concernant des sources humaines, mais elle ne l’a pas fait de manière régulière. Quoi qu’il en soit, aucun renseignement personnel permettant d’identifier des sources humaines n’a été divulgué, de sorte qu’il n’existe pas de risque vraisemblable de préjudice probable. Une source humaine s’attend raisonnablement à ce que les renseignements qu’elle fournit soient utilisés. On peut affirmer que, par « utilisation », on entend notamment des demandes d’AI relatives à des enquêtes effectuées dans le passé, dans la mesure où la source n’est pas identifiable et qu’il n’existe pas un risque vraisemblable de préjudice probable en cas de divulgation. En termes clairs, une approche objective avait été suivie au regard des sources humaines lors de la première divulgation de documents et, dans une certaine mesure, lors du deuxième examen également.

[153]   En ce qui concerne le deuxième examen du dossier Douglas, l’annexe ci‑jointe indique les documents dont des parties peuvent être raisonnablement prélevées afin que les renseignements qu’elles renferment soient divulgués et que l’identité des sources humaines soit tout de même protégée.

[154]   Comme il ressort du document intitulé « Consultations de Bibliothèque et Archives (BAC) », une politique générale selon laquelle la date d’une réunion et le nombre de personnes présentes sont des facteurs importants à considérer a été suivie relativement aux réunions surveillées. Il semble cependant que cette politique n’a pas toujours été suivie lors du deuxième examen de la documentation. En conséquence, on ne peut pas dire qu’elle montre qu’un préjudice a été causé par la divulgation de renseignements relativement aux sources humaines.

[155]   L’avocat du défendeur a fait allusion aux politiques internes du SCRS selon lesquelles la protection des sources confidentielles n’est pas éternelle, malgré le fait que, selon les actes de procédure et les mémoires, [traduction] « [u]n délai s’applique aux sources confidentielles » (à la page 198 de la transcription de l’audience publique du 23 février 2011). Cette politique devrait peut‑être être rendue publique afin que les raisons justifiant les exceptions prévues par la Loi soient clarifiées, comme ce fut le cas dans d’autres démocraties et chez nos alliés il y a longtemps; il pourrait ensuite y avoir un débat public sur la durée de la protection des sources humaines.

4) Sources techniques

[156]   La première réponse de BAC à la demande d’AI du demandeur a été de dire qu’une approche objective avait été adoptée à l’égard des sources techniques : le SCRS et BAC ont soutenu que tous les renseignements permettant d’identifier des sources techniques, actuelles ou non, devaient être protégés. Ainsi, le préjudice résultant de la divulgation était présumé être applicable à tous les documents lorsque ceux‑ci avaient été révélés par des sources techniques.

[157]   Au cours de l’instance et pendant tout le deuxième examen de la documentation, il a été fait allusion aux sources techniques utilisées pour constituer le dossier Douglas. Le SCRS et BAC recommandaient de communiquer [traduction] « la plupart des documents obtenus au moyen de sources techniques, d’interceptions et de surveillance lorsque le sujet d’intérêt était de nature transitoire », ce qui semble indiquer que ce ne sont pas tant les sources techniques en elles‑mêmes qui sont pertinentes au regard du préjudice que la question de savoir si elles concernent des intérêts passés ou non.

[158]   Comme l’approche du décideur l’indique, la protection des sources techniques n’est pas absolue, étant donné que ce sont les renseignements obtenus au moyen de ces sources qui sont pertinents sous le régime de la Loi. Je répète que l’utilisation de résumés pourrait être utile pour révéler des renseignements pertinents dans le cadre d’une demande d’AI, tout en assurant la protection des sources techniques actuelles. L’annexe ne traite pas des renseignements émanant des sources techniques car l’approche privilégiée par le défendeur est raisonnable à cet égard.

5) Cibles de « nature transitoire »

[159]   La première réponse à la demande d’AI comportait une erreur grossière quant aux cibles auxquelles la Direction générale du renseignement de la GRC s’est intéressée dans le passé. Il a été démontré clairement lors de l’audience ex parte tenue à huis clos qu’il n’y avait aucun risque vraisemblable de préjudice probable si l’identité de la plupart des cibles de [traduction] « nature transitoire » était révélée. Au soutien de cette prétention, on a mentionné que plusieurs de ces cibles étaient déjà connues du public. Par exemple, il avait été confirmé par le travail de la Commission McDonald que le groupe Waffle du Nouveau Parti démocratique (NPD), le Parti communiste du Canada et d’autres groupes semblables intéressaient la GRC. Les rapports de la Commission McDonald sont très utiles en l’espèce. C’est cette commission qui a mené à la création du SCRS et a inspiré son mandat et sa séparation de la GRC (voir, par exemple, Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada [Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi], vol. 1, aux pages 440 et 441, pour un examen du rôle d’une agence civile du renseignement). On a fait référence au travail de la Commission McDonald pendant l’audience ex parte, de même que pendant l’audience publique.

[160]   En fait, la Commission McDonald a clarifié les activités légitimes auxquelles un service du renseignement peut se livrer à l’égard de groupes qui représentent des points de vue pouvant être qualifiés d’« extrêmes », mais qui participent au processus démocratique. La Commission a clairement fait une nuance entre exprimer, dans le cadre d’un processus démocratique, des opinions qui peuvent être considérées comme extrêmes et ce qui constitue des activités subversives. Elle a dit très clairement ce qui suit (Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport, vol. 1, aux pages 427, 435 et 489) :

[…] il est important pour la démocratie de savoir bien distinguer entre la dissidence légitime et la subversion; cela exige un jugement éclairé et une bonne compréhension de la chose politique de la part des personnes chargées d’assurer la sécurité […]

[…]

Il ne convient pas de réunir des renseignements sur ceux qui rejettent catégoriquement le statu quo, pas plus que sur ceux qui organisent des manifestations ou des défilés politiques, ou qui y participent, même si ces activités donnent lieu à la violation de règlements locaux et à des affrontements avec les forces de l’ordre, pourvu qu’elles ne visent pas à détruire les fondements de la démocratie canadienne […]

[…]

Tous devraient être libres de prendre part aux délibérations sur l’avenir du pays et nul ne devrait faire l’objet d’une enquête de la part du service de renseignements pour la sécurité tant qu’il cherche à atteindre ses fins par des moyens légaux et démocratiques.

[161]   Des limites ont clairement été imposées à la surveillance exercée par la GRC sur les partis politiques au Canada. Et comme la Commission a favorisé la création du SCRS, on peut affirmer que ces limites sont très importantes également pour celui‑ci. Ainsi, aucun préjudice ne peut être causé par la divulgation d’activités passées qui ont déjà été rendues publiques et critiquées sévèrement.

[162]   Des parties considérables du rapport de la Commission McDonald sont pertinentes au regard de la période visée par la documentation. Plus précisément, la Commission a critiqué, par exemple, la grande portée de l’enquête sur le groupe Waffle, une faction du NPD qui existait peu de temps après la formation de ce parti politique (Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport, vol. 1, à la page 506) :

Les idées d’extrême gauche d’un mouvement politique non violent ne sauraient justifier le moindrement le Service de sécurité d’utiliser des techniques comportant intrusion pour se renseigner sur ses activités et ses intentions. La chose est encore plus inadmissible lorsqu’un tel argument est invoqué pour justifier la collecte de renseignements sur un élément d’un parti politique légitime qui fait opposition au parti ministériel.

[163]   Une section entière du rapport de la Commission porte sur la surveillance des députés du Parlement et des candidats aux élections. La Commission y fait une analyse utile des catégories de renseignements recueillis et de la question de savoir si ceux‑ci étaient nécessaires (Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada [Deuxième rapport], vol. 1, à la page 492, « b) Députés, candidats aux élections et surveillance du Waffle »). Elle a notamment conclu ce qui suit au sujet de certains aspects de la surveillance des activités politiques (à la page 497) :

Tous ces cas montrent bien que les membres du Service de sécurité n’ont pas saisi la différence entre la dissidence politique légitime, qui est indispensable à notre régime démocratique, et l’action ou les opinions politiques qui constituent une menace à la sécurité du Canada.

[164]   Ce passage ne devrait pas être interprété hors contexte, l’analyse de la Commission étant plus nuancée quant à la question de la surveillance des activités politiques. On peut toutefois affirmer que la Commission McDonald a donné des indications utiles au sujet des activités de la GRC. Le dossier Douglas illustre bon nombre des conclusions qui ont été tirées relativement à l’excès de zèle manifesté par la Division du renseignement de la GRC. Ainsi, l’identité des cibles de nature transitoire, en particulier lorsqu’elles sont liées à des partis politiques et à des groupes de défense des droits, a déjà été divulguée dans plusieurs cas. Les raisons justifiant la surveillance de ces activités et la difficulté inhérente de cette surveillance ont été débattues sur la place publique. Une commission a essentiellement dénoncé certaines activités de la GRC. Aujourd’hui, l’accès à la source directe des renseignements concernant la portée et l’objet de ces activités est refusé sous le régime de la Loi. Cela est inacceptable.

[165]   Le travail de la Commission McDonald concernant la surveillance exercée par la GRC sur des activités politiques s’est surtout articulé autour de ce qui constituait à l’époque une « activité subversive » pour la GRC. Commentant la grande portée de la définition, la Commission a affirmé (Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport, vol. 1, aux pages 504 et 505) :

Parce qu’elle ne fait pas clairement la distinction entre la dissidence radicale et les véritables menaces à la sécurité du Canada, une définition aussi longue de la subversion est aussi dangereuse qu’inacceptable.

[166]   Il est également très intéressant de noter que la Commission McDonald a examiné le dossier Douglas dans le cadre de son mandat, tel qu’il ressort de la page 1030 de la documentation.

[167]   Il y a lieu de noter que l’article 15 de la Loi vise le cas où la divulgation pourrait nuire à la surveillance d’« activités hostiles ou subversives ». Comme il a été mentionné, la preuve au dossier ne permet pas de savoir sur quel aspect de l’article 15 BAC et le SCRS se fondent pour refuser la divulgation. La Commission McDonald a cependant exprimé des inquiétudes au sujet de la grande portée de la définition de la subversion. Dans le contexte de la présente demande, la Cour peut affirmer sans risque d’erreur qu’elle a les mêmes inquiétudes au sujet de la définition trop large de « la détection [et de] la prévention […] d’activités hostiles ou subversives » dans le contexte de l’article 15 de la Loi.

[168]   Ainsi, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que le fait de communiquer ces documents causera un préjudice. L’histoire et la démocratie canadienne exigent que des faits historiques comme la surveillance d’activités politiques légitimes soient connus. Refuser de divulguer ces faits historiques en application de la Loi est inacceptable dans la plupart des cas, encore plus lorsque les faits ont déjà été rendus publics dans le cadre d’une commission chargée justement d’enquêter sur eux.

[169]   En outre, le contexte historique dans lequel la GRC a constitué le dossier Douglas est différent du contexte actuel. Le dossier en question concerne la période allant de la fin des années 1930 aux années 1980, une période pour le moins tumultueuse. La crainte du socialisme ayant mené à la Deuxième Guerre mondiale et la guerre froide qui a suivi ne sont pas des menaces auxquelles le Canada est confronté aujourd’hui. L’extrémisme, peu importe le dogme auquel il se rattache, suscite certainement des inquiétudes lorsque des moyens violents sont préconisés, mais il n’y a pas de [traduction] « cause vraisemblable de préjudice probable » lorsque les menaces ressenties à une époque ne sont plus aussi importantes et que les [traduction] « cibles transitoires » sont connues du public. En outre, la Cour conclut que la divulgation de l’identité de ces cibles est positive dans les faits : les Canadiens tirent ainsi des leçons et cette divulgation éclaire le contexte historique dans lequel les services du renseignement de notre pays menaient leurs activités et dans lequel les décisions ont été prises.

[170]   Ainsi, l’approche suivie relativement aux cibles de [traduction] « nature transitoire » pendant le deuxième examen est raisonnable sur la plupart des plans. À nouveau, la Cour déplore la conduite du premier examen de la documentation, en particulier en ce qui a trait aux cibles déjà connues du public. Elle insiste en outre sur le fait que l’approche suivie doit être cohérente. Ainsi, l’annexe ci-jointe doit indiquer les documents concernant des [traduction] « cibles de nature transitoire » qui devraient être communiqués.

[171]   En outre, le défendeur doit faire davantage pour définir ce qu’est une [traduction] « cible de nature transitoire ». Comme il a été mentionné, cette approche a surgi seulement dans les jours qui ont précédé l’audience publique du 23 février 2011, et elle n’a pas été clairement définie à l’intention de la Cour. Il ressort également de la documentation qu’elle n’a pas toujours été suivie.

6) Identité des agents de la GRC

[172]   Après le deuxième examen de la documentation, l’exception revendiquée par BAC est celle prévue au paragraphe 15(1), et non au paragraphe 19(1). En fait, le paragraphe 19(1) permettrait la divulgation de l’identité des agents de la GRC, car le fait que ces personnes ont été employées par la GRC ne constitue pas un « renseignement personnel » sous le régime de la Loi, selon la définition contenue à l’article 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels :

3. […]

Définitions

« renseignements personnels » […]

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi; [Non souligné dans l’original.]

« renseignements personnels »

personal information

[173]   On pourrait dire la même chose si les documents en cause traitaient d’opérations secrètes du SCRS, en raison de l’article 18 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité [L.R.C. (1985), ch. C-23] :

18. (1) Sous réserve du paragraphe (2), nul ne peut communiquer des informations qu’il a acquises ou auxquelles il avait accès dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou lors de sa participation à l’exécution ou au contrôle d’application de cette loi et qui permettraient de découvrir l’identité :

a) d’une autre personne qui fournit ou a fourni au Service des informations ou une aide à titre confidentiel;

b) d’une personne qui est ou était un employé occupé à des activités opérationnelles cachées du Service.

Infraction

(2) La communication visée au paragraphe (1) peut se faire dans l’exercice de fonctions conférées en vertu de la présente loi ou de toute autre loi fédérale ou pour l’exécution ou le contrôle d’application de la présente loi, si une autre règle de droit l’exige ou dans les circonstances visées aux alinéas 19(2)a) à d).

Exceptions

(3) Quiconque contrevient au paragraphe (1) est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d’une infraction punissable par procédure sommaire.

Infraction

[174]   Quant à l’identité des agents de la GRC, BAC a fait valoir de manière générale que l’évaluation qui a été faite concernait la date du rapport et le grade de l’agent, afin que les rapports rédigés par des agents qui pourraient être toujours vivants ne soient pas divulgués. Cette méthode entrave l’évaluation du préjudice exigée par l’article 15. En fait, les suppressions faites relativement à l’identité des agents de la GRC sont totalement incompatibles avec une telle évaluation.

[175]   On pourrait dire également que le fardeau de preuve concernant le préjudice qui pourrait découler de la communication est plus lourd lorsque les autres dispositions de la Loi ou la Loi sur la protection des renseignements personnels exigent que des renseignements de ce genre soient divulgués, parce que, si la Loi est interprétée de façon cohérente, l’administration fédérale ne peut invoquer devant la Cour une autre exception que celle sur laquelle elle s’est appuyée (voir, notamment, Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services), [1990] A.C.F. no 81 (C.A.) (QL), au paragraphe 9, approuvant Saint John Shipbuilding Ltd. (C.F. 1re inst.), précitée).

[176]   En outre, il faut noter que l’identité des agents de la GRC n’est pas visée à l’article 18 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, qui interdit la divulgation du nom des employés du SCRS participant à des opérations secrètes, car les agents n’étaient pas des employés du SCRS.

[177]   Les noms de tous les agents de la GRC, à l’exception de ceux qui ont participé à des opérations secrètes à titre d’agent d’infiltration ou de source, doivent être divulgués. Cette divulgation est parfaitement conforme aux conclusions tirées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8 [précité].

7) « Divulgation accessoire »

[178]   Le défendeur a décidé, même dans le cadre du deuxième examen de la documentation, que les documents dans lesquels T. C. Douglas était mentionné seulement en passant n’avaient pas à être communiqués, parce qu’il serait [traduction] « injuste » pour M. Douglas que les renseignements soient pris hors contexte. C’est pour cette raison que les documents en entier n’ont pas été communiqués.

[179]   Cette justification va tout à fait à l’encontre de la Loi. En premier lieu, on peut dire qu’il appartient à l’histoire et aux Canadiens de juger de l’évaluation de la personne de T. C. Douglas, de ses affiliations et de sa carrière. BAC et le SCRS ne peuvent évidemment pas décider à l’avance ce que sera ce jugement et y substituer leur propre opinion. Les citoyens et les professionnels étudieront les documents, en discuteront et, au bout du compte, des opinions divergentes pourraient surgir. Tout cet exercice est cependant utile en soi et BAC ne devrait pas l’empêcher. En fait, le mandat de BAC non seulement lui permet de diffuser de tels documents historiques, mais il le charge de le faire. Comme il a été mentionné précédemment, BAC ne doit pas se contenter de conserver les documents de l’administration fédérale : il doit faire davantage pour faciliter l’accès à ces documents et pour exercer davantage le mandat qui lui est confié par la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada.

[180]   Le refus de communiquer ces documents repose sur le principe qu’ils ne concernent pas T. C. Douglas en soi et qu’ils ne sont donc pas visés par la demande d’AI. Ainsi, les mentions de la personne de M. Douglas sont réputées être des [traduction] « divulgations accessoires ».

[181]   Le juge Denault a affirmé clairement dans la décision X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1992] 1 C.F. 77 (1re inst.), à la page 108, « [q]ue ces renseignements n’aient pas un rapport direct avec la demande de communication ne constitue pas un motif d’exemption prévu par la Loi ». Or, diviser un dossier en différentes parties au motif qu’elles n’ont aucun lien entre elles est une erreur de droit. Comme toutes les institutions fédérales, BAC doit examiner les documents demandés en vertu de la Loi dans l’état où ils se trouvent. Il ne doit pas essayer de les diviser en catégories en fonction de leur pertinence. La Loi oblige les institutions à déterminer si une exception existe et s’il s’agit d’une exception objective ou subjective. Les institutions doivent alors considérer leur pouvoir discrétionnaire de communiquer les documents, malgré l’exception. La « pertinence » n’est nullement un facteur à prendre en compte dans le cadre de cette analyse.

[182]   Le défendeur a fait valoir que « [l]a communication de phrases ou de mots isolés qui n’ont aucun sens hors contexte ou qui ne fournissent pas de “renseignements” à l’auteur de la demande ne permet pas de remplir ou d’atteindre l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels » (citant la décision Murchison c. Exportation et développement Canada, 2009 CF 77, aux paragraphes 63 et 64). L’affaire Murchison concernait bien entendu la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais elle demeure malgré tout utile.

[183]   L’affaire Murchison est toutefois très différente de celle dont la Cour est saisie en l’espèce, non parce qu’elle concernait la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais parce que les renseignements dont la divulgation a été refusée n’avaient aucun lien avec la demande d’AI qui avait été présentée. M. Murchison voulait obtenir des renseignements sur les raisons pour lesquelles Exportation et Développement Canada ne l’avait pas embauché, et non tous les renseignements contenus dans les parties pertinentes des documents de l’administration fédérale faisant l’objet de la demande, ou se trouvant près de ces parties. En l’espèce, c’est le dossier complet de la GRC concernant T. C. Douglas qui est demandé. Dans la mesure où l’identité des sources humaines et des cibles est relativement protégée, le dossier doit être communiqué dans l’état où il se trouve, et non être divisé en parties qui sont réputées être pertinentes (voir aussi les paragraphes 153 et 158 plus haut).

[184]   Il est également primordial de réaliser que la constitution d’un dossier de renseignements est utile en soi aux fins du renseignement. Ce qui constitue un dossier révèle un grand nombre de choses importantes, par exemple l’influence de la personne qu’il concerne, ses liens ou son réseau. Si la Loi était interprétée de manière à ce que la pertinence soit un facteur qui doit être pris en compte pour déterminer si la divulgation doit être refusée, des dossiers comme celui de T. C. Douglas seraient indûment divisés en parties. La nature et le contenu d’un dossier fournissent des renseignements précieux, et isoler les documents qui seraient seulement « directement » liés à la demande d’AI nuirait à ce processus.

[185]   De plus, le nombre de demandes d’accès augmenterait considérablement s’il fallait tenir compte de la pertinence. Par exemple, si le nom de T. C. Douglas était mentionné en passant lors d’une réunion du Parti communiste du Canada — et c’est fréquemment le cas dans les documents — il serait illogique que BAC bloque l’accès aux documents au motif que la demande d’AI ne visait rien qui concernait le Parti communiste du Canada. Dans un tel cas, l’auteur de la demande n’obtiendrait pas tous les documents qu’il veut et il devrait multiplier les demandes d’accès afin d’avoir un portrait complet de la situation. Or, la Loi ne peut avoir un tel objet.

[186]   Même si la pertinence était acceptée — la Cour répète qu’elle est fermement opposée à cette idée — on peut affirmer que tous les documents concernant T. C. Douglas en la possession de l’administration publique sont pertinents. La mention du nom de M. Douglas, même si elle a été faite seulement en passant, est pertinente au regard de l’histoire. Elle montre qui était intéressé à recevoir ses conseils et son aide et à critiquer ses actes. En somme, la [traduction] « divulgation accessoire » révèle des renseignements pertinents sur une personne et sur sa place dans l’histoire.

[187]   Selon la norme de contrôle applicable, il n’existe aucun motif raisonnable de croire qu’un préjudice résultera probablement de la divulgation en cause en l’espèce. Le raisonnement exposé relativement aux [traduction] « cibles transitoires » s’applique entièrement dans ce cas également. Ainsi, la divulgation de l’intérêt de la GRC et de la surveillance qu’elle a exercée sur les cibles n’entraîne aucun préjudice, sous réserve de la conclusion de la Cour sur les sources, notamment les sources humaines.

[188]   Comme l’article 19 de la Loi n’est pas invoqué, il n’y a pas non plus de risque vraisemblable de préjudice probable sous le régime de l’article 15 si les opinions formulées [traduction] « de manière accessoire » à l’endroit de T. C. Douglas dans les documents contenus dans son dossier étaient divulguées. Le défendeur a affirmé clairement qu’il ne s’appuie pas sur l’article 19 de la Loi et qu’il assume les conséquences de cette décision. Il est étonnant, si ce n’est préoccupant, que la Commissaire à l’information ait estimé que le premier refus de divulgation de BAC pouvait être justifié que sous le régime de l’article 15 de la Loi. Il ne fait aucun doute que la portée de cette disposition a été outrepassée lors des deux examens de la documentation et lors de l’examen des documents par la Commissaire à l’information.

[189]   La Cour ordonne que les documents dont la communication a été refusée pour des raisons de divulgation accessoire soient rendus publics. L’annexe ci‑jointe donne des exemples de cas où la divulgation accessoire n’aurait pas dû justifier le refus de communication.

8) Évaluation de T. C. Douglas par la GRC

[190]   Les documents relatifs aux évaluations de T. C. Douglas par la GRC constituent peut‑être les éléments les plus précieux du dossier Douglas. Cela n’est toutefois pas pertinent au regard de l’appréciation du préjudice résultant de la communication visée à l’article 15. Encore une fois, ce qui est important, c’est le fait qu’il existe des [traduction] « motifs raisonnables de croire qu’un préjudice sera probablement causé » si les renseignements sont divulgués, et que la Cour en soit convaincue.

[191]   Les opinions des agents de la GRC à l’endroit de T. C. Douglas constituent des « opinions exprimées au cours de leur emploi ». Ces opinions ne sont pas des « renseignements personnels » aux termes du sous-alinéa 3j)(v) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, lequel fait en sorte qu’elles ne sont pas visées à l’article 19 de la Loi.

[192]   Pour ce qui est des [traduction] « commentaires de l’enquêteur » et des autres documents analogues, la Cour ordonne qu’ils soient rendus publics. Il n’existe pas de [traduction] « motifs raisonnables de croire qu’un préjudice sera causé » par suite de la divulgation, au sens de l’article 15. Des suppressions exceptionnelles pourraient devoir être faites dans certains cas, compte tenu des intérêts décrits dans les présents motifs.

[193]   À titre d’exemple, il a été question, au cours de l’audience publique, dans le cadre de la demande et après le deuxième examen, d’un article indiquant qu’un agent de la GRC à la retraite avait été contacté afin d’obtenir ses commentaires sur T. C. Douglas. Il ne peut certainement pas s’agir du préjudice auquel BAC et le SCRS font référence au regard des opinions des agents de la GRC. La Cour répète encore une fois que les documents relatifs à l’évaluation de T. C. Douglas par la GRC doivent être communiqués, sous réserve des conclusions relatives aux sources humaines et aux interceptions techniques. Des exemples de ces documents figurent dans le tableau de l’annexe ci‑jointe.

C. L’exercice du pouvoir discrétionnaire était‑il raisonnable dans les circonstances?

[194]   Comme il a été démontré précédemment, c’est au défendeur qu’il incombe de prouver, non seulement qu’il a exercé un pouvoir discrétionnaire, mais aussi qu’il l’a fait de façon raisonnable. Comme c’était le cas dans l’arrêt Attaran c. Canada (Affaires étrangères) [précité], un arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale, « la question est de savoir si la Cour peut inférer de la communication ou de la non-communication ultérieure de renseignement que le décideur a tenu compte de son pouvoir discrétionnaire de communiquer les renseignements, nonobstant le fait que les renseignements étaient par ailleurs visés par le paragraphe 15(1) de la Loi » (paragraphe 31).

[195]   Il ressort de l’historique des procédures que des inquiétudes ont été soulevées pendant l’audience ex parte au sujet de l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire et de la question de savoir si BAC avait procédé à l’analyse exigée par l’article 15. Dans le cas du premier examen de la documentation, ces inquiétudes étaient importantes et rien ne permettait de croire que le décideur avait pris en considération son pouvoir discrétionnaire. Par exemple, certains faits mènent à la conclusion que BAC a renoncé à l’analyse exigée par l’article 15 par égards pour le SCRS pendant les consultations. En outre, le fait que l’analyste de BAC a pris peu de temps (moins d’une semaine) indique que le pouvoir discrétionnaire n’a pas fait l’objet d’une appréciation raisonnable.

[196]   De plus, les éléments de preuve au dossier — publics et confidentiels — ne montrent pas que le Commissariat à l’information s’est bien acquitté de ses fonctions au regard de son pouvoir discrétionnaire. Le juge Kelen a examiné le dossier dans la décision Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2009 CF 339 (modifiée pour d’autres motifs par 2011 CAF 182), et a dit ce qui suit [au paragraphe 36] :

Les renseignements confidentiels au dossier démontrent que le Commissaire à l’information a effectué une enquête minutieuse, posé de nombreuses questions d’approfondissement et a obtenu du défendeur un certain nombre de communications additionnelles. Dès lors, le Commissaire à l’information était convaincu que les documents divulgués avec les expurgations, dont la Cour est actuellement saisie, étaient conformes à la LAI.

[197]   Aucune enquête de ce genre n’est étayée par la preuve. Par surcroît — et comme je l’ai déjà mentionné — le Commissariat à l’information n’a même pas effectué l’analyse relative à l’article 19 de la Loi parce qu’il a estimé que la décision de ne pas communiquer les documents au cours du premier examen de la documentation était appropriée. Compte tenu du principe d’examen indépendant énoncé dans la Loi, il ne fait aucun doute que la Commissaire a un rôle déterminant à jouer. Elle ne doit pas être aveuglée par les revendications fondées sur la sécurité nationale car un examen minutieux et indépendant doit être effectué avec un esprit critique, en conformité avec les objectifs de la Loi.

[198]   Quant au deuxième examen de la documentation effectué par suite de l’audience ex parte, il est essentiel qu’il porte sur les raisons données par l’avocat du défendeur pour expliquer pourquoi son client a procédé à un deuxième examen. Je répète que les raisons étaient les suivantes : plus de cinq ans s’étaient écoulés entre la demande d’AI originale et l’audience de la demande; le défendeur avait reconnu que le refus de divulgation n’était pas cohérent; il a été dit au cours des audiences à huis clos qu’il serait approprié de mener un autre examen. Il ne semble pas que le SCRS ait entrepris une analyse concernant la question de savoir s’il existait un pouvoir discrétionnaire additionnel permettant la communication des documents, malgré l’applicabilité de l’exception pendant le premier examen de la documentation (contre‑interrogatoire de Mme Jalbert, 2 mars 2010, à la page 57).

[199]   Le défendeur a indiqué, dans des observations additionnelles, que [traduction] « la communication de documents comportant moins de suppressions découlait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du défendeur ». Aucune autre explication n’a été donnée au sujet des facteurs qui ont été pris en compte dans ce prétendu exercice de discrétion. Aucun élément de preuve spécifique et détaillé n’a été produit relativement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, outre cette déclaration générale. En conséquence, la Cour préfère la déclaration initiale expliquant les raisons du deuxième examen à la déclaration générale selon laquelle le pouvoir discrétionnaire a été exercé. Le deuxième examen de la documentation découlait essentiellement de beaucoup plus que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, de sorte que rien n’indique qu’un tel pouvoir a été pris en considération, malgré la déclaration générale contraire. Compte tenu des caractéristiques de la présente affaire et de son évolution devant la Cour, l’exercice du pouvoir discrétionnaire ne peut être inféré. Les documents mentionnés dans l’annexe dont l’« importance historique » est précisée sont des exemples de documents qui auraient pu être communiqués si le pouvoir discrétionnaire avait été exercé de manière raisonnable.

[200]   La Cour d’appel fédérale a récemment donné des indications au sujet de la preuve qui est nécessaire pour démontrer qu’un pouvoir discrétionnaire a été exercé, au paragraphe 36 de l’arrêt Attaran c. Canada (Affaires étrangères) [précité] :

À l’inverse, tout comme l’absence d’éléments de preuve précis concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’est pas déterminante, l’existence d’une déclaration dans un document portant qu’un pouvoir discrétionnaire a été exercé ne sera pas nécessairement déterminante. Conclure qu’une telle déclaration est déterminante pour l’enquête consisterait à accorder plus d’importance à la forme qu’au fond et à encourager l’énoncé de déclarations passe-partout dans le document du décideur. Dans chaque affaire portant sur l’aspect discrétionnaire de l’article 15 de la Loi, la cour de révision doit examiner l’ensemble de la preuve pour décider si elle est convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le décideur a compris qu’il avait un pouvoir discrétionnaire de communiquer des documents et qu’il a ensuite exercé ce pouvoir discrétionnaire. La cour de révision peut alors être tenue d’inférer du contenu du document que le décideur a reconnu l’existence du pouvoir discrétionnaire et a ensuite cherché à établir un équilibre entre les intérêts opposés en faveur de la communication et contre celle-ci, comme la Cour en a discuté dans l’arrêt Telezone, au paragraphe 116.

[201]   La Cour n’est pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le pouvoir discrétionnaire a été exercé.

[202]   D’abord, le fait que BAC s’appuie sur les motifs généraux donnés par le SCRS indique clairement qu’il s’est appuyé fortement sur l’évaluation que ce dernier a faite des documents (voir le paragraphe 33 des présents motifs). On ne sait pas dans quelle mesure ces motifs ont prévalu pendant le deuxième examen, ni même s’ils ont été utilisés. À cet égard, les raisons justifiant le deuxième examen de la documentation ne sont pas plus claires que les trois motifs mentionnés ci‑dessus.

[203]   Il en est ainsi parce que la Cour ne croit pas que le deuxième examen découle uniquement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire. En fait, compte tenu des contradictions et des incohérences relevées dans le premier examen, on peut dire qu’une partie de la documentation a été communiquée simplement pour que l’appréciation du préjudice exigée par l’article 15 soit cohérente. Comme il a été démontré précédemment, de nombreux documents ne satisfaisaient pas à la norme de preuve de l’existence d’un « risque vraisemblable de préjudice probable » découlant de la divulgation. Par exemple, les cibles divulguées par la Commission McDonald ou les menaces qui sont disparues en matière de renseignement ne satisfont pas raisonnablement à l’appréciation du préjudice fondée sur l’article 15, si la Loi et la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada doivent avoir toute leur signification et être appliquées dans tous les cas appropriés. Par conséquent, la communication de ces documents n’est pas le résultat de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, mais simplement le fruit de l’analyse qui aurait dû être effectuée dès le début.

[204]   Cette affaire est différente de l’affaire Attaran qui a été tranchée récemment par la Cour d’appel fédérale. Ici, du moins après l’audience ex parte, au cours de laquelle la Cour a attiré l’attention sur l’existence du pouvoir discrétionnaire, il peut être inféré que le décideur en était au courant. Ce qui ne peut pas être inféré est que le pouvoir discrétionnaire a été utilisé de façon raisonnable, s’il l’a été. Toutefois, comme dans l’affaire Attaran, l’attestation présentée au sujet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire est « de nature générale et elle ne peut en soi convaincre la Cour que le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 15(1) de la Loi a été exercé » (paragraphe 29).

[205]   Les facteurs guidant l’exercice du pouvoir discrétionnaire sont analysés ci‑dessous et fournissent des directives quant à la portée et à la nature de ce dernier. L’examen de la seconde communication d’information effectué par la Cour a mené à la conclusion qu’il n’avait pas été satisfait à la nécessité de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire significatif et raisonnable, à supposer même que ce pouvoir ait été exercé. Tel qu’il est détaillé dans l’annexe, il y a de nombreux exemples de documents qui, en dépit d’un intérêt historique considérable, un facteur qui sera analysé ci‑dessous, ne sont toujours pas communiqués, malgré le fait qu’un prélèvement pourrait être effectué pour protéger l’information qui doit l’être, par exemple l’identité des sources humaines et les intérêts opérationnels actuels.

[206]   Par exemple, les intérêts protégés en ne divulguant pas les sources humaines satisfont à l’évaluation du préjudice prévue à l’article 15, si les normes jurisprudentielles concernant la reconnaissance du privilège sont satisfaites. Par conséquent, la divulgation de l’identité des sources humaines est fortement indicative d’un préjudice. Toutefois, il ne s’agit pas d’une approche générale en matière de protection si le privilège est invoqué aux termes de l’article 15, lorsqu’une évaluation du préjudice doit être effectuée : le pouvoir discrétionnaire reste applicable si les facteurs primordiaux s’appliquent.

[207]   Il peut être soutenu que la communication d’intérêts opérationnels passés est différente du présent exemple relatif à l’identité des sources humaines, encore plus lorsque celles-ci étaient connues antérieurement dans les forums publics. La plupart de ces cas ne satisfont pas au critère de l’évaluation du préjudice établi à l’article 15. S’ils y satisfaisaient, il y aurait une forte présomption en faveur de la communication puisque les intérêts mentionnés à l’article 15 ne font pas l’objet d’un préjudice important du fait de la communication.

[208]   Le résultat de l’analyse du pouvoir discrétionnaire est parfaitement cohérent avec l’article 15 de la Loi pour ce qui est de l’exception au pouvoir discrétionnaire fondée sur le préjudice. Si le législateur voulait reconnaître les intérêts protégés par l’article 15 comme faisant toujours l’objet d’un préjudice du fait de la communication, même avec le passage du temps, les changements institutionnels, etc., il aurait adopté une exception non discrétionnaire fondée sur la catégorie. Le résultat de l’analyse concorde également avec le fait que les exceptions prévues par la Loi doivent être limitées et précises.

[209]   En l’espèce, compte tenu des motifs donnés au sujet du second examen, ainsi que de l’attestation « générique » à savoir que le pouvoir discrétionnaire a été exercé, la Cour conclut que tel n’est pas le cas. Le second examen a été entrepris afin d’assurer la conformité à l’évaluation du préjudice prévue à l’article 15 ainsi que la cohérence de celle-ci. S’il est conclu que le pouvoir discrétionnaire a été exercé, il ne l’a pas été de façon raisonnable.

D. Quels facteurs doivent être pris en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire?

[210]   Les intérêts signalés dans la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada ainsi que ceux qui sont compris dans la Loi elle‑même renforcent la ligne de pensée à savoir que l’évaluation du préjudice prévue à l’article 15 mais, surtout, l’exercice du pouvoir discrétionnaire à des fins de communication d’information, doivent être pris au sérieux, une présomption jouant en faveur de la communication dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir. Certes, si un pouvoir discrétionnaire est conféré, il doit être examiné valablement et exercé conformément aux objectifs de la Loi.

[211]   Il peut être affirmé que même la qualification initiale des dossiers comme étant exemptés aux termes de l’article 15 de la Loi constitue, en soi, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Cependant, compte tenu du fait que les exigences en matière de preuve sont telles que des preuves « précises et détaillées » doivent être présentées, il peut être soutenu que l’objet de la Loi est de restreindre la variabilité de cette qualification initiale. Deuxièmement, il importe également de réitérer que le préjudice allégué quant à la communication ne doit pas être abstrait ou théorique, tel qu’il est reconnu par la jurisprudence. Si cet exercice est abordé de façon significative par le décideur, le pouvoir discrétionnaire résiduel de communiquer en dépit d’un [traduction] « risque vraisemblable de préjudice probable » peut être dûment appliqué à l’information qui pose réellement un tel risque et qui, néanmoins, peut être divulguée. L’octroi du pouvoir discrétionnaire par la Loi est la concrétisation d’une intention législative claire à savoir que certains renseignements peuvent très bien être communiqués, en dépit d’un préjudice allégué.

[212]   Aucune politique claire n’a été soumise en ce qui a trait à la façon dont BAC et le SCRS évaluent les dossiers historiques au regard de la Loi, et à la façon dont le pouvoir discrétionnaire doit être envisagé par les décideurs. Pour ce qui est de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, la nouvelle « politique » concernant les [traduction] « documents de nature transitoire » est une politique qui décrit plus adéquatement le processus d’évaluation du préjudice que l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[213]   Pour ce qui est du cas en l’espèce, les facteurs suivants sont pertinents pour l’évaluation de la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé.

[214]   Premièrement, les principes et les objectifs de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada sont, en soi, des facteurs que le décideur doit prendre en considération. Parce qu’il s’agit de lois habilitantes, leurs dispositions doivent certainement être prises en compte dans leur intégralité au cours de l’analyse de l’exception prévue à l’article 15, qui comprend le pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, compte tenu de la nature « limitée et précise » des exceptions, et du mandat de BAC visant à faciliter l’accès au patrimoine documentaire du Canada, il est clair que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le décideur est guidé par ces facteurs importants. S’ajoutent à cela la nature quasi constitutionnelle de la Loi ainsi que les ramifications importantes des principes de l’accès à l’information, qui ont été analysées en profondeur dans les présents motifs.

[215]   Deuxièmement, il importe de noter qu’il n’y a pas de considération directe de l’« intérêt public » dans la communication de l’information, comme c’est le cas de la Loi sur la preuve au Canada et de certaines lois provinciales, à savoir celles de l’Ontario, qui ont été examinées par la Cour suprême dans l’arrêt Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, mentionné ci‑dessus. Toutefois, compte tenu des principes de la Loi et de la qualification du mandat de BAC consistant à préserver l’information et à en faciliter l’accès en tant que contribution à notre vie démocratique, il peut être soutenu qu’il existe un intérêt public implicite dans les demandes d’accès à l’information. Malgré le fait qu’il n’entre pas directement en jeu et qu’il ne s’agit pas d’un argument suffisant en soi pour contrer les exceptions nécessaires, le droit de savoir du public est toujours au cœur de n’importe quelle demande d’accès à l’information, la nature quasi constitutionnelle de la Loi n’étant pas le moindre des facteurs à prendre en compte. Outre cet argument, la Loi elle‑même ne peut pas être utilisée pour dissimuler des embarras ou des actes illégaux (voir le paragraphe 131 des présents motifs); il s’ensuit que l’application de la Loi comporte un intérêt public inhérent.

[216]   Dans sa qualification du pouvoir discrétionnaire résiduel de communication de renseignements exemptés, la Cour suprême a signalé que le décideur « doit ensuite se demander si, compte tenu de tous les intérêts pertinents, y compris l’intérêt public à ce qu’il y ait divulgation, il devrait y avoir divulgation » (Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, au paragraphe 66 [non souligné dans l’original]).

[217]   « Tous les intérêts pertinents » comprennent la valeur historique des documents. BAC possède, ou devrait posséder, toutes les ressources nécessaires pour évaluer ceci, conformément à son mandat important au sein de notre démocratie. Les historiens sont les experts quant à ce type d’évaluation et, certainement, n’importe quelle institution peut avoir recours à leur aide aux fins de son évaluation de la question de savoir si des documents sont pertinents du point de vue historique. En l’espèce, la raison même pour laquelle les documents ont été transférés à BAC était leur « importance historique ». Le fait de ne pas communiquer les documents et d’en empêcher l’accès public va à l’encontre du mandat pragmatique de BAC décrit ci‑dessus. À ce titre, la valeur historique d’un document est un facteur à prendre en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, encore plus lorsque BAC est le détenteur du document.

[218]   Eu égard à la valeur historique d’un document, l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit tenir compte du passage du temps entre la création du document et la demande d’accès à l’information. Bien que le passage du temps soit pris en compte dans l’évaluation du préjudice résultant de la communication (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), précitée), il doit également être pris en compte au regard de la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé. Le juge en chef Lutfy y a fait allusion dans une opinion incidente dans l’affaire Kitson, précitée, au paragraphe 40, lorsqu’il a qualifié le refus de la Cour d’accueillir la demande d’accès à l’information : « Il se peut que le résultat eût été différent si la demande avait été faite quelque temps après que les FC eurent quitté l’Afghanistan. Toutefois, cette décision n’est pas de celles qui peuvent être rendues aujourd’hui. » Par conséquent, en présence d’un préjudice, toutefois à l’extrémité inférieure du spectre, le passage du temps peut être un facteur important. Cela est le cas parce que, au fil de l’évolution du temps, les fondements du « risque vraisemblable de préjudice probable », à l’exception de la protection des sources humaines, des intérêts opérationnels actuels et de questions comparables, évoluent également. Le juge Strayer a également fait des observations sur le passage du temps dans l’affaire X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), précitée, au paragraphe 8 :

[…] je peux dire seulement que, à mon avis, il est tout à fait déraisonnable de conclure que les renseignements figurant dans ces documents, qui portent tous les dates de 1941 ou de 1942 et qui se rapportent à une époque où le Canada était engagé dans une guerre mondiale, pourraient révéler quelque chose qui a trait à la conduite des affaires internationales du Canada et à sa défense nationale cinquante ans plus tard en temps de paix.

[219]   Le passage du temps est un facteur, entre autres. Il se peut fort bien que le passage du temps en ce qui a trait à l’identité des sources humaines soit différent, puisque le conseil a reconnu publiquement qu’il existe un [traduction] « échéancier concernant les sources confidentielles ». Par conséquent, en fait, tel qu’il est allégué par le défendeur, il n’y a pas de [traduction] « nombre magique » pour le passage du temps, et l’article 15 ne fournit aucune directive directe quant à savoir en quoi consiste un passage du temps suffisant. Cela souligne l’importance d’une analyse bien pesée et complète du risque vraisemblable de préjudice probable aux termes de cet article, ainsi que du pouvoir discrétionnaire résiduel de divulguer.

[220]   En outre, la Cour d’appel fédérale a statué que la diffusion publique antérieure d’information constitue un « incitatif en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de communiquer les renseignements » dans certains cas (Attaran c. Canada (Affaires étrangères), au paragraphe 41). En l’espèce, la diffusion publique antérieure créait souvent un contexte dans lequel il n’y avait pas de risque vraisemblable de préjudice probable qui serait causé par la divulgation. Lorsqu’il y avait un tel risque, et il importe de répéter que les éléments de preuve sont insuffisants à de nombreux égards pour établir ce fait, la diffusion publique antérieure de l’information est manifestement un facteur qui milite en faveur de la divulgation, compte tenu du passage du temps.

[221]   Parmi la liste des facteurs pertinents analysés par le juge Rothstein (alors juge de la Cour d’appel fédérale), dans l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre) aux fins de l’analyse du préjudice, le facteur suivant peut également indiquer que le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé en faveur de la divulgation :

- La couverture par la presse d’un renseignement confidentiel est un facteur à prendre en considération dans l’examen du risque de préjudice probable résultant de la divulgation. Toutefois, ce facteur ne peut pas l’emporter sur le fait que les demandes d’accès doivent être traitées indépendamment de qui les présente, puisque les médias n’ont pas priorité au sein du système d’accès à l’information (paragraphe 4(2.1) de la Loi).

- Chaque document distinct doit être considéré à part et dans le contexte de tous les documents demandés car la teneur totale d’une communication doit influer énormément sur les conséquences vraisemblables de sa divulgation.

- La question de savoir si l’article 25 de la Loi, conférant le pouvoir d’effectuer des prélèvements dans les dossiers, peut être appliqué afin de protéger l’identité des sources humaines et d’autres intérêts. L’article prévoit le prélèvement, dans un dossier, de renseignements qui peuvent être divulgués, par opposition aux renseignements qui sont protégés contre la communication en vertu d’une disposition d’exception. Le prélèvement doit être raisonnable. Des exemples sont présentés dans la colonne « Préoccupations relatives aux sources », en annexe.

[222]   Étant reconnu que les facteurs susmentionnés sont essentiels à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de BAC, ou d’une institution quelconque, le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 15 est nécessaire pour donner à la Loi son plein effet, et pour qu’un poids approprié soit accordé à ses principes. De plus, étant donné que, en l’espèce, le décideur était BAC, ces facteurs sont renforcés par le mandat de BAC en tant que gardien du patrimoine documentaire du Canada et compte tenu de son rôle visant à promouvoir activement l’accès à ce patrimoine.

[223]   En l’espèce, il ne fait aucun doute que le défendeur aurait dû en faire davantage avant que le recours en révision ne soit présenté, afin de s’assurer qu’il s’acquittait de son mandat législatif de la plus haute importance. Il est décevant que l’intention de la Loi et le mandat de BAC n’aient pas été appliqués dans toute leur ampleur, d’autant plus que le dossier en question concerne un Canadien de marque et d’influence, M. Thomas Clement Douglas, et que le dossier a été transféré à BAC en raison de son importance historique.

III. Conclusion

[224]   En résumé, la Cour n’est pas convaincue que l’information qui n’est toujours pas divulguée est retenue d’une façon conforme à l’article 15 de la Loi. Le défendeur devrait faire davantage pour assurer la cohérence de la divulgation, et, dans le cas de nombreux documents, il ne peut pas être conclu qu’ils sont retenus de façon cohérente et raisonnable pour les motifs énoncés à l’article 15. En outre, l’exercice du pouvoir discrétionnaire, ou plutôt l’absence d’un tel pouvoir, doit être pris en compte en même temps que les facteurs décrits ci‑dessus.

[225]   L’affaire sera renvoyée à BAC en vue d’un réexamen, et des directives précises seront formulées pour qu’il soit tenu compte des présents motifs, de leur esprit ainsi que des exemples figurant en annexe. BAC doit procéder à un nouvel examen dans les 90 jours de la présente décision. Compte tenu du manque d’éléments de preuve quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, et même de l’évaluation effectuée aux termes de l’article 15, il serait bon que BAC fasse le détail et la preuve des étapes et des démarches suivies pour ce troisième examen de la documentation, y compris la façon dont le pouvoir discrétionnaire a été exercé.

[226]   En outre, compte tenu du manquement à l’obligation de franchise, et des considérations décrites en ce qui a trait à l’intégralité de l’information fournie par BAC au sujet de T. C. Douglas, et conformément à l’article 50 de la Loi, la Cour ordonne que BAC indique au demandeur, par écrit, s’il y a d’autres renseignements sur T. C. Douglas que le Ministère détient, outre ce qui a déjà été divulgué dans le cadre du présent recours, ou s’il se fonde sur l’article 10 de la Loi, ou sur quelque autre motif. BAC dispose de 30 jours pour se conformer à cette ordonnance.

[227]   Il est clair que la présente décision ne devrait en aucune façon être interprétée comme minimisant les préoccupations concernant l’identification des sources humaines ou des préoccupations importantes relatives à la sécurité nationale, par exemple les intérêts opérationnels actuels. Cette affaire a plutôt trait à la façon dont le passage du temps peut atténuer les préoccupations relatives à la sécurité nationale. De plus, elle met en lumière l’importance de transférer l’information au domaine public pour le bénéfice des Canadiens actuels et futurs, et pour notre mémoire et notre savoir collectifs en tant que pays.

[228]   Les parties ont conclu une entente quant aux dépens du recours en l’espèce.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

- L’affaire est renvoyée à BAC en vue d’un réexamen et il est précisé de tenir compte des présents motifs, de leur esprit ainsi que des exemples figurant en annexe. BAC doit effectuer un nouvel examen dans les 90 jours suivant la présente décision.

- La Cour ordonne que BAC indique au demandeur, par écrit, s’il y a d’autres renseignements concernant T. C. Douglas que le Ministère détient, outre ce qui a déjà été divulgué dans le cadre de la présente demande, ou s’il se fonde sur l’article 10 de la Loi, ou si une autre réponse s’applique, dans les 30 jours suivant la présente décision.

IV. Annexe

Le diagramme suivant a pour but de signaler les documents que la Cour a identifiés comme ayant été retenus ou ayant fait l’objet d’un prélèvement de façon inappropriée. Il ne doit pas être interprété comme étant un compte‑rendu exhaustif des documents retenus ou ayant fait l’objet d’un prélèvement de façon inappropriée. C’est plutôt le fruit d’un examen chronophage et complet des documents par la Cour. Il se veut un guide pour le décideur aux fins du nouvel examen qui sera entrepris. Qu’il suffise de dire que l’examen des documents par la Cour s’est avéré une tâche onéreuse, compte tenu, en particulier, de l’absence de preuves précises justifiant la rétention d’information.

Les catégories d’information figurant dans le diagramme sont reliées aux sections des motifs où elles sont analysées. Le rapport avec les motifs doit être complété au moyen des exemples suivants.

La colonne « Préoccupations relatives aux sources » est reliée à la fois aux sources humaines et aux sources techniques. Lorsque la source a été identifiée comme étant une préoccupation relative à un document, ce qui est impliqué est que plus de renseignements pourraient être divulgués tout en protégeant les sources faisant l’objet de préoccupations.

La colonne « Divulgations accessoires » a trait aux documents dans lesquels T. C. Douglas n’était mentionné qu’en passant. Tel qu’il est mentionné dans les motifs, la pertinence de l’information n’est pas un critère qui est reconnu par la Loi. Par conséquent, ces documents devraient être communiqués. De plus, l’approche de BAC quant aux « divulgations accessoires » s’est avérée incohérente dans toute la documentation, et les documents identifiés dans le diagramme suivant en sont des exemples.

La colonne « Documents de “nature transitoire” » a pour but de signaler les endroits où l’approche adoptée par BAC dans le cadre du second examen de la documentation était incohérente. Si la Cour a bien compris, selon la « nouvelle » approche de BAC, l’information trouvée dans les « documents de nature transitoire » qui ont été examinés allait être divulguée. Toutefois, ce n’était pas le cas pour plusieurs documents. Encore une fois, le manque de preuves précises sous-entendait que la Cour avait inféré que de nombreux documents étaient de « nature transitoire », à l’exception de ceux qui étaient liés logiquement à des intérêts opérationnels importants identifiés ex parte.

La colonne « Analyse de T. C. Douglas par la GRC » identifie les documents où les évaluations et les opinions des agents de la GRC ont été retenues de façon inappropriée.

La colonne « Composante historique » identifie les documents relativement auxquels le décideur aurait dû se demander si le pouvoir discrétionnaire résiduel de divulguer l’information compte tenu de la valeur historique des renseignements figurant dans les documents pourrait l’emporter sur le préjudice allégué résultant de la divulgation. Ici, la Cour singularise les documents où, clairement, l’exercice du pouvoir discrétionnaire pourrait raisonnablement avoir mené à la divulgation de l’information contenue dans les documents en question, tout en tenant compte des préoccupations relatives aux sources humaines et techniques.

Encore une fois, l’examen de la documentation entrepris par la Cour a été effectué avec des preuves qui n’étaient pas idéales. L’approche et les preuves générales de BAC en matière d’analyse de l’article 15 étaient telles qu’un examen de la documentation était nécessaire, et que des directives claires doivent être données, d’autant plus qu’un second examen a été entrepris après l’audience ex parte à huis clos qui a mené à l’approche « différente » adoptée par BAC. Toutefois, cette approche s’est également avérée incohérente et défectueuse.

Ce n’était pas le cas pour tous les documents. En fait, il se peut fort bien que différents analystes aient examiné la documentation et effectué une deuxième série de prélèvements. La Cour doit être équitable et signaler que ce ne sont pas tous les documents qui ont été retenus de façon inappropriée.

Par exemple, les documents suivants ont été communiqués en dépit des préoccupations à savoir qu’ils contenaient des « divulgations accessoires » au sujet de T. C. Douglas : pages 969 à 972; pages 960 à 963; pages 1002 et 1003.

Le document intitulé « New Left Actions in Political Parties in Canada » (pages 905 à 917) est un autre exemple des résultats d’une analyse cohérente et sérieuse des préoccupations relatives à l’article 15 qui y ont trait. C’est l’exemple parfait de ce qu’aurait dû être le résultat pour la plupart des documents faisant partie du dossier Douglas.

Il importe de signaler à nouveau que l’une des principales préoccupations de la Cour a trait à la cohérence des prélèvements effectués. Par exemple, il y a plusieurs documents différents concernant la protestation du McGill Moratorium Committee du 28 février 1970. Bien qu’il puisse réellement y avoir des préoccupations relatives aux sources, il y a des incohérences claires dans l’information qui est toujours retenue. Il y a des incohérences importantes dans les indications des identificateurs comme étant « une source fiable », entre autres termes analogues, des sources qui sont souvent communiquées mais inexplicablement retenues dans d’autres circonstances.

Encore une fois, le diagramme fait état des préoccupations de la Cour à l’égard de nombreux documents, mais non pas tous, faisant partie du dossier. Le diagramme ne peut pas servir de remplacement ou de simplification d’un nouvel examen complet de la documentation, qui tiendra compte des motifs et des préoccupations signalés aux présentes.

Numéro de page du document

Préoccupations relatives aux sources

Divulgations

accessoires

Documents de « nature transitoire »

Analyse de T. C. Douglas par la GRC

Composante historique

page 10

X

X

page 20

(paragraphe 6)

X

pages 22 à 24

X

X

pages 35 à 37

X

pages 53 à 54

X

X

X

pages 57 et 58

X

pages 61 à 64

X

X

page 68

X

page 69

X

X

page 92

(paragraphe 2)

X

pages 100 à 103

X

X

pages 107 à 109

X

page 110

X

X

page 120

X

X

page 126

X

X

page 132

X

X

X

(voir aussi pages 368 et 371)

pages 148 à 153

X

X

pages 161 à 165

X

page 169

X

X

page 180

X

page 183

X

pages 188 à 189

X

X

pages 195 et 196

X

X

pages 217 et 218

X

pages 236 et 237

X

X

X

page 269

X

X

X

page 272

X

pages 273 et 274

X

X

X

pages 282 et 283

X

X

X

pages 284 à 287

X

pages 291 et 292

X

pages 297 à 299

X

pages 305 à 307

X

X

pages 334 et 335

X

X

X

pages 337 à 340

X

pages 354 à 356

X

X

pages 359 et 360

X

X

pages 368 à 370

X

X

pages 371 à 373

X

X

pages 375 à 377

X

pages 379 et 380

X

X

pages 384 à 387

X

X

pages 405 et 406

X

X

pages 411 et 412

X

X

pages 415 et 416

X

X

pages 421 à 424

X

X

X

pages 426 à 429

X

X

pages 452 à 455

(paragraphe 9)

X

X

page 457

X

page 476

X

page 478

X

pages 482 et 483

X

X

X

pages 484 et 485

X

pages 516 et 517

X

X

X

pages 521 et 522

X

X

X

pages 527 et 528

X

X

pages 529 à 531

X

page 565

(paragraphe 11)

X

X

pages 567 et 568

X

X

pages 575 et 576

X

X

page 586

(paragraphe 8)

X

pages 601 à 605

X

X

pages 639 et 640

X

X

pages 642 et 643

X

X

pages 655 à 657

X

X

pages 663 à 665

X

X

pages 697 et 698

X

X

pages 727 et 728

X

X

X

pages 765 à 768

X

X

pages 774 et 775

(paragraphes 9, 10, 11, 13)

X

pages 777 à 781

X

X

X

pages 787 à 789

X

X

pages 801 et 802

X

X

pages 828 à 830

X

X

pages 837 à 843

X

X

pages 891 à 893

X

X

pages 923 et 924

X

pages 989 à 993

X

page 998

X

pages 1009 et 1010

X

page 1021

X

pages 1023 à 1029

X

X

pages 1035 à 1039

X

X

X

pages 1040 à 1046

X

X

pages 1049 à 1052

Inconnu

(aucun fondement probatoire n’a été fourni à la Cour)

page 1087

X

pages 1108 et 1109

X

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