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[2013] 4 R.C.F. 455

IMM-6450-11

2012 CF 1411

Panchalingam Nagalingam (demandeur)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeur)

Répertorié : Nagalingam c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour fédérale, juge Boivin—Toronto, 2 octobre; Ottawa, 3 décembre 2012.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration d’établir un rapport en vertu de l’art. 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans lequel il a écrit que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité aux termes de l’art. 36(2)a) de la Loi — Le demandeur est un réfugié au sens de la Convention et un résident permanent déclaré coupable de diverses infractions — Une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui à la suite de la délivrance du rapport visé à l’art. 44 — La question était de savoir si l’agent a commis une erreur de droit et un manquement à l’équité procédurale en ne tenant pas compte des considérations humanitaires et en ne donnant pas au demandeur l’occasion de présenter des arguments avant d’établir le rapport — On doit favoriser une approche plus restrictive en ce qui concerne la liberté d’un agent d’immigration ou d’un représentant du ministre de prendre en compte des circonstances atténuantes ou des considérations humanitaires dans une procédure engagée selon l’art. 44 — En l’espèce, la décision de l’agent était conforme à la jurisprudence sur la question — Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration d’établir un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans lequel il a écrit qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité aux termes de l’alinéa 36(2)a) de la Loi.

Le demandeur, originaire du Sri Lanka, a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention, puis est devenu résident permanent. Il a par la suite été déclaré coupable de diverses infractions. L’agent a établi le rapport susmentionné, et à la suite d’une enquête menée en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, le demandeur a fait l’objet d’une mesure d’expulsion.

Il s’agissait de déterminer si l’agent a commis une erreur de droit et un manquement à l’équité procédurale parce qu’il a passé outre aux considérations humanitaires et/ou parce qu’il n’a pas donné au demandeur l’occasion de présenter des arguments sur la question avant d’établir le rapport et de convoquer le demandeur à une enquête.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La plupart des précédents examinés appuient la position selon laquelle les agents d’immigration ou les représentants du ministre n’ont guère la possibilité de prendre en compte des facteurs autres que les faits à l’origine de l’interdiction de territoire. De fait, la jurisprudence favorise une approche plus restrictive pour ce qui concerne la liberté d’un agent d’immigration ou d’un représentant du ministre de prendre en compte des circonstances atténuantes ou des considérations humanitaires dans une procédure engagée selon l’article 44. La décision du représentant du ministre de ne pas prendre en compte les questions d’ordre humanitaire durant l’entrevue est conforme à la jurisprudence dominante sur la question, ainsi qu’aux arrêts de la Cour d’appel fédérale. Il n’y a donc eu aucun manquement à l’équité procédurale pouvant justifier une intervention en l’espèce.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36, 37(1)a), 44, 64(1), 72, 115(2)b).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 228.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409; Awed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 469; Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 782; Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, [2009] 1 R.C.F. 675, conf. par 2009 CAF 73; Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL).

décisions examinées :

Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1397; Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, [2009] 2 R.C.F. 52; Nagalingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 176; Nagalingam c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 362, [2013] 4 R.C.F. 415; Nagalingam c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CanLII 94396 (C.I.S.R.); Monge Monge c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 809, [2010] 3 R.C.F. 291; Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3.

décisions citées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Wajaras c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 200; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration d’établir un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans lequel il a écrit qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité aux termes de l’alinéa 36(2)a) de la Loi. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Andrew J. Brouwer pour le demandeur.

Michael Butterfield et Nadine S. Silverman pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Refugee Law Office, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par¸

[1]        Le juge Boivin : Le demandeur sollicite, en application de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d'immigration (l’agent), prise en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi, qui a estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Panchanlingam Nagalingam (le demandeur) est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 36(2)a) de la Loi.

Le contexte

[2]        Le demandeur est un Tamoul originaire du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada en août 1994. Le 2 mars 1995, il a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention et il est devenu résident permanent le 13 mars 1997.

[3]        Entre 1999 et 2001, le demandeur a été déclaré coupable de voies de fait, de non‑respect des conditions d’un engagement et de méfait. Il a plus tard été frappé d’une interdiction de territoire pour criminalité organisée, en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi, à cause de son appartenance au gang tamoul AK Kannan. Une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui le 28 mai 2003, mesure qui lui faisait aussi perdre son statut de résident permanent. La Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision le frappant d’une interdiction de territoire (Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1397).

[4]        Comme le demandeur avait été reconnu comme réfugié au sens de la Convention, le ministre a rendu le 4 octobre 2005 un avis de danger en vertu de l’alinéa 115(2)b) de la Loi, et il fut décidé que le demandeur ne devrait pas être autorisé à demeurer au Canada eu égard à la nature et à la gravité des actes qu’il avait commis. Le demandeur a introduit une procédure de contrôle judiciaire et prié la Cour d’ordonner un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, mais sa requête en sursis à l’exécution a été rejetée. Il a alors tenté d’obtenir une injonction de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, qui a rejeté sa demande, invoquant notamment l’assurance du ministre qu’il serait autorisé à revenir pour le cas où sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de l’avis de danger serait accueillie.

[5]        Le demandeur a été renvoyé du Canada le 5 décembre 2005. Le 24 avril 2008, la Cour d'appel fédérale a accueilli sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de l’avis de danger, lequel fut renvoyé au représentant du ministre pour nouvelle décision (Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, [2009] 2 R.C.F. 52). Le demandeur a prié le ministre de l’autoriser à revenir au Canada. Alors qu’il attendait son retour au Canada, il aurait été enlevé à son domicile à Colombo, puis torturé durant plus de deux jours.

[6]        Le demandeur est revenu au Canada le 24 février 2009 à la faveur d’un permis de séjour temporaire. À son retour, il a d’abord été détenu, puis finalement relâché sous de strictes conditions.

[7]        Le ministre avait entrepris, avant le retour du demandeur au pays, le réexamen de l’avis de danger rendu en vertu de l’alinéa 115(2)b). Quand un autre avis de danger fut rendu le 23 février 2011, qui concluait que le demandeur ne devrait pas être autorisé à demeurer au Canada eu égard à la nature et à la gravité de ses actes et qu’il serait renvoyé entre le 23 et le 26 mars 2011, le demandeur a déposé deux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire : dans la première, il contestait l’avis de danger de 2011 et, dans la deuxième, il sollicitait un jugement déclaratoire disant que l’ordonnance de renvoi de 2003 était consommée et n’avait plus de valeur juridique. Dans l’intervalle, le demandeur a déposé des requêtes en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi et présenté une pétition au Comité contre la torture des Nations Unies, lequel a accordé les mesures provisoires et demandé le report du renvoi. Ces mesures provisoires ont été levées après que le gouvernement du Canada a réussi à faire admettre que la pétition du demandeur était irrecevable parce que ses recours internes n’avaient pas été épuisés — à savoir les deux demandes de contrôle judiciaire.

[8]        Le juge Russell, de la Cour fédérale, a instruit les deux demandes en octobre 2011 et a fait droit, pour manquement à l’équité procédurale, à la demande de contrôle judiciaire ayant trait à l’avis de danger, le demandeur n’ayant pas été à même de contre‑interroger un détective qui avait témoigné (Nagalingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 176). Le juge Russell a aussi fait droit en partie à la demande de contrôle judiciaire portant sur la mesure de renvoi de 2003 (Nagalingam c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 362, [2013] 4 R.C.F. 415). Selon lui, « la mesure d’expulsion […] 2003, bien qu’elle [fût] valide au moment de sa prononciation, a maintenant été exécutée, et […] son effet s’en trouve épuisé. En conséquence, cette mesure n’autorise pas le défendeur à renvoyer de nouveau le demandeur du Canada, et la Cour lui interdit de l’utiliser à cette fin ».

[9]        Le 9 septembre 2011, l’agent a établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi un rapport où il écrivait que le demandeur est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 36(2)a) de la Loi pour criminalité, puisqu’il avait été reconnu coupable en septembre 2000 et janvier 2001 de non‑respect des conditions d’un engagement et de méfait à l’égard d’un bien d’une valeur inférieure à 5 000 $. Le rapport a été signifié au demandeur le 9 septembre 2011, accompagné d’un avis de convocation à une enquête devant se dérouler en vertu du paragraphe 44(2). Le demandeur n’avait pas bénéficié d’une entrevue avant l’établissement du rapport ni avant la directive prévoyant la tenue d’une enquête, et il n’a pas été autorisé à présenter des conclusions. L’entrevue devait d’abord avoir lieu le 13 septembre 2011, mais elle fut repoussée au 16 septembre 2011 à la requête du demandeur.

[10]      Un représentant du ministre s’est entretenu avec le demandeur, et une nouvelle mesure d’expulsion a été prononcée contre celui‑ci le 16 septembre 2011 en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi. Son expulsion était prévue au départ les 29 et 30 septembre 2011. Par lettre datée du 23 septembre 2011, le Comité contre la torture des Nations Unies a informé l’avocat du demandeur qu’il rétablissait la demande de mesures provisoires.

[11]      Le demandeur prétend qu’il aurait avancé plusieurs arguments si l’occasion lui en avait été donnée, à savoir les suivants : sa réadaptation au cours de la dernière décennie; le temps écoulé depuis la dernière infraction et un casier judiciaire sans tache depuis (une période de 11 ans); l’observation de ses conditions d’assignation à résidence; les démarches qu’il a entreprises pour obtenir un pardon; son mariage avec Nira Rajanayagam, et leur fille Alena; le fait qu’il s’occupe de ses parents âgés; ses relations avec sa famille au Canada; le risque qu’il court au Sri Lanka, enfin son statut de réfugié au sens de la Convention.

[12]      Par décision datée du 21 février 2012 [Nagalingam c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CanLII 94396], la SAI [Section d’appel de l’immigration] a conclu qu’elle n’avait pas compétence selon le paragraphe 64(1) de la Loi pour instruire l’appel du demandeur à l’encontre de la mesure d’expulsion, et cela parce qu’il était frappé d’interdiction de territoire pour criminalité organisée. La décision de la SAI est contestée dans une autre procédure de contrôle judiciaire introduite devant la Cour (IMM‑2411‑12).

La décision contestée

[13]      Le demandeur conteste la décision de l’agent d’établir le rapport prévu par le paragraphe 44(1). Le rapport, daté du 9 septembre 2011, mentionne que le demandeur est un étranger qui a été autorisé à entrer au Canada et qui, selon l’agent, est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(2)a) de la Loi pour avoir été déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. Le rapport renferme ce qui suit :

[traduction]

M. Panchalingam Nagalingam a été déclaré coupable le 25 Septembre 2000, à Toronto, de non‑respect des conditions d’un engagement, UNE INFRACTION au paragraphe 145(3) du Code criminel du Canada, ET punissable d’un emprisonnement maximal de deux ans. il a été condamné à UNE PEINE D’EMPRISONNEMENT DE cinq jours et à UNE détention préventive DE TROIS JOURS.

M. Panchalingam Nagalingam a aussi été déclaré coupable le 25 janvier 2001, à Toronto, de deux chefs de méfait à l’égard d’un bien d’une valeur inférieure à 5 000 $, UNE INFRACTION au paragraphe 430(4) du Code criminel du Canada, ET punissable d’un emprisonnement maximal de deux ans. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 45 jours, devant être purgée d’une manière discontinue, à une Période de probation de deux ans et à une détention préventive de 16 jours.

La question en litige

[14]      Le demandeur soumet le point suivant : L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit et un manquement à l’équité procédurale parce qu’il a passé outre aux considérations humanitaires et/ou parce qu’il n’a pas donné au demandeur l’occasion de présenter des arguments sur la question avant d’établir le rapport et de convoquer le demandeur à une enquête?

Les dispositions applicables

[15]      Les dispositions suivantes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés sont applicables à la présente affaire :

PARTIE 1

IMMIGRATION AU CANADA

[…]

Section 4

Interdictions de territoire

[…]

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

[…]

Grande criminalité

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

[…]

Criminalité

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

b) la déclaration de culpabilité n’emporte pas interdiction de territoire en cas de verdict d’acquittement rendu en dernier ressort ou en cas de suspension du casier — sauf cas de révocation ou de nullité — au titre de la Loi sur le casier judiciaire;

[…]

Application

Section 5

Perte de statut et renvoi

Constat de l’interdiction de territoire

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

Rapport d’interdiction de territoire

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

Suivi

(3) L’agent ou la Section de l’immigration peut imposer les conditions qu’il estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution, au résident permanent ou à l’étranger qui fait l’objet d’un rapport ou d’une enquête ou, étant au Canada, d’une mesure de renvoi.

Conditions

[16]      Par ailleurs, la disposition suivante du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, est elle aussi applicable puisqu’elle prévoit que, dans le cas du demandeur, le représentant du ministre ne soumet pas le rapport à la Section de l’immigration, mais prononce plutôt lui‑même la mesure de renvoi, en l’occurrence une mesure d’expulsion :

Section 2

Mesures de renvoi à prendre

228. (1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci‑après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

a) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger pour grande criminalité ou criminalité au titre des alinéas 36(1)a) ou (2)a) de la Loi, l’expulsion;

Application du paragraphe 44(2) de la Loi : étrangers

La norme de contrôle

[17]      La question soumise à l’examen de la Cour concerne un possible manquement à l’équité procédurale. C’est donc une question qui doit être revue d’après la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409 (Cha), au paragraphe 16).

Les arguments

La position du demandeur

[18]      Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et qu’il ne lui a pas donné l’occasion d’expliquer pourquoi un rapport selon le paragraphe 44(1) ne devrait pas être établi et soumis à un représentant du ministre pour décision.

[19]      Le demandeur s’appuie largement sur la décision Monge Monge c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 809, [2010] 3 R.C.F. 291 (AMM), où le juge Harrington résume et analyse, aux paragraphes 18 à 31, les précédents et les facteurs applicables. Le juge Harrington examine dans cette décision plusieurs aspects : le pouvoir discrétionnaire conféré aux agents d’exécution d’établir (ou non) un rapport selon le paragraphe 44(1), le niveau d’équité procédurale auquel ils sont astreints dans l’établissement de tels rapports, et les facteurs dont ils doivent tenir compte lorsqu’ils signent de tels rapports.

[20]      Le demandeur affirme que, dans la décision AMM, ainsi que dans bon nombre des précédents qui y sont recensés, un rapport narratif avait été établi par l’agent, énumérant les circonstances du cas et les facteurs pris en compte. Le demandeur admet que, lorsqu’on faisait valoir, dans d’autres cas, que des rapports narratifs de cette nature étaient déficients, la Cour refusait en général d’intervenir. Cependant, il soutient que son cas est différent parce que : i) il n’a pas bénéficié d’une entrevue en marge de la rédaction du rapport; ii) aucun rapport narratif n’a été établi; iii) il est un réfugié au sens de la Convention; iv) au moment de la rédaction du rapport, le ministre croyait être en position de procéder immédiatement à l’exécution de la mesure de renvoi parce qu’il n’existait encore aucun sursis à l’exécution de cette mesure; v) le ministre était d’avis que la Section d'appel de l’immigration (la SAI) n’avait pas compétence pour instruire un appel où des considérations humanitaires pourraient être invoquées; vi) il y a dans le cas de l’appelant de nombreux facteurs pertinents qui auraient dû être pris en compte.

[21]      Le demandeur affirme aussi que les réfugiés ont droit à un niveau plus élevé d’équité procédurale que les visiteurs (il cite à l’appui le juge Décary dans l’arrêt Cha, précité). Il soutient que, lorsque le juge Mosley écrivait, dans la décision Awed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 469 (Awed), que cela ne signifie pas que les réfugiés sont fondés, plus que les autres étrangers, à espérer davantage de droits de participation ou davantage de latitude dans l’application de l’article 44, il s’appuyait sur le fait que les réfugiés peuvent interjeter appel devant la SAI, où ils sont à même d’invoquer des considérations humanitaires, un droit que le demandeur n’a peut‑être pas dans la présente affaire.

[22]      Le demandeur affirme que la jurisprudence de la Cour fédérale sur le sujet est incertaine et que l’arrêt Cha de la Cour d'appel fédérale est ambigu sur l’existence d’un pouvoir discrétionnaire.

La position du défendeur

[23]      Le défendeur affirme que l’agent n’a qu’un faible pouvoir discrétionnaire de ne pas établir un rapport aux termes du paragraphe 44(1) dès lors que l’intéressé tombe sous le coup des dispositions applicables de la Loi. Invoquant la décision Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 782 (Correia), il affirme que la décision d’établir de tels rapports doit être considérée dans le contexte de la section 5 de la Loi, une section dont l’objet est le renvoi de certaines personnes du Canada. Selon le défendeur, l’enquête de l’agent se limite aux faits pertinents, à l’exclusion des questions d’ordre humanitaire ou de la réadaptation du demandeur. Le défendeur se réfère aussi à la décision Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, [2009] 1 R.C.F. 675 (Richter), conf. par 2009 CAF 73, pour soutenir que le pouvoir discrétionnaire de l’agent de ne pas établir un rapport est extrêmement restreint et que l’entrevue aux termes du paragraphe 44(1) a simplement pour objet de vérifier les renseignements précis qui appuient l’avis de l’agent.

[24]      Le défendeur invoque aussi l’arrêt Cha, précité, aux paragraphes 33, 35 et 37, où la Cour d'appel fédérale écrivait que l’agent est en principe tenu d’établir un rapport aux termes du paragraphe 44(1) sauf si un pardon a été accordé ou s’il y a eu verdict d’acquittement en dernier ressort. Il fait aussi valoir que l’arrêt Cha donne l’interprétation suivante des articles 36 et 44 de la Loi : la mission des agents d’immigration et des représentants du ministre ne consiste qu’à rechercher les faits, sans qu’il soit tenu compte de circonstances particulières — il n’appartient pas à l’agent de s’enquérir de questions d’ordre humanitaire ni d’autres aspects pouvant intéresser un examen des risques avant renvoi.

[25]      Le défendeur dit que, dans la décision AMM, précitée, la Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si l’agent était libre ou non d’établir le rapport. Il ajoute que, alors même qu’il n’existait aucun examen détaillé, la Cour n’est pas intervenue.

[26]      Finalement, le défendeur, invoquant la décision Wajaras c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 200, ajoute que le demandeur peut, au stade du renvoi de l’affaire selon le paragraphe 44(2), présenter des circonstances atténuantes au représentant du ministre.

Analyse

[27]      La Cour rappelle d’entrée de jeu le libellé du paragraphe 44(1) de la Loi : « S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre » (non souligné dans l'original).

[28]      Le texte du paragraphe 44(1) donne à penser qu’une certaine latitude est accordée à l’agent. Les propos du juge Décary dans l’arrêt Cha, précité, au paragraphe 19, montraient que le pouvoir d’appréciation de l’agent variera selon que l’affaire concerne un étranger ou un résident permanent, selon les divers moyens possibles pouvant justifier une interdiction de territoire (et selon le niveau de complexité des faits sous‑jacents, compte tenu des moyens invoqués), et selon que le représentant du ministre prononce lui‑même la mesure d’expulsion ou défère plutôt l’affaire à la Section de l’immigration (Cha, précité, paragraphe 22).

[29]      Durant l’audience tenue devant la Cour, le demandeur s’est considérablement appuyé sur la décision Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3 (Hernandez), au paragraphe 31, un précédent qui prête appui à son argument selon lequel certains facteurs auraient dû être pris en compte dans le rapport établi selon le paragraphe 44(1).

[30]      Dans la décision Hernandez, précitée, la juge Snider écrivait que la décision Correia, précitée, ne signifiait pas que les agents d’immigration sont empêchés de considérer quoi que ce soit d’autre que la déclaration de culpabilité elle‑même, mais plutôt que les faits pris en considération doivent se rapporter à la déclaration de culpabilité. Elle concluait par une analyse des facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, ajoutant que l’obligation d’équité dans de tels cas était moins stricte, étant de nature administrative, et ne commandait pas toujours une entrevue, mais que, à tout le moins, l’intéressé devrait avoir la possibilité de présenter des observations et de connaître le dossier établi contre lui.

[31]      Cependant, la Cour relève que les autres précédents examinés dans la décision AMM, précitée, appuient en général la position du défendeur pour qui les agents d’immigration ou les représentants du ministre n’ont guère la possibilité de prendre en compte des facteurs autres que les faits à l’origine de l’interdiction de territoire. Au soutien de cette manière de voir, la Cour reproduit l’extrait suivant de l’arrêt Cha, au paragraphe 37, où le juge Décary, de la Cour d'appel fédérale, écrivait que l’intention du législateur était sans ambiguïté, ajoutant ce qui suit :

   Je ne peux concevoir que le législateur ait mis autant de soins pour préciser, aux articles 36 et 44 de la Loi, de manière objective, les cas où les auteurs de certaines infractions bien définies commises au Canada doivent être renvoyés du pays, pour ensuite offrir la possibilité à un agent d’immigration ou à un représentant du ministre de permettre à ces personnes de rester au Canada pour des motifs autres que ceux prévus par la Loi ou le Règlement. Il n’appartient pas à l’agent d’immigration, lorsqu’il décide d’établir ou non un rapport d’interdiction de territoire pour des motifs visés par l’alinéa 36(2)a), ou au représentant du ministre lorsqu’il y donne suite, de se pencher sur des questions visées par les articles 25 (motif d’ordre humanitaire) et 112 (examen des risques avant renvoi) de la Loi. [Références omises.]

[32]      Dans la décision Awed, précitée, qui concernait un étranger qui était également un réfugié au sens de la Convention, le juge Mosley s’exprimait ainsi, au paragraphe 17, à propos de l’arrêt Cha rendu par la Cour d'appel fédérale :

   Rien dans l'arrêt Cha ne va dans le sens de la thèse du demandeur, qui prétend que, dans le cadre de l'application du paragraphe 44(1), les ressortissants étrangers qui sont aussi des personnes à protéger et qui ont été déclarées coupables de certains crimes énoncés à l'article 36 de la Loi ont droit à des garanties procédurales plus élevées ou ont un droit de défendre leur point de vue plus large que les autres ressortissants étrangers ou que les résidents permanents.

[33]      Le juge Mosley estimait donc qu’une entrevue aux termes du paragraphe 44(1) était simplement un moyen de vérifier les faits à l’origine de l’interdiction de territoire et qu’elle était assortie d’un niveau très faible d’obligation d’équité. Deux années plus tard, dans la décision Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, [2009] 1 R.C.F. 675 [précitée], le juge Mosley réitérait sa position exprimée dans la décision Awed, précitée. Appel fut interjeté de sa décision dans l’affaire Richter, et la Cour d'appel fédérale a confirmé sa décision et adopté pour l’essentiel son raisonnement, ajoutant que l’étendue et la teneur de l’obligation d’équité variera en fonction des circonstances de l’espèce (Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 73 [précité], au paragraphe 10).

[34]      La Cour est donc d’avis que la jurisprudence favorise une approche plus restrictive pour ce qui concerne la liberté d’un agent d'immigration ou d’un représentant du ministre de prendre en compte des circonstances atténuantes ou des considérations humanitaires dans une procédure engagée selon l’article 44 (Cha, précité; Awed, précitée; Richter, précitée; Correia, précitée).

[35]      Eu égard à la jurisprudence susmentionnée et aux circonstances de la présente affaire, la Cour ne peut conclure que l’obligation d’équité dans un cas comme celui‑ci contraint l’agent à recevoir des observations avant d’établir un rapport selon le paragraphe 44(1), et elle ne peut conclure non plus que l’agent devrait, ou même pourrait, considérer des motifs d'ordre humanitaire. Le représentant du ministre n’a pas à prendre en compte des questions d'ordre humanitaire durant l’entrevue menée selon l’article 44, et cette position s’accorde avec la jurisprudence dominante sur la question, ainsi qu’avec les arrêts de la Cour d'appel fédérale. La Cour conclut donc qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale pouvant justifier son intervention.

[36]      La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[37]      Le demandeur a proposé les trois manières suivantes de formuler une question susceptible d’être certifiée :

(i) Dans l’établissement d’un rapport selon le paragraphe 44(1) de la Loi à propos d’une personne protégée, l’obligation d’équité procédurale requiert‑elle de l’agent qu’il donne à cette personne l’occasion de présenter des arguments et/ou de produire des preuves?

(ii) Quelle est la latitude dont jouit un agent d’exécution dans la décision d’établir ou non, selon le paragraphe 44(1), un rapport touchant une personne protégée, ou dans l’établissement d’un tel rapport?

(iii) Quelle obligation d’équité un agent d’exécution a-t-il envers une personne protégée lorsqu’il décide s’il convient ou non d’établir un rapport selon le paragraphe 44(1), et lorsqu’il établit un tel rapport?

[38]      La Cour d'appel fédérale a exposé, dans l’arrêt Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 1637 (C.A.) (QL), les critères à observer lorsqu’il s’agit de certifier une question de portée générale. La question proposée doit transcender les intérêts des parties au litige, elle doit aborder des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et elle doit être déterminante pour l’issue de l’appel.

[39]      Selon la Cour, les questions formulées par le demandeur ne répondent pas à ces critères : les questions qu’il voudrait voir certifiées ont été examinées ou résolues par la Cour d'appel fédérale.

JUGEMENT

LE JUGEMENT DE LA COUR est le suivant :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2. Aucune question n’est certifiée;

3. Une copie des présents motifs et du présent jugement sera versée dans le dossier IMM‑2411‑12.

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