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[1995] 3 C.F. 32

IMM-4087-94

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (requérant)

c.

Rajbir Singh Hundal (intimé)

Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hundal (1re inst.)

Première instance, juge Rothstein—Calgary, 2 juin; Vancouver, 8 juin 1995.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Compétence de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu de l’art. 70(2)b) de la Loi lorsque la condition selon laquelle le visa d’immigrant a été délivré n’est plus respectée — La validité du visa cesse-t-elle dès que la condition selon laquelle le visa a été délivré n’est plus respectée, rendant, par le fait même, incompétente la section d’appel?

En avril 1991, l’intimé s’est vu délivré un visa d’immigrant parrainé par sa femme, résidente permanente. En décembre 1991, sa femme a retiré son parrainage. L’intimé, arrivé au Canada en janvier 1992, a fait l’objet d’un rapport d’un agent de l’immigration conformément à l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur l’immigration en janvier 1992, puis d’une mesure d’exclusion en février 1992, sans doute à cause du retrait du parrainage. L’intimé a fait appel de cette mesure auprès de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu de l’alinéa 70(2)b) de la Loi sur l’immigration. La section d’appel a décidé qu’elle avait compétence et que la mesure d’exclusion était valide en droit, mais elle a accueilli l’appel pour des raisons d’ordre humanitaire.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision au motif que la section d’appel n’avait pas, aux termes de l’alinéa 70(2)b) de la Loi, compétence pour entendre l’affaire. Le ministre soutient que lorsqu’une condition attachée à la délivrance d’un visa n’est plus remplie, celui-ci cesse d’être valide. Or, puisque la compétence de la section d’appel dépend du fait que la personne qui cherche à s’établir au Canada est en possession d’un visa valide, la section d’appel n’avait pas compétence, le visa étant devenu invalide par suite de la disparition de la condition selon laquelle il avait été délivré. La question était de savoir si le visa était valide lorsque l’agent d’immigration a rédigé son rapport en janvier 1992.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Dans l’affaire Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408(C.A.), des visas ont été délivrés à un individu et à deux personnes à charge qui l’accompagnaient; l’individu est mort avant de venir au Canada. Il a été jugé que le visa cessait d’être valide au moment où la condition selon laquelle il avait été délivré ne pouvait plus être respectée. Ce cas pourrait se caractériser comme étant un cas dans lequel la réalisation de la condition est devenue impossible. Une interprétation large de l’arrêt De Decaro retirerait tout sens à l’alinéa 70(2)b) et priverait la section d’appel de toute compétence.

Après examen de l’esprit de la Loi en ce qui concerne les visas et le droit d’établissement, rien ne s’oppose à une interprétation plus stricte de l’arrêt De Decaro tout en restant conforme à cet esprit. Le processus d’immigration comprend deux étapes : en premier lieu, un interrogatoire par un agent des visas, qui décide s’il y a lieu de délivrer un visa et, en second lieu, un interrogatoire par un agent d’immigration au point d’entrée, qui décide de l’octroi du droit d’établissement. Puisqu’un visa permet simplement à une personne de se présenter à un point d’entrée en vue d’obtenir le droit d’établissement, et qu’il y a alors un second interrogatoire pour déterminer si la personne en question répond aux exigences du droit d’établissement, il est inutile de voir dans la mesure législative que le défaut de remplir une des conditions du visa invalide celui-ci automatiquement.

La règle générale veut que, lorsqu’un visa est délivré, il reste valide. Mais il y a quatre exceptions : (1) L’exception De Decaro : un visa devient ipso facto invalide lorsqu’il y a obstacle à ou impossibilité de remplir une des conditions pour lesquelles il a été délivré. (2) L’exception Wong : un visa est invalide lorsqu’il y a défaut de remplir une des conditions attachées à l’octroi du visa lui-même avant qu’il ne soit délivré. Dans ce cas, le visa est invalide dès le départ. (3) Un visa cesse d’être valide lorsqu’il atteint sa date d’expiration. (4) Un visa n’est plus valide lorsqu’il a été révoqué ou annulé par un agent des visas.

En l’espèce, aucune des exceptions ne s’applique. Le parrain aurait pu changer d’avis et réactiver son parrainage. La section d’appel avait, par conséquent, compétence pour étudier et trancher l’appel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 9(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4), (2) (mod., idem), (4) (mod., idem), 14(2) (mod., idem, art. 8), 19(2)d), 20(1)a), 69.4(2) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 70(2)b) (mod., idem), 70(3)b) (mod., idem), 73(3) (mod., idem).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 12 (mod. par DORS/83-540, art. 2; 93-44, art. 11, 93-412, art. 8).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408 (1993), 103 D.L.R. (4th) 564; 155 N.R. 129 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Gudino, [1982] 2 C.F. 40 (1981), 124 D.L.R. (3d) 748; 38 N.R. 361 (C.A.); Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Wong (1993), 153 N.R. 237 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour absence de compétence. Demande rejetée.

AVOCATS :

Brad Hardstaff, pour le requérant.

Peter Wond, pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada, pour le requérant.

Major Caron, Calgary, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rothstein : La question, dans ce contrôle judiciaire, porte sur la compétence conférée à la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par l’alinéa 70(2)b) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18]. L’alinéa 70(2)b) prévoit ce qui suit :

70. …

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), peuvent faire appel devant la section d’appel d’une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel :

b) les personnes qui, ayant demandé l’admission, étaient titulaires d’un visa de visiteur ou d’immigrant, selon le cas, en cours de validité lorsqu’elles ont fait l’objet du rapport visé à l’alinéa 20(1)a). [C’est moi qui souligne.]

Le ministre soutient que lorsque la condition selon laquelle un visa a été délivré n’est plus respectée, le visa devient du fait même invalide. La section d’appel, dont la compétence suppose que la personne qui recherche le droit d’établissement est titulaire d’un visa en cours de validité, perd donc cette compétence lorsque le visa est devenu invalide parce que la condition qui s’y attache n’est plus respectée.

En l’espèce, l’intimé a épousé une résidente permanente du Canada le 9 janvier 1989. Le 30 août 1989, la résidente permanente a signé un engagement d’aide par lequel elle s’engageait à parrainer l’immigration au Canada de l’intimé. Celui-ci a fait une demande de résidence permanente au Canada en novembre 1989 et le 29 avril 1991, le Haut Commissariat canadien de New Delhi, en Inde, lui délivrait un visa d’immigrant. Le 16 décembre 1991, l’épouse de l’intimé a signé une déclaration statutaire par laquelle elle retirait le parrainage qu’elle avait accordé au requérant.

À ce point, le dossier devient plutôt ambigu. Il semble que le 30 décembre 1991, le Haut Commissariat à New Delhi ait adressé un télégramme à l’intimé lui demandant de [traduction] « retourner les visas ». Ce télégramme ne figurait toutefois pas au dossier. Rien ne laisse penser que le visa ait été annulé; la preuve montre qu’il ne l’a pas été. Dans une communication qu’il a adressée au Centre d’Immigration Canada en date du 13 janvier 1992, le Haut Commissariat de New Delhi dit en partie ce qui suit :

[traduction] Nous n’aurions pu vous informer que nous annulions le IMM 1000 [le visa] que si le CIC nous avait avisés que la répondante avait retiré le IMM 1344, ce qui rendrait l’intéressé inadmissible. Nous n’avons pas encore reçu un tel avis.

Dans l’intervalle, le 2 janvier 1992, l’intimé a quitté l’Inde et est arrivé au Canada le 3 janvier 1992. À son arrivée au Canada, il a été interrogé par un agent d’immigration; celui-ci a fait un rapport conformément à l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur l’immigration, qui lui permettait de décider qu’il serait ou pourrait être contraire à la Loi ou aux règlements de laisser entrer l’intimé. Une mesure d’exclusion a été prise contre l’intimé le 27 février 1992, au motif qu’il relevait d’une catégorie non admissible décrite à l’alinéa 19(2)d) de la Loi sur l’immigration, à savoir celle des personnes cherchant à être admises à titre d’immigrants et qui ne satisfont pas aux règlements en raison du retrait de leur parrainage.

Conformément à l’alinéa 70(2)b) de la Loi sur l’immigration, l’intimé a interjeté appel contre la mesure d’exclusion auprès de la section d’appel, qui a tenu son audience le 17 février 1994. Le 16 août 1994, la section d’appel a décidé qu’elle avait compétence pour statuer sur l’appel de l’intimé et que la mesure d’exclusion était juridiquement valide. Elle a toutefois accueilli l’appel de l’intimé pour des raisons d’ordre humanitaire en application de l’alinéa 70(3)b) [mod., idem] libellé comme suit :

70. …

(3) Les moyens que peuvent invoquer les appelants visés au paragraphe (2) sont les suivants :

b) le fait que, pour des raisons d’ordre humanitaire, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

La question est de savoir si le visa était valide lorsque l’agent d’immigration a rédigé son rapport le 3 janvier 1992. Si c’est le cas, la section d’appel avait compétence pour rendre sa décision; dans le cas contraire, elle n’avait pas compétence.

Le ministre soutient que l’affaire doit être régie par la décision majoritaire rendue dans l’affaire Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408(C.A.). Dans cette affaire, des visas d’immigrants avaient été délivrés à un individu et aux deux personnes à charge qui devaient l’accompagner. L’individu en question est décédé avant de venir au Canada. Le juge Pratte, J.C.A., a conclu pour la majorité que les visas des personnes à charge étaient soumis à une condition et que si celui dont dépendaient ces personnes ne les accompagnait ou ne les précédait pas au Canada, la condition attachée à leurs visas n’était pas remplie. Le juge Pratte, J.C.A., dit à la page 417 :

L’intimée était-elle, lorsqu’elle a fait l’objet du rapport en vertu de l’alinéa 20(1)a), titulaire d’un visa « en cours de validité »? [Il faut poser cette question car, si la requérante était titulaire d’un visa en cours de validité, nous devrions renvoyer l’affaire devant la section d’appel pour qu’elle statue sur l’appel de la requérante conformément au paragraphe 73(3) [mod., idem].] L’expression « en cours de validité » laisse entendre qu’un visa, valide à l’origine, peut par la suite cesser de l’être. Avant la mort de son mari, l’intimée détenait certainement un visa valide même s’il s’agissait, comme je l’ai dit, d’un visa conditionnel; après ce décès, cependant, il était impossible que la condition dont le visa était assorti soit accomplie de sorte que ce visa était, dès lors, dénué de toute valeur. Ce n’était plus, à mon sens, un visa « en cours de validité ». [Omission des numéros des renvois en bas de page.]

Il semble que le juge Pratte, J.C.A., était d’avis que dès lors que la condition attachée à la délivrance du visa n’était plus remplie, celui-ci cessait d’être valide.

Invoquant cette interprétation de la loi, le ministre soutient qu’en l’espèce, dès lors que l’épouse de l’intimé a cessé de le parrainer, la condition attachée au visa de ce dernier n’était plus remplie et le visa cessait d’être valide. Conséquemment, affirme le ministre, comme l’intimé n’était pas en possession d’un visa d’immigrant valide lorsque l’agent d’immigration a rédigé son rapport le 3 janvier 1992, la section d’appel n’avait pas compétence pour être saisie d’un appel contre la mesure de renvoi prise contre l’intimé.

L’avocat de l’intimé fait valoir que si l’arrêt De Decaro est appliqué de façon générale à toutes les situations dans lesquelles la condition essentielle à la délivrance d’un visa cesse d’être remplie en raison d’un fait postérieur à la délivrance, l’alinéa 70(2)b), contrairement à son libellé, ne confère aucune compétence d’appel à la section d’appel. Il dit que si le défaut de remplir une condition rend toujours le visa invalide au moment où la condition n’est plus remplie, la personne faisant l’objet d’une mesure de renvoi ne pourrait jamais en appeler auprès de la section d’appel parce que le visa en question serait invalide, et la section d’appel n’aurait pas la compétence nécessaire pour juger l’appel. Ainsi, par exemple, si une personne cherchant à obtenir le droit d’établissement avait reçu un visa mais était tombée malade par la suite, avait été reconnue coupable d’un acte criminel ou avait perdu des points d’appréciation prévus à l’annexe I du Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78-172] à la suite de la perte d’une possibilité d’emploi et par conséquent n’était plus admissible à immigrer au moment de sa maladie, de sa déclaration de culpabilité ou de la perte de la possibilité d’emploi, son visa serait par le fait même devenu invalide. La mesure de renvoi prise par un agent d’immigration pour l’un de ces motifs ne pourrait donc pas être contestée auprès de la section d’appel.

J’ai demandé à l’avocat du ministre de me montrer une faiblesse, s’il en était capable, dans l’argument de l’avocat de l’intimé, mais il n’a pu le faire. Si l’analyse de l’avocat de l’intimé est juste, et l’on ne m’a pas montré pourquoi elle ne le serait pas, une interprétation large de l’arrêt De Decaro retirerait en effet tout sens à l’alinéa 70(2)b). Il semble évident que l’arrêt De Decaro ne peut être interprété de façon à avoir une portée aussi étendue.

Je crois que si l’on considère l’économie de la Loi en ce qui concerne les visas et le droit d’établissement, on constate que rien ne s’oppose à une interprétation plus stricte de l’arrêt De Decaro et qu’elle est conforme à l’esprit de la Loi. En vertu du paragraphe 9(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4] de la Loi, les immigrants doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d’entrée.

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d’entrée.

En vertu du paragraphe 9(2) [mod., idem], le cas du demandeur de visa d’immigrant doit être apprécié par l’agent des visas qui détermine si le demandeur semble répondre aux critères de l’établissement.

9. …

(2) Le cas du demandeur de visa d’immigrant est apprécié par l’agent des visas qui détermine si le demandeur et chacune des personnes à sa charge semblent répondre aux critères de l’établissement.

Selon le paragraphe 9(4) [mod., idem], l’agent des visas qui est convaincu qu’il ne serait pas contraire à la Loi ou à ses règlements d’accorder le droit d’établissement au demandeur peut lui délivrer un visa, pour attester qu’il est une personne répondant aux exigences de la Loi et de ses règlements.

9. …

(4) Sous réserve du paragraphe (5), l’agent des visas qui est convaincu que l’établissement ou le séjour au Canada du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements peut délivrer à ce dernier et aux personnes à charge qui l’accompagnent un visa précisant leur qualité d’immigrant ou de visiteur et attestant qu’à son avis, ils satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements.

Le titulaire du visa se présente alors à un agent d’immigration à un point d’entrée, à qui il doit révéler, conformément au Règlement sur l’immigration de 1978, tout changement significatif survenu dans sa condition depuis la délivrance du visa pour permettre à l’agent de décider s’il satisfait encore aux exigences de la Loi et de ses règlements. L’article 12 [mod. par DORS/83-540, art. 2; 93-44, art. 11; 93-412, art. 8] du Règlement prévoit ce qui suit :

12. Un immigrant à qui un visa a été délivré et qui se présente pour examen devant un agent d’immigration à un point d’entrée, conformément au paragraphe 12(1) de la Loi, doit

a) si son état matrimonial a changé depuis la délivrance du visa, ou

b) si des faits influant sur la délivrance du visa ont changé depuis que le visa a été délivré ou n’ont pas été révélés au moment où le visa a été délivré,

établir

c) que lui-même et les personnes à sa charge, qu’elles l’accompagnent ou non, dans le cas où un visa a été délivré à l’immigrant conformément au paragraphe 6(1), à l’article 9 ou aux paragraphes 10(1) ou (1.1) ou 11(3) ou (4), ou

d) que lui-même et les personnes à sa charge qui l’accompagnent, dans tout autre cas,

satisfont, au moment de l’examen, aux exigences de la Loi, du présent règlement, du Règlement sur la catégorie désignée d’Indochinois, du Règlement sur la catégorie désignée d’exilés volontaires ou du Règlement sur la catégorie désignée de prisonniers politiques et de personnes opprimées, y compris les exigences relatives à la délivrance du visa.

En vertu du paragraphe 14(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 8] de la Loi, l’agent d’immigration qui est convaincu que l’octroi du droit d’établissement à un immigrant ne contreviendrait pas à la Loi ni à ses règlements doit lui accorder ce droit.

14. …

(2) L’agent d’immigration qui est convaincu, après interrogatoire d’un immigrant, que l’octroi du droit d’établissement ne contreviendrait pas, dans son cas, à la présente loi ni à ses règlements est tenu :

a) soit de lui accorder ce droit;

b) soit de l’autoriser à entrer au Canada à condition qu’il se présente, pour interrogatoire complémentaire, devant un agent d’immigration dans le délai et au lieu fixés.

Il est donc évident que le processus d’immigration comprend deux étapes, soit en premier lieu un interrogatoire par un agent des visas, qui décide s’il y a lieu de délivrer un visa, et en second lieu, un interrogatoire par un agent d’immigration au point d’entrée, qui décide de l’octroi du droit d’établissement. Puisqu’un visa permet simplement à une personne de se présenter à un point d’entrée en vue d’obtenir le droit d’établissement, et qu’il y a alors un second interrogatoire pour déterminer si la personne en question répond encore aux exigences de la Loi et de ses règlements applicables au droit d’établissement, il est inutile de voir dans la mesure législative que le défaut de remplir une des conditions du visa invalide celui-ci automatiquement. Donc, règle générale, lorsqu’un visa est délivré, il reste valide. Il est nécessaire d’interpréter la Loi de cette façon pour donner un sens à l’alinéa 70(2)b) et compétence à la section d’appel en vertu de cet alinéa.

Il me reste nécessaire, naturellement, de me pencher sur les remarques incidentes de la Cour d’appel fédérale sur la question de la validité des visas, par lesquelles je me trouve lié. Il semble y avoir quatre exceptions à la règle générale selon laquelle un visa, une fois délivré, reste valide.

J’appelle la première de ces exceptions, l’exception De Decaro. On peut la décrire comme représentant la situation dans laquelle il y a des obstacles au respect de la condition dont dépend la délivrance du visa, ou impossibilité de remplir cette condition. Comme c’est le cas pour les contrats, et j’admets qu’il est toujours risqué de faire des comparaisons, une telle exception fondée sur les « obstacles » à la validité d’un visa ayant un champ d’application restreint. Elle ne s’applique que s’il est évident qu’un événement rend désormais impossible le respect de la condition attachée au visa. Comme dans l’affaire De Decaro, lorsque meurt la personne dont l’existence était essentielle à l’octroi de visas aux personnes à sa charge, il est évident que la condition attachée aux visas en cause n’est plus remplie et que ceux-ci, du fait même, deviennent invalides.

Mais il doit être clair que dans la vaste majorité des cas, dont par exemple l’existence de problèmes médicaux, la perte de points d’appréciation, le retrait d’un parrainage et autres inconvénients du genre, un changement de circonstances n’est pas irrévocable. En effet, je crois que le juge Pratte, J.C.A., dans l’arrêt De Decaro, n’a pas à dessein laissé entendre que chaque fois que la condition d’un visa n’est pas remplie, celui-ci devient du fait même invalide (voir page 413). Tant qu’on ne peut dire que la condition attachée à un visa devient impossible à remplir lorsque survient un événement postérieur à la délivrance du visa, celui-ci reste valide. Naturellement, il se peut que la personne en cause ne reçoive pas le droit d’établissement en raison du changement de circonstances, mais cela ne touche pas la validité du visa. Le refus du droit d’établissement sera la conséquence de l’interrogatoire réalisé par l’agent d’immigration au point d’entrée.

La seconde exception vise le défaut de remplir une des conditions attachées à l’octroi du visa lui-même avant qu’il ne soit délivré. C’est la situation décrite dans l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Wong (1993), 153 N.R. 237 (C.A.F.), dans lequel le juge MacGuigan, J.C.A., a dit à la page 238 :

L’appelant a attiré notre attention sur la récente décision majoritaire rendue le 1er mars 1993 par cette Cour dans l’affaire Le ministère de l’Emploi et de l’Immigration c. Decaro (A-916-90). Quelle que soit la conséquence lorsqu’un élément sur lequel repose la délivrance d’un visa cesse d’exister par la suite, nous sommes au moins convaincus que, lorsque, comme en l’espèce, la principal raison de la délivrance d’un visa a cessé d’exister avant sa délivrance, on ne peut dire d’un tel visa qu’il est « un visa d’immigrant en cours de validité ».

En l’absence d’éléments essentiels à la délivrance d’un visa avant que celui-ci ne soit délivré, le visa, une fois délivré, ne sera pas valide. Il est invalide dès le départ. C’est l’exception dont il est question dans l’arrêt Wong.

La troisième exception au maintien de la validité d’un visa vise l’expiration de sa durée de validité. Donc, si un visa porte une date d’expiration et que celle-ci est dépassée, il est clair que le visa ne sera alors plus valide.

La quatrième exception à la validité d’un visa est sa révocation par un agent des visas. Bien que la Loi sur l’immigration ne prévoie pas expressément la révocation des visas, je crois que le pouvoir de les révoquer s’impose comme inéluctable. Dans l’affaire Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Gudino, [1982] 2 C.F. 40(C.A.), on a soutenu qu’une fois le visa délivré, l’agent des visas n’a plus compétence et ne peut ni annuler ni invalider le visa. Le juge Heald, J.C.A., a dit à la page 43 :

J’estime qu’il découle nécessairement de l’emploi de l’expression « valable et non périmé » qu’un visa peut être révoqué et devenir invalide en raison de faits nouveaux.

Bien que le juge Heald, J.C.A., traitait des mots « valable et non périmé », je crois que la même déduction découle nécessairement de l’adjectif « valable » pris seul puisque les mots « et non périmé » sont employés dans la Loi pour indiquer que la durée ne doit pas être expirée. Donc, lorsque l’agent des visas annule un visa, celui-ci n’est plus valable. Selon Gudino, la Loi ne prescrit aucun mode particulier d’annulation (voir page 45). Cependant, une telle annulation ou invalidation du visa exige une décision quelconque de la part de l’agent des visas. Pourvu qu’il y ait eu une décision d’annuler, le visa n’est plus valable.

Sous réserve de ces quatre exceptions, dès lors que le visa est délivré, il est et reste en cours de validité aux fins de l’alinéa 70(2)b) de la Loi sur l’immigration.

Pour revenir aux faits de l’espèce, aucune de ces quatre exceptions ne s’applique. Avant la délivrance du visa, il n’y avait ni défaut ni impossibilité de respecter l’une de ses conditions. Bien que le parrainage ait été retiré, il était possible de l’accorder de nouveau. Le visa était toujours en cours de validité et n’avait pas été annulé. Bien qu’il se peut que l’ordre de rendre un visa soit interprété, dans certaines circonstances, comme constituant son annulation, on ne peut dire que ce soit le cas en l’espèce. Comme le dit le télégramme du Haut Commissariat de New Delhi au Centre d’Immigration Canada à Calgary, l’intention était uniquement de faire enquête, et seulement si le Haut Commissariat avait été avisé du retrait du parrainage, ce qui n’était pas le cas à l’époque concernée, des mesures auraient-elles été prises pour annuler le visa.

Dans ces circonstances, l’intimé s’est présenté au point d’entrée au Canada muni d’un visa d’immigrant en cours de validité. L’agent d’immigration a tout à fait régulièrement procédé à une enquête et fait un rapport conformément à l’alinéa 20(1)a) de la Loi et, en dernier lieu, il a pris une mesure de renvoi. Toutefois, tout aussi régulièrement, l’intimé en a appelé auprès de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, et il relevait de la compétence de la section d’appel de statuer sur l’appel en question.

L’avocat de l’intimé a soutenu qu’étant donné la disposition privative concernant la compétence de la section d’appel au paragraphe 69.4(2) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi sur l’immigration, cette Cour devrait faire preuve de déférence judiciaire en étudiant les appels juridictionnels des décisions de la section d’appel. Le paragraphe 69.4(2) prévoit ce qui suit :

69.4. …

(2) La section d’appel a compétence exclusive, dans le cas des appels visés aux articles 70, 71 et 77, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — relatives à la prise d’une mesure de renvoi ou au rejet d’une demande de droit d’établissement présentée par un parent.

Vu ma décision de confirmer la décision de la section d’appel, il ne m’est pas nécessaire d’examiner la question de la déférence judiciaire et le sens du paragraphe 69.4(2).

Cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Je remercie les avocats de leurs plaidoiries et, en particulier, l’avocat du ministre, qui m’a fourni de la documentation non favorable à son point de vue.

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