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T-217-02

2004 CF 710

Brooks Aviation, Inc. (demanderesse)

c.

L'épave abandonnée de l'aéronef Boeing SB-17G, no de série 44-83790, son matériel et sa cargaison, et les propriétaires, les affréteurs et toutes les autres personnes ayant un droit sur l'épave abandonnée de l'aéronef Boeing SB-17G, son matériel et sa cargaison (défendeurs)

Répertorié: Brooks Aviation, Inc. c. Boeing SB-17G (C.F.)

Cour fédérale, juge MacKay--St. John's (Terre-Neuve et Labrador), 24 juin 2003; Ottawa, 17 mai 2004.

        Droit maritime -- Sauvetage -- Action réelle engagée contre une épave abandonnée d'un aéronef, son matériel et sa cargaison (l'épave) -- La définition du mot «épaves» à l'art. 2d) de la Loi sur la marine marchande du Canada comprend les aéronefs naufragés -- Selon le droit maritime traditionnel, une créance valide pour services de sauvetage donne naissance à un droit réel sur l'épave recouvrée -- L'épave doit être en péril au moment où le sauvetage est effectué par un volontaire -- La demanderesse n'avait aucune obligation de récupérer l'épave -- L'épave était en péril -- La demanderesse n'a pas à ce stade la possession de l'épave et elle n'aura aucune créance valide pour services de sauvetage jusqu'au recouvrement -- Elle n'est pas un sauveteur titulaire d'un privilège maritime ou d'un privilège légal -- La demanderesse n'a pas effectué des opérations continues à l'emplacement de l'épave -- La demanderesse ne peut pas davantage revendiquer la possession de l'épave que ne le peut la province ou un tiers, mais ses droits de premier découvreur pourraient être suffisants pour l'autoriser à récupérer l'épave.

        Compétence de la Cour fédérale -- L'aéronef naufragé (l'épave) a été découvert par la demanderesse au fond d'un lac au Labrador -- La demanderesse a engagé une action contre l'épave, les propriétaires et les autres personnes ayant un droit sur l'épave -- Cette dernière a été déclarée saisie -- La question était de savoir si l'affaire relève de la compétence de la Cour -- La Cour exerce une compétence maritime, en vertu de l'art. 22 de la Loi sur les Cours fédérales, en matière de navigation et de marine marchande, dans les cas où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien, notamment des demandes d'indemnisation pour le sauvetage des personnes, de la cargaison, de l'équipement ou des autres biens d'un aéronef assimilé en l'occurrence à un navire -- La compétence conférée par l'art. 22 peut être exercée en matière réelle dans toute action portant sur un navire, un aéronef ou d'autres biens -- La responsabilité et les droits du sauveteur ne sont pas contrariés par l'art. 449 de la Loi sur la marine marchande du Canada (étendant les règles régissant les sauvetages aux aéronefs sur la mer ou les eaux à marée, ou au-dessus, et sur les Grands Lacs) -- La Cour a compétence, en application de l'art. 22, concernant la réclamation de la demanderesse en tant que sauveteur de l'épave défenderesse et pour protéger l'épave, ainsi que les droits prioritaires de la demanderesse en tant que découvreur de l'épave.

        Pratique -- Jugement sommaire -- La demanderesse cherchait à obtenir un jugement sommaire dans une action réelle engagée contre l'épave abandonnée d'un aéronef -- L'affaire se prête à un jugement sommaire étant donné que les questions de fond à décider sont des points de droit -- Les points de fait essentiels pour décider des points de droit peuvent être résolus d'après les preuves qui sont devant la Cour sous forme d'affidavit -- Il est dans l'intérêt de la justice que les points de droit soient décidés par jugement sommaire, cela évitant les coûts supplémentaires que nécessiterait un procès.

        Il s'agissait d'une requête visant à obtenir un jugement sommaire dans une action réelle engagée contre l'épave abandonnée de l'aéronef Boeing SB-17G, son matériel et sa cargaison (l'épave), et contre le propriétaire et toutes les autres personnes ayant un droit sur elle. En décembre 1947, l'aéronef défendeur, exploité alors par l'Armée de l'air des États-Unis, avait dû faire un atterrissage forcé sur la surface gelée du lac Dyke, au Labrador. Durant la débâcle de printemps, l'épave s'était déplacée avec la glace et avait fini par se poser au fond d'un lac adjacent. Le 1er août 1998, après une recherche de l'épave, la demanderesse repérait celle-ci par environ 25 pieds de profondeur, au fond du lac. Elle a engagé la présente action contre l'épave et contre les propriétaires et autres personnes ayant un droit sur elle, et elle a demandé à la Cour d'ordonner sa saisie. En avril 2002, la Cour a déclaré que l'épave était saisie. Les points soulevés étaient les suivants: 1) la présente affaire se prêtait-elle à un jugement sommaire? 2) la présente affaire relevait-elle de la compétence de la Cour? 3) laquelle est l'importance de la propriété de l'épave? 4) la demanderesse avait-elle une créance valide pour services de sauvetage? 5) quel est le redressement adéquat?

        Jugement: la requête est accueillie en partie.

        1) Cette affaire, à laquelle ne s'oppose ici que la province de Terre-Neuve et Labrador, se prêtait à un jugement sommaire, étant donné que les questions de fond à décider étaient des points de droit, et que les points de fait essentiels pour décider ces points de droit pouvaient être résolus d'après les preuves qui étaient devant la Cour sous forme d'affidavit. Il était dans l'intérêt de la justice que les points de droit soient décidés par jugement sommaire, car l'on éviterait ainsi les coûts supplémentaires que nécessiterait un procès.

        2) Le point que devait décider la Cour concernait l'applicabilité du droit fédéral canadien relatif au sauvetage de navires ou d'aéronefs. Selon l'article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale exerce une compétence maritime en matière de navigation et de marine marchande, dans les cas où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale (paragraphe 22(1)). Elle connaît notamment des demandes «d'indemnisation [. . .] pour le sauvetage des personnes, de la cargaison, de l'équipement ou des autres biens d'un aéronef, ou au moyen d'un aéronef, assimilé en l'occurrence à un navire» (alinéa 22(2)j)). Selon le paragraphe 43(2) de cette Loi, la Cour fédérale exerce, en vertu de l'article 22, une compétence en matière réelle dans toute action portant sur un navire, un aéronef ou d'autres biens. Les règles relatives au sauvetage constituent un aspect du droit maritime traditionnel, lequel relève de la compétence exclusive du Parlement en matière de navigation et de marine marchande. Outre les règles traditionnelles applicables aux sauvetages, le législateur fédéral a promulgué des dispositions sur le sauvetage, dans la partie VI de la Loi sur la marine marchande du Canada (LMMC). La définition du mot «épaves», dans la LMMC, comprend les aéronefs naufragés. Selon le paragraphe 436(1) de la LMMC, une épave d'aéronef qui se trouve «dans les limites du Canada» devra être remise au receveur d'épaves par son possesseur, sauf dispense accordée par le ministre. Cette obligation, et les droits du sauveteur, ne sont pas contrariés par l'article 449 de la LMMC. La province a dit avec insistance que le paragraphe 449(1) exclut l'épave d'aéronef dont il s'agit ici de l'application des règles relatives aux sauvetages parce que l'aéronef ne se trouvait pas «sur la mer ou les eaux à marée [ou] sur les Grands Lacs». Le paragraphe 449(1) de la LMMC ne restreint pas l'application des règles traditionnelles régissant les sauvetages maritimes telles que ces règles ont été étendues au recouvrement d'épaves d'aéronefs. Si c'est là ce que le législateur avait voulu, il aurait modifié la Loi sur les Cours fédérales et aurait omis certaines dispositions de la LMMC, en particulier le paragraphe 436(1). Le paragraphe 449(1) établit les règles relatives aux sauvetages et l'obligation de prêter assistance aux navires en détresse, non à ceux qui ont sombré, et il étend cet aspect des règles aux aéronefs se trouvant sur la mer ou sur les Grands Lacs. Tel n'était pas le cas en l'espèce.

        3) Le propriétaire de l'aéronef B-17 lors de son atterrissage forcé était le gouvernement des États-Unis, plus exactement l'Armée de l'air des États-Unis. Cette dernière a précisé qu'elle n'était plus propriétaire de l'aéronef et qu'elle n'avait aucun intérêt sur cet aéronef. Aux fins de cette procédure relative à d'éventuels droits de sauvetage, le propriétaire original a abandonné l'épave, ainsi que tout droit de propriété sur elle. L'épave a été délaissée et était sujette à des réclamations pour services de sauvetage. La province a revendiqué la propriété de l'épave abandonnée qui se trouvait sur des terres domaniales et elle a soutenu que, en tant qu'objet archéologique relevant des lois provinciales, la propriété de l'aéronef était dévolue à la Couronne provinciale, qu'il ait été ou non en sa possession. Il était inutile de régler à ce stade la question de la propriété, car, quelle que soit la décision à ce sujet, le propriétaire ne peut en général faire obstacle au sauvetage de l'épave si celle-ci est considérée comme une chose abandonnée.

        4) Selon le droit maritime traditionnel, une créance valide pour services de sauvetage donne naissance à un droit réel sur l'épave qui est recouvrée. L'épave doit être en péril au moment où le sauvetage est effectué par une personne qui n'est pas tenue, que ce soit en raison d'un contrat, de son emploi, ou de sa qualité de propriétaire, de récupérer l'épave. Les activités de sauvetage doivent donner des résultats, c'est-à-dire que l'épave doit, en totalité ou en partie, être recouvrée; sinon le sauveteur ne pourra rien réclamer. La demanderesse n'avait aucune obligation de récupérer l'épave. L'épave était en péril. Sa dégradation continue empêchera, à une date future imprévis-ible, toute possibilité de recouvrement et de sauvetage. Le péril n'était peut-être pas imminent, mais il était inévitable. L'épave était l'objet d'activités visant à son recouvrement et elle donnera lieu éventuellement à une réclamation pour services de sauvetage si elle est recouvrée, en totalité ou en partie. Néanmoins, la demanderesse n'avait pas à ce stade la possession de l'épave bien qu'elle ait prétendu être un sauveteur qui en avait la possession. Elle n'aurait aucune créance valide pour services de sauvetage tant que la totalité ou une partie de l'épave n'aurait pas été recouvrée. Elle n'était pas un sauveteur titulaire d'un privilège maritime ou d'un privilège conféré par la LMMC. Il n'y avait aucune possession réelle, et la possession présumée qu'invoquait la demanderesse reposait uniquement sur les efforts préliminaires, certes assez considérables, entrepris par elle pour repérer, examiner et documenter l'épave, mais tout cela avant que des moyens n'aient été pris sur l'emplacement pour la récupérer. La demanderesse n'a pas effectué des opérations continues à l'emplacement de l'épave en vue de son recouvrement. Tant que ses efforts à l'emplacement de l'épave n'auront pas débuté et ne se poursuivront pas, on ne saurait dire, que sa prise de possession de la chose abandonnée, à l'endroit où elle se trouvait, était aussi raisonnablement praticable que cela était possible. La demanderesse ne pouvait pas davantage revendiquer la possession de l'épave que ne le pouvait la province ou un tiers. Néanmoins, ses droits de premier découvreur, s'ils étaient contestés, pourraient être jugés suffisants, pendant une période raisonnable, pour l'autoriser à récupérer l'épave.

        5) La requête en jugement sommaire déposée par la demanderesse soulevait de véritables questions litigieuses pour lesquelles la preuve autorisait des conclusions de fait et de droit évoquées dans sa requête en vue d'obtenir un redressement. Il a été déclaré que la Cour avait compétence, en application de l'article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, concernant la réclamation de la demanderesse en tant que sauveteur de l'épave défenderesse et pour protéger l'épave, ainsi que les droits prioritaires de la demanderesse en tant que découvreur de l'épave. Toutefois, la Cour n'était pas disposée à accorder un jugement déclarant que la demanderesse détenait un privilège maritime en tant que sauveteur et qu'elle avait droit à la possession entière et absolue de l'épave, ce qui aurait empêché toute tierce partie de porter atteinte à ses droits de sauvetage. La demanderesse n'avait pas le droit de réclamer du receveur d'épaves une indemnité intégrale et généreuse pour services de sauvetage, car celui-ci n'est pas tenu de payer une rétribution du genre, sauf sur les sommes recouvrées du propriétaire de la chose récupérée, ou sur la vente de la chose si nul ne la réclame. Si la demanderesse récupère l'épave et si elle en a la possession effective à titre de sauveteur, elle devra alors en transférer la possession au receveur d'épaves, ou se conformer à ses directives, sous réserve du droit réel de la demanderesse. Puisque les points soulevés sont inédits en droit canadien et que le succès de la requête était partagé, il a été ordonné à chacune des parties de supporter sa part des dépens entraînés par la requête en jugement sommaire.

lois et règlements

Convention internationale de 1989 sur l'assistance, qui constitue l'annexe V de la Loi modifiant la Loi sur la marine marchande du Canada et une autre loi en conséquence, L.C. 1993, ch. 36.

Historic Resources Act, R.S.N.L. 1990, ch. H-4, art. 2(b) «archaeological object», 11.

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 2 «épaves» (mod. par L.C. 1998, ch. 16, art. 1), 436, 449.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 10(1.1) (mod., idem, art. 19), 22(1) (mod., idem, art. 31), (2)j) (mod., idem), (3) (mod., idem), 43(2) (mod., idem, art. 40), 45(1) (mod., idem, art. 42).

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 216(3).

jurisprudence

décisions distinctes:

Tubantia, The (1924), 18 Ll. L. Rep. 158 (Adm.); Morris v. Lyonesse Salvage Company Ltd., [1970] 2 Lloyd's Rep. 59 (Adm.).

décisions examinées:

Smith v. Smith (1979), 101 D.L.R. (3d) 189; [1979] 4 W.W.R. 665; 12 B.C.L.R. 195 (C.S.C.-B.); Ontario v. Mar-Dive Corp. (1996), 141 D.L.R. (4th) 577; 20 O.T.C. 81 (Div. gén. Ont.).

décisions citées:

ITO--International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Early Recovered Resources Inc. c. Gulf Log Salvage, [2002] 4 C.F. 626; (2002), 216 F.T.R. 317 (1re inst.); conf. par [2003] 3 C.F. 447; (2003), 300 N.R. 130 (C.A.).

REQUÊTE en jugement sommaire dans une action réelle engagée contre l'épave abandonnée du Boeing SB-17G, son matériel et sa cargaison (l'épave), et contre le propriétaire et toutes les autres personnes ayant un droit sur l'épave. Requête accueillie en partie.

ont comparu:

Cecily Y. Strickland pour la demanderesse.

Rolf Pritchard pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Stewart McKelvey Stirling Scales, St. John's (Terre-Neuve et Labrador), pour la demanderesse.

Gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador, Ministère de la Justice pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance, ordonnance et jugement rendus par

[1]Le juge MacKay: La demanderesse, Brooks Aviation Inc., cherche à obtenir un jugement sommaire, en application des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], lui accordant le redressement qu'elle réclame dans cette action réelle engagée contre l'épave abandonnée de l'aéronef Boeing SB-17G, no de série 44-83790, son matériel et sa cargaison (l'épave), et contre le propriétaire et toutes les autres personnes ayant un droit sur elle.

[2]Le 24 décembre 1947, l'aéronef défendeur, une «forteresse volante» bien connue pour ses missions durant la Deuxième Guerre mondiale, et exploitée alors par l'Armée de l'air des États-Unis, avait manqué de carburant sur sa route depuis le Groenland jusqu'à certaines bases situées au nord du Canada ainsi qu'à Terre-Neuve, et avait dû faire un atterrissage forcé sur la surface gelée du lac Dyke, au Labrador. Deux jours plus tard, l'équipage et les passagers, qui avaient survécu à l'atterrissage et avaient bivouaqué, avec leurs effets et certaines parties de l'aéronef, sur les rives du lac, avaient été secourus. Durant la débâcle de printemps sur le lac, l'épave s'était déplacée avec la glace et avait fini par se poser au fond du lac Lobstick, dans lequel se jette semble-t-il le lac Dyke.

[3]Le 1er août 1998, la demanderesse, une société constituée aux États-Unis, qui avait entrepris la recherche de l'épave, repérait finalement celle-ci par environ 25 pieds de profondeur, au fond du lac Lobstick. Elle a aussi récupéré certaines parties de l'aéronef qui avaient été laissées sur le rivage du lac Dyke lorsque l'équipage et les passagers avaient été secourus en 1947. L'emplacement approximatif de l'épave était connu des fonctionnaires de la province de Terre-Neuve et du Labrador, mais, selon la preuve, l'emplacement exact a été déterminé par la demanderesse en 1998, lorsqu'elle découvrit l'épave de l'avion.

[4]Après des pourparlers avec les fonctionnaires provinciaux sur un possible recouvrement de l'épave, la demanderesse a engagé la présente action contre l'épave et contre les propriétaires et autres personnes ayant un droit sur elle, et elle a demandé à la Cour d'ordonner la saisie de l'épave. La déclaration, l'affidavit produit en vue d'un mandat ainsi que le mandat de saisie, déposés à la Cour, ont été remis à la province de Terre-Neuve et du Labrador (la province) ainsi qu'au receveur d'épaves, du ministère fédéral des Pêches et des Océans, et des défenses ont été déposées par la province et par le procureur général du Canada.

[5]En avril 2002, à la requête de la demanderesse, la Cour a accordé une ordonnance dispensant la demanderesse de signifier à l'épave la déclaration, l'affidavit produit en vue d'un mandat et le mandat de saisie, et l'ordonnance dispensait la demanderesse de toute autre signification et déclarait que l'épave était saisie.

[6]Par sa requête en jugement sommaire, la demanderesse sollicite une ordonnance lui accordant le redressement demandé dans sa déclaration, comme il suit:

(A)     un jugement déclaratif ou une conclusion affirmant que la Cour a compétence exclusive sur le sauvetage de l'aéronef B-17;

(B)     un jugement déclaratif ou une conclusion affirmant que les sauveteurs de la demanderesse bénéficient, pour leurs services de sauvetage, d'un privilège maritime sur l'épave de l'aéronef B-17, son matériel et sa cargaison;

(C)     un jugement déclaratif ou une conclusion affirmant que les sauveteurs de la demanderesse ont la possession et la direction, intégralement et absolument, de l'aéronef B-17 aux fins des opérations de sauvetage, et que toutes autres parties doivent s'abstenir de faire obstacle aux droits exclusifs de sauvetage de la demanderesse;

(D)     un jugement déclaratif ou une conclusion affirmant que les sauveteurs de la demanderesse ont le droit d'obtenir du receveur d'épaves, si la propriété de l'aéronef B-17 n'est pas revendiquée, ou de toute partie qui serait déclarée le propriétaire véritable de l'épave, une indemnité de sauvetage intégrale et généreuse;

(E)     subsidiairement, si aucune indemnité de sauvetage n'est payée, ou si l'aéronef B-17 n'est pas revendiqué par son véritable propriétaire, alors un jugement déclarant que les sauveteurs de la demanderesse sont les seuls propriétaires de l'aéronef B-17, sans être astreints à aucune charge.

[7]En réponse à cette requête, le procureur général du Canada (Canada) et la province ont déposé des conclusions écrites, et la province a comparu par l'intermédiaire d'un avocat lorsque l'affaire fut mise au rôle. Les points soulevés sont les suivants:

1.     La présente affaire se prête-t-elle à un jugement sommaire?

2.     La présente affaire relève-t-elle de la compétence de la Cour?

3.     Quelle est l'importance de la propriété de l'épave?

4.     La demanderesse a-t-elle une créance valide pour services de sauvetage?

5.     Quel est ici le redressement adéquat?

[8]J'examinerai successivement chacun de ces points.

La présente affaire se prête-t-elle à un jugement sommaire?

[9]Cette affaire se prête à un jugement sommaire, auquel ne s'oppose ici que la province, étant donné que les questions de fond à décider sont des points de droit, et que les points de fait essentiels pour décider ces points de droit peuvent être résolus d'après les preuves qui sont maintenant devant la Cour sous forme d'affidavit. Les autres points sur lesquels les parties peuvent diverger, par exemple la valeur historique de l'épave pour la province, n'intéressent pas les points de droit qui doivent être maintenant décidés, ou bien il est improbable qu'ils puissent être mieux décidés à l'aide de preuves complémentaires, par exemple celle qui concerne l'imminence du péril susceptible de nuire à l'épave. Au vu de l'ensemble des circonstances de la présente affaire, il est dans l'intérêt de la justice que les points de droit soient décidés par jugement sommaire, car l'on évitera ainsi les coûts supplémentaires que nécessiterait un procès.

Cette affaire relève-t-elle de la compétence de la Cour?

[10]Le point que doit décider la Cour concerne l'applicabilité du droit fédéral canadien relatif au sauvetage de navires ou d'aéronefs, en l'occurrence le recouvrement d'une épave d'aéronef que la demanderesse a trouvée au fond d'un lac du Labrador et qui gît sur une terre domaniale revendiquée par la province. La province revendique la propriété de l'épave en tant qu'objet archéologique trouvé sur le territoire de la province, et elle invoque la loi appelée Historic Resources Act, R.S.N.L. 1990, ch. H-4, articles 2 et 11.

[11]Selon l'article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], la Cour exerce une compétence, appelée compétence maritime en matière de navigation et de marine marchande, dans les cas où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale (paragraphe 22(1) [mod., idem, art. 31]). Elle connaît notamment des demandes «d'indemnisation [. . . ] pour le sauvetage des personnes, de la cargaison, de l'équipement ou des autres biens d'un aéronef, ou au moyen d'un aéronef, assimilé en l'occurrence à un navire» (alinéa 22(2)j) [mod., idem]). Il est précisé que la compétence conférée ainsi à la Cour fédérale s'étend «à tous les aéronefs, canadiens ou non, quel que soit le lieu de résidence ou le domicile des propriétaires, lorsque le droit d'action découle des alinéas (2)j) à l)» (paragraphe 22(3) [mod., idem]). Finalement, selon le paragraphe 43(2) [mod., idem, art. 40] de cette Loi, la Cour fédérale exerce, en vertu de l'article 22, une compétence en matière réelle dans toute action portant sur un navire, un aéronef ou d'autres biens.

[12]Les règles relatives au sauvetage constituent un aspect du droit maritime traditionnel, lequel relève de la compétence exclusive du Parlement en matière de navigation et de marine marchande. Le droit maritime traditionnel comprend aussi les lois écrites qui traitent des réclamations relevant du droit maritime, dans la seule limite de la compétence législative fédérale (voir l'arrêt ITO--International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752). Il s'agit notamment des lois fédérales se rapportant aux épaves d'aéronefs, édictées conformément à la compétence exclusive du Parlement en matière de navigation, de marine marchande et d'aéronautique.

[13]Il se trouve donc que, outre les règles traditionnelles applicables aux sauvetages, à l'intérieur du droit maritime reconnu par la common law et la Constitution, le législateur fédéral a promulgué des dispositions sur le sauvetage, dans la partie VI de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, et modifications (LMMC). Je note que le législateur fédéral a également inclus dans le droit maritime canadien la Convention internationale de 1989 sur l'assistance, qui est aujourd'hui l'annexe V de la LMMC. Son importance pour la compétence fédérale en matière de sauvetage est examinée par le juge Hugessen dans la décision Early Recovered Resources Inc. c. Gulf Log Salvage, [2002] 4 C.F. 626 (1re inst.), jugement confirmé dans son dispositif, [2003] 3 C.F. 447 (C.A.).

[14]La définition du mot «épaves» [mod. par L.C. 1998, ch. 16, art. 1], dans la LMMC, comprend notamment ce qui suit:

2. [. . .]

d) les aéronefs naufragés et toute partie de ceux-ci et de leur chargement ainsi que tous les biens qui sont en la possession des passagers et de l'équipage d'un aéronef naufragé, échoué ou en détresse.

[15]La LMMC prévoit la nomination d'un receveur d'épaves dans diverses régions du Canada, et ce receveur d'épaves assume des responsabilités au regard des épaves et de leur sauvetage. L'article 436 est ainsi rédigé:

436. (1) Quiconque prend possession d'une épave dans les limites du Canada, y compris les eaux canadiennes, doit la remettre au receveur d'épaves le plus tôt possible, mais le ministre peut, relativement à toute épave, dispenser de cette remise aux conditions qu'il juge convenables.

(2) Le présent article s'applique à tout aéronef, partie d'aéronef ou chargement d'aéronef trouvé abandonné en mer en dehors des eaux canadiennes et amené dans les limites territoriales du Canada.

[16]Donc, une épave d'aéronef qui se trouve «dans les limites du Canada» devra être remise au receveur d'épaves par son possesseur, sauf dispense accordée par le ministre.

[17]Cette obligation, et les droits du sauveteur, ne sont pas à mon avis contrariés par l'article 449 de la LMMC, qui traite des aéronefs dans les termes suivants:

449. (1) Toutes les règles de droit, y compris les dispositions de la présente partie, qui se rapportent aux épaves et au sauvetage de la vie humaine ou des biens ainsi qu'au devoir ou à l'obligation de prêter assistance aux navires ou aux bâtiments en détresse, s'appliquent aux aéronefs sur la mer ou les eaux à marée, ou au-dessus, et sur les Grands Lacs, ou au-dessus, tout comme elles s'appliquent aux navires ou aux bâtiments.

(2) Le propriétaire d'un aéronef a droit à une rétribution raisonnable pour services de sauvetage rendus, par l'aéronef, à l'égard de biens ou de personnes dans tous les cas où il y aurait eu droit si l'aéronef avait été un navire ou un bâtiment.

(3) Le gouverneur en conseil peut apporter des modifications à ces règles de droit, dans leur application aux aéronefs, et accorder des exemptions à ce sujet, dans la mesure et de la manière qui paraissent nécessaires ou opportunes.

[18]La province insiste pour dire que le paragraphe 449(1) exclut l'épave d'aéronef dont il s'agit ici de l'application des règles relatives aux sauvetages parce que l'aéronef ne se trouve pas sur la mer ou sur des eaux à marée, ni sur les Grands Lacs. Je relève que, dans la décision Smith v. Smith (1979), 101 D.L.R (3d) 189 (C.S. C.-B.), le juge Meredith avait rejeté la réclamation pour services de sauvetage déposée par le demandeur, qui avait remorqué sur une distance de plusieurs milles, sur un lac intérieur, un aéronef retourné, pour finalement atteindre un camp situé sur la rive, d'où l'aéronef avait été récupéré. Se référant à l'article 514 [S.R.C. 1970, ch. S-9] (l'actuel article 449 de la LMMC), le juge Meredith avait rejeté la réclamation du demandeur, parce que l'aéronef ne se trouvait pas sur la mer ou sur des eaux à marée, ni sur les Grands Lacs.

[19]Je ne suis pas persuadé que cette supposée limite aux règles régissant les sauvetages soit juste. Rien ne prouve que le législateur avait à l'esprit ce que prétend la province, et je ne crois pas que le paragraphe 449(1) de la LMMC restreigne l'application des règles traditionnelles régissant les sauvetages maritimes telles que ces règles ont été étendues au recouvrement d'épaves d'aéronefs. Si c'est là ce que le législateur voulait, il aurait modifié la Loi sur les Cours fédérales et aurait omis certaines dispositions de la LMMC, en particulier le paragraphe 436(1). Selon ma lecture du paragraphe 449(1), cette disposition établit les règles relatives aux sauvetages et l'obligation de prêter assistance aux navires en détresse, non à ceux qui ont sombré, et elle étend cet aspect des règles aux aéronefs se trouvant sur la mer ou sur les Grands Lacs. Telles ne sont pas les circonstances de la présente affaire.

L'importance de la propriété de l'épave

[20]Toutes les parties reconnaissent que le proprié-taire de l'aéronef B-17 lors de son atterrissage forcé était le gouvernement des États-Unis, plus exactement l'Armée de l'air des États-Unis. Toutes les parties prennent acte aussi de la correspondance adressée à la demanderesse par le Département de l'aviation militaire des États-Unis, où l'on peut lire que l'Armée de l'air [traduction] «n'a plus d'intérêt pour cet aéronef», et aussi que [traduction] «selon la politique officielle, les aéronefs qui se sont écrasés avant le 19 novembre 1961 et qui restent partiellement ou totalement non récupérés sont officiellement considérés comme des aéronefs abandonnés». L'Armée de l'air précise qu'elle n'est plus propriétaire de l'aéronef et qu'elle n'a aucun intérêt sur cet aéronef.

[21]La demanderesse fait valoir que la lettre, bien qu'utile, n'est peut-être pas une déclaration officielle d'abandon en droit américain, mais je suis d'avis, aux fins de cette procédure relative à d'éventuels droits de sauvetage, que le propriétaire original a abandonné l'épave, ainsi que tout droit de propriété sur elle. L'épave est délaissée et sujette à des réclamations pour services de sauvetage. Il n'est pas nécessaire ici de se demander si la revendication du propriétaire original risque de renaître en cas de succès du sauvetage de l'épave.

[22]La province revendique la propriété de l'épave aujourd'hui abandonnée qui se trouve sur des terres domaniales, et elle ajoute que, en tant qu'objet archéologique relevant des lois provinciales, la propriété de l'aéronef est dévolue à la Couronne provinciale, qu'il soit ou non en la possession de la Couronne. La demanderesse affirme que l'épave ne constitue pas un objet archéologique, et elle conteste l'importance historique pour la province de cette épave, qui ne présente aucun lien attesté avec Terre-Neuve, si ce n'est de possibles escales techniques, jusqu'à ce que, par accident, l'aéronef fût contraint d'atterrir sur les glaces du lac Dyke, d'où il n'a pas jusque-là été récupéré, devenant ainsi une épave.

[23]Il n'est pas impossible que la revendication de propriété de la province sur la chose soit éventuellement acceptée ou confirmée. Il est inutile de régler à ce stade la question de la propriété, car, quelle que soit la décision à ce sujet, le propriétaire ne peut en général faire obstacle au sauvetage de l'épave si celle-ci est considérée comme une chose abandonnée.

[24]Dans la décision Ontario v. Mar-Dive Corp. (1996), 141 D.L.R. (4th) 577 (Div. gén. Ont.), la province de l'Ontario revendiquait la propriété d'un navire abandonné qui avait sombré dans le lac Érié en 1852 et qui avait été trouvé englouti dans la vase au fond du lac, à l'intérieur des eaux canadiennes. La réclamation de la province fut admise à l'encontre de parties qui, invoquant un jugement rendu par un tribunal de Californie, prétendaient être les sauveteurs du navire. Le jugement californien n'a pas été reconnu ni homologué par la Cour de l'Ontario. Celle-ci a estimé que la demanderesse n'avait pas établi qu'elle remplissait les conditions d'un sauveteur, mais sa décision procédait surtout de son refus de reconnaître le jugement du tribunal californien.

La créance de la demanderesse pour services de sauvetage

[25]Selon le droit maritime traditionnel, une créance valide pour services de sauvetage donne naissance à un droit réel sur l'épave qui est recouvrée. L'épave doit être en péril au moment où le sauvetage est effectué par un volontaire, c'est-à-dire par une personne qui n'est pas tenue, que ce soit en raison d'un contrat, de son emploi, ou de sa qualité de propriétaire, de récupérer l'épave. En général, abstraction faite des activités de sauvetage menées en vertu d'un contrat pouvant renfermer des dispositions contraires, les activités de sauvetage doivent donner des résultats, c'est-à-dire que l'épave doit, en totalité ou en partie, être recouvrée; sinon le sauveteur ne pourra rien réclamer. L'adage «pas de résultat, pas de récompense» s'applique à toute réclamation faite par un sauveteur, selon les règles traditionnelles ou selon la convention internationale.

[26]Selon le droit maritime et la LMMC, le sauveteur qui a la possession d'une épave d'aéronef est tenu de la remettre au receveur d'épaves, à moins que le ministre ne l'en dispense. Le receveur doit, au besoin selon les directives de la Cour, transférer le bien au propriétaire, moyennant paiement par celui-ci d'une rétribution raisonnable pour services de sauvetage, ainsi que des honoraires ou frais supportés par le receveur. Si le propriétaire ne revendique pas l'épave ou ne paie pas la rétribution et les frais, le receveur peut vendre l'épave, et le produit de la vente servira d'abord à payer les frais ainsi que la rétribution pour services de sauvetage (voir en général la partie VI de la LMMC). La limite ultime d'une rétribution pour services de sauvetage est donc essentiellement la valeur marchande approximative de l'épave.

[27]À mon avis, la preuve permet d'affirmer que la demanderesse est un volontaire, qui n'avait aucune obligation de récupérer l'épave. Je suis également d'avis que l'épave est en péril. La province dit que la preuve n'autorise pas cette conclusion, surtout, selon ce que je crois comprendre, parce que l'épave n'a pas encore atteint l'état de dégradation où son sauvetage puisse présenter un quelconque intérêt. Il reste qu'une dégradation continue empêchera, à une date future imprévisible, toute possibilité de recouvrement et de sauvetage de l'épave. En somme, le péril n'est peut-être pas imminent, mais il est inévitable. Selon moi, l'épave est pour l'heure l'objet d'activités visant à son recouvrement et elle donnera lieu éventuellement à une réclamation pour services de sauvetage si elle est recouvrée, en totalité ou en partie.

[28]Néanmoins, je ne suis pas persuadé que la demanderesse ait à ce stade la possession de l'épave, bien qu'elle prétende être un sauveteur qui en a la possession. Elle sera en possession pour la totalité ou la partie de l'épave qui sera recouvrée, mais, jusqu'au recouvrement, elle ne peut avoir qualité de sauveteur et elle n'a sur l'épave aucun droit réel, cet attribut essentiel d'un sauveteur. Tant que l'épave ne sera pas recouvrée, la demanderesse n'aura aucune créance valide pour services de sauvetage.

[29]La demanderesse fonde sa possession de l'épave en invoquant les circonstances de l'épave et les efforts substantiels qu'elle a déployés pour repérer, situer et explorer l'aéronef, au fond de l'eau, et, tout en se gardant de révéler l'endroit exact de l'épave, pour faire connaître au public sa découverte de l'épave et son intention de la renflouer. La demanderesse dit que, dans un tel cas, il y a possession présumée, puisqu'elle a fait tout ce qu'il y avait à faire jusqu'à ce que soient organisés les importants moyens requis pour recouvrer l'épave. Elle fait valoir que, quand bien même les efforts qu'elle a déployés ne lui conféreraient aucun privilège possessoire, il ne lui est pas nécessaire, en tant que sauveteur, d'avoir la possession matérielle de la chose pour faire exécuter son privilège maritime ou son privilège légal. Je ne suis pas persuadé que la demanderesse soit un sauveteur titulaire d'un privilège maritime ou d'un privilège conféré par la LMMC. Il n'y a ici aucune possession réelle, et la possession présumée qu'invoque la demanderesse repose uniquement sur les efforts préliminaires, certes assez considérables, entrepris par elle pour repérer, examiner et documenter l'épave, mais tout cela avant que des moyens ne soient pris sur l'emplacement pour la récupérer.

[30]Dans l'affaire Tubantia, The (1924), 18 Ll. L. Rep. 158, la Chambre maritime de la Haute Cour du Royaume-Uni avait confirmé le droit des demandeurs à un jugement déclaratif restreint selon lequel, sans préjudice des droits que pouvaient avoir la Couronne ou des tierces parties autres que les défendeurs, les demandeurs avaient droit à la possession d'un navire abandonné qui gisait sous les eaux, ainsi qu'à une injonction interdisant que soient entravés leurs efforts de sauvetage de ce navire. Dans l'affaire Morris v. Lyonesse Salvage Company Ltd., [1970] 2 Lloyd's Rep. 59, la Chambre maritime de Haute Cour du Royaume-Uni avait refusé de proroger une injonction interlocutoire accordée à l'origine pour une brève période, en vue d'interdire toute entrave aux activités d'une partie activement occupée à récupérer des épaves de navires gisant sous les eaux, et cela parce que toute perturbation des opérations de sauvetage menées par le demandeur pouvait être l'objet d'une réparation adéquate. Dans cette affaire, le juge Dunn écrivait (à la page 61):

[traduction] Pour prouver qu'ils ont la possession d'une chose abandonnée, les sauveteurs doivent montrer d'abord qu'ils ont l'animus possidendi et ensuite qu'ils ont exercé la prise de possession qui est raisonnablement praticable, eu égard à la chose abandonnée, à son emplacement et à la pratique des sauveteurs.

[31]Dans les précédents invoqués par la demanderesse, la partie qui réclamait des droits à titre de sauveteur avait commencé et continuait des activités en vue de recouvrer une épave ou des portions d'une épave, et cela alors que son droit à la possession de l'épave était reconnu expressément ou tacitement, avant celui d'une autre partie dont les activités de sauvetage étaient postérieures aux siennes. Dans la présente affaire, la demanderesse n'a pas mené des activités continues à l'emplacement de l'épave en vue de son recouvrement. Tant que ses efforts à l'emplacement de l'épave n'auront pas débuté et ne se poursuivront pas, on ne saurait dire, à mon avis, que sa prise de possession de la chose abandonnée, à l'endroit où elle se trouve, est aussi raisonnablement praticable que cela est possible. Pour l'heure, la demanderesse ne peut pas davantage revendiquer la possession de l'épave que ne le peut la province ou n'importe qui.

[32]Néanmoins, ses droits de premier découvreur, s'ils étaient contestés, pourraient être jugés suffisants, pendant une période raisonnable, pour l'autoriser à récupérer l'épave. Les droits en question pourraient justifier une protection, par injonction ou dommages-intérêts, à l'encontre de quiconque tenterait d'entraver ses efforts ou déploierait lui-même des efforts pour récupérer l'épave.

Conclusions - la solution qui s'impose en l'espèce

[33]Selon le paragraphe 216(3) des Règles de la Cour fédérale (1998), lorsque la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient, au vu de l'ensemble de la preuve, à dégager les faits nécessaires pour décider les points de fait et de droit.

[34]La requête en jugement sommaire déposée par la demanderesse soulève effectivement de véritables questions litigieuses pour lesquelles, à mon avis, la preuve autorise des conclusions de fait et de droit évoquées dans la requête de la demanderesse en vue d'obtenir un redressement.

[35]Je déclare que la Cour a compétence, en application de l'article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, concernant la réclamation de la demanderesse en tant que sauveteur de l'épave défenderesse. Je suis disposé aussi à déclarer que la Cour a compétence pour protéger l'épave, ainsi que les droits prioritaires de la demanderesse en tant que découvreur de l'épave.

[36]En revanche, je ne suis pas disposé à accorder les autres formes de redressement sollicitées par la demanderesse, à savoir un jugement déclarant que la demanderesse détient maintenant un privilège maritime en tant que sauveteur et qu'elle a droit à la possession entière et absolue de l'épave, ce qui empêcherait toute tierce partie de porter atteinte à ses droits de sauvetage. Des redressements de cette nature ne pourront être envisagés qu'après que des activités de sauvetage auront permis à la demanderesse de récupérer la totalité ou une partie de l'épave. Finalement, je souscris aux conclusions du procureur général du Canada pour qui la demanderesse n'a pas le droit de réclamer du receveur d'épaves une rétribution intégrale et généreuse pour services de sauvetage, car celui-ci n'est pas tenu de payer une rétribution du genre, sur les sommes recouvrées du propriétaire de la chose récupérée, ou sur la vente de la chose si nul ne la réclame.

[37]Je voudrais également dire quelques mots sur la position ultime de la demanderesse si elle récupère effectivement l'épave. Si la demanderesse récupère l'épave et si elle en a la possession effective à titre de sauveteur, elle devra alors en transférer la possession au receveur d'épaves, ou se conformer aux directives du receveur d'épaves, sous réserve du droit réel de la demanderesse. Lorsque le propriétaire de l'épave aura versé au receveur une rétribution raisonnable pour les services de sauvetage fournis par la demanderesse, et lorsque le receveur aura versé la rétribution à la demanderesse, alors la réclamation in rem de la demanderesse en tant que sauveteur sera éteinte. Si nul ne revendique auprès du receveur d'épaves la propriété de l'épave récupérée, ou si le propriétaire revendique la propriété de l'épave mais ne verse pas une rétribution raisonnable pour les services de sauvetage de la demanderesse, le receveur pourra vendre l'épave ainsi que le prévoit la LMMC, et verser à la demanderesse, sur le produit de la vente, pour autant qu'il soit suffisant, une rétribution raisonnable pour services de sauvetage. Le receveur pourrait transférer la possession et la propriété de l'épave à la demanderesse en sa qualité de sauveteur, entraînant ainsi l'extinction de sa réclamation in rem.

[38]Le point n'a pas été soulevé dans cette procédure, mais la Cour dit que, si des plans de sauvetage sont exécutés par la demanderesse, celle-ci devra consulter la province sur les dispositions qui présideront au sauvetage de l'aéronef et à la reconnaissance de leurs droits respectifs sur l'épave une fois récupérée.

[39]La demanderesse et la province voudraient toutes deux obtenir les dépens de cette requête. À mon avis, puisque les points soulevés sont inédits en droit canadien et que le succès de la requête est partagé, en ce sens que la demanderesse n'obtient pas totalement gain de cause, les intérêts de la justice seront mieux servis si chacune des parties supporte sa part des dépens entraînés par la requête en jugement sommaire.

[40]Pour mémoire, je ferais observer que, quelques mois après avoir instruit la présente affaire, j'ai cessé le 20 mars 2004 d'occuper ma charge, en application de la Loi sur les juges [L.R.C. (1985), ch. J-1]. Comme le prévoit le paragraphe 45(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 42] de la Loi sur les Cours fédérales, j'ai été prié par le juge en chef de rendre jugement dans cette affaire. Le juge en chef m'a également nommé juge suppléant de la Cour, en application du paragraphe 10(1.1) [mod., idem, art. 19] de la Loi sur les Cours fédérales, et en cette qualité j'ai les pouvoirs d'un juge de la Cour. J'exerce mes attributions en signant, à titre de juge suppléant, les présents motifs et le jugement qui les accompagne.

ORDONNANCE ET JUGEMENT

LA COUR ORDONNE:

[41]La requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse est accueillie en partie, et la Cour rend le jugement suivant:

1. La Cour a compétence, en application de l'article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, pour statuer sur une réclamation pour services de sauvetage de l'épave défenderesse, à savoir l'épave abandonnée de l'aéronef Boeing SB-17G, no de série 44-83790, son matériel et sa cargaison.

2. La Cour a compétence pour protéger l'épave, maintenant saisie par décision de la Cour, et, afin de faciliter le sauvetage de l'épave, elle peut protéger le droit prioritaire de la demanderesse, en tant que découvreur, de récupérer l'épave, en totalité ou en partie, et d'en prendre possession. Sur requête de la demanderesse, ce redressement vaudra à l'encontre de toute partie nommément désignée ou à l'encontre d'un défendeur symbolique, M. Untel, et de toutes autres personnes qui pourraient recevoir signification, ou avoir connaissance, d'une ordonnance interdisant à quiconque de tenter de recouvrer une partie ou la totalité de l'épave, étant entendu que les intérêts de la demanderesse dans le sauvetage de la chose seraient irréparablement lésés sans un tel redressement.

3. Est rejetée la requête de la demanderesse en vue d'obtenir un jugement déclaratif lui reconnaissant le statut de sauveteur titulaire d'un privilège maritime, lui accordant à ce titre la possession entière et absolue de l'épave aux fins de ses activités de sauvetage, et interdisant à quiconque d'entraver l'exercice de ses droits exclusifs de sauvetage. Est également rejetée la requête de la demanderesse en vue d'obtenir un jugement déclaratif lui accordant le droit de recevoir du receveur d'épaves une rétribution intégrale et généreuse pour services de sauvetage si le propriétaire ne demande pas la restitution de l'épave ou s'il n'est pas disposé à verser une rétribution raisonnable pour services de sauvetage.

[42]Chacune des parties supportera ses propres dépens entraînés par la requête.

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