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[2013] 4 R.C.F. 345

IMM-5890-11

2012 CF 262

Erik Feimi (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Feimi c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Martineau—Winnipeg, 15 février; Ottawa, 27 février 2012.

* Note de l’arrêtiste : Cette décision a été confirmée en appel (A-90-12, 2012 CAF 325), les motifs du jugement ayant été prononcés le 7 décembre 2012.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a refusé l’asile au demandeur, en application de l’art. 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et de l’art. 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés — Le demandeur, un Albanais, a été condamné en Grèce pour meurtre — Il a été détenu par les autorités de l'immigration à son arrivée au Canada en tant que réfugié — Il est devenu admissible à présenter une demande d'asile consécutivement à la conclusion de Citoyenneté et Immigration Canada qu’il ne représente pas un danger pour le public — Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (MSPPC) a obtenu l’exclusion du demandeur au motif qu’il a commis un crime grave de droit commun — Il s’agissait de savoir si le MSPPC était en mesure de demander l’exclusion du demandeur d’asile après avoir conclu que le demandeur ne constituait pas un danger et si la Commission peut tenir compte de la réadaptation et de l’avis selon lequel le demandeur ne constitue pas un danger lorsqu’il y a demande d’exclusion — Le MSPPC avait le droit de demander l’exclusion — Une décision favorable quant à la recevabilité ne peut être considérée en elle-même comme une décision définitive sur la question de savoir si les clauses d’exclusion s’appliquent — L’art. 170e) de la LIPR permet au MSPPC d’intervenir dans un dossier de réfugié — La nature et les effets des décisions prises aux étapes de la recevabilité, de l’audience sur la demande d’asile et de l’examen des risques avant renvoi sont différents — La Commission n’a pas commis d’erreur en omettant de tenir compte de la réadaptation du demandeur ou du danger qu’il représente actuellement pour le public — La Commission a correctement défini la question fondamentale de savoir si le demandeur a commis un crime grave de droit commun — La réadaptation et le danger n’ont pas de valeur probante — La décision de la commission était raisonnable — Des questions ont été certifiées quant à savoir si le MSPPC peut demander l’exclusion après avoir conclu que le demandeur ne constitue pas un danger et si, en appliquant l’art. 1Fb), la Commission devait considérer la réadaptation du demandeur et le danger qu’il pouvait représenter — Demande rejetée.

Il s’agissait d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a refusé l’asile au demandeur, en application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention).

Le demandeur, un citoyen de l'Albanie, a été reconnu coupable et condamné à une peine d’emprisonnement en Grèce pour avoir assassiné un homme qui avait agressé sa sœur. Il a été renvoyé en Albanie, mais il ne pouvait plus y vivre parce que l’homicide avait déclenché une vendetta. Dès son arrivée au Canada en tant que réfugié, le demandeur a informé les autorités de l’immigration de son histoire et a été placé en détention. Le demandeur a pu présenter une demande d’asile après que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) eut conclu qu’il ne constituait pas un danger pour le public. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (MSPPC) a refusé l’asile au demandeur parce qu’il avait commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admis comme réfugié en vertu de l'alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

Le demandeur a prétendu, entre autres, que le régime législatif actuel ne permet pas au MSPPC d’intervenir à l’étape de la détermination du statut de réfugié et de demander l’exclusion d’un demandeur quand CIC a auparavant refusé de délivrer un avis de danger à l’étape de la recevabilité, conformément à la LIPR. Le demandeur a également fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit en refusant de considérer des éléments de preuve postérieurs à la perpétration du crime qui étaient pertinents quand elle a déterminé si le demandeur avait commis un « crime grave de droit commun » en dehors du Canada.

Il s’agissait de savoir si le MSPPC peut demander l’exclusion d’un demandeur d’asile quand CIC a déterminé que le demandeur ne constitue pas un danger; si la Commission peut tenir compte de la réadaptation et de l’avis selon lequel le demandeur ne constitue pas un danger quand le MSPPC demande l’exclusion; et si la décision d’exclusion prise finalement par la Commission était raisonnable.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Le MSPPC était autorisé par la loi à demander l’exclusion du demandeur en vertu de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, malgré l’avis de danger négatif qui avait été rendu à l’étape de la recevabilité. Une décision favorable quant à la recevabilité ne peut constituer une décision définitive sur la question de savoir si l’une des clauses d’exclusion de la Convention et de la LIPR s’applique, qu’il y ait eu ou non un avis de danger. De plus, l’alinéa 170e) de la LIPR permet expressément au MSPPC d’intervenir dans un dossier de réfugié et de demander l’exclusion d’un demandeur. La protection des réfugiés et la protection à l’étape de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) ne sont pas nécessairement les mêmes, et la comparaison de l’article 98 avec les articles 112 et 113 de la LIPR fait ressortir des différences. Si la même conduite criminelle sous­jacente est pertinente, la nature et les effets des décisions prises aux étapes de la recevabilité, de l’audience sur la demande d’asile et de l’ERAR dépendent d’un ensemble différent de principes et de dispositions législatives applicables.

La Commission n’a pas commis d’erreur en omettant de tenir compte de la réadaptation du demandeur ou du danger qu’il représente actuellement. Le Conseil a correctement défini dans ses motifs la question fondamentale de savoir si le demandeur a commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada avant de venir au Canada. La présomption de gravité n’est pas absolue et peut être réfutée par l’évaluation de l’ensemble des circonstances de l’affaire décrites dans Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), y compris les circonstances atténuantes et aggravantes quant à la nature des crimes commis et non quant à la réadaptation du demandeur. La réadaptation et l’actualité du danger n’ont pas de valeur probante pour ce qui est de la question de savoir si le demandeur a commis un crime de droit commun. Il n’y avait aucune raison en droit de s’écarter de la jurisprudence qui circonscrit la portée des circonstances atténuantes et aggravantes. Finalement, il était raisonnable pour la Commission de conclure, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que le demandeur a commis un crime grave de droit commun avant de venir au Canada, et devrait donc être exclu.

Des questions ont été certifiées quant à savoir si le MSPPC peut demander l’exclusion dans le cadre d’une audience de la Commission en se fondant sur la même conduite criminelle sous-­jacente que celle sur laquelle a reposé sans succès la demande d’avis de danger, et si la Commission devrait considérer la réadaptation du demandeur et le danger qu’il représente pour le public en appliquant l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 98, 101, 112, 113, 170.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. n° 6, art. 1Fb).

JURISPRUDENCE CITÉE

Décisions examinées :

Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164, confirmant 2008 CF 238; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304; Martinez Cuero c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 191; Rojas Camacho c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 789; Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1103; Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761.

Décisions citées :

Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; Sapru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 35, [2012] 4 R.C.F. 3; Brzezinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 525 (1re inst.); Ovcharuk v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs (1998), 158 A.L.R. 289 (Aust. F.C.); Maldonado c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.); Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum, [1989] A.C.F. n° 505 (C.A.) (QL).

DOCTRINE CITÉE

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, réédition janvier 1992.

Demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (X (Re), 2011 CanLII 98759) qui a refusé l’asile au demandeur, en application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

David Matas pour le demandeur.

Sharlene Telles-Langdon et Alexander Menticoglou pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

David Matas, Winnipeg, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Martineau : Le demandeur conteste la légalité d’une décision datée du 26 juillet 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) [X (Re), 2011 CanLII 98759] lui a refusé l’asile, en application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention).

CONTEXTE

[2]        Le demandeur est un citoyen de l’Albanie âgé de 43 ans qui a déménagé en Grèce avec d’autres membres de sa famille en 1990 pour y travailler. Le soir du 4 septembre 1996, le demandeur a été arrêté à Hydra, en Grèce, et accusé du meurtre dans un accès de colère d’un autre citoyen albanais, de port d’armes sans permis et d’utilisation illicite d’armes. Ce soir‑là, le demandeur allait prendre sa sœur à l’hôtel où elle travaillait quand il l’a vue se faire agresser sexuellement par cet homme. Le demandeur est intervenu et, pendant l’altercation, il a poignardé l’agresseur avec un canif. Ce dernier s’est enfui, mais il est mort de ses blessures plus tard le même soir.

[3]        Le 12 mai 1997, le demandeur a été reconnu coupable à chacun des trois chefs d’accusation et condamné à une peine d’emprisonnement de 12 ans et 6 mois, réduite à 11 ans, 9 mois et 22 jours en raison du temps déjà passé en détention. La peine a été révisée en appel et réduite à 11 ans et 6 mois d’emprisonnement. Le demandeur a été libéré le 11 juin 2003, après avoir purgé la moitié de sa peine initiale dans une prison de Larissa, en Grèce. Il a été reconduit à la frontière de l’Albanie le 23 juin 2003. Toutefois, semble‑t‑il, le demandeur et sa famille ne pouvaient plus vivre en Albanie parce que l’homicide avait déclenché une vendetta entre la famille de l’agresseur et celle du demandeur. Après avoir traversé l’Europe, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un faux passeport grec le 21 décembre 2004.

[4]        La sœur et les deux frères du demandeur, ainsi que sa femme et sa fille de 11 ans, ont obtenu l’asile au Canada. Les parents du demandeur ont été parrainés par leurs enfants et sont aussi des résidents permanents du Canada. À son arrivée au Canada, le demandeur a raconté toute son histoire aux autorités de l’immigration. Détenu jusqu’en janvier 2007, il a ensuite été libéré sous conditions par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Entre-temps, la décision concernant la demande d’asile a été retardée jusqu’à l’issue d’une demande faite le 1er juin 2005 par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), laquelle relève du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (MSPPC), qui voulait obtenir l’avis du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (MCI) sur le danger que représentait le demandeur pour le public au Canada.

[5]        Dans une décision datée du 4 janvier 2007 (l’avis de danger), le MCI a déterminé que le demandeur ne représentait pas un danger pour le public, estimant que le demandeur n’était pas prédisposé à commettre d’autres actes violents même s’il avait déjà perpétré un crime grave dans le passé. Le demandeur pouvait donc présenter une demande d’asile. Le 22 mars 2010, le MSPPC a informé le demandeur de son intention d’intervenir devant la Commission et de demander à celle‑ci de refuser l’asile au demandeur parce qu’il avait « commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être [admis] comme [réfugié] », aux termes de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. C’est sur ce fondement que la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

NORME DE CONTRÔLE ET DÉTERMINATION

[6]        Pour déterminer si le demandeur est une personne visée à la l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, la Commission doit examiner des questions mixtes de fait et de droit qui doivent, à ce titre, être généralement contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164 (Jayasekara), au paragraphe 14, approuvant la décision 2008 CF 238, au paragraphe 10). En parlant de la norme de la décision raisonnable, la Cour suprême du Canada a expliqué que le caractère raisonnable tenait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

[7]        La cour de révision s’abstiendra normalement de substituer sa propre opinion quant à l’interprétation de la loi constitutive du tribunal administratif, sauf lorsque la question soulevée est constitutionnelle, revêt une importance capitale pour le système juridique ou délimite la compétence du tribunal concerné par rapport à celle d’un autre tribunal spécialisé (Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, au paragraphe 37). En l’espèce, la Commission n’était pas expressément chargée de répondre à l’une ou l’autre des questions d’importance générale du demandeur qui figurent ci‑dessous, et ses motifs ne contiennent aucune vraie discussion ou analyse des arguments de droit avancés par les parties quant à l’interprétation et à l’application générales de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention ou des articles 98, 101, 112, 113 et 170 de la LIPR.

[8]        Avant d’apprécier le caractère raisonnable de la décision contestée, formulons les questions soulevées par le demandeur :

a) Lorsque le MCI rejette une demande d’avis de danger présentée par l’ASFC, qui relève du MSPPC, aux fins d’application de l’alinéa 101(2)b) de la LIPR, le MSPPC peut‑il demander l’exclusion dans le cadre d’une audience de la Commission en se fondant sur la même conduite criminelle que celle sur laquelle repose la demande d’avis de danger de l’ASFC?

b) En appliquant l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, la Commission devrait‑elle considérer :

i) La réadaptation du demandeur du statut de réfugié depuis la perpétration de l’infraction en question?

ii) Le fait que le MCI a déterminé que le demandeur du statut de réfugié ne constitue pas un danger pour le public au Canada?

[9]        Il n’est pas contesté que la première question ci‑dessus soulève une pure question de droit qui permet l’interprétation de la loi habilitante de la Commission (la LIPR), sur un aspect toutefois que la Commission ne connaît pas nécessairement très bien (c.‑à‑d. les dispositions de la Section 3 [de la Partie 2] — Examen des risques avant renvoi). En ce qui concerne la deuxième question, l’essentiel de l’attaque du demandeur dépend de la portée du critère mentionné dans l’arrêt Jayasekara, précité, une pure question de droit qui doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte (par analogie, voir Sapru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 35, [2012] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 26. Les deux parties conviennent qu’il s’agit de questions graves de portée générale; en fait, la Cour a accepté de les certifier, car il est important d’avoir des principes directeurs qui auront un caractère jurisprudentiel et obligatoire.

[10]      Pour les motifs mentionnés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Il n’y a pas préclusion, et même si le MCI a jugé que le demandeur ne représentait pas un danger, rien n’empêchait le MSPPC de demander l’exclusion du demandeur en raison de la gravité du crime pour lequel ce dernier avait été condamné. La Commission a également déterminé correctement le critère à appliquer pour décider si le demandeur devait être frappé d’exclusion aux termes de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, à savoir les facteurs indiqués dans l’arrêt Jayasekara. En outre, d’après la jurisprudence de la Cour, la réadaptation et l’actualité du danger pour la sécurité publique n’ont pas de valeur probante pour ce qui est de cette décision. Globalement, compte tenu des faits de l’espèce, la décision que la Commission a finalement prise de refuser l’asile au demandeur est raisonnable, et constitue une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

CADRE JURIDIQUE

[11]      L’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention est rédigée comme suit :

Article premier

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[…]

b)   qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

[12]      L’article 98 de la LIPR intègre comme suit la clause d’exclusion de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

[13]      Les autres dispositions législatives applicables sont les suivantes :

101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

[…]

f) prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux — exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) — , grande criminalité ou criminalité organisée.

Irrecevabilité

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité visée à l’alinéa (1)f) n’emporte irrecevabilité de la demande que si elle a pour objet :

[…]

b) une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada, pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, le ministre estimant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

[…]

Grande criminalité

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[…]

Demande de protection

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

Restriction

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

[…]

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

[…]

Examen de la demande

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

a) procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien-fondé de la demande;

b) dispose de celle-ci par la tenue d’une audience;

c) convoque la personne en cause et le ministre;

d) transmet au ministre, sur demande, les renseignements et documents fournis au titre du paragraphe 100(4);

e) donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;

f) peut accueillir la demande d’asile sans qu’une audience soit tenue si le ministre ne lui a pas, dans le délai prévu par les règles, donné avis de son intention d’intervenir;

g) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

h) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision;

i) peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

Fonctionnement

[14]      Compte tenu du cadre juridique présenté ci‑dessus et de la jurisprudence pertinente, la Cour examinera maintenant à tour de rôle : i) si le MSPPC peut demander l’exclusion d’un demandeur d’asile quand le MCI a déterminé que le demandeur ne constitue pas un danger; ii) si la Commission peut tenir compte de la réadaptation et de l’avis selon lequel le demandeur ne constitue pas un danger quand le MSPPC demande l’exclusion; iii) si la décision d’exclusion prise finalement par la Commission est raisonnable dans l’ensemble.

AVIS DE DANGER À L’ÉTAPE DE LA RECEVABILITÉ

[15]      D’abord, le demandeur soutient que le régime législatif actuel ne permet pas au MSPPC d’intervenir à l’étape de la détermination du statut de réfugié et de demander l’exclusion d’un demandeur quand le MCI a auparavant refusé de délivrer un avis de danger à l’étape de la recevabilité, conformément à la LIPR. Selon le demandeur, une fois que le MCI a refusé une demande d’avis de danger présentée par l’ASFC, le MSPPC ne peut demander l’exclusion du demandeur en se fondant sur le même motif que celui sur lequel repose la demande d’avis de danger parce qu’il y a préclusion, le MCI ayant déjà déterminé que le demandeur n’était pas prédisposé à commettre d’autres actes violents même s’il avait déjà perpétré un crime grave dans le passé.

[16]      Par ailleurs, le défendeur soutient que la LIPR prévoit explicitement des situations où le MCI peut avoir à évaluer le danger deux fois pour la même personne : une fois en vue de déterminer si la demande du demandeur devrait être renvoyée à la Commission pour audience et décision, et une autre fois en vue de déterminer si le demandeur a droit à la protection aux termes de l’article 112 de la LIPR. Ainsi, lorsqu’il doit se pencher sur la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) d’une personne reconnue coupable d’un crime grave à l’étranger, le MCI doit examiner, ou réexaminer, si la personne constitue un danger pour le public afin de déterminer, cette fois, si ce risque pèse aussi lourd que le risque auquel serait exposé le demandeur s’il était renvoyé de force du Canada. Dans le cas d’un réexamen à l’étape de l’ERAR, il y aurait préclusion seulement si les circonstances ne changeaient pas.

[17]      La Cour convient sans réserve avec le défendeur qu’une décision favorable quant à la recevabilité ne peut être considérée en elle-même comme une décision définitive sur la question de savoir si l’une des clauses d’exclusion de la Convention et de la LIPR s’applique, qu’il y ait eu ou non un avis de danger. De plus, l’alinéa 170e) de la LIPR permet expressément au ministre d’intervenir dans un dossier de réfugié et de demander l’exclusion d’un demandeur. La protection des réfugiés et la protection à l’étape de l’ERAR ne sont pas nécessairement les mêmes, et la comparaison de l’article 98 avec les articles 112 et 113 de la LIPR fait ressortir des différences.

[18]      La Cour d’appel fédérale a établi clairement, dans l’arrêt Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304, aux paragraphes 29, 30 et 33, que les personnes comme le demandeur qui ont été déboutées de leur demande d’asile par la Commission en application de la section F de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la LIPR peuvent néanmoins obtenir une ERAR :

Le paragraphe 112(3) énumère les personnes qui n’ont pas droit à l’asile, notamment celles qui ont été déboutées de leur demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention, ainsi qu’il est précisé à l’article 98 de la Loi […]

   Ce n’est cependant pas parce que l’asile est refusé à quelqu’un qu’il n’a droit à aucune protection. L’article 113 précise en effet que les personnes visées au paragraphe 112(3) ont droit à ce que leur demande de protection soit décidée d’une part sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et d’autre part, en fonction de la question de savoir si elles constituent un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada.

[…]

   Voilà donc l’économie de la Loi en ce qui concerne la façon de trancher les demandes de protection. Elle comporte deux volets, le premier concernant les demandes d’asile et le second, les demandes de protection dans le contexte de l’examen des risques avant renvoi. Ceux qui font l’objet de l’exclusion prévue à l’article 98 n’ont pas droit à l’asile mais peuvent présenter une demande de protection à l’étape de l’examen des risques avant renvoi. Les motifs qui peuvent fonder la demande de protection sont les mêmes, mais le ministre peut se demander si le fait d’accorder la protection porterait atteinte à la sécurité du public ou à celle du Canada. Si la protection est accordée, il y a sursis de la mesure de renvoi prise contre le demandeur. Ce dernier ne peut obtenir le statut de résident permanent aussi facilement que la personne à qui l’asile a été conféré. [Non souligné dans l’original.]

[19]      En conclusion sur ce point, en ce qui concerne l’audience devant la Commission et la détermination du statut de réfugié, il ne saurait y avoir préclusion. En l’espèce, aucune confusion n’est possible, et les questions à trancher ne sont pas identiques. Si la même conduite criminelle sous‑jacente peut être pertinente, la nature et les effets des décisions prises aux étapes de la recevabilité, de l’audience sur la demande d’asile et de l’ERAR dépendent d’un ensemble différent de principes et de dispositions législatives applicables. Encore une fois, le fait de demander un avis de danger est directement lié à la protection du public au Canada. Par ailleurs, le fait de demander que l’asile soit refusé au demandeur qui a commis un crime grave à l’extérieur du Canada est directement lié à l’intégrité du régime canadien de protection des réfugiés. Enfin, l’exercice de pondération qui doit se faire à l’échelle ministérielle n’enlève rien à l’engagement international pris par le Canada à l’égard du non-refoulement vers les pays où existe un risque de torture.

[20]      Par conséquent, le MSPPC était autorisé par la loi à demander l’exclusion du demandeur, et l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention ne l’empêchait pas de le faire, malgré l’avis de danger négatif qui avait été rendu à l’étape de la recevabilité.

DÉTERMINATION DE LA GRAVITÉ D’UN CRIME

[21]      Assurément, la Commission a correctement défini dans ses motifs la question fondamentale à laquelle il fallait répondre : le demandeur a‑t‑il commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada avant de venir au Canada?

[22]      Avant d’examiner les observations du demandeur, il faut rappeler la présomption de gravité : en l’absence de tout facteur politique, une infraction qui aurait été punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans si elle avait été commise au Canada peut être qualifiée de « grave » (Brzezinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 525 (1re inst.)). Toutefois, cette présomption n’est pas absolue et la Commission peut la réfuter après avoir évalué toutes les circonstances de l’affaire. Selon la jurisprudence, il faut évaluer les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité : voir Jayasekara, précité, au paragraphe 44.

[23]      En l’espèce, les parties ne s’entendent pas sur la portée et les effets pratiques exacts de ce qui est exprimé dans l’arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 44 :

   Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité […] En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine […] [Non souligné dans l’original.]

[24]      À cet égard, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit en refusant de considérer des éléments de preuve postérieurs à la perpétration du crime qui étaient pertinents quand elle a déterminé si le demandeur avait commis un
« crime grave de droit commun » en dehors du Canada avant de venir au Canada et s’il était donc visé par la clause d’exclusion. Le demandeur conteste le fait que la Commission a tenu compte d’un seul facteur pertinent après l’infraction, à savoir les remords éprouvés, mais pas des autres facteurs. Plus précisément, le demandeur affirme que la Commission a ignoré à tort le fait qu’il s’agissait d’une infraction isolée non suivie par d’autres infractions (ce qui permet de croire à la réadaptation du demandeur), et le fait que le MCI avait rendu un avis de danger public négatif.

[25]      D’autre part, le défendeur affirme que la Commission a eu raison de ne pas considérer le danger que le demandeur représente actuellement pour le public et sa possible réadaptation. Le défendeur s’appuie sur certaines décisions récentes de la Cour qui soutiennent ce point de vue, y compris la dernière, Martinez Cuero c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 191 (Cuero), datée du 9 février 2012, dans laquelle mon collègue le juge O’Reilly énonce clairement, au paragraphe 10, que des facteurs étrangers à la déclaration de culpabilité, comme la réadaptation, ne devraient pas être pris en compte au moment d’évaluer la gravité de l’infraction d’un demandeur. Dans la même veine, voir Rojas Camacho c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 789 (Camacho), aux paragraphes 15 et 16; Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1103 (Febles), aux paragraphes 48, 50 à 52 et 59.

[26]      Quoi qu’il en soit, et peu importe les points de vue exprimés par les juges de la Cour dans les décisions Cuero, Camacho et Febles, le demandeur soutient que l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Jayasekara doit l’emporter. À cet égard, affirme‑t‑il, quand la Cour d’appel fédérale déclare [au paragraphe 44] qu’on « ne met […] pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous‑jacents à la déclaration de culpabilité », il ne faut pas déduire pour autant qu’il est superflu de soupeser ces facteurs étrangers à la déclaration de culpabilité. Le demandeur fait valoir que le danger qu’il pourrait représenter ou sa possible réadaptation sont peut-être des facteurs étrangers à la déclaration de culpabilité, mais pas aux faits et aux circonstances sous‑jacents à la déclaration de culpabilité, contrairement au risque de persécution dans son pays d’origine.

[27]      Le demandeur ajoute que, d’après le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [Genève, réédition janvier 1992, au paragraphe 151], le but de la clause d’exclusion de l’alinéa Fb) de l’article premier est de « protéger la population d’un pays d’accueil contre le risque qu’il y aurait à admettre un réfugié ayant commis un crime grave de droit commun ». Par conséquent, le danger que le demandeur représente pour le pays d’accueil est une question contemporaine, que la Commission devait prendre en considération. Le fait de ne pas en avoir tenu compte constitue en l’espèce une erreur susceptible de contrôle.

[28]      Le demandeur répète que « la durée de la peine infligée ou [le] fait qu’elle a été purgée » sont des facteurs « [qu’]il ne faut pas considérer […] isolément » (Jayasekara, précité, au paragraphe 41) et que « on ne doit pas ignorer le point de vue de l’État ou du pays d’accueil lorsqu’il s’agit de déterminer la gravité du crime » (Jayasekara, précité, au paragraphe 43), ce qui renvoie à la pertinence de la réadaptation, parce qu’au Canada, dans une perspective contemporaine, la réadaptation est un facteur pertinent lorsqu’il s’agit de déterminer la gravité d’un crime. De plus, affirme le demandeur, dans l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il était raisonnable pour la Commission de prendre en considération le fait que l’appelant avait violé son ordonnance de probation, ce qui signifie que les faits postérieurs à la déclaration de culpabilité qui ont trait à la peine ne constituent pas « des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité » (Jayasekara, précité, au paragraphe 44).

[29]      Toutefois, dans un certain nombre d’affaires, la Cour a examiné et rejeté des arguments très semblables à ceux avancés par le demandeur aujourd’hui. Dans la décision Camacho, précitée, au paragraphe 16, le juge Mosley s’est exprimé ainsi :

   Le demandeur a soutenu que le cinquième facteur énoncé dans Jayasekara rendait implicitement nécessaire la mise en balance des circonstances atténuantes et aggravantes postérieures à la déclaration de culpabilité. Je ne partage pas son avis. Ce dont il est question dans Jayasekara, ce sont les circonstances atténuantes et aggravantes quant à la nature des crimes commis; il ne s’agit pas de facteurs postérieurs à la perpétration à prendre en compte pour juger de la réadaptation du délinquant demandeur d’asile. Aux fins ainsi d’établir si la clause d’exclusion est applicable, il ne suffit pas pour un demandeur d’asile de dire qu’il regrette maintenant ses actions passées et qu’il a repris sa vie en main si ses actions, lorsqu’il les a commises, constituaient un crime grave de droit commun. [Italique dans l’original; soulignement ajouté.]

[30]      Plus récemment, dans la décision Febles, précitée, aux paragraphes 48 et 50, le juge Scott a statué que :

[…] l’unique obligation de la Commission à cet égard est d’établir si le demandeur d’asile a commis ou non un crime de droit commun. La réhabilitation et l’actualité du danger pour la sécurité publique n’ont pas de valeur probante pour ce qui est de cette décision.

[…]

   Dans cet arrêt [Jayasekara], la Cour d’appel fédérale a une fois de plus souligné que la Commission ne doit pas tenir compte de « facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité » dans l’application de la section 1Fb). En conséquence, le fait que le demandeur a entièrement purgé sa peine aux États‑Unis peut être pris en considération en tant qu’il se rapporte à la perpétration d’un crime grave de droit commun mais non pour ce qui tient à la réhabilitation, l’expiation, la récidive et la persistance du danger. [Non souligné dans l’original.]

[31]      L’absence d’avis de danger dans les trois affaires invoquées par le défendeur (Cuero, Febles et Camacho) n’influe en rien sur l’interprétation des facteurs et de l’analyse présentés dans l’arrêt Jayasekara. Le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que ce qui a été dit sur la portée des circonstances atténuantes et aggravantes dont il est fait mention dans l’arrêt Jayasekara, précité, est manifestement erroné. En fait, je ne vois aucune raison en droit de ne pas reprendre le raisonnement que mes collègues ont suivi dans les décisions Cuero, Febles et Camacho, précitées. Par conséquent, la Commission n’a pas pu commettre d’erreur susceptible de contrôle en omettant de tenir compte de la réadaptation du demandeur ou du danger qu’il représente actuellement pour le public.

[32]      Quoi qu’il en soit, le demandeur souligne le fait que la Commission a néanmoins abordé la question des remords et de la réadaptation dans la décision contestée, mais il est clair qu’elle l’a fait à la demande du demandeur. En définitive, la Commission a expressément établi les facteurs pertinents pour ce qui est de la question essentielle, ce qui m’amène maintenant à examiner le caractère raisonnable de la décision de refuser l’asile au demandeur en vertu de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la LIPR.

CARACTÈRE RAISONNABLE DE LA CONCLUSION GÉNÉRALE DE LA COMMISSION

[33]      Nous avons mentionné ci‑dessus les cinq critères définis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara, à savoir les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité. Il ressort de la décision contestée que la Commission a dûment examiné tous les facteurs pertinents avant d’exclure le demandeur en vertu de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, de sorte qu’il faut maintenant déterminer si sa conclusion était raisonnable compte tenu des faits de l’espèce.

[34]      La Cour d’appel fédérale a déjà décidé, dans l’arrêt Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761, au paragraphe 85 (citant en l’approuvant la décision rendue par la Cour fédérale d’Australie dans l’arrêt Ovcharuk v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs (1998), 158 A.L.R. 289), que la norme de preuve que la Commission doit appliquer au regard de la clause d’exclusion est celle des « raisons sérieuses de penser », une norme moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités.

[35]      De plus, il n’est pas contesté que la Commission n’avait pas pour rôle de réexaminer le dossier criminel du demandeur, mais plutôt de déterminer, d’après la preuve déposée devant elle, si elle pouvait objectivement croire que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun avant de venir au Canada. La présomption de véracité qui s’applique aux témoignages (Maldonado c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.)) ne dispense pas les demandeurs de produire une preuve quand ils peuvent raisonnablement l’obtenir et ne leur permet pas de substituer leur propre témoignage à une preuve documentaire objective et crédible sur les accusations, le procès et, en définitive, la déclaration de culpabilité dont ils ont fait l’objet dans le pays étranger.

[36]      En ce qui touche les éléments constitutifs du crime, sa qualification et la peine prescrite, la Commission a conclu, outre qu’il ne s’agissait pas d’un crime politique, que le demandeur avait été reconnu coupable en Grèce de ce qui aurait constitué un homicide involontaire coupable au Canada, punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de plus de 10 ans. La Commission a également déterminé que le processus ayant mené à la déclaration de culpabilité en Grèce était équitable, et que les circonstances atténuantes n’étaient pas suffisantes pour justifier la non‑application de la clause d’exclusion prévue à l’alinéa Fb), de l’article premier de la Convention. Ces conclusions reposaient sur la preuve au dossier, et il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer ces conclusions dans les circonstances.

[37]      Le mode de poursuite et l’équité du processus sont importants. En l’absence de circonstances exceptionnelles établies par le demandeur d’asile, la Commission doit tenir pour acquis que le processus judiciaire était équitable et indépendant dans le pays étranger (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505 (C.A.) (QL)). Ici, la Commission a examiné la preuve documentaire et le témoignage du demandeur avant de conclure que le processus judiciaire en Grèce avait été équitable dans les circonstances, une conclusion de fait que la Cour ne devrait pas modifier.

[38]      À vrai dire, le demandeur a eu accès à un processus judiciaire à plusieurs niveaux en Grèce. Même si le demandeur n’a pas été défendu par son propre avocat en appel mais était plutôt représenté par un avocat nommé par le gouvernement qui connaissait mal le dossier, fait remarquer la Commission, il ne s’agit pas d’un facteur atténuant suffisant pour faire contrepoids à la procédure criminelle, bien que la situation ait pu nuire aux intérêts du demandeur. La Commission souligne à cet égard que la peine a été modifiée en faveur du demandeur au moment de l’appel. La Commission a examiné d’autres facteurs pertinents, qui sont défavorables au demandeur en l’espèce.

[39]      La preuve au dossier confirme nettement que le demandeur a eu l’occasion de répondre à ses accusateurs, d’appeler des témoins, d’être représenté par un avocat et de donner sa version des faits. La transcription du procès tenu en Grèce nous apprend que le demandeur demeurait dans ce pays depuis quatre ans quand les faits contestés se sont produits, et qu’il parlait et comprenait le grec [voir X (Re), au paragraphe 9]. La Commission n’a pas agi déraisonnablement en rejetant l’affirmation du demandeur selon laquelle il ne possédait pas des compétences linguistiques assez bonnes pour subir un procès criminel en Grèce. La Commission a aussi estimé que le demandeur n’avait pas été désavantagé par l’absence de la police à son procès parce que, selon la preuve, la police n’avait pas de preuve directe de la perpétration du crime. La Commission a aussi souligné que le demandeur avait été accusé au départ de meurtre au premier degré, puis d’un chef moins grave à la suite d’une décision partagée (homicide avec intention commis sous l’empire de la passion), étant donné que rien ne corroborait la préméditation.

[40]      Le demandeur soutient que même s’il a toujours invoqué la légitime défense, son avocat a plutôt plaidé que son client avait commis un meurtre dans un accès de colère. Que la légitime défense dans son sens pénal ait été considérée ou non par le tribunal grec, le demandeur avance que la Commission devait décider de la gravité du crime commis d’après les circonstances de l’affaire, et non en se fondant simplement sur la décision d’une cour criminelle, qui a considéré que le demandeur avait commis un acte criminel en voulant se défendre. Cependant, je suis incapable de conclure que la Commission, en déterminant que la légitime défense ne constituait pas un facteur atténuant en l’espèce, a fait abstraction de la preuve et agi de manière abusive et arbitraire.

[41]      La Commission a déterminé que la légitime défense invoquée par le demandeur ne constituait pas un facteur atténuant étant donné que cet argument avait été examiné et rejeté au cours de la poursuite criminelle engagée à l’encontre du demandeur par le tribunal grec. La Commission a estimé que le geste commis par le demandeur, qui a poignardé plus d’une fois sa victime à l’aide d’un couteau, contredisait l’allégation selon laquelle l’agression au couteau était une réaction isolée s’étant produite dans la fièvre du moment. À la lumière des commentaires explicites que le tribunal grec a formulés sur les blessures de la victime, la preuve démontrait clairement que le demandeur avait poignardé la victime plus d’une fois. Ces conclusions de fait sont raisonnables, même si d’autres conclusions étaient également possibles dans les circonstances.

[42]      La Cour a déjà déterminé que le demandeur ne peut remettre en question le caractère raisonnable général de la décision contestée au motif que la Commission a commis une erreur sur les questions des remords et de la réadaptation, puisqu’il s’agit de facteurs étrangers que la Commission n’avait pas à prendre en considération pour décider si le demandeur avait commis un crime grave de droit commun avant de venir au Canada. Cela dit, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il éprouvait des remords en raison de son crime et n’avait donc pas prouvé qu’il était réadapté. La Commission a souligné que le demandeur n’évoquait pas son passé en toute honnêteté car il a affirmé dans son témoignage ne pas se souvenir du nombre de coups de couteau qu’il avait portés à la victime. En ce qui concerne les circonstances atténuantes, je suis prêt à accepter que ces conclusions de fait n’étaient ni abusives ni arbitraires en l’espèce.

[43]      La Cour conclut, en dernière analyse, que la décision contestée doit être maintenue parce qu’elle est raisonnable dans l’ensemble, même si certaines conclusions de fait de la Commission sont discutables. Le crime de droit commun dont le demandeur a été déclaré coupable était en réalité très grave. La Commission a peut-être qualifié le crime de « brutal » trop librement, mais elle exprimait ainsi le point de vue qu’un homicide intentionnel commis dans un accès de colère ne doit pas être banalisé et le fait que le demandeur avait infligé plusieurs blessures. Globalement, il était raisonnable pour la Commission de conclure, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun avant de venir au Canada et qu’il devait par conséquent être frappé d’exclusion, à la lumière de tous les facteurs pertinents définis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara, précité.

[44]      Enfin, je souhaite faire remarquer, sans toutefois exprimer une opinion définitive sur la question, que les facteurs postérieurs à la déclaration de culpabilité, comme la réadaptation et l’absence de danger, constituent peut-être d’autres facteurs pertinents dont le ministre tiendra compte au moment d’exercer, pour des motifs d’ordre humanitaire, le pouvoir discrétionnaire que lui confère la LIPR de surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion ou d’accorder une dispense à l’égard de toute obligation ou de tout critère prévu par la LIPR.

[45]      Cela dit, l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention est un exercice décisionnel bien différent; pour l’accomplir, la Commission doit mettre en balance la gravité des crimes commis et les circonstances atténuantes et aggravantes « quant à la nature des crimes commis » (Camacho, précitée, au paragraphe 16). Le fait qu’en l’espèce « [l]es circonstances atténuantes sont insuffisantes pour appuyer la décision de ne pas appliquer l’alinéa Fb) de l’article premier [de la Convention] » [X (Re), au paragraphe 16] était certainement une conclusion raisonnable à la lumière des faits et du droit (Jayasekara, précité).

[46]      Pour tous ces motifs, la Cour doit rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[47]      Après avoir examiné les questions proposées aux fins de certification par les parties et entendu les observations présentées de vive voix par l’avocat, la Cour certifie les questions graves de portée générale qui suivent :

a) Lorsque le MCI rejette une demande d’avis de danger présentée par l’ASFC, qui relève du MSPPC, aux fins d’application de l’alinéa 101(2)b) de la LIPR, le MSPPC peut‑il demander l’exclusion dans le cadre d’une audience de la Commission en se fondant sur la même conduite criminelle que celle sur laquelle repose la demande d’avis de danger de l’ASFC?

b) En appliquant l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, la Commission devrait elle considérer :

i) La réadaptation du demandeur du statut de réfugié depuis la perpétration de l’infraction en question?

ii) Le fait que le MCI a déterminé que le demandeur du statut de réfugié ne constitue pas un danger pour le public au Canada?

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. La Cour certifie les questions graves de portée générale qui suivent :

1. Lorsque le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration rejette une demande d’avis de danger présentée par l’Agence des services frontaliers du Canada, qui relève du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, aux fins d’application de l’alinéa 101(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut-il demander l’exclusion dans le cadre d’une audience de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en se fondant sur la même conduite criminelle que celle sur laquelle repose la demande d’avis de danger de l’Agence des services frontaliers du Canada?

2. En appliquant l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié devrait-elle considérer :

a) La réadaptation du demandeur du statut de réfugié depuis la perpétration de l’infraction en question?

b) Le fait que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a déterminé que le demandeur du statut de réfugié ne constitue pas un danger pour le public au Canada?

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