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[1995] 2 C.F. 215

T-1931-93

James Ralph MacInnis (requérant)

c.

Le procureur général du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles (intimés)

Répertorié : MacInnis c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Wetston—Ottawa, 1er novembre 1994 et 15 février 1995.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Contrôle judiciaire de la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui a refusé à un délinquant dangereux purgeant une peine de détention de durée indéterminée le droit d’être représenté par avocat et d’interroger les auteurs de rapports cliniques à l’audience d’examen de son dossier de libération conditionnelle — Atteinte au droit à la liberté — La justice fondamentale visée à l’art. 7 de la Charte prescrit l’équité et impose de respecter les deux droits revendiqués.

Libération conditionnelle — Contrôle judiciaire de la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui a refusé à un délinquant dangereux purgeant une peine de détention de durée indéterminée le droit d’être représenté par avocat et d’interroger les auteurs de rapports cliniques contradictoires à l’audience d’examen de son dossier de libération conditionnelle — L’art. 7 de la Charte impose le droit au ministère d’avocat et le droit d’interroger les auteurs des rapports — Pour la Commission, la protection de la société doit être le critère déterminant — L’assistance d’un avocat et l’interrogatoire des auteurs des rapports peuvent aider la Commission comme le détenu lui-même en ce que les points de fait importants ne seraient pas oubliés et que la Commission n’adopterait pas de procédures iniques — Le Législateur n’a prévu aucune procédure spéciale pour les délinquants dangereux, mais la Cour suprême distingue, en matière de privation de liberté, entre détenus ordinaires et détenus purgeant une sentence de durée indéterminée — Une décision antérieure est pertinente et peut être prise en compte en application de l’art. 101b) de la Loi sur les libérations conditionnelles.

Recours en contrôle judiciaire contre la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui a refusé au requérant, délinquant dangereux purgeant une peine de détention de durée indéterminée, le droit de se faire assister par avocat et d’interroger les auteurs de rapports cliniques contradictoires, lors de l’audience d’examen de son dossier de libération conditionnelle en 1993. La Commission a observé la procédure prévue par la Loi sur les libérations conditionnelles, qui ne distingue pas entre délinquants purgeant une peine de durée déterminée et délinquants purgeant une peine de durée indéterminée. L’avocat n’est autorisé à intervenir qu’à titre d’assistant.

Le requérant soutient que le rejet de ses demandes porte atteinte à son droit à la justice fondamentale, que garantit l’article 7 de la Charte. Les intimés répliquent qu’il n’y a pas perte de liberté puisque la mise en liberté ne soustrait pas, mais ajoute au degré de liberté dont le requérant a le droit de jouir; l’article 7 de la Charte n’est donc pas en jeu.

Il échet d’examiner si la Commission a porté atteinte aux droits que l’article 7 de la Charte garantit au requérant, s’il y a eu atteinte à la liberté et, dans l’affirmative, si cette atteinte était conforme aux principes de justice naturelle.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Il y a atteinte à la liberté au sens de l’article 7 de la Charte dans le contexte de la détention de durée indéterminée.

L’équité prescrite par l’article 7 doit être un élément fondamental de la justice. En ce qui concerne ce détenu qui purge une peine de durée indéterminée, les principes de justice fondamentale imposent à la fois le droit au ministère d’avocat et le droit d’interroger les auteurs des rapports cliniques.

La Commission doit voir dans la protection de la société le critère déterminant dans l’examen du dossier de libération conditionnelle. Elle n’est pas astreinte aux règles de preuve ou de procédure. Les rapports psychiatriques et psychologiques sont d’importants éléments de preuve pris en compte par la Commission. Il est vrai que l’interrogatoire des experts ajouterait au fardeau administratif de la Commission, mais il l’aiderait à parvenir à une décision plus éclairée. Le Législateur n’a prévu aucune procédure spéciale pour les délinquants dangereux, malgré la distinction faite par la Cour suprême, en matière de privation de liberté, entre détenus ordinaires et détenus purgeant une sentence de durée indéterminée. Les audiences de la Commission doivent traduire cette différence de statut. Étant donné les questions de liberté en jeu, l’avocat peut, à l’examen du statut d’un délinquant dangereux, aider la Commission tout comme le détenu lui-même en faisant de telle sorte que les points de fait importants ne soient pas oubliés ou que la Commission n’adopte pas de procédures qui soient essentiellement iniques pour ce dernier. Il peut aider la Commission à rendre une décision plus éclairée en matière de libération conditionnelle. Il en est de même du droit d’interroger les experts sur leurs rapports cliniques. Il n’est pas nécessaire que l’audience soit contradictoire ou contentieuse, car pareille éventualité ne serait pas conforme au sens général du mandat que la Commission tient de la loi.

L’alinéa 101b) de la Loi impose à la Commission de prendre en considération tous les éléments de preuve. Une décision antérieure concernant le même individu est pertinente vu les responsabilités dont la Loi l’a investie; elle peut en tenir compte.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 9, 12, 15.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 761 (mod. par L.C. 1992, ch. 20, art. 215).

Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), ch. P-2.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 100, 101, 102, 105(1),(5), 140(7),(8), 151.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; (1987), 44 D.L.R. (4th) 193; 37 C.C.C. (3d) 1; 61 C.R. (3d) 1; 80 N.R. 161; R. c. S. (R.J.), [1995] A.C.S. no 10.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; (1987), 41 D.L.R. (4th) 429; 24 Admin. L.R. 91; 74 N.R. 33; Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385; [1990] 6 W.W.R. 673; (1990), 51 B.C.L.R. (2d) 1; 60 C.C.C. (3d) 1; 80 C.R. (3d) 257; 2 C.R.R. (2d) 304; 121 N.R. 198; Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642 (1985), 19 D.L.R. (4th) 502; 11 Admin. L.R. 63; 19 C.C.C. (3d) 195; 45 C.R. (3d) 242; 17 C.R.R. 5; 57 N.R. 280 (C.A.); Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734 (1984), 9 D.L.R. (4th) 393; 5 Admin. L.R. 70; 12 C.C.C. (3d) 9; 39 C.R. (3d) 78 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Dempsey c. La Reine (1987), 34 C.C.C. (3d) 95; 30 C.R.R. 191; 80 N.R. 159 (C.A.F.); Hay c. Commission nationale des libérations conditionnelles et autres (1991), 48 F.T.R. 165 (C.F. 1re inst.); MacDonald c. Commission nationale des libérations conditionnelles, [1986] 3 C.F. 157 (1986), 18 Admin. L.R. 284; 2 F.T.R. 273 (1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire contre la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui a refusé à un délinquant dangereux purgeant une peine de détention de durée indéterminée le droit de se faire assister par avocat et d’interroger les auteurs de rapports cliniques contradictoires, à l’audience d’examen de son dossier de libération conditionnelle. Demande accueillie.

AVOCATS :

Ronald R. Price, c.r., pour le requérant.

John B. Edmond pour les intimés.

PROCUREURS :

Faculté de Droit, Queen’s University (Kingston) Ontario, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Wetston : Le requérant conclut en l’espèce à jugement déclaratoire à l’égard de certaines décisions d’ordre procédural rendues par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) à l’audience d’examen de son dossier de libération conditionnelle, qui a eu lieu le 8 juillet 1993. L’audience a été ajournée sine die à la demande du requérant, à la suite de ces décisions de la Commission.

Le requérant soulève plusieurs questions dans son avis de requête introductif d’instance. Cependant, il s’agit principalement de savoir si la Commission nationale des libérations conditionnelles a porté atteinte aux droits que le requérant tient de l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], en refusant de lui reconnaître : (1) le droit de se faire assister d’un avocat; (2) le droit de citer les auteurs de certains rapports cliniques à comparaître devant la Commission aux fins d’interrogatoire; et (3) le droit de faire exclure des preuves certains rapports qu’il conteste.

Le requérant purge à l’heure actuelle une peine de durée indéterminée sous le régime de la partie XXIV (Délinquants dangereux) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]. Il a été déclaré délinquant dangereux en 1980 et condamné à la détention pour une période indéterminée. Le 22 novembre 1991, il a comparu à une audience tenue par la Commission pour l’examen de son dossier de libération conditionnelle, audience au cours de laquelle son avocat a soulevé les mêmes objections. À l’issue de cette audience, la Commission lui a refusé la permission de sortir sans surveillance, la semi-liberté et la libération conditionnelle totale. L’audience subséquente d’examen du dossier du requérant eut lieu le 8 juillet 1993; elle fait l’objet de la procédure en instance.

La législation en matière de délinquants dangereux est en vigueur au Canada depuis 1977. Le consentement du procureur général de la province où le délinquant passe en jugement est nécessaire pour l’audition de la demande en déclaration d’état de délinquant dangereux. Au 17 décembre 1992, il y avait quelque 111 délinquants déclarés dangereux sous le régime de la législation fédérale, ce qui représente moins de 0,5 p. 100 de la population carcérale fédérale. À l’époque, il y a avait quatre délinquants dangereux en libération conditionnelle. Il est intéressant de noter que durant la période allant de 1985 à 1992, le nombre de délinquants dangereux remis en liberté est resté constant d’une année à l’autre, savoir à peu près un par an.

LES TEXTES DE LOI APPLICABLES

Le paragraphe 761(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 20, art. 215] du Code criminel prévoit ce qui suit :

761. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission nationale des libérations conditionnelles examine les antécédents et la situation des personnes mises sous garde en vertu d’une sentence de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée dès l’expiration d’un délai de trois ans à compter du jour où ces personnes ont été mises sous garde et, par la suite, tous les deux ans au plus tard, afin d’établir s’il y a lieu de les libérer conformément à la partie II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et, dans l’affirmative, à quelles conditions.

La libération conditionnelle, c’est-à-dire la mise en liberté sous condition, et le maintien en incarcération sont prévus à la partie II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), qui a remplacé la Loi sur la libération conditionnelle [L.R.C. (1985), ch. P-2]. Cette partie II ne distingue pas entre délinquants qui purgent une peine d’emprisonnement de durée déterminée et ceux qui sont détenus pour une période indéterminée. Les avocats des deux parties sont convenus qu’une sentence de durée indéterminée est une sentence au sens de la partie II de la Loi. L’objet de la mise en liberté sous condition ainsi que les principes régissant les décisions de la Commission des libérations conditionnelles et les critères applicables en la matière sont définis aux articles 100, 101 et 102 de la Loi. Il est indiscutable que la Commission nationale des libérations conditionnelles a compétence exclusive et pouvoir discrétionnaire pour accorder la libération conditionnelle aux délinquants, y compris les délinquants dangereux. L’avocat des intimés qualifie diversement les fonctions de la Commission d’administratives, de non judiciaires ou d’inquisitoires. Il soutient que la Commission n’est pas un organisme doué d’une expertise spéciale, comme en témoigne le paragraphe 105(1) de la Loi, qui porte :

105. (1) Les membres sont choisis parmi des groupes suffisamment diversifiés pour pouvoir représenter collectivement les valeurs et les points de vue de la collectivité et informer celle-ci en ce qui touche les libérations conditionnelles ou d’office et les permissions de sortir sans surveillance.

En outre, la Commission est tenue, dans l’exercice de ses fonctions, de se conformer au paragraphe 105(5), aux termes duquel ses membres doivent exercer leurs fonctions conformément aux directives d’orientation générale établies en application du paragraphe 151(2) de la Loi.

Conformément à l’article 151, la Commission tient un Manuel des politiques applicables à la mise en liberté sous condition et au maintien en détention. Ce Manuel, approuvé par son comité exécutif, prévoit entre autres les modalités d’application des paragraphes 140(7) et 140(8) de la Loi, lesquels prévoient ce qui suit :

140. …

(7) Dans le cas d’une audience à laquelle assiste le délinquant, la Commission lui permet d’être assisté d’une personne de son choix, sauf si cette personne n’est pas admissible à titre d’observateur en raison de l’application du paragraphe (4).

(8) La personne qui assiste le délinquant a le droit :

a) d’être présente à l’audience lorsque le délinquant l’est lui-même;

b) de conseiller le délinquant au cours de l’audience;

c) de s’adresser aux commissaires au moment que ceux-ci choisissent en vue du bon déroulement de l’audience.

Selon la pratique normale de la Commission, ne sont autorisés à participer à une audience, à part les membres du tribunal, que le personnel du Service correctionnel du Canada, savoir habituellement l’agent chargé de la gestion du cas d’espèce, qui présente les documents versés au dossier et la recommandation du Service correctionnel, le délinquant concerné et la personne qui l’assiste. Le rôle de cette dernière est défini au paragraphe 140(8) de la Loi. Normalement, le délinquant ou la personne qui l’assiste expriment les préoccupations du premier au sujet des rapports et documents versés au dossier, soit par conclusions écrites soumises avant l’audience soit par plaidoirie verbale à l’audience même. Les questions soumises à l’avance par le délinquant au sujet de déclarations et rapports sont portés à l’attention de l’auteur du rapport, dont les réponses lui sont communiquées avant l’audience. Ces réponses peuvent d’ailleurs faire l’objet d’une plaidoirie présentée au tribunal par le délinquant ou la personne qui l’assiste. Il est rare que l’auteur d’un rapport clinique concernant un délinquant assiste à l’audience consacrée à celui-ci. En 1991, un psychiatre qui était en faveur de la mise en liberté a été autorisé à être présent et à répondre aux questions, à l’audience d’examen du dossier de libération conditionnelle de M. MacInnis.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

L’avocat du requérant reconnaît dans son argumentation que la Commission s’est strictement conformée à la Loi; il ne prétend pas qu’elle ait adopté une procédure inique, que ce soit du point de vue de la procédure prévue par la Loi ou du point de vue des directives contenues dans le Manuel. Il soutient que la Loi, qui affecte la liberté du requérant, doit être interprétée au regard de la Charte, ce que la Commission n’a pas fait. Le requérant ne dit pas que les dispositions de la Loi soient inconstitutionnelles; il ne fait valoir ni le fait que ce qui est en jeu, c’est le droit à la libération conditionnelle, ni un droit existant à la mise en liberté ni même un droit à la mise en liberté totale à l’avenir. Il soutient que le rejet de ses demandes porte atteinte à son droit à la justice fondamentale, que garantit l’article 7 de la Charte.

Les intimés soutiennent de leur côté que le requérant n’est pas recevable, dans le cadre du recours en contrôle judiciaire, à contester un texte de loi, c’est-à-dire que l’instance est limitée à un contrôle par la Cour des décisions d’ordre procédural de la Commission. Et que les décisions entreprises sont le résultat inéluctable de la Loi, que le litige se résout à une question d’équité, et qu’il ne saurait y avoir iniquité puisque la Loi a été strictement observée. Celle-ci étant applicable à l’examen du dossier de libération conditionnelle des délinquants détenus pour une période indéterminée, les intimés soutiennent qu’il ne saurait être question de contester la Loi elle-même, mais seulement les décisions donnant lieu au recours en instance. Que par la formulation expresse des paragraphes 140(7) et (8), le législateur a entendu exclure le ministère d’avocat qui est plus large; telle est la règle expressio unius est exclusio alterius. Que le rôle du défenseur est expressément limité, et que contester les dispositions de la Loi portant limitation de ce rôle revient à attaquer le texte de loi lui-même, et non pas la décision de la Commission.

En ce qui concerne l’application de l’article 7, les intimés soutiennent que celui-ci n’est pas en jeu puisqu’il n’y a pas perte de liberté en l’espèce. À leur avis, la jurisprudence distingue entre la privation d’un droit existant à la liberté et le refus d’accorder le bénéfice attendu de liberté, qui est le cas en l’espèce; voir Dempsey c. La Reine (1987), 34 C.C.C. (3d) 95 (C.A.F.), à la page 96; Hay c. Commission nationale des libérations conditionnelles et autres (1991), 48 F.T.R. 165 (C.F. 1re inst.), en page 169; et Mac-Donald c. Commission nationale des libérations conditionnelles, [1986] 3 C.F. 157(1re inst.), en page 174.

LA JURISPRUDENCE EN LA MATIÈRE

La Cour suprême du Canada a interprété les dispositions du Code criminel en matière de délinquants dangereux au regard de l’article 12 de la Charte dans R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, où le juge La Forest a fait cette constatation en pages 340 et 341 :

En vérité, il existe une différence considérable entre l’effet d’une peine imposée en vertu de la partie XXI et celui d’autres peines plus typiques. Quand une personne se fait emprisonner pour une période absolue et déterminée, il y a au moins la certitude que l’incarcération ne durera pas plus longtemps que la période fixée. La personne condamnée peut alors adopter une attitude passive en étant assurée d’être libérée une fois cette période écoulée. Pour le délinquant qui purge une peine d’une durée indéterminée, il n’y a cependant pas d’autre espoir que la libération conditionnelle…

Cela tient à ce que, dans un régime de peines d’une durée déterminée, la possibilité d’obtenir une libération conditionnelle représente une mesure surajoutée de protection des intérêts du délinquant en matière de liberté. Dans le présent contexte, cependant, une fois la peine imposée, elle constitue la seule mesure de protection des intérêts du délinquant dangereux en matière de liberté… Par conséquent, vu sous cet angle, le processus de libération conditionnelle revêt une importance capitale, car seul ce processus permet vraiment d’adapter la peine à la situation de chaque délinquant.

On voit donc, à la lumière de la décision R. c. Lyons, que les dispositions du Code criminel en matière de délinquants dangereux sont protégées de l’application de l’article 12 de la Charte par le processus de libération conditionnelle. En page 345 de la même décision, le juge La Forest a donné cette précision :

Avant toutefois de passer à autre chose, je me permets de faire une autre observation. Si l’on devait conclure qu’il existe sur le plan pratique une différence entre l’intérêt qu’a un délinquant dangereux en matière de liberté, qui est en jeu dans toute audience visant à déterminer s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle, et ce même intérêt lorsqu’il s’agit de délinquants « ordinaires » qui purgent des peines d’une durée déterminée, cela risquerait d’influer sur l’opinion qu’on se ferait quant au caractère adéquat, au point de vue formel, du processus de révision.

Et d’ajouter en page 354 :

Il me semble que, dans le contexte de l’art. 7, la nature et la qualité des garanties en matière de procédure qu’il faut accorder à l’individu ne sauraient être fonction d’une logique stérile ni d’une classification formaliste du type d’instance dont il s’agit. On doit plutôt mettre l’accent sur le caractère pratique de l’instance et sur l’effet qu’elle risque d’avoir sur la liberté individuelle.

Et encore en page 361 :

… les exigences de la justice fondamentale englobent tout au moins l’équité en matière de procédure…. [et] les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque.

Si le requérant a droit à une audience équitable, il n’a pas droit aux procédures les plus favorables qu’on puisse imaginer, mais la Cour suprême fait cette mise en garde, en page 362 :

… le caractère équitable du processus entraînant la privation de liberté ne saurait, dans le cas d’un délinquant dangereux, être considéré indépendamment du processus de révision de cette privation de liberté.

Et d’ajouter [en pages 362 et 363] :

Étant donné la gravité des effets d’une telle révision sur les intérêts qu’a un délinquant dangereux en matière de liberté, du moins par rapport à ses effets sur les mêmes intérêts qu’a un délinquant « ordinaire », il me semble que la justice fondamentale pourrait exiger que cette révision comporte des garanties en matière de procédure qui soient améliorées en conséquence… Toutefois, le caractère équitable de certains aspects de la procédure d’une audience visant à déterminer s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle peut très bien faire l’objet d’une contestation fondée sur la Constitution, du moins lorsque l’examen porte sur la prolongation de l’emprisonnement d’un délinquant dangereux. Le caractère équitable de la procédure de révision n’est cependant pas en litige en l’espèce.

Il se trouve que l’équité du processus d’examen du dossier de libération conditionnelle est bien en cause en l’espèce. Dans R. c. Lyons, supra, le juge La Forest note également en page 368 que le problème relatif au témoignage psychiatrique d’expert remet moins en question l’utilité et l’équité du régime qu’il rehausse la conclusion que les garanties procédurales assurées au délinquant, en particulier à l’examen de son dossier de libération conditionnelle, doivent être très rigoureuses.

Dans Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385, qui porte aussi sur les dispositions relatives aux délinquants dangereux, il a été jugé de nouveau que l’application d’une sentence de durée indéterminée sans autres protections irait à l’encontre de l’article 12 de la Charte, n’eût été l’existence du processus d’examen périodique du dossier de libération conditionnelle de l’intéressé. Autrement dit, ce n’est que par prise en considération et application attentives des divers critères prescrits par les règles en matière de libération conditionnelle que la détention de durée indéterminée peut être adaptée au cas personnel de chaque délinquant.

Dans Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642(C.A.), qui porte sur le droit au ministère d’avocat dans une audience disciplinaire concernant un détenu, le juge en chef Thurlow note en pages 662 et 663 :

Je suis d’avis que l’adoption de l’article 7 n’a créé aucun droit absolu d’être représenté par avocat dans toute procédure de ce genre. Il est sans aucun doute de la plus grande importance que la personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont en jeu ait l’occasion d’exposer sa cause aussi pleinement et adéquatement que possible. Les avantages de l’assistance d’un avocat à cette fin ne sont pas contestés. Cependant, ce qui est exigé c’est l’occasion d’exposer la cause adéquatement et je ne crois pas qu’on puisse affirmer qu’il n’existe pas de cas où une telle occasion ne peut être fournie sans qu’il faille également accorder le droit d’être représenté par avocat à l’audition.

Une fois qu’on a adopté cette position, il me semble que la question de savoir si oui ou non une personne a le droit d’être représentée par avocat dépendra des circonstances de l’espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l’aptitude du détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa défense. Cette liste n’est pas exhaustive. Il s’ensuit donc, à mon avis, que la question de savoir si la requête d’un détenu en vue d’être représenté par avocat peut être légalement refusée ne peut être considérée comme une question de discrétion, car il s’agit d’un droit qui existe lorsque les circonstances sont telles que la possibilité d’exposer adéquatement la cause du détenu exige la représentation par avocat.

De son côté, le juge MacGuigan, dans la même cause Howard, supra, a fait cette constatation en page 685 :

L’article 7 exige qu’on accorde à un détenu le droit d’être représenté par avocat lorsque le fait de refuser sa requête en ce sens violerait son droit à la justice fondamentale. De l’aveu général, l’existence de ce droit dépend des faits. Toutefois, ce droit, lorsqu’il existe, n’est pas discrétionnaire si l’on entend par ce terme que le président du tribunal a le pouvoir discrétionnaire de le refuser. À mon avis, le pouvoir dont dispose le président du tribunal n’empêche pas une cour exerçant son pouvoir de contrôle d’examiner les faits et de substituer sa propre décision à celle de ce dernier si elle est convaincue, à la lumière des faits, qu’il s’agit d’un cas où la représentation par avocat aurait dû être accordée afin d’assurer au détenu les droits qui lui sont garantis par l’article 7.

Et d’ajouter en page 687 :

La Charte a bel et bien modifié l’interprétation antérieure du droit en rehaussant l’importance du principe de justice fondamentale relatif à l’occasion adéquate de se défendre et ce faisant, elle influe même sur les procédures de nature purement administrative.

Enfin, dans Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734(1re inst.), le juge Strayer, tel était alors son titre, a tiré la conclusion suivante en page 747 :

À mon avis, la justice fondamentale exige une équité procédurale qui corresponde à l’intérêt touché.

Et en page 749 :

J’estime toutefois que la garantie prévue à l’article 7 de la Charte exige qu’un libéré conditionnel ait toutes les possibilités raisonnables de se faire représenter par un avocat à une audition portant sur la révocation. L’importance de l’issue à son égard, du moins dans un cas comme en l’espèce, signifie qu’une procédure équitable exige qu’il ait droit à un avocat s’il le désire et s’il peut en trouver un qui soit disposé à le représenter. On devrait lui accorder suffisamment de temps pour qu’il puisse faire son possible en vue d’atteindre ce but.

Toutefois, cela ne veut pas dire que la Commission peut rester indifférente devant la question de savoir si un libéré conditionnel a un avocat dans de telles circonstances. Elle doit assurer une procédure d’audition qui soit équitable, et la présence d’un avocat dans une affaire aussi grave sera un facteur important pour assurer l’équité de la procédure.

Il ressort de cette recension de la jurisprudence qu’en cas de révocation de la libération conditionnelle ou d’action disciplinaire, le droit au ministère d’avocat est un élément important de la garantie de justice fondamentale, que prescrit l’article 7 de la Charte. L’affaire soumise en l’espèce à la Cour ne porte pas sur une action disciplinaire ou sur la révocation de la libération conditionnelle, mais sur la possibilité de libération conditionnelle dans le contexte d’une détention de durée indéterminée.

Dans une récente décision de la Cour suprême du Canada, R. c. S. (R.J.), [1995] A.C.S. no 10, 2 février 1995, qui porte sur divers articles de la Charte telle qu’elle se rapporte aux principes qui protègent contre l’auto-incrimination, le juge Iacobucci s’est prononcé en ces termes au sujet de l’article 7 de la Charte, en pages 9 et 10 :

L’article 7 prévoit que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », et qu’il « ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Une analyse fondée sur cette disposition peut logiquement se faire par étapes. Premièrement, on peut déterminer s’il existe une atteinte réelle ou imminente à un droit garanti dans cette disposition. Deuxièmement, on peut examiner séparément les principes pertinents de justice fondamentale et évaluer l’atteinte en fonction de ces principes de façon à déterminer s’il y a eu violation de l’art. 7.

En ce qui concerne le droit à la liberté, il conclut en page 10 :

L’article 7 de la Charte s’applique lorsqu’il y a atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Jusqu’à maintenant, notre Cour a reconnu que, dans ce contexte, il y a atteinte à un droit s’il existe un risque immédiat ou imminent d’atteinte au droit en question; dans le présent pourvoi, le droit en jeu est celui à la liberté. Par exemple, l’emprisonnement et le risque imminent d’emprisonnement constituent des atteintes au droit à la liberté…

Enfin, en page 18, il fait cette constatation au sujet des principes de justice fondamentale :

Les droits énumérés à l’art. 7 de la Charte ne sont pas garantis de façon générale… Il peut seulement exiger qu’une atteinte à sa liberté soit conforme aux principes de justice fondamentale.

L’avocat des intimés se fonde sur la jurisprudence Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, pour soutenir que la common law ne connaît pas, à titre de règle générale, le droit d’interroger les témoins aux audiences de la Commission. Dans R. c. S. (R.J.), supra, le juge Iacobucci a également évoqué l’application de cette décision Irvine c. Canada en ces termes, en pages 83 et 84 :

Certes, le juge Estey affirme ceci dans l’arrêt Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, à la p. 231 :

L’équité est une notion souple et son contenu varie selon la nature de l’enquête et les conséquences qu’elle peut avoir pour les individus en cause. Les caractéristiques de la procédure, la nature du rapport qui en résulte et sa diffusion publique, et les sanctions qui s’ensuivront lorsque les événements qui suivent le rapport seront enclenchés, détermineront l’étendue du droit à l’assistance d’un avocat et, lorsqu’un avocat est autorisé sans plus par la Loi, le rôle de cet avocat.

Je ne veux ici soulever aucun doute relativement à cette analyse, ni d’ailleurs relativement à la suggestion connexe selon laquelle « [d]éjà, au cours de la période qui a précédé l’arrêt Nicholson , un certain nombre de précédents tendaient à insister moins sur la classification du tribunal en cause et plus sur l’effet de la procédure prévue par la loi sur l’individu comparaissant devant une instance administrative » (p. 216).

Toutefois, si je comprends bien, la dichotomie entre les procédures quasi judiciaires et administratives peut être considérée comme fausse dans la mesure où il s’agit de déterminer quelles exigences de justice naturelle ou d’équité procédurale devraient se rattacher aux procédures. Si tel est l’objectif à atteindre, au lieu de cataloguer les procédures, il est utile d’analyser leur effet sur des individus, comme l’a mentionné le juge Estey dans l’arrêt Irvine, précit.

ANALYSE

En bref, il échet d’examiner quel effet l’audience d’examen du dossier de libération conditionnelle aura pour l’individu puisque tout ce qu’il peut exiger, c’est que l’atteinte à sa liberté soit conforme aux principes de justice fondamentale. Il échet aussi d’examiner quels principes de justice fondamentale sont en jeu en l’espèce. La question qui se pose est de savoir, non pas s’il y a lieu ou non à libération conditionnelle, mais s’il y a atteinte à la liberté et, dans l’affirmative, si cette atteinte est conforme aux principes de justice naturelle. Comme l’a fait observer Madame le juge L’Heureux-Dubé en page 46 de R. c. S. (R.J.), supra, « [l]’équité fondamentale à la justice représente le minimum constitutionnellement acceptable ». Autrement dit, ce qui est en jeu en l’espèce, c’est la justice fondamentale dans le contexte de la détention de durée indéterminée.

Il appert que la Commission a observé les procédures prévues par la Loi. En effet, en ce qui concerne le droit d’interroger les cliniciens, les intimés soutiennent qu’une autre procédure est prévue qui excède le minimum requis. Il fait observer aussi, comme noté supra, que la common law ne connaît pas, à titre de règle générale, le droit d’interroger les témoins aux audiences de la Commission; voir Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, en page 231. Et que le rejet du droit d’interroger ne porte atteinte à aucun des droits garantis par la Charte puisque la mise en liberté ne soustrait pas, mais ajoute au degré de liberté dont le requérant a le droit de jouir.

La Cour juge cependant que malgré la qualification juridique faite par les intimés, il y a atteinte à la liberté au sens de l’article 7 de la Charte; voir R. c. Lyons, supra, en page 362; R. c. S. (R.J.), supra, en pages 11 et 12 [des motifs du juge Iacobucci]. Il ne saurait en être autrement dans le contexte de la détention de durée indéterminée. La question se pose donc de savoir, au sujet du droit au ministère d’avocat comme au sujet du droit d’interroger les auteurs des rapports cliniques, si la Charte impose, à titre de principe de justice naturelle, les mesures additionnelles d’équité que réclame le requérant. Si le requérant a raison, il est clair que c’est seulement parce qu’il purge une sentence de durée indéterminée sous le régime de la partie XXIV du Code criminel. Il est aussi clair que la Charte n’impose pas dans ce contexte une audience de type judiciaire ou contradictoire, même en cas de détention de durée indéterminée. En effet, la Commission des libérations conditionnelles n’est à aucun titre la partie adverse du requérant.

Selon les intimés, le rôle de la Commission est de nature inquisitoire entre autres, mais non antagonique. Aux termes de l’article 100 de la Loi, la mise en liberté vise au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois. Il ressort aussi de l’article 101 que la Commission doit voir dans la protection de la société le critère déterminant dans l’examen du dossier de libération conditionnelle.

La décision que doit rendre la Commission sur la question de savoir si la mise en liberté est ce qui facilite le mieux la réadaptation du détenu et sert le mieux l’intérêt de la société, est indéniablement une décision difficile. Il est évident que pour les décisions de ce genre, la Commission n’est pas astreinte aux règles de preuve ou de procédure, qui sont plus ou moins conçues pour le jugement des questions juridiques ou contentieuses difficiles. Nul doute qu’elle doit tenir compte d’un grand nombre de facteurs non juridiques dans sa décision, par exemple les rapports cliniques concernant le détenu, sa mentalité, son comportement en prison, son état affectif ou physique, ses relations avec les autres détenus et le personnel de la prison. Il y a bien entendu d’autres facteurs à prendre en considération, mais il est manifeste qu’ils ne se rapportent pas tous aux points strictement de droit ou de fait au sens traditionnel. Pour un requérant qui purge une sentence de durée indéterminée, l’enjeu ne saurait être plus élevé dans une audience d’examen du dossier de libération conditionnelle. Il a évidemment intérêt à ce que ses conclusions et arguments au moins soient présentés de la façon la plus complète et la plus efficace possible.

En l’espèce, le requérant conclut aux services plus étendus d’un avocat, au lieu de l’aide limitée d’un défenseur, telle que la prévoit le paragraphe 140(8) de la Loi. En outre, il prétend au droit d’interroger les auteurs des rapports qui ont été soumis à la Commission. Il s’agit de rapports cliniques sur son état. D’après le dossier, la Commission a bien noté que l’existence ou l’absence de considérations psychologiques ou psychiatriques n’était que l’un des nombreux facteurs qu’elle prenait en compte pour juger s’il y avait lieu à libération conditionnelle, mais elle a noté aussi, au sujet de l’audience de 1991 sur le cas du requérant, que [traduction] « tout ce dont on peut être certain, c’est qu’il n’y a pas de certitude ». Autrement dit, il y avait divergence entre les experts qui se sont prononcés sur l’état du requérant.

Il est manifeste que les rapports psychiatriques et psychologiques étaient d’importants éléments de preuve pris en compte par la Commission. En l’espèce, les rapports sur l’état du requérant sont contradictoires. Y a-t-il lieu pour la Commission d’être éclairée par l’interrogatoire de ces experts pour juger du fondement de leurs consultations cliniques? Si pareille éventualité ajoute au fardeau administratif de la Commission, la Cour estime qu’elle l’aiderait à parvenir à une décision plus éclairée. Décision plus éclairée ne signifie pas qu’elle sera favorable ou défavorable, mais seulement qu’elle sera plus éclairée; voir R. c. Lyons, supra, en page 368.

Le législateur a décidé que les audiences de la Commission nationale des libérations conditionnelles ne seront pas contradictoires. Par contre, il n’a prévu aucune procédure spéciale pour les délinquants dangereux. Et ce malgré la différence reconnue par la Cour suprême, en matière de privation de liberté, entre détenus ordinaires et détenus purgeant une sentence de durée indéterminée; voir R. c. Lyons, supra, en pages 345 et 362. À mon avis, les audiences de la Commission doivent traduire cette différence de statut. Il s’agit de savoir non pas s’il faut invalider la législation, mais si la Commission doit adopter des procédures entièrement conformes aux impératifs de l’article 7 de la Charte à l’égard de ce détenu qui purge une peine de durée indéterminée. La Cour ne préconise pas l’observation intégrale de tous les droits de procédure propres aux instances contentieuses. Pareil jugement serait imprudent. Un avocat n’est à l’heure actuelle autorisé à intervenir qu’à titre d’assistant au sens du paragraphe 140(8) de la Loi. La Cour estime, étant donné les questions de liberté en jeu, qu’à l’examen du statut d’un délinquant dangereux, l’avocat peut aider la Commission tout comme le détenu lui-même en faisant de telle sorte que les points de fait importants ne soient pas oubliés ou que la Commission n’adopte pas de procédures qui soient essentiellement iniques pour ce dernier. Sa contribution peut consister à veiller à ce que la Commission soit régulièrement saisie des faits se rapportant à l’« état » et au « cas » du détenu. Donc, si on peut envisager sans cynisme le rôle de l’avocat, on voit que celui-ci peut aider la Commission à rendre une décision plus éclairée en matière de libération conditionnelle. Cependant, je ne vois pas pourquoi l’audience devrait être contradictoire et contentieuse. Pareille éventualité ne serait pas conforme à la façon dont la Commission interprète le mandat qu’elle tient de la loi. La Cour est du même avis pour ce qui est du droit d’interroger les experts sur leurs rapports cliniques.

Le requérant conclut aussi à ordonnance déclarant que si l’interrogatoire des auteurs des rapports cliniques n’est pas permis, la Commission ne doit pas admettre les rapports que le requérant conteste et qui, de ce fait, doivent être exclus des preuves. Vu la décision de la Cour sur le droit d’interroger les auteurs de ces rapports cliniques, il ne lui est pas nécessaire de répondre à cette question.

Le requérant fait encore valoir que si la Cour juge que la procédure observée par la Commission constitue un manquement à l’équité procédurale, il y a lieu à ordonnance déclarant que la Commission ne peut pas prendre en considération sa décision du 22 novembre 1991 sur la demande de libération conditionnelle du requérant. La Cour conclut cependant que l’alinéa 101b) de la Loi impose à la Commission de prendre en considération tous les éléments de preuve concernant un cas donné. Une décision antérieure concernant le même individu doit être pertinente vu les responsabilités dont la Loi a investi la Commission. Il n’y a donc aucune raison pour que celle-ci ne tienne pas compte de ses décisions antérieures concernant ce requérant. Bien qu’il ne fût nullement question lors de l’audience de 1991 des mesures de procédure requises à l’égard de la décision contestée en l’espèce, tout sujet de préoccupation du requérant peut être soulevé à la prochaine audience d’examen de son dossier de libération conditionnelle.

Le requérant soulève aussi des questions constitutionnelles au regard d’autres dispositions de la Charte, en particulier des articles 9 et 15. Vu la décision de la Cour à l’égard de l’article 7 de la Charte, elle estime qu’il n’est pas nécessaire de répondre aux questions touchant les articles 9 et 15.

CONCLUSION

En résumé, l’équité prescrite par l’article 7 doit être un élément fondamental de la justice; voir R. c. S. (R.J.), supra, en page 46 [des motifs du juge l’Heureux-Dubé]. En ce qui concerne ce détenu qui purge une peine de durée indéterminée, les principes de justice fondamentale imposent à la fois le droit au ministère d’avocat et le droit d’interroger les auteurs sur leurs rapports cliniques.

En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle instruction dans le sens de la présente ordonnance et des motifs y afférents.

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