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bastion management ltd. c. canada

A-200-94

Bastion Management Limited (appelante) (défenderesse)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée) (demanderesse)

Répertorié : Bastion Management Ltd. c. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Linden et Robertson, J.C.A."Toronto, 3 et 6 avril; Ottawa, 18 avril 1995.

Impôt sur le revenu " Calcul du revenu " Déductions " Appel d'un jugement de la Section de première instance de la C.F. rejetant la déduction pour inventaire demandée en vertu de l'art. 20(1)gg) " En 1978, la contribuable, une maison de courtage en contrats à terme qui, dans le cadre de l'exploitation de son entreprise, effectuait des opérations à terme sur l'or et l'argent, a acheté des barres d'or et d'argent six jours avant la fin de son exercice financier, et les a vendues trois jours après la fin de l'exercice " C'était la seule opération effectuée cette année-là sous la forme d'or et d'argent en barres plutôt que de contrats à terme " L'opération visait uniquement à permettre à la contribuable de se prévaloir d'un avantage fiscal " L'inventaire doit être détenu dans "le cours normal de l'exploitation de l'entreprise" " Aucune erreur manifeste et dominante n'a été commise lorsqu'il a été conclu que l'entreprise exploitée par la contribuable était celle d'une maison de courtage en contrats à terme " Les barres n'avaient pas été achetées dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise de la contribuable " La disposition visait à alléger sur le plan fiscal l'incidence de l'inflation pour les contribuables qui avaient un inventaire, et non à permettre à ces derniers d'arranger leurs affaires de façon à minimiser leur impôt.

Il s'agit d'un appel du jugement par lequel la Section de première instance de la Cour fédérale a refusé une déduction pour inventaire en vertu de l'alinéa 20(1)gg) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette disposition permettait de déduire du revenu d'entreprise une partie du coût des biens détenus au début de l'exercice financier "en vue d'être vendus ou encore d'être transformés, fabriqués, manufacturés, incorporés ou annexés à des biens destinés à être vendus dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise, ou autrement convertis en ce genre de biens ou utilisés dans l'emballage de ce genre de bien". Bastion est une maison de courtage qui s'occupe presque exclusivement de contrats à terme. Dans le cadre de l'exploitation de son entreprise, elle effectuait des opérations à terme sur l'or et l'argent. En 1978, Bastion a acheté de l'or et de l'argent en barres six jours avant la fin de l'exercice financier et les a vendues trois jours après la fin de l'exercice, et ce, uniquement en vue de se prévaloir des dispositions de l'alinéa 20(1)gg ). C'est la seule opération qui a été effectuée cette année-là sous la forme d'or et d'argent en barres plutôt que de contrats à terme. Le ministre a refusé la déduction demandée par Bastion en vertu de l'alinéa 20(1)gg). La Cour canadienne de l'impôt a admis la déduction. La Section de première instance a infirmé la décision de la Cour de l'impôt, en statuant que l'inventaire devait être détenu en vue d'être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise du contribuable et que Bastion était une maison de courtage s'occupant de contrats à terme.

Il s'agissait de savoir si l'inventaire à l'égard duquel la déduction était demandée doit être détenu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise du contribuable et si le juge de première instance avait commis une erreur en statuant que les barres n'avaient pas été achetées dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise de l'appelante.

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

Si l'on applique la méthode d'interprétation fondée sur le but, l'alinéa 20(1)gg) visait à alléger sur le plan fiscal l'incidence de l'inflation, qui augmentait de façon factice les bénéfices apparents sur lesquels les contribuables qui avaient des inventaires dans le cadre de leur entreprise devaient payer de l'impôt. La disposition n'avait pas été adoptée en vue d'inciter les contribuables à arranger leurs affaires de façon à obtenir un avantage fiscal, mais en vue d'aider les contribuables qui avaient déjà arrangé leurs affaires d'une façon particulière qui avait pour effet de leur imposer un fardeau fiscal inéquitable. Le sens qui correspond le mieux au but de la loi, à son contexte et à son libellé est que le membre de phrase "dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise", se rapporte aux mots "détenus par lui en vue d'être vendus", de la même façon qu'il s'applique aux autres membres de phrase de la disposition.

Étant donné que l'expression utilisée est "dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise", et non "dans le cours normal des affaires", cela veut dire que l'entreprise en cause est celle du contribuable, et non quelque organisation commerciale abstraite. En outre, la conclusion selon laquelle l'entreprise de l'appelante était celle d'une maison de courtage en contrats à terme est une conclusion de fait, qui peut uniquement être infirmée par la Cour si une erreur manifeste et dominante a été commise. Aucune erreur de ce genre n'avait été commise. L'opération concernant les barres n'avait pas été effectuée dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise de la contribuable; c'était quelque chose qui sortait de l'ordinaire, et non quelque chose que la contribuable faisait normalement.

Lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 20(1)gg) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 14), 245(1).

Jurisprudence

Décisions appliquées:

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3; (1994), 63 Q.A.C. 161; 171 N.R. 161; Sask. Wheat Pool c. R., [1985] 3 W.W.R. 385; [1985] 1 C.T.C. 31; (1984), 85 DTC 5034; 56 N.R. 149 (C.A.F.); Mattabi Mines Ltd. c. M.R.N., [1989] 2 C.T.C. 94; (1989), 89 DTC 5357; 26 F.T.R. 267 (C.F. 1re inst.); conf. par [1992] 2 C.T.C. 8; (1992), 92 DTC 6252; 142 N.R. 79 (C.A.F.); Harvey C. Smith Drugs Ltd. c. Canada, [1994] A.C.F. no 1899 (C.A.) (QL); British Columbia Telephone Co. c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 2410; (1986), 86 DTC 1286 (C.C.I.); Re Bradford Roofing Industries Pty Ltd. (1966), 84 W.N. (Pt. 1) (N.S.W.) 276 (S.C.).

Distinction faite avec:

GSW Appliances Ltd. c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 325; (1993), 93 DTC 5502; 69 F.T.R. 23 (C.F. 1re inst.).

Décisions citées:

Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346; [1985] CTC 79; (1985), 85 DTC 5310; 60 N.R. 321 (C.A.); Canada c. Swantje (H.), [1994] 2 C.T.C. 382; (1994), 94 DTC 6633 (C.A.F.); ECG Canada Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 415; (1987), 13 C.E.R. 281; [1987] 1 C.T.C. 205; 87 DTC 5133; 9 F.T.R. 1 (1re inst.); Buanderie centrale de Montréal Inc. c. Montréal (Ville); Conseil de la santé et des services sociaux de la région de Montréal métropolitain c. Montréal (Ville), [1994] 3 R.C.S. 29; (1994), 63 Q.A.C. 191; 171 N.R. 191; La Reine c. Boehringer Ingelheim (Canada) Ltd., [1985] 2 C.T.C. 211; (1985), 85 DTC 5443 (C.F. 1re inst.); conf. par [1987] 2 C.T.C. 245; (1987), 87 DTC 5442 (C.A.F.); Plaza Pontiac Buick Ltd. c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 259; (1991), 91 DTC 5547 (C.F. 1re inst.); conf. par [1994] 1 C.T.C. 27; (1994), 94 DTC 6058 (C.A.F.); Gay Lea Foods Co-operative Ltd. c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 245; (1994), 94 DTC 6285; 76 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.); Sass Manufacturing Ltd. c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2524; (1988), 88 DTC 1363 (C.C.I.); Canada c. Mara Properties Ltd., [1995] 2 C.F. 433 (C.A.); Stein et autres c. "Kathy K" et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; (1975), 62 D.L.R. (3d) 1; 6 N.R. 359; N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247; (1987), 39 D.L.R. (4th) 465; 27 C.C.L.I. 51; 17 C.P.C. (2d) 204; 76 N.R. 212; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; (1994), 94 DTC 6314; 168 N.R. 16.

Doctrine

Canada. Document budgétaire (l'honorable Donald S. Macdonald, ministre des Finances, 31 mars 1977).

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

APPEL contre le jugement de la Section de première instance (Bastion Management Ltd. c. M.R.N., [1994] 2 C.T.C. 70; (1994), 94 DTC 6272; 76 F.T.R. 226 (C.F. 1re inst.); inf. [1988] 1 C.T.C. 2344; (1988), 88 DTC 1245 (C.C.I.)), refusant une déduction demandée en vertu de l'alinéa 20(1)gg) de la Loi de l'impôt sur le revenu, à l'égard d'une partie du coût de barres d'or et d'argent que la contribuable avait achetées uniquement en vue de se prévaloir de la disposition, pour le motif que les barres n'étaient pas détenues dans le cours ordinaire de l'entreprise de la demanderesse, une maison de courtage en contrats à terme. Appel rejeté.

Avocats:

Arthur M. Gans, Richard A. Yasny et Joel D. Farber pour l'appelante (défenderesse).

Harry Erlichman et David E. Spiro pour l'intimée (demanderesse).

Procureurs:

Fogler, Rubinoff, Toronto, pour l'appelante (défenderesse).

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée (demanderesse).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A.: Il s'agit en l'espèce de savoir si Bastion Management Limited (Bastion) a droit à une déduction pour inventaire de 196 000 $ pour l'année d'imposition 1979, en vertu de l'alinéa 20(1)gg) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 14)], telle qu'elle était alors en vigueur.

LES FAITS

Bastion est une maison de courtage qui s'occupe presque exclusivement de contrats à terme. Un contrat à terme est une promesse de livrer ou de recevoir une certaine marchandise à un certain prix à une certaine date dans l'avenir. Pareil contrat est exécuté au moyen de la livraison ou de l'acceptation de la marchandise en question, ou par la liquidation du contrat. Un contrat est liquidé au moyen de l'achat d'un contrat le compensant. En d'autres termes, un contrat en vue de la livraison d'une marchandise est "annulé" par un contrat en vue de la réception de cette marchandise le même jour au même prix et vice versa.

Les maisons de courtage en contrats à terme font leur argent en prévoyant la tendance des prix des marchandises en cause et en achetant et vendant des contrats en conséquence. Les bénéfices sont réalisés sur la différence entre le prix auquel la marchandise est achetée et celui auquel elle est vendue. S'il s'attend à ce que les cours montent, le courtier passe un contrat en vue d'acheter dans l'avenir, à un prix inférieur à celui auquel il s'attend, une plus grande quantité de la marchandise que ce qu'il a convenu de vendre. Le courtier qui s'attend à ce que les cours baissent passera un contrat en vue de vendre plus que ce qu'il a convenu d'acheter, car il s'attend à pouvoir s'acquitter de ses contrats de vente en achetant plus tard les marchandises à un prix inférieur.

Dans le cadre de l'exploitation de son entreprise, Bastion effectuait des opérations à terme sur l'or et l'argent. En 1978, afin de se prévaloir d'une nouvelle disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui créait une "déduction pour inventaire", le comptable de la compagnie a recommandé à Bastion d'acheter de l'or et de l'argent en barres, plutôt qu'au moyen de simples contrats à terme. La nouvelle disposition permettait de déduire du revenu brut d'entreprise un pourcentage particulier du prix d'achat des stocks existants au début de l'exercice financier du contribuable.

L'exercice financier de Bastion commençait le 1er août. Sur les conseils de son comptable, Bastion a acheté, le 26 juillet 1978, de grosses quantités d'or et d'argent en barres. Le même jour, Bastion a émis des contrats à terme compensatoires en vue de la vente des barres en août au même prix, de sorte qu'il n'existait aucun risque de perte ni aucune chance de profit. Le 3 août 1978, toutes les barres avaient été vendues et les contrats à terme avaient été liquidés. C'est la seule opération qui a été effectuée cette année-là sous la forme d'or et d'argent en barres plutôt que de contrats à terme.

Sur sa déclaration de revenus de 1979, Bastion a demandé la déduction pour inventaire prévue à l'alinéa 20(1)gg) à l'égard du coût des barres. Bastion a reconnu avoir acheté les barres uniquement afin de se prévaloir de la nouvelle déduction pour inventaire prévue par la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu national a refusé la déduction. En appel, la Cour canadienne de l'impôt [[1988] 1 C.T.C. 2344] a décidé que la déduction devait être admise. La Section de première instance de la Cour [[1994] 2 C.T.C. 70] a infirmé la décision de la Cour de l'impôt, décision que les présents motifs confirment, en statuant que, compte tenu des faits de l'affaire, la déduction ne pouvait pas être admise.

QUESTIONS EN LITIGE

À mon avis, le contribuable soulève deux questions importantes qu'il convient d'examiner. En premier lieu, il s'agit de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en décidant que l'inventaire à l'égard duquel la déduction était demandée doit être détenu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise du contribuable. En second lieu, il s'agit de savoir si le juge de première instance a eu raison de conclure que les barres n'avaient pas été achetées dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise de l'appelante.

L'alinéa 20(1)gg), soit la disposition qui s'applique en l'espèce, est ainsi libellé:

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b), et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant:

. . .

gg) une somme au titre de toute entreprise exploitée par le contribuable pendant l'année, égale au produit de 3 % du coût indiqué, pour le contribuable, au début de l'année, des biens corporels (autres que des biens immeubles ou des intérêts dans ceux-ci) qui étaient

(i) décrits dans l'inventaire du contribuable au titre de l'entreprise exploitée par ce dernier, et

(ii) détenus par lui en vue d'être vendus ou encore d'être transformés, fabriqués, manufacturés, incorporés ou annexés à des biens destinés à être vendus dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise, ou autrement convertis en ce genre de biens ou utilisés dans l'emballage de ce genre de bien

multiplié par le rapport entre le nombre de jours dans l'année et 365; [Non souligné dans l'original.]

Dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 578, le juge Estey a expliqué la méthode qu'il convient d'appliquer à l'interprétation de la loi dans les affaires fiscales, de la même façon que dans les autres affaires, en adoptant un passage de Construction of Statutes du professeur Driedger (2e éd. 1983), à la page 87:

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

La Cour a toujours suivi la méthode d'interprétation fondée sur le but. (Voir Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 (C.A.), à la page 352, juge MacGuigan; Canada c. Swantje (H.), [1994] 2 C.T.C. 382 (C.A.F.), aux pages 384 et 385, juge Marceau). Cette méthode d'interprétation de la loi a également été étendue à l'interprétation d'une disposition isolée. (Voir ECG Canada Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 415 (1re inst.), à la page 423, juge Rouleau). Les décisions récentes que la Cour suprême du Canada a rendues dans les affaires fiscales demeurent conformes à l'arrêt Stubart, précité. Ainsi, dans l'arrêt Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, (voir également Buanderie centrale de Montréal Inc. c. Montréal (Ville); Conseil de la santé et des services sociaux de la région de Montréal métropolitain c. Montréal (Ville), [1994] 3 R.C.S. 29), le juge Gonthier, en résumant les principes qui s'appliquent à l'interprétation d'une loi fiscale, a de nouveau dit ceci [à la page 44]:

-Qu'une disposition législative reçoive une interprétation stricte ou libérale sera déterminé par le but qui la sous-tend, qu'on aura identifié à la lumière du contexte de la loi, de l'objet de celle-ci et de l'intention du législateur. . .

Par conséquent, il convient d'examiner le but et le contexte des dispositions à interpréter. À la fin des années 1970, les contribuables qui avaient des inventaires étaient touchés par l'incidence de l'inflation, qui augmentait de façon factice les bénéfices apparents sur lesquels ils devaient payer de l'impôt. Selon le ministre des Finances de l'époque, cette disposition visait à compenser en partie l'incidence de l'inflation en permettant au contribuable de déduire 3 p. 100 de la valeur des inventaires admissibles au début de l'exercice (voir le Document budgétaire, l'honorable Donald S. Macdonald, ministre des Finances, 31 mars 1977, à la page 37). La Section de première instance ainsi que la Cour d'appel ont adopté cette conception du but législatif un certain nombre de fois. (Voir Sask. Wheat Pool c. R., [1985] 3 W.W.R. 385 (C.A.F.), à la page 391; La Reine c. Boehringer Ingelheim (Canada) Ltd., [1985] 2 C.T.C. 211 (C.F. 1re inst.), à la page 214, confirmé par [1987] 2 C.T.C. 245 (C.A.F.); Mattabi Mines Ltd. c. M.R.N., [1989] 2 C.T.C. 94 (C.F. 1re inst.), à la page 107, confirmé par [1992] 2 C.T.C. 8 (C.A.F); Plaza Pontiac Buick Ltd. c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 259 (C.F. 1re inst.), à la page 260, confirmé par [1994] 1 C.T.C. 27 (C.A.F.); Gay Lea Foods Co- operative Ltd. c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 245 (C.F. 1re inst.), à la page 247.

Ainsi, dans l'arrêt Mattabi Mines, précité, à la page 107, le juge Teitelbaum a résumé d'une façon succincte et exacte la situation:

Comme les deux avocats l'ont dit, la déduction a été annoncée dans le budget du 31 mars 1977 comme mesure visant à alléger les effets de l'inflation pour les contribuables qui devaient supporter les coûts d'un inventaire de biens corporels autres que des biens immeubles.

De même, dans l'arrêt Sask. Wheat Pool, précité, à la page 391, le juge Hugessen a dit ceci:

La déduction pour inventaire prévue à l'alinéa 20(1)gg) a été ajoutée à la Loi de l'impôt sur le revenu en 1977 et était manifestement destinée à alléger quelque peu l'augmentation du fardeau fiscal de certaines entreprises due aux "faux" bénéfices découlant de l'incidence d'une inflation élevée sur des inventaires de fin d'année.

Par conséquent, il est clair que, selon l'interprétation qu'il convient de lui donner, la déduction prévue à l'alinéa 20(1)gg) visait à alléger sur le plan fiscal l'incidence de l'inflation pour les contribuables qui devaient supporter les coûts d'un inventaire. C'est à bon droit que, dans sa décision, le juge de première instance s'est fondé sur ces arrêts.

Il s'agit maintenant de déterminer si l'inventaire du contribuable doit être détenu en vue d'être vendu "dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise", comme Sa Majesté le soutient, ou s'il suffit qu'il soit simplement détenu en vue d'être vendu par le contribuable, comme le soutient Bastion.

Mes A. M. Gans et R. Yasny, avocats de Bastion, ont soutenu que, pour que la déduction soit admise, il faut (1) qu'il y ait eu un bien corporel qui était détenu au début de l'année d'imposition 1979; (2) que ce bien ait été décrit dans l'inventaire de l'entreprise; et (3) qu'il ait été détenu en vue a) d'être vendu ou b) d'être transformé, fabriqué, manufacturé, incorporé ou annexé à des biens destinés à être vendus dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise. Selon cette interprétation, Bastion satisferait aux exigences de la disposition, en ce sens que, au début de l'exercice financier, elle possédait des biens corporels, que ces biens étaient inscrits dans son inventaire, et qu'ils étaient détenus en vue d'être vendus. Il n'était pas nécessaire de démontrer qu'ils étaient détenus en vue d'être vendus dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise, ont-ils soutenu, étant donné que ces mots ne se rapportaient pas au début du libellé de la disposition, mais uniquement à la fin. Les avocats se sont fondés sur deux bulletins d'interprétation du ministère du Revenu national (IT-346R et IT-346), et sur une remarque incidente qui avait été faite dans GSW Appliances Ltd. c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 325 (C.F. 1re inst.), à la page 330.

Me David E. Spiro, au nom de Sa Majesté, a soutenu que l'expression "le cours normal de l'exploitation de l'entreprise" figurant à la fin de l'alinéa se rapporte à l'alinéa dans son ensemble et pas uniquement à la partie qui suit les mots "détenus en vue d'être vendus". À son avis, la partie pertinente de la disposition devrait être interprétée comme suit:

. . . le bien corporel . . . qui était

. . . détenu par lui en vue d'être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise,

ou détenu par lui en vue d'être transformé en un bien destiné à être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise,

ou détenu par lui en vue d'être fabriqué en un bien destiné à être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise,

ou détenu par lui en vue d'être manufacturé en un bien destiné à être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise,

ou détenu par lui en vue d'être incorporé dans un bien destiné à être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise,

ou détenu par lui en vue d'être annexé à un bien destiné à être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise,

ou détenu par lui en vue d'être autrement converti en un bien destiné à être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise, ou utilisé dans l'emballage de ce genre de bien . . .

Le juge de première instance (d'une façon plutôt charitable, à mon avis) a décrit cette disposition comme n'étant pas [à la page 73] "très élégamment formulée". Toutefois, à mon avis, bien qu'elle soit maladroite et complexe, l'interprétation de Me Spiro est celle qui est la plus conforme au but de la disposition, à son contexte, à son libellé et au sens commun. Cette disposition vise à alléger l'effet de l'inflation sur les contribuables "qui [doivent] supporter les coûts d'un inventaire de biens corporels" (voir Mattabi Mines , précité, à la page 107). La disposition n'a pas été adoptée en vue d'inciter les contribuables à arranger leurs affaires de façon à obtenir un avantage fiscal, mais en vue d'aider les contribuables qui avaient déjà arrangé leurs affaires d'une façon particulière qui avait pour effet de leur imposer un fardeau fiscal inéquitable. En particulier, cette disposition n'a pas été rédigée en vue de permettre aux entreprises d'acheter de grosses quantités de marchandises à la fin de l'année, de façon à obtenir cet avantage fiscal, puis de les vendre immédiatement après.

Si la disposition est minutieusement analysée, malgré sa formulation maladroite, on se rend compte que l'expression "dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise" se rapporte à tous les verbes figurant dans l'alinéa, et non uniquement aux derniers. Il n'y a pas lieu de faire une distinction entre les premiers mots, "détenus par lui en vue d'être vendus", et les autres mots, accordant un allégement fiscal à certains contribuables mais non à d'autres. Comme le juge de première instance l'a fait remarquer [à la page 73]:

Pourquoi comprendre les biens corporels détenus en vue d'être transformés en des biens destinés à être vendus seulement à condition que le produit manufacturé soit destiné à être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise, alors qu'on peut obtenir une déduction au titre de biens tangibles, déjà transformés en des biens destinés à être vendus, même s'ils ne sont pas détenus en vue d'être vendus dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise.

En effet, pourquoi?

À mon avis, le sens qui correspond le mieux au but de la loi, à son contexte et à son libellé est que le membre de phrase "dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise", se rapporte aux mots "détenus par lui en vue d'être vendus", de la même façon qu'il s'applique aux autres membres de phrase de la disposition. Cette interprétation s'harmonise avec les décisions que la Cour et d'autres cours ont rendues. (British Columbia Telephone Co. c. M.R.N. , [1986] 1 C.T.C. 2410 (C.C.I.), juge Rip, à la page 2415; Sass Manufacturing Ltd. c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2524 (C.C.I.), juge Sarchuk, à la page 2529; voir également Canada c. Mara Properties Ltd., [1995] 2 C.F. 433 (C.A.)) Elle est incompatible avec la remarque incidente qui a été faite dans GSW Appliances, précité, qui portait sur une question différente, à savoir si l'inventaire était "détenu en vue d'être vendu", ce qui n'avait rien à voir avec la question particulière qui se pose en l'espèce. Ce sens est également incompatible avec certains bulletins d'interprétation, précités, mais cela ne constitue pas un obstacle pour la Cour. Comme Madame le juge Desjardins l'a expliqué dans Harvey C. Smith Drugs Ltd. c. Canada , [1994] A.C.F. no 1899 (C.A.) (QL), aux pages 14 et 15:

. . . il est maintenant bien établi que les bulletins d'interprétation ne représentent que l'avis du ministère. Ils n'ont pas pour effet de lier le ministre, le contribuable ou les tribunaux et ne constituent un facteur important dans l'interprétation de la Loi qu'en cas de doute sur sa signification.

Si l'interprétation donnée par l'appelante était exacte, quiconque réalise un revenu d'entreprise, quel qu'il soit, pourrait acheter n'importe quel genre de bien corporel à la fin de l'année, l'inscrire dans l'inventaire, le vendre immédiatement, puis demander une déduction pour inventaire. Cela serait tourner la disposition en dérision. Cela serait absurde.

Le juge de première instance, qui avait décidé que l'inventaire devait être détenu en vue d'être vendu dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise, a ensuite examiné ce qu'on entendait par "cours normal de l'exploitation de l'entreprise". Ce faisant, il a examiné l'historique de l'entreprise de Bastion, plutôt que le commerce des courtiers en marchandises en général. Selon le juge de première instance, Bastion était une maison de courtage en contrats à terme . En interprétant les mots "dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise", le juge de première instance s'est fondé sur les remarques que le juge Street avait faites dans Re Bradford Roofing Industries Pty Ltd. (1966), 84 W.N. (Pt. 1) (N.S.W.) 276 (S.C.), à la page 285, que le juge Rip a cité dans British Columbia Telephone Co. c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 2410 (C.C.I.), à la page 2416:

. . . la condition est que l'opération doit faire partie des affaires habituelles de l'entreprise telle qu'elle est exploitée, n'exiger aucune attention et ne découler d'aucune situation particulière.

L'avocat de Bastion soutient que ce critère n'est pas le bon, qu'il s'agit non pas de savoir ce que le courtier en marchandises aurait pu faire dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise, mais ce qui serait considéré être dans le cours normal du secteur des opérations sur marchandises en général.

À mon avis, la méthode que le juge de première instance a employée est la bonne. L'expression utilisée est "dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise", et non "dans le cours normal des affaires". Cela veut dire que l'entreprise en cause est celle du contribuable, et non quelque organisation commerciale abstraite. Logiquement, les mots "l'entreprise" tels qu'ils sont employés à l'alinéa 20(1)gg ), ne peuvent se rapporter qu'à l'entreprise du contribuable qui se fonde sur la disposition pour calculer son revenu. En outre, la conclusion selon laquelle l'entreprise de l'appelante était celle d'une maison de courtage en contrats à terme est une conclusion de fait, qui peut uniquement être infirmée par la Cour si une erreur manifeste et dominante a été commise. (Voir Stein et autres c. —Kathy K— et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247. Aucune erreur de ce genre n'a été commise.

C'est à juste titre qu'il a été conclu que l'opération en question n'avait pas été effectuée dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise du contribuable. C'était quelque chose qui sortait de l'ordinaire, et non quelque chose que le contribuable faisait communément ou normalement. Cette fois-là seulement, le contribuable a acheté les barres six jours avant la fin de l'année et les a vendues trois jours après la fin de l'année. Étant donné qu'il n'y avait pas de risque de perte, comme l'a dit son président, l'opération constituait une [traduction] "valeur refuge parfaite" (voir le dossier d'appel, à la page 258). Cette opération ne faisait pas partie des "affaires habituelles de l'entreprise"; dans ces conditions, des explications devaient être données parce que cela découlait d'une "situation particulière". Une autre opération sur une marchandise est demeurée inexpliquée, à savoir celle se rapportant au poivre noir Lampong, mais le contribuable s'occupait presque exclusivement de contrats à terme. Même dans le secteur, en général environ 90 p. 100 des opérations se rapportaient à des contrats à terme, les marchandises ne représentant que 10 p. 100 des opérations. Par conséquent, il a été à juste titre conclu que l'opération n'avait pas été effectuée dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise de Bastion. Le juge de première instance n'a donc pas commis d'erreur et la conclusion qu'elle a tirée, à savoir que l'appelante était une maison de courtage en contrats à terme qui ne s'adonnait habituellement pas à l'achat et à la vente de marchandises, est inattaquable.

Compte tenu de cette conclusion, la Cour n'a pas à examiner les autres questions que les parties ont soulevées, à savoir si cette opération se rapportait à l'"inventaire", si une "entreprise" était en cause, ou si le paragraphe 245(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu devait être invoqué.

CONCLUSION

L'appelante a tenté d'arranger ses affaires de façon à minimiser le montant d'impôt sur le revenu qu'elle serait tenue de payer. Le contribuable a le droit de le faire s'il ne s'agit pas d'un trompe-l'oeil, ce qui laisse entendre quelque activité frauduleuse, et si sa situation peut correspondre aux termes précis de la disposition (voir Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312). C'est peut-être le cas, même si le contribuable ne cherche pas à atteindre un but commercial véritable en agissant ainsi (voir Stubart Investments, précité, à la page 575), sous réserve du paragraphe 245(1), bien sûr. Toutefois, les "termes clairs" de la disposition qui accorde l'allégement fiscal doivent être interprétés compte tenu de leur contexte global, y compris le but de la loi. Cette disposition législative exigeait expressément que les marchandises soient détenues en vue d'être vendues dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise. L'appelante espérait qu'en achetant un bien corporel qui se rapportait à son entreprise, elle pourrait satisfaire aux exigences de la disposition. Elle a ainsi tenté, d'une façon adroite, d'arranger ses affaires de façon à se conformer à un sens possible des mots de l'alinéa 20(1)gg ). Elle a pris une chance, un risque calculé, espérant qu'elle pourrait réclamer la déduction pour inventaire. Malheureusement, le sens possible que le contribuable a invoqué ne l'a pas emporté. La tentative a échoué.

L'appel sera rejeté avec dépens.

Le juge Strayer, J.C.A.: J'y souscris.

Le juge Robertson, J.C.A.: J'y souscris.

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