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T-1151-00

2004 CF 1444

Donnie Doucet (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada (Son Excellence la gouverneure générale en conseil et la Gendarmerie royale du Canada) (défenderesse)

Répertorié: Doucet c. Canada (C.F.)

Cour fédérale, juge Blanchard--Halifax, 2 février; Ottawa, 19 octobre 2004.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits linguistiques -- Un automobiliste francophone a été interpellé en anglais par un agent de la GRC sur une route de la Nouvelle-Écosse -- Le Règlement sur les langues officielles -- communications avec le public et prestation des services contrevient-il à la Charte? -- Le litige portait sur la méthode devant servir à déterminer ce qu'est une «demande importante» selon le Règlement -- Peu de francophones habitent la région, mais nombre d'entre eux utilisent la route sur laquelle le demandeur a été arrêté -- Le gouvernement canadien a l'obligation formelle de promouvoir les droits linguistiques -- Le public a le droit de communiquer avec les institutions fédérales (y compris la GRC) dans la langue officielle de son choix -- Le fait de laisser les automobilistes francophones parler avec un agent bilingue sur la radio de la police ne respecte pas les obligations prévues par l'art. 20(1) de la Charte -- Le Règlement ne dispose pas des circonstances de cette affaire.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Clause limitative -- Violation des droits linguistiques en raison de l'incapacité d'un agent de la GRC en Nouvelle-Écosse de communiquer en français avec un automobiliste francophone -- Le Règlement est-il justifié par l'art. premier de la Charte? -- Bien qu'il soit raisonnable de n'offrir que des services bilingues restreints lorsque la demande est faible, il faut se demander s'il est porté atteinte aux droits d'une manière proportionnelle -- L'atteinte n'était pas minimale -- La Cour n'a pas été persuadée que le problème était difficile à résoudre -- Les effets préjudiciables l'emportaient sur les épargnes réalisées.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Recours -- Atteinte aux droits linguistiques garantis par la Charte en raison de l'incapacité d'un agent de la GRC patrouillant une route de la Nouvelle-Écosse de parler le français -- Selon l'art. 24(1) de la Charte, le tribunal dispose du pouvoir discrétionnaire le plus vaste possible lorsqu'il s'agit de concevoir un redressement actualisant l'ancienne maxime ubi jus, ibi remedium (là où il y a un droit, il y a un recours) -- Mais le recours doit être légitime dans le cadre d'une démocratie constitutionnelle -- Le principe de la séparation des pouvoirs doit être respecté -- L'art. 24 doit pouvoir évoluer d'une manière qui permette de concevoir des réparations innovantes et originales pouvant se substituer aux solutions antérieures -- Il n'appartient pas à la Cour de décider comment devrait être modifié le Règlement sur les langues officielles -- communications avec le public et prestation des services -- Le gouverneur en conseil dispose de 18 mois pour le rendre conforme à la Charte.

Langues officielles -- Un agent anglophone de la GRC a arrêté un automobiliste francophone sur une route de la Nouvelle-Écosse -- Le Règlement sur les langues officielles -- communications avec le public et prestation des services contrevient-il à la Charte des droits? -- Méthode devant servir à déterminer s'il existe une «demande importante» pour des services dans la langue officielle de la minorité -- Peu de francophones habitent la région, mais nombre d'entre eux circulent sur la route en question -- La Loi n'est pas un texte ordinaire car elle reflète la Constitution et constitue un prolongement des droits garantis par la Charte -- C'est une législation quasi constitutionnelle qui énonce des objectifs sociaux fondamentaux -- Elle doit être interprétée de manière à promouvoir des considérations de politique générale -- Le public a le droit de communiquer avec les institutions fédérales (y compris la GRC) dans la langue officielle de son choix -- Le Règlement comporte une lacune car il ne règle pas la présente situation -- Selon l'art. 23 de la LLO, les voyageurs ont le droit d'être servis dans l'une ou l'autre des langues officielles si l'existence d'une demande importante est établie -- Le Règlement n'est pas conforme aux art. 22 et 23 de la LLO, ni à l'art. 20(1) de la Charte.

GRC -- Un policier anglophone qui patrouillait une route de la Nouvelle-Écosse a interpellé un automobiliste francophone pour excès de vitesse -- Suivant la pratique dans un tel cas, l'automobiliste francophone est autorisé à utiliser la radio de la police pour parler avec un agent bilingue -- Cette pratique ne répond pas aux exigences de la Charte relatives aux droits linguistiques -- La GRC demeure une institution fédérale même si elle exerce ses activités en vertu d'un contrat conclu avec la province -- L'argument selon lequel la mission de la GRC est de faire appliquer la loi et non pas de fournir un service aux voyageurs a été rejeté.

Le demandeur avait été interpellé pour excès de vitesse sur l'autoroute interprovinciale 104 par un agent de la GRC en Nouvelle-Écosse, détachement d'Amherst. Le demandeur est francophone, mais l'agent s'est adressé à lui en anglais, et la sommation a été rédigée dans cette langue. Le demandeur a été déclaré coupable, et son appel a été rejeté. Le juge Boudreau, de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, a rejeté les arguments constitutionnels du demandeur, car selon lui le juge de première instance n'avait pas erré en concluant que l'accusé n'avait pas demandé d'être servi en français. Par ailleurs, la preuve n'établissait pas qu'il existait une «demande importante» pour des services en français.

Le demandeur a alors engagé la présente action devant la Cour fédérale, en faisant valoir que le Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services contrevient à la Charte et devrait être déclaré inopérant en raison de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

La Couronne a fait valoir qu'une sommation n'était ni un service ni une communication au sens de la partie IV de la Loi sur les langues officielles (LLO) ou du paragraphe 20(1) de la Charte. Dans un arrêt rendu en 1986, la Cour suprême du Canada avait jugé que le défaut de produire une sommation dans les deux langues ne constituait pas une atteinte aux droits linguistiques garantis par la Charte.

Jugement: l'action est accueillie en partie, et un jugement déclaratoire accordé.

En vertu du Règlement contesté, pour savoir s'il existe en zone rurale une «demande importante» pour des services dans la langue officielle de la minorité, il faut que la langue minoritaire soit parlée par 500 personnes ou 5 p. 100 de la population. Selon le recensement de 1991, 255 francophones (soit 1,1 p. 100 de la population) vivaient dans l'aire de service du détachement d'Amherst. Mais Amherst est situé près de la frontière du Nouveau-Brunswick et le détachement dessert la route Transcanadienne à partir de cette frontière jusqu'à Springhill (Nouvelle-Écosse). Le recensement de 2001 révèle que 32 p. 100 de la population du Nouveau-Brunswick parlent le français. Près de la frontière de la Nouvelle-Écosse, ce pourcentage est de 38 p. 100.

Ainsi que l'expliquait le juge Décary, J.C.A., dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Viola, la Loi sur les langues officielles n'est pas une loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Elle constitue un prolongement des droits et garanties reconnus par la Charte et elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi constitutionnelles qui énoncent certains objectifs fondamentaux de notre société. Elle doit être interprétée de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous-tendent.

Il n'appartient pas à la Cour de remettre en question les décisions politiques qui ont présidé à la rédaction du Règlement pris conformément à la Loi sur les langues officielles, car elles reflètent une volonté de se conformer à la Charte et à la LLO, ainsi que la nécessité d'appliquer une certaine rationalité à l'offre de services bilingues. Toutefois, si l'application de telles décisions a pour effet de violer des droits garantis par la Charte, la Cour a le devoir d'intervenir.

La jurisprudence permet d'affirmer que le gouvernement du Canada a l'obligation formelle de promouvoir les droits linguistiques. La liberté de choisir est dénuée de sens en l'absence d'un devoir de l'État de prendre des mesures positives pour donner effet aux garanties linguistiques.

Le demandeur a assigné deux témoins experts, l'un au sujet du tourisme et l'autre concernant les aspects liés aux populations francophones. Il a été établi que 70 p. 100 des personnes qui traversent la frontière sont des migrants quotidiens qui vivent dans un rayon de 80 kilomètres de la frontière. On estime que 20 p. 100 des voyageurs qui traversent la frontière sont francophones. Témoignant pour la défense, une représentante de la Direction des langues officielles de la GRC a reconnu qu'aucune étude n'avait été faite par la Gendarmerie royale pour déterminer quels étaient, en quelque endroit du Canada, les besoins des minorités linguistiques. Durant son contre-interrogatoire, le commandant du détachement a reconnu que la demande pour des services en français n'était pas rare. Par ailleurs, les deux parties ont admis que la GRC est une institution fédérale qui offre des services au public. Les membres du public ont le droit de communiquer avec les institutions fédérales, et d'en recevoir les services, dans la langue officielle de leur choix. Le fait que la GRC desserve la Nouvelle-Écosse en vertu d'un contrat conclu avec la province ne modifie pas son statut d'institution fédérale: selon la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, le mandat de la GRC s'étend à de tels arrangements.

Il est admis que la population francophone de la région d'Amherst est bien inférieure au seuil numérique établi par le Règlement, et la défenderesse a donc fait valoir que la Gendarmerie royale n'était pas tenue d'offrir des services bilingues. L'argument du demandeur était que, par choix politique, nombreuses étaient les dispositions du Règlement auxquelles le calcul démographique ne s'appliquait pas. À titre d'exemple, un aéroport qui dessert un million de passagers par année est réputé avoir une demande importante pour des services dans les deux langues, peu importe la proportion de la minorité linguistique de l'endroit où il est situé. Selon le demandeur, même si la population d'Amherst ne justifiait pas la prestation de services bilingues, cette prestation était justifiée par le nombre de francophones empruntant l'autoroute 104.

La méthode actuelle qui a été adoptée dans le cas des voyageurs francophones--leur permettant d'utiliser la radio de la police pour communiquer avec un agent bilingue qui se trouve à être sur les ondes--ne suffit pas pour permettre à la GRC de s'acquitter des obligations que lui imposent la Charte et la LLO.

Le Règlement ne couvre pas la situation d'une route passante, patrouillée par la GRC, où sont susceptibles de passer bon nombre de membres de la minorité linguistique. La preuve avait établi qu'il existait une demande importante pour un service en français sur le tronçon de l'autoroute 104 desservi par le détachement d'Amherst. Le demandeur avait raison d'établir une analogie avec la politique se rapportant aux aéroports et aux gares de traversiers. Il n'y avait aucun lien entre les données démographiques d'Amherst et le grand nombre d'automobilistes habitant hors de la province et circulant sur l'autoroute. Il faut aussi sans doute prêter attention à l'article 23 de la LLO, qui prévoit la prestation de services aux voyageurs dans l'une ou l'autre des langues officielles lorsqu'il y a une demande importante. Comme le Règlement ne tient pas compte des besoins du public en situation de minorité linguistique qui se déplace sur une route à grande circulation, il est incompatible avec le paragraphe 20(1) de la Charte et avec les articles 22 et 23 de la LLO.

S'agissant de la défense opposée par la Couronne, selon laquelle, s'il y a violation d'un droit constitutionnel, cette violation est justifiée par l'article premier de la Charte, il ne faisait aucun doute que le Règlement, pris conformément à la LLO, résulte d'une règle de droit. Il y a dans le Règlement une lacune qui a pour effet de brimer un droit garanti par la Charte. La mesure d'après laquelle ont été définis les besoins linguistiques de la région d'Amherst--mesure fondée uniquement sur la démographie immédiate d'Amherst--ne tient pas compte du public voyageur auquel a affaire la GRC. Si l'on applique au Canada, un vaste pays faiblement peuplé, le critère exposé dans l'arrêt La Reine c. Oakes, il est raisonnable que les services bilingues soient limités lorsque la demande est faible, mais il faut alors se demander si l'application de cet objectif rationnel porte atteinte aux droits d'une manière proportionnelle. L'atteinte n'est pas minimale. Ce sont les droits d'un grand nombre de francophones qui sont brimés. Il appartient au gouvernement de prouver que l'atteinte est minimale: RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général). Dans cette affaire, la juge McLachlin (maintenant juge en chef) écrivait que «Même dans le cas de problèmes sociaux difficiles qui présentent des enjeux élevés, le Parlement n'a pas le droit de déterminer unilatéralement les limites qu'il peut imposer aux droits et libertés garantis par la Charte».

La Cour n'a pas accepté la proposition selon laquelle il serait difficile d'apporter une solution pratique au problème. Il est possible d'obtenir les statistiques nécessaires qui permettraient de dire quels tronçons de la Transcanadienne présentent une «demande importante». La Cour ne pouvait non plus accepter l'argument selon lequel la violation est justifiée en raison du fait que la mission de la GRC n'est pas de desservir le public voyageur, mais plutôt de faire appliquer la loi.

S'agissant de savoir si les effets bénéfiques de la mesure contestée l'emportent sur ses effets préjudiciables, les effets bénéfiques se mesurent par les économies qui sont réalisées si l'on n'est pas obligé d'affecter des agents bilingues sur l'autoroute 104 dans la région d'Amherst. Mais les effets préjudiciables de l'omission notée dans le Règlement l'emportent largement sur les avantages. La défense fondée sur l'article premier de la Charte était irrecevable.

Selon le paragraphe 24(1) de la Charte, un tribunal compétent peut accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances. Le Règlement contesté a été pris en vertu de l'article 76 de la LLO, qui prévoit que le recours pour violation de la partie IV (laquelle comprend les articles 22 et 23) est porté devant la Cour fédérale. S'agissant de la réparation, le paragraphe 77(4) de la LLO suit le texte de l'article 24 de la Charte. L'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation) permet de dire que les réparations dont parle la Charte doivent recevoir une interprétation large et libérale. Le paragraphe 24(1) appelle une interprétation large et en accord avec son objet. Comme il s'agit d'une disposition réparatrice, elle bénéficie également de la règle générale d'interprétation des lois qui accorde aux textes de cette nature une interprétation large et libérale. Il a été jugé que l'article 24 confère aux tribunaux un pouvoir discrétionnaire le plus vaste possible lorsqu'il s'agit de concevoir des réparations pour les atteintes aux droits garantis par la Charte. La réparation doit avoir pour objet d'offrir une solution efficace au problème ou, comme le disait la Cour suprême, d'«actualiser l'ancienne maxime ubi jus, ibi remedium: là où il y a un droit, il y a un recours». Un recours adéquat est un recours qui est à la fois responsable et efficace. Tout en défendant utilement les droits et libertés d'un demandeur, il doit faire appel à des moyens qui sont légitimes dans le cadre d'une démocratie constitutionnelle. La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doit être respectée. Cela dit, aucune ligne précise de démarcation ne sépare ces pouvoirs, et une réparation peut être convenable et juste même si elle peut toucher à des fonctions ressortissant au pouvoir exécutif. Mais une réparation doit être judiciaire: il ne convient pas qu'un tribunal s'aventure dans des fonctions pour lesquelles il n'est pas conçu. Par ailleurs, la réparation doit être équitable pour l'autre partie, elle ne doit pas causer des difficultés indues sans rapport avec la préservation des droits du demandeur. Finalement, l'article 24, qui fait partie d'un régime constitutionnel, doit pouvoir évoluer, d'une manière qui permette de concevoir des réparations innovantes et originales pouvant se substituer aux solutions traditionnelles.

Puisque les droits linguistiques au Canada relèvent de choix politiques et de compromis, les juges doivent faire montre de retenue et «hésiter à servir d'instruments de changement». En l'espèce, le Règlement comportait une lacune trop grave pour pouvoir demeurer tel quel, mais il n'appartenait pas à la Cour de se substituer au pouvoir exécutif et de décider comment le Règlement devrait être modifié. Au vu de la preuve, la Cour n'était pas prête à dire que des services policiers bilingues doivent être fournis tout le long de la Transcanadienne. Dans nombre de régions, une bonne partie de la circulation demeure assez locale. Le Règlement devrait cependant être modifié pour tenir compte des situations comme celle dont il s'agit ici: une route importante, souvent fréquentée par des personnes s'exprimant dans la langue officielle de la minorité, et patrouillée par un policier qui relève de l'autorité du gouvernement canadien. Le détachement de la GRC à Amherst doit composer non seulement avec les résidents de la région, mais également avec des automobilistes qui ne sont pas des gens de la région et dont beaucoup parlent le français. Le mot «voyageurs», au sens de l'article 23 de la LLO, doit être défini d'une manière qui englobe davantage que les usagers des aéroports, des gares ferroviaires et des traversiers. L'égalité de traitement n'est pas assurée par la pratique actuelle qui consiste pour les automobilistes francophones à devoir communiquer par la radio de la police lorsqu'ils souhaitent s'adresser en français à un membre de la GRC. Cette pratique contrevient à l'article 16 de la Charte et à l'article 2 de la LLO. Le sous-alinéa 5(1)h)(i) du Règlement a été déclaré incompatible avec l'alinéa 20(1)a) de la Charte. La gouverneure en conseil dispose d'une période de 18 mois pour corriger le problème.

Puisque le demandeur a obtenu gain de cause et que le présent jugement aura valeur de précédent, le demandeur a droit à ses dépens selon l'échelle supérieure de la colonne IV du tableau du tarif B.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 16, 20, 24.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 133.

Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 20(1).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 2, 22, 23, 24(1), 32, 58(5), 76 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 183(1)q)), 77.

Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, art. 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, tarif B.

jurisprudence citée

décision non suivie:

R. c. Doucet (2003), 222 N.S.R. (2d) 1 (C.S.) (quant à l'absence d'atteinte aux droits linguistiques).

décisions appliquées:

Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373; (1990), 123 N.R. 83 (C.A.); R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; (1999), 173 D.L.R. (4th) 193; 121 B.C.A.C. 227; 134 C.C.C. (3d) 481; 238 N.R. 131; Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Association of Parents for Fairness in Education et autres, [1986] 1 R.C.S. 549; (1986), 69 N.B.R. (2d) 271; 27 D.L.R. (4th) 406; 177 A.P.R. 271; 66 N.R. 173; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519; (2002), 168 C.C.C. (3d) 449; 5 C.R. (6th) 203; 98 C.R.R. (2d) 1; 294 N.R. 1; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; (1995), 127 D.L.R. (4th) 1; 100 C.C.C. (3d) 449; 62 C.P.R. (3d) 41; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877; (1997), 38 O.R. (3d) 735; 159 D.L.R. (4th) 385; 226 N.R. 1; 109 O.A.C. 201; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75; [1996] 3 W.W.R. 305; (1996), 70 B.C.A.C. 1; 45 C.R. (4th) 265; 115 W.A.C. 1; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3; (2003), 232 D.L.R. (4th) 577; 218 N.S.R. (2d) 311; 45 C.P.C. (5th) 1; 112 C.R.R. (2d) 202; 312 N.R. 1.

décisions distinctes:

MacDonald c. Ville de Montréal et autres, [1986] 1 R.C.S. 460; (1986), 27 D.L.R. (4th) 321; 25 C.C.C. (3d) 481; 67 N.R. 1; Bilodeau c. Manitoba (Procureur général), [1986] 1 R.C.S. 449; (1986), 27 D.L.R. (4th) 39; [1986] 3 W.W.R. 673; 42 Man. R. (2d) 242; 25 C.C.C. (3d) 289; 67 N.R. 108.

décision examinée:

R. v. Saulnier (1989), 90 N.S.R. (2d) 77 (C. Co.).

décisions citées:

Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 35 Admin. L.R. (3d) 46; 194 F.T.R. 181 (C.F. 1re inst.); R. c. Manitoba Fisheries Ltd., [1980] 2 C.F. 217; (1980), 35 N.R. 129 (C.A.).

ACTION en réparation d'une atteinte à des droits linguistiques garantis par la Charte (impossibilité pour le demandeur de communiquer en français avec un agent de la GRC qui l'avait interpellé pour excès de vitesse sur la route Transcanadienne en Nouvelle-Écosse). Action accueillie en partie et jugement déclaratoire accordé.

ont comparu:

Réjean Aucoin pour le demandeur.

Dominique Gallant pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier:

Réjean Aucoin, Chéticamp (Nouvelle-Écosse), pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Voici les motifs du jugement et jugement rendus en français par

[1]Le juge Blanchard: La présente instance a été introduite par le dépôt d'une déclaration du demandeur, M. Donnie Doucet, dans laquelle il allègue que ses droits linguistiques ont été violés. Il déclare ne pas avoir pu communiquer en français avec l'agent de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) qui l'a interpellé pour excès de vitesse sur l'autoroute 104 près d'Amherst, en Nouvelle-Écosse.

[2]Le demandeur soutient que le Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48 (le Règlement) qui précise les modalités d'application de la loi pour les services aux minorités linguistiques des deux langues officielles, contrevient aux garanties de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendix II, no 44] (la Charte) et devrait donc être déclaré inopérant aux termes de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

[3]La défenderesse soutient que le Règlement ne viole pas les droits linguistiques garantis par la Charte. Si la Cour devait conclure qu'il y a violation des droits linguistiques, la défenderesse soutient alors que le Règlement serait justifié en vertu de l'article premier de la Charte.

[4]Pour les motifs du jugement énoncés ci-après, je conclus que le Règlement est incompatible avec le paragraphe 20(1) de la Charte puisqu'il viole le droit du public de communiquer dans la langue officielle de son choix avec une institution fédérale lorsque l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante. Je conclus aussi que la violation n'est pas justifiée aux termes de l'article premier de la Charte.

Les faits

[5]Le 8 mars 1998, M. Donnie Doucet (le demandeur), un résidant francophone de la Nouvelle-Écosse, s'est fait interpeller pour excès de vitesse sur l'autoroute 104 près d'Amherst, en Nouvelle-Écosse, par l'agent Hannon de la GRC, détachement d'Amherst. En vertu d'une entente entre la Nouvelle-Écosse et la GRC, celle-ci assure les services policiers dans la région d'Amherst; elle est notamment chargée de patrouiller la Transcanadienne à partir de la frontière du Nouveau-Brunswick jusqu'aux environs de l'intersection de la sortie 204 vers Springhill, en Nouvelle-Écosse.

[6]L'endroit où le demandeur a été interpellé et où il a reçu sa sommation fait partie du territoire patrouillé par la GRC--détachement d'Amherst.

[7]L'agent s'est approché de l'automobile du demandeur et s'est adressé à lui uniquement en anglais; le demandeur s'est exprimé en français et a remis ses papiers à l'agent qui est retourné à son auto pour en revenir, quelques minutes plus tard, avec une sommation rédigée uniquement en anglais qu'il a délivrée au demandeur en lui expliquant le sens uniquement en anglais. Le demandeur a tenté à quelques reprises de prendre la parole en français, sans toutefois exiger expressément que l'agent lui parle en français.

[8]En ce qui concerne la déclaration de culpabilité du demandeur pour excès de vitesse, l'affaire est déjà réglée. Le demandeur a été déclaré coupable, et la déclaration de culpabilité a été maintenue en appel (R. c. Doucet (2003), 222 N.S.R. (2d) 1(C.S.)). Dans sa décision, le juge Boudreau de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (siégeant en appel) a soupesé les arguments constitutionnels de l'appelant, à savoir que ses droits linguistiques avaient été violés et que la déclaration de culpabilité n'était donc pas valable. Le juge a rejeté le pourvoi en déclarant que le juge de première instance n'avait pas erré lorsqu'il a conclu que l'appelant n'avait pas fait la preuve qu'il avait explicitement demandé des services en français. Le juge Boudreau a ajouté qu'il ne pouvait conclure que les droits linguistiques de l'appelant avaient été brimés--la preuve étant insuffisante pour qualifier la demande de «demande importante», et la GRC s'étant dotée d'un protocole lui permettant de répondre à une demande de services en français, si nécessaire.

[9]La défenderesse soumet que la sommation ne peut être assimilée à un service ou à une communication, aux termes de la partie IV de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (la LLO) ou du paragraphe 20(1) de la Charte. Dans les arrêts MacDonald c. Ville de Montréal et autres, [1986] 1 R.C.S. 460 et Bilodeau c. Manitoba (Procureur général), [1986] 1 R.C.S. 449, la Cour suprême du Canada a établi que le défaut de produire une sommation dans les deux langues ne constitue pas une atteinte aux droits linguistiques garantis par la Charte.

[10]Le litige dont la Cour est maintenant saisie, même s'il tire son origine de ces faits, est tout autre. L'enjeu n'est plus la sommation et la déclaration de culpabilité du demandeur pour excès de vitesse. Il s'agit plutôt de décider si les droits du demandeur, en tant que francophone, ont été violés du fait qu'il n'a pas reçu de services en français et qu'il n'a pu communiquer en français lorsqu'il s'est adressé à un membre de la GRC qui patrouillait l'autoroute 104 près d'Amherst, contrairement au droit garanti à l'article 20 de la Charte. Le demandeur a donc intenté la présente action et demande les réparations suivantes:

a)     DÉCLARER que l'alinéa 5(1)h)i) du Règlement sur la communication avec le public et la prestations des services, DORS/92-48 (1992), 126 Gaz. Off. Can. II, Vol. 130, No. 14, 10/7/96, C.P. 1991-2541, le 16 décembre 1991, adopté en vertu de l'article 32 de la LLO, est incompatible avec l'alinéa 20(1)b) de la Charte canadienne des droits et libertés en ce qu'il ne reconnaît pas la vocation particulière des bureaux de la GRC qui patrouillent la transcanadienne;

b)     Dans l'alternative, DÉCLARER que la Transcanadienne au point d'entrée de Fort Lawrence près d'Amherst, Nouvelle-Écosse, est une région à demande importante au sens du paragraphe 20(1)a) de la Charte canadienne des droits et libertés;

c)     Et en conséquence, DÉCLARER que l'alinéa 5(1)h)i) du Règlement sur la communication avec le public et la prestation des services, DORS/92-48m (1992) 126 Gaz. Off. Can. II, Vol. 130, No. 14, 10/7/96, C.P. 1991-2541, le 16 décembre 1991, adopté en vertu de l'article 32 de la LLO, est incompatible avec l'alinéa 20(1)a) de la Charte canadienne des droits et libertés en ce qu'il conditionne l'obligation de services en français au détachement d'Amherst, Nouvelle-Écosse, sur le pourcentage de la population de langue maternelle française dans la subdivision de recensement plutôt que sur le volume de francophones qui empruntent la route transcanadienne au point d'entrée de Fort Lawrence près d'Amherst, Nouvelle-Écosse;

d)     DÉCLARER que le règlement ne constitue pas une limite raisonnable aux droits constitutionnels dans une société libre et démocratique au sens de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés;

e)     DÉCLARER que le règlement est donc nul et inopérant dans la mesure de cette incompatibilité;

f)     ORDONNER au gouverneur en conseil de corriger le règlement en conséquence dans un délai qu'il plaira à la Cour de fixer;

g)     ACCORDER au demandeur tous les dépens et déboursés, y compris les honoraires avocat-client du demandeur, le cas échéant;

h)     ACCORDER au demandeur toute autre réparation que la Cour estimera convenable et juste d'ordonner eu égard aux circonstances, afin d'assurer le respect de la Charte et de la LLO par le demandeur.

[11]En vertu du Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48 (le Règlement), adopté sous le régime de l'article 32 de la LLO, pour considérer qu'il existe une «demande importante» pour des services dans la langue officielle de la minorité en zone rurale, il faut que la population minoritaire atteigne le seuil de 500 personnes ou 5 % de la population dans l'aire de service. Par conséquent, la GRC--détachement d'Amherst, en Nouvelle-Écosse, en tant que bureau d'une institution fédérale soumise à la Charte et à la LLO, n'a pas à offrir de services bilingues dans la région d'Amherst parce qu'il n'existe pas dans cette région de «demande importante» telle qu'elle est définie dans le Règlement. Le recensement de 1991 fait état d'une population francophone de 255 personnes résidant dans l'aire de service du détachement d'Amherst, ce qui représente 1,1 % de la population totale de l'aire de service. À Amherst même, la population francophone représente 2,1 % de la population.

[12]Le demandeur prétend au contraire qu'il existe dans cette région une demande importante et que le Règlement, en ne prévoyant pas la situation particulière que l'on trouve à Amherst, viole les droits linguistiques du demandeur et des francophones de la région alors que ces droits sont garantis par les articles 16 et 20 de la Charte et la partie IV de la LLO.

[13]Les faits suivants ne sont pas contestés. Amherst est située à proximité de la frontière du Nouveau- Brunswick; la GRC--détachement d'Amherst dessert notamment la Transcanadienne (autoroute 104), à partir de Fort Lawrence où passe la frontière qui sépare la Nouvelle-Écosse du Nouveau-Brunswick jusqu'à la sortie 204 près de Springhill. Le recensement de 2001 a établi que 32 % de la population du Nouveau-Brunswick est francophone. En outre, à proximité de la frontière, la concentration de la population francophone est plus forte et constitue environ 38 % de la population de cette région. La preuve montre, et nous y reviendrons plus loin, que près de la moitié des véhicules qui franchissent la frontière à Fort Lawrence (Nouvelle-Écosse) proviennent du Nouveau-Brunswick, tandis que la majorité des personnes qui la franchissent habitent à proximité de celle-ci.

Question en litige

[14]Le Règlement sur les langues officielles-- communications avec le public et prestation des services est-il conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, et plus particulièrement, au paragraphe 20(1) de la Charte, ainsi qu'aux articles 22 et 23 de la LLO?

Dispositions législatives et réglementaires

[15]Les dispositions pertinentes de la Charte, de la LLO et du Règlement figurent en annexe.

Analyse

Droit

[16]La Charte, à l'article 16, garantit l'égalité des deux langues officielles au Canada et, à l'article 20, consacre le droit du public de s'adresser à l'administration centrale de toute institution fédérale dans la langue officielle de son choix. Le même droit existe à l'égard de tout autre bureau de l'institution fédérale, où qu'il se situe au Canada, pourvu que l'emploi de la langue officielle par la population minoritaire fasse l'objet d'une demande importante ou que son emploi soit justifié par la vocation du bureau. La LLO reprend les termes de la Charte, ce qui lui confère un statut particulier, comme l'a souligné le juge Décary au nom d'une Cour unanime dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), à la page 386:

La Loi sur les langues officielles de 1988 n'est pas une loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l'expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d'interprétation de cette Charte telles qu'elles ont été définies par la Cour suprême du Canada. Dans la mesure, par ailleurs, où elle constitue un prolongement des droits et garanties reconnus dans la Charte, et de par son préambule, de par son objet défini en son article 2, de par sa primauté sur les autres lois établies en son paragraphe 82(1), elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi-constitutionnelles qui expriment «certains objectifs fondamentaux de notre société» et qui doivent être interprétées «de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous-tendent.» [Notes de bas de page omises.]

[17]Cet énoncé a d'ailleurs été repris par le juge Bastarache au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 21.

[18]La LLO est en quelque sorte la mise en oeuvre de l'idéal dont le droit est enchâssé dans notre Constitution. Elle prévoit, à l'article 32, que la gouverneure en conseil peut déterminer par règlement en quoi consiste une «demande importante» qui entraîne un service bilingue ou quelles sont les circonstances où la «vocation du bureau» justifie l'emploi des deux langues officielles.

[19]Le Règlement, adopté sous le régime de la LLO, établit le détail des différentes circonstances où il existe une «demande importante» et définit la «vocation du bureau». M. Ricciardi, conseiller principal, Division des politiques de la Direction des langues officielles (auparavant relevant du Secrétariat du trésor, maintenant partie de l'Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique), a témoigné de l'élaboration du Règlement, à laquelle il a participé. Son témoignage montre bien à quel point certaines décisions sont prises de façon politique. On ne peut les qualifier d'arbitraires, parce qu'il est clair qu'elles ont été réfléchies et qu'elles tiennent compte de bon nombre de contraintes.

[20]Ainsi, le Règlement fixe les chiffres de la demande importante, selon que l'on se trouve en zone urbaine ou en zone rurale. D'autre part, pour les aéroports, la demande importante est réputée établie pour ceux qui desservent un million de passagers ou plus, chaque année; pour les gares de traversiers, le seuil est de 100 000 passagers. Le Règlement applique en outre la notion de «vocation nationale» à certains bureaux, notamment les parcs nationaux, qui doivent obligatoirement offrir des services bilingues, quelle que soit leur situation géographique, la demande ou le nombre de visiteurs.

[21]Il n'appartient pas à la Cour de remettre en question ces décisions, qui reflètent à la fois la volonté de se conformer aux dispositions de la Charte et de la LLO et la nécessité d'appliquer une certaine rationalité à l'offre de services bilingues dans un pays où les deux langues ne coexistent pas toujours dans une même région. Toutefois, si l'application de ces décisions, même politiques, a pour effet de violer des droits garantis par la Charte, la Cour a le devoir d'intervenir (Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 35 Admin. L.R. (3d) 46 (C.F. 1re inst.)). Il s'agit donc de déterminer si le Règlement tel qu'il est rédigé porte atteinte aux droits garantis par la Charte et la LLO.

[22]Les tribunaux ont dû, à diverses reprises, définir la portée des garanties linguistiques contenues dans la Charte et la LLO. Ce travail s'est surtout fait dans le contexte judiciaire où les droits linguistiques coïncident, jusqu'à un certain point, avec les principes de justice naturelle--le droit de comprendre et de se faire entendre.

[23]Le juge Beetz, dans l'arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autres c. Association of Parents for Fairness in Education et autres, [1986] 1 R.C.S. 549 [à la page 575], souligne la différence entre les droits linguistiques relatifs à l'administration de la justice, qui reprennent essentiellement les grandes lignes de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], et les droits prévus à l'article 20 de la Charte (repris dans la partie IV de la LLO), qui reflètent une volonté de faire du Canada un pays véritablement bilingue, l'article 20 faisant partie de «nouvelles dispositions»:

Mon opinion est étayée par la différence dans la rédaction de l'art. 20 de la Charte. Dans cette disposition, la Charte accorde expressément le droit d'employer l'une ou l'autre langue officielle pour communiquer avec certains bureaux des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada et avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Ce droit de communiquer dans l'une ou l'autre langue suppose aussi le droit d'être entendu ou compris dans ces langues.

[24]Il ne fait aucun doute, à la lecture de la jurisprudence, que les tribunaux ont jugé que le gouvernement canadien a une obligation positive de promouvoir les droits linguistiques. Dans l'arrêt Beaulac, le juge Bastarache s'exprime comme suit aux paragraphes 20 et 24:

L'objectif de protéger les minorités de langue officielle, exprimé à l'art. 2 de la Loi sur les langues officielles, est atteint par le fait que tous les membres de la minorité peuvent exercer des droits indépendants et individuels qui sont justifiés par l'existence de la collectivité. Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec l'idée préconisée en droit international que la liberté de choisir est dénuée de sens en l'absence d'un devoir de l'État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques; [. . .]

[. . .]

L'idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l'égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l'arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée. Ce paragraphe confirme l'égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné. L'article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi. Ce principe d'égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en oeuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l'État; [. . .]

[25]Lorsqu'une demande importante est établie, il est clair que le gouvernement a le devoir d'agir. Dans l'affaire R. c. Saulnier (1989), 90 N.S.R. (2d) 77 (C. Co.), un pêcheur avait été déclaré coupable d'avoir excédé son quota de pêche. Le juge siégeant en appel de cette déclaration de culpabilité l'a annulée, parce que le quota avait été modifié alors que le pêcheur était en mer et que les avis de modification du quota n'avaient été diffusés à la radio maritime qu'en anglais. Le pêcheur était francophone, et bien qu'il n'ait eu apparemment aucune difficulté à comprendre l'anglais, là n'était pas le problème, selon le juge [à la page 82], le pêcheur avait le droit d'être informé dans sa langue des modifications apportées au quota:

[traduction] Il est sans importance que l'appelant comprenne l'anglais ou que son procès ait eu lieu en anglais. Sa première langue, la langue de son choix, la langue dans laquelle il communique avec les autres pêcheurs est le français. C'est sa langue maternelle, selon la définition qu'en donne la Loi sur les langues officielles. La Charte garantit son droit d'utiliser cette langue.

[26]Le juge dans cette affaire a pris connaissance d'office que Yarmouth, où se trouvait le poste radio de la Garde côtière qui diffusait les avis du ministère des Pêches et des Océans, était situé dans une région où vivaient d'importantes collectivités francophones. On pouvait donc supposer qu'il y avait une demande importante. En outre, selon le juge, la vocation d'un bureau régional du ministère dans une zone de pêche entraînait l'obligation de diffuser des avis dans les deux langues officielles.

Situation en cause

[27]À l'audience du 2 février 2004, cinq témoins ont été entendus. Le demandeur a présenté, comme témoins experts, M. Stephen Coyle et Mme Anne Gilbert. En 1998, M. Coyle était responsable de la collecte des données sur les touristes dans la région d'Amherst; il travaillait au ministère du Tourisme et de la Culture depuis 1986, à titre d'analyste. Il a été reconnu compétent pour témoigner comme expert sur les questions relatives à la circulation des visiteurs dans la région d'Amherst. Quant à Mme Gilbert, une géographe qui s'intéresse particulièrement à la répartition des francophones à diverses échelles (locale, régionale, provinciale, nationale), aux effets de leur concentration ou de leur dispersion sur le développement de leurs institutions, à la consolidation de leurs réseaux et à la diversité des contextes politiques et légaux dans lesquels leurs communautés évoluent, elle a été reconnue comme experte quant à ces questions.

[28]La défenderesse a présenté trois témoins: le Sergent d'état-major John Hastey, qui était commandant de la GRC--détachement d'Amherst, de 1994 à 2000, Mme Lisette Taillefer-Brisebois, réviseure-analyste à la Direction des langues officielles de la GRC et M. John Ricciardi, conseiller principal, Division des politiques de la Direction des langues officielles, Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada.

[29]M. Coyle a témoigné qu'en 1998, 4 034 502 voyageurs étaient entrés en Nouvelle-Écosse par la Transcanadienne en provenance du Nouveau-Brunswick en traversant la frontière à Fort Lawrence, près d'Amherst. Ces chiffres comprennent les voyageurs en provenance des provinces maritimes, sauf Terre- Neuve-et-Labrador, ainsi que ceux du Québec et de l'Ontario. Ils ne tiennent pas compte des voyageurs empruntant l'automobile et provenant des provinces de l'Ouest.

[30]La défenderesse a tenté de remettre en cause l'exactitude et la fiabilité de ces chiffres, vu l'absence de données de Terre-Neuve et des provinces de l'Ouest. Je ne trouve pas l'objection pertinente, car je suis d'avis que ces données additionnelles ne modifieraient pas les conclusions auxquelles j'arrive sur la demande importante dans cette région. D'une part, les automobiles qui arrivent de Terre-Neuve sont comptées à North Sydney, et ne représentent que 1,5 % du nombre d'automobiles comptées à Fort Lawrence, tandis que les entrées de l'Ouest ne représentent que 0,5 % du chiffre total. D'autre part, selon M. Coyle, 70 % des personnes qui traversent la frontière sont des migrants quotidiens qui proviennent d'un rayon de moins de 80 kilomètres de Fort Lawrence.

[31]En étudiant la carte de la région, de part et d'autre de la frontière entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, la géographe experte, Mme Gilbert estime que, du nombre des voyageurs qui traversent la frontière, environ 20 % seraient francophones. La population du Nouveau-Brunswick compte 32 % de francophones; dans la région avoisinante de la frontière, dans un rayon de 80 kilomètres de Fort Lawrence, cette proportion est de 38 %.

[32]M. Ricciardi a expliqué les réalités politiques qui ont présidé à l'élaboration du Règlement à laquelle il a participé. Les décisions quant aux services à offrir ont été prises après avoir procédé à des recherches et des consultations. Par ailleurs, Mme Taillefer-Brisebois, de la Direction des langues officielles de la GRC, a témoigné qu'à sa connaissance aucune étude n'avait été faite pour déterminer quelle était la langue officielle de la minorité pour les besoins de services de la GRC--bureau d'Amherst sur l'autoroute 104, ni pour ailleurs au Canada, dans les cas où la GRC assure les services policiers sur la Transcanadienne.

[33]Enfin, le Sergent d'état-major Hastey a témoigné pour la défenderesse. Je crois qu'il y a lieu de reproduire ici une partie du contre-interrogatoire mené par l'avocat du demandeur:

Q.     Il a été admis que le détachement d'Amherst n'avait pas d'obligation en 1998 d'offrir les services dans les deux langues officielles selon la réglementation en vigueur. Est-ce que c'est bien votre compréhension en tant que chef de district d'Amherst?

R.     C'est exact.

Q.     Et est-ce que ça veut dire qu'il n'y avait aucun service d'offert en français?

R.     Non. Nous avons de façon habituelle fourni des services toutes les fois que nous l'avons pu.

Q.     Pouvez-vous élaborer un peu dans [. . .]

R.     Pendant--particulièrement pendant les mois les plus occupés, les mois d'été, nous avons eu à traiter avec des voyageurs qui avaient besoin d'aide, de renseignements, tant au détachement que sur la route, et parfois il était nécessaire d'expliquer aux gens en français ce qui se passait. Parfois, assez souvent, des agents--unilingues anglais--se sont trouvés avec une personne qui ne parlait que français. Il y avait alors un processus à suivre selon lequel la personne était invitée à monter à bord de la voiture de patrouille. Elle était mise en contact par radio avec un agent bilingue. Il n'était pas rare d'entendre un particulier parler sur les ondes de la radio de la police [. . .] De plus--et cela existait en 1998--il existe un système par lequel on peut prendre en compte les besoins linguistiques du public au moyen de notre Centre des communications opérationnelles (CCO), situé à Halifax [. . .]

Il semble donc que la demande pour des services et des communications en français de la part de la GRC, bien qu'elle n'ait fait l'objet d'aucune étude d'après les témoins de la défenderesse, était un phénomène connu et assez fréquent.

[34]Il est admis par les parties dans la présente affaire que la GRC, lorsqu'elle patrouille les routes de la Nouvelle-Écosse ou qu'elle répond à un appel d'un citoyen, est une institution fédérale qui offre des services au public. Les parties admettent également qu'à ce titre, elle est liée par les dispositions de la LLO et de la Charte sur le droit des Canadiens et Canadiennes, et du public en général, de communiquer avec les institutions fédérales et de recevoir des services dans l'une des deux langues officielles, selon leur choix.

[35]Le fait que la GRC exerce les fonctions d'un service policier en Nouvelle-Écosse en vertu d'un contrat conclu avec la province ne change en rien son statut d'institution fédérale. La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [L.R.C. (1985), ch. R-10], au paragraphe 20(1), prévoit la possibilité d'un tel contrat. Je suis d'accord avec le juge Boudreau de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse qui, dans son jugement sur l'appel de la condamnation du demandeur a écrit ce qui suit (aux paragraphes 31 et 32):

À mon avis, les membres de la G.R.C. ne perdent pas leur statut fédéral quand ils agissent sous contrat avec une province ou qu'ils font respecter les lois provinciales. C'est leur mandat en vertu de la loi sur la G.R.C. et ils ne font que le remplir. Donc, c'est encore un service d'une institution fédérale. [. . .]

À mon avis, un contrat avec une province ne change rien à l'égard du statut de la G.R.C. Elle demeure une institution fédérale. Juger autrement permettrait à la G.R.C. d'éviter ses obligations linguistiques envers les citoyens, telles que garanties par la Charte. Cela ne s'accorderait certainement pas avec l'objet des droits linguistiques constitutionnels.

[36]Le demandeur soutient, comme argument principal, que le Règlement pris sous le régime de la LLO, lequel précise les modalités d'application de la Loi pour les services aux minorités linguistiques des deux langues officielles, est incompatible avec les garanties énoncées dans la Charte et devrait donc être déclaré inopérant aux termes de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[37]La défenderesse, pour sa part, soutient que le Règlement est tout à fait conforme à l'esprit de la Loi et qu'il ne viole pas les droits linguistiques garantis par la Charte. Alternativement, la défenderesse soutient que si la Cour devait conclure que le Règlement viole les droits linguistiques, le Règlement est justifié par l'application de l'article premier de la Charte, parce que la défenderesse prétend qu'il est possible d'en démontrer la justification dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[38]Le Règlement définit, aux articles 5, 6 et 7, diverses situations qui correspondent à la notion de «demande importante». Il définit en outre, aux articles 8, 9, 10 et 11, ce qu'il faut entendre par «vocation nationale». Aucune de ces définitions ne correspond à la situation qui nous intéresse, à savoir le droit des automobilistes qui circulent sur les routes patrouillées par la GRC--détachement d'Amherst aux services et aux communications en français.

[39]La défenderesse soutient que la GRC n'est pas tenue d'offrir des services bilingues, aux termes du sous-alinéa 5(1)h)(i) du Règlement, puisque la demande importante est définie selon la démographie de l'endroit. Les parties admettent que la population francophone de la région d'Amherst est bien en-deçà de 500 personnes ou de 5 % prévu dans le Règlement. Par conséquent, soutient la défenderesse, la GRC n'a pas à offrir un service bilingue.

[40]Le demandeur procède par raisonnement analogique; il soumet qu'il y a effectivement un bon nombre de dispositions du Règlement auxquelles le calcul démographique ne s'applique pas, par choix politique du gouvernement. Ainsi, par exemple, le paragraphe 7(3) du Règlement prévoit qu'un aéroport qui dessert au moins un million de passagers par année est réputé avoir une demande importante pour l'emploi des deux langues officielles, peu importe la proportion de la minorité linguistique de l'endroit où il est situé. De même, selon l'alinéa 7(4)b), l'emploi des deux langues officielles est réputé faire l'objet d'une demande importante dans une gare de traversiers où le nombre total de passagers s'élève à au moins 100 000 par année, encore une fois sans égard à la démographie environnante. Les parcs nationaux, aux termes de l'article 9 du Règlement, sont couverts par la disposition de l'alinéa 24(1)a) de la LLO, qui parle du «caractère national ou international»du mandat du bureau et oblige à la prestation des services dans les deux langues officielles, sans égard à la démographie environnante. Enfin, le paragraphe 6(1) du Règlement stipule que la «demande importante» est déterminée par le fait que le bureau offre spécifiquement des services «à une clientèle restreinte et identifiable» et qu'au moins 5 % de la demande de ces services est faite annuellement par cette clientèle à ce bureau dans la langue de la minorité.

[41]Le demandeur conteste la définition de «demande importante» qui a été choisie dans le règlement, par rapport aux activités de la GRC lorsqu'elle patrouille la Transcanadienne dans la région d'Amherst, en Nouvelle-Écosse. Si la démographie d'Amherst ne justifie pas que la GRC, une institution fédérale, offre un service bilingue, le demandeur soumet que le nombre de francophones empruntant l'autoroute 104 le justifie.

[42]Dans la région que patrouille la GRC-- détachement d'Amherst se trouve Fort Lawrence, un point d'entrée en Nouvelle-Écosse par lequel arrivent plus de quatre millions de véhicules automobiles par année. La défenderesse a tenté de mettre en doute la preuve du demandeur quant à ces chiffres, mais j'estime que, même s'ils ne sont pas absolus ou complets, ils sont suffisamment éloquents pour que je fonde sur eux mon analyse. La demande adressée à la GRC par des voyageurs pour des services en français est, à mon sens, établie par la preuve et, surtout, par les témoignages de Mme Gilbert et du sergent d'état-major Hastey.

[43]Le sergent Hastey nous a parlé du protocole mis en place par la GRC pour répondre aux besoins des voyageurs francophones. J'aimerais souligner à quel point ce service d'appoint est limité, tout bien intentionné qu'il soit. Il arrive, témoigne le sergent Hastey, qu'un agent unilingue anglais rencontre quelqu'un qui ne parle que français. Pour ces personnes, des efforts sont déployés pour permettre la communication en français par radio à un [traduction] «agent bilingue qui est sur les ondes». À mon avis, cela ne suffit absolument pas pour permettre à la GRC de s'acquitter des obligations imposées par la Charte et la LLO afin que tout membre du public ait le droit de s'adresser à une institution fédérale dans la langue officielle de son choix.

[44]Une des réalités auxquelles est confrontée la GRC--détachement d'Amherst est le fait de patrouiller l'autoroute 104, une route interprovinciale. Il est vrai qu'Amherst a une faible population francophone; elle est cependant située à proximité du Nouveau-Brunswick, où 32 % de la population est francophone (recensement de 2001) et, plus important encore, à proximité d'une région où, selon la preuve, la proportion de francophones est de 38 %. La preuve établit une circulation importante, dans la région d'Amherst, en provenance du Nouveau- Brunswick. Madame Gilbert, en sa qualité d'expert, a témoigné de la proximité des collectivités francophones et nous a démontré de façon convaincante la probabilité que bon nombre de francophones du Nouveau- Brunswick circulent sur les routes de la région d'Amherst, notamment par l'artère principale qui fait partie de la Transcanadienne. Son témoignage, à mon sens, a été renforcé plutôt que contredit par le témoignage du sergent-major Hastey, qui témoignait pour la défenderesse. Je reproduis les éléments suivants qui ressortent de la preuve d'expertise non-contredite de Mme Gilbert:

-     quatre millions de voyageurs sont entrés en Nouvelle-Écosse par la Transcanadienne dans la région d'Amherst en 1998, dont 20 %, soit plus de huit cent mille, seraient des francophones;

-     de ces quatre millions, près de deux millions proviennent du Nouveau-Brunswick, dont le tiers environ, soit plus de six cent cinquante mille, seraient francophones;

-     de ces deux millions venant du Nouveau-Brunswick, 70 % proviennent d'un rayon de 80 kms d'Amherst, soit près d'un million deux cent mille entrées;

-     dans un rayon de 80 km du point d'entrée, 20,1 % de la population ont déclaré le français comme langue maternelle.

[45]J'accepte les prétentions du demandeur selon lesquelles même si les huit cent mille entrées de francophones dans la région d'Amherst sont le fait répété des mêmes personnes, il n'en demeure pas moins que cela représente huit cent mille occasions, chaque année, pour la GRC de desservir une population susceptible de vouloir utiliser le français dans ses rapports avec le corps policier.

[46]Pour tout dire, le Règlement ne couvre pas la situation d'une route passante, patrouillée par la GRC, où sont susceptibles de passer bon nombre de membres de la minorité linguistique. Je suis d'avis que la preuve établit, selon la prépondérance des probabilités, qu'il existe une demande importante pour un service en français sur le tronçon de l'autoroute 104 qui traverse l'aire de service desservie par la GRC--détachement d'Amherst. Je constate, par analogie, que les règlements prévoient d'autres situations--aéroport ou gare de traversiers--où le nombre de voyageurs dicte à l'institution fédérale d'offrir des services dans les deux langues officielles.

[47]La défenderesse soutient que les obligations linguistiques de la GRC--détachement d'Amherst ne doivent pas être déterminées en fonction de données relatives aux automobilistes qui empruntent l'autoroute 104. Je suis en désaccord avec cette proposition. De quelles autres données doit-on tenir compte pour décider s'il existe une «demande importante» sur ce tronçon de la Transcanadienne? Certainement pas des données démographiques pour la ville d'Amherst. Il n'y a là aucun lien avec la réalité d'une importante population qui circule sur l'autoroute, qui, selon la preuve, provient de l'extérieur de la province--essentiellement du Nouveau-Brunswick, et qui se compose de francophones dans une forte proportion.

[48]L'argument de la défenderesse tient d'autant moins que la LLO prévoit à son article 23 la prestation de services aux voyageurs dans l'une ou l'autre des les langues officielles lorsqu'il y a une demande importante. Dans le cas des aéroports et des gares de traversiers, cette demande est réputée établie, une fois atteint un certain seuil dans le nombre de voyageurs. Le nombre considérable de véhicules qui traversent la frontière, chaque année, à Fort Lawrence, constitue à lui seul un puissant contre-argument à l'idée que la demande ne devrait être fondée que sur les données démographiques de l'endroit.

[49]Il est donc clair que le Règlement comporte une lacune. Il ne comporte aucune disposition qui tienne compte des besoins, malgré une «demande importante», du public en situation de minorité linguistique qui se déplace en véhicule automobile. Je suis d'avis que le Règlement est incompatible avec le paragraphe 20(1) de la Charte, parce qu'il brime le droit des administrés à la communication dans la langue officielle de leur choix avec une institution fédérale, alors qu'il existe une demande importante. Par le fait même, le Règlement ne satisfait pas aux exigences des articles 22 et 23 de la LLO, le premier qui prévoit la possibilité pour le public de communiquer avec un bureau d'une institution fédérale dans la langue officielle de son choix, là où il existe une «demande importante», le second prévoyant des services aux voyageurs dans la langue officielle de leur choix, si l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.

Justification aux termes de l'article premier de la Charte

[50]La défenderesse soutient que, s'il y a violation d'un droit constitutionnel, il s'agit de l'effet d'une règle de droit dont la justification peut se faire aux termes de l'article premier de la Charte. Conformément à l'approche habituelle de la Cour suprême du Canada, l'arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, où l'analyse se fait en deux temps, la défenderesse propose le cadre analytique suivant: existe-t-il un objectif pressant et urgent qui justifie la mesure, et celle-ci est-elle proportionnelle à l'objectif recherché?

[51]Il est usuel de procéder à l'analyse d'une violation de la Charte en appliquant les critères de l'arrêt Oakes. En appliquant les critères de l'arrêt Oakes, on passe immédiatement à l'objectif pressant et urgent du gouvernement, pour ensuite s'interroger sur la proportionnalité de la mesure gouvernementale contestée. Cependant, il faut d'abord considérer si la mesure elle-même peut être considérée comme une règle de droit. Selon l'article 1 de la Charte, les droits et libertés énoncés «ne peuvent être restreints que par une règle de droit». Il ne fait aucun doute que le Règlement, adopté sous le régime de la LLO, est une règle de droit. Ce qui est contesté, toutefois, n'est pas le Règlement en soi, mais plutôt une lacune qu'on y constate. À mon avis, l'effet est le même. L'absence de mesure réglementaire en l'espèce a pour effet de brimer un droit garanti par la Charte.

[52]Le demandeur ne conteste pas le bien-fondé des décisions politiques sous-jacentes à la rédaction du Règlement. On y limite les droits linguistiques, effectivement, mais d'une façon dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Cela dit, une des conditions qui figure à la fois dans la Charte et dans la LLO, la «demande importante», prévoit diverses situations. Le demandeur identifie une situation pour laquelle il existe un vide réglementaire. La mesure qui consiste à définir les besoins linguistiques de la région d'Amherst, pour ce qui est des services policiers offerts par la GRC, en fonction uniquement de la démographie immédiate d'Amherst ne tient pas compte de la réalité du public avec lequel la GRC est appelée à traiter sur ce territoire, en raison du poste frontalier avec le Nouveau-Brunswick et de la forte présence de francophones à proximité susceptibles d'emprunter la Transcanadienne.

[53]Pour les besoins de la cause, nous prendrons le Règlement dans son ensemble comme étant la règle de droit qui, selon le demandeur, restreint les droits garantis par la Charte. L'analyse procède alors selon le critère de l'arrêt Oakes, que la juge en chef McLachlin résume ainsi dans l'arrêt Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519, au paragraphe 7:

Pour justifier l'atteinte portée à un droit garanti par la Charte, le gouvernement doit démontrer qu'elle vise un but ou objectif valide du point de vue constitutionnel, et que les mesures choisies sont raisonnables et leur justification peut se démontrer: R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. L'application de ce critère à deux volets--la légitimité de l'objectif et la proportionnalité des mesures--permet au tribunal d'examen d'analyser rigoureusement tous les aspects du processus de justification. Tout au long de ce processus, il incombe au gouvernement de prouver que l'objectif est valide et que l'atteinte portée aux droits est légitime--c'est-à-dire qu'il existe un lien rationnel entre l'objectif et l'atteinte, qu'il s'agit d'une atteinte minimale et que celle-ci est proportionnée aux effets bénéfiques qu'elle produit.

[54]Dans un pays aussi vaste que le Canada, avec une population relativement peu nombreuse et diversifiée, il est raisonnable et légitime de limiter l'offre de services bilingues là où la demande ne le justifie pas. Selon moi, il s'agit là d'un objectif valide du point de vue constitutionnel. L'objectif de rationalisation est donc évidemment légitime. Il s'agit de décider si sa réalisation porte atteinte aux droits de façon proportionnée. Il faut d'abord se demander s'il y a un lien entre l'objectif et l'atteinte, autrement dit, si le fait de limiter l'offre de services en français permet une rationalisation des services. Sans doute cela est-il vrai. Le lien logique existe; c'est à l'étape de la proportionnalité proprement dite, soit l'atteinte minimale et l'équilibre entre l'effet préjudiciable et les avantages conférés, que la mesure échoue.

[55]En effet, l'atteinte n'est pas minimale. La preuve a établi une demande importante; ce sont les droits d'un grand nombre de francophones qui sont ainsi brimés. La juge McLachlin (maintenant juge en chef), dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, nous rappelle, pour ce qui est de l'atteinte minimale, que c'est au gouvernement qu'il incombe d'en faire la preuve, au paragraphe 168:

Même dans le cas de problèmes sociaux difficiles qui présentent des enjeux élevés, le Parlement n'a pas le droit de déterminer unilatéralement les limites qu'il peut imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. C'est la Constitution, selon l'interprétation que lui donnent les tribunaux, qui détermine ces limites. L'article premier édicte expressément que la violation ne peut aller au-delà de limites qui soient «raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique», critère qui englobe l'exigence de l'atteinte minimale et impose au gouvernement le fardeau d'établir que le Parlement a respecté cette limite.

[56]En l'espèce, la défenderesse n'a pas démontré en quoi le règlement tel que formulé, qui omet les voyageurs en automobile comme facteur à considérer afin de déterminer la «demande importante», porte minimalement atteinte aux droits des voyageurs appartenant à la minorité linguistique. La défenderesse se contente de soutenir que la démographie de l'endroit ne justifie pas des services policiers bilingues; cela ne répond en rien aux préoccupations des voyageurs francophones.

[57]Par ailleurs, la défenderesse soutient que les solutions suggérées par le demandeur seraient difficiles, sinon impossibles, à appliquer. On soulève plusieurs difficultés, dont celle de délimiter un tronçon de la Transcanadienne et l'absence possible de statistiques. Je rejette ces arguments. Il me semble tout à fait du domaine du possible d'obtenir, au besoin, les statistiques nécessaires à l'analyse de la «demande importante». Je ne peux non plus voir comme insurmontables les difficultés qu'entrevoit la défenderesse à délimiter un tronçon de la Transcanadienne, là où la demande est établie. De toute façon, la preuve est insuffisante pour appuyer ces arguments et décharger le gouvernement du fardeau qui lui est imposé d'exiger l'atteinte minimale de la violation.

[58]Je rejette aussi les prétentions de la défenderesse selon lesquelles la violation est justifiée en raison du fait que la mission de la GRC, en l'instance, n'est pas de desservir le public voyageur mais plutôt de maintenir la paix et d'assurer le respect de la loi. Cela ne répond en rien au droit brimé en l'espèce, à savoir le droit de communiquer avec une agence fédérale là ou la demande est importante.

[59]Quant au troisième volet du critère, à savoir si les effets bénéfiques de la mesure contestée l'emportent sur son effet préjudiciable, le juge Bastarache, dans l'arrêt Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, au paragraphe 125, en précise ainsi la portée:

Les première et deuxième étapes de l'analyse de la proportionnalité ne portent pas sur le rapport entre les mesures et le droit en question garanti par la Charte, mais plutôt sur le rapport entre les objectifs de la loi et les moyens employés. Même si l'étape de l'atteinte minimale du critère de la proportionnalité tient nécessairement compte de la mesure dans laquelle il est porté atteinte à une valeur prévue par la Charte, la norme qui doit être appliquée en bout de ligne consiste à se demander s'il est porté atteinte le moins possible au droit garanti par la Charte compte tenu de la validité de l'objectif législatif. La troisième étape de l'analyse de la proportionnalité donne l'occasion d'apprécier, à la lumière des détails d'ordre pratique et contextuel qui ont été dégagés aux première et deuxième étapes, si les avantages découlant de la limitation sont proportionnels aux effets préjudiciables, mesurés au regard des valeurs consacrées par la Charte.

[60]Les effets bénéfiques du règlement contesté se mesurent uniquement par les économies que le Trésor public est susceptible de réaliser en n'étant pas obligé de fournir des agents bilingues sur l'autoroute 104 dans l'aire de service d'Amherst. Cet avantage d'ordre économique doit être apprécié par rapport à l'effet préjudiciable de la violation et ce, au regard des valeurs consacrées par la Charte. En l'instance, la preuve établit la «demande importante» et, en conséquence, l'effet préjudiciable sur les droits des francophones qui circulent sur l'autoroute 104 près d'Amherst est clair. Dans son témoignage, le sergent d'état-major Hastey a décrit les complications qu'entraînent les besoins de services en français des francophones unilingues. Il n'a toutefois pas abordé la problématique du droit des francophones de s'exprimer en français en s'adressant à une institution fédérale, quelle que soit par ailleurs leur compétence dans l'autre langue officielle. J'ai déjà traité des problèmes d'ordre pratique soulevés par la défenderesse, aux paragraphes 57 et suivants de ces motifs. Aucun de ces arguments ne justifie la violation des droits linguistiques garantis par la Charte. À mon avis, l'effet préjudiciable de l'omission notée dans le Règlement l'emporte largement sur tout avantage que pourrait entraîner la politique de refuser l'offre de services bilingues sur l'autoroute d'Amherst. L'effet de la mesure est donc disproportionné par rapport à l'avantage recherché par la rationalisation.

[61]J'en conclus que la violation des droits linguistiques des francophones qui circulent sur l'autoroute 104 près d'Amherst, et plus particulièrement l'atteinte aux droits garantis par le paragraphe 20(1) de la Charte, n'est pas justifié aux termes de l'article premier de la Charte.

Réparation

[62]Ayant déterminé que le Règlement dans son libellé actuel ne respecte pas les garanties que l'on trouve à la fois dans la Charte et dans la LLO, à savoir le droit du public de communiquer avec une institution fédérale et d'en recevoir des services dans la langue officielle de son choix, il faut maintenant préciser la portée du présent jugement.

[63]Le recours du demandeur a été pris en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, lequel prévoit qu'un tribunal compétent peut accorder la réparation qu'il estime convenable et juste dans les circonstances.

[64]Il ne fait aucun doute en l'espèce que la Cour est compétente pour accorder une réparation. Dans l'arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, la Cour suprême du Canada a énoncé les trois critères qui font d'un tribunal un tribunal compétent aux termes de l'article 24: il a compétence sur les parties, sur l'objet du litige et sur la réparation demandée.

[65]La LLO, en vertu de laquelle le Règlement contesté a été adopté, prévoit expressément à son article 76 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 183(1)q)] que le recours aux termes de la partie X, pour violation de la partie IV de la Loi (qui inclut les articles 22 et 23 de la LLO), est pris auprès de la Cour fédérale. Bien que le recours n'ait pas été expressément pris aux termes de l'article 77, il aurait pu l'être, puisque les conditions de cet article étaient remplies, notamment: le demandeur affirme que ses droits en vertu des articles 22 et 23 de la partie IV ont été brimés, et le Commissaire aux langues officielles a décliné juridiction, aux termes du paragraphe 58(5) de la LLO.

[66]Le paragraphe 77(4) de la LLO prévoit que le juge «peut [. . .] accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances»; ces mots font écho aux termes de l'article 24 de la Charte. Pour ces motifs, je crois que la Cour a compétence sur le litige, sur les parties et sur la réparation à accorder.

[67]Dans l'arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada définit en quoi doit consister une réparation «convenable et juste eu égard aux circonstances».

[68]D'entrée de jeu, la Cour adopte l'idée que l'interprétation large et libérale qu'il faut faire de la Charte doit également se traduire par une approche large et libérale à l'égard des réparations, aux paragraphes 23 et 24:

Il est bien reconnu qu'il faut donner à la Charte une interprétation large et libérale et non étroite ou formaliste (Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; Renvoi: Circ. électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 R.C.S. 158; Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493). La nécessité de l'interprétation libérale découle du principe d'interprétation téléologique de la Charte. Bien qu'ils doivent prendre soin de ne pas outrepasser les objets véritables des garanties qu'elle accorde, les tribunaux n'en doivent pas moins éviter de donner à la Charte une interprétation étroite et formaliste susceptible de contrecarrer l'objectif qui est d'assurer aux titulaires de droits l'entier bénéfice et la pleine protection de la Charte. À notre avis, l'approche adoptée par nos collègues les juges LeBel et Deschamps, qui paraît reconnaître la possibilité d'obtenir des réparations particulières dans certaines circonstances, mais non en l'espèce, sous-estime grandement l'importance des droits linguistiques et la nécessité pressante d'en assurer le respect dans le contexte de l'affaire dont le juge LeBlanc était saisi.

L'exigence d'une interprétation large et libérale vaut autant pour les réparations fondées sur la Charte que pour les droits qui y sont garantis (R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595; R. c. Sarson, [1996] 2 R.C.S. 223; R. c. 974649 Ontario Inc., [2001] 3 R.C.S. 575, 2001 CSC 81 («Dunedin»)). Dans l'arrêt Dunedin, précité, par. 18, la juge en chef McLachlin en explique la raison, au nom de la Cour:

[. . .] comme toutes les autres dispositions de la Charte, le par. 24(1) commande une interprétation large et téléologique. Il constitue une partie essentielle de la Charte et doit être interprété de la manière la plus généreuse qui soit compatible avec la réalisation de son objet [. . .] Il s'agit en outre d'une disposition réparatrice qui, de ce fait, bénéficie de la règle générale d'interprétation législative selon laquelle les lois réparatrices reçoivent une interprétation « large et libérale» [. . .] Dernière considération et élément le plus important: le texte de cette disposition paraît accorder au tribunal le plus vaste pouvoir discrétionnaire possible aux fins d'élaboration des réparations applicables en cas de violations des droits garantis par la Charte. Dans l'arrêt Mills, précité, le juge McIntyre a fait remarquer qu'« [i]l est difficile de concevoir comment on pourrait donner au tribunal un pouvoir discrétionnaire plus large et plus absolu» (p. 965). Il ne faut pas que ce large mandat réparateur du par. 24(1) soit mis en échec par une interprétation «étroite et formaliste» de la disposition [. . .]

[69]Les réparations ordonnées ont pour objet principal d'offrir une solution efficace au problème que soulève l'atteinte portée à un droit garanti par la Charte. En effet, toujours dans l'arrêt Doucet-Boudreau, la Cour suprême poursuit, au paragraphe 25:

Selon le principe de l'interprétation téléologique, les dispositions réparatrices doivent être interprétées de manière à assurer «une réparation complète, efficace et utile à l'égard des violations de la Charte», «puisqu'un droit, aussi étendu soit-il en théorie, est aussi efficace que la réparation prévue en cas de violation, sans plus» (Dunedin, précité, par. 19-20). L'interprétation téléologique des réparations dans le contexte de la Charte actualise l'ancienne maxime ubi jus, ibi remedium, là où il y a un droit, il y a un recours. Plus particulièrement, cette interprétation comporte au moins deux exigences, à savoir, premièrement, favoriser la réalisation de l'objet du droit garanti (les tribunaux sont tenus d'accorder des réparations adaptées à la situation), et deuxièmement, favoriser la réalisation de l'objet des dispositions réparatrices (les tribunaux sont tenus d'accorder des réparations efficaces).

[70]Difficile, dit la Cour suprême, d'imaginer des termes plus larges que ceux prévus au paragraphe 24(1) pour ce qui est du pouvoir d'un tribunal compétent d'accorder une «réparation que le tribunal estime "convenable et juste eu égard aux circonstances"». Pour guider les tribunaux inférieurs dans l'exercice de cette discrétion considérable, la Cour énonce les facteurs dont les juges doivent tenir compte dans les termes suivants, aux paragraphes 55 à 59:

Premièrement, la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances d'une demande fondée sur la Charte est celle qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur. Il va sans dire qu'elle tient compte de la nature du droit violé et de la situation du demandeur. Une réparation utile doit être adaptée à l'expérience vécue par le demandeur et tenir compte des circonstances de la violation ou de la négation du droit en cause [. . .]

Deuxièmement, la réparation convenable et juste fait appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle. Comme nous l'avons vu, le tribunal qui accorde une réparation fondée sur la Charte doit s'efforcer de respecter la séparation des fonctions entre le législatif, l'exécutif et le judiciaire et les rapports qui existent entre ces trois pouvoirs. Cela ne signifie pas que la ligne de démarcation entre ces fonctions est très nette dans tous les cas. Une réparation peut être convenable et juste même si elle peut toucher à des fonctions ressortissant principalement au pouvoir exécutif. L'essentiel est que, lorsqu'ils rendent des ordonnances fondées sur le par. 24(1), les tribunaux ne s'écartent pas indûment ou inutilement de leur rôle consistant à trancher des différends et à accorder des réparations qui règlent la question sur laquelle portent ces différends.

Troisièmement, la réparation convenable et juste est une réparation judiciaire qui défend le droit en cause tout en mettant à contribution le rôle et les pouvoirs d'un tribunal. Il ne convient pas qu'un tribunal se lance dans des types de décision ou de fonction pour lesquels il n'est manifestement pas conçu ou n'a pas l'expertise requise [. . .]

Quatrièmement, la réparation convenable et juste est celle qui, en plus d'assurer pleinement la défense du droit du demandeur, est équitable pour la partie visée par l'ordonnance. La réparation ne doit pas causer de grandes difficultés sans rapport avec la défense du droit.

Enfin, il faut se rappeler que l'art. 24 fait partie d'un régime constitutionnel de défense des droits et libertés fondamentaux consacrés dans la Charte. C'est ce qui explique pourquoi, en raison de son libellé large et de la multitude de rôles qu'il peut jouer dans différentes affaires, l'art. 24 doit pouvoir évoluer de manière à relever les défis et à tenir compte des circonstances de chaque cas. Cette évolution peut forcer à innover et à créer au lieu de s'en tenir à la pratique traditionnelle et historique en matière de réparation, étant donné que la tradition et l'histoire ne peuvent faire obstacle aux exigences d'une notion réfléchie et péremptoire de réparation convenable et juste. Bref, l'approche judiciaire en matière de réparation doit être souple et tenir compte des besoins en cause.

[71]Tenant compte de tous ces facteurs, il s'agit maintenant de considérer quelle est la réparation qui, en l'espèce, est la plus convenable et juste eu égard aux circonstances.

[72]Les droits linguistiques au Canada, bien qu'entérinés par notre Constitution, relèvent de choix politiques et de compromis. Les juges doivent donc faire montre de retenue, même s'il s'agit d'une violation d'un droit garanti par la Charte. Comme le signalait le juge Décary, J.C.A. dans l'arrêt Viola, aux pages 386 et 387, à propos de la LLO:

Dans la mesure, enfin, où [la LLO] constitue une loi relative à des droits linguistiques qui, au Canada, ont pris valeur de droits fondamentaux mais n'en demeurent pas moins le fruit d'un compromis social et politique fragile, elle invite les tribunaux à faire preuve de prudence, et à «hésiter à servir d'instruments de changement» ainsi que le rappelait le juge Beetz dans Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Association of Parents for Fairness in Education et autres ([1986] 1 R.C.S. 549, à la p. 578).

[73]Toutefois, en l'espèce, la violation est réelle, et le Règlement comporte une lacune trop grave pour demeurer tel quel. La Cour a le devoir d'intervenir lorsqu'elle constate une violation constitutionnelle. Cela dit, il ne m'appartient pas de décider à la place de l'exécutif quelle forme devraient prendre les modifications au Règlement. Je suis d'avis que tel n'est pas le rôle de la Cour et, de toute façon, elle n'a pas l'expertise pour prendre une telle décision. Je tiens toutefois à souligner quels sont les défauts qu'il faut corriger pour que le Règlement soit conforme à sa Loi habilitante et à la Charte.

[74]Le demandeur a prié la Cour de faire une déclaration sur les obligations du gouvernement d'assurer des services policiers bilingues le long de la Transcanadienne, par analogie avec les parcs nationaux qui doivent offrir des services bilingues étant donné la notion de «la vocation du bureau». Je ne crois pas pouvoir décider d'une mesure d'une telle envergure avec la preuve dont j'ai été saisi. La preuve devant moi portait uniquement sur le territoire desservi par la GRC--détachement d'Amherst, et sur le Règlement de façon générale. Je ne peux me prononcer sur la situation de la Transcanadienne qui, prise dans sa totalité, comme chacun sait, s'étend sur des milliers de kilomètres.

[75]D'ailleurs, cet argument me laisse plutôt sceptique. Il est vrai que la Transcanadienne unit notre grand pays et il est vrai que tant les anglophones que les francophones l'empruntent pour visiter les autres provinces, mais je reconnais qu'il est possible qu'une bonne partie de la circulation sur la Transcanadienne, dans bien des régions, demeure assez locale. Par conséquent, je ne me prononce pas sur cette question. Choisir d'offrir les services dans les deux langues officielles en fonction d'une «demande importante» ou de «la vocation du bureau» me paraît un choix éminemment politique. Le législateur a laissé au gouverneur en conseil le choix de décider quelles institutions seraient visées par la notion de «la vocation du bureau», et il n'appartient pas au pouvoir judiciaire de se prononcer là-dessus.

[76]Par contre, je crois qu'on ne peut passer sous silence une demande importante qui n'est pas reconnue par les autorités mais qui, de toute évidence, existe. La GRC est une institution fédérale dont l'administration centrale doit offrir des services dans les deux langues officielles en conformité avec la loi. Un détachement de la GRC est considéré un «bureau» pour les fins de la Charte et de la LLO. Lorsqu'un détachement de la GRC assure le service policier où que ce soit au Canada, il est important de tenir compte du rôle qu'il joue dans la collectivité où il est situé. En l'occurrence, une des fonctions importantes de la GRC est de patrouiller une route passante où la demande de services en français ne fait pas de doute.

[77]Il conviendrait donc de modifier le Règlement pour qu'il puisse tenir compte de situations telles que celle en l'espèce: une route importante, fréquentée par des personnes de la minorité linguistique d'une langue officielle, et patrouillée par un corps policier qui relève de l'autorité du gouvernement canadien. Dans un tel cas, définir la «demande importante» en fonction de la démographie de l'endroit où est situé le détachement est clairement insuffisant, puisque les policiers ne sont pas appelés à traiter uniquement avec les résidants de l'endroit. Bien au contraire, leurs responsabilités englobent également tous ceux qui empruntent l'autoroute sans être résidants. Vu la situation géographique d'Amherst, en Nouvelle-Écosse, située à la frontière avec le Nouveau-Brunswick et vu la proximité d'une importante population francophone qui emprunte l'autoroute, il est clair que les policiers doivent tenir compte du besoin d'offrir leurs services dans la langue de la minorité francophone.

[78]Il incombe à la gouverneure en conseil de trouver le libellé qui conviendra pour régler ce problème. Ce qui est certain, c'est que le terme «voyageurs», au sens de l'article 23 de la LLO, doit être défini plus largement que simplement en fonction des voyageurs utilisant des aéroports, des gares ferroviaires ou de traversiers, et qu'il faut tenir compte des voyageurs qui circulent par véhicule automobile, lorsqu'ils se comptent par millions.

[79]Il m'apparaît clair également qu'un accès égal aux services dans les deux langues officielles signifie justement un traitement égal. Pour les fins de la minorité francophone qui circule dans la région d'Amherst, le protocole mis en place par la GRC et décrit par le sergent-major Hastey me paraît tout à fait insatisfaisant. Un automobiliste ne devrait pas avoir à se déplacer ni à communiquer par téléphone ou par radio lorsqu'il souhaite s'adresser en français à un membre de la GRC. Un service qui laisse à désirer ne répond absolument pas aux objectifs de la LLO énoncés à son article 2, et va à l'encontre de l'article 16 de la Charte qui reconnaît l'égalité des deux langues officielles.

[80]J'accueille en partie la demande dans la présente action. Je déclare le sous-alinéa 5(1)h)(i) du Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, adopté en vertu de l'article 32 de la LLO, incompatible avec l'alinéa 20(1)a) de la Charte en ce que le droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec une institution du gouvernement du Canada ne peut uniquement dépendre du pourcentage de francophones dans la subdivision de recensement mais doit aussi tenir compte du nombre de francophones qui font ou pourraient faire appel aux services de cette institution, comme l'illustre la situation en l'espèce sur l'autoroute 104 à Amherst, en Nouvelle-Écosse. J'estime raisonnable d'accorder 18 mois à la gouverneure en conseil pour remédier au problème identifié dans le Règlement.

Dépens

[81]Le demandeur a droit à ses dépens puisque la Cour fait droit à sa demande et reconnaît que ses droits garantis par la Charte ont été violés. Compte tenu du fait que la revendication du demandeur dépasse largement sa situation personnelle mais porte sur le droit de tous les francophones qui circulent dans la région d'Amherst, il s'agit en quelque sorte d'une cause-précédent. Pour cette raison, le demandeur a droit à une majoration de ses dépens. (R. c. Manitoba Fisheries Ltd., [1980] 2 C.F. 217 (C.A.)). Les dépens seront donc calculés selon la partie supérieure de la colonne IV du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] telles qu'amendées.

JUGEMENT

1. La demande est accueillie en partie;

2. La Cour déclare que, à l'époque visée, le tronçon de la Transcanadienne qui traverse l'aire de service desservie par la GRC--détachement d'Amherst, en Nouvelle-Écosse, est une région à demande importante au sens de l'alinéa 20(1)a) de la Charte;

3. En conséquence, la Cour déclare que le sous-alinéa 5(1)h)(i) du Règlement sur les langues officielles-- communications avec le public et prestation des services, adopté en vertu de l'article 32 de la LLO, est incompatible avec l'alinéa 20(1)a) de la Charte canadienne des droits et libertés en ce que l'obligation de la GRC--détachement d'Amherst, en Nouvelle- Écosse, d'offrir des services en français dépend unique-ment du pourcentage de la population d'expression française de la subdivision recensée et ne tient pas compte du nombre de francophones qui empruntent la route transcanadienne dans l'aire de service desservie par le détachement d'Amherst de la GRC.

4. La Cour déclare que le Règlement ne constitue pas une limite raisonnable aux droits constitutionnels dans une société libre et démocratique au sens de l'article premier de la Charte;

5. LA COUR ORDONNE que:

a) dans la mesure où la région décrite au paragraphe 2 de ce jugement continue d'être une région à demande importante au sens de l'alinéa 20(1)a) de la Charte, la gouverneure en conseil remédie à la violation et remplisse ses obligations constitutionnelles dans un délai de 18 mois à compter de la date de ce jugement;

b) les dépens du demandeur soient payés par la défenderesse, lesquels dépens seront calculés conformément à la partie supérieure de la colonne IV du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) telles qu'amendées.

ANNEXE

Charte canadienne des droits et libertés

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[. . .]

16. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

(2) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick.

(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais.

[. . .]

20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas:

a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;

b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.

[. . .]

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Loi constitutionnelle de 1982

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Loi sur les langues officielles

PARTIE IV

COMMUNICATIONS AVEC LE PUBLIC ET PRESTATION DES SERVICES

21. Le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services conformément à la présente partie.

22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux--auxquels sont assimilés, pour l'application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services--situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.

23. (1) Il est entendu qu'il incombe aux institutions fédérales offrant des services aux voyageurs de veiller à ce que ceux-ci puissent, dans l'une ou l'autre des langues officielles, communiquer avec leurs bureaux et en recevoir les services, là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.

[. . .]

24. (1) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, tant au Canada qu'à l'étranger, et en recevoir les services dans l'une ou l'autre des langues officielles:

a) soit dans les cas, fixés par règlement, touchant à la santé ou à la sécurité du public ainsi qu'à l'emplacement des bureaux, ou liés au caractère national ou international de leur mandat;

b) soit en toute autre circonstance déterminée par règlement, si la vocation des bureaux justifie l'emploi des deux langues officielles.

[. . .]

32. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement:

a) déterminer, pour l'application de l'article 22 ou du paragraphe 23(1), les circonstances dans lesquelles il y a demande importante;

b) en cas de silence de la présente partie, déterminer les circonstances dans lesquelles il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, ou recevoir les services de ceux-ci, dans l'une ou l'autre langue officielle;

c) déterminer les services visés au paragraphe 23(2) et les modalités de leur fourniture;

d) déterminer pour le public et les voyageurs les cas visés à l'alinéa 24(1)a) et les circonstances visées à l'alinéa 24(1)b);

e) définir «population de la minorité francophone ou anglophone» pour l'application de l'alinéa (2)a).

(2) Le gouverneur en conseil peut, pour déterminer les circonstances visées aux alinéas (1)a) ou b), tenir compte:

a) de la population de la minorité francophone ou anglophone de la région desservie, de la spécificité de cette minorité et de la proportion que celle-ci représente par rapport à la population totale de cette région;

b) du volume des communications ou des services assurés entre un bureau et les utilisateurs de l'une ou l'autre langue officielle;

c) de tout autre critère qu'il juge indiqué.

[. . .]

58. [. . .]

(5) En cas de refus d'ouvrir une enquête ou de la poursuivre, le commissaire donne au plaignant un avis motivé.

[. . .]

76. Le tribunal visé à la présente partie est la Cour fédérale.

77. (1) Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondée sur l'article 91 peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

(2) Sauf délai supérieur accordé par le tribunal sur demande présentée ou non avant l'expiration du délai normal, le recours est formé dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l'enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou de l'avis de refus d'ouverture ou de poursuite d'une enquête donné au titre du paragraphe 58(5).

(3) Si, dans les six mois suivant le dépôt d'une plainte, il n'est pas avisé des conclusions de l'enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou du refus opposé au titre du paragraphe 58(5), le plaignant peut former le recours à l'expiration de ces six mois.

(4) Le tribunal peut, s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(5) Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d'action.

Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services

5. (1) Pour l'application de l'article 22 de la Loi, l'emploi des deux langues officielles fait l'objet d'une demande importante à un bureau d'une institution fédérale, en ce qui a trait aux communications et aux services, dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes:

[. . .]

h) le bureau est situé à l'extérieur d'une région métropolitaine de recensement et à l'intérieur d'une subdivision de recensement et, selon le cas:

(i) il a une aire de service dont la population de la minorité francophone ou anglophone compte au moins 500 personnes et représente au moins cinq pour cent de l'ensemble de la population de cette aire,

[. . .]

l) le bureau est situé à l'extérieur d'une région métropolitaine de recensement et à l'intérieur d'une subdivision de recensement qu'il dessert et dont la population de la minorité francophone ou anglophone compte au moins 500 personnes et représente moins de cinq pour cent de l'ensemble de la population de cette subdivision et il est le seul bureau de l'institution fédérale dans la subdivision à offrir l'un ou l'autre des services suivants:

[. . .]

(vi) les services d'un détachement de la Gendarmerie royale du Canada,

[. . .]

6. (1) Pour l'application de l'article 22 de la Loi, l'emploi d'une langue officielle fait l'objet d'une demande importante à un bureau d'une institution fédérale, en ce qui a trait aux communications et aux services, dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes:

a) il s'agit de services qui sont spécifiquement offerts par le bureau à une clientèle restreinte et identifiable et au moins cinq pour cent de la demande de ces services faite par cette clientèle à ce bureau, au cours d'une année, est dans cette langue;

[. . .]

7. (1) Pour l'application du paragraphe 23(1) de la Loi, l'emploi d'une langue officielle fait l'objet d'une demande importante à un bureau d'une institution fédérale en ce qui a trait aux services offerts aux voyageurs, à l'exclusion des services de contrôle de la circulation aérienne et des services consultatifs connexes, lorsque le bureau est un aéroport, une gare ferroviaire ou de traversiers ou un bureau situé dans l'un de ces lieux et qu'au moins cinq pour cent de la demande de services faite par le public à cet aéroport ou à cette gare, au cours d'une année, est dans cette langue.

(2) Pour l'application du paragraphe 23(1) de la Loi, l'emploi d'une langue officielle fait l'objet d'une demande importante à un bureau d'une institution fédérale en ce qui a trait aux services offerts aux voyageurs lorsque le bureau offre ces services sur un trajet et qu'au moins cinq pour cent de la demande de services faite par les voyageurs sur ce trajet, au cours d'une année, est dans cette langue.

(3) Pour l'application du paragraphe 23(1) de la Loi, l'emploi des deux langues officielles fait l'objet d'une demande importante à un bureau d'une institution fédérale en ce qui a trait aux services offerts aux voyageurs, à l'exclusion des services de contrôle de la circulation aérienne et des services consultatifs connexes, lorsque le bureau est un aéroport ou un bureau situé dans un aéroport et que le nombre total de passagers embarqués et débarqués à l'aéroport, au cours d'une année, s'élève à au moins un million.

(4) Pour l'application du paragraphe 23(1) de la Loi, l'emploi des deux langues officielles fait l'objet d'une demande importante à un bureau d'une institution fédérale en ce qui a trait aux services offerts aux voyageurs, dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes:

a) le bureau est une gare ferroviaire desservant les voyageurs qui est:

(i) soit située dans une région métropolitaine de recensement dont la population de la minorité francophone ou anglophone compte au moins 5 000 personnes,

(ii) soit située à l'extérieur d'une région métropolitaine de recensement et à l'intérieur d'une subdivision de recensement dont la population de la minorité francophone ou anglophone compte au moins 500 personnes et représente au moins cinq pour cent de l'ensemble de la population de cette subdivision;

b) le bureau est une gare de traversiers située au Canada et le nombre total de passagers embarqués et débarqués à cette gare, au cours d'une année, s'élève à au moins 100 000;

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada

20. (1) Avec l'agrément du gouverneur en conseil, le ministre peut conclure, avec le gouvernement d'une province, des arrangements pour l'utilisation de la Gendarmerie, ou d'un élément de celle-ci, en vue de l'administration de la justice dans la province et de la mise en oeuvre des lois qui y sont en vigueur.

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