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A-399-04

2004 CAF 343

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (appelant)

c.

Michael Seifert (intimé)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Seifert (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Linden, Nadon et Sexton, J.C.A.--Calgary, 21 septembre; Ottawa, 14 octobre 2004.

Pratique -- Frais et dépens -- La Cour fédérale avait fait droit à une requête déposée par l'intimé, qui voulait que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration paie tous ses frais de justice et débours afférents à la tenue d'une commission rogatoire en Italie portant sur la révocation de sa citoyenneté -- Le juge avait accordé le redressement en application de la règle 271(3) des Règles de la Cour fédérale (1998), parce que selon lui l'obtention de preuves par commission rogatoire était une procédure extraordinaire -- Appel du ministre accueilli -- L'expression «frais de l'interrogatoire», figurant à la règle 271(3), s'entend des frais afférents au commissaire, à l'interprète, au sténographe, aux déplacements, aux chambres d'hôtel, mais non des frais de justice -- Des frais ne pouvaient pas non plus être accordés en application de la règle 400 puisqu'il n'était pas établi que l'intimé était impécunieux -- L'intimé était également visé par une ordonnance antérieure de la Cour qui lui avait refusé les frais à cause de l'absence de preuve de son manque de ressources.

Pratique -- Preuve -- Commission rogatoire -- La Cour fédérale avait fait droit à une demande du ministre présentée selon les règles 271 et 272 des Règles de la Cour fédérale (1998), en vue d'obtenir une commission rogatoire en Italie dans une affaire de révocation de la citoyenneté -- Elle avait ordonné à la Couronne de payer les frais de justice de l'intimé se rapportant à la tenue de la commission rogatoire -- Selon elle, il s'agissait là d'une procédure extraordinaire -- Le juge n'était pas autorisé par la règle 271(3) à adjuger ainsi les dépens -- Les mots «frais de l'interrogatoire», lus dans leur contexte global, signifient les frais entraînés par les déplacements, les chambres d'hôtel, les honoraires du commissaire, de l'interprète et du sténographe, mais non les honoraires d'avocat -- La prise de dépositions par commission rogatoire n'est pas une procédure inusitée ou extraordinaire.

Il s'agissait d'un appel et d'un appel incident interjetés d'un jugement rendu par la Cour fédérale dans une affaire de révocation de la citoyenneté, ayant fait droit à une demande du ministre présentée selon les règles 271 et 272 des Règles de la Cour fédérale (1998), et ayant ordonné une commission rogatoire pour la prise de dépositions en Italie. Après examen des facteurs énumérés au paragraphe 271(2) des Règles, le juge peut ordonner l'interrogatoire d'une personne en dehors de la salle d'audience, en vue de l'instruction. Lorsqu'il rend une telle ordonnance, il peut, en application du paragraphe 271(3), donner des directives au sujet, entre autres, des «frais de l'interrogatoire». Le juge de la Cour fédérale a rejeté la requête déposée par l'intimé, qui demandait au ministre de payer tous ses frais de justice et débours afférents la tenue de la commission rogatoire et au procès, mais il a ordonné au ministre de payer ses frais d'avocat et débours raisonnables liés à la tenue de la commission rogatoire en Italie. Accordant à l'intimé une partie du redressement demandé, le juge écrivait que la délivrance d'une commission rogatoire en vue de recueillir une preuve à l'extérieur du pays était une procédure extraordinaire et que, au moment de rendre une telle ordonnance, la Cour avait toute latitude, selon le paragraphe 271(3) des Règles, pour fixer les conditions qui s'imposaient. Selon le juge, la présence de l'avocat de l'intimé allait faciliter son travail d'enquêteur et il semblait croire que, à moins que la demande d'adjudication de dépens ne soit accordée, l'intimé ne serait pas représenté lors de la commission rogatoire. Le point précis soulevé par cet appel était celui de savoir si les mots «frais de l'interrogatoire», au paragraphe 271(3), autorisent un juge à rendre une ordonnance adjugeant les honoraires d'avocat entraînés par une commission rogatoire. Selon le ministre, l'expression s'entendait des frais supplémentaires entraînés par la nécessité de recueillir des dépositions en dehors du tribunal, ce qui, en l'occurrence, engloberait les déplacements, l'hébergement et les services d'interprétation et de sténographie, mais non les honoraires d'avocat.

Arrêt: l'appel est accueilli avec dépens, et l'appel incident rejeté avec dépens.

Les règles 271 et 272 ne sont pas des dispositions qui concernent l'adjudication de dépens, mais la prise de dépositions en dehors de la salle d'audience. Le pouvoir d'adjuger des dépens entre parties est conféré d'abord par la règle 400. Les mots qui apparaissent au paragraphe 271(3)-- «frais de l'interrogatoire» («costs of the examination»)-- doivent être interprétés dans leur contexte. La disposition selon laquelle un juge doit, lorsqu'il ordonne que soient recueillies des dépositions par commission rogatoire, donner des directives «au sujet des date, heure, lieu et frais de l'interrogatoire» veut dire qu'il peut donner des directives se rapportant à la logistique ou aux aspects concrets de l'interrogatoire. Il faudra par exemple engager un commissaire, des sténographes et interprètes, louer des locaux, réserver des chambres d'hôtel et faire les préparatifs de voyage. Il est impératif que ces aspects soient réglés avant la délivrance de la commission rogatoire. En général, la partie requérante devra avancer tous les frais qu'il faudra engager et, si cette partie obtient gain de cause, à la fin des procédures, elle aura le droit de réclamer ces frais en tant que partie de ses dépens taxables, sur lesquels statuera la Cour en application des règles 400 et suivantes. Le mot «frais» ne peut être dissocié de l'expression «frais de l'interrogatoire», ce qui explique pourquoi le mot «frais» a été employé dans la version française. La définition du mot «frais» donne à entendre qu'il s'agit des dépenses pratiques entraînées par la tenue d'un interrogatoire en dehors de la salle d'audience. L'emploi du mot «frais» dans la version française, et le fait que les mots «costs» et «frais» soient rattachés aux mots «de l'interrogatoire» et «of the examination», ont convaincu la Cour que le paragraphe 271(3) n'autorise pas un juge à adjuger des honoraires d'avocat.

L'intimé a aussi fait valoir que, même si les honoraires d'avocat ne pouvaient pas être adjugés selon le paragraphe 271(3), ils auraient pu l'être selon la règle 400. Tout en reconnaissant que l'article 400 autorise le paiement d'une provision pour frais, le ministre a soutenu qu'une telle mesure n'était pas justifiée dans cette affaire. Le critère que la Cour doit appliquer pour ordonner le paiement d'une provision a été exposé par le juge LeBel dans l'arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan. L'une des conditions est que la partie qui demande la provision soit impécunieuse, et, selon le ministre, cela n'a pas été démontré, faisant observer que l'aide juridique avait été refusée à l'intimé parce que son épouse était propriétaire d'une maison évaluée à 280 000 $. Le ministre a aussi exprimé son désaccord avec l'argument de l'intimé selon lequel la prise de dépositions par commission rogatoire constitue une pratique extraordinaire et inusitée. Le juge de première instance étant arrivé à la conclusion qu'il n'existait aucune preuve que l'intimé ne pouvait s'offrir les services d'un avocat, une ordonnance de paiement d'une provision pour frais ne pouvait donc être justifiée. D'ailleurs, bien qu'elle ne le dise pas expressément, l'ordonnance rendue semblait être une ordonnance finale concernant les frais nécessités par la commission rogatoire. Il semblerait que le juge était d'avis que la prise de dépositions par commission rogatoire constituait «une procédure extraordinaire» et, si tel est le cas, il s'est fourvoyé.

Par ailleurs, l'intimé était empêché de soulever ce point de nouveau, compte tenu d'une ordonnance antérieure rendue par le juge Hugessen, laquelle rejetait une requête de l'intimé, qui voulait que la Couronne paie ses frais. Selon le juge Hugessen, l'intimé n'avait pas prouvé qu'il était impécunieux. L'intimé n'avait produit aucune preuve nouvelle susceptible d'entraîner l'annulation du résultat initial de telle sorte qu'une remise en cause serve l'intégrité du système judiciaire. Cette notion était expliquée par la juge Arbour dans l'arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79. Pour les mêmes motifs, il était impossible de faire droit à l'appel incident de l'intimé.

lois et règlements cités

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 18.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 271, 272, 400 (mod. par DORS/2002-417, art. 25).

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 R.C.S. 371; (2003), 233 D.L.R. (4th) 577; [2004] 2 W.W.R. 252; 21 B.C.L.R. (4th) 209; 289 B.C.A.C. 161; [2004] 1 C.N.L.R. 7; 43 C.P.C. (5th) 1; 114 C.R.R. (2d) 108; 2003 CSC 71; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77; (2003), 232 D.L.R. (4th) 385; 17 C.R. (6th) 276; 311 N.R. 201; 179 O.A.C. 291; 2003 CSC 63.

doctrine citée

Petit Robert 1: Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris: Le Robert, 1983, «frais».

APPEL et APPEL INCIDENT d'un jugement de la Cour fédérale (2004 CF 1010; [2004] A.C.F. no 1243 (QL)) dans une affaire de révocation de la citoyenneté, qui ordonnait au ministre de payer les honoraires d'avocat de l'intimé afférents à la prise de dépositions par commission rogatoire en Italie, mais qui refusait d'ordonner au ministre de payer les frais de justice de l'intimé pour le procès. Appel accueilli; appel incident rejeté.

ont comparu:

Barney W. Brucker pour l'appelant.

Douglas H. Christie pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.

Douglas H. Christie, Victoria, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Nadon, J.C.A.: Nous sommes saisis d'un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) et d'un appel incident interjeté par l'intimé, à l'encontre d'une décision rendue le 20 juillet 2004 par le juge O'Reilly, de la Cour fédérale [2004 CF 1010; [2004] A.C.F. no 1243 (QL)].

[2]Cette instance a pour origine la décision du ministre de demander, conformément à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, la révocation de la citoyenneté de l'intimé au motif qu'il avait fait de fausses déclarations aux autorités canadiennes à propos de son origine nationale et de ses activités durant la Deuxième Guerre mondiale.

[3]Le 20 juillet 2004, le juge O'Reilly, qui le 3 mars 2004 avait été désigné juge de première instance dans la présente affaire, faisait droit à une demande du ministre présentée selon les règles 271 et 272 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] et ordonnait une commission rogatoire pour que soient recueillies les dépositions de 12 témoins en Italie.

[4]La demande du ministre, qui a conduit à l'ordonnance susmentionnée, avait été instruite le 8 juillet 2004, en même temps qu'une requête déposée par l'intimé pour que soit rendue une ordonnance forçant le ministre à payer tous ses frais de justice et débours afférents à la tenue de la commission rogatoire en Italie et au procès à venir.

[5]Le juge O'Reilly a refusé d'ordonner au ministre de payer les frais de justice de l'intimé pour le procès, mais il lui a ordonné de payer ses frais de justice et débours raisonnables liés à la tenue de la commission rogatoire en Italie.

[6]L'appel du ministre porte sur la partie de l'ordonnance du juge qui l'oblige à payer les honoraires d'avocat afférents à la commission rogatoire. Quant à l'intimé, son appel incident conteste le refus du juge d'ordonner au ministre de payer ses honoraires d'avocat afférents au procès.

[7]Je commencerai par l'appel du ministre. Il ressort clairement de l'ordonnance du juge qu'elle a été rendue en application des règles 271 et 272. Au paragraphe 10 de ses motifs, le juge O'Reilly explique pourquoi il rend l'ordonnance sollicitée par l'intimé:

Toutefois, j'accueillerai en partie la demande de M. Seifert. La délivrance d'une commission rogatoire en vue de recueillir une preuve à l'extérieur du pays est une procédure extraordinaire. La Cour rend ces ordonnances dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire uniquement lorsque les circonstances sont spéciales et que l'administration de la justice l'exige. Elle possède un large pouvoir discrétionnaire lui permettant de fixer les conditions dans lesquelles la preuve peut être recueillie et peut, notamment, donner des directives au sujet «des date, heure, lieu et frais» de la procédure (paragraphe 271(3) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106). J'estime également qu'il s'agit d'une procédure particulièrement importante en l'espèce au cours de laquelle M. Seifert devra être représenté par un avocat qui est disposé à contre-interroger à fond les témoins et est en mesure de le faire. Mon rôle comme arbitre des faits sera facilité par le recours à des avocats compétents de part et d'autre.

[8]Ainsi qu'il appert du passage susmentionné, le juge était d'avis que la prise de dépositions à l'extérieur du Canada était une procédure extraordinaire et que le paragraphe 271(3) des Règles lui donnait toute latitude pour rendre une ordonnance adjugeant les frais. Le juge dit ensuite que la présence de Me Christie, avocat de l'intimé, faciliterait grandement son travail d'enquêteur dans cette instance. Les propos du juge semblent poser pour hypothèse que, sans son ordonnance, M. Seifert ne serait pas représenté par un avocat lors de la commission rogatoire.

[9]Le point précis soulevé par le présent appel est celui de savoir si les mots «frais de l'interrogatoire», au paragraphe 271(3) des Règles, autorisent un juge à rendre une ordonnance adjugeant les honoraires d'avocat entraînés par une commission rogatoire.

[10]Selon le ministre, l'expression «frais de l'interrogatoire», au paragraphe 271(3), s'entend des frais supplémentaires entraînés par la nécessité de recueillir des dépositions en dehors du tribunal, et en l'occurrence la nécessité d'aller les recueillir en Italie. Il s'agit des frais se rapportant à l'hébergement, à l'assistance étrangère, aux déplacements, aux services d'interprétation et de sténographie, etc., plutôt que des honoraires d'avocat proprement dits. De l'avis du ministre, les frais dont parle le paragraphe 271(3) sont des «dépenses» et ne comprennent pas les honoraires d'avocat.

[11]À mon avis, la position prise par le ministre est fondée. Je suis convaincu que l'expression «frais de l'interrogatoire», au paragraphe 271(3), ne peut être interprétée d'une manière qui englobe les honoraires d'avocat. J'arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.

[12]Je commencerai par dire que les règles 271 et 272 ne sont pas des dispositions qui concernent l'adjudication de dépens entre parties. Une simple lecture de ces dispositions montre qu'elles concernent les dépositions qui devront être recueillies en dehors de la salle d'audience. La règle 272 traite expressément des dépositions à recueillir à l'extérieur du Canada et autorise la Cour à ordonner une commission rogatoire sous son sceau. Voici le texte des règles 271 et 272:

271. (1) La Cour peut, sur requête, ordonner qu'une personne soit interrogée hors cour en vue de l'instruction.

(2) La Cour peut tenir compte des facteurs suivant lorsqu'elle rend l'ordonnance visée au paragraphe (1):

a) l'absence prévue de la personne au moment de l'instruction;

b) l'âge ou l'infirmité de la personne;

c) la distance qui sépare la résidence de la personne du lieu de l'instruction;

d) les frais qu'occasionnerait la présence de celle-ci à l'instruction.

(3) Dans l'ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) ou sur requête subséquente d'une partie, la Cour peut donner des directives au sujet des date, heure, lieu et frais de l'interrogatoire, de la façon de procéder, de l'avis à donner à la personne à interroger et aux autres parties, de la comparution des témoins et de la production des documents ou éléments matériels demandés.

(4) La Cour peut, sur requête, ordonner qu'un témoin interrogé en application du paragraphe (1) subisse un interrogatoire supplémentaire devant elle ou la personne qu'elle désigne à cette fin, si l'interrogatoire n'a pas lieu, la Cour peut refuser d'admettre la déposition de ce témoin.

272. (1) Lorsque l'interrogatoire visé à la règle 271 doit se faire à l'étranger, la Cour peut ordonner à cette fin, selon les formules 272A, 272B ou 272C, la délivrance d'une commission rogatoire sous son sceau, de lettres rogatoires, d'une lettre de demande ou de tout autre document nécessaire.

(2) À moins que les parties n'en conviennent autrement ou que la Cour n'en ordonne autrement, la personne autorisée en vertu du paragraphe (1) à interroger un témoin dans un pays autre que le Canada procède à cet interrogatoire d'une manière qui lie le témoin selon le droit de ce pays. [Le souligné est le mien.]

[13]Après examen des facteurs énumérés au paragraphe 271(2), le juge peut ordonner l'interrogatoire d'une personne lors du tribunal. Ce faisant, le juge peut, en application du paragraphe 271(3), donner des directives au sujet, entre autres, des «frais de l'interrogatoire».

[14]Le pouvoir général d'adjuger des dépens entre parties est conféré par les règles 400 [mod. par DORS/2002-417, art. 25] et suivantes, dont le titre est «Adjudication des dépens entre parties» et, dans la version anglaise, «Awarding of Costs Between Parties». Le paragraphe 400(1) dit que la Cour peut comme elle l'entend déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui devront les payer. Le paragraphe 400(3) énumère les facteurs dont un juge peut tenir compte pour adjuger des dépens. Finalement, le paragraphe 400(6) habilite la Cour à adjuger les dépens en fonction des circonstances de l'affaire considérée.

[15]Dans la version française des règles 400 et suivantes, le mot «dépens» est l'équivalent du mot «costs» dans la version anglaise. Les mots «costs» et «dépens», dans les règles 400 et suivantes, englobent manifestement les honoraires d'avocat. Cependant, la version française du paragraphe 271(3) n'emploie pas le mot «dépens», mais plutôt le mot «frais». Comme je l'ai déjà dit, la version anglaise emploie le mot «costs».

[16]Les expressions qui apparaissent au paragraphe 271(3) sont «costs of the examination» en anglais et «frais de l'interrogatoire» en français. Ces expressions doivent à mon avis être interprétées dans leur contexte. Plus précisément, le paragraphe 271(3) dit qu'un juge doit, lorsqu'il ordonne que soient recueillies des dépositions par commission rogatoire, donner des directives «au sujet des date, heure, lieu et frais de l'interrogatoire». Cela ne peut vouloir dire à mon avis qu'une chose: le juge peut donner des directives se rapportant à la logistique de l'interrogatoire, c'est-à-dire aux aspects concrets entraînés par la nécessité de recueillir des dépositions en dehors de la salle d'audience et, dans le cas de la règle 272, en dehors du Canada. Il est évident que des dispositions devront être prises, qui vont entraîner des frais, et que ces aspects devront être réglés au préalable. Par exemple, un commissaire, si le commissaire désigné n'est pas le juge qui instruit le procès, devra être engagé, des sténographes et interprètes pourraient devoir aussi être engagés, des locaux pourraient devoir être loués, des chambres d'hôtel devront être réservées pour les participants, et des préparatifs de voyage devront être faits.

[17]Il est donc impératif que ces aspects soient réglés avant la délivrance de la commission rogatoire. C'est la raison pour laquelle la règle 271 autorise un juge à donner des directives concernant la date, le lieu, la manière et les frais de l'interrogatoire. Dans la plupart des cas, sauf si les parties ne s'entendent autrement, c'est la Cour elle-même qui ordonnera à la partie requérante d'avancer tous les frais qu'il faudra engager pour recueillir les dépositions à l'extérieur du pays. Inutile de le dire, et sauf entente contraire des parties, la partie qui avancera les fonds pour les frais susmentionnés aura le droit, à la fin des procédures, et si elle obtient gain de cause, de réclamer ces frais en tant que partie de ses dépens taxables, sur lesquels statuera la Cour en application des règles 400 et suivantes.

[18]Je dois signaler que le ministre ne conteste pas la partie de l'ordonnance du juge qui prévoit qu'il devra payer les frais raisonnables de déplacement et d'hébergement de l'avocat de l'intimé.

[19]Par conséquent, à mon avis, le texte du paragraphe 271(3) des Règles milite contre une interprétation du mot «frais» qui engloberait les honoraires d'avocat. Le mot «frais» ne peut être dissocié de l'expression «frais de l'interrogatoire», ce qui à mon avis explique pourquoi le mot «frais» a été employé dans la version française («les frais de l'interrogatoire»). Le mot «frais» est défini ainsi dans le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française 1983:

1. Dépenses occasionnées par une opération quelconque. v. coût, débours, dépense. Frais de déplacement, d'habillement, Faire beaucoup de frais, de grands frais pour réparer une maison. [. . .] 5. Dépenses occasionnées par l'accomplissement d'un acte juridique ou d'une formalité prescrite par la loi. Frais d'enregistrement, frais de vente, frais de jugement.

Dans la version française, le sens du mot «frais» participe manifestement des dépenses pratiques entraînées par la tenue d'un interrogatoire en dehors de la salle d'audience.

[20]L'emploi du mot «frais» dans la version française du paragraphe 271(3), et le fait que les mots «costs» et «frais» soient rattachés aux mots «de l'interrogatoire» et «of the examination», me convainquent que le paragraphe 271(3) n'autorise pas un juge à adjuger des honoraires d'avocat. Au reste, le mot «dépens», employé dans les règles 400 et suivantes, n'apparaît pas dans la version française du paragraphe 271(3), et cela confirme l'interprétation que je propose du paragraphe 271(3).

[21]Je suis donc d'avis que les expressions «costs of the examination» et «frais de l'interrogatoire» s'entendent des frais entraînés par la tenue de la commission rogatoire. Selon moi, la règle 271 ne dit pas que le juge est habilité à rendre une ordonnance adjugeant des honoraires d'avocat. Elle permet simplement à la Cour de régler les questions pratiques entraînées par le fait que les dépositions requises au procès ne seront pas recueillies dans la salle d'audience.

[22]J'arrive donc à la conclusion que le juge O'Reilly ne pouvait pas, selon le paragraphe 271(3) des Règles, rendre l'ordonnance qu'il a rendue.

[23]L'intimé soutient que, si le juge O'Reilly a commis une erreur lorsqu'il a ordonné au ministre, en vertu du paragraphe 271(3), de payer les honoraires de son avocat afférents à la commission rogatoire, il pouvait néanmoins rendre l'ordonnance en s'autorisant de la règle 400. Selon lui, le fait de recueillir des dépositions à l'étranger par commission rogatoire est «un recours extraordinaire», un recours «exceptionnel et inusité», qui justifie une adjudication provisoire des honoraires d'avocat selon ce que requièrent les circonstances.

[24]Dans sa réponse, le ministre souligne que l'objet traditionnel des dépens est d'indemniser, à l'issue du litige, la partie qui obtient gain de cause. Tout en reconnaissant que la règle 400 autorise la Cour à ordonner le paiement d'une provision pour frais, y compris pour honoraires d'avocat, le ministre dit qu'une telle mesure n'est pas justifiée dans la présente affaire. Le pouvoir de rendre une telle ordonnance se trouve dans l'alinéa 400(6)a), ainsi formulé:

400. [. . .]

(6) Malgré toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut:

a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question litigieuse ou d'une procédure particulières;

[25]Le critère que la Cour doit appliquer pour ordonner le paiement d'une provision a été exposé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 R.C.S. 371. Le juge LeBel y énonce les conditions qui doivent être remplies avant que ne puisse être accordée une provision pour frais. S'agissant des ordonnances de cette nature, le juge LeBel s'exprimait ainsi [au paragraphe 36]:

La jurisprudence pose plusieurs conditions à l'exercice de ce pouvoir, toutes devant être présentes pour qu'une provision pour frais soit accordée. La partie qui sollicite l'ordonnance doit être si dépourvue de ressources qu'elle serait incapable, sans cette ordonnance, de faire entendre sa cause. Elle doit prouver prima facie que sa cause possède un fondement suffisant pour justifier son instruction devant le tribunal. De plus, il doit exister des circonstances suffisamment spéciales pour que le tribunal soit convaincu que la cause appartient à cette catégorie restreinte de causes justifiant l'exercice exceptionnel de ses pouvoirs.

Pour les litiges faisant intervenir l'intérêt public, le juge LeBel énonce des critères un peu plus précis [au paragraphe 40]:

1.     La partie qui demande une provision pour frais n'a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d'aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal--bref, elle serait incapable d'agir en justice sans l'ordonnance.

2.     La demande vaut prima facie d'être instruite, c'est-à-dire qu'elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu'il n'en a pas les moyens financiers.

3.     Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n'ont pas encore été tranchées.

Si ces conditions sont remplies, alors une ordonnance de paiement d'une provision pour frais pourra être rendue. Le juge LeBel s'en explique ainsi, au paragraphe 41 de ses motifs:

Ce sont là les conditions à remplir pour avoir recours aux provisions pour frais dans ce type de causes. Le fait qu'elles soient remplies dans une espèce donnée n'établit pas automatiquement la nécessité d'une telle ordonnance; cette décision relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Si les trois conditions sont remplies, les tribunaux disposent d'une compétence limitée pour ordonner que les dépenses de la partie sans ressources suffisantes soient payées préalablement. De telles ordonnances doivent être formulées avec soin et révisées en cours d'instance de façon à assurer l'équilibre entre les préoccupations concernant l'accès à la justice et la nécessité de favoriser le déroulement raisonnable et efficace de la poursuite, qui est également l'un des objectifs de l'attribution de dépens. Lorsqu'ils rendent ces décisions, les tribunaux doivent également tenir compte de la position des défendeurs. Il ne faut pas que l'octroi de provisions pour frais leur impose un fardeau inéquitable. Dans le contexte des poursuites d'intérêt public, les juges doivent prêter une attention toute particulière à la position des justiciables privés qui, d'une certaine manière, peuvent faire les frais de litiges qui mettent essentiellement en cause la relation entre les demandeurs et certaines autorités publiques ou l'effet de lois d'application générale. À l'intérieur de ces paramètres, il appartient au tribunal de première instance de décider si l'affaire est telle qu'il est dans l'intérêt de la justice que l'ordonnance soit rendue. [Non souligné dans l'original.]

[26]S'exprimant sur les critères applicables aux litiges d'intérêt public, le ministre dit que l'intimé n'a pas rempli la première et la troisième conditions. S'agissant des moyens financiers, le ministre dit que l'intimé n'a pas prouvé qu'il est impécunieux, étant donné que l'aide juridique lui a été refusée et que son épouse est propriétaire d'une maison non grevée d'hypothèque et évaluée à plus de 280 000 $. Le ministre se réfère aux motifs d'ordonnance du juge O'Reilly, où, au paragraphe 9, le juge arrive à la conclusion suivante: «je n'ai aucune preuve du fait que M. Seifert ne peut s'offrir les services d'un représentant au cours des procédures». S'agissant de la troisième condition, le ministre dit que la tenue d'une audience de renvoi, c'est-à-dire la prise de dépositions par commission rogatoire, n'est nullement exceptionnelle et constitue un exercice d'enquête qui concerne le plaideur lui-même et qui ne soulève pas de questions d'intérêt public.

[27]L'intimé répond en affirmant qu'il est exposé à des accusations de nature criminelle dans cette instance civile, sans bénéficier des protections accordées aux prévenus. Selon lui, l'affaire suscite bel et bien des questions exceptionnelles et elle revêt une importance pour le public.

[28]À mon avis, qu'il s'agisse des critères applicables aux litiges en général ou de ceux applicables aux litiges d'intérêt public, rien ne donnait lieu ici à une ordonnance de paiement d'une provision pour frais selon le paragraphe 400(6). Le juge lui-même est arrivé à la conclusion qu'il n'avait «aucune preuve du fait que M. Seifert ne peut s'offrir les services d'un représentant au cours des procédures, qui devraient durer huit semaines tout au plus (y compris les dix jours en Italie)», et je ne puis donc voir comment pourrait être justifiée une ordonnance de paiement d'une provision pour frais. Je ferais aussi observer que le juge n'a pas rendu une telle ordonnance ici. Il semble plutôt avoir rendu une ordonnance finale concernant les frais nécessités par la commission rogatoire. Même si elle ne le dit pas expressément, son ordonnance semble être une ordonnance finale, c'est-à-dire une ordonnance d'adjudication de dépens quelle que soit l'issue de la cause.

[29]J'ajouterais qu'il m'est difficile de comprendre le raisonnement du juge lorsqu'il fait droit au paiement des honoraires d'avocat de l'intimé pour la prise des dépositions par commission rogatoire, mais non pour le procès. Sa décision semble reposer sur le fait que, selon lui, la prise de dépositions par commission rogatoire constituait «une procédure extraordinaire». Selon moi, il n'y a rien d'extraordinaire dans cette procédure, dont l'objet est simplement de permettre à une partie de recueillir des dépositions en dehors de la salle d'audience, si une telle ordonnance est justifiée. À mon humble avis, le fait que les témoins soient interrogés ailleurs que dans le prétoire ne rend pas «extraordinaire» l'obtention de leurs dépositions.

[30]Un dernier point. Le ministre dit que, en raison de l'ordonnance rendue par le juge Hugessen le 5 mars 2003, l'intimé était empêché de solliciter une ordonnance lui accordant l'aide de l'État. L'ordonnance du juge Hugessen du 5 mars 2003 est brève, et je la reproduis ci-après:

[traduction]

1.     Le défendeur sollicite, en application semble-t-il de la règle 220, une ordonnance forçant le demandeur ou la Couronne à lui verser une provision pour les frais prévus de sa défense à l'encontre de cette procédure de révocation de sa citoyenneté et, jusqu'au versement de telle provision, il sollicite une suspension de la procédure.

2.     Abstraction faite de l'inapplicabilité évidente de la règle 220 aux circonstances de cette affaire, et présumant, sans disposer de la question, que la Cour a le pouvoir de rendre l'ordonnance sollicitée, je refuse d'accéder à sa requête.

3.     D'abord, en l'absence d'un pouvoir expressément conféré par la loi, l'unique source de l'octroi d'une ordonnance du genre de celle qui est demandée se trouverait dans la Charte. Il est aujourd'hui bien établi qu'une procédure de révocation de la citoyenneté est purement civile et que les droits conférés au défendeur par la Charte ne sont pas mis en cause dans une telle procédure. Voir l'arrêt Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens (1982), 142 N.R. 173 (C.A.F.).

4.     Deuxièmement, et aspect encore plus important, la preuve ne montre tout simplement pas que le défendeur est dans l'incapacité d'engager et de rémunérer l'avocat de son propre choix. Sa demande d'aide juridique a été refusée par les autorités de la Colombie-Britannique au motif que ses actifs dépassaient la limite d'admissibilité. Il a ces dernières années cédé à son épouse son intérêt dans la maison du couple, cession qui selon moi est hors de propos pour les fins qui nous intéressent, mais la maison en question n'est grevée d'aucune charge et son évaluation aux fins des impôts municipaux dépasse 280 000 $. Le défendeur et son épouse reçoivent tous deux des prestations de retraite régulières, encore que modestes. Le défendeur ne s'est pas acquitté du fardeau de prouver qu'il est impécunieux.

5.     La requête est rejetée.

[31]Le défendeur n'a pas fait appel de l'ordonnance du juge Hugessen et je suis donc d'avis qu'il ne pouvait soulever ce point à moins d'être en possession de preuves nouvelles qui n'avaient pu être présentées au juge Hugessen. Dans l'arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, la juge Arbour, de la Cour suprême du Canada, expliquait, au paragraphe 52, les circonstances où il sera possible de rejuger un point déjà tranché:

La révision de jugements par la voie normale de l'appel, en revanche, accroît la confiance dans le résultat final et confirme l'autorité du processus ainsi que l'irrévocabilité de son résultat. D'un point de vue systémique, il est donc évident que la remise en cause s'accompagne de graves effets préjudiciables et qu'il faut s'en garder à moins que des circonstances n'établissent qu'elle est, dans les faits, nécessaire à la crédibilité et à l'efficacité du processus juridictionnel dans son ensemble. Il peut en effet y avoir des cas où la remise en cause pourra servir l'intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice, par exemple: (1) lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté, (2) lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n'avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial, (3) lorsque l'équité exige que le résultat initial n'ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte. C'est ce que notre Cour a dit sans équivoque dans l'arrêt Danyluk, précité, par. 80. [Non souligné dans l'original.]

[32]En l'espèce, l'intimé n'a présenté aucune preuve qui n'aurait pas pu être présentée au juge Hugessen en mars 2003, et il n'a présenté aucune preuve qui puisse nous conduire à conclure que le point soumis au juge Hugessen devrait être rejugé. Par conséquent, l'intimé n'avait pas le loisir de solliciter devant le juge O'Reilly une ordonnance de paiement d'une provision pour frais.

[33]Je passe maintenant à l'appel incident de l'intimé. Essentiellement, la position de l'intimé est que le juge O'Reilly aurait dû ordonner au ministre de payer tous les honoraires d'avocat et débours raisonnables que l'intimé engagera durant le procès à venir.

[34]Je suis d'avis que l'intimé doit être débouté de son appel incident. Comme je l'ai déjà dit, le juge O'Reilly ne pouvait pas rendre selon le paragraphe 400(6) des Règles une ordonnance de paiement d'une provision pour frais, puisque l'intimé ne remplit pas les conditions fixées pour une telle ordonnance par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan. Comme je l'ai dit également, l'intimé est empêché de solliciter une telle ordonnance puisqu'il n'a pas fait appel de l'ordonnance du juge Hugessen du 5 mars 2003.

[35]Pour ces motifs, j'accueille l'appel du ministre, avec dépens, et je rejette l'appel incident de l'intimé, avec dépens. Rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejette la requête de l'intimé en paiement de ses honoraires d'avocat entraînés par la tenue de la commission rogatoire, et je modifie en conséquence l'ordonnance du juge O'Reilly du 20 juillet 2004. Plus précisément, le paragraphe 4 de cette ordonnance devrait maintenant être formulé ainsi:

Que le demandeur paie les débours raisonnables du défendeur qui se rapportent à la tenue de la commission rogatoire.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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