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[1995] 1 C.F. 380

A-174-92

Les Éditions JCL Inc. (défenderesse) (appelante)

c.

91439 Canada Ltée (demanderesse) (intimée)

Répertorié : Éditions JCL Inc. c. 91439 Canada Ltée (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen, Desjardins et Décary, J.C.A.—Montréal, 13 septembre; Ottawa, 23 septembre 1994.

Droit d’auteur — Dommages-intérêts — Appel de l’octroi de dommages-intérêts pour usurpation du droit de propriété dans une action pour violation du droit d’auteur — Par application de l’art. 38 de la Loi sur le droit d’auteur, l’appelante a été condamnée à payer la valeur des exemplaires de l’œuvre contrefaite imprimés, mais non vendus — Appel accueilli en partie — Les exemplaires contrefaits n’avaient aucune valeur au moment de leur destruction car (1) la procédure engagée visait à les retirer de la circulation; (2) aucune preuve n’établissait l’usage que le titulaire de droit de propriété aurait pu en faire; (3) le redressement recherché était la destruction des exemplaires aux frais de l’appelante — L’intimée n’ayant point subi de préjudice et l’appelante n’ayant point reçu d’avantage, l’usurpation qu’avait été le pilonnage ne donnait pas droit à des dommages-intérêts — La valeur des exemplaires vendus n’a pas été établie en fonction du pourcentage de plagiat — Ce qui resterait de l’œuvre, une fois écartés ses éléments contrefaits, n’aurait aucune valeur — Les dépenses encourues pour la promotion des exemplaires vendus ont été déduites des dommages-intérêts accordés pour l’usurpation — Conformément à l’obligation du tribunal de s’assurer que les dommages en usurpation ne font pas double emploi avec les dommages en recouvrement de profits qui sont par ailleurs accordés, ces derniers ont été soustraits de la somme accordée pour l’usurpation.

Code civil — L’art. 1056c permet l’octroi d’intérêts majorés — Le juge du procès a eu tort de conclure qu’ils n’étaient accordés que dans des circonstances exceptionnelles — Il a transformé en exception ce qui devrait être la règle — La bonne foi de l’appelante ayant été prise en compte dans l’exercice de la discrétion, il n’y a pas lieu d’intervenir.

Il s’agissait d’un appel de l’octroi de dommages-intérêts pour usurpation de propriété. Le juge du procès a conclu que Louise Denis-Labrie avait contrefait une « partie importante » de deux œuvres de Marcelyne Claudais, dont l’intimée était cessionnaire des droits d’auteur. Cette contrefaçon résultait de l’emprunt non autorisé de mots, de phrases, de noms de personnage, de rythme, de mise en place et de mise en paragraphe. Le juge du procès a accordé une somme minime au titre des profits réalisés sur les ventes pendant la période au cours de laquelle les exemplaires contrefaits ont été retirés du marché et, en vertu de l’article 38 de la Loi sur le droit d’auteur , une somme substantielle équivalant à la valeur des exemplaires imprimés, mais non vendus. L’appelante prétend que le pilonnage des exemplaires retirés du marché ne constituait pas de l’usurpation au sens de l’article 38. Elle soutient de plus que la valeur de chaque exemplaire doit être établie selon la proportion du plagiat, proportion qu’elle fixe à 2.41 % après un savant calcul des passages qui constituent textuellement du plagiat, mais qu’elle s’est dite prête à fixer à 10 %. Elle propose enfin que déduction soit faite, dans l’établissement de la valeur des exemplaires, des coûts afférents à la promotion, soit des coûts de 0,78 $ par exemplaire.

Arrêt : l’appel doit être accueilli en partie.

L’importation dans le domaine particulier du droit d’auteur d’un concept aussi défini, en common law, que le concept de « conversion » a soulevé des inquiétudes quant à la possibilité que le montant des dommages-intérêts soit démesuré, parce que les dommages-intérêts pour usurpation peuvent s’ajouter à ceux permis par l’article 35 de la Loi dommages-intérêts du fait de la violation et remboursement d’une proportion équitable des profits. Les tribunaux ont cherché à adoucir les rigueurs de la « conversion » en s’assurant que les dommages qu’ils accordaient en vertu de l’article 38 ne faisaient pas double emploi avec ceux qu’ils avaient accordés en vertu de l’article 35.

Pour peu qu’on quitte le domaine du droit d’auteur, destruction emporte usurpation. Encore faut-il, cependant, pour qu’il y ait dommages causés par la destruction, que la chose ait une valeur au moment de la destruction. Dans un cas comme celui-ci, où les procédures ont été engagées par le titulaire du droit de propriété afin, justement, que soient retirés du marché les exemplaires alors en circulation et où aucune preuve n’a été faite par ce titulaire des usages qu’il aurait pu faire des exemplaires si le contrefacteur les lui avait rendus, les exemplaires détruits n’ont aucune valeur. L’intimée n’aurait pas pu vendre, sous la signature de Marcelyne Claudais, une œuvre qui se voulait l’autobiographie de Louise Denis-Labrie, et je ne vois pas quel intérêt elle aurait eu à remettre en circulation une œuvre qui violait les droits d’auteur de Marcelyne Claudais. Enfin, le redressement recherché par l’intimée était justement de lui permettre de procéder à la destruction des exemplaires aux frais de l’appelante. Bien qu’il eût été préférable que l’appelante n’agisse pas au nom de l’intimée, elle a cru, de bonne foi, qu’elle aidait la cause de l’intimée en prenant l’initiative du pilonnage. L’intimée n’ayant point subi de préjudice et l’appelante n’ayant point reçu d’avantage, l’usurpation qu’avait été le pilonnage ne donnait pas droit à des dommages-intérêts.

La proposition selon laquelle la valeur des exemplaires vendus, aux fins de déterminer les dommages relatifs à l’usurpation, serait établie en fonction du pourcentage du plagiat était insoutenable. Bien que la contrefaçon dont il est question ne soit pas le plagiat de l’œuvre complète d’autrui, et qu’elle consiste plutôt en des emprunts de mots, de phrases, de personnages, de rythmes, de style, ce qui resterait de l’œuvre, une fois écartés ses éléments contrefaits, n’aurait aucune valeur. Le plagiat ne peut être séparé des parties originales. Les tribunaux ne peuvent se mettre à calculer au mot près l’atteinte portée aux droits d’un auteur. Les dépenses engagées par l’appelante pour la promotion des exemplaires vendus (0,78 $ l’exemplaire) doivent toutefois être soustraites des dommages-intérêts accordés pour l’usurpation.

En conformité avec l’obligation du tribunal de s’assurer que les dommages en usurpation ne font pas double emploi avec les dommages en recouvrement de profits qui sont par ailleurs accordés, ces derniers ont été soustraits de la somme accordée pour l’usurpation.

Le juge du procès a eu tort de conclure que les intérêts majorés permis par l’article 1056c du Code civil ne doivent être accordés que dans des circonstances exceptionnelles. Il a transformé en exception ce qui devrait être la règle. Toutefois, la bonne foi de l’appelante est un critère dont il pouvait tenir compte dans l’exercice de sa discrétion et il n’y a pas matière à intervention de la part de la Cour.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code civil du Bas-Canada, art. 1056c.

Copyright, Designs and Patents Act 1988 (R.-U.), 1988, ch. 48, art. 18, annexe 1, art. 31(2).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 35, 38.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Mawman v. Tegg (1826), 38 E.R. 380.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Hopkins (Tom) International, Inc. v. Wall & Redekop Realty Ltd. (1985), 20 D.L.R. (4th) 407 (C.A.C.-B.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Lewis Trusts v. Bambers Stores Limited, [1983] F.S.R. 453 (C.A.).

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Infabrics Ltd. v. Jaytex Ltd., [1982] A.C. 1 (H.L.); Caxton Publishing Co., Ld. v. Sutherland Publishing Co., [1939] A.C. 178 (H.L.); Pro Arts, Inc. v. Campus Crafts Holdings Ltd. et al. (1980), 28 O.R. (2d) 422; 110 D.L.R. (3d) 366; 10 B.L.R. 1; 50 C.P.R. (2d) 230 (H.C.); Ash v. Dickie, [1936] Ch. 655 (C.A.); Wham-O Manufacturing Co. v. Lincoln Industries Ltd., [1985] R.P.C. 127 (N.Z.C.A.); Beauchemin & Cadieux (1900), 10 B.R. 255 (B.R. Qué.); conf. par (1901), 31 R.C.S. 370; Cardwell, Raymond Philip v. Leduc, Philippe et al., [1963] R.C.É. 207; Cartwright v. Wharton (1912), 25 O.L.R. 357 (H.C.); Ravenscroft v. Herbert and Another, [1980] R.P.C. 193 (Ch. D.); W H Brine Co v Whitton (1981), 37 ALR 190 (Aust. F.C.); Girard c. Lavoie, [1975] C.A. 904 (Qué.); Voyageur (1969) Inc. c. Ally, [1977] C.A. 581 (Qué.); Trottier c. British American Oil Co. Ltd., [1977] C.A. 576 (Qué.); Godin c. Trempe (14 août 1985), Montréal 500-09-000894-790, J.E. 85-822 (C.A.), inédit.

DOCTRINE CITÉE

Baudouin, J.-L. La responsabilité civile délictuelle, 3e éd. Cowansville (Qué.) : Yvon Blais, 1990.

Copinger and Skone James on Copyright, 13th ed. by E. P. Skone James et al., London : Sweet & Maxwell, 1991.

Dictionary of Canadian Law. Toronto, Carswell, 1991.

APPEL de l’octroi de dommages-intérêts pour usurpation dans une action pour violation du droit d’auteur [91439 Canada Ltée c. Éditions JCL Inc. et al. (1992), 52 F.T.R. 61 (C.F. 1re inst.)] relativement à des exemplaires d’une œuvre contrefaite qui ont été détruits. Appel accueilli en partie.

AVOCATS :

Vivianne de Kinder et Doris Thibault pour la défenderesse (appelante).

Laurent Carrière et Philippe Van Eeckhout pour la demanderesse (intimée).

PROCUREURS :

Simard, Thibault, Gagnon, Chicoutimi, Québec, pour la défenderesse (appelante).

Léger Robic Richard, Montréal, pour la demanderesse (intimée).

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Décary, J.C.A. : Du jugement de première instance [(1992), 52 F.T.R. 61] qui prononçait contre Les Éditions JCL Inc. (l’appelante) les ordonnances d’usage lorsqu’il y a violation de droit d’auteur[1], il n’est attaqué devant nous que cette partie qui décidait de l’octroi de dommages-intérêts.

Le juge du procès a refusé, vu l’absence de preuve, d’accorder à 91439 Canada Ltée (l’intimée) des dommages résultant directement de la violation de ses droits d’auteur (article 35 de la Loi sur le droit d’auteur [L.R.C. (1985), ch. C-42] (la Loi)) et n’a pas cru opportun de lui accorder des dommages moraux. Il n’y a pas d’appel relativement à cette partie du jugement.

Le juge du procès, cependant, a condamné l’appelante à payer à l’intimée[2] :

… à titre de proportion équitable des profits que la première a réalisés en commettant la violation des droits d’auteur de la deuxième, la minime somme de 273,40 $, équivalant à un profit établi de 2,90 $ pour chacun des 94 exemplaires vendus après le 31 décembre 1987 seulement, soit pendant les sept mois au cours desquels les exemplaires contrefaits ont graduellement été retirés du marché.

L’intimée a déposé un appel incident à l’encontre de cette conclusion, se disant d’avis qu’il n’y avait aucune raison de ne tenir compte que des 94 exemplaires de « On m’a volé mon fils », vendus après la découverte de la contrefaçon et la mise en demeure d’y mettre fin. À l’audience, l’appelante a reconnu le bien-fondé des prétentions de l’intimée et accepté que le calcul se fît sur la base d’un profit de 2,90 $ pour chacun des 1 378 exemplaires vendus, ce qui fait un total de 3 996,20 $, qu’il y a lieu de substituer à celui de 273,40 $ accordé par le juge du procès. L’appel incident, sur ce point, sera donc accueilli.

Le juge du procès, par ailleurs, a accueilli « [la] procédure … concernant l’usurpation du droit de propriété » (« proceedings … in respect of the conversion ») qu’autorise l’article 38 de la Loi sur le droit d’auteur[3] (la Loi). Il l’a fait en ces termes[4] :

D. Un jugement condamnant la défenderesse JCL à payer à la demanderesse, compte tenu du choix exprimé par cette dernière au procès, la valeur des exemplaires de l’œuvre contrefaite On M’a Volé Mon Fils que la défenderesse JCL a fait imprimer et qu’elle n’a pas vendus j’estime, à ce chapitre, que la demanderesse a droit au montant requis de 51 929,50 $, soit un montant correspondant au prix de détail admis de 12,95 $ pour chacun des 4 010 exemplaires contrefaits imprimés et non vendus. En effet, il importe de rappeler que les exemplaires contrefaits sont devenus la propriété de la demanderesse dès leur confection; cette dernière a donc le droit maintenant de se retrouver financièrement dans la même situation que celle où elle se trouverait si ces exemplaires contrefaits n’avaient pas été détruits, mais lui avaient été délivrés ou remis. De plus, c’est la pleine valeur de ces exemplaires au temps où le droit de propriété de la demanderesse à leur égard a été usurpé qui constitue la mesure des dommages auxquels elle a droit (voir Tom Hopkins International Inc. v. Wall and Redekop Realty Ltd., 6 C.P.R. (3d) 475, à la page 479).

L’appelante s’oppose à cette conclusion. Elle reconnaît que la vente des 1 378 exemplaires de « On m’a volé mon fils » a constitué de l’usurpation au sens de l’article 38, mais soutient que le pilonage par l’appelante elle-même des 3 513 exemplaires retirés du marché ne constitue pas une usurpation au sens de cet article[5]. L’appelante prétend par ailleurs que la valeur de chacun des exemplaires, dont le prix de vente était de 12,95 $ devrait être établie en proportion des emprunts faits par Louise Denis-Labrie aux œuvres de Marcelyne Claudais, proportion qu’elle fixe à 2.41 % après un savant calcul des passages qui constituent textuellement du plagiat, mais qu’elle s’est dite prête, à l’audience, à fixer à 10 %. Elle propose enfin que déduction soit faite, dans l’établissement de la valeur des exemplaires, des coûts afférents à la promotion, soit des coûts de 0,78 $ par exemplaire.

L’usurpation ( «conversion » en common law) à laquelle renvoie l’article 38 est liée à la présomption de propriété des exemplaires de l’œuvre contrefaite qu’établit ce même article au profit du titulaire du droit d’auteur.

Étant réputé propriétaire de ces exemplaires, ce titulaire peut, nous dit l’article 38, ou bien demander d’en prendre possession, ou bien entreprendre une « procédure … concernant l’usurpation du droit de propriété ».

L’importation dans le domaine particulier du droit d’auteur d’un concept aussi défini, en common law, que le concept de « conversion » a fait couler beaucoup d’encre. Les tribunaux se sont inquiétés des possibilités d’abus auxquelles cette importation donnait ouverture. Dans la mesure, en effet, où ce redressement s’ajoutait à ceux permis par l’article 35 de la Loi—dommages-intérêts du fait de la violation et remboursement d’une proportion équitable des profits—et dans la mesure où ce redressement permettait au titulaire, selon la jurisprudence établie en matière de « conversion », de recouvrer, dès que le contrefacteur disposait des exemplaires de l’œuvre contrefaite, la pleine valeur au marché de ceux-ci au moment de la conversion, le montant des dommages pouvait être démesuré. Voici d’ailleurs ce que disait lord Scarman au sujet de l’article équivalant au Royaume-Uni, soit l’article 18, peu avant que ce dernier ne soit abrogé par le Copyright, Designs and Patents Act 1988[6] de 1988 :

[traduction] L’article 18 soulève un point plus embarrassant qu’est l’importance des dommages-intérêts. Dans des cas comme l’espèce, concernant le dessin industriel, les dommages-intérêts pour contrefaçon sous le régime de l’article 17 sont souvent de peu d’importance. Limités (en l’absence de circonstances spéciales) à la dépréciation de la valeur du droit d’auteur, ils peuvent être minimes. En l’espèce, Infabrics a payé seulement quelques livres pour le dessin. Mais les dommages-intérêts pour usurpation peuvent être d’une très grande importance. Si l’application industrielle de la copie contrefaite est un succès, des dommages-intérêts peuvent être recouvrés comme si le titulaire du droit d’auteur était le propriétaire de la chaque copie contrefaite vendue : article 18(1). Et si la copie contrefaite était gravée sur une coupe d’argent ou sur un médaillon d’or? Le texte du paragraphe est, à mon avis, clair : il confère au titulaire du droit d’auteur les droits et les voies de recours auxquels, en common law, le propriétaire de biens a droit par suite du détournement de ces biens. Il considère le titulaire du droit d’auteur comme s’il était propriétaire des copies contrefaites. Puisque, en common law, les préjudices pour usurpation se mesurent d’ordinaire par rapport à la valeur des marchandises détournées, je ne crois pas qu’il soit légitime d’interpréter le paragraphe autrement, quoiqu’il en résulte de l’injustice dans certains cas. Si la possibilité des dommages-intérêts excessifs doit être éliminée, des dispositions législatives s’imposent : car le texte du paragraphe ne permet aucune autre interprétation[7].

Je m’empresse d’ajouter que les tribunaux ont cherché à adoucir les rigueurs de la « conversion » en s’assurant que les dommages qu’ils accordaient en vertu de l’article 38 ne faisaient pas double emploi avec ceux qu’ils avaient accordés en vertu de l’article 35[8].

Que la vente par l’appelante des 1 378 exemplaires de « On m’a volé mon fils » constitue de l’usurpation ne fait pas de doute. L’appelante en a convenu sans peine dans son mémoire. Je reviendrai plus loin sur la question de la valeur qu’il faut attribuer à ces 1 378 exemplaires.

Pour appuyer ses prétentions à l’effet que la destruction par l’appelante des 3 513 exemplaires retirés du marché constitue également une usurpation au sens de l’article 38, l’intimée nous renvoie à l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Hopkins (Tom) International, Inc. v. Wall & Redekop Realty Ltd.[9], où des dommages d’usurpation ont été accordés relativement à des vidéocassettes que le contrefacteur avait éventuellement effacées, ainsi qu’à ces propos du juge d’appel Lawton dans Lewis Trusts[10] :

[traduction] Du moment que les blousons imités se trouvaient sous leur contrôle, les défendeurs n’ont fait rien qui porte atteinte aux droits des demandeurs en tant que propriétaires fictifs. Cela étant, théoriquement, les demandeurs auraient pu exiger des défendeurs qu’ils leur remettent les vêtements qu’ils ont fabriqués à n’importe quel stade de la fabrication auquel ils se trouvaient. Si les vêtements avaient été remis aux demandeurs, il n’y aurait pas eu usurpation. Mais lorsque les défendeurs ont vendu les blousons imités ou s’en sont défaits de toute autre manière, ils ont effectivement commis des actes qui portaient atteinte aux droits des propriétaires fictifs et qui les mettaient dans l’incapacité de les remettre si on leur demandait de le faire. À mon sens, c’est le moment où ils les ont appropriés. [Mes soulignements.]

L’arrêt Tom Hopkins n’a pas, je pense, la portée que lui attribue l’intimée. Il indique tout au plus, à mon avis, que destruction et usurpation ne sont pas incompatibles; les faits de cette affaire sont en effet tels qu’il semble que ce soit l’usage fait par le contrefacteur des vidéocassettes avant qu’il ne les efface, plutôt que l’effacement proprement dit, qui ait constitué l’usurpation. Par ailleurs, les propos du juge d’appel Lawton, en ce qui a trait aux mots « ou s’en sont défaits de toute autre manière », ne sont qu’obiter et ne traitent pas expressément de la destruction des objets en question.

Il ne fait pas de doute, cependant, pour peu qu’on quitte le domaine du droit d’auteur, que destruction emporte usurpation. Il n’est pas manière plus brutale et irréversible de disposer d’une chose qui ne nous appartient pas, que de la détruire. Dans The Dictionary of Canadian Law[11], on trouve la description suivante :

[traduction] USURPATION … 2. S’entend également de la modification de l’identité d’un bien meuble par destruction, consommation ou par toute autre transformation physique. John G. Fleming, The Law of Torts, 6e éd. (Sydney : The Law Book Company Limited, 1983), à la page 56.

Encore faut-il, cependant, pour qu’il y ait dommages causés par la destruction, que la chose ait une valeur au moment de la destruction. Or, dans un cas comme celui-ci, où les procédures ont été engagées par le titulaire du droit de propriété afin, justement, que soient retirés du marché les exemplaires alors en circulation et où aucune preuve n’a été faite par ce titulaire des usages, s’il en est, qu’il aurait pu faire des exemplaires si le contrefacteur les lui avait rendus, je cherche en vain quelle valeur auraient pu avoir sur le marché les 3 513 exemplaires pilonnés.

Je conçois difficilement que le droit de propriété présumé reconnu à l’intimée par l’article 38 soit absolu au point de lui permettre de vendre, sous la signature de Marcelyne Claudais, une œuvre qui se voulait l’autobiographie de Louise Denis-Labrie, et je ne vois pas quel intérêt aurait eu l’intimée à remettre en circulation, sous la signature de Louise Denis-Labrie, une œuvre qui violait les droits d’auteur de Marcelyne Claudais. D’ailleurs, et cela m’apparaît déterminant, le redressement recherché par l’intimée à la conclusion D) de sa déclaration était justement de lui permettre de procéder à la destruction des exemplaires en question aux frais de l’appelante. Il eût été préférable, sur le plan des principes, que l’appelante ne choisît point de faire elle-même justice à l’intimée et remît plutôt à celle-ci possession des exemplaires retirés du marché. Dans les faits de l’espèce, toutefois, je ne saurais la blâmer de l’avoir fait et l’intimée ne saurait s’en plaindre, qui s’apprêtait à le faire elle-même. L’appelante a cru, de bonne foi, qu’elle aidait la cause de l’intimée en prenant l’initiative du pilonnage. L’intimée n’ayant point subi de préjudice et l’appelante n’ayant point reçu d’avantage, je ne vois pas comment je pourrais conclure que l’usurpation qu’avait été le pilonnage donnait droit à quelque dommage que ce soit.

Quelle est, alors, au fins de déterminer les dommages relatifs à l’usurpation, la valeur des 1 378 exemplaires vendus?

La proposition de l’appelante selon laquelle cette valeur serait établie en fonction du pourcentage de plagiat que contiendrait l’œuvre « On m’a volé mon fils » est insoutenable. La contrefaçon dont il est question n’est pas, il est vrai, le plagiat de l’œuvre complète d’autrui. Elle consiste plutôt en des emprunts de mots, de phrases, de personnages, de rythmes, de style. L’œuvre contrefaite contient sa part d’éléments originaux, mais ces éléments n’ont aucune existence autonome et ce qui reste de l’œuvre, une fois écartés ses éléments contrefaits, n’a aucune valeur.

Pour reprendre les mots même de l’auteure dont les droits ont été violés, à la toute fin de son témoignage[12] :

… ici on parle de quelqu’un qui avait une idée, mais qui n’avait pas de mots pour l’écrire et qui a pigé dans les livres d’une écrivaine qui avait des mots pour se donner des mots.

Aussi, parler de pourcentage équivaudrait à donner à l’œuvre « On m’a volé mon fils » une valeur qu’elle n’a pas. Me paraissent pertinents ces propos de lord Eldon dans Mawman v. Tegg[13] :

[traduction] Quant aux graves conséquences qui découleraient de l’octroi d’une injonction, lorsqu’une grande partie de l’œuvre est indiscutablement originale, je peux seulement dire que, si on ne peut séparer les parties qui ont été copiées de celles qui sont originales sans pour cela détruire l’usage et la valeur de la chose originale, celui qui a illégalement fait usage de ce qui ne lui appartenait pas doit en subir les conséquences. Si un homme mélange ce qui lui appartient à ce qui m’est propre, et que le produit final en soit interdit par la loi, il doit encore les séparer et il doit subir tous les dommages et toutes les pertes auxquels la séparation peut donner lieu. Si un individu choisit, dans une œuvre, de mélanger mon sujet littéraire au sien, l’interdiction doit lui être faite de publier le sujet littéraire qui m’est propre; et si les parties de l’œuvre sont inséparables, et que, de cette façon, l’injonction, qui interdisait la publication de mon sujet littéraire, empêche aussi la publication de son propre sujet littéraire, il ne peut que s’en prendre à lui-même.

Bref, il ne s’agit pas, ici, d’un cas où le plagiat est en quelque sorte divisible et où l’on peut séparer les parties contrefaites des parties originales et utiliser d’une quelconque manière ces dernières. À cet égard, il ne m’apparaît pas possible ni souhaitable de recourir à la règle rusticum judicium[14]. Il serait bien malheureux, dans des cas comme celui-ci, que les tribunaux se mettent à calculer au mot près l’atteinte portée aux droits d’un auteur.

Cela dit, il y a lieu de comptabiliser en réduction des dommages en usurpation, les dépenses encourues par l’appelante pour la promotion des exemplaires vendus[15] Voir W H Brine Co v Whitton (1981), 37 ALR 190, (Aust. F.C.), à la p. 200; E. P. Skone. Selon la preuve faite, ces dépenses se chiffrent à la somme de 0,78 $ par exemplaire.

J’en arrive donc à la conclusion que les dommages en usurpation auxquels l’intimée a droit doivent être calculés comme suit : 1 378 x 12,17 $ (12,95 $—0,78 $) = 16 770,26 $.

La Cour cependant a l’obligation, ainsi que je l’ai souligné plus haut, de s’assurer que les dommages en usurpation ne font pas double emploi avec les dommages en recouvrement de profits qui sont par ailleurs accordés à l’intimée. En l’espèce, ce serait faire double emploi que de ne pas tenir compte, dans les dommages accordés pour l’usurpation qui sont fondés sur la valeur de chaque exemplaire vendu, laquelle valeur prend en compte le profit réalisé, du profit de 2,90 $ par exemplaire que l’appelante doit rembourser à l’intimée. Aussi, suis-je d’avis de soustraire de la somme que j’aurais accordée pour l’usurpation, celle que j’ai accordée au titre de remboursement des profits. La somme à laquelle l’intimée a droit à titre de dommages pour usurpation sera donc la suivante : 16 770,26 $-3 996,20 $ = 12 774,06 $.

En conséquence, j’accorderais à l’intimée une somme de 16 770,26 $ (3 996,20 $ (profits) + 12 774,06 $ (usurpation)) au lieu de la somme de 52 202,90 $ accordée par le juge du procès[16].

Un dernier mot sur un second volet de l’appel incident déposé par l’intimée. Celle-ci, dans sa déclaration, avait demandé que les dommages qui lui seraient accordés portent « intérêt au taux légal depuis l’assignation majoré depuis telle date de l’indemnité spéciale prévue à l’article 1056c C.c.B.-C. »[17].

Dans ses motifs, le juge du procès a disposé de cette demande comme suit[18] :

… de plus, les circonstances sont loin de revêtir le caractère extraordinaire requis, compte tenu de la bonne foi de la défenderesse JCL, pour … la condamnation à des intérêts majorés.

Le juge du procès a eu tort, à mon avis, de conclure, à l’encontre des principes énoncés par la Cour d’appel du Québec[19], que le bénéfice de l’indemnité additionnelle n’était accordé que dans des circonstances extraordinaires. Il a transformé en exception ce qui devrait être la règle. Cela dit, la bonne foi de l’appelante est un critère dont il pouvait tenir compte dans l’exercice de sa discrétion et je ne crois pas qu’il y ait matière à intervention de notre part.

DISPOSITIF

L’appel principal devrait être accueilli en partie, l’appel incident devrait être accueilli en partie et le paragraphe D du jugement de première instance devrait être modifié de manière à se lire comme suit :

D La Cour condamne la défenderesse JCL à payer à la demanderesse la somme totale de 16 770,26 $ avec intérêts au taux légal depuis l’assignation.

Chaque partie devrait assumer ses dépens en appel.

Le Juge Hugessen, J.C.A. : J’y souscris.

Le Juge Desjardins, J.C.A. : J’y souscris.



[1] L’intimée est cessionnaire des droits d’auteur de Marcelyne Claudais dans les œuvres littéraires « Un jour la jument va parler » et « J’espère au moins qu’y va faire beau! », publiées en 1983 et 1985 respectivement. L’appelante est l’éditeur de l’œuvre littéraire « On m’a volé mon fils », soit-disant écrite par Louise Denis-Labrie et publiée en 1987. Le juge du procès a conclu qu’il y avait eu contrefaçon par Louise Denis-Labrie d’une « partie importante » des deux œuvres de Marcelyne Claudais. Cette contrefaçon, en l’espèce, résultait de l’emprunt non autorisé de mots, de phrases, de noms de personnage, de rythme, de mise en place et de mise en paragraphe. La bonne foi de l’appelante n’est pas mise en question

[2] (1992), 52 F.T.R. 61 (C.F. 1re inst.), à la p. 77.

[3] L’art. 38 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), c. C-42 se lit comme suit :

38. Tous les exemplaires contrefaits d’une œuvre protégée, ou d’une partie importante de celle-ci, de même que toutes les planches qui ont servi ou sont destinées à servir à la confection d’exemplaires contrefaits, sont réputés être la propriété du titulaire du droit d’auteur; en conséquence, celui-ci peut engager toute procédure en recouvrement de possession ou concernant l’usurpation du droit de propriété.

[4] Précité, note 2, à la p. 76.

[5] Dès avoir appris la contrefaçon, l’appelante avait demandé à son distributeur de retirer du marché tous les exemplaires de « On m’a volé mon fils » dont il avait fait la distribution. 3 513 exemplaires ont été ainsi retirés. Ce retrait, pour des raisons propres au marché de l’édition, s’était échelonné sur une période de quelque sept mois. Sitôt les exemplaires retirés, et à un moment où l’intimée avait pris contre elle des procédures en recouvrement de possession desdits exemplaires, l’appelante les avait fait pilonner, à ses frais.

[6]6 1988, ch. 48 (R.-U.); voir art. 31(2) de l’annexe I.

[7] Infabrics Ltd. v. Jaytex Ltd., [1982] A.C. 1 (H.L.), à la p. 26. Voir aussi, Lewis Trusts v. Bambers Stores Limited, [1983] F.S.R. 453 (C.A.).

[8] Voir : Caxton Publishing Co., Ld. v. Sutherland Publishing Co., [1939] A.C. 178 (H.L.); Pro Arts, Inc. v. Campus Crafts Holdings Ltd. et al. (1980), 28 O.R. (2d) 422 (H.C.); Lewis Trust, supra, note 7.

[9] (1985), 20 D.L.R. (4th) 407 (C.A.C.-B.).

[10] Supra, note 7, à la p. 459. Ce passage a reçu l’aval du juge Davison, juge en chef de la Cour d’appel de Nouvelle-Zélande, dans Wham-O Manufacturing Co. v. Lincoln Industries Ltd., [1985] R.P.C., 127, à la p. 180.

[11] A. Dukelow & B. Nuse, The Dictionary of Canadian Law, Toronto, Carswell, 1991, à la p. 215.

[12] Mémoire de l’appelante, vol. 1, à la p. 84.

[13] (1826), 38 E.R. 380, à la p. 383. Voir également, Beauchemin& Cadieux (1900), 10 B.R. 255, aux p. 284 à 287 (B.R. Qué.) conf. par (1901), 31 R.C.S. 370; Cardwell, Raymond Philip v. Leduc, Philippe et al., [1963] R.C.É. 207, aux p. 220 et 221; Cartwright v. Wharton (1912), 25 O.L.R. 357 (H.C.), aux p. 363-364.

[14] Voir Ash v. Dickie, [1936] Ch. 655 (C.A.); Ravenscroft v. Herbert and Another, [1980] R.P.C. 193 (Ch. D.), à la p. 210.

[15] James et autres, Copinger and Skone James on Copyright, 13e éd. Londres : Sweet & Maxwell, 1991, à la p. 348.

[16] Le total de 4 891 exemplaires vendus et détruits (1 378 + 3 513) est en deça du total de 5 388 exemplaires imprimés. Le débat, devant nous, n’a pas porté sur ces quelque 497 exemplaires qui auraient été utilisés à des fins de publicité ou que l’appelante aurait encore eu en sa possession au moment du procès.

[17] D.A. vol. 1, à la p. 5. L’art. 1056c C.c.B.-C. se lit comme suit :

Art. 1056c. Le montant accordé par jugement pour dommages résultant d’un délit ou d’un quasi-délit porte intérêt au taux légal depuis la date de l’institution de la demande en justice.

Il peut être ajouté au montant ainsi accordé une indemnité calculée en appliquant à ce montant, à compter de ladite date, un pourcentage égal à l’excédent du taux d’intérêt fixé suivant l’article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., chapitre M-31) sur le taux légal d’intérêt.

[18] Précité, note 2, à la p. 77.

[19] Voir : Girard c. Lavoie, [1975] C.A. 904, à la p. 908; Voyageur (1969) Inc. c. Ally, [1977] C.A. 581 et Trottier c. British American Oil Co. Ltd., [1977] C.A. 576; Godin c. Trempe (14 août 1985), Montréal 500-09-000894-790, J.E. 85-822 (C.A.), inédit; J.-L. Baudouin, La responsabilité civile délictuelle, 3e éd., Cowansville : Yvon Blais, 1990, à la p. 172.

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