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[1995] 2 C.F. 272

T-359-94

Steiner Antonsen, Steiner Fishing Company Ltd., Andrew Goddard, Ronald Goreman, Hank McBride, Albert Radil, John Radil, George Radil, Radil Fishing, John Roach, Garry Sigmund, Tom Wilkinson, Marke Antonsen, Stamar Fishing Co. Ltd., Golden Alaska Fisheries Inc. et Supreme Alaska Fisheries Inc. (demandeurs)

c.

Le Procureur général du Canada et le Ministre des pêches et océans (défendeurs)

Répertorié : Antonsen c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Ottawa, 3 octobre 1994 et 17 février 1995.

Pêches — Refus par le ministre de permettre aux bateaux de pêche étrangers de pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes aux termes de la Loi sur la protection des pêches côtières — Refus fondé sur le manque de respect des objectifs du Canada en matière de conservation des pêches — Subdélégation au ministre du pouvoir du gouverneur en conseil de « régir » la délivrance des licences — Les pouvoirs obtenus par subdélégation doivent être interprétés de façon restrictive — Le ministre a outrepassé son pouvoir en refusant de délivrer les licences — L’art. 32 du Règlement de pêche (dispositions générales) permet au ministre d’assortir les permis de conditions.

Droit administratif — Refus par le ministre de délivrer des licences à des bateaux de pêche d’un pays étranger qui ne respecte pas les objectifs canadiens en matière de conservation des pêches — La Loi interdit l’entrée des bateaux de pêche étrangers, sauf si cette entrée est autorisée par la Loi ou un règlement — Le gouverneur en conseil est autorisé à prendre des règlements — Nécessité d’une subdélégation au ministre — Distinction entre le pouvoir de « déterminer » par règlement et le pouvoir de « régir » certaines questions par règlement — Le pouvoir délégué au ministre va-t-il au delà des détails pour s’étendre aux principes de droit? — L’objet de la Loi n’est pas de renforcer la position du ministre lors des négociations internationales — Le ministre a outrepassé son pouvoir — Les pouvoirs de subdélégation mal définis sont, depuis longtemps, mal perçus en droit et interprétés de façon restrictive.

Il s’agit d’un litige découlant du refus par le ministre des Pêches et Océans d’autoriser deux des demandeurs, qui sont propriétaires de bateaux de traitement de poisson américains, à pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes, parce que les États-Unis ne respectent les objectifs du Canada en matière de conservation des pêches. Les demandeurs ont également contesté les conditions que le ministre a ajoutées aux permis de pêche au merlu accordés aux bateaux de pêche canadiens et selon lesquelles le merlu pêché doit être débarqué à un endroit situé au Canada ou remis à un bateau de traitement du poisson qui a reçu du ministre l’autorisation de pénétrer dans les eaux canadiennes. Trois questions ont été soulevées en l’espèce : (1) le ministre était-il habilité à refuser, comme il l’a fait, des demandes de licence autorisant les bateaux à pénétrer dans les eaux canadiennes pour toute une catégorie de bateaux de pêche étrangers? (2) avait-il le pouvoir d’ajouter lesdites conditions aux permis de pêche accordés à l’égard des bateaux canadiens? et (3) a-t-il agi sans autorisation, parce que ses actions ont eu pour effet cumulatif d’imposer une restriction à l’exportation.

Jugement : un jugement déclaratoire est rendu déclarant invalide le refus par le ministre d’autoriser les bateaux des demandeurs à pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes.

(1) L’article 3 de la Loi sur la protection des pêches côtières interdit à tous les bateaux de pêche étrangers de pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes, sauf s’ils y sont autorisés par la Loi ou par un règlement. L’article 6 de cette même Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir d’adopter des règlements visant à accorder par licence aux bateaux de pêche étrangers l’« autorisation » de pénétrer dans les eaux canadiennes et d’assortir ladite licence de conditions. Le pouvoir du ministre en ce qui a trait à la délivrance de licences autorisant les bateaux à pénétrer dans les eaux canadiennes découle implicitement du libellé de la Loi. Le gouverneur en conseil n’était pas censé traiter chaque demande de licence lui-même et, sur le plan pratique, une subdélégation au ministre ou à une autre personne était nécessaire. Lorsque le gouverneur en conseil a le pouvoir de « déterminer » certaines questions, il n’a pas le droit de subdéléguer ce pouvoir à une autre personne. Cependant, lorsque le pouvoir de prendre des règlements « concernant » certaines questions est accordé, la subdélégation est possible. Le pouvoir du gouverneur en conseil, aux termes de l’alinéa 6a) de la Loi, de « prévoir l’autorisation [l’entrée] … aux fins précisées dans le règlement » ne signifie pas qu’un large pouvoir d’établir non seulement les détails, mais aussi les principes de l’ensemble du règlement peut être conféré au ministre. Le ministre ne devait pas utiliser la Loi pour renforcer sa position à l’échelle internationale au moment de négocier avec d’autres pays au sujet des objectifs du Canada en matière de pêche. Il a outrepassé son pouvoir lorsqu’il a refusé les demandes de licences autorisant les bateaux à entrer dans les eaux canadiennes. Les pouvoirs de subdélégation mal définis sont, depuis longtemps, mal perçus en droit et interprétés de façon restrictive. La prise de décisions par des subdélégués, fondée sur des pouvoirs larges et mal définis, peut trop souvent mener à un exercice inéquitable de tels pouvoirs.

(2) Dans le cas des permis relatifs aux bateaux de pêche canadiens, ce n’est pas le pouvoir du ministre en matière de délivrance qui est contesté, mais plutôt la portée du pouvoir d’assortir de conditions les permis de pêche au merlu. Le ministre n’était pas tenu d’examiner chaque demande de permis séparément et de désigner des endroits de débarquement précis pour chaque bateau. Cependant, les conditions imposées au sujet du débarquement découlaient, à première vue, d’un exercice valable du pouvoir qui a été conféré au ministre par voie de subdélégation. S’il peut être établi que la décision du ministre était fondée sur des facteurs pertinents, l’exercice du pouvoir sera jugé valable, même si la décision en question reposait sur certaines considérations plus ou moins pertinentes. L’article 32 du Règlement de pêche (dispositions générales) interdit le transbordement du poisson d’un bateau de pêche canadien à un bateau de pêche étranger, à moins que celui-ci ne soit autorisé à prendre ce poisson à son bord en vertu du Règlement sur la protection des pêcheries côtières. Cette disposition a pour effet de réfuter en entier les arguments des demandeurs quant à l’invalidité des conditions que le ministre a imposées à l’égard des permis.

(3) Selon les dispositions de l’Accord de libre-échange (ALE) et de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), les parties signataires ne peuvent imposer de restrictions touchant l’exportation des marchandises destinées au territoire de l’autre pays. Le Parlement a « approuvé » les deux accords sans déclarer qu’ils font partie de la législation canadienne. Les différentes dispositions de la Loi sur la protection des pêches côtières, de la Loi sur les pêches ainsi que des règlements connexes ne sont pas ambiguës au point qu’il faille examiner les dispositions de l’ALE et de l’ALENA pour les interpréter. En refusant de délivrer des licences aux bateaux de traitement de poisson des demandeurs afin de faire pression auprès du gouvernement américain, le ministre a dépassé le pouvoir dont il était investi en vertu de la Loi sur la protection des pêches côtières.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis d’Amérique, L.C. 1988, ch. 65, Annexe, Partie A, art. 407(1), 1201.

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, [1994] R.T. Can. no 2, art. 309(1) (encore inédit).

Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, [1948] R.T. Can. no 31, art. XI, XX.

Loi corrective de 1991, L.C. 1992, ch. 1, art. 43.

Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange CanadaÉtats-Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 5, 8, Annexe—partie A, art. 407(1), 1201.

Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44, art. 6, 10.

Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts, S.C. 1984, ch. 20.

Loi modifiant la Loi sur la protection des pêches côtières, L.C. 1994, ch. 14.

Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, S.C. 1986, ch. 21.

Loi sur la protection des pêches côtières, L.R.C. (1985), ch. C-33, art. 2, 3, 6 (mod. par L.C. (1992), ch. 1, art. 43).

Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3.

Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19, art. 5(1), 8(1).

Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, L.C. 1991, ch. 41.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 7, 43a),b),c),f),g),j), l),m) (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 12).

Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F-14, art. 34g) (mod. par S.R.C. 1970 (1er suppl.), ch. 17, art. 4), m), 48 (mod. par L.C. 1988, ch. 2, art. 67).

Magnuson Fishery Conservation and Management Act, 16 U.S.C. § 1801-1858 (1988).

Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, art. 3 (mod. par DORS/94-296, art. 1), 22(1) (mod. par DORS/93-333, art. 4), 32, 65 (édicté par DORS/94-296, art. 2), 66 (édicté, idem), 67 (édicté, idem), 68 (édicté, idem).

Règlement sur la protection des pêcheries côtières, C.R.C., ch. 413, art. 5(1) (mod. par DORS/85-527, art. 3; 86-939, art. 2), 6 (mod. par DORS/80-186, art. 2; 85-527, art. 4), 7 (mod. par DORS/80-186, art. 3; 85-527, art. 5), 7.1 (édicté par DORS/79-713, art. 5), 8 (mod., idem, art. 6; 80-186, art. 4; 85-527, art. 6), 9 (mod. par DORS/86-939, art. 3).

Traité entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant le saumon du Pacifique, le 28 janvier 1985, [1985] R.T. Can. no 7.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al., Re (1985), 49 O.R. (2d) 705; 7 O.A.C. 283 (C.A.); conf. par [1988] 2 R.C.S. 1045; (1988), 66 O.R. (2d) 543; 56 D.L.R. (4th) 575; 89 N.R. 323; 31 O.A.C. 319.

DISTINCTION FAITE AVEC :

R. v. Mark, [1989] B.C.J. no 962 (Co. Ct.) (QL); R. v. Roach, [1991] B.C.J. no 751 (C.A.) (QL).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. v. Tenale et al. (1982), 145 D.L.R. (3d) 521; 42 B.C.L.R. 91; 3 C.C.C. (3d) 254 (C.A.C.-B.); CanadaMesures affectant l’exportation de harengs et de saumons non préparés (1987-1988), IBDD S35/106.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 121 (C.A.); Reference as to whether members of the Military or Naval Forces of the United States of America are exempt from Criminal Proceedings in Canadian Criminal Courts, [1943] R.C.S. 483.

DOCTRINE :

Driedger, E. A. « Subordinate Legislation » (1960), 38 Can. Bar. Rev. 1.

Driedger, E. A. The Composition of Legislation. Legislative Forms and Precedents, 2nd ed. Ottawa : Dept. of Justice, 1976.

Gotlieb, A. E. Canadian Treaty-Making. Toronto : Butterworths, 1968.

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 3rd ed., Toronto, Carswell, 1992.

Keyes, J. M. Executive Legislation : Delegated Law-Making by the Executive Branch. Toronto : Butterworths, 1992.

Kindred Hugh M. et al. International Law Chiefly as Interpreted and Applied in Canada, 4th ed. Toronto : Emond Montgomery, 1987.

Richard, J. D. Working With NAFTA : Maximizing the Benefits, Dispute Settlement Mechanisms in NAFTA. Association du Barreau canadien, section de l’éducation juridique permanente de l’Ontario, 1994.

DEMANDE visant à annuler le refus par le ministre des Pêches et Océans d’autoriser des bateaux de pêche à pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes s’ils poursuivent leurs activités sous le pavillon d’un pays qui ne respecte pas les objectifs canadiens en matière de conservation des pêches. Refus déclaré invalide.

AVOCATS :

Christopher Harvey et Kevin Price pour les demandeurs.

George C. Carruthers et David Prest pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Russell & DuMoulin, Vancouver, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : Le présent litige concerne le refus par le ministre des Pêches et Océans (le ministre) d’autoriser des bateaux de pêche étrangers à pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes s’ils poursuivent leurs activités sous le pavillon d’un pays qui ne respecte pas les objectifs du Canada en matière de conservation des pêches. Deux des sociétés demanderesses[1], Golden Alaska Fisheries Inc. et Supreme Alaska Fisheries Inc., sont propriétaires de bateaux étrangers servant au traitement du poisson (les bateaux de traitement américains). Elles n’ont pas obtenu l’autorisation de pénétrer dans les eaux canadiennes, parce que les États-Unis ne respectent pas les objectifs du Canada en matière de pêche.

Les demandeurs contestent également les conditions que le ministre a ajoutées aux permis de pêche au merlu accordés aux bateaux de pêche canadiens. Selon ces conditions, le merlu pêché doit être débarqué à un endroit situé au Canada ou remis à un bateau de traitement du poisson qui a reçu du ministre l’autorisation de pénétrer dans les eaux canadiennes. À l’exception des propriétaires des bateaux de traitement américains, les demandeurs sont propriétaires de bateaux de pêche canadiens à l’égard desquels un permis de pêche au merlu a été délivré. Avant l’ajout des conditions contestées, le poisson pêché par les bateaux canadiens pouvait être vendu « directement en mer »[2] aux bateaux américains. Il n’était pas interdit aux bateaux canadiens de franchir la frontière américaine et de remettre leurs prises aux bateaux de traitement américains de cette façon.

La pêche au merlu en question est située au large de la côte sud-ouest de l’île de Vancouver. Le ministre délivre des permis ayant pour effet d’autoriser les bateaux de traitement provenant de plusieurs pays étrangers, y compris la Pologne, la Russie, la Corée et le Japon, à pénétrer dans les eaux canadiennes. Ces permis sont délivrés dans la mesure où il y a un surplus de merlu par rapport à celui qui peut être traité par les installations canadiennes. De façon générale, les installations canadiennes sont situées sur la terre ferme, étant donné que le gouvernement canadien a toujours eu pour politique d’encourager la croissance de la capacité de traitement terrestre en interdisant la livraison à des bateaux de traitement canadiens. Effectivement, il appert de la preuve qu’un seul bateau de cette nature existe. C’est un petit bateau qui traite seulement sa propre prise.

Les bateaux de traitement américains sont fabriqués selon la plus récente technologie. Comme ceux-ci sont plus efficaces, le merlu pêché par des bateaux de pêche canadiens se vendrait probablement à un prix plus élevé s’il pouvait être vendu à des bateaux de traitement américains. Afin qu’il soit plus facile de faire une distinction entre les licences autorisant les bateaux à entrer dans les eaux canadiennes et les licences autorisant la pêche, j’appellerai les secondes des « permis ».

La contestation des demandeurs peut être divisée en trois parties. D’abord, les demandeurs soutiennent que le ministre n’est pas habilité à refuser d’accorder, comme il l’a fait, des licences autorisant les bateaux à pénétrer dans les eaux canadiennes à toute une catégorie de bateaux de pêche étrangers. En deuxième lieu, le ministre n’a pas le pouvoir voulu pour ajouter aux permis de pêche accordés à l’égard des bateaux canadiens des conditions ayant pour effet d’exiger que le merlu pêché soit débarqué à un établissement situé à l’intérieur du Canada ou remis à un bateau de traitement qui a reçu l’autorisation de pénétrer dans les eaux canadiennes. Subsidiairement, s’il est habilité à imposer ces types de conditions, il a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon abusive en l’espèce en tenant compte de facteurs non pertinents. En troisième lieu, l’avocat fait valoir que le ministre n’était pas autorisé à agir comme il l’a fait, parce que ses actions ont pour effet cumulatif d’imposer une restriction à l’exportation qui est contraire à l’Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, [1994] R.T. Can. no 2 (encore inédit) (ALENA) et à l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis d’Amérique [L.C. 1988, ch. 65, Annexe, Partie A] (ALE).

Licences autorisant les bateaux de traitement étrangers à pénétrer dans les eaux canadiennes

a)         Dispositions législatives

L’article 3 de la Loi sur la protection des pêches côtières[3] interdit à tous les bateaux de pêche étrangers, y compris les bateaux de traitement de poisson étrangers[4], de pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes, sauf s’ils y sont autorisés par la Loi ou par un règlement :

3. Il est interdit aux bateaux de pêche étrangers de pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes, à quelque fin que ce soit, sans y être autorisés par la présente loi ou ses règlements, par une autre loi canadienne ou par un traité.

L’article 6 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 43] de la Loi accorde au gouverneur en conseil le pouvoir d’adopter des règlements visant à accorder par licence aux bateaux de pêche étrangers l’« autorisation » de pénétrer dans les eaux canadiennes et d’assortir ladite licence de conditions :

6. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) prévoir l’autorisation, notamment par licence ou permis :

(i) pour les bateaux de pêche étrangers, de pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes aux fins précisées,

b) régir la délivrance, la suspension et l’annulation des licences ou permis prévus à l’alinéa a), et fixer leur forme, les droits à acquitter pour les obtenir et leurs conditions d’octroi, en sus des conditions que peut spécifier le ministre;

c) prévoir la nomination ou l’autorisation de personnes chargées d’exercer des pouvoirs de police dans le cadre de la présente loi et de ses règlements;

e) prendre toute autre mesure d’application de la présente loi.

b)         Règlement

Exerçant le pouvoir dont il est investi en vertu de l’article 6 de la Loi sur la protection des pêches côtières (la Loi), le gouverneur en conseil a adopté le Règlement sur la protection des pêcheries côtières (le Règlement)[5]. Au paragraphe 5(1) [mod. par DORS/85-527, art. 3; 86-939, art. 2] dudit Règlement, le gouverneur en conseil a autorisé le ministre à délivrer des licences autorisant les bateaux étrangers à pénétrer dans les eaux canadiennes à des fins précises, notamment le traitement du poisson en mer :

5. (1) Le Ministre peut, sur réception d’une demande, délivrer une licence autorisant

a) un bâtiment de pêche étranger et les membres de son équipage à pénétrer dans les eaux des pêcheries canadiennes pour l’une ou plusieurs des fins suivantes :

(ii) transborder ou embarquer, en mer, du poisson, des agrès ou des fournitures,

(iii) traiter le poisson en mer,

(viii) acheter, charger, décharger, transborder, vendre ou traiter du poisson ou des produits de la pêche dans un port canadien;

Le Règlement précise également le type de renseignements à fournir dans une demande visant à obtenir l’autorisation de pénétrer dans les eaux canadiennes (p. ex., grandeur du bateau, description de l’équipement, numéro de coque, radiofréquences utilisées), ainsi que les conditions de la licence et les droits exigibles.

c)         La décision du ministre

Tel qu’il est mentionné ci-dessus, le ministre a exercé le pouvoir que lui accordait le Règlement et a autorisé certains bateaux de traitement étrangers à pénétrer dans les eaux canadiennes pour le traitement du poisson. Cependant, il a refusé de délivrer une licence à l’ensemble des bateaux de traitement et des bateaux de pêche américains, parce que les États-Unis [traduction] « ne respectent pas les objectifs du Canada en matière de conservation des pêches ». La décision du ministre de refuser d’accorder des permis aux bateaux de traitement américains est fondée sur un document intitulé Port Access Policy (politique concernant l’accès aux ports)[6].

D’après la preuve dont le ministre a été saisi dans le cas de la demande présentée par les propriétaires des deux bateaux de traitement du poisson américains qui sont parties demanderesses, les États-Unis ne collaboraient pas avec le Canada :

(i) des pêcheurs américains faisaient de la pêche sur le nez et la queue des Grands Bancs, contrairement aux mesures internationales établies par l’OPAN [Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest] en matière de conservation;

(ii) un litige oppose actuellement les États-Unis et le Canada en ce qui a trait à leurs parts respectives de la prise de merlu du Pacifique transfrontalier;

(iii) les États-Unis n’ont pas mis en œuvre les principes fondamentaux du Traité sur le saumon du Pacifique [Traité entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant le saumon du Pacifique, le 28 janvier 1985, [1985] R.T. Can. no 7].

Le ministre a refusé d’accorder des licences à l’égard des bateaux de traitement américains, parce que les bateaux battant pavillon américain faisaient de la surpêche de stocks chevauchants sur la côte est du Canada, et que les États-Unis n’avaient pas accepté la position du Canada au sujet de sa part du merlu du Pacifique transfrontalier ni n’avaient mis en œuvre un traité concernant le saumon du pacifique.

L’avocat souligne qu’il n’existe aucune mesure que les requérants peuvent adopter pour respecter les critères que le ministre a « imposés par voie législative ». Les critères ne concernent pas, par exemple, la grandeur ou l’équipement des bateaux, le comportement antérieur de l’équipage ou du propriétaire, la quantité de merlu à pêcher ou l’endroit où les bateaux poursuivent leurs activités. Les requérants se sont vu refuser une autorisation parce que le pays dont ils battent pavillon a été considéré comme un pays qui ne respecte pas les objectifs du Canada en matière de conservation des pêches. Il est évident que le refus d’accorder des licences aux bateaux américains vise à inciter le gouvernement des États-Unis à respecter les politiques du gouvernement canadien.

Le bien-fondé des mesures prises par le ministre n’est pas contesté. La question qui se pose est celle de savoir si la décision qu’il a prise dépasse ou non le pouvoir dont il est investi en vertu des dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement.

d)         Nature législative ou administrative de la décision

L’avocat des demandeurs fait valoir que la décision du ministre est une décision législative, soit l’adoption de règles de conduite générales à l’égard de certaines catégories de bateaux, et dépasse donc les limites du pouvoir qu’il a obtenu par subdélégation.

Pour sa part, l’avocat des défendeurs allègue que la décision du ministre est de nature administrative, soit une décision qu’il a prise dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire conformément à une politique qu’il est autorisé à adopter.

Il ne m’apparaît pas particulièrement utile de déterminer si la décision du ministre est administrative ou législative. Comme c’est le cas pour d’autres aspects du droit administratif, l’établissement de distinctions entre des décisions en fonction de ce type de classification peut mener à un débat plutôt stérile et conduit certainement à des arguments sans fin. La question porte toujours sur une évaluation de la mesure particulière que le ministre a adoptée, compte tenu de l’étendue du pouvoir qui lui a été conféré en vertu de la loi et du règlement pertinents.

e)         Le pouvoir du ministre en matière de délivrance de licences

Comme l’indiquent les dispositions précitées, le ministre n’est pas habilité directement par la Loi à délivrer des licences en vue d’autoriser les bateaux à pénétrer dans les eaux canadiennes. Cette situation est bien différente de celle qui caractérise les permis de pêche, que le ministre est autorisé à délivrer en vertu de la Loi sur les pêches[7]. Dans ce dernier cas, le pouvoir du ministre est explicite et lui permet de délivrer des permis « à discrétion ».

L’absence de pouvoir explicite en ce qui a trait à la délivrance de licences peut également être comparée au pouvoir qui existe à l’égard de l’ajout de conditions aux licences autorisant les bateaux à pénétrer dans les eaux canadiennes. Selon l’alinéa 6b) de la Loi, le gouverneur en conseil peut prescrire des conditions « en sus des conditions que peut spécifier le ministre ». Les mots « en sus des conditions que peut spécifier le ministre » ont été ajoutés à l’alinéa 6b) de la Loi par la Loi corrective de 1991, L.C. 1992, ch. 1, art. 43[8]. Cependant, aucune modification n’a été apportée en vue de mentionner, d’octroyer ou de définir le pouvoir du ministre en matière de délivrance de licences.

Malgré la lacune plutôt étrange de la Loi en ce qui a trait à la délivrance de licences autorisant les bateaux à pénétrer dans les eaux canadiennes, je suis convaincue que le pouvoir du ministre à cet égard découle implicitement du libellé de la Loi. Le gouverneur en conseil n’était certainement pas censé traiter chaque demande de licence lui-même. Sur le plan pratique, une subdélégation au ministre ou à une autre personne était nécessaire. La question devient donc celle de savoir, en l’absence de dispositions conférant explicitement le pouvoir de délivrer les licences ainsi que de dispositions définissant expressément le pouvoir en question, quelle est l’étendue du pouvoir du ministre en ce qui a trait à l’établissement des critères devant servir de fondement à la délivrance de ces licences.

f)          Critères d’admissibilité liés à l’obtention d’une licence—Pouvoir du gouverneur en conseil

L’avocat des demandeurs soutient que, même si le ministre a peut-être le pouvoir de délivrer des licences, les critères relatifs à cette délivrance doivent être établis par le gouverneur en conseil. La Loi accorde le pouvoir de « régir la délivrance … des licences » au gouverneur en conseil et non au ministre.

Je ne suis pas convaincue que le ministre n’a pas le pouvoir d’établir des critères d’admissibilité. C’est là une position trop catégorique. Si le ministre a le pouvoir de délivrer des licences autorisant les bateaux à pénétrer dans les eaux canadiennes, il doit également avoir le pouvoir d’établir des critères relatifs à la délivrance des licences en question. Le ministre doit adopter certains critères pour faire un choix entre les requérants. L’adoption de ces critères est une fonction nécessairement accessoire à l’exercice du pouvoir du ministre en matière de délivrance.

L’analyse du pouvoir de réglementation accordé au gouverneur en conseil indique également que le ministre a obtenu par subdélégation le pouvoir d’établir les critères en question. Le pouvoir de réglementation est décrit de façon différente en ce qui a trait aux divers types de pouvoirs qui sont accordés. Le gouverneur en conseil a le pouvoir (1) « d’autoriser », par licence, les bateaux étrangers à pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes aux fins précisées dans le Règlement; (2) « de régir la délivrance, la suspension et l’annulation » des licences; (3) « de fixer » leur forme et leurs conditions d’octroi ainsi que les droits s’y rapportant. Selon la jurisprudence, lorsque le gouverneur en conseil a le pouvoir de « déterminer » (« prescribe ») certaines questions, il n’a pas le droit de subdéléguer ce pouvoir à une autre personne. Seul le gouverneur en conseil peut exercer le pouvoir en question[9]. Cependant, lorsque le pouvoir de prendre des règlements « concernant » (respecting) certaines questions est accordé, la subdélégation est possible[10]. Je reconnais que, pour interpréter une disposition législative, il n’y a pas toujours lieu d’accorder une grande importance au mot « charnière » choisi par le rédacteur législatif : voir J. M. Keyes, Executive Legislation (Butterworths, 1992), à la page 259. Au même moment, en l’espèce, trois types différents de pouvoir ont été conférés et la disposition qui concerne la délivrance de licences n’interdit pas expressément la subdélégation, laquelle semble même découler implicitement de la disposition en question. Il faut donc se demander quelle est l’étendue de ce pouvoir.

g)         Critères d’admissibilité liés à l’obtention d’une licence—Étendue du pouvoir du ministre

L’avocat des demandeurs soutient que le législateur n’avait certainement pas l’intention de permettre au ministre d’exercer un pouvoir obtenu par subdélégation pour établir des critères d’admissibilité aux fins de la délivrance de licences, compte tenu des objectifs politiques généraux qu’il visait. D’abord, la Loi ne renferme aucune disposition conférant un pouvoir quelconque au ministre. En deuxième lieu, la Loi prévoit que les questions concernant les détails[11] (la forme des demandes et des licences et les droits s’y rapportant) ne peuvent être déterminées que par le gouverneur en conseil. Compte tenu de ces dispositions législatives, les demandeurs allèguent que la portée du pouvoir implicite du ministre d’établir des critères à l’égard de la délivrance des licences doit être interprétée de façon restrictive.

Pour sa part, l’avocat des défendeurs fait valoir que le pouvoir discrétionnaire du ministre est exceptionnellement large. En effet, la Loi énonce une interdiction absolue de pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes; cette disposition correspond à un principe fondamental du droit international selon lequel l’entrée par des étrangers dans le territoire d’un autre pays est un privilège et non un droit. L’avocat soutient donc que le ministre peut, en l’absence de restrictions explicites à ce sujet, exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à accepter ou à refuser de délivrer des licences en se fondant sur des politiques et objectifs généraux en matière sociale, culturelle, économique et politique. Ce large pouvoir découlerait également du libellé de l’alinéa 6a) de la Loi, selon lequel le gouverneur en conseil peut, « par règlement … prévoir l’autorisation … par licence … pour les bateaux de pêche étrangers, de pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes aux fins précisées [dans le règlement] » (non souligné dans l’original). Enfin, les défendeurs ajoutent qu’à tout événement, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour inciter le gouvernement des États-Unis à respecter les objectifs canadiens est visé par la portée et les objectifs de la Loi.

Je ne suis pas convaincue que, pour la simple raison que le ministre accorde des exemptions en délivrant des licences dans le contexte de l’interdiction absolue qui est énoncée dans la Loi, il peut se fonder sur des objectifs généraux en matière sociale, culturelle, économique et politique pour choisir les requérants admissibles à pénétrer dans les eaux canadiennes. De plus, le pouvoir du ministre n’est défini d’aucune façon dans la Loi et découle uniquement du pouvoir implicite de subdélégation du gouverneur en conseil. À mon avis, la décision rendue dans les affaires Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2 ou Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247(C.A.) ne permet pas de dire que, parce que le ministre accorde une exemption à l’égard d’une interdiction générale touchant les importations au pays, la portée du pouvoir discrétionnaire liée à l’exemption est très large et très générale. Dans les deux causes susmentionnées, le ministre exerçait un pouvoir qui lui avait été expressément conféré par la loi pertinente, soit la Loi sur les licences d’exportation et d’importation[12]. De plus, dans le premier arrêt, la question fondamentale à trancher était celle de savoir s’il existait une obligation de délivrer une licence autorisant l’importation au pays. L’avocat des demandeurs a peut-être tenté, en l’espèce, de soutenir que cette obligation existait, mais cet argument n’est vraiment pas défendable.

J’en arrive maintenant à l’argument des défendeurs selon lequel le ministre possède un pouvoir étendu en raison du libellé de l’alinéa 6a) de la Loi. Tel qu’il est souligné ci-dessus, cette disposition autorise le gouverneur en conseil, « par règlement … prévoir l’autorisation [l’entrée] … aux fins précisées [dans le règlement] » (non souligné dans l’original). Je n’interprète pas les extraits tirés des ouvrages qui ont été cités de la même façon que l’avocat. Voici ce qu’on peut lire dans l’ouvrage de E. A. Driedger, The Composition of Legislation. Legislative Forms and Precedents, 2e édition (Ottawa : ministère de la Justice, 1976), aux pages 192 et 193 :

[traduction] … lorsque le Parlement autorise l’adoption d’un règlement à une fin donnée, l’autorité réglementante peut établir, comme bon lui semble, non seulement les détails, mais aussi les principes fondamentaux. La totalité des règles relèvent donc de la décision de subalternes. Tant et aussi longtemps qu’elles respectent l’objet énoncé, elles ne peuvent être contestées.

La distinction entre les buts ou objets, d’une part, et les pouvoirs, d’autre part, est également pertinente en ce qui a trait à la subdélégation. Ainsi, lorsqu’un ministre a le pouvoir de prendre des règlements concernant les tarifs et les droits, il peut aussi autoriser une autre personne à fixer un droit ou un tarif et ce règlement serait certainement un règlement concernant les tarifs et les droits. Cependant, si le pouvoir du ministre consiste à prendre un règlement prescrivant les tarifs et les droits, le ministre doit établir ces droits lui-même et ne peut déléguer ce pouvoir à une autre personne. [Non souligné dans l’original.]

Ces mêmes commentaires se trouvent également dans l’ouvrage de E. A. Driedger intitulé « Subordinate Legislation », 38 Can. Bar Rev. 1, aux pages 29 à 31 (1960).

À l’instar de l’avocat, je reconnais que le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements « concernant » la délivrance de licences permet une subdélégation du pouvoir de délivrance au ministre. Toutefois, je ne puis admettre que le pouvoir, « par règlement … prévoir l’autorisation [l’entrée] … aux fins précisées [dans le règlement] » signifie qu’un large pouvoir d’établir non seulement les détails, mais aussi les principes de l’ensemble du règlement peut être conféré au ministre. Pour reprendre les propos du professeur Driedger, [traduction] « lorsque le Parlement autorise l’adoption d’un règlement à une fin donnée, l’autorité réglementante peut établir, comme bon lui semble » (non souligné dans l’original). Ainsi, même si l’autorité réglementante, c’est-à-dire le délégué ou le subordonné du Parlement, en l’occurrence, le gouverneur en conseil, peut avoir un pouvoir considérablement étendu en ce qui a trait à l’adoption d’un règlement sur ce sujet, par suite de cette « autorisation », cela ne signifie pas qu’il peut conférer un pouvoir tout aussi étendu par subdélégation.

Pour accepter l’argument de l’avocat des défendeurs, je dois conclure qu’une disposition d’une loi qui permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements autorisant, au moyen de licences, des bateaux étrangers à pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes lui permet également de conférer au ministre le pouvoir de refuser de délivrer des licences à l’endroit de certains bateaux pour inciter un gouvernement étranger à collaborer avec le Canada aux fins des négociations internationales et parce que les ressortissants de ce même pays font de la surpêche sur une côte différente à l’égard d’une pêche différente. Je dois également conclure que le gouverneur en conseil a effectivement conféré ce large pouvoir au ministre. Or, ce n’est pas ainsi que j’interprète la Loi ou le Règlement.

J’en arrive maintenant à l’examen de l’objet de la Loi et du Règlement pour déterminer si le critère d’admissibilité que le ministre a adopté découle de cet objet. À mon sens, la Loi et le Règlement visent à prévenir la surpêche (c’est-à-dire la prise d’une quantité excessive de poisson). Ils visent également à favoriser le contrôle des pêches canadiennes à cet égard. Ainsi, la Loi et le Règlement prévoient que tous les bateaux de pêche qui pénètrent dans les eaux canadiennes doivent être identifiés et que leur présence doit être portée à la connaissance des autorités canadiennes. En outre, la pêche non autorisée faite par l’équipage de bateaux étrangers constitue un acte criminel. Toutefois, le traitement commercial du poisson pêché n’est pas pertinent aux fins de cette loi, sauf dans la mesure où la vérification des quantités de poisson pêchées est nécessaire pour assurer le respect des règles applicables à ces quantités.

Il est indéniable que les quantités de poisson pêchées ne sont nullement touchées par la remise des prises de merlu aux bateaux de traitement américains plutôt qu’aux bateaux de certains autres pays. Les lois et règlements canadiens concernant la quantité de poisson pêchée et les normes antipollution ne sont pas moins respectés lorsque le poisson est remis à des entreprises de traitement américaines plutôt qu’à d’autres entreprises. La Loi ne comporte aucune disposition indiquant que le législateur souhaitait que le ministre s’en serve pour renforcer sa position à l’échelle internationale au moment de négocier avec d’autres pays au sujet des objectifs du Canada en matière de pêche. Je suis convaincue que l’argument de l’avocat des demandeurs doit l’emporter : le ministre a outrepassé son pouvoir et la décision par laquelle il a refusé les demandes de licences autorisant les bateaux à pénétrer dans les eaux canadiennes doit être annulée.

Il importe de répéter que le bien-fondé de la décision du ministre n’est pas contesté. La plupart des Canadiens seraient d’avis, j’imagine, que ses actions sont louables. La question en est une de principe : elle concerne le degré de spécificité avec lequel les pouvoirs conférés par subdélégation doivent être définis. Plus un subdélégué est éloigné du principal organisme délégant, soit le Parlement, moins il est directement responsable envers l’électorat. Qui plus est, moins il y a de chances qu’une décision soit précédée d’un préavis et d’un débat public. (Même l’adoption d’un règlement doit maintenant être précédée d’une publication et d’une explication au moyen d’un Résumé de l’étude d’impact de la réglementation.) Les pouvoirs de subdélégation mal définis sont, depuis longtemps, mal perçus en droit et interprétés de façon restrictive. La prise de décisions par des subdélégués, fondée sur des pouvoirs larges et mal définis, peut trop souvent mener aux véritables raisons pour lesquelles une décision n’est pas claire (bien que ce ne soit pas le cas en l’espèce); en outre, il est trop facile d’exercer ces pouvoirs de façon inéquitable.

À titre d’ajout aux arguments concernant les licences, je souligne qu’il ne m’est pas apparu nécessaire d’examiner l’argument des défendeurs fondé sur la loi des États-Unis intitulée Magnuson Act[13]. Cette loi ne me semble pas pertinente aux fins de l’interprétation de notre Loi et de notre Règlement. En outre, aucun élément de preuve n’indique que le Canada a cherché à obtenir des États-Unis un traitement réciproque semblable au traitement en litige. Non seulement je n’ai pas examiné l’argument concernant le Magnuson Act, mais je n’ai pas examiné non plus l’argument des demandeurs concernant les récentes modifications apportées à la Loi, lesquelles modifications prévoient expressément l’exclusion de certaines catégories de bateaux de pêche étrangers (selon la nationalité) en ce qui a trait à la pêche de poissons chevauchants sur la côte est[14]. Je ne suis pas convaincue que cet argument est pertinent quant aux questions dont je suis saisie.

Conditions relatives aux permis de pêche

Dans le cas des permis relatifs aux bateaux de pêche canadiens, ce n’est pas le pouvoir du ministre en matière de délivrance qui est contesté, mais plutôt la portée du pouvoir d’assortir lesdits permis de conditions. Tel qu’il est mentionné ci-dessus, en vertu de la Loi sur les pêches, le ministre a le pouvoir de délivrer des permis de pêche « à discrétion »[15]. Cependant, la Loi sur les pêches ne renferme aucune disposition énonçant expressément la portée du pouvoir du ministre d’assortir ces permis de conditions.

a)         Dispositions législatives

L’article 43 de la Loi sur les pêches autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements d’application de la Loi, y compris des règlements :

43. …

a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches en eaux côtières et internes;

b) concernant la conservation et la protection du poisson;

c) concernant la prise, le chargement, le débarquement, la manutention, le transport, la possession et l’écoulement du poisson;

f) concernant la délivrance, la suspension et la révocation des licences, permis et baux;

g) concernant les conditions attachées aux licences, permis et baux;

j) concernant l’exportation de poisson;

l) prescrivant les pouvoirs et fonctions des personnes chargées de l’application de la présente loi, ainsi que l’exercice de ces pouvoirs et fonctions; … [Non souligné dans l’original.]

b)         Règlement

Conformément au pouvoir conféré par l’article 43 de la Loi sur les pêches, le gouverneur en conseil a adopté le Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53. Le paragraphe 22(1) (modifié par DORS/93-333, art. 4) de ce Règlement prévoit ce qui suit :

22. (1) Pour une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et pour la conservation et la protection du poisson, le ministre peut indiquer sur un permis toute condition compatible avec le présent règlement et avec les règlements énumérés au paragraphe 3(4), notamment une ou plusieurs des conditions concernant ce qui suit :

a) les espèces et quantités de poissons qui peuvent être prises ou transportées;

b) l’âge, le sexe, l’étape de développement ou la taille des poissons qui peuvent être pris ou transportés;

c) les eaux dans lesquelles la pêche peut être pratiquée;

d) les endroits à partir desquels ou vers lesquels le poisson peut être transporté;

e) les bateaux à partir desquels ou vers lesquels le poisson peut être transbordé;

f) la période pendant laquelle la pêche peut être pratiquée ou le transport du poisson peut être effectué;

m) l’endroit et le moment où le poisson peut être débarqué; [Non souligné dans l’original.]

c)         Décision du ministre

Avant la saison de pêche de 1992, selon les conditions que le ministre avait imposées à l’égard des permis de pêche au chalut de poisson de fond, le titulaire de permis pouvait choisir parmi un certain nombre de possibilités en matière de débarquement (le merlu est une espèce de poisson de fond). Selon l’une de ces options, la prise pouvait être livrée à certains endroits désignés des États-Unis. En outre, tel qu’il est mentionné plus haut, aucune règle n’empêchait les bateaux de pêche canadiens de sortir des eaux canadiennes et de vendre leurs prises directement en mer à des bateaux de traitement du poisson américains situés de l’autre côté de la frontière canado-américaine. C’est de cette façon que les bateaux de traitement américains, dont les propriétaires sont parties demanderesses en l’espèce, ont reçu du merlu des bateaux de pêche canadiens.

L’article 8 des conditions que le ministre a imposées à l’égard des permis accordés aux bateaux de pêche canadiens a subséquemment été modifié de façon à interdire cette activité ainsi que le débarquement du merlu aux ports américains :

[traduction] L’article 8, intitulé « Endroits où le poisson peut être débarqué », est modifié, l’alinéa d) étant remplacé par ce qui suit :

Le merlu du Pacifique pêché en dehors de la zone d’exemption

(i)   est transbordé vers un bateau de pêche étranger autorisé aux termes du Règlement sur la protection des pêcheries côtières à embarquer le poisson;

(ii)  est débarqué à l’un ou l’autre des endroits suivants :

Hi-To Fisheries, Government Wharf, Sooke

Johnston Fishing & Packing Ltd., Port Hardy

SM Products Ltd., Ladner

Pacific Coast Processors, Ucluelet

North Sea Products Ltd., Vancouver

Ucluelet Seafood Processors Ltd., Ucluelet

d)         Restrictions touchant le pouvoir du ministre d’assortir les permis de conditions en raison des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil

L’argument des demandeurs est fondé sur les décisions rendues dans les affaires R. v. Tenale et al. (1982), 145 D.L.R. (3d) 521 (C.A.C.-B.); Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al., Re (1985), 49 O.R. (2d) 705 (C.A.); conf. par [1988] 2 R.C.S. 1045; R. v. Mark [[1989] B.C.J. no 962 (QL)], Cour de comté de Prince Rupert nos 10467 et 10997, 12 mai 1989, décision inédite), et R. v. Roach [[1991] B.C.J. no 751 (QL)] (22 mars 1991, C.A.C.-B. nos CA010739 et CA010936, décisions inédites). Tel qu’il est mentionné plus haut, en ce qui a trait aux licences autorisant les bateaux à pénétrer dans les eaux canadiennes, il ne m’apparaît pas utile de déterminer si les décisions sont de nature législative ou administrative. Cependant, cette distinction est répétée à maintes reprises dans la jurisprudence commentée ci-après.

Dans l’affaire R. v. Tenale et al., le litige portait sur l’alinéa 34m) de la Loi sur les pêches [S.R.C. 1970, ch. F-14] (maintenant l’alinéa 43m) [mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 12]). Cette disposition prévoyait que le gouverneur en conseil pouvait prendre des règlements « autorisant une personne engagée ou employée à l’administration ou l’application … [la] loi à modifier une période de temps prohibé ou la quantité maximum de poisson qu’il est permis de prendre, que les règlements ont fixées ». La Cour a jugé que cette disposition n’était pas suffisamment large pour permettre à un ministre de délivrer une instruction interdisant la pêche dans certains cours d’eau au cours de certaines périodes[16]. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a jugé que ni l’alinéa 34m) non plus que quelque autre disposition de l’article 34 ne permettaient implicitement au gouverneur en conseil de transférer le pouvoir de délivrer cette instruction à un subdélégué. Le pouvoir de prendre ce type de décision était réservé au gouverneur en conseil.

L’affaire Peralta portait, pour sa part, sur l’alinéa 34g) [mod. par S.R.C. 1970 (1er Supp.), ch. 17, art. 4] (maintenant l’alinéa 43g) de la Loi sur les pêches), qui autorisait le gouverneur en conseil à prendre des règlements « concernant les modalités selon lesquelles un … permis peut être délivré ». La Cour d’appel de l’Ontario a statué que, aux termes de cette disposition, le ministre pouvait imposer à l’égard de permis de pêche individuels des quotas de pêche touchant certaines espèces déterminées. La Cour a jugé que, comme la disposition permettait au gouverneur en conseil de prendre des règlements « concernant » les conditions dont un permis pouvait être assorti, le pouvoir s’y rapportant pouvait faire l’objet d’une subdélégation. Une distinction a été faite entre ce pouvoir et celui de « prescrire » ou de « fixer » des conditions qui est conféré au gouverneur en conseil. Dans les affaires concernant ce dernier cas, il a été décidé que seul le gouverneur en conseil pouvait exercer le pouvoir. Cet alinéa a été considéré comme une disposition permettant une subdélégation d’un pouvoir administratif[17]. Dans l’affaire Peralta, la Cour d’appel a souligné que le gouverneur en conseil n’avait pas transféré la totalité de son pouvoir au ministre, car il avait énoncé des conditions générales applicables à la pêche commerciale au chalut et au filet maillant, fixé des quotas globaux à l’égard de la pêche commerciale de certaines espèces dans certains cours d’eau et établi des dimensions minimales. C’est dans ce contexte que le ministre avait imposé dans des permis individuels des quotas individuels à l’égard des espèces individuelles. La Cour suprême a confirmé cette décision pour les motifs exprimés par la Cour d’appel.

Les décisions rendues dans les affaires Tenale et Peralta ont été appliquées dans les jugements plus récents des affaires Mark et Roach. Dans l’affaire Mark (no 10467), la Cour a décidé que l’alinéa 34g) n’autorisait pas le ministre à ajouter dans le permis de pêche une condition obligeant le titulaire du permis à inscrire dans ses registres les sous-régions dans lesquelles il faisait de la pêche. Dans l’affaire Mark (no 10997), la Cour a décidé que le ministre n’avait pas le pouvoir d’ajouter dans le permis de pêche une condition selon laquelle le titulaire du permis devait signaler sa prise au moyen d’un rapport radio des prises. La communication des données sur la prise est prévue à l’article 48 [mod. par L.C. 1988, ch. 2, art. 67] de la Loi sur les pêcheries et les conditions énoncées dans cette disposition prévoient un système de déclaration différent de celui qui est décrit dans les permis. De plus, la Cour a jugé que les conditions des permis étaient des règles de conduite générales applicables à tous les titulaires de permis et avaient pour effet de leur imposer à tous une obligation, ce qui constituait l’exercice d’une fonction législative qui ne pouvait pas faire l’objet d’une subdélégation en l’absence d’un pouvoir explicite à cette fin. Dans les affaires Roach (CA010739) et Mark (CA010936), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé la conclusion selon laquelle le ministre ne pouvait assortir les permis de pêche des conditions relatives aux journaux de pêche et aux rapports radio des prises. La Cour a ajouté que la disposition du règlement qui autorisait le ministre à imposer « toute autre condition », c’est-à-dire des conditions autres que celles qui sont prévues par règlement, constituait une subdélégation de pouvoir inconstitutionnelle.

J’en arrive maintenant à une évaluation des conditions que le ministre a ajoutées aux permis de pêche au merlu à la lumière de cette jurisprudence.

Il ne m’apparaît pas nécessaire d’examiner les arrêts Mark et Roach. Même s’ils comportaient des commentaires sur l’étendue du pouvoir accordé au ministre (pouvoir administratif et non législatif), les éléments essentiels des décisions étaient les suivants : les conditions imposées par le ministre allaient au-delà et étaient probablement différentes des conditions énoncées dans la Loi sur les pêches elle-même en ce qui a trait à la communication des données relatives à une prise. Il est reconnu qu’il est interdit d’utiliser le pouvoir délégué, qu’il soit de nature législative ou administrative, pour violer les dispositions de la Loi habilitante, sauf si ce pouvoir est conféré de façon explicite.

Ce sont donc les décisions rendues dans les affaires Tenale et Peralta que je dois examiner. Comme cette dernière a été rendue plus tard et qu’elle a été confirmée par la Cour suprême du Canada, j’estime qu’elle est la plus pertinente. En outre, elle concerne la disposition même qui fait l’objet du présent litige, soit l’alinéa 43g) de la Loi sur les pêches.

À mon avis, les conditions dont les permis sont assortis en l’espèce sont visées par la décision rendue dans l’affaire Peralta. L’argument de l’avocat des demandeurs a pour effet d’exiger que le ministre délivre chaque permis et désigne des endroits de débarquement précis pour chaque bateau, lesquels endroits seront différents des autres endroits désignés pour d’autres bateaux. Selon l’avocat, cette décision serait une décision administrative qui pourrait faire l’objet d’une subdélégation. Je ne suis pas convaincue que ce degré de spécificité soit nécessaire. Les conditions des permis concernent uniquement la pêche au merlu. Les titulaires de permis doivent choisir entre les différentes options en matière de débarquement et chaque ensemble de conditions concerne une sous-catégorie de titulaires de permis de pêche au merlu. Les titulaires de permis demandent individuellement une exemption les autorisant à livrer leur poisson à des bateaux de traitement étrangers. Le pouvoir accordé au gouverneur en conseil est un pouvoir « concernant » les conditions d’un permis. Je suis convaincue qu’à première vue, les conditions imposées au sujet du débarquement constituent un exercice valable du pouvoir qui a été conféré au ministre par voie de subdélégation.

e)         Utilisation du pouvoir du ministre à une fin non pertinente

J’examine maintenant l’argument selon lequel, même si le pouvoir que le ministre a exercé lui a été délégué en bonne et due forme, il a exercé ce pouvoir de façon inappropriée en l’espèce, parce qu’il l’a fait dans le but d’interdire les transferts à des établissements situés aux États-Unis ainsi qu’à des bateaux de traitement américains pour des raisons non liées aux objets précis de la Loi sur les pêches. Les demandeurs soutiennent que les conditions des permis ne visent pas à assurer [traduction] « une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et … la conservation et la protection du poisson ». Les conditions auraient été imposées pour faire pression auprès du gouvernement des États-Unis et ne sont pas liées aux caractéristiques précises ou à la conduite antérieure des bateaux de traitement américains. En outre, les conditions de débarquement vont à l’encontre de l’ALENA et de l’ALE, dont il sera question plus loin.

Je souligne d’abord que l’alinéa m) du paragraphe 22(1) du Règlement de pêche (dispositions générales) accorde explicitement au ministre le pouvoir de désigner les endroits à partir desquels ou vers lesquels le poisson peut être débarqué. Les alinéas d) et e) lui permettent d’imposer dans les permis des conditions concernant le transbordement du poisson et les endroits entre lesquels le poisson peut être transporté. Compte tenu de décisions semblables aux arrêts Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, et Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247(C.A.), s’il peut être établi que la décision du ministre était fondée sur des facteurs pertinents, l’exercice du pouvoir sera jugé valable, même si la décision en question reposait sur certaines considérations plus ou moins pertinentes.

À tout événement, même si, dans le cas qui nous occupe, la raison pour laquelle le ministre a exigé le débarquement au Canada n’était pas liée aux objets du pouvoir dont il était investi, les demandeurs ne sont pas plus favorisés pour autant. D’après la preuve présentée, ils veulent que le débarquement ait lieu, non pas dans des établissements situés aux États-Unis, mais plutôt sur leurs bateaux de traitement. Après avoir entendu les plaidoiries en l’espèce, j’ai examiné attentivement le texte de l’article 32 du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 :

32. Il est interdit de transborder des poissons d’un bateau de pêche canadien à un bateau de pêche étranger à moins que celui-ci ne soit autorisé à prendre ce poisson à son bord en vertu du Règlement sur la protection des pêcheries côtières. [Non souligné dans l’original.]

L’article 32 se trouve dans la partie IV du Règlement de pêche (dispositions générales). L’article 3, modifié par DORS/94-296, art. 1, décrit la portée de l’application des parties I à VIII. Les dispositions qui se trouvent dans ces parties s’appliquent :

3. …

a) à la pêche et aux activités connexes dans les eaux de pêche canadiennes situées au large des côtes de l’Atlantique, du Pacifique et de l’Arctique;

b) à la pêche et aux activités connexes dans les provinces de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de la Colombie-Britannique, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve et dans le territoire du Yukon et les Territoires du Nord-Ouest;

c) à la pêche et aux activités connexes pratiquées dans les eaux autres que les eaux de pêche canadiennes à partir de bateaux ressortissant à la compétence du Canada. [Non souligné dans l’original.]

Lorsque j’interprète l’article 32 en tenant compte de l’article 3, je constate que l’interdiction relative au transbordement des poissons directement en mer vers des bateaux non autorisés ne découle pas simplement des conditions que le ministre a ajoutées aux permis de pêche, mais qu’elle est aussi imposée directement par un règlement du gouverneur en conseil. Je dois souligner qu’aucun des avocats des parties n’a d’abord interprété l’article 32 du Règlement de pêche (dispositions générales) comme je le fais. Cependant, d’après les observations écrites que j’ai récemment reçues, l’avocat des défendeurs semble maintenant souscrire à cette interprétation.

Selon l’avocat des demandeurs, l’article 32 ne peut s’appliquer que dans les eaux de pêches canadiennes, parce que c’est seulement dans ces eaux que le Canada peut exiger que les bateaux étrangers soient autorisés (qu’ils obtiennent une licence). Toujours selon l’avocat, les seuls bateaux étrangers qui demandent et obtiennent des licences aux termes de la Loi sur la protection des pêches côtières sont ceux qui viennent dans les eaux canadiennes, de sorte que l’article 32 ne s’applique qu’à l’intérieur des eaux de pêche canadiennes. Je ne suis pas convaincue que cet argument est pertinent aux fins de la portée de l’article 32. Un bateau étranger peut détenir une licence aux termes de la Loi sur la protection des pêches côtières sans passer nécessairement tout son temps à l’intérieur des eaux canadiennes. Il peut parfois se trouver physiquement en dehors de ces eaux. Il n’y a aucune raison pour laquelle le transbordement du poisson ne pourrait avoir lieu en dehors de ces eaux, s’il était utile d’agir ainsi. Je ne comprends pas pourquoi l’article 32 s’applique seulement à l’intérieur des eaux canadiennes du fait que seuls des bateaux étrangers qui désirent pénétrer dans ces eaux demandent des licences.

L’avocat des demandeurs soutient que l’article 32 ne peut s’appliquer qu’aux eaux de pêche canadiennes parce que les articles 65 à 68 [édictés par DORS/94-296, art. 2] qui se trouvent dans la partie XIII concernent le transbordement du poisson à l’extérieur des eaux canadiennes. Je ne suis pas convaincue que les dispositions sont incompatibles. L’article 32 concerne le transbordement de poisson depuis un bateau de pêche canadien. Ce transbordement est interdit, à moins que le bateau à bord duquel le poisson est transféré ne soit titulaire d’une licence conformément au Règlement sur la protection des pêcheries côtières. L’article 65 porte également sur le transbordement du poisson. Plus précisément, il concerne le transbordement à l’extérieur des eaux canadiennes depuis ou vers un bateau ressortissant à la compétence du Canada. Le transbordement est interdit, à moins qu’un permis n’ait été délivré. Les deux dispositions interdisent le transbordement à moins qu’un permis n’ait été accordé. Je ne suis pas convaincue que l’article 65 s’applique de façon à atténuer la portée de l’article 32.

L’avocat ajoute que l’article 32 ne peut s’appliquer qu’aux eaux canadiennes parce que, s’il était interprété de façon plus large, il couvrirait, par exemple, les bateaux battant pavillon canadien et pêchant au large de la côte d’un autre pays aux termes d’une licence obtenue de ce pays. À mon avis, tel ne serait pas nécessairement le cas. La disposition s’applique aux « bateaux ressortissant à la compétence du Canada ». Aucune définition de cette expression ne m’a été citée, mais elle semble certainement couvrir, à tout le moins, les bateaux de pêche canadiens qui vendent le poisson pêché dans les eaux canadiennes conformément à un permis délivré aux termes de la Loi sur les pêches. Il y a compétence à la fois personnelle et matérielle. Je souligne également que le pouvoir de réglementation accordé au gouverneur en conseil par l’article 43 de la Loi sur les pêches porte, en partie, sur le pouvoir de prendre des règlements « j) concernant l’exportation de poisson ».

À mon avis, l’existence de l’article 32 du Règlement de pêche (dispositions générales) a pour effet de réfuter en entier les arguments des demandeurs quant à l’invalidité des conditions que le ministre a imposées à l’égard des permis.

Argument concernant le libre-échange

Tel qu’il est mentionné plus haut, avant la saison de pêche de 1992, les bateaux de pêche canadiens pouvaient se déplacer en dehors des eaux canadiennes et livrer leurs prises de merlu à des bateaux de traitement américains. Par suite des modifications apportées aux conditions de débarquement et, plus tard, de l’application de l’article 32 du Règlement de pêche (dispositions générales), cette possibilité a été éliminée. Au cours de la saison de pêche de 1992, les parties demanderesses qui sont propriétaires des bateaux de traitement américains ont tenté de prendre livraison de stocks de merlu après le débarquement de ceux-ci à un port canadien. Cette activité a été jugée peu rentable. Le merlu se détériore rapidement et le retard occasionné par le débarquement et le rechargement rend cette démarche à la fois peu utile et peu rentable. Les demandeurs soutiennent que le refus de délivrer des licences autorisant les bateaux de traitement américains à pénétrer dans les eaux canadiennes et les conditions de débarquement dont les permis de pêche canadiens sont assortis ont cumulativement pour effet de violer les dispositions de l’ALE et de l’ALENA. En fait, les conditions de débarquement constitueraient à elles seules une violation de ces accords.

a)         Restrictions à l’exportation

Selon les dispositions de l’ALE et de l’ALENA, les parties signataires ne peuvent imposer de restrictions touchant l’exportation des marchandises destinées au territoire de l’autre pays. Voici le texte de l’article 407, paragraphe 1 de l’ALE :

Article 407

1. Sous réserve des autres droits et obligations prévus au présent accord, les Parties confirment leurs droits et obligations respectifs en vertu de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (l’Accord général) en ce qui concerne les interdictions ou restrictions touchant leurs échanges bilatéraux de produits.

Le paragraphe (1) de l’article XI de l’Accord général [Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, [1948] R.T. Can. no 31], intitulé « Élimination générale des restrictions quantitatives », prévoit ce qui suit :

1. Aucune partie contractante n’instituera ou ne maintiendra à l’importation d’un produit originaire du territoire d’une autre partie contractante, à l’exportation ou à la vente pour l’exportation d’un produit destiné au territoire d’une autre partie contractante, de prohibitions ou de restrictions autres que des droits de douanes, taxes ou autres impositions, que l’application en soit faite au moyen de contingents, de licences d’importation ou d’exportation ou de tout autre procédé.

Par ailleurs, le paragraphe 1 de l’article 309 de l’ALENA énonce que :

Article 309

1. Sauf disposition contraire du présent accord, aucune des Parties ne pourra adopter ou maintenir une interdiction ou une restriction à l’importation d’un produit d’une autre Partie ou à l’exportation ou à la vente pour exportation d’un produit destiné au territoire d’une autre Partie, sauf en conformité avec l’article XI de l’Accord général, …

Aucun des avocats n’a donné à entendre que la restriction énoncée au paragraphe 1 de l’article 407 de l’ALE « Sous réserve des autres droits et obligations prévus au présent accord » ou au paragraphe 1 de l’article 309 de l’ALENA « Sauf disposition contraire du présent accord » est pertinente dans le présent litige.

L’argument des demandeurs est fondé sur une décision rendue par un groupe spécial de la Commission mixte du commerce canado-américain (groupe spécial formé en vertu de l’ALE)[18]. Il s’agit de la décision rendue dans Canada—Mesures affectant l’exportation de harengs et de saumons non préparés (1987-1988), IBDD S35/106. Dans cette décision, le groupe spécial cite une décision antérieure dans laquelle le Conseil de l’Accord général a conclu que l’interdiction imposée par le Canada quant à l’exportation de hareng et de saumon non traités allait à l’encontre des dispositions de l’Accord général, notamment de l’article XI, paragraphe 1, et n’était pas justifiée par le paragraphe 2b) de l’article XI ni par l’alinéa g) de la partie I de l’article XX. Le Canada a accepté cette décision et a convenu d’éliminer les interdictions touchant l’exportation, mais il a fait valoir que certaines restrictions concernant le débarquement étaient nécessaires pour assurer le respect des objectifs en matière de conservation et de gestion. Il a donc adopté un règlement exigeant le débarquement au Canada de toutes les prises commerciales de hareng plein, de saumon rouge et de saumon rose dans les eaux canadiennes. Dans l’affaire de Canada—Mesures, précitée, le groupe spécial de l’ALE a jugé que ces conditions étaient incompatibles avec l’article 407 de l’ALE et ne pouvaient être justifiées à titre de mesures de conservation aux termes de l’article 1201.

L’obligation de débarquer le poisson au Canada a été assimilée à une restriction touchant la « vente pour l’exportation ». Elle avait pour effet d’imposer un fardeau commercial supplémentaire aux acheteurs américains comparativement à celui des acheteurs canadiens. En effet, il fallait tenir compte du temps supplémentaire lié au transport du poisson, des frais supplémentaires de débarquement et de chargement, des droits de bassin possibles ainsi que de la détérioration du produit par suite du débarquement et du rechargement. De l’avis du groupe spécial, tous ces facteurs plaçaient les entreprises de traitement américaines dans une situation concurrentielle moins avantageuse comparativement à celle des entreprises canadiennes. Le groupe spécial de l’ALE a ajouté que, lorsque la principale conséquence d’une mesure réside effectivement dans la réglementation des opérations d’exportation, la mesure peut être considérée comme une restriction au sens de l’article XI, paragraphe 1 si elle a pour effet d’imposer un fardeau commercial sensiblement plus élevé aux exportations comparativement à celui des ventes nationales.

L’avocat des demandeurs fait valoir que cette situation est semblable à celle qui nous occupe. Il ajoute que l’objet général d’accords comme l’ALE et l’ALENA est de soustraire l’activité commerciale aux caprices des actes motivés par des considérations politiques qui, selon lui, sont à l’origine du problème de ses clients en l’espèce.

b)         L’ALE et l’ALENA font partie de la législation canadienne

L’avocat des défendeurs allègue que l’ALE et l’ALENA ne font pas partie de la législation canadienne. Ces accords sont mis en œuvre par la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, L.C. (1988), ch. 65 (Loi de l’ALE) et la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44 (Loi de l’ALENA). Dans le premier cas, tout le texte de l’accord est inclus dans la loi elle-même tandis que, dans l’autre, l’ALENA est intégré dans la loi par renvoi. Cette différence n’est pas pertinente. Aucune de ces deux Lois ne renferme une disposition énonçant expressément que les accords font partie de la législation canadienne. L’article 8 de l’ALE et l’article 10 de l’ALENA énoncent simplement que « [l’] Accord est approuvé ».

L’avocat des défendeurs fait valoir que les articles 8 et 10 devraient être comparés à certaines dispositions énoncées, notamment, dans la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts, S.C. 1984, ch. 20, dans la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, S.C. 1986, ch. 21, et dans la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, L.C. 1991, ch. 41. Les deux premières lois renferment des dispositions énonçant que la « Convention est approuvée et a force de loi au Canada » (non souligné dans l’original). La troisième prévoit également que certains articles de la Convention concernée « sont applicables sur le territoire canadien à tous les États étrangers ». Étant donné que la Loi de l’ALE et la Loi de l’ALENA ne renferment aucune disposition énonçant expressément que les accords respectifs « ont force de loi au Canada », l’avocat des défendeurs soutient que ces accords ne font pas partie de la législation canadienne[19].

Pour sa part, l’avocat des demandeurs cite la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, qui ne renferme aucune disposition énonçant expressément que la convention fait partie de la législation canadienne, et le texte de Kindred et Castel intitulé International Law Chiefly as Interpreted and Applied in Canada (4e éd.), à la page 136. Dans cet ouvrage, les auteurs considèrent la convention de Genève comme faisant partie de la législation canadienne. Comme l’avocat des défendeurs l’a souligné, je constate que la Loi sur les conventions de Genève intègre directement les dispositions de la Convention au moyen de dispositions distinctes qui font partie du texte de la loi qui suit. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’inclure une disposition prévoyant expressément que l’accord a force de loi au Canada.

En ce qui a trait au contenu des Lois de l’ALE et de l’ALENA, les avocats des parties les interprètent de façon diamétralement opposée. L’avocat des demandeurs soutient que bon nombre des dispositions n’auraient aucun sens si les accords ne faisaient pas partie de la législation canadienne. En revanche, l’avocat des défendeurs soutient que les mêmes dispositions ou d’autres dispositions indiquent que telle n’était pas l’intention du législateur[20]. En outre, l’effet de « l’approbation » de deux accords par le Parlement (voir les articles 8 et 10, précités) est ambigu. En l’absence d’une loi de mise en œuvre adoptée par le Parlement ou par une assemblée législative provinciale, un accord international qui est signé par le Canada lie celui-ci à l’échelle internationale, mais ne serait pas exécutoire devant les tribunaux de notre pays. Quelle était donc l’intention du Parlement lorsqu’il a « approuvé » les accords sans déclarer qu’ils faisaient partie de notre législation nationale[21]?

Après avoir examiné attentivement les arguments des avocats, j’en suis arrivée à la conclusion que la question de savoir si l’ALE et l’ALENA font partie de la législation canadienne est une question qui n’est pas nécessaire et qui n’est peut-être pas pertinente. Il est indéniable que certaines parties des accords font partie de la législation nationale. Au même moment, même si cette conclusion était tirée pour l’ensemble du texte des accords, ceux-ci ne seraient pas pour autant exécutoires devant les tribunaux nationaux de notre pays. La question qu’il faut se poser est celle de savoir quelle est la façon d’obtenir réparation en cas de violation des accords.

c)         Compétence de la Cour—dispositions prohibitives

Les deux lois renferment des dispositions appelées dispositions prohibitives. Voici le texte de l’article 5 de la Loi de l’ALE :

5. Le droit de poursuite, relativement aux droits ou obligations uniquement fondés sur la partie I, ses règlements d’application ou l’Accord, ne peut être exercé par quiconque sans le consentement du procureur général du Canada. [Non souligné dans l’original.]

L’article 6 de la Loi de l’ALENA prévoit ce qui suit :

6. (1) Le droit de poursuite, relativement aux droits et obligations uniquement fondés sur la partie I ou ses règlements ou décrets d’application, ne peut être exercé qu’avec le consentement du procureur général du Canada.

(2) Sauf cas prévus à la section B du chapitre II de l’Accord, le droit de poursuite, relativement aux droits et obligations uniquement fondés sur l’Accord, ne peut être exercé qu’avec le consentement du procureur général du Canada. [Non souligné dans l’original.]

L’avocat des demandeurs estime que, même si ces dispositions interdisent à la Cour d’examiner une demande de réparation fondée uniquement sur les accords respectifs, la demande en l’espèce n’est pas une demande de cette nature. Les accords commerciaux ne sont cités que pour interpréter la portée du pouvoir du ministre. L’avocat invoque les accords commerciaux pour interpréter des dispositions législatives ambiguës, en l’occurrence, les différentes dispositions de la Loi sur la protection des pêches côtières, de la Loi sur les pêches ainsi que des règlements connexes susmentionnés. L’avocat se fonde sur les dispositions de l’ALE et de l’ALENA pour soutenir que le ministre n’a pas la compétence voulue pour refuser d’accorder des licences pour les raisons qu’il a invoquées et qu’il a tenu compte de facteurs non pertinents lorsqu’il a assorti les permis de pêche des conditions en question. Selon l’avocat, les accords sont utilisés de la même façon que les tribunaux canadiens ont toujours utilisé les règles de droit international, lorsqu’elles ne font pas directement partie du droit national canadien, pour interpréter les lois et règlements nationaux de façon à assurer dans la mesure du possible le respect des obligations internationales du Canada[22].

Même si je reconnais le bien-fondé de cet argument, si le texte de la loi nationale est clair, [traduction]  »il n’y a aucune raison de l’interpréter de façon à assurer le respect de la règle internationale »[23]. À mon avis, les dispositions législatives en question ne sont pas ambiguës au point qu’il faille examiner les dispositions de l’ALE et de l’ALENA pour les interpréter. Dans le cas des licences, j’estime que le ministre a dépassé le pouvoir qui lui avait été conféré. Dans le cas des permis de pêche, je suis d’avis que l’article 32 du Règlement de pêche (dispositions générales) interdit expressément la livraison à des bateaux étrangers qui n’ont pas été autorisés aux termes de la Loi sur la protection des pêches côtières. Il n’y a donc aucune ambiguïté.

Conclusion et réparations

J’en suis arrivée à la conclusion que, lorsque le ministre a refusé de délivrer des licences aux bateaux de traitement des demandeurs pour faire pression auprès du gouvernement américain, il a dépassé le pouvoir dont il avait été investi en vertu de la Loi sur la protection des pêches côtières. Ces décisions devraient donc être annulées, mais cette réparation est peu utile pour les demandeurs. Même si le ministre peut être contraint de réexaminer les demandes de licence des demandeurs, il n’y a aucune raison justifiant l’octroi d’une ordonnance de mandamus pour exiger la délivrance de ces licences. Comme j’en suis venue à la conclusion que les conditions des permis de pêche sont valables, il n’est pas nécessaire de rendre une ordonnance à leur sujet.

Les permis et licences en question concernent tous la saison de pêche au merlu de 1994. Cette saison est terminée depuis longtemps. Elle a pris fin avant même que la demande des demandeurs puisse être entendue par la Cour. Cependant, les défendeurs ont accepté de ne pas invoquer le caractère purement théorique de la demande des demandeurs. J’ai cru comprendre qu’une partie du retard lié à l’audition de la demande découlait du fait que les défendeurs avaient besoin de temps pour préparer leur cause. J’ai également été avisée que les deux parties souhaitent qu’une décision soit rendue au sujet des questions en litige. Dans les circonstances, la réparation qui convient le mieux est un jugement déclaratoire. Je déclarerai donc invalide le refus du ministre de délivrer des licences en faveur de Golden Alaska Fisheries Inc. et de Supreme Alaska Fisheries Inc. conformément à la Loi sur la protection des pêches côtières afin de permettre aux bateaux qui leur appartiennent de pénétrer dans les eaux de pêche canadiennes.



[1] Du point de vue technique, il aurait probablement fallu que les parties soient désignées à titre de requérants et d’intimés, mais je conserverai la terminologie qu’elles ont utilisée.

[2] La vente en mer consiste à transférer la prise pendant qu’elle se trouve encore dans le filet, en mer, par l’échange d’un filet plein (poche de chalut) contre un filet vide.

[3] L.R.C. (1985), ch. C-33 et ses modifications.

[4] Ibid., art. 2.

[5] C.R.C., ch. 413 et ses modifications jusqu’au DORS/90-57.

[6] Voici une partie du texte de cette politique :

[traduction] Les liens entre le Canada et les États-Unis au sujet de la conservation des pêches sont tendus depuis 1990. Les aspects sur lesquels les États-Unis ne collaborent pas avec le Canada en matière de conservation des pêches sont les suivants :

a)   les bateaux américains continuent de faire de la pêche excessive sur le nez et la queue des Grands Bancs, au large des côtes de Terre-Neuve, laquelle activité touche les stocks de poissons de fond qui chevauchent la zone de 200 milles du Canada;

b)   les pêcheurs américains interceptent souvent du saumon du Pacifique d’origine canadienne, malgré les dispositions relatives à l’équité du Traité sur le saumon du Pacifique conclu entre le Canada et les États-Unis;

c)   les autorités américaines chargées de la gestion des pêches continuent à promouvoir la pêche excessive de merlu du Pacifique malgré la préoccupation traditionnelle du Canada à l’égard de cette espèce migratrice transfrontalière.

Objectifs [de la politique]

a)   renforcer les droits souverains du Canada afin d’atteindre nos objectifs en matière de conservation;

b)   éviter de mettre en péril la position concurrentielle du Canada sur le marché des pêches en facilitant les activités de pêche étrangères;

c)   optimiser les avantages que l’économie canadienne peut tirer de la présence de bateaux de pêche étrangers dans la zone canadienne.

—   Le contrôle des pêches au Canada est fondé avant tout sur le respect par un pays étranger des pratiques et politiques canadiennes et internationales en matière de conservation et s’applique aux pays qui pêchent au large des côtes canadiennes, que ce soit ou non aux termes d’une entente bilatérale à cet égard.

[7] L.R.C. (1985), ch. F-14.

[8] Cette loi est entrée en vigueur le 28 février 1992. Il appert clairement des débats entourant l’adoption de la Loi que la modification apportée à l’art. 6b) n’était pas un changement mineur visant à éliminer des anomalies ou des erreurs de rédaction. Elle visait à apporter un changement de fond à la loi, c’est-à-dire à permettre au ministre d’assortir les licences de conditions qui ne devaient pas nécessairement être prescrites par le gouverneur en conseil au moyen d’un règlement (voir le projet de loi C-35, première lecture du 4 octobre 1991, note explicative concernant l’art. 43). Il faut admettre que cette tactique semble être une façon un peu contournée d’atteindre cet objectif, étant donné que le pouvoir précédemment absolu du gouverneur en conseil d’imposer des conditions est maintenant décrit comme un pouvoir qui s’ajoute à celui du ministre, alors que celui-ci n’est investi d’aucun pouvoir explicite à cet égard.

[9] Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al., Re (1985), 49 O.R. (2d) 705 (C.A.); conf. par [1988] 2 R.C.S. 1045; E. A. Driedger « Subordinate Legislation » (1960), 38 Can. Bar. Rev. 1, à la p. 31.

[10] Ibid.

[11] P. ex., art. 6 à 9, Règlement sur la protection des pêcheries côtières, C.R.C., ch. 413 et ses modifications [art. 6 (mod. par DORS/80-186, art. 2; 85-527, art. 4), 7 (mod. par DORS/80-186, art. 3; 85-527, art. 5), 7.1 (édicté par DORS/79-713, art. 5), 8 (mod., idem, art. 6; 80-186, art. 4; 85-527, art. 6), 9 (mod. par DORS/86-939, art. 3)].

[12] Voici le libellé de l’art. 8(1) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19 :

8. (1) Le ministre peut délivrer à tout résident du Canada qui en fait la demande une licence pour l’importation de marchandises figurant sur la liste des marchandises d’importation contrôlée, sous réserve des conditions prévues dans la licence ou les règlements, notamment quant à la quantité, à la qualité, aux personnes et aux endroits visés. [Non souligné dans l’original.]

Voici le texte de l’art. 5(1) de la même Loi :

5. (1) Le gouverneur en conseil peut dresser la liste des marchandises d’importation contrôlée comprenant les articles dont, à son avis, il est nécessaire de contrôler l’importation pour l’une des fins suivantes :

b) appuyer une mesure d’application de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme en limitant l’importation sous quelque forme que ce soit d’un article semblable à un article produit ou commercialisé au Canada et dont les quantités sont fixées ou déterminées en vertu de cette loi;

[13] Magnuson Fishery Conservation and Management Act, 16 U.S.C. § 1801-1858 (1988).

[14] Loi modifiant la Loi sur la protection des pêches côtières, L.C. 1994, ch. 14.

[15] Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 7.

[16] Voici le texte de l’instruction du ministre :

[traduction] Du 1er avril au 30 juin, nul ne peut prendre, pêcher ou tuer un poisson se trouvant dans un cours d’eau de la région 5, sauf la rivière Chilcotin, la rivière Chilko, le ruisseau Chimney sous le lac Brunson, le fleuve Fraser, la rivière Quesnel sous les fourches Quesnel, le ruisseau Baker sous le parc provincial Pinnacle, le ruisseau du lac Williams et tous les cours d’eau se trouvant dans les MU 5-7, 5-8, 5-9 et 5-11, ni en avoir la possession.

[17] [traduction] Il est difficile de reconnaître que le Parlement désirait que le gouverneur en conseil administre la kyrielle de situations existant un peu partout au Canada, depuis les régions des banlieues jusqu’aux endroits éloignés du nord. Si les intimés ont raison, cela signifierait que, dans le cadre de l’administration du règlement en l’espèce, le gouverneur en conseil devrait répartir les milliers de quotas individuels à l’intérieur du quota maximal qu’il avait fixé à l’égard du doré et diviser les différentes zones aquatiques.

Il convient de souligner qu’avant que le mot « prescribing » de la version anglaise de l’alinéa 34g) soit remplacé par le mot « respecting », qui était utilisé dans tous les autres alinéas de cette disposition à l’époque, ces deux mots étaient rendus par le mot « concernant » dans la version française. Le mot « concernant » a également été utilisé dans les mots introductifs de l’alinéa 34a) : « concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches en eaux côtières et internes ». L’utilisation constante du mot « concernant » me convainc encore plus que le Parlement a toujours désiré permettre au gouverneur en conseil de subdéléguer certains pouvoirs aux termes des alinéas 34a) à 34k), même si le mot « prescribing » a été utilisé à l’origine à l’alinéa 34g) et a dû être remplacé.

L’utilisation du mot « respecting » (concernant) permet une délégation de l’administration du règlement.

[traduction] Quoi qu’il en soit, la question fondamentale qui doit être tranchée sous cette rubrique est celle de savoir si les pouvoirs délégués au ministre aux termes du Règlement sur les pêches de l’Ontario sont des pouvoirs de nature administrative ou législative.

Comme le juge de la Cour divisionnaire l’a souligné, il s’agit parfois d’une distinction fort ténue. Voici comment S. A. de Smith s’exprime à ce sujet dans son ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action, 4th ed. (1980) (p. 71) :

[traduction] Une distinction qui est souvent faite entre les actes législatifs et les actes administratifs est une distinction entre les mesures générales et les mesures particulières. Un acte législatif est un acte qui consiste à créer et à promulguer une règle de conduite générale sans faire allusion à des cas particuliers; un acte administratif ne peut être défini avec exactitude, mais il comprend l’adoption d’une politique, la formulation et l’adoption d’une directive précise et l’application d’une règle générale à un cas particulier conformément aux exigences liées à la politique, à la convenance ou à la pratique administrative.

Comme je l’ai déjà mentionné, le Parlement ne peut avoir eu l’intention d’obliger le gouverneur en conseil à délivrer des permis individuels comportant des quotas individuels à des milliers de pêcheurs commerciaux pour toutes les régions des grands lacs exploitées, après avoir fixé, du moins en partie, les quotas totaux à l’égard des espèces individuelles et indiqué, de façon générale, les cours d’eau dans lesquels les poissons pouvaient être pêchés.

Le juge Dickson a également cité (p. 147 D.L.R., p. 312 N.R.) un extrait de Hals, 4th ed., p. 7, par. 4, intitulé « Administrative Law » :

[traduction] « Les fonctions du gouvernement appartiennent à trois catégories : les fonctions législatives, les fonctions exécutives ou administratives et les fonctions judiciaires. Les fonctions exécutives et administratives du ministre sous-entendent la formulation ou l’application d’une politique générale à l’égard de certains cas ou situations ou l’adoption ou l’application de décisions discrétionnaires individuelles … »

L’établissement par le ministre de quotas individuels à l’égard des pêcheurs commerciaux pour certains cours d’eau constituait « l’application d’une politique générale à l’égard de certains cas ou situations » dans la province. Par conséquent, cette mesure était administrative et n’était pas visée par l’interdiction touchant l’interdélégation d’un pouvoir législatif : voir également l’arrêt Desrosiers v. Thinel, [1962] R.C.S. 515, aux pages 517, 518 et 519. [Aux pp. 716 et 717; 728 et 729.]

[18] Créé conformément au chapitre 18 de l’ALE.

[19] Voir A. E. Gotlieb, Canadian Treaty-Making (Toronto : Butterworths, 1968), aux p. 14 et 15; H. M. Kindred et al., International Law Chiefly as Interpreted and Applied in Canada, 4e édition (Toronto : Emond Montgomery, 1987), à la p. 136; Reference as to whether members of the Military or Naval Forces of the United States of America are exempt from Criminal Proceedings in Canadian Criminal Courts, [1943] R.C.S. 483.

[20] Une description des différents mécanismes d’application de l’ALENA figure dans le texte de J. D. Richard, Working With NAFTA : Maximizing the Benefits, Dispute Settlement Mechanisms in NAFTA (Janvier 1994, Association du Barreau canadien—section de l’éducation juridique permanente de l’Ontario).

[21] Une réponse est proposée dans A. E. Gotlieb, Canadian Treaty-Making (Butterworths, 1968), aux p. 15 à 19.

[22] Voir, par exemple, Hogg, Constitutional Law of Canada, 3e éd., 1992, à la p. 286.

[23] Ibid., à la p. 287.

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