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[2013] 1 R.C.F. 117

A-347-10

2011 CAF 151

BBM Canada (appelante)

c.

Research In Motion Limited (intimée)

Répertorié : BBM Canada c. Research In Motion Limited

Cour d'appel fédérale, juges Sharlow, Dawson et Layden-Stevenson, J.C.A.—Toronto, 18 janvier; Ottawa, 5 mai 2011.

Pratique — Introduction des procédures — Appel d'une décision de la Cour fédérale ordonnant qu'une instance introduite par un avis de demande soit introduite comme s’il s’agissait d’une action conformément à la partie 4 des Règles des Cours fédérales — L’appelante réclamait des dommages-intérêts, un jugement déclaratoire et une injonction pour usurpation de marques de commerce, dépréciation de l’achalandage et commercialisation trompeuse en vertu de la Loi sur les marques de commerce — La Cour fédérale a conclu qu’aucune disposition de la Loi n’exige que les instances pour usurpation et concurrence déloyale soient introduites par un avis de demande — Il s’agissait d’établir si le recours de l’appelante pouvait être introduit par voie de demande conformément à la partie 5 des Règles ou s’il pouvait uniquement être introduit comme s’il s’agissait d’une action conformément à la partie 4 — La question dépend de la portée et de l’application de la règle 300 et de la partie 5 des Règles — L’art. 53.2 de la Loi est muet quant à la façon dont l’instance visée par cet article doit être introduite — L’expression « sur demande » aux arts. 53, 53.1, 53.2 et 57 de la Loi devrait s’entendre d’une demande en bonne et due forme et non d’une instance introduite par la production d’un avis de demande — L’art. 53.2 de la Loi confère un pouvoir général de réparation, autorisant le tribunal à rendre les ordonnances qu’il juge indiquées — L’accès aux tribunaux d’une manière rapide et proportionnée est ce qui satisfait davantage à l’objet de la Loi — Une interprétation de l’art. 53.2 qui permet les demandes ou les actions satisfait cet objet — Une telle interprétation ne rend pas les art. 53(5), 53.1(2) et 58 redondants — Appel accueilli.

Marques de commerce — Contrefaçon — Introduction des procédures — L’appelante réclamait des dommages-intérêts, un jugement déclaratoire et une injonction pour usurpation de marques de commerce, dépréciation de l’achalandage et commercialisation trompeuse en vertu de la Loi sur les marques de commerce — Il s’agissait d’établir si le recours pouvait être introduit par voie d’avis de demande ou s’il pouvait être introduit comme s’il s’agissait d’une action — L’interprétation favorisant un accès aux tribunaux d’une manière rapide et proportionnée est celle qui satisfait le mieux à l’objet de la Loi — À cette fin, l’art. 53.2 de la Loi devrait être interprété de manière à permettre qu’une instance soit introduite par voie de demande ou d’action.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale ordonnant que l’instance que l’appelante a introduite par voie d’avis de demande soit introduite comme s’il s’agissait d’une action conformément à la partie 4 des Règles des Cours fédérales.

L’appelante réclamait des dommages-intérêts, un jugement déclaratoire et une injonction pour usurpation de marques de commerce, dépréciation de l’achalandage et commercialisation trompeuse en s’appuyant sur divers articles de la Loi sur les marques de commerce. L’intimée a sollicité une ordonnance portant rejet de la demande pour des motifs ressortant à la compétence, sous réserve du droit de l’appelante de soulever les mêmes questions dans le cadre d’une action. La Cour fédérale a conclu qu’aucune disposition de la Loi n’exige ou ne permet que les instances pour usurpation et concurrence déloyale soient introduites par voie d’avis de demande.

Selon l’appelante, en combinant les dispositions pertinentes de la Loi et des Règles, on constate que les poursuites intentées en vertu de l’article 53.2 de la Loi peuvent être introduites soit par voie de demande, soit par voie d’action. L’intimée a fait valoir que les poursuites ne peuvent être introduites par voie de demande que lorsque la question en litige est expressément mentionnée à la règle 300 des Règles des Cours fédérales.

Il s’agissait d’établir si le recours de l’appelante en dommages-intérêts pouvait être introduit par voie d’une demande conformément à la partie 5 des Règles ou s’il pouvait uniquement être introduit comme s’il s’agissait d’une action conformément à la partie 4.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La question dépendait de la portée et de l’application véritables de la règle 300 et de la partie 5. L’intention du législateur quant à la manière d’introduire des instances en vertu de la Loi doit être déterminée à partir de la rubrique « Procédures judiciaires » (articles 52 à 61) de la Loi. L’article 53.2 est muet quant à la façon dont l’instance visée par cet article doit être introduite. Après avoir examiné le contexte législatif des articles 52 à 61, l’expression « sur demande » utilisée aux articles 53, 53.1, 53.2 et 57 devrait s’entendre d’une demande en bonne et due forme et non d’une instance introduite par la production d’un avis de demande. L’article 53.2 confère également un pouvoir général de réparation autorisant le tribunal à rendre les ordonnances qu’il juge indiquées lorsqu’il est convaincu qu’« un acte a été accompli contrairement à la présente Loi ». L’interprétation qui favorise un accès aux tribunaux d’une manière aussi rapide et proportionnée que possible permet de satisfaire davantage à l’objet de la Loi dans son ensemble et à celui de la partie intitulée « Poursuites judiciaires » en particulier. À cette fin, l’article 53.2 devrait être interprété de sorte à permettre que les instances soient introduites par voie de demande ou par voie d’action. Il serait ainsi possible, dans les cas appropriés, d’accéder au processus plus sommaire au moyen d’une demande. Rien dans le libellé de la Loi n’empêche cette interprétation. Une interprétation de l’article 53.2 qui autorise les instances introduites par voie de demande ou par voie d’action ne rend par l’article 58 et les paragraphes 53(5) et 53.1(2) de la Loi redondants. Les choix procéduraux particuliers offerts aux paragraphes 53(5) et 53.1(2) de la Loi ont été ajoutés afin qu’une procédure expéditive soit offerte dans tous les ressorts pour les affaires de nature urgente ou dépendantes du facteur temps. Enfin, les affaires d’usurpation de marque de commerce, de dépréciation de l’achalandage et de commercialisation trompeuse ne sont pas toutes complexes au point qu’il ne soit pas possible de les trancher au moyen d’une demande et le fait qu’une partie à un litige peut généralement choisir de procéder au moyen d’une action ou d’une demande ne signifie pas que toutes les poursuites peuvent être tranchées dans le cadre d’une demande.

L’ordonnance modifiée de la Cour fédérale a été annulée et la requête présentée par l’intimée en vue d’obtenir une ordonnance portant rejet de la demande relative à l’absence de compétence a été rejetée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Business Corporations Act, 1982, S.O. 1982, ch. 4, art. 247.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 34 (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20).

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 7b),c), 20 (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 196), 22, 52 « dédouanement » (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 234), « droits » (mod., idem), « ministre » (mod., idem; 2005, ch. 38, art. 145), « tribunal » (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 234), 53 (mod., idem), 53.1 (édicté, idem), 53.2 (édicté, idem), 53.3 (édicté, idem), 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60 (mod., idem, art. 235, 236, 238), 61 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 177).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 702 (mod. par DORS/88-221, art. 9; 92-726, art. 7).

Règles de Procédure Civile, Règl. de l’Ont. 560/84, Règles 14.02 (mod. par Règl. de l’Ont. 711/89, art. 13), 14.05(2) (mod., idem, art. 14).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 57, 59b), 61, 169 (mod. par DORS/2004-283, art. 37), 300 (mod. par DORS/2002-417, art. 18(A); 2004-283, art. 37), 316, 335 (mod., idem).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Chilian v. Augdome Corp. (1991), 2 O.R. (3d) 696, 78 D.L.R. (4th) 129, 49 C.P.C. (2d) 1 (C.A.).

décisions examinées :

Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3; Pharmacommunications Holdings Inc. c. Avencia International Inc., 2008 CF 828, conf. par 2009 CAF 144; Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. v. Worldwide Tobacco Distribution Inc. (2008), 73 C.P.R. (4th) 131 (C.F.).

décisions citées :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772.

Appel d’une décision de la Cour fédérale (2010 CF 986) ordonnant que l’instance introduite par l’appelante, qui réclamait des dommages-intérêts, un jugement déclaratoire et une injonction pour usurpation de marques de commerce, dépréciation de l’achalandage et commercialisation trompeuse en vertu de la Loi sur les marques de commerce, soit introduite comme s’il s’agissait d’une action conformément à la partie 4 des Règles des Cours fédérales. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Peter E. J. Wells pour l’appelante.

Trent Horne pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

McMillan LLP, Toronto, pour l’appelante.

Bennett Jones LLP, Toronto, pour l’intimée.

  Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Dawson, J.C.A. : Il s’agit en l’espèce de déterminer si un recours intenté devant la Cour fédérale en vue d’obtenir des dommages‑intérêts et d’autres réparations par suite d’une usurpation de marques de commerce, d’une dépréciation de l’achalandage et d’une commercialisation trompeuse, peut être introduit par voie de demande sous le régime de la partie 5 [règles 300 à 334] des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] (les Règles). Si tel n’est pas le cas, il s’ensuit que ce recours ne peut être introduit que sous le régime de la partie 4 [règles 169 à 299] des Règles des Cours fédérales.

Les faits

[2]        L’appelante, BBM Canada, a déposé un avis de demande à la Cour fédérale dans lequel elle prétend que l’intimée, Research In Motion Limited, avait usurpé certaines de ses marques de commerce déposées. L’appelante réclamait des dommages‑intérêts, un jugement déclaratoire et une injonction pour usurpation, dépréciation de l’achalandage et commercialisation trompeuse, et, pour ce faire, s’appuyait sur les alinéas 7b) et c) et sur les articles 20 [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 196], 22 et 53.2 [édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 234] de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi).

[3]        L’intimée a sollicité une ordonnance portant rejet de la demande pour des motifs ressortant à la compétence, sous réserve du droit de l’appelante de soulever les mêmes questions dans le cadre d’une action. L’intimée a fait valoir que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour statuer sur les questions soulevées par BBM Canada dans le cadre d’une instance introduite par un avis de demande.

[4]        Un juge de la Cour fédérale (le juge) a ordonné que l’instance soit instruite comme s’il s’agissait d’une action, conformément à la partie 4 des Règles des Cours fédérales (2010 CF 986). Il a en outre ordonné que l’avis de requête soit modifié en vertu de l’alinéa 59b) et serve de déclaration. Enfin, le juge a fixé le délai pour le dépôt d’un acte introductif d’instance modifié, intitulé Déclaration, ainsi que d’une défense, et a ordonné que l’affaire se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

La décision du juge

[5]        L’audience devant le juge s’est déroulée de manière inusitée. Dans ses motifs, le juge explique ce déroulement et les raisons pour lesquelles il a rendu l’ordonnance faisant l’objet de l’appel (aux paragraphes 1, 5 à 11) :

[traduction]

Voici les motifs relatifs à l’ordonnance rendue dans la présente instance le 27 septembre 2010. Aucun motif n’a été fourni à l’époque où l’ordonnance a été rendue puisqu’il était prévu que les parties avaient essentiellement consenti à l’ordonnance et qu’elles allaient faire progresser l’action. Cependant, j’ai été depuis lors informé que la demanderesse a déposé un appel; par conséquent, les présents motifs sont fournis dans le but d’aider les parties et la Cour qui pourrait instruire le pourvoi.

[…]

J’avais lu les documents présentés par les deux parties et j’estimais que la présente instance devait procéder par voie d’action. Le paragraphe (1) de la règle 61 de la Cour prévoit que toutes les poursuites doivent être introduites par voie d’action, à moins que, conformément au paragraphe (4) de cette même règle, il y ait une disposition législative spécifique qui permet à une instance d’être introduite d’une autre façon, par exemple par voie de demande. Un exemple d’une telle disposition particulière se trouve au paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 :

Requête ou action

(4) Les procédures suivantes peuvent être engagées ou continuées par une requête ou une action :

a) les procédures pour violation du droit d’auteur ou des droits moraux;

b) les procédures visées aux articles 44.1, 44.2 ou 44.4;

c) les procédures relatives aux tarifs homologués par la Commission en vertu des parties VII et VIII ou aux ententes visées à l’article 70.12.

Le tribunal statue sur les requêtes sans délai et suivant une procédure sommaire.

La Loi sur les marques de commerce prévoit expressément qu’une demande peut être déposée lorsqu’il y a saisie provisoire de marchandises par des agents des douanes (article 53.2) [sic]. La procédure en radiation de l’enregistrement d’une marque de commerce peut être introduite par voie d’action, de demande reconventionnelle dans le cadre d’une action, ou de demande (article 58). L’article 55 accorde à la Cour fédérale le pouvoir de connaître de « toute action ou procédure » [italique dans l’original] pour l’application d’un droit conféré par la Loi. C’est la disposition qui s’applique lorsque les procédures engagées portent sur l’usurpation et la concurrence déloyale. L’article 55 fait expressément référence à une action. Il renvoie également à une procédure mais, contrairement à la Loi sur le droit d’auteur, il ne précise pas que la procédure doit être introduite par voie de demande.

Lors de l’audition de la requête, j’ai dit à l’avocat de la demanderesse que je croyais que la procédure devrait être introduite par voie d’action, qui permet la communication des actes de procédure, dont la défense et les questions définies. J’ai demandé à l’avocat pourquoi il voulait procéder par voie de demande. Il ne m’a donné aucune réponse valable. Il a simplement dit qu’il croyait qu’il pouvait correctement procéder de cette façon. Je lui ai demandé s’il croyait qu’il serait plus rapide de procéder par voie de demande, et si tel était le cas, s’il voulait que l’instance fasse l’objet d’une gestion pour vérifier si cela était possible. J’ai demandé s’il souhaitait une injonction interlocutoire et j’ai fait remarquer que cela pouvait se faire dans le cadre d’une action. Je n’ai obtenu aucune réponse.

L’avocat de la défenderesse a souligné que l’avis de demande était très détaillé et pouvait facilement être intitulé « Déclaration ». J’ai demandé à l’avocat de la défenderesse s’il avait l’intention de déposer une défense, et une demande reconventionnelle, le cas échéant, avant l’expiration d’un délai précis et il a convenu que ce serait le cas.

À ce stade, j’ai ajourné l’audience pendant quelques minutes pour permettre aux avocats de rédiger une ordonnance conforme à ces discussions. En quelques minutes, les modalités d’une ordonnance sous forme manuscrite ont été fournies au registraire qui me les a remises en chambre. J’avais cru comprendre que les parties avaient consenti à l’ordonnance telle qu’elle avait été établie et, par conséquent, l’ordonnance a été dactylographiée, puis je l’ai signée et délivrée.

Plus tard cette journée-là, la Cour a reçu une lettre de l’avocat de la demanderesse indiquant que son consentement était seulement « pour la forme ». Quoi qu’il en soit, estimant que les parties avaient accepté de procéder de la manière prévue par l’ordonnance, j’ai modifié celle-ci pour indiquer que le consentement était « pour la forme ».

L’ordonnance est compatible avec ma décision en l’espèce; il est plus approprié de procéder par voie d’action; un délai fixe pour le dépôt d’une défense est prévu et l’affaire doit faire l’objet d’une gestion de l’instance. [Non souligné dans l’original.]

La norme de contrôle

[6]        Les parties n’ont fait aucune observation quant à la norme de contrôle. Pour déterminer la norme de contrôle applicable, il faut d’abord discerner le fondement de l’ordonnance rendue par le juge. Le juge a‑t‑il décidé que la procédure ne pouvait pas, en droit, être intentée et continuée par un avis de demande? Subsidiairement, le juge a‑t‑il décidé que la procédure pouvait être intentée soit par voie de demande, soit par voie d’action, mais que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, il était plus approprié de procéder par voie d’action?

[7]        Si je comprends bien les motifs du juge, celui‑ci a conclu, aux paragraphes 5 et 6, que les poursuites pour usurpation et concurrence déloyale ne peuvent pas être introduites par un avis de demande, car aucune disposition de la Loi ne le prévoit ou ne l’autorise. J’arrive à cette conclusion en me fondant sur les propos formulés par le juge aux paragraphes 5 et 6 de ses motifs et parce que la requête en radiation dont il a été saisi ne reposait que sur le fait que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour statuer sur les questions dont elle était saisie dans une procédure instituée par un avis de demande.

[8]        La question de savoir si une poursuite pour usurpation et concurrence déloyale peut être introduite par un avis de demande est une question de droit pur. La décision du juge sur cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 8 et 9).

Les positions des parties

[9]        Les positions des parties peuvent être résumées de la façon suivante.

[10]      L’appelante prétend qu’avant l’adoption des Règles des Cours fédérales en 1998, la Règle 702(7) de leur version antérieure [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] exigeait qu’une procédure comme en l’espèce soit introduite par voie d’action. Il en est ainsi parce que la Règle 702 [mod. par DORS/88-221, art. 9; 92-726, art. 7] énonçait ce qui suit :

Règle 702. (1) Les procédures prévues à l’article 22 de la Loi sur les dessins industriels et les étiquettes syndicales doivent être engagées conformément au paragraphe (1) de cet article.

(2) Les procédures prévues à l’article 23 de la Loi sur les dessins industriels doivent être engagées par requête introductive d’instance.

(3) Les procédures prévues au paragraphe 57(4) de la Loi sur le droit d’auteur doivent être engagées par requête introductive d’instance.

(4) Les procédures prévues à l’alinéa 50(10)c) de la Loi sur les marques de commerce doivent être engagées par requête introductive d’instance.

(5) Les procédures prévues par l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce doivent être engagées en conformité du paragraphe (2) de cet article.

(6) Les procédures prévues par l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce doivent être engagées en conformité de l’article 58 de cette Loi.

(7) Les demandes faites à la Cour en vertu de l’une des lois mentionnées dans la présente Règle, à l’exception des demandes faisant l’objet d’une mention spéciale dans la présente Règle, doivent être formulées par statement of claim ou par déclaration. [Non souligné dans l’original.]

[11]      Cependant, selon l’appelante, un nouveau régime a été mis en œuvre en 1998. En combinant les dispositions pertinentes de la Loi et des Règles, on constate que les poursuites intentées en vertu de l’article 53.2 de la Loi peuvent être introduites soit par voie de demande, soit par voie d’action.

[12]      L’intimée soutient pour sa part que les causes d’action invoquées par BBM Canada ne peuvent être introduites que par voie d’action en vertu de la partie 4 des Règles. Elle fait valoir que le processus de demande est exceptionnel; les poursuites ne peuvent être introduites par voie de demande que lorsque la question en litige est expressément mentionnée à la règle 300 [mod. par DORS/2002-417, art. 18(A); 2004-283, art. 37]. Aucune disposition de la Loi, ou de toute autre loi fédérale, ne prévoit ou ne permet qu’une procédure pour usurpation de marque de commerce, pour dépréciation de l’achalandage ou pour commercialisation trompeuse soit introduite par voie de demande.

Examen de la question

i.          L’économie générale des Règles : actions, demandes et appels

[13]      L’examen de la question débute par une analyse de l’économie générale des Règles. La règle 61 prévoit trois modes d’introduction d’une poursuite. Les poursuites peuvent être introduites par voie d’action, par voie de demande ou par voie d’appel. La règle 61 énonce ce qui suit :

61. (1) Sous réserve du paragraphe (4), l’instance visée à la règle 169 est introduite par voie d’action.

Actions

(2) Sous réserve du paragraphe (4), l’instance visée à la règle 300 est introduite par voie de demande.

Demandes

(3) L’instance visée à la règle 335 est introduite par voie d’appel.

Appels

(4) Lorsque l’instance visée aux règles 169 ou 300 est engagée sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en permet l’introduction par voie d’action ou de demande, le demandeur peut l’introduire de l’une ou l’autre de ces façons.

Choix du demandeur

[14]      La règle 61 quant à elle renvoie aux règles 169 [mod. par DORS/2004-283, art. 37], 300 et 335 [mod., idem], lesquelles établissent les circonstances dans lesquelles chaque mode introductif est applicable. Par exemple, la règle 335, à laquelle renvoie le paragraphe 61(3), énonce que la partie 6 [règles 335 à 357] des Règles s’applique aux appels des ordonnances de la Cour fédérale et aux appels des décisions de la Cour canadienne de l’impôt interjetés devant la Cour d’appel fédérale, ainsi qu’aux appels interjetés devant la Cour en vertu d’une loi fédérale. Il est bien établi que la partie 6 des Règles ne s’applique aucunement à la présente instance.

[15]      Le présent litige porte sur l’application correcte des règles 169 et 300, lesquelles traitent respectivement d’actions et de demandes.

ii.         Les règles 169 et 300

[16]      La règle 169 prévoit ce qui suit :

169. La présente partie s’applique aux instances, autres que les demandes et les appels, et notamment :

a) aux renvois visés à l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté;

b) aux demandes faites en vertu du paragraphe 33(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime;

c) aux instances introduites par voie d’action sous le régime d’une loi fédérale ou de ses textes d’application.

Application

[17]      La portée de la partie 4 est résiduelle. Les affaires qui ne sont pas dûment introduites par voie de demande ou par voie d’appel doivent l’être par voie d’action. Comme on peut le constater, les Règles prévoient la situation où le législateur accorde au plaideur le choix d’introduire l’instance par voie de demande ou d’action. L’alinéa 169c) précise que lorsque le législateur accorde cette possibilité, la poursuite peut être introduite par voie d’action.

[18]      Il découle du libellé de la règle 169 et de la nature résiduelle de la partie 4 des Règles que la question à déterminer en l’espèce dépend de la portée et de l’application véritables de la règle 300 et de la partie 5 des Règles.

[19]      La règle 300 dispose ce qui suit :

300. La présente partie s’applique :

a) aux demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives, y compris les demandes présentées en vertu des articles 18.1 ou 28 de la Loi, à moins que la Cour n’ordonne, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi, de les instruire comme des actions;

baux instances engagées sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande, de requête, d’avis de requête introductive d’instance, d’assignation introductive d’instance ou de pétition, ou le règlement par procédure sommaire, à l’exception des demandes faites en vertu du paragraphe 33(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime;

c) aux appels interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté;

d) aux appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce;

e) aux renvois d’un office fédéral en vertu de la règle 320;

f) aux demandes présentées en vertu du Code d’arbitrage commercial qui sont visées au paragraphe 324(1);

g) aux actions renvoyées à la Cour en vertu des paragraphes 3(3) ou 5(3) de la Loi sur le divorce;

h) aux demandes pour l’enregistrement, la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement étranger visées aux règles 327 à 334. [Non souligné dans l’original.]

Application

[20]      Pour les besoins du présent appel, seul l’alinéa 300b) est pertinent. Il faut donc répondre à la question suivante : l’instance en litige en est-elle une dont la Loi en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande? Si tel est le cas, l’instance en litige pourrait être dûment introduite par voie de demande.

iii. Qu’est‑ce que la Loi prévoit ou autorise?

[21]      Les articles 52 à 61 [art. 52 « dédouanement » (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 234), « droits » (mod., idem), « ministre » (mod., idem; 2005, ch. 38, art. 145), « tribunal » (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 234), 53 (mod., idem), 53.1 (édicté, idem), 53.2 (édicté, idem), 53.3 (édicté, idem), 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60 (mod., idem, art. 235, 236, 238), 61 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 177)] de la Loi sont regroupés sous la rubrique « Procédures judiciaires ». C’est à partir de ces dispositions qu’il faut déterminer l’intention du législateur quant à l’introduction d’une instance sous le régime de la Loi.

[22]      Il est bien établi que l’interprétation des lois consiste à examiner le sens ordinaire des mots et le contexte législatif dans lequel ils s’inscrivent. La Cour suprême a expliqué cette approche dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10, et l’a reprise dans l’arrêt Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 21. Dans cette cause, la Cour suprême a cité et analysé le passage suivant tiré de l’arrêt Hypothèques Trustco :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. [Paragraphe 10.]

S’il est clair, le libellé prévaut; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loi. [Non souligné dans l’original.]

iv.        Le texte de la loi et le contexte

[23]      La présente instance serait fondée sur l’article 53.2 de la Loi. L’article 53.2 permet au tribunal d’accorder un redressement lorsqu’il y a eu violation de la Loi. Il prévoit ce qui suit :

53.2 Lorsqu’il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu’un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu’il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d’injonction ou par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, pour l’imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard. [Non souligné dans l’original.]

Pouvoir du tribunal d’accorder une réparation

[24]      Cette disposition est muette quant à la façon dont cette procédure peut être introduite. Alors que l’article renvoie à une « demande de toute personne intéressée » (application of any interested person), pour les motifs énoncés ci-dessous, je suis d’accord avec l’intimée que, dans le présent contexte, le mot « demande » est utilisé au sens d’une demande en bonne et due forme et non au sens d’une instance introduite par la production d’un avis de demande. Étant donné que l’article 53.2 est muet quant à la façon dont l’instance visée par cet article doit être introduite, il faut considérer le contexte législatif afin de déterminer l’intention du législateur. Cette intention sera celle qui « convient le mieux à l’objet prédominant de la loi » (Celgene, au paragraphe 21).

[25]      Pour ce qui est du contexte législatif, je signale que les articles 52 à 61 de la Loi ont été reproduits en annexe des présents motifs. Les paragraphes qui suivent décrivent le contexte législatif établi par ces dispositions :

1. L’article 52 énonce certaines définitions qui s’appliquent aux articles 53 à 53.2 de la Loi. Le mot « tribunal » s’entend de la Cour fédérale ou de la cour supérieure d’une province. Il s’ensuit que les articles 53 à 53.2 de la Loi doivent être lus en tenant compte de l’intention du législateur qui voulait que les procédures dont il est question dans ces dispositions puissent être intentées devant divers tribunaux, chacun pouvant avoir des règles de procédure qui lui sont propres. Aucun des autres termes définis n’est pertinent pour la présente affaire.

2. L’article 53 autorise la rétention provisoire de marchandises faisant l’objet de contraventions « sur demande de toute personne intéressée » lorsque la distribution des marchandises serait contraire à la Loi. Le paragraphe 53(5) donne des indications quant à la présentation de la demande. Celle‑ci « peut être faite dans une action ou autrement, et soit sur avis, soit ex parte ».

3. L’article 53.1 autorise le tribunal, « sur demande du propriétaire d’une marque de commerce », à ordonner au ministre visé de détenir les marchandises. Le paragraphe 53.1(2) prévoit que cette demande « est faite dans une action ou toute autre procédure, sur avis adressé au ministre et, pour toute autre personne, soit sur avis, soit ex parte ».

4. L’article 53.2, invoqué par l’appelante, permet au tribunal d’accorder une réparation lorsqu’il est convaincu qu’un acte a été accompli contrairement à la Loi. La disposition donne une liste non exhaustive des réparations pouvant être accordées, mais elle ne donne aucune indication quant à la façon d’introduire la procédure.

5. L’article 55 de la Loi confirme la compétence de la Cour fédérale, c’est‑à‑dire qu’elle peut « connaître de toute action ou procédure en vue de l’application de la présente loi ou d’un droit ou recours conféré ou défini par celle‑ci ». Cela signifie que l’instance peut être introduite devant la Cour fédérale par voie d’action ou par voie de demande. La disposition ne limite pas la compétence de la Cour aux instances introduites par voie d’action.

6. L’article 56 prévoit qu’il peut être interjeté appel à la Cour fédérale d’une décision rendue par le registraire. Le paragraphe 56(2) précise que l’appel est interjeté au moyen d’un avis d’appel. Cela dit, l’alinéa 300d) énonce que la partie 5 des Règles, qui se rapporte aux demandes, s’applique aux appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi.

7. L’article 57 confirme la compétence exclusive de la Cour fédérale pour ordonner qu’une inscription au registre soit biffée ou modifiée. L’article 58 prévoit que cette demande est faite au moyen d’un avis de requête (maintenant appelé « avis de demande »), par une demande reconventionnelle dans une action pour usurpation de la marque de commerce ou par un exposé de réclamation dans une action demandant un redressement additionnel. Cela témoigne de l’intention de permettre à une partie demandant la radiation ou la modification d’une inscription au registre de choisir le mode d’introduction de l’instance, à savoir par voie de demande ou d’action si un redressement additionnel est demandé.

[26]      Compte tenu de ce contexte, les conclusions suivantes peuvent être tirées :

1. L’expression « sur demande » aux articles 53, 53.1, 53.2 et 57 devrait s’entendre d’une demande en bonne et due forme et non d’une instance introduite par la production d’un avis de demande. Cette conclusion découle du fait que les articles 53, 53.1 et 57 (lorsqu’ils sont lus avec l’article 58) prévoient que des « demandes » puissent être introduites par voie d’action. Interpréter l’expression « sur demande » comme s’entendant d’une instance introduite au moyen d’un avis de demande irait à l’encontre des dispositions expresses des articles 53, 53.1 et 57 (lorsqu’ils sont lus avec l’article 58).

2. Cette partie de la Loi décrit quatre types particuliers de procédures pouvant être intentées :

a. rétention provisoire de marchandises faisant l’objet de contraventions, en vertu de l’article 53;

b. ordonnance visant le ministre, en vertu de l’article 53.1;

c. appel des décisions du registraire, en vertu de l’article 56;

d. radiation ou modification d’entrées au registre, en vertu des articles 57 et 58.

La Loi et les Règles prévoient expressément les voies possibles pour intenter ces quatre procédures.

3. L’article 53.2 de la Loi confère un pouvoir général de réparation, autorisant le tribunal à rendre les ordonnances qu’il juge indiquées lorsqu’il est convaincu qu’« un acte a été accompli contrairement à la présente loi ». Dans ce cas, la Loi ne précise pas comment l’instance doit être introduite.

[27]      Comment ce silence doit‑il être interprété? Par son silence, le législateur voulait‑il que les poursuites intentées en vue d’obtenir réparation par suite d’actes accomplis contrairement à la Loi puissent être introduites par voie de demande ou par voie d’action? Subsidiairement, par son silence, le législateur voulait‑il que ces poursuites ne puissent être intentées que par voie d’action? L’interprétation qui devra être choisie est celle qui satisfait à l’objet prédominant de la Loi.

[28]      La Loi vise deux objets : protéger les consommateurs et faciliter le choix d’une marque de commerce pour des produits (voir Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, aux paragraphes 21 à 23). La partie de la Loi qui s’intitule « Procédures judiciaires » a pour objet de procurer un redressement par suite de violations de la Loi. À mon avis, une interprétation qui favorise l’accès aux tribunaux d’une manière aussi rapide et proportionnée que possible permet de satisfaire davantage à l’objet de la Loi dans son ensemble et à celui de la partie intitulée « Procédures judiciaires » en particulier. Pour faciliter un accès rapide et proportionné aux tribunaux, l’article 53.2 de la Loi devrait être interprété de sorte à permettre que les procédures soient introduites par voie de demande ou par voie d’action. Il serait ainsi possible, dans les cas appropriés, d’accéder au processus plus sommaire au moyen d’une demande. Rien dans le libellé de la Loi n’empêche cette interprétation.

[29]      La décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Chilian v. Augdome Corp. (1991), 2 O.R. (3d) 696, étaye également cette interprétation. La question en litige dans Chilian était de savoir si une poursuite intentée en vue d’obtenir réparation, en vertu de l’article 247 de la Business Corporations Act, 1982, S.O. 1982, ch. 4 (recours en cas d’abus), aurait dû être introduite par voie de demande, et non par voie d’action. L’article 247 permettait à diverses entités de « présenter une requête au tribunal en vue d’obtenir une ordonnance aux termes du présent article ». Les règles de procédure applicables étaient la règle 14.02 (mod. par Règl. de l’Ont. 711/89, art. 13) et le paragraphe 14.05(2) (mod. par Règl. de l’Ont. 711/89, art. 14) [Règles de Procédure Civile, Règl. de l’Ont. 560/84] qui prévoient ce qui suit :

14.02 Sauf disposition contraire d’une loi ou des présentes règles, les instances sont introduites devant le tribunal par voie d’action.

[…]

14.05 […]

(2) Une instance peut être introduite par requête à la Cour de l’Ontario (Division générale) ou à un de ses juges, si une loi l’autorise.

[30]      Par conséquent, les règles applicables devant la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Chilian étaient semblables aux règles pertinentes de la Cour fédérale.

[31]      À la page 710 des motifs, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que [traduction] « si une loi autorise simplement une personne à “ présenter ” une requête à un tribunal en vue d’obtenir une réparation définie, aucune forme particulière de procédure n’est prescrite — demande ou action ». Si ni l’une ni l’autre de ces procédures n’est obligatoire, l’une et l’autre sont autorisées. Incidemment, je note que, suivant l’arrêt Chilian, l’action pour usurpation peut être introduite par avis de demande en Ontario.

[32]      Pour conclure que la poursuite visant à obtenir une réparation par suite d’une violation de la Loi peut être introduite par voie d’action ou de demande, j’ai tenu compte de l’argument de l’intimée selon lequel cette interprétation rend redondants l’article 58 et les paragraphes 53(5) et 53.1(2). À mon avis, les choix procéduraux particuliers offerts aux paragraphes 53(5) et 53.1(2) de la Loi ont été ajoutés afin qu’une procédure expéditive soit offerte dans tous les ressorts pour les affaires de nature urgente ou dépendantes du facteur temps. Les procédures particulières détaillées au paragraphe 56(2) et à l’article 58 de la Loi se rapportent aux poursuites relevant uniquement de la compétence de la Cour fédérale et s’attachent aux recours particuliers prévus par la loi pour contester les décisions du registraire ou les inscriptions au registre. Une interprétation de l’article 53.2 de la Loi qui autorise les instances introduites par voie de demande ou par voie d’action ne rend pas ces dispositions redondantes.

[33]      Enfin, j’ai examiné l’argument de l’intimée selon lequel les affaires d’usurpation de marque de commerce, de dépréciation de l’achalandage et de commercialisation trompeuse sont trop complexes pour être tranchées au moyen d’une demande. Il existe deux réponses à cet argument.

[34]      Premièrement, ces affaires ne sont pas toutes complexes au point qu’il ne soit pas possible de les trancher au moyen d’une demande. Cela ressort clairement de la décision Pharmacommunications Holdings Inc. c. Avencia International Inc., 2008 CF 828, confirmée par 2009 CAF 144, où le demandeur a procédé par voie de demande en vue d’obtenir un jugement déclaratoire et une injonction permanente, alors qu’il alléguait que l’intimée s’était livrée à une imitation frauduleuse contraire à la loi. L’affaire a été tranchée sans qu’il ne soit véritablement opposé que la demande avait été présentée de manière inappropriée.

[35]      Deuxièmement, le fait qu’une partie à un litige peut généralement choisir de procéder au moyen d’une action ou d’une demande ne signifie pas que toutes les poursuites peuvent être tranchées dans le cadre d’une demande. Dans un cas donné, les circonstances telles que la réparation demandée, la mesure dans laquelle la crédibilité est en cause ou la nécessité d’un interrogatoire préalable peuvent faire en sorte qu’il soit inapproprié d’intenter une procédure par voie de demande. Ainsi, des requêtes pourraient être déposées en vue de contester le bien‑fondé d’une procédure introduite par voie de demande. Par exemple, sans me prononcer sur ce point, il serait possible de demander une ordonnance convertissant une demande en action. Voir, par exemple, Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. v. Worldwide Tobacco Distribution Inc. (2008), 73 C.P.R. (4th) 131 (C.F.) où il a été ordonné qu’une demande fondée sur l’article 34 [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20] de la Loi sur le droit d’auteur [L.R.C. (1985), ch. C-42], cité dans les motifs, soit instruite comme une action. Des requêtes peuvent également être présentées en vertu de l’article 316 des Règles. Même si la règle 57 des Règles prévoit qu’un acte introductif d’instance ne doit pas être annulé du simple fait que l’instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d’instance, le fait de choisir un acte introductif d’instance inapproprié peut entraîner à tout le moins des conséquences quant aux frais.

Conclusion

[36]      Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler l’ordonnance modifiée de la Cour fédérale datée du 27 septembre 2010 (sauf en ce qui concerne la gestion de l’instance) et de rejeter la requête présentée par l’intimée Research In Motion Limited en vue d’obtenir une ordonnance portant rejet de la demande relative à l’absence de compétence. Comme l’appelante n’a pas demandé les dépens, aucuns dépens ne seront adjugés. Étant donné que la question de la pertinence de procéder au moyen d’une demande dans le cadre de la présente instance n’a pas été tranchée, je préciserais que la présente décision n’empêche pas l’intimée de chercher plus tard à remédier au fait que l’instance a été introduite par voie de demande.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Layden-Stevenson, J.C.A. : Je suis d’accord.

ANNEXE

Les articles 52 à 61 de la Loi sur les marques de commerce se lisent comme suit :

52. Les définitions qui suivent s’appliquent aux articles 53 à 53.3.

Définitions

« dédouanement » S’entend au sens de la Loi sur les douanes.

« dédouanement »

release

« droits » S’entend au sens de la Loi sur les douanes.

« droits »

duties

« ministre » Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

« ministre »

Minister

« tribunal » La Cour fédérale ou la cour supérieure d’une province.

« tribunal »

court

53. (1) S’il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu’une marque de commerce déposée ou un nom commercial a été appliqué à des marchandises importées au Canada ou qui sont sur le point d’être distribuées au Canada de telle façon que la distribution de ces marchandises serait contraire à la présente loi, ou qu’une indication de lieu d’origine a été illégalement appliquée à des marchandises, le tribunal peut rendre une ordonnance décrétant la rétention provisoire des marchandises, en attendant un prononcé final sur la légalité de leur importation ou distribution, dans une action intentée dans le délai prescrit par l’ordonnance.

Rétention provisoire de marchandises faisant l’objet de contraventions

(2) Avant de rendre une ordonnance sous le régime du paragraphe (1), le tribunal peut exiger du demandeur qu’il fournisse une garantie, au montant fixé par le tribunal, destinée à répondre de tous dommages que le propriétaire, l’importateur ou le consignataire des marchandises peut subir en raison de l’ordonnance, et couvrant tout montant susceptible de devenir imputable aux marchandises pendant qu’elles demeurent sous rétention selon l’ordonnance.

Garantie

(3) Lorsque, aux termes du jugement dans une action intentée aux termes du présent article déterminant de façon définitive la légalité de l’importation ou de la distribution des marchandises, l’importation ou la distribution en est interdite soit absolument, soit de façon conditionnelle, un privilège couvrant des charges contre ces marchandises ayant pris naissance avant la date d’une ordonnance rendue sous le régime du présent article n’a d’effet que dans la mesure compatible avec l’exécution du jugement.

Privilège pour charges

 (4) Lorsque, au cours de l’action, le tribunal trouve que cette importation est contraire à la présente loi, ou que cette distribution serait contraire à la présente loi, il peut rendre une ordonnance prohibant l’importation future de marchandises auxquelles a été appliquée cette marque de commerce, ce nom commercial ou cette indication de lieu d’origine.

Importations interdites

(5) La demande prévue au paragraphe (1) peut être faite dans une action ou autrement, et soit sur avis, soit ex parte.

Demandes

(6) Dans le cas où une procédure peut être engagée en vertu de l’article 53.1 pour la détention de marchandises par le ministre, il n’est pas possible d’intenter l’action prévue au paragraphe (1) pour la rétention provisoire par le Ministre.

Restriction

53.1 (1) S’il est convaincu, sur demande du propriétaire d’une marque de commerce, que des marchandises auxquelles a été appliquée une marque de commerce sont sur le point d’être importées au Canada ou ont été importées au Canada sans être dédouanées et que la distribution de ces marchandises serait contraire à la présente loi, le tribunal peut :

a) ordonner au ministre de prendre, sur la foi de renseignements que celui-ci a valablement exigés du demandeur, toutes mesures raisonnables pour détenir les marchandises;

b) ordonner au ministre d’aviser sans délai le demandeur et le propriétaire ou l’importateur des marchandises de leur détention en mentionnant ses motifs;

c) prévoir, dans l’ordonnance, toute autre mesure qu’il juge indiquée.

Ordonnance visant le ministre

(2) La demande est faite dans une action ou toute autre procédure, sur avis adressé au ministre et, pour toute autre personne, soit sur avis, soit ex parte.

Demande

(3) Avant de rendre l’ordonnance, le tribunal peut obliger le demandeur à fournir une garantie, d’un montant déterminé par le tribunal, en vue de couvrir les droits, les frais de transport et d’entreposage, et autres ainsi que les dommages que peut subir, du fait de l’ordonnance, le propriétaire, l’importateur ou le consignataire des marchandises.

Garantie

(4) Le ministre peut s’adresser au tribunal pour obtenir des instructions quant à l’application de l’ordonnance.

Demande d’instructions

(5) Le ministre peut donner au demandeur ou à l’importateur la possibilité d’inspecter les marchandises en détention afin de justifier ou de réfuter les prétentions du demandeur.

Permission du ministre d’inspecter

(6) Sauf disposition contraire d’une ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) et sous réserve de la Loi sur les douanes ou de toute autre loi fédérale prohibant, contrôlant ou réglementant les importations ou les exportations, le ministre dédouane les marchandises, sans autre avis au demandeur, si, dans les deux semaines qui suivent la notification prévue à l’alinéa (1)b), il n’a pas été avisé qu’une action a été engagée pour que le tribunal se prononce sur la légalité de l’importation ou de la distribution des marchandises.

Obligations du demandeur

(7) Lorsque, au cours d’une action intentée sous le régime du présent article, il conclut que l’importation est, ou que la distribution serait, contraire à la présente loi, le tribunal peut rendre toute ordonnance qu’il juge indiquée, notamment quant à leur destruction ou à leur restitution au demandeur en toute propriété.

Destruction ou restitution des marchandises

53.2 Lorsqu’il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu’un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu’il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d’injonction ou par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, pour l’imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.

Pouvoir du tribunal d’accorder une réparation

53.3 Dans les procédures engagées en vertu des articles 53.1 ou 53.2, le tribunal ne peut, en vertu de ces articles, sauf dans des circonstances exceptionnelles, rendre une ordonnance prévoyant l’exportation en l’état de marchandises s’il conclut :

a) d’une part, que les marchandises, portant une marque de commerce déposée, ont été importées de telle façon que leur distribution au Canada serait contraire à la présente loi;

b) d’autre part, que la marque a été appliquée sans le consentement du propriétaire et avec l’intention de la contrefaire ou de l’imiter, ou de tromper le public et de le porter à croire que les marchandises ont été fabriquées avec le consentement du propriétaire.

Réexportation des marchandises

54. (1) La preuve d’un document, ou d’un extrait d’un document, en la garde officielle du registraire peut être fournie par la production d’une copie du document ou de l’extrait, donnée comme étant certifiée conforme par le registraire.

Preuve

(2) Une copie de toute inscription dans le registre, donnée comme étant certifiée conforme par le registraire, fait foi des faits y énoncés.

Idem

(3) Une copie de l’inscription de l’enregistrement d’une marque de commerce, donnée comme étant certifiée conforme par le registraire, fait foi des faits y énoncés et de ce que la personne y nommée comme propriétaire est le propriétaire inscrit de cette marque de commerce aux fins et dans la région territoriale qui y sont indiquées.

Idem

(4) Une copie d’une inscription faite ou de documents produits sous l’autorité de toute loi relative aux marques de commerce jusqu’ici en vigueur, certifiée en vertu d’une telle loi, est admissible en preuve et a la même force probante qu’une copie certifiée par le registraire aux termes de la présente loi, ainsi qu’il est prévu au présent article.

Idem

55. La Cour fédérale peut connaître de toute action ou procédure en vue de l’application de la présente loi ou d’un droit ou recours conféré ou défini par celle-ci.

Juridiction de la Cour fédérale

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

Appel

(2) L’appel est interjeté au moyen d’un avis d’appel produit au bureau du registraire et à la Cour fédérale.

Procédure

(3) L’appelant envoie, dans le délai établi ou accordé par le paragraphe (1), par courrier recommandé, une copie de l’avis au propriétaire inscrit de toute marque de commerce que le registraire a mentionnée dans la décision sur laquelle porte la plainte et à toute autre personne qui avait droit à un avis de cette décision.

Avis au propriétaire

(4) Le tribunal peut ordonner qu’un avis public de l’audition de l’appel et des matières en litige dans cet appel soit donné de la manière qu’il juge opportune.

Avis public

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

Preuve additionnelle

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

Juridiction exclusive de la Cour fédérale

(2) Personne n’a le droit d’intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d’interjeter appel.

Restriction

58. Une demande prévue à l’article 57 est faite par la production d’un avis de requête, par une demande reconventionnelle dans une action pour usurpation de la marque de commerce ou par un exposé de réclamation dans une action demandant un redressement additionnel en vertu de la présente loi.

Comment sont intentées les procédures

59. (1) Lorsqu’un appel est porté sous le régime de l’article 56 par la production d’un avis d’appel, ou qu’une demande est faite selon l’article 57 par la production d’un avis de requête, l’avis indique tous les détails des motifs sur lesquels la demande de redressement est fondée.

L’avis indique les motifs

(2) Toute personne à qui a été signifiée une copie de cet avis, et qui entend contester l’appel ou la demande, selon le cas, produit et signifie, dans le délai prescrit ou tel nouveau délai accordé par le tribunal, une réplique indiquant tous les détails des motifs sur lesquels elle se fonde.

Réplique

(3) Les procédures sont entendues et décidées par voie sommaire sur une preuve produite par affidavit, à moins que le tribunal n’en ordonne autrement, auquel cas il peut prescrire que toute procédure permise par ses règles et sa pratique soit rendue disponible aux parties, y compris l’introduction d’une preuve orale d’une façon générale ou à l’égard d’une ou de plusieurs questions spécifiées dans l’ordonnance.

Audition

60. (1) Sous réserve du paragraphe (2), lorsqu’un appel ou une demande a été présenté à la Cour fédérale en vertu de l’une des dispositions de la présente loi, le registraire transmet à ce tribunal, à la requête de toute partie à ces procédures et sur paiement du droit prescrit, tous les documents versés aux archives de son bureau quant aux questions en jeu dans ces procédures ou des copies de ces documents par lui certifiées.

Le registraire transmet les documents

(2) La divulgation des documents sur lesquels s’appuient les inscriptions figurant dans le registre prévu à l’alinéa 26(1)b) est régie par le paragraphe 50(6) de la Loi sur les marques de commerce, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 69 de la Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle.

Registre des usagers inscrits

61. Un fonctionnaire du greffe de la Cour fédérale produit au registraire une copie certifiée de tout jugement ou de toute ordonnance de la Cour fédérale, de la Cour d’appel fédérale ou de la Cour suprême du Canada relativement à une marque de commerce figurant au registre.

Production des jugements

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