Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2018] 1 R.C.F. 473

IMM-5590-15

2017 CF 292

Said Abdukadir Farah (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Farah c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Southcott—Toronto, 13 février; Ottawa, 20 mars 2017.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire d’une décision de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), qui a conclu que la demande d’asile du demandeur était irrecevable aux fins de renvoi à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en vertu de l’art. 101(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et qui a ordonné une mesure d’exclusion à son encontre — Le demandeur a été reconnu comme étant un réfugié au sens de la Convention en Ouganda — Il est parti pour le Canada après avoir reçu des menaces — Sa demande d’asile a été jugée irrecevable — Sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a été rejetée en vertu de l’art. 115(1) de la Loi — Le demandeur a fait valoir, entre autres, que l’expression « peut être renvoyé » de l’art. 101(1)d) est ambiguë, car elle pouvait renvoyer à la question de savoir s’il peut être légalement admis en Ouganda ou, subsidiairement, si le Canada peut le renvoyer légalement en Ouganda — Il s’agissait de savoir si l’irrecevabilité en vertu de l’art. 101(1)d) de la Loi s’applique aux demandeurs qui présentent une demande d’asile contre le pays qui leur ont accordé le statut de réfugié — Rien ne permet de conclure que CIC a commis une erreur lorsqu’il a adopté l’interprétation de l’art. 101(1)d) qui est conforme à la jurisprudence antérieure — Il n’y a aucune différence sur le plan du fond entre le libellé de l’art. 101(1)d) par rapport au libellé pertinent de son prédécesseur, soit l’art. 46.01(1)a) de la Loi sur l’immigration — Il n’y a pas de raison de déroger de l’analyse et de l’interprétation dans les décisions Kaberuka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) et Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) — L’utilisation du mot « peut » à l’art. 101(1)d) de la Loi ne revêt pas plus d’ambiguïté que celui dans l’art. 46.01(1)a) de la Loi sur l’immigration — L’analyse de l’art. 46.01(1)a) dans Kaberuka tient compte des valeurs consacrées par la Charte canadienne des droits et libertés — La Cour a également conclu que les obligations du Canada en vertu de l’art. 33 de la Convention sur les réfugiés étaient préservées par l’application de l’art. 53(1) de la Loi sur l’immigration, maintenant l’art. 115(1) de la Loi — La décision Wangden c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) ne justifie pas non plus une interprétation différente de l’art. 101(1)d) — En ce qui concerne l’interaction de l’art. 115(1) avec l’art. 112(1) de la Loi, ces articles figurent tous les deux dans la partie 2 de la section 3 de la Loi qui vise clairement la protection contre le risque qui pourrait survenir en raison du renvoi — C’est cette protection et non la conclusion de l’irrecevabilité de la demande d’asile qui suscite un examen en vertu de la Charte — Une question a été certifiée — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de Citoyenneté Immigration Canada (CIC), qui a conclu que la demande d’asile du demandeur était irrecevable aux fins de renvoi à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et qui a ordonné une mesure d’exclusion à son encontre.

Le demandeur, un citoyen de la Somalie et un musulman soufi, a été reconnu comme étant un réfugié au sens de la Convention en Ouganda. Il a reçu des appels téléphoniques menaçants après s’être prononcé contre Al Shabaab dans la communauté somalienne en Ouganda. Le demandeur ne se sentait pas en sécurité en Ouganda et est arrivé au Canada où il a demandé l’asile. La demande du demandeur a été jugée irrecevable en raison de son statut de réfugié au sens de la Convention en Ouganda. Sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a été rejetée au motif qu’il n’était pas une personne visée au paragraphe 115(1) de la Loi.

Le demandeur a fait valoir, entre autres, que l’expression « peut être renvoyé » de l’alinéa 101(1)d) est ambiguë. Il a soutenu que cette expression pourrait renvoyer à la question de savoir s’il peut être légalement admis en Ouganda ou, subsidiairement, si le Canada peut le renvoyer légalement en Ouganda, en tenant compte des obligations du Canada en vertu de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention sur les réfugiés) et de la Charte canadienne des droits et libertés. Le demandeur a également affirmé que CIC a commis une erreur lorsqu’il a adopté l’interprétation qui vise la question de savoir s’il pouvait physiquement et légalement être admis de nouveau en Ouganda.

Il s’agissait de savoir si l’irrecevabilité en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la Loi s’applique aux demandeurs qui présentent une demande d’asile contre le pays qui leur ont accordé le statut de réfugié.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Rien ne permet de conclure que CIC a commis une erreur lorsqu’il a adopté l’interprétation de l’alinéa 101(1)d) qui est conforme à la jurisprudence antérieure. Il n’y a aucune différence sur le plan du fond entre le libellé de l’alinéa 101(1)d) « vers lequel il peut être renvoyé » par rapport au libellé pertinent de son prédécesseur, soit l’alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l’immigration « pays dans lequel [la personne] peut être renvoyé[e] », ce qui pourrait justifier la dérogation de l’analyse et de l’interprétation dans les décisions Kaberuka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) et Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Peu importe si l’on peut considérer le mot « peut » comme ambigu et susceptible d’être interprété selon les deux interprétations indiquées par le demandeur, l’utilisation de ce mot à l’alinéa 101(1)d) de la Loi ne revêt pas plus d’ambiguïté que celui dans l’alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l’immigration. Les principes actuels d’interprétation législative, appliquée à l’alinéa 101(1)d), ne justifient pas une dérogation de l’interprétation prévue dans la décision Kaberuka, où l’interprétation de la Cour de l’alinéa 46.01(1)a) faisait partie d’une analyse plus générale de la question de savoir si l’alinéa était conforme aux articles 7, 12 et 15 de la Charte. En conséquence, les valeurs consacrées par la Charte ont été prises en considération dans l’analyse de l’application de ce régime législatif. La Cour a également conclu que les obligations du Canada en vertu de l’article 33 de la Convention sur les réfugiés étaient préservées par l’application du paragraphe 53(1) de la Loi sur l’immigration, maintenant le paragraphe 115(1) de la Loi. L’analyse de la Cour fédérale dans la décision Wangden c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) ne justifie pas non plus une interprétation de l’alinéa 101(1)d) qui diffère de celle tirée de Kaberuka et de Jekula. Des questions ont été soulevées quant à l’interaction du paragraphe 115(1) avec le paragraphe 112(1) de la Loi. Les articles 112 et 115 figurent tous les deux dans la partie 2 de la section 3 de la Loi concernant l’examen des risques avant renvoi et visent clairement la protection contre le risque qui pourrait survenir en raison du renvoi. C’est la protection contre le risque de renvoi visé par cette section et non la conclusion de l’irrecevabilité de la demande d’asile visée par la décision attaquée en l’espèce qui suscite un examen en vertu de la Charte.

Une question a été certifiée en ce qui concerne l’interprétation de la loi, soit de savoir si l’irrecevabilité en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la Loi inclut les personnes qui présentent une demande d’asile contre le pays qui leur a accordé le statut de réfugié.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 12, 15.

Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, art. 36(1).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 20(1)a),(2)b).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 3, 46.01(1),(2), 53(1).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(2)a), 37(1)b), 101(1), 112, 115.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 33.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157; Kaberuka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 252 (1re inst.); Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 C.F. 266, conf. par [2000] A.C.F. no 1956 (QL) (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Wangden c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1230, [2009] 4 R.C.F. 46, conf. par 2009 CAF 344; Tobar Toledo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 226, [2015] 1 R.C.F. 215; J.P. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CAF 262, [2014] 4 R.C.F. 371; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704.

DÉCISIONS CITÉES :

Gaspard c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 29; Majebi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274; École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général), 2014 CF 651, [2015] 2 R.C.F. 267; Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Fernandopulle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91; Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, [2014] 2 R.C.F. 224.

DOCTRINE CITÉE

Débats de la Chambre des communes, 34e parl., 3e sess., vol. XI (23 novembre 1992).

Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. UNHCR Note on the Interpretation of Article 1E of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees, mars 2009.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de Citoyenneté Immigration Canada, qui a conclu que la demande d’asile du demandeur était irrecevable aux fins de renvoi à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et qui a ordonné une mesure d’exclusion à son encontre. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Leigh Salsberg pour le demandeur.

Neeta Logsetty pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Leigh Salsberg, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Southcott :

I.          Aperçu

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de Citoyenneté Immigration Canada (CIC), prononcée en date du 10 décembre 2015, qui a conclu que la demande d’asile du demandeur était irrecevable aux fins de renvoi à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et qui a ordonné une mesure d’exclusion à son encontre. Cette décision d’inadmissibilité a été rendue en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), en raison de la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention du demandeur par l’Ouganda. Le demandeur demande une ordonnance annulant la mesure d’exclusion et la décision d’irrecevabilité, ainsi que la possibilité de renvoyer sa demande d’asile pour nouvel examen.

[2]        Tel que cela est expliqué plus en détail ci-dessous, la demande est rejetée parce que j’ai conclu que CIC n’a commis aucune erreur dans son interprétation et dans son application de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR, lorsqu’il a été décidé que la demande du demandeur était irrecevable aux fins de renvoi à la SPR, nonobstant son affirmation selon laquelle il craint la persécution dans le pays où il a obtenu le statut de réfugié.

II.          Faits

[3]        Le demandeur, Said Abdukadir Farah, est un citoyen de la Somalie et un musulman soufi, âgé de 34 ans. M. Farah s’est enfui vers l’Ouganda avec son épouse en 2008 parce qu’ils craignaient Al Shabaab, et son épouse et lui ont été reconnus comme étant des réfugiés au sens de la Convention en Ouganda en 2010.

[4]        M. Farah soutient qu’il s’était prononcé contre Al Shabaab dans la communauté somalienne en Ouganda et qu’en 2014 il a commencé à avoir des appels téléphoniques menaçants. Il a approché la police ougandaise trois fois, mais n’a obtenu aucune protection. Il soutient également qu’il a fait des efforts en vue de se réinstaller au nord de l’Ouganda, mais il n’avait pas été en mesure de louer un logement en raison de la discrimination contre les Somaliens en Ouganda. M. Farah ne se sentait pas en sécurité en Ouganda, il est parti en mai 2015 et est arrivé au Canada en octobre 2015. Il a demandé l’asile en novembre 2015.

[5]        M. Farah a joint un titre de voyage pour réfugié valable de l’Ouganda à sa demande d’asile au Canada. Sa demande n’a pas été traitée par la SPR parce qu’elle a été jugée être irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR en raison de son statut de réfugié au sens de la Convention en Ouganda. M. Farah a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), mais cette demande a été rejetée la semaine avant l’audience de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce. À l’audience, M. Farah a fourni à la Cour une copie de la décision défavorable concernant l’ERAR.

III.         Dispositions législatives applicables

[6]        Le texte intégral du paragraphe 101(1) de la LIPR, y compris l’alinéa 101(1)d) auquel se rapporte la présente demande dispose comme suit :

Irrecevabilité

101 (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

a) l’asile a été conféré au demandeur au titre de la présente loi;

b) rejet antérieur de la demande d’asile par la Commission;

c) décision prononçant l’irrecevabilité, le désistement ou le retrait d’une demande antérieure;

d) reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel il peut être renvoyé;

e) arrivée, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

f) prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux — exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) —, grande criminalité ou criminalité organisée. [Soulignement ajouté.]

IV.        Question en litige

[7]        M. Farah soutient que la seule question que la Cour doit trancher, en ce qui concerne l’interprétation de la loi, est celle de savoir si l’irrecevabilité en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR s’applique aux demandeurs qui présentent une demande d’asile contre le pays qui leur ont accordé le statut de réfugié.

V.        Norme de contrôle

[8]        M. Farah soutient que, vu que la seule question soulevée dans la présente demande est une question de droit touchant l’interprétation de la loi, la norme qui s’applique est celle de la décision correcte. Il invoque la décision Wangden c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1230, [2009] 4 R.C.F. 46 (Wangden), confirmée par 2009 CAF 344; et l’arrêt Tobar Toledo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 226, [2015] 1 R.C.F. 215 (Tobar Toledo).

[9]        Le défendeur adopte la thèse selon laquelle la Cour devrait appliquer la norme de la décision raisonnable parce que la décision examinée par la Cour est soit une question de fait, soit une interprétation de la loi constitutive (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir); Wangden, aux paragraphes 14 à 17; Gaspard c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 29, au paragraphe 14).

[10]      La décision examinée par la Cour concerne l’interprétation de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR. La jurisprudence invoquée par M. Farah étaye sa thèse quant à la norme de contrôle. Dans la décision Wangden, au paragraphe 18, le juge Mosley a conclu que l’interprétation de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Dans l’arrêt Tobar Toledo, aux paragraphes 45 à 48, la Cour fédérale a examiné l’alinéa 101(1)b) de la LIPR selon lequel une demande est irrecevable aux fins de renvoi à la SPR si la demande d’asile du demandeur a été rejetée antérieurement par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et elle a conclu que les conclusions de droit tirées par l’agent des services frontaliers dans le contexte de cet alinéa devaient être examinées selon la norme de la décision correcte.

[11]      Par ailleurs, l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 68 à 71, appuie fortement la norme de la décision raisonnable puisqu’il s’agit d’une question liée à l’interprétation de la loi habilitante de CIC. La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157, au paragraphe 30, a récemment répété la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions de droit découlant de l’interprétation de la loi constitutive d’un organisme administratif. Les arguments de M. Farah en l’espèce ont trait à l’effet que la Convention sur les réfugiés [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] et la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) ont en tant qu’outils d’interprétation des lois. Je suis donc également conscient de la jurisprudence récente selon laquelle l’interprétation de la Convention sur les réfugiés ne relève pas de l’une des catégories de question à laquelle la norme de la décision correcte continue de s’appliquer (Majebi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274, au paragraphe 5) et qui favorise la norme de la décision raisonnable dans l’application de la Charte, sauf dans le contexte d’un argument portant sur l’invalidité constitutionnelle (voir École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613).

[12]      Dans l’ensemble, j’estime que l’orientation de la jurisprudence récente favorise l’application de la norme de la décision raisonnable à la question en l’espèce. Toutefois, ma conclusion quant à la question touchant l’interprétation des lois en l’espèce n’est pas fondée sur une conclusion particulière de la décision attaquée puisque l’adoption et l’application de l’interprétation par CIC, contestées par M. Farah, sont implicites dans la décision sans une analyse expresse de la question. Il n’est pas nécessaire que je tire une conclusion définitive quant à la norme de contrôle puisque je trancherai la question en faveur du défendeur, peu importe si la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte s’applique à l’examen de l’interprétation et de l’application de l’alinéa 101(1)d) par CIC.

VI.        Discussion

[13]      Les arguments de M. Farah sont fondés sur la signification de l’expression « peut être renvoyé » de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR, qu’il soutient être ambiguë. Il fait valoir qu’elle pourrait renvoyer à la question de savoir s’il peut être légalement admis au pays d’accueil, l’Ouganda. Il s’agit de l’interprétation sur laquelle la décision attaquée est implicitement fondée. Toutefois, il soutient que cette expression pourrait renvoyer subsidiairement à la question de savoir si le Canada peut le renvoyer légalement en Ouganda, en tenant compte des obligations du Canada en vertu de la Convention sur les réfugiés et de la Charte. M. Farah exhorte la Cour à adopter cette interprétation.

[14]      Il soutient que CIC a commis une erreur lorsqu’il a adopté l’interprétation qui vise la question de savoir s’il pouvait physiquement et légalement être admis de nouveau en Ouganda. Il reconnaît que cette interprétation est conforme avec la jurisprudence existante portant sur cette question. Dans la décision Kaberuka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 252 (1er Inst.) (Kaberuka), la Cour fédérale a examiné l’alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (Loi sur l’immigration), qui était le prédécesseur de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR et disposait comme suit :

46.01 (1) La revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si l’intéressé se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

a) il s’est déjà vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par un autre pays dans lequel il peut être renvoyé.

[15]      Aux pages 269 et 270 de la décision Kaberuka, la Cour fédérale a indiqué que la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, article 36(1) avait abrogé la version antérieure du paragraphe 46.01(2) de la Loi sur l’immigration qui avait autorisé à revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention par rapport à leur pays d’asile. La Cour a conclu que cela indiquait que le législateur a choisi de ne pas permettre aux personnes dont le statut de réfugié a été reconnu par un autre pays de faire valoir une crainte bien fondée d’être persécutée dans leur pays d’asile.

[16]      M. Farah indique également que cette analyse avait été suivie dans la décision Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 C.F. 266 (1re inst.) (Jekula) (confirmée par la Cour d’appel fédérale sans motifs au [2000] A.C.F. no 1956 (QL)). Encore une fois, en invoquant l’abrogation du paragraphe 46.01(2) précédent de la Loi sur l’immigration, dans la décision Jekula, la Cour a conclu au paragraphe 44 que les mots « peut être renvoyé » prévus au paragraphe 46.01(1) ne signifient pas que l’agent principal soit tenu d’examiner si le demandeur craint avec raison d’être persécuté dans le pays d’asile.

[17]      Toutefois, M. Farah soutient que cette interprétation est désuète et que la signification du libellé « peut être renvoyé », utilisé à l’alinéa 101(1)d) de la LIPR n’a pas encore été examiné par les tribunaux. Il soutient que ce libellé est ambigu et doit être interprété de manière à se conformer à l’objectif de la LIPR, aux droits consacrés par la Charte et aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. M. Farah invoque l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; l’arrêt R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; la décision Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général), 2014 CF 651, [2015] 2 R.C.F. 267, au paragraphe 444; et l’arrêt Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, aux fins de ces principes d’interprétation, dont la jurisprudence, selon lui, est antérieure aux décisions Kaberuka et Jekula. Il renvoie particulièrement à la décision Wangden, où la Cour, dans son interprétation de l’alinéa 101(1)d), a invoqué l’alinéa 3(2)a) de la LIPR, qui prévoit que l’un des principaux objets de la loi à l’égard des réfugiés est « de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution ». M. Farah indique également que l’approbation dans la décision Wangden de l’argument selon lequel la Convention sur les réfugiés et la LIPR devraient être interprétées de manière à empêcher le chalandage d’asile, mais il soutient que cette préoccupation ne survient pas en l’espèce, où il fait valoir une véritable crainte de retourner dans son pays d’asile.

[18]      Après avoir examiné les observations écrites et orales de M. Farah, je ne peux pas conclure que CIC a commis une erreur lorsqu’il a adopté l’interprétation de l’alinéa 101(1)d) qui est conforme à la jurisprudence antérieure et en vertu de laquelle la demande de M. Farah a été irrecevable aux fins de renvoi à la SPR en raison de son statut de réfugié en Ouganda.

[19]      Je ne constate aucune différence sur le plan du fond entre le libellé de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR, « vers lequel il peut être renvoyé » par rapport au libellé pertinent de son prédécesseur, soit l’alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l’immigration « pays dans lequel [la personne] peut être renvoyé[e] », ce qui pourrait justifier la dérogation de l’analyse et de l’interprétation dans les décisions Kaberuka et Jekula. En outre, peu importe si l’on peut considérer le mot « peut » comme ambigu et susceptible d’être interprété selon les deux interprétations indiquées par M. Farah, l’utilisation de ce mot à l’alinéa 101(1)d) de la LIPR ne revêt pas plus d’ambiguïté que celui dans l’alinéa 46.01(1)a).

[20]      Je ne souscris pas non plus à l’argument selon lequel les principes actuels d’interprétation législative, appliquée à l’alinéa 101(1)d), justifient une dérogation de l’interprétation prévue dans les décisions Kaberuka et Jekula. J’accepte la thèse de M. Farah selon laquelle les obligations du Canada en vertu de la Convention sur les réfugiés et des valeurs consacrées par la Charte peuvent jouer un rôle dans l’interprétation de la LIPR et que l’exercice d’interprétation doit tenir compte de l’objet de l’ensemble de la mesure législative. Toutefois, après avoir examiné la jurisprudence applicable, je ne conclus pas que ces principes étayent l’interprétation évoquée par M. Farah.

[21]      En premier lieu, j’indique que la décision du juge Heald dans Kaberuka démontre que, au moins dans une certaine mesure, ces principes ont été pris en considération dans le cadre de l’analyse de cette affaire. Dans Kaberuka, la décision visée par le contrôle judiciaire était une décision rendue par un agent principal selon laquelle le renvoi du demandeur du Canada n’était pas interdit en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur l’immigration, parce que le demandeur ne serait pas confronté à une menace sur sa vie ou sa liberté s’il était renvoyé du Canada. Cette décision a été suivie dans une décision rendue en vertu de l’alinéa 46.01(1)a) selon laquelle la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention était irrecevable. Les termes performatifs du paragraphe 53(1) sont reproduits au paragraphe 8 de la décision comme suit :

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l’alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si elle appartient à l’une des catégories non admissibles visées […]

[22]      L’interprétation de la Cour de l’alinéa 46.01(1)a), selon laquelle elle ne permet pas aux personnes dont le statut de réfugié a été reconnu par un autre pays de faire valoir une crainte de persécution dans son pays d’asile, faisait partie d’une analyse plus générale de la question de savoir si l’alinéa 46.01(1)a) et le paragraphe 53(1), individuellement ou conjointement, étaient conformes aux articles 7, 12 et 15 de la Charte. En conséquence, les valeurs consacrées par la Charte ont été prises en considération dans l’analyse de l’application de ce régime législatif.

[23]      L’analyse de la Cour a également tenu compte, aux paragraphes 18 et 19, des obligations du Canada en vertu de l’article 33 de la Convention sur les réfugiés qui interdit le refoulement. Le juge Heald a indiqué que l’article 3 de la Loi sur l’immigration prévoyait que la politique canadienne d’immigration, ainsi que les règles et règlements, dans leur conception et leur mise en œuvre, visent à reconnaître la nécessité de s’acquitter des obligations légales internationales du Canada à l’égard des réfugiés. La Cour a ensuite conclu que l’obligation du Canada en vertu de l’article 33 est préservée par l’application du paragraphe 53(1) qui limite le renvoi de ceux dont la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est irrecevable lorsqu’il existe une menace sur la vie et/ou la liberté d’une personne fondée sur un ou plusieurs motifs prévus.

[24]      Je ne peux pas conclure non plus que l’analyse de la Cour dans la décision Wangden étaye l’argument de M. Farah selon lequel les principes d’interprétation législative actuels, y compris la considération de la Convention sur les réfugiés, justifient une interprétation de l’alinéa 101(1)d) qui diffère de celle tirée de Kaberuka et de Jekula. Dans la décision Wangden, la Cour devait décider si le « retrait du statut de personne à renvoyer » aux États-Unis était équivalent à la reconnaissance à titre de réfugié au sens de la Convention pour l’application de l’alinéa 101(1)d). Même en tenant compte du fait que l’un des principaux objets de la LIPR est de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise à sauver des vies et à protéger les personnes déplacées et à protéger les personnes de la persécution, le juge Mosley a conclu qu’afin de réaliser l’intention du législateur, ce n’était pas la question de savoir si les personnes pourraient avoir la gamme complète des droits, des avantages ou des privilèges offerts en vertu de la Convention qui était pertinente, mais celle de savoir si ces personnes étaient protégées contre le risque.

[25]      Dans la décision Wangden, l’objectif de la LIPR par rapport au risque a été réalisé au moyen du « retrait du statut de personne à renvoyer » conféré par les États-Unis. Cet accent sur la protection contre le risque, plutôt que sur le statut de réfugié au sens de la Convention, est également évident dans l’analyse de la Charte dans la décision plus récente de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt J.P. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CAF 262, [2014] 4 R.C.F. 371 (J.P.), qui a examiné la protection accordée par les processus appliqués en vertu de la LIPR concernant le renvoi du Canada. Cette affaire portait sur l’examen de l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, selon lequel un étranger est interdit de territoire au Canada s’il se livre, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le trafic de personnes. Aux paragraphes 123 à 125, la Cour a invoqué la décision Jekula à l’appui de sa conclusion selon laquelle ce n’est pas une conclusion d’interdiction de territoire, mais plutôt un stade ultérieur du processus d’immigration que le renvoi fait l’objet d’un examen et que l’application de l’article 7 de la Charte peut être déclenchée :

Il y a plus de deux décennies, notre Cour a jugé, dans l’arrêt Berrahma c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1991] A.C.F. no 180 (C.A.) (QL) (demande d’autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée [1991] 3 R.C.S. vi), qu’une conclusion d’interdiction de territoire tirée en vertu de la LIPR n’entraîne pas l’application de l’article 7 de la Charte étant donné que cette conclusion n’équivaut pas à un renvoi ou à un refoulement. Notre Cour a constamment confirmé ce principe : Rudolph c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 653 (C.A.); Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.); Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 C.F. 266 (1re inst.), conf. par 2000 CanLII 16485 (C.A.F.); Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15526 (C.A.F.); Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487.

L’état du droit sur cette question a été très bien exposé par le juge Evans, alors juge de la Cour fédérale, dans la décision Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée, aux paragraphes 31 à 33, et je ne peux pas décrire mieux que lui les principes applicables :

Il se trouve cependant que dans ce contexte, les principes de justice fondamentale n’entrent en jeu que si l’action administrative porte atteinte au droit de la demanderesse à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Il s’agit donc de savoir si une décision rendue en application de l’alinéa 46.01(1)a) à cet effet. Je ne le pense pas. En premier lieu, s’il est vrai qu’un verdict d’irrecevabilité dénie à la demanderesse l’exercice d’un droit important, ce droit n’est pas compris dans « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne »; Berrahma c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1991), 132 N.R. 202 (C.A.F.), à la page 213; Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.).

En second lieu, il peut y avoir atteinte aux droits protégés par l’article 7 si le gouvernement renvoie une non-citoyenne dans un pays où elle craint d’être probablement violentée ou emprisonnée. Cependant, la conclusion que la revendication n’est pas recevable n’est qu’une étape dans le processus administratif qui pourrait aboutir au renvoi hors du Canada. L’étape suivante, c’est-à-dire la procédure d’appréciation du risque, à laquelle la demanderesse aura droit en application de l’article 53 avant qu’elle ne soit renvoyée, se prête au contrôle au regard des garanties constitutionnelles afin de garantir l’observation des principes de justice fondamentale, bien que cette procédure ne soit prévue ni dans la Loi ni dans les règlements pris pour son application : Kaberuka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 252 (1re inst.), à la page 271. De surcroît, tout en jugeant que la Loi sur l’immigration n’allait pas à l’encontre de l’article 7 en limitant la recevabilité, le juge Marceau, J.C.A., a encore fait observer ce qui suit dans Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.), aux pages 708 et 709 :

Je serais toutefois d’avis que le ministre violerait carrément la Charte s’il prétendait exécuter une mesure d’expulsion en forçant l’intéressé à retourner dans un pays où, selon la preuve, il sera torturé et peut être mis à mort. Il me semble que ce serait […] à tout le moins, commettre un outrage aux normes publiques de la décence en violation des principes de justice fondamentale visés à l’article 7 de la Charte.

Pour récapituler, les droits garantis par l’article 7 n’entrent pas en jeu à l’étape de la décision sur la recevabilité et de la mesure d’exclusion. Cependant, la demanderesse ne peut être légalement renvoyée hors du Canada sans une appréciation des risques auxquels elle peut s’exposer une fois de retour en Sierra Leone. Et les modalités de cette appréciation doivent être conformes aux principes de justice fondamentale.

Par conséquent, l’alinéa 37(1)b) ne déclenche pas l’application de l’article 7 de la Charte. La question de savoir si l’un des intimés dans les présentes affaires sera expulsé vers un pays où il pourrait être personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités sera, si nécessaire, tranchée à un stade du processus établi par la LIPR qui sera postérieur à la conclusion d’interdiction de territoire. C’est uniquement à ce stade ultérieur que l’application de l’article 7 de la Charte peut être déclenchée.

[26]      Même si l’arrêt J.P. a été annulé pour d’autres motifs en appel (B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704 (B010), la Cour suprême du Canada a confirmé au paragraphe 75 de l’arrêt B010 que l’article 7 de la Charte n’entre pas en jeu en vertu de la disposition d’interdiction de territoire parce que, même s’il est exclu, le demandeur peut demander un sursis à une mesure de renvoi. C’est au stade de l’examen des risques avant renvoi, du processus d’asile établi par la LIPR que l’article 7 entre habituellement en jeu.

[27]      Tout comme l’alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l’immigration, l’ancien paragraphe 53(1) a été remplacé dans la LIPR. Le paragraphe 115(1) dispose maintenant :

Principe

115 (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

[28]      Je prends acte que les observations des parties à l’audience de la présente demande ont soulevé des questions quant à l’interaction du paragraphe 115(1) avec le paragraphe 112(1) de la LIPR. Le paragraphe 112(1) confère à une personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1), le droit de demander la protection si elle est visée par une mesure de renvoi. La décision défavorable concernant l’ERAR que M. Farah a reçue récemment est exprimé en tant que décision selon laquelle il n’est pas une personne visée au paragraphe 115(1) et, selon la thèse du défendeur, le risque du retour de M. Farah en Ouganda a été évalué en vertu du paragraphe 115(1). M. Farah a soutenu à l’audience que seul le paragraphe 112(1) ne prescrit un processus pour demander la protection et que le paragraphe 115(1) établit un principe et non un processus, en fonction duquel il soutient que sa crainte de retourner en Ouganda devrait être évaluée en tant que demandeur d’asile et non en vertu du paragraphe 115(1).

[29]      Ni l’une ni l’autre des parties n’étaient en mesure de fournir des observations détaillées sur l’interaction entre le paragraphe 115(1) et le paragraphe 112(1), puisque ce sujet n’est pas survenu avant l’audience. Toutefois, les articles 112 et 115 figurent tous les deux dans la partie 2 de la section 3 de la LIPR concernant l’examen des risques avant renvoi qui vise clairement la protection contre le risque qui pourrait survenir en raison du renvoi et qui a fait l’objet d’une analyse dans les arrêts J.P. et B010. Afin de trancher la question dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire pour la Cour de procéder à une analyse détaillée de cette section du régime législatif de la LIPR. Il suffit d’observer que c’est la protection contre le risque de renvoi visé par cette section et non la conclusion de l’irrecevabilité de la demande d’asile visée par la décision attaquée en l’espèce qui suscite un examen en vertu de la Charte.

[30]      Je souligne qu’à l’audience de la présente demande, le demandeur a fourni à la Cour une copie d’une publication du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), intitulée UNHCR Note on the Interpretation of Article 1E of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees, daté de mars 2009 (note du HCR). L’article 1E dispose :

E Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

[31]      Dans la copie de la note du HCR fournie à la Cour, le demandeur a mis en évidence le paragraphe 17 suivant :

[traduction]

C.   CONSIDÉRATIONS EN MATIÈRE DE NON-REFOULEMENT DÉCOULANT DE L’EXCLUSION D’UNE PERSONNE FONDÉE SUR L’ARTICLE 1E DANS UN PAYS TIERS

17. Même si les autorités compétentes d’un pays où la personne réside peuvent considérer qu’elle a les droits et les obligations afférents à la possession de la nationalité de ce pays, ce fait n’exclut pas la possibilité que lorsque cette personne est à l’extérieur de ce pays, elle puisse néanmoins avoir une crainte fondée de persécution si elle y retourne. Le fait d’appliquer l’article 1E à une telle personne, surtout lorsqu’un ressortissant de ce pays qui est dans la même situation, ne serait pas exclu de la reconnaissance en tant que réfugié, minerait à l’objet et au but de la Convention de 1951. En conséquence, avant d’appliquer l’article 1E à une telle personne, si elle soutient une crainte de persécution ou un autre préjudice grave dans le pays de résidence, un tel argument doit être évalué vis-à-vis ce pays. [Note en bas de page omise.]

[32]      Ce type de publications du HCR peuvent constituer une ligne directrice utile pour interpréter les dispositions de la Convention, mais elles n’ont pas force de loi et elles ne sont pas déterminantes d’une telle interprétation (voir Fernandopulle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91, au paragraphe 17; Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, [2014] 2 R.C.F. 224, au paragraphe 50). Par ailleurs, autre la mise en évidence du paragraphe 17 ci-dessus par le demandeur, ni l’une ni l’autre des parties n’ont présenté des observations sur la note du HCR. Même si ce paragraphe peut appuyer l’interprétation invoquée par M. Farah de l’alinéa 101(1)d), il peut également être conforme aux considérations présentées dans ce paragraphe que le Canada pourrait tenir compte lorsqu’il évalue le risque associé au renvoi d’une personne vers son pays d’asile dans le cadre du processus de l’examen des risques avant renvoi en vertu de la LIPR. Par conséquent, surtout en l’absence d’observations particulières sur la note du HCR, je n’estime pas qu’elle constitue un fondement pour adopter l’interprétation proposée par M. Farah de l’alinéa 101(1)d).

[33]      Enfin, j’ai pris en considération l’argument de M. Farah selon lequel la préoccupation quant au chalandage d’asile ne survient pas en l’espèce où il fait valoir une véritable crainte de retourner dans son pays d’asile. J’accepte la logique de cet argument et je conviens qu’il pourrait appuyer l’interprétation invoquée par M. Farah de l’alinéa 101(1)d). Toutefois, comme les tribunaux dans les décisions Kaberuka et Jekula, j’estime que l’historique législatif de l’alinéa 101(1)d) favorise néanmoins considérablement la même interprétation que celle adoptée dans l’examen de l’alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l’immigration dans ces décisions. Le défendeur a indiqué non seulement l’abrogation de l’ancien paragraphe 46.01(2), éliminant ainsi le droit exprès de ceux ayant un statut de réfugié au sens de la Convention ailleurs de présenter une demande d’asile contre leur pays d’asile, mais il a également renvoyé la Cour au rapport officiel des Débats de la Chambre des communes, volume XI, 1992, aux pages 13806 à 13814. Ce rapport démontre l’échec de deux initiatives (les motions 25 et 31) visant à adopter de nouveau des dispositions dont les conséquences sont semblables à ceux du paragraphe 46.01(2) devant la Chambre dans le cadre des débats sur les modifications de 1992.

[34]      Pour ces motifs, peu importe si l’on examine le caractère raisonnable de l’interprétation adoptée de l’alinéa 101(1)d) dans la décision attaquée ou si une telle interprétation est en fait correcte, je ne vois aucun motif justifiant la modification de cette décision.

VII.       La question certifiée

[35]      M. Farah propose la question suivante en vue de sa certification aux fins d’un appel :

En ce qui concerne l’interprétation de la loi, l’irrecevabilité en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR inclut-elle les personnes qui présentent une demande d’asile contre le pays qui leur a accordé le statut de réfugié?

[36]      M. Farah soutient qu’il s’agit d’une question grave de portée générale et il soutient qu’elle répond au critère applicable selon lequel elle est déterminante quant à l’issue de l’appel en l’espèce et qu’elle s’applique au-delà de l’espèce particulière. Le défendeur s’oppose à la certification en soutenant que l’alinéa 101(1)d) ne comporte aucune ambiguïté et qu’il n’est donc pas nécessaire d’examiner davantage la question concernant l’interprétation de l’article.

[37]      Je conviens que cette question devrait être certifiée. Une décision relative à cette question serait déterminante quant à l’issue de l’appel et une telle question aurait des conséquences importantes ou qui sont de portée générale au-delà de l’espèce particulière. Même s’il existe une jurisprudence portant sur la question et même si j’ai conclu qu’il n’y a aucun motif de déroger de cette jurisprudence, je reconnais l’argument du demandeur selon lequel cette jurisprudence est quelque peu périmée et concernait un examen de dispositions législatives prédécesseurs. Par conséquent, je n’estime pas que l’existence de cette jurisprudence ne change rien à la conclusion selon laquelle la question proposée par le demandeur est admissible en tant que question grave de portée générale.

[38]      Après l’audience de cette question, j’ai donné une directive aux parties en vue de les informer que la Cour envisageait d’appliquer l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (la Loi) à la publication de la décision en l’espèce. J’ai ordonné à chacune des parties de signifier et de présenter toute observation qu’elle souhaite invoquer concernant l’application éventuelle de l’alinéa 20(2)b) de la Loi. Le défendeur n’a présenté aucune telle observation. Le demandeur a présenté des observations, lesquelles sont examinées ci-dessous.

[39]      L’alinéa 20(1)a) de la Loi dispose que [l]es décisions définitives — exposé des motifs compris — des tribunaux fédéraux sont simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles si le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour celui-ci. Toutefois, conformément au paragraphe 20(2) de la Loi, si le tribunal estime que l’établissement d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige, la décision — exposé des motifs compris — est rendue d’abord dans l’une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais dans l’autre langue officielle. Elle est exécutoire à la date de prise d’effet de la première version.

[40]      Même si j’estime que la question certifiée en l’espèce est une question de droit en litige qui présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public, les observations du demandeur m’ont convaincu qu’il éprouverait des difficultés ou une injustice si la publication de cette décision était retardée aux fins de traduction. M. Farah explique qu’il rencontre maintenant des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada en vue de préparer son renvoi, qu’il prépare son dossier de demande afin de demander l’autorisation et le contrôle judiciaire de la décision défavorable concernant l’ERAR et qu’il pourrait demander de façon imminente le sursis de la mesure de renvoi dont il est frappé. Il mentionne le stress et les difficultés psychologiques découlant de l’incertitude de sa situation qui pourraient être allégés quelque peu en connaissant l’issue de cette affaire. Je conclus que le fait d’exiger que M. Farah poursuive les recours qu’il a mentionné sans connaître l’issue de sa présente demande de contrôle judiciaire lorsque la Cour a tranché la question constituerait une injustice et un préjudice. Par conséquent, la présente décision sera publiée en anglais et la traduction française sera ensuite publiée, conformément au paragraphe 20(2) de la Loi.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         La question suivante est certifiée aux fins de l’appel :

En ce qui concerne l’interprétation de la loi, l’irrecevabilité en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR inclut-elle les personnes qui présentent une demande d’asile contre le pays qui leur a accordé le statut de réfugié?

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.