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[1995] 2 C.F. 73

T-2555-93

Institut professionnel de la fonction publique du Canada (requérant)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Teitelbaum—Ottawa, 14 novembre 1994 et 5 janvier 1995.

Contrôle judiciaire — Le Décret C.P. 1993-1868, qui a été pris en vertu de la Loi sur la rémunération du secteur public, a ramené de 3 % à 0 % certains taux de salaire prévus par une convention collective cadre pour les groupes qui désiraient se retirer de la négociation cadre — Tant que le Décret relève de la Loi, il n’est pas susceptible de contrôle judiciaire à moins qu’il ne s’agisse d’un cas « flagrant », c.-à-d. à moins qu’il ait été pris uniquement de mauvaise foi — Le gouverneur en conseil visait une double fin : (1) mettre en œuvre sa politique de compression salariale; (2) empêcher l’audition d’un renvoi fondé sur l’art. 99 de la L.R.T.F.P. — La demande est rejetée.

Fonction publique — Relations du travail — Conventions collectives — Le Décret C.P. 1993-1868 pris en vertu de la Loi sur la rémunération du secteur public a ramené de 3 % à 0 % certains taux de salaire prévus par une convention collective cadre — Le Décret n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, étant donné qu’un de ses objets était de mettre en œuvre une politique de compression salariale, bien que son second objectif était d’empêcher l’audition d’un renvoi fondé sur l’art. 99 de la L.R.T.F.P.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du Décret C.P. 1993-1868 pris en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi sur la rémunération du secteur public.

Le 24 septembre 1991, une convention collective cadre a été signée. Elle prévoyait une augmentation proportionnelle de 3 %—qui devait prendre effet le 1er octobre 1993—pour les groupes de négociation qui se retiraient de la négociation cadre. La Loi sur la rémunération de la fonction publique (LRFP) est entrée en vigueur le 3 octobre 1991. Elle prorogeait la plupart des régimes de rémunération de deux ou de trois ans. L’article 11 prévoyait que, sur la recommandation du Conseil du Trésor, le gouverneur en conseil pouvait, en conformité avec la politique salariale annoncée par le gouvernement dans son budget du 26 février 1991, modifier les taux de salaire prévus par un nouveau régime de rémunération. Le Conseil du Trésor n’a pas recommandé au gouverneur en conseil de modifier les taux de salaire prévus par la convention collective cadre. Le 2 avril 1993, la LRFP a été modifiée par la Loi no 2 de 1993 sur la compression des dépenses publiques. Des conventions comme la convention collective cadre ont été prorogées de deux ans. Là encore, le Conseil du Trésor n’a pas recommandé que les taux de salaire prévus par la convention collective cadre soient modifiés. Le 28 janvier 1993, l’Institut a avisé le Conseil du Trésor que chacun de ses 18 groupes désirait se retirer de la négociation cadre et que, conformément à la convention collective cadre, chaque groupe devait, à compter du 1er octobre 1993, toucher une augmentation proportionnelle de 3 % pour toute la durée de la période prorogée. Après que le Conseil du Trésor l’eut informé qu’il ne mettrait pas en vigueur l’augmentation proportionnelle de 3 % parce que les régimes de rémunération étaient assujettis aux dispositions de blocage, l’Institut a fait un renvoi en vertu de l’article 99 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour contester le refus du Conseil du Trésor de mettre l’augmentation en application. Le 15 septembre, l’Institut a obtenu des formules de griefs pour que chacun de ses 10 000 membres puisse présenter un grief salarial. Par le Décret C.P. 1993-1868 daté du 24 septembre 1993, le gouverneur en conseil a ramené de 3 % à 0 % l’augmentation proportionnelle.

Citant le jugement Gingras c. Canada, [1990] 2 C.F. 68 (1re inst.), le requérant maintient que les décisions discrétionnaires peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire et qu’elles doivent respecter strictement les limites de l’objet et de l’esprit de la loi et que les tribunaux devraient intervenir lorsqu’une autorité publique a agi dans un but répréhensible. Il affirme que le Conseil du Trésor et le gouverneur en conseil ont exercé leur pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi ou pour des motifs répréhensibles ou non pertinents en modifiant les taux de salaire prévus par la convention collective cadre. Il ajoute que la façon dont ils ont exercé leur pouvoir discrétionnaire a eu un effet discriminatoire et qu’ils ont de ce fait commis un abus de pouvoir. Le requérant affirme que la véritable raison pour laquelle le Conseil du Trésor a recommandé au gouverneur en conseil de ramener l’augmentation de 3 % à 0 % était qu’il prévoyait perdre le renvoi fondé sur l’article 99. L’intimé fait valoir que le pouvoir accordé au gouverneur en conseil par l’article 11 de la LRFP concerne une question de commodité publique et de politique générale. Il ajoute que ou bien le Décret n’est pas susceptible de contrôle judiciaire ou bien il est valide, pour autant que l’un de ses objets cadre avec le mandat du gouverneur en conseil.

Les questions en litige sont celles de savoir si le Décret est susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire et s’il découle de l’exercice irrégulier d’un pouvoir discrétionnaire.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La Cour doit déterminer la nature de la fonction qu’exerce le gouverneur en conseil en vertu de l’article 11. En d’autres termes, il lui faut déterminer si le Décret constitue une décision discrétionnaire qui est de la nature d’une politique ou d’une mesure législative et qui donne ouverture au contrôle judiciaire pour des motifs limités ou s’il a été pris dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi et s’il est par conséquent susceptible de contrôle judiciaire selon les principes ordinaires du droit administratif. Si la question en est une de commodité publique et de politique générale, seul un cas flagrant pourrait justifier l’annulation du Décret.

Lorsqu’un pouvoir discrétionnaire est exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle et qu’on ne s’est pas fondé sur des considérations non pertinentes, les tribunaux ne devraient pas intervenir. Les principes qui régissent l’équité procédurale ne s’appliquent pas à un organisme qui exerce des fonctions purement législatives. Le fait d’avoir tenu compte de certains facteurs non pertinents ne met pas la décision en péril; c’est seulement lorsque cette décision est fondée entièrement ou principalement sur des facteurs non pertinents qu’elle est contestable.

Même si, en prenant le Décret, le gouverneur en conseil a tenu compte du fait que le Conseil du Trésor prévoyait perdre le renvoi fondé sur l’article 99, le Décret ne pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire tant qu’il modifiait également les taux de salaire pour s’assurer que le régime de rémunération soit compatible avec la politique salariale du gouvernement. Tant que le Décret relève de la LRFP, l’intervention judiciaire n’est pas justifiée, à moins qu’il ne s’agisse de toute évidence d’un cas « flagrant ». L’affaire Gingras portait sur un acte administratif, et non sur un décret concernant des questions de commodité publique et de politique générale. La prise du décret serait abusive si l’intimé avait agi uniquement de mauvaise foi et non dans le but de mettre en œuvre une politique budgétaire que l’on croyait alors devoir suivre. Le gouverneur en conseil visait une double fin en prenant le Décret C.P. 1993-1868 : mettre en œuvre sa politique de compression salariale et empêcher l’audition du renvoi fondé sur l’article 99 et l’audition des 10 000 plaintes. Cette dernière fin ne constituait donc pas l’unique ou le principal motif de la prise du Décret C.P. 1993-1868.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Décret C.P. 1993-1868.

Loi no 2 de 1993 sur la compression des dépenses publiques, L.C. 1993, ch. 13, art. 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 26.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 31(3).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.

Loi sur la rémunération du secteur public, L.C. 1991, ch. 30, art. 5 (mod. par L.C. 1993, ch. 13, art. 4), 6, 9, 10, 11(1).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. O-3.

Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19, art. 5, 8.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 99 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 72).

Public Hospitals Act, R.S.O. 1970, ch. 378.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat du Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 121 (C.A.); Thorne’s Hardware Ltd. et autres. c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; (1983), 143 D.L.R. (3d) 577; 46 N.R. 91; Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada (Procureur général), [1993] 3 C.F. 199 (1993), 62 F.T.R. 172 (1re inst.); Doctors Hospital and Minister of Health et al., Re (1976), 12 O.R. (2d) 164; 68 D.L.R. (3d) 220; 1 C.P.C. 232 (C. div.); Maple Lodge Farms Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 500 (1980), 114 D.L.R. (3d) 634; 42 N.R. 312 (C.A.); conf. par [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Organisation nationale anti- pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 3 C.F. 684 (1989), 60 D.L.R. (4th) 712; 36 Admin. L.R. 197; 26 C.P.R. (3d) 440; 99 N.R. 181 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Gingras c. Canada, [1990] 2 C.F. 68 (1990), 69 D.L.R. (4th) 55 (1re inst.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Shawn v. Robertson, [1964] 2 O.R. 696 (H.C.); Philco Corp. v. R.C.A. Victor Corp., [1967] 1 R.C.É. 450; (1966), 50 C.P.R. 282; 33 Fox Pat. C. 120.

DOCTRINE

Concise Oxford Dictionary, 7th ed., Oxford : Clarendon Press, 1982, « egregious ».

Débats de la Chambre des communes, vol. II, 3e session, 34e législature, 19 juin 1991, aux p. 2075 à 2077.

Living Webster Encyclopedic Dictionary of the English Language. Chicago : The English Language Institute of America, 1967, « egregious ».

Shorter Oxford English Dictionary, Oxford : Clarendon Press, 1993, « egregious ».

DEMANDE de jugement déclaratoire invalidant le Décret C.P. 1993-1868. La demande est rejetée.

AVOCATS :

Catherine H. Maclean pour le requérant.

John Edmond pour l’intimé.

PROCUREURS :

Nelligan/Power, Ottawa, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Teitelbaum : La Cour est saisie d’une demande présentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’Institut) en vue d’obtenir, en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4, une ordonnance de la nature d’un bref de certiorari annulant le Décret C.P. 1993-1868 pris le 24 septembre 1993 par le gouverneur général en conseil en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi sur la rémunération du secteur public, L.C. 1991, ch. 30 (la LRSP). Ce Décret a eu pour effet de modifier certains taux de salaire prévus par une convention collective cadre (convention cadre) conclue entre l’Institut et le Conseil du Trésor. Plus précisément, le Décret modifie les dispositions applicables de l’article 48 de la convention cadre signée par le requérant et le Conseil du Trésor pour prévoir une augmentation salariale proportionnelle de « 0 % » pour les groupes de négociation qui désirent se retirer de la négociation cadre lors de la prochaine ronde de négociation de la convention cadre.

À l’ouverture de l’audience, on m’a informé que les avocats avaient convenu que l’intitulé de la cause devait être le suivant : Institut professionnel de la fonction publique du Canada, requérant, et Procureur général du Canada, intimé. J’ai autorisé cette modification.

On m’a également informé, à l’ouverture de l’audience, que les avocats avaient convenu que [traduction] « compte tenu du libellé de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, la réparation qu’il convient de demander en l’espèce est que le tribunal (I) déclare invalide le Décret en question ».

Ainsi que je l’ai déclaré, le Décret en litige a été pris en application du paragraphe 11(1) de la Loi sur la rémunération du secteur public, modifiée.

En outre, à l’ouverture de l’audience, l’avocate du requérant m’a soumis un document intitulé [traduction] « Chronologie » pour, si j’ai bien compris, m’aider à suivre le déroulement des faits au cours de la période en cause.

Je suis convaincu que, pour mieux comprendre la présente décision, il est nécessaire de reproduire ce document. Les deux avocats s’entendent sur les dates figurant sur ce document. L’avocat de l’intimé affirme en effet que [traduction] : « les parties se sont entendues, de façon générale, sur le déroulement chronologique des faits ». L’avocat de l’intimé souligne qu’il ne conteste pas les dates, mais qu’il n’est pas nécessairement d’accord avec tout le contenu de ce document chronologique, particulièrement en ce qui concerne les pourcentages d’augmentation.

CHRONOLOGIE

1991

18 février 1991 — L’Institut demande, pour les 18 groupes visés par la négociation cadre, la constitution d’un bureau de conciliation dont la décision serait exécutoire.

Dossier d’appel P.G. Annexe « B » de l’affidavit de M. Pierce Sutherland—Rapport exécutoire du bureau de conciliation (onglet 1, p. 16 à 22).

26 février 1991 — Le gouvernement annonce dans le budget fédéral sa politique salariale en ce qui concerne les fonctionnaires fédéraux.

Dossier d’appel P.G. Extrait du compte-rendu officiel des débats de la Chambre (onglet 2, p. 84 à 86).

19 juin 1991 — Le président du Conseil du Trésor fait devant la Chambre des communes une déclaration dans laquelle il précise que des augmentations de salaire de 0 %, 3 % et 3 % sont offertes à certaines unités de négociation de la fonction publique.

Dossier d’appel P.G. Annexe « A » de l’affidavit de M. Pierce Sutherland (onglet 1, p. 4 à 6).

26 juin 1991 — Signature d’une convention collective entre le Conseil du Trésor et la Guilde de la marine marchande du Canada (GMMC) pour l’unité de négociation des officiers de navires. La convention prévoyait des augmentations de salaire de :

a) 6,6 % à 12,3 % selon le sous-groupe, pour la période du 1er septembre 1990 au 31 mars 1992[1];

b) 3 %, pour la période du 1er avril 1992 au 31 mars 1993;

c) 3 %, pour la période du 1er avril 1993 au 31 mars 1994.

Doss. d’appel de l’Inst. Annexe « B » de l’affidavit de M. Robert McIntosh (onglet 2).

16 août 1991 — Le bureau de conciliation rend une décision exécutoire en ce qui concerne la négociation cadre à laquelle participe l’Institut. Cette décision prévoit des augmentations de salaire de :

a) 4,7 %, pour la période du 1er octobre 1990 au 30 septembre 1992[2];

b) 3 % à compter du 1er octobre 1992[3].

Dossier d’appel P.G. Annexe « B » de l’affidavit de M. Pierce Sutherland (onglet 1, p. 16 à 32).

27 août 1991 — Prononcé d’une sentence arbitrale concernant l’unité de négociation de la catégorie du soutien administratif du Conseil de recherches médicales (« l’unité de négociation du Conseil de recherches médicales »). Cette décision prévoyait des augmentations de :

a) 2,9 % prenant effet et se terminant le 1er février 1991[4];

b) 3 %, pour la période du 2 février 1991 au 31 mars 1992;

c) 3 %, pour la période du 1er avril 1992 au 31 mars 1993.

Sentence arbitrale de la CRTFP, dossier no 185-11-344

4 septembre 1991 — Prononcé d’une sentence arbitrale visant l’unité de négociation du groupe du droit dont le Conseil du Trésor est l’employeur (« la sentence arbitrale du groupe du droit »). Cette décision prévoyait des augmentations de :

a) 4,7 %, pour la période du 1er mars 1991 au 28 février 1993[5].

Sentence arbitrale de la CRTFP, dossier no 185-2-345

12 septembre 1991—Prononcé d’une sentence arbitrale concernant l’unité de négociation de la réparation des navires—chefs d’équipe dont le Conseil du Trésor est l’employeur (« la sentence arbitrale de la réparation des navires »). Cette sentence prévoyait les augmentations de salaires suivantes :

a) 9,7 %, pour la période du 1er avril 1991 au 31 mars 1992 (rajustement économique : ajout de 5,5 % de 5 nouveaux échelons à l’échelle salariale);

b) 7,1 %, pour la période du 1er avril 1992 au 31 mars 1993.

Sentence arbitrale de la CRTFP, dossier no 185-2-346

16 septembre 1991 — Présentation du projet de loi C-29 (Loi sur la rémunération du secteur public (« la LRSP »)).

Doss. d’appel de l’Inst. Affidavit de M. Robert McIntosh, par. 9.

24 septembre 1991 — Signature par l’Institut et le Conseil du Trésor de la convention collective cadre de 1993 pour 18 unités de négociation. Cette convention collective incorpore les modalités du rapport exécutoire de négociation.

Doss. d’appel de l’Inst. Annexe « A » de l’affidavit de M. Robert McIntosh (onglet 2—A—p. 198).

2 octobre 1991 — Sanction royale de la LRSP (laquelle est entrée en vigueur le 3 octobre 1991).

Doss. d’appel de l’Inst. Affidavit de M. Robert McIntosh (par. 9, onglet 2).

28 novembre 1991 — Prise du Décret C.P. 1991-14/2375, qui modifie de la façon suivante les augmentations de taux de salaire contenues dans la sentence arbitrale relative au Conseil de recherches médicales :

a) 4,2 %, pour la période du 1er février 1991 au 31 janvier 1992;

b) 0 %, pour la période du 1er février 1992 au 31 janvier 1993;

c) 3 %, pour la période du 1er février 1993 au 31 janvier 1994.

Décret C.P. 1991-14/2375

12 décembre 1991 — Prise du Décret C.P. 1991-9/2535, qui modifie de la façon suivante les augmentations de taux de salaire contenues dans la sentence arbitrale relative au groupe de la réparation des navires :

a) 0 %, pour la période commençant le 1er avril 1991 et se terminant le 31 mars 1992;

c) 3 %, pour la période commençant le 1er avril 1992 et se terminant le 31 mars 1993.

Décret C.P. 1991-9/2535

12 décembre 1991 — Prise du Décret C.P. 1991-10/2535, qui modifie de la façon suivante les augmentations de taux de salaire contenues dans la sentence arbitrale relative au groupe du droit :

a) 0 % pour la période commençant le 1er mars 1991 et se terminant le 28 février 1992;

c) 3 % pour la période commençant le 1er mars 1992 et se terminant le 28 février 1993.

Décret C.P. 1991-10/2535

1992

2 décembre 1992 — Le gouvernement présente son exposé économique et financier.

Dossier d’appel P.G. Extraits du compte-rendu officiel des débats de la Chambre (onglet 2, p. 95).

10 décembre 1992 — Présentation du projet de loi C-105 (la Loi sur la compression des dépenses publiques, qui modifie la LRSP). (Les articles 3 à 8 du projet de loi C-113 étaient réputés être entrés en vigueur le 10 décembre 1992).

Doss. d’appel de l’Inst. Annexe « C » de l’affidavit de M. R. McIntosh (onglet 2—C).

1993

28 janvier 1993 — L’Institut avise le Conseil du Trésor que chaque groupe désire se retirer de la négociation cadre. Il confirme la nouvelle date d’expiration applicable à chaque unité de négociation et demande que les taux de salaire de chacune soient modifiés en conformité avec le sous-alinéa 48.03b)(ii) de la convention collective cadre (augmentation proportionnelle de 3 % jusqu’à la nouvelle date d’expiration de la convention collective pour chaque groupe).

Doss. d’appel de l’Inst. Annexes « A » à « R » inclusivement de l’affidavit de M. Luc Grenier (onglet 3).

17 février 1993 — Présentation du projet de loi C-113 (la Loi no 2 de 1993 sur la compression des dépenses publiques, qui remplace le projet de loi C-105, qui contenait des propositions de modifications identiques à celles de la LRSP).

Doss. d’appel de l’Inst. Affidavit de M. Robert McIntosh (onglet 2, p. 7) et annexes « C » et « D ».

2 avril 1993 — Sanction royale du projet de loi C-113

Doss. d’appel de l’Inst. Affidavit de M. Robert McIntosh (onglet 2, p. 7).

17 juin 1993 — Le Conseil du Trésor avise l’Institut que les 18 groupes sont [traduction] « assujettis aux mesures législatives salariales qui ont pour effet de bloquer leur régime de rémunération jusqu’au 30 septembre 1995. » On informe également l’Institut que [traduction] « les mesures législatives salariales ne permettent pas l’application de l’augmentation proportionnelle de 3 % aux régimes de rémunération des groupes. »

Doss. d’appel de l’Inst. Annexe « U » de l’affidavit de M. Luc Grenier (onglet 3—U).

27 juillet 1993 — L’Institut fait un renvoi à la CRTFP en vertu de l’article 99 pour obtenir l’exécution forcée de l’augmentation proportionnelle de 3 % pour chacun des groupes qui a choisi de se retirer de la négociation cadre en vertu de l’article 48.04 de la convention collective cadre.

Doss. d’appel de l’Inst. Annexe « E » de l’affidavit de M. Robert McIntosh (onglet 2—E).

15 septembre 1993 — L’Institut demande 10 000 formules de griefs pour permettre aux membres de l’Institut de présenter un grief au sujet du défaut du Conseil du Trésor d’appliquer l’article 48 de la convention collective cadre.

Doss. d’appel de l’Inst. Annexe « V » de l’affidavit de M. Luc Grenier (onglet 3—V).

24 septembre 1993 — Prise du Décret C.P. 1993-1868, qui ramène à 0 % les taux de salaire prévus au sous-alinéa 48.03b)(ii) de la convention collective cadre pour chacune des périodes mentionnées à l’article 48.04.

Doss. d’appel de l’Inst. Annexe « W » de l’affidavit de M. Luc Grenier (onglet 3—W).

21 octobre 1993 — Date à laquelle le renvoi fait en vertu de l’art. 99 devait être entendu par la CRTFP.

Doss. d’appel de l’Inst. Annexe « O » de l’affidavit de M. Robert McIntosh (onglet 2—O)

MOYENS INVOQUÉS AU SOUTIEN DE LA DEMANDE

Voici les moyens qui sont invoqués au soutien de la demande :

1) Le gouverneur en conseil n’avait pas le pouvoir de prendre le Décret C.P. 1993-1868;

2) à titre subsidiaire, le gouverneur en conseil a commis un abus de pouvoir en prenant le Décret C.P. 1993-1868.

GENÈSE DE L’INSTANCE

L’Institut représente 29 groupes, qui sont organisés selon leur classement et qui font partie de secteurs de la fonction publique pour lesquels le Conseil du Trésor est désigné comme employeur. Le 14 août 1990, l’Institut a conclu une entente avec le Conseil du Trésor en vue de négocier une convention collective cadre au nom de 18 de ces groupes (la convention cadre). C’était la troisième fois qu’une telle entente était conclue en vue de négocier une convention cadre visant plusieurs groupes. (Avant de prendre part à la négociation cadre, chaque groupe négociait une convention collective distincte avec le Conseil du Trésor.) Les groupes suivants étaient inclus dans la négociation cadre au 30 septembre 1993 : actuariat (AC), agriculture (AG), sciences biologiques (BI), art dentaire (DE), sciences forestières (FO), recherche historique (HR), économie domestique (HE), mathématiques (MA), météorologie (MT), sciences infirmières (NU), ergothérapie et physiothérapie (OP), pharmacie (PH), réglementation scientifique (s’applique uniquement au sous-groupe SG-SRE de la réglementation scientifique), recherche scientifique (SE), service social (SW), médecine vétérinaire (VM), services scientifiques de la défense (DS) et commerce (CO). Le nombre total de membres s’élevait à cette date à 10 734 personnes (une copie de la convention cadre de 1993 est jointe à l’affidavit de M. McIntosh à titre d’annexe « A »).

La négociation cadre a initialement commencé en 1985. La première convention cadre prévoyait des dates de prise d’effet des hausses salariales qui étaient différentes pour chaque groupe et qui variaient selon la date d’expiration de la convention collective de chaque groupe qui était en vigueur avant la signature de la convention cadre. Par la suite, deux autres conventions cadre prévoyant une date commune pour la modification des salaires de tous les groupes ont été signées. La convention cadre de 1987 a été signée le 9 juillet 1986 et a expiré le 30 septembre 1987, et la convention cadre de 1990 a été signée le 20 avril 1989 et a expiré le 30 septembre 1990.

Les négociations relatives à la convention cadre de 1993 ont été entamées le 7 septembre 1990 et se sont poursuivies jusqu’au 12 février 1991. Comme on n’arrivait à aucun accord, les questions non résolues ont été déférées à un bureau de conciliation constitué en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35. Selon l’entente conclue entre l’Institut et le Conseil du Trésor, les recommandations du bureau de conciliation devaient être exécutoires pour les deux parties. Le bureau de conciliation a remis le 16 août 1991 un rapport qui contenait une disposition permettant à des unités de négociation de se retirer de la négociation cadre (article 48). Dans leur rapport, les membres du bureau ont précisé que lorsque la disposition de retrait serait invoquée, la durée de la convention cadre serait prorogée au-delà de la durée par ailleurs fixée et que l’unité de négociation devait recevoir une augmentation proportionnelle de 3 % pour cette période prorogée.

Comme nous l’avons déjà signalé, comme tous les groupes qui avaient accepté de prendre part aux négociation cadre en 1985 avaient conclu avec le Conseil du Trésor des conventions collectives distinctes qui prévoyaient des dates d’expiration différentes, un mécanisme a été incorporé dans la disposition de la convention cadre intitulée « Durée de la convention ». Cette disposition a reçu le numéro 46 dans la convention cadre de 1987 et le numéro 48 dans la convention cadre de 1990 et dans celle de 1993. Bien que les dates furent différentes et que l’on ait procédé à des remaniements mineurs, le texte de l’article est demeuré inchangé dans chacune des trois conventions collectives cadre. L’article 48 de la convention cadre de 1993 dispose notamment :

48.01 Sous réserve des clauses 48.03 et 48.04, la durée de la présente convention collective va du jour de sa signature jusqu’au 30 septembre 1993.

48.02 À moins d’indications contraires précises figurant dans le texte, les dispositions de la présente convention collective entrent en vigueur à la date de sa signature.

48.03 Si l’une des parties établit qu’une ou des unités de négociation, comme le prévoient les articles 2 et 26 de la présente convention, ne prendront pas part à la prochaine ronde de négociation de la convention collective cadre, l’agent négociateur ou l’employeur l’indique par écrit à l’autre partie et à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Un tel avis de retrait doit être remis à l’autre partie au moins soixante (60) jours avant la fin de la présente convention collective indiquée à la clause 48.01.

a)   Lorsqu’aucun avis de retrait n’est reçu pour une ou des unités de négociation précisées aux articles 2 et 26 au cours de la période prévue, les parties conviennent que ces unités de négociation feront partie de la prochaine ronde de négociation de la convention collective cadre.

b) (i)  Lorsqu’un avis de retrait écrit est remis par l’une des parties dans le délai prévu, la convention collective de l’unité ou des unités de négociation qui veulent se retirer prendra fin à la date indiquée à l’article 48.04 plutôt qu’à la date indiquée à l’article 48.01.

(ii)  Si une ou des unités de négociation se retirent des négociations communes, les taux de rémunération à l’appendice « A » seront modifiés par l’addition d’une ligne « C ». La ligne « C » sera établie en augmentant les taux de rémunération de la ligne « B » de 3 % calculés au prorata fondé sur la période mentionnée à la clause 48.04.

La clause 48.03 permettait donc à des groupes de se retirer de la prochaine ronde de négociation cadre en transmettant un avis au moins 60 jours avant le 30 septembre 1993. Lorsqu’un groupe décidait de se retirer, la clause 48.03b) prorogeait au-delà du 30 septembre 1993 la durée de la convention cadre pour le groupe en question, qui avait alors droit à une augmentation proportionnelle de 3 % calculée en fonction de la date d’expiration prorogée. La clause 48.04 énumérait les groupes que nous avons déjà mentionnés et, pour les groupes qui se retiraient, la convention cadre était prorogée à une date comprise entre le 21 décembre 1993 et le 20 juillet 1994.

La convention cadre de 1993 a été signée le 24 septembre 1991 et a expiré le 30 septembre 1993. Elle prévoyait une augmentation de salaire de 4,7 %, qui prenait effet le 1er octobre 1990, une augmentation de 0 %, qui prenait effet le 1er octobre 1991 et une augmentation de 3 %, qui prenait effet le 1er octobre 1992.

Dans son budget du 26 février 1991, le gouvernement du Canada (le gouvernement) a annoncé sa décision de restreindre les activités du gouvernement en bloquant les budgets de fonctionnement des ministères à leur niveau d’alors et en comprimant les salaires et les traitements des ministres du Cabinet, des députés, des personnes nommées en vertu d’un décret et de tous les fonctionnaires fédéraux. Le gouvernement a déclaré qu’il n’était pas disposé à envisager d’augmenter les salaires de plus de 3 % par année. Suivant l’intimé, cette décision a été prise à titre de mesure pour juguler l’inflation et réduire le déficit.

Le 16 septembre 1991, le gouvernement a présenté le projet de loi C-29, la Loi sur la rémunération du secteur public (la LRSP), à la Chambre des communes. À l’époque, les parties n’avaient pas encore signé la convention cadre de 1993, qui a été signée le 24 septembre 1991. Cependant, la LRSP, L.C. 1991, ch. 30, a reçu la sanction royale le 2 octobre 1991 et est entrée en vigueur le 3 octobre 1991, date à laquelle la convention cadre de 1993 avait été signée.

Les articles 5 et 6 de la LRSP ont prorogé la plupart des régimes de rémunération de deux ou de trois ans, selon que le régime de rémunération expirait ou non au plus tard le 26 février 1991. Voici le libellé des articles 5 et 6 :

5. (1) Sous réserve de l’article 11, le régime de rémunération en vigueur le 26 février 1991 pour des salariés visés par la présente loi, notamment tout régime de rémunération prorogé en vertu de l’article 6, est prorogé de deux ans à compter de la date prévue, en l’absence du présent article, pour son expiration.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), un régime de rémunération est réputé en vigueur le 26 février 1991 si les parties sont auparavant convenues par écrit de l’établir de façon qu’il entre en vigueur à l’expiration du régime de rémunération précédent et s’il est établi au plus tôt à cette date sans modification.

6. Sous réserve de l’article 11, le régime de rémunération de salariés visés par la présente loi qui, en l’absence du présent article, aurait expiré avant le 26 février 1991 et qui n’a pas été remplacé avant cette date, ou à cette date au plus tôt en conformité avec le paragraphe 5(2), est prorogé d’une année à compter de sa date d’expiration originelle.

Aux termes de l’article 11 de la LRSP, le régime de rémunération qui est établi—de façon qu’il entre en vigueur à l’expiration du régime précédent—pendant la période commençant le 26 février 1991 (date du budget fédéral) et se terminant la veille de l’entrée en vigueur de la LRSP (le 2 octobre 1991) n’est pas assujetti aux dispositions de blocage de la rémunération prévues aux articles 5 et 6 de la LRSP. Le requérant est d’avis que la convention cadre de 1993 tombe sous le coup de l’article 11 et qu’elle n’était donc pas assujettie aux dispositions de blocage de la rémunération de la LRSP. L’article 11 prévoyait également que, sur la recommandation du Conseil du Trésor, le gouverneur en conseil pouvait, en conformité avec la politique salariale annoncée par le gouvernement dans son budget du 26 février 1991, modifier les taux de salaire prévus par le nouveau régime de rémunération visé par cet article. Le paragraphe 11(1) est ainsi libellé :

11. (1) Les articles 5 et 6 ne s’appliquent pas au régime de rémunération de salariés visés par la présente loi qui soit était en vigueur le 26 février 1991, soit avait expiré avant cette date dans le cas où un nouveau régime de rémunération est établi—de façon qu’il entre en vigueur à l’expiration du régime précédent—pendant la période commençant le 26 février 1991 et se terminant :

a) soit la veille de l’entrée en vigueur de la présente loi;

b) soit à la date de son entrée en vigueur, ou postérieurement à celle-ci, dans le cas où la procédure de règlement des différends relatifs au régime est leur renvoi à l’arbitrage et qu’une demande en ce sens a été présentée avant cette date conformément à la législation applicable au régime.

Le gouverneur en conseil peut, sur recommandation du Conseil du Trésor, modifier les taux de salaire prévus par le nouveau régime de rémunération pour les périodes et des montants qu’il estime conformes à la politique salariale du gouvernement du Canada découlant du budget du 26 février 1991. Ces taux de salaire modifiés sont réputés faire partie du nouveau régime de rémunération.

Suivant le requérant, la régime de rémunération prévu par la convention cadre de 1993 a été accepté à l’automne 1991 par le Conseil du Trésor, qui n’a pas recommandé au gouverneur en conseil de modifier ce régime qui, comme le prévoit l’article 48 de la convention cadre, accordait une augmentation proportionnelle de 3 % à chaque groupe qui choisissait de se retirer de la négociation cadre au cours de la prochaine ronde de négociation. Le requérant fait également remarquer qu’avant et après la signature de la convention cadre, le Conseil du Trésor a informé des représentants de l’Institut que la convention cadre de 1993 serait respectée, étant donné qu’elle n’entrait pas en conflit avec les mesures législatives portant compression des salaires (voir les affidavits de MM. McIntosh et Grenier). Le requérant en infère qu’à l’époque, la position du Conseil du Trésor était que la convention cadre de 1993 répondait aux objectifs des politiques de rémunération du gouvernement et que la convention collective en question ne justifiait une modification unilatérale de la part du gouverneur en conseil.

Le 10 décembre 1992, le gouvernement a présenté à la Chambre des communes le projet de loi C-105, la Loi de 1993 sur la compression des dépenses publiques, qui modifiait notamment la LRSP. La Loi de 1993 sur la compression des dépenses publiques a par la suite été retirée et remplacée par le projet de loi C-113, la Loi no 2 de 1993 sur la compression des dépenses publiques (Loi no 2 sur la compression), qui a été présentée le 17 février 1993 et a été sanctionnée le 2 avril 1993 [L.C. 1993, ch. 13]. Les modifications proposées à la LRSP étaient identiques à celles qui étaient contenues dans le projet de loi C-105 et elles devaient donner effet à l’exposé économique du 2 décembre 1992 du gouvernement. Les articles 3 à 8, qui traitent de la LRSP, étaient réputés être entrés en vigueur le 10 décembre 1992, et les articles 2 et 26, le 1er avril 1992. L’article 8 de la Loi no 2 sur la compression dispose :

8. (1) Le passage du paragraphe 11(1) de la même loi [la LRSP] qui suit l’alinéa b) est abrogé et remplacé par ce qui suit :

Le gouverneur en conseil peut, sur recommandation du Conseil du Trésor, modifier les taux de salaire prévus par le nouveau régime de rémunération pour les périodes et des montants qu’il estime conformes à la politique salariale du gouvernement du Canada découlant du budget du 26 février 1991 ou de l’Exposé économique et financier du 2 décembre 1992. Ces taux de salaire modifiés sont réputés faire partie du nouveau régime de rémunération.

(2) L’article 11 de la même loi est modifié par adjonction de ce qui suit :

(3) Le nouveau régime de rémunération visé au présent article :

a) est prorogé de deux ans à compter de la date prévue, en l’absence du présent paragraphe, pour son expiration;

b) est réputé comporter une disposition prévoyant que les taux de salaire en vigueur à la date où, en l’absence du présent paragraphe, il aurait expiré ne peuvent être augmentés pendant les deux années qui suivent cette date.

Le requérant est d’avis que cette modification, particulièrement l’alinéa 8(3)b), proroge de deux ans les taux de salaire en vigueur aux termes de la convention cadre, à savoir l’augmentation de 3 %. L’intimé est d’avis qu’en raison de la LRSP, dans sa version modifiée, les régimes de rémunération des groupes visés par la convention cadre sont bloqués jusqu’au 30 septembre 1995.

Le 28 janvier 1993, l’Institut a remis au Conseil du Trésor, au nom de chacun des 18 groupes prenant part aux négociation cadre, un avis informant le Conseil du Trésor qu’en vertu de l’article 48 de la convention cadre, chaque groupe désirait se retirer de la négociation cadre. Dans ce même avis, l’Institut a souligné que la convention cadre de 1993 serait prorogée à une date prévue par la clause 48.04 et que chaque groupe toucherait, jusqu’à la nouvelle date d’expiration, une augmentation proportionnelle de 3 % calculée en fonction de la période prorogée, conformément à la clause 48.03b)(ii).

Par lettre datée du 30 avril 1993, le Conseil du Trésor a informé l’Institut que les demandes devaient être examinées en tenant compte de la Loi no 2 sur la compression. Par lettre datée du 17 juin 1993, le Conseil du Trésor a avisé l’Institut que les groupes pouvaient se retirer de la négociation cadre, tout en ajoutant qu’il ne mettrait pas en vigueur l’augmentation proportionnelle prévue à la clause 48.03b)(ii). Le Conseil du Trésor s’est dit d’avis que les mesures législatives relatives aux salaires ne permettaient pas d’appliquer l’augmentation proportionnelle de 3 % aux régimes de rémunération des groupes visés. En d’autres termes, les dispositions de l’article 48 relatives à l’augmentation des salaires étaient inapplicables, étant donné que les régimes de rémunération étaient assujettis aux dispositions de blocage prévues par la LRSP, dans sa version modifiée.

Le 27 juillet 1993, l’Institut a fait un renvoi devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu de l’article 99 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 72] de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Dans ce renvoi, l’Institut contestait l’interprétation que le Conseil du Trésor avait faite de l’article 48 de la convention cadre, à la lumière de la LRSP, modifiée. Une audience visée par l’article 99 devait s’ouvrir le 21 octobre 1993.

Le 15 septembre 1993, l’Institut a informé le Conseil du Trésor que le refus de mettre en application l’augmentation proportionnelle constituait une violation de l’article 48 de la convention cadre en ce qui concernait chacun des salariés de chacun des groupes visés. Par conséquent, l’Institut a demandé 10 000 formules de griefs pour que chaque membre puisse présenter un grief salarial.

Par le Décret C.P. 1993-1868 daté du 24 septembre 1993, le gouverneur en conseil a ramené à 0 % les taux prévus à la clause 48.03b)(ii) de la convention cadre pour chacune des périodes mentionnées à l’article 48.04 de la convention cadre de 1993. Une copie du Décret a été transmise à l’Institut par lettre datée du 30 septembre 1993. Dans cette lettre, on offrait également aux groupes de l’Institut l’occasion de revenir sur leur décision de se retirer, compte tenu du fait que les groupes qui se retiraient feraient l’objet d’un « blocage » pour une période de temps prorogée.

Aux termes d’une entente conclue entre les parties le 18 octobre 1993, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a ajourné sine die l’audition du renvoi fondé sur l’article 99. Le 28 octobre 1993, l’Institut a présenté une demande de contrôle judiciaire du Décret C.P. 1993-1868.

Le requérant fait remarquer qu’au cours de l’été 1991, le Conseil du Trésor a signé des conventions collectives qui contenaient de nouveaux régimes de rémunération visés par l’article 11 de la LRSP. Les deux parties renvoient à la convention collective des officiers de navires qui a été signée le 26 juin 1991 par la Guilde de la marine marchande du Canada (GMMC) et le Conseil du Trésor. La convention collective de la GMMC avait une durée de trois ans et demi; elle prenait effet le 1er septembre 1990 et expirait le 31 mars 1994. Elle prévoyait des augmentations de salaire de 0 % la première année, de 3 % la deuxième et de 3 % la troisième.

Suivant le requérant, le Conseil du Trésor n’a jamais fait de recommandation au gouverneur en conseil, au sens de l’article 11 de la LRSP, pour que le gouverneur en conseil modifie le régime de rémunération intégré dans la convention collective de la GMMC. Le requérant constate que, bien que le Conseil du Trésor adopte le point de vue selon lequel l’augmentation de salaire prévue à l’article 48 de la convention cadre de 1993 était assujettie aux dispositions de blocage de la LRSP, le Conseil du Trésor a mis en application le 1er avril 1993 l’augmentation annuelle de 3 % prévue pour toute la durée de la troisième année de la convention collective de la GMMC. Le requérant estime également que, dans le contexte des régimes de rémunération régis par l’article 11 de la LRSP, l’Institut est le seul agent négociateur dont le régime de rémunération a été modifié par suite de la prise du Décret du gouverneur en conseil.

En revanche, l’intimé prétend que le groupe des officiers de navires était la seule unité de négociation au sein de la fonction publique à être d’accord avec le programme gouvernemental de compression de trois ans qui a été annoncé dans le budget du 26 février 1991 et qui a été réaffirmé par le président du Conseil du Trésor dans sa déclaration du 19 juin 1991 devant la Chambre des communes.

L’intimé a énuméré les décrets suivants qui ont été pris en application du paragraphe 11(1) de la LRSP relativement à d’autres groupes que ceux qui sont visés par la demande de contrôle judiciaire :

— Décret C.P. 1991-10/2535, 12 décembre 1991;

— Décret C.P. 1991-9/2535, 12 décembre 1991;

— Décret C.P. 1991-14/2375, 28 novembre 1991.

THÈSE DU REQUÉRANT

En ce qui concerne la question de la compétence, le requérant maintient que l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale me confère la compétence pour connaître de toute demande de réparation de la nature d’un bref de certiorari présentée contre La Reine et il ajoute qu’en conséquence, j’ai compétence pour annuler le Décret C.P. 1993-1868.

La thèse du requérant est que la LRSP n’a pas annulé l’augmentation proportionnelle de 3 % prévue à la clause 48.03b)(ii) de la convention cadre et que, n’eût-été le Décret C.P. 1993-1868, le Conseil du Trésor n’aurait pas eu le droit de refuser de mettre en application la modification salariale prévue à la clause 48.03b)(ii).

Sur la question du contrôle judiciaire des décrets, le requérant fait valoir que le Décret C.P. 1993-1868 a été promulgué par le gouverneur en conseil le 24 septembre 1993. Le gouverneur en conseil constitue ce qu’on pourrait appeler le pouvoir exécutif officiel ou apparent de l’État. Citant l’arrêt Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, le requérant soutient en outre que la Cour suprême du Canada a déclaré que les autorités publiques, y compris le pouvoir exécutif, doivent agir de bonne foi et non pour des motifs capricieux ou non pertinents. Le requérant affirme que la jurisprudence appuie la proposition que lorsque le pouvoir discrétionnaire de l’exécutif ou du ministre a été exercé de mauvaise foi ou sur le fondement de considérations non pertinentes ou étrangères à l’objet de la loi, les tribunaux devraient intervenir.

Le requérant soutient également que lorsque l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire a donné lieu à une grave injustice, cette injustice peut constituer un abus de pouvoir discrétionnaire. Il ajoute que les tribunaux devraient intervenir lorsqu’une autorité publique exerce son pouvoir discrétionnaire de façon discriminatoire. En conséquence, après avoir cité plusieurs décisions, dont le jugement Gingras c. Canada, [1990] 2 C.F. 68(1re inst.), le requérant maintient que les décisions discrétionnaires peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire et qu’elles doivent respecter strictement les limites de l’objet et de l’esprit de la loi et que les tribunaux devraient intervenir lorsqu’une autorité publique a agi dans un but répréhensible.

Le requérant soutient essentiellement que les actes suivants démontrent que le Conseil du Trésor et le gouverneur en conseil ont tous les deux exercé leur pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi et pour des motifs répréhensibles ou non pertinents en modifiant les taux de salaire prévus par la convention cadre. Il ajoute que la façon dont ils ont exercé leur pouvoir discrétionnaire a eu un effet discriminatoire et qu’ils ont de ce fait commis un abus de pouvoir :

1) La convention cadre a été signée le 24 septembre 1991;

2) La convention cadre prévoyait une augmentation proportionnelle de 3 % pour les groupes qui se retiraient de la négociation cadre. Cette augmentation proportionnelle devait prendre effet le 1er octobre 1993;

3) La LRSP est entrée en vigueur le 3 octobre 1991. L’article 11 de la LRSP permettait au gouverneur en conseil, sur la recommandation du Conseil du Trésor, de modifier les taux de salaire prévus par la convention cadre de 1993;

4) À plusieurs reprises, le Conseil du Trésor a informé l’Institut que la convention cadre de 1993 répondait aux objectifs fixés dans les politiques de rémunération du gouvernement et qu’elle ne justifiait donc aucune modification unilatérale des taux de salaire de la part du gouverneur en conseil. En conséquence, le Conseil du Trésor n’a pas recommandé au gouverneur en conseil de modifier les taux de salaire prévus par la convention cadre de 1993 (voir l’affidavit de M. McIntosh);

5) Le 2 avril 1993, la LRSP a été modifiée [L.C. 1993, ch. 13, art. 4] de façon à proroger de deux ans des conventions comme la convention cadre de 1993. Les modifications avaient pour effet de protéger le droit du Conseil du Trésor de recommander au gouverneur en conseil de modifier les taux de salaire pour qu’ils soient conformes à la politique salariale du gouvernement du Canada. Ces modifications ont été déposées pour la première fois le 10 décembre 1992 et elles ont reçues la sanction royale le 2 avril 1993;

6) Une fois de plus, le Conseil du Trésor n’a pas recommandé la modification des taux de salaire prévus par la convention cadre de 1993;

7) Le 28 janvier 1993, l’Institut a transmis au Conseil du Trésor un avis l’informant que chacun de ses 18 groupes se retirerait de la négociation cadre et que, conformément à la clause 48.03b)(ii) de la convention cadre de 1993, chaque groupe devait recevoir une augmentation de salaire de 3 % à compter du 1er octobre 1993 pour la période prorogée de la convention. Le requérant maintient que le Conseil du Trésor a refusé de reconnaître qu’il était contractuellement tenu d’accorder l’augmentation proportionnelle de 3 %;

8) Le 27 juillet 1993, l’Institut a, en vertu de l’article 99 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, fait un renvoi dans lequel il a contesté le refus anticipé du Conseil du Trésor de mettre en vigueur l’augmentation de 3 % contenue dans la convention cadre de 1993. L’audience devait avoir lieu le 21 octobre 1993;

9) Le 15 septembre 1993, l’Institut a obtenu du Conseil du Trésor des formules de grief pour permettre à chacun de ses membres de présenter un grief salarial;

10) Suivant le requérant, le bien-fondé de la politique elle-même, ainsi que l’éventuelle présentation des griefs individuels, permettaient de croire que le Conseil du Trésor serait débouté de sa prétention que la LRSP empêchait l’application de l’augmentation proportionnelle de 3 % prévue par la convention cadre de 1993;

11) Par lettre datée du 30 septembre 1993, le Conseil du Trésor a informé l’Institut qu’un décret ramenant de 3 % à 0 % l’augmentation proportionnelle avait été pris;

12) Il était loisible au Conseil du Trésor, à compter du 2 octobre 1991, de recommander au gouverneur en conseil de modifier conformément à la politique salariale du gouvernement du Canada les taux de salaire prévus par la convention cadre de 1993. Pourtant, malgré ses assurances contraires, le Conseil du Trésor a attendu deux ans après que l’occasion lui en eut été donnée pour la première fois pour recommander la modification du régime de rémunération contenu dans la convention cadre de 1993, au motif qu’elle n’était pas conforme à la politique salariale du gouvernement du Canada;

13) La convention collective signée avec la GMMC prévoyait une augmentation de 3 % la troisième année de la convention. La convention collective de la GMMC a expiré le 31 mars 1994. Pourtant, le Conseil du Trésor n’a pas recommandé au gouverneur en conseil de modifier le régime de rémunération incorporé dans la convention collective de la GMMC. Le requérant soutient que, dans le contexte des régimes de rémunération régis par l’article 11 de la LRSP, l’Institut est le seul agent négociateur dont le régime de rémunération a été modifié par suite du décret du gouverneur en conseil.

Le requérant affirme que, de toute évidence, la véritable raison pour laquelle le Conseil du Trésor a recommandé au gouverneur en conseil de ramener de 3 % à 0 % l’augmentation proportionnelle de salaire était qu’il prévoyait perdre le renvoi fondé sur l’article 99. Le requérant fait remarquer qu’il ne semble exister aucune autre raison qui pourrait expliquer le délai de deux ans qui s’est écoulé avant que le Conseil du Trésor décide que les taux de salaire prescrits par la convention cadre de 1993 étaient incompatibles avec la politique salariale du gouvernement du Canada.

Le requérant fait également valoir que, bien que l’article 11 de la LRSP énonce que la seul motif pour lequel le gouverneur en conseil peut modifier des taux de salaire est de s’assurer que le régime de rémunération est compatible avec la politique salariale du gouvernement du Canada, le Conseil du Trésor et le gouverneur en conseil n’ont pas tenu compte de cette exigence et ont plutôt mis le décret en vigueur de mauvaise foi et dans un but répréhensible et injustifié, avec un résultat discriminatoire.

En ce qui concerne la charge de fournir des explications, le requérant soutient qu’elle est déplacée sur l’organe exécutif ou sur le ministre dès qu’une preuve suffisante à première vue de mauvaise foi a été faite (voir la décision Shawn v. Robertson, [1964] 2 O.R. 696 (H.C.)).

THÈSE DE L’INTIMÉ

L’intimé soutient essentiellement que le gouverneur en conseil n’a pas commis d’abus de pouvoir et qu’il n’a pas par ailleurs outrepassé la compétence que lui confère le paragraphe 11(1) de la LRSP en prenant le Décret C.P. 1993-1868.

En ce qui concerne la LRSP, l’intimé souligne qu’elle a été édictée par le législateur fédéral pour mettre en application la politique gouvernementale de compression des salaires du secteur public annoncée dans le budget du 26 février 1991. La LRSP a par la suite été modifiée par la Loi no 2 sur la compression pour confirmer la poursuite et l’élargissement de la politique annoncée par le gouvernement dans son exposé économique et financier du 2 décembre 1992. L’intimé souligne également que, pour atteindre ses objectifs, la LRSP a prorogé la durée des régimes de rémunération du secteur public et qu’elle a modifié les taux de salaire qui y étaient prévus. Pour s’assurer que les régimes de rémunération soient traités de façon uniforme, la LRSP les a classés selon leur date d’expiration.

L’intimé soutient que la convention cadre de 1993 faisait partie de la catégorie des régimes de rémunération assujettis à l’article 11 de la LRSP. En conséquence, elle a été prorogée au 30 septembre 1995 et, pour s’assurer qu’elle soit conforme à l’exposé économique et financier du 2 décembre 1992, on a interdit toute augmentation de taux de salaire au cours de la période de prorogation, à savoir entre le 1er octobre 1993 et le 30 septembre 1995. L’intimé fonde son argumentation sur les éléments suivants : la convention cadre de 1993 faisait partie de la troisième catégorie de régimes de rémunération, à savoir les régimes établis entre le 26 février 1991 et le 2 octobre 1991. Les régimes qui font partie de cette catégorie ne faisaient l’objet ni de la prorogation prévue aux articles 5 et 6 de la LRSP, ni de la modification des taux de salaire prévue aux articles 9 et 10. L’article 11 prévoyait plutôt que le gouverneur en conseil pouvait modifier les taux de salaire prescrits par les régimes en question pour qu’ils soient conformes à la politique salariale du gouvernement découlant de son budget du 26 février 1991. L’intimé souligne que le législateur a modifié l’article 11 de la LRSP par la Loi no 2 sur la compression pour y ajouter la mention de l’exposé économique et financier du 2 décembre 1992. L’article 11 a également été modifié pour proroger les régimes de rémunération qu’il visait de 24 mois à compter de la date par ailleurs prévue pour l’expiration des régimes en question et pour bloquer les taux de salaire prévus par ces régimes.

L’intimé soutient également que l’augmentation demandée par l’Institut est incompatible avec l’exposé économique et financier du 2 décembre 1992 du gouvernement et avec l’objet général de la LRSP. Dans son exposé, le gouvernement a annoncé que les taux de salaire du secteur public ne seraient pas augmentés pendant la période en question. L’article 11 de la LRSP donne suite à cet exposé en bloquant les taux de salaire pour la période en cause. L’intimé maintient, sur le fondement du paragraphe 31(3) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 et la décision Philco Corp. v. R.C.A. Victor Corp., [1967] 1 R.C.É. 450, que lorsqu’un pouvoir est conféré par une loi, il peut être exercé chaque fois que les circonstances l’exigent. En tant que tel, le gouverneur en conseil n’avait aucune raison d’invoquer le paragraphe 11(1) de la LRSP tant qu’il n’avait pas reçu de l’Institut un avis l’informant que les groupes régis par la convention cadre n’avaient pas l’intention de prendre part à la prochaine ronde de négociation cadre et qu’ils demandaient une augmentation de salaire. Lorsqu’il est devenu évident que les groupes en question demandaient une augmentation de salaire, le gouverneur en conseil pouvait exercer le pouvoir que lui conférait cet article.

En ce qui concerne le contrôle judiciaire du Décret, l’intimé fait valoir que le pouvoir accordé au gouverneur en conseil par l’article 11 de la LRSP concerne une question de commodité publique et de politique générale, en l’occurrence la mise en application de la politique salariale du gouvernement découlant de son budget du 26 février 1991 et de son exposé économique et financier du 2 décembre 1992. Il habilite le gouverneur en conseil à élargir la portée de l’article en question et est donc, fait valoir l’intimé, de caractère législatif. L’intimé ajoute que, lorsqu’il contrôle un décret de cette nature, le tribunal ne peut sonder les mobiles qui ont conduit le gouverneur en conseil à prendre le décret. L’intimé affirme plutôt que, lorsqu’il procède à un contrôle judiciaire, le tribunal doit se borner à se demander si, en exerçant ses fonctions, le gouverneur en conseil a respecté les limites fixées par l’attribution de pouvoirs du législateur fédéral et s’il s’est conformé aux conditions prescrites par la loi.

À titre subsidiaire, l’intimé soutient que, si les mobiles qui ont poussé le gouverneur en conseil à prendre le Décret sont pertinents, le Décret est valide, pourvu que l’un des objets du Décret cadre avec le mandat du gouverneur en conseil. L’intimé maintient que le fait qu’il ait existé des objets qui débordent le cadre du mandat ne fait pas échec au Décret.

L’intimé affirme également que le Décret a été pris dans un but qui est visé par le paragraphe 11(1) de la LRSP, c’est-à-dire pour s’assurer que les taux de salaire prescrits par la convention cadre pour les groupes qui se retirent de la négociation cadre soient compatibles avec la politique salariale du gouvernement. Le fait que le renvoi fait par l’Institut en vertu de l’article 99 soit mis en échec en conséquence du Décret ne rend pas de ce fait le Décret ultra vires.

L’intimé soutient en outre que, même si elle est démontrée, la discrimination ne constitue pas un motif d’annulation d’un décret de caractère législatif (appelé aussi décret-loi).

QUESTIONS EN LITIGE

La question qui m’est soumise porte essentiellement sur la possibilité de contrôler le Décret C.P. 1993-1868 et sur la question de savoir si le Décret découle d’un exercice irrégulier d’un pouvoir discrétionnaire et s’il constitue un abus de pouvoir.

ANALYSE

En ce qui concerne le contrôle judiciaire du Décret, la première question à aborder est celle de la nature de l’acte ou de la fonction qu’accomplit le gouverneur en conseil en vertu de l’article 11 de la LRSP, compte tenu de l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735. En d’autres termes, il me faut déterminer si le Décret C.P. 1993-1868, qui a été pris en application de l’article 11 de la LRSP et qui a modifié la clause 48.03b)(ii), constitue une décision discrétionnaire qui est de la nature d’une politique ou d’une mesure législative et qui donne ouverture au contrôle judiciaire pour des motifs limités ou s’il a été pris dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi et s’il est par conséquent susceptible de contrôle judiciaire selon les principes ordinaires du droit administratif (voir les observations du juge Linden, J.C.A., dans l’arrêt Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247(C.A.), à la page 255) :

La première question est de savoir si la délivrance par le Ministre de l’avis aux importateurs daté du 8 mai 1989 était une décision discrétionnaire de la nature d’une politique ou d’une action législative qui ne donne pratiquement pas ouverture au contrôle ou s’il s’agissait de l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi, susceptible de contrôle judiciaire selon les principes ordinaires du droit administratif. Le juge de première instance a conclu qu’il s’agissait de l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi et par conséquent susceptible de contrôle dans le sens ordinaire, ce sur, quoi elle s’est fondée pour annuler la décision. Avec égards, je ne partage par son avis — selon moi, la promulgation de l’avis constituait un acte discrétionnaire de la nature d’une ligne directrice en matière de politique et était donc en grande partie exclue du contrôle.

Si l’on considère la question comme une question de commodité publique et de politique générale, les observations faites par le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106, aux pages 111 et 112, s’appliqueraient :

Les décisions prises par le gouverneur en conseil sur des questions de commodité publique et de politique générale sont sans appel et ne peuvent être examinées par voie de procédures judiciaires. Comme je l’ai déjà indiqué, bien qu’un décret du Conseil puisse être annulé pour incompétence ou pour tout autre motif péremptoire, seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure. Tel n’est pas le cas ici.

Lorsqu’il a pris le décret … le cabinet fédéral a agi en vertu du pouvoir que confère le par. 7(2) de la Loi sur le Conseil des ports nationaux aux termes duquel les limites du port de Saint-Jean sont celles décrites à l’annexe de la Loi, « ou celles que détermine, à l’occasion, un décret du gouverneur en conseil ».

Alléguant qu’il avait pour seul objet d’augmenter les revenus du Conseil des ports nationaux, les appelantes attaquent le décret qui étend les limites du port. Elles prétendent qu’en cela le gouverneur en conseil a fait preuve de « mauvaise foi » et soutiennent en outre que l’extension du port à cette fin excède la compétence que le par. 7(2) de la Loi confère au cabinet fédéral et est par conséquent ultra vires. [C’est moi qui souligne.]

Le juge Dickson poursuit, à la page 115 :

Je mentionne ces différents éléments de preuve non pas pour examiner les considérations qui ont pu motiver le gouverneur en conseil à prendre le décret, mais pour démontrer que l’extension du port a été une question économique et politique plutôt qu’une question de compétence ou de droit pur. Le gouverneur en conseil a manifestement cru avoir des motifs raisonnables de prendre le décret … qui étendait les limites du port de Saint-Jean et nous ne pouvons nous enquérir de la validité de ces motifs afin de déterminer la validité du décret.

L’intimé fait remarquer que l’augmentation demandée par l’Institut est incompatible avec l’exposé économique et financier du 2 décembre 1992 du gouvernement et avec l’objet général de la LRSP. Dans son exposé, le gouvernement a annoncé que les taux de salaire du secteur public ne seraient pas augmentés pour la période en question. L’article 11 de la LRSP a donné suite à cette déclaration en bloquant les taux de salaire. Si je retiens l’assertion de l’intimé suivant laquelle le pouvoir conféré par l’article 11 de la LRSP au gouverneur en conseil se rapporte à une question de commodité publique et de politique générale, c’est-à-dire à la mise en œuvre de la politique salariale du gouvernement du Canada découlant de son budget du 26 février 1991 et de son exposé économique et financier du 2 décembre 1992 et que ce pouvoir est, par conséquent, législatif, je suis régi par le contrôle limité énoncé par la Cour suprême dans les arrêts Inuit Tapirisat (précité) et Thorne’s Hardware (précité). Il faudrait donc que l’erreur soit « flagrante » pour qu’une intervention judiciaire soit justifiée.

S’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Assoc. canadienne des importateurs réglementés (précité), le juge Linden, J.C.A., s’est dit d’avis (contrairement au juge de première instance [[1993] 3 C.F. 199) que la délivrance par le ministre de l’avis aux importateurs constituait un acte discrétionnaire de la nature d’une ligne directrice en matière de politique et qu’elle était donc en grande partie exclue du contrôle. Dans cette affaire, les articles pertinents étaient les articles 5 et 8 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation [L.R.C. (1985), ch. E-19]. En 1989, le gouverneur en conseil avait inscrit les œufs d’incubation sur la liste des marchandises d’importation contrôlée prévue par la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. La contestation portait sur l’avis aux importateurs qui précisait notamment le contingent annuel global, les principes de répartition des contingents et des questions relatives à la délivrances des licences. Les importateurs visés ont demandé la délivrance d’un bref de certiorari annulant la décision relative à la répartition des contingents d’importation, ainsi qu’un bref de mandamus forçant le ministre à délivrer au moins temporairement des licences d’importation sur le fondement de la configuration historique des importations. Le juge Linden a souligné que la formulation de lignes directrices relevait des attributions du ministre et que les lignes directrices ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle ordinaire, sauf en conformité avec les trois exceptions énoncés dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 500(C.A.); confirmé par [1982] 2 R.C.S. 2. Je crois que le juge Linden se référait aux observations suivantes formulées par le juge McIntyre de la Cour suprême, aux pages 7 et 8 :

Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

En conséquence, dans le cas qui nous occupe, le requérant doit établir que le pouvoir discrétionnaire en cause en l’espèce a été exercé de mauvaise foi ou, si nécessaire, sans se conformer aux principes de justice naturelle, ou en se fondant sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l’objet de la loi, sous réserve des nuances que j’ai déjà apportées.

En ce qui concerne l’application des principes de justice naturelle, la Cour suprême a affirmé dans les termes les plus nets que les principes qui régissent l’équité procédurale ne s’appliquent pas aux organismes qui exercent des fonctions purement législatives (voir l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la page 558).

En ce qui concerne la contestation fondée sur la prise en compte de facteurs non pertinents, les observations faites par le juge Linden, aux pages 259 et 260 de l’arrêt Assoc. canadienne des importateurs réglementés peuvent une fois de plus être d’un certain secours :

Le dernier moyen de contestation contre la conduite du ministre portait que celle-ci était fondée sur des facteurs qui n’étaient pas pertinents et n’étaient pas étayés par la preuve. Le juge de première instance était d’avis qu’il n’avait pas été démontré que le système adopté favoriserait un programme national de la gestion des approvisionnements, qu’on ait tenu compte de la possibilité d’une plus grande concentration du marché, ou qu’on se soit fondé sur l’étude de Deloitte, Touche pour appuyer la décision. Elle a plutôt décidé que le but principal était le transfert de bénéfices d’un secteur du marché à un autre, ce qui serait susceptible d’avoir un effet perturbateur sur le marché. En conséquence, le juge de première instance a annulé la décision du ministre parce qu’elle était « fondée sur des considérations étrangères à la question ». En toute déférence, je suis d’avis que le juge de première instance a également commis une erreur à cet égard.

Le fait d’avoir tenu compte de certains facteurs non pertinents ne met pas en péril une décision en matière de politique; c’est seulement lorsqu’une telle décision est fondée entièrement ou principalement sur des facteurs non pertinents qu’elle est contestable. Il n’incombe pas au tribunal de juger si une décision est [traduction] « sage ou ne l’est pas » … Étant donné que ces questions portent sur des « jugements de valeur », notre Cour ne doit pas « [siéger] … à titre d’organisme d’appel en vue de déterminer si le ministère responsable a pris la bonne décision » …

Comme la Cour l’a dit dans l’arrêt Organisation nationale anti-pauvreté c. Canada (P.G.), [1989] 3 C.F. 684 à la page 707, « Même si l’on devait présumer que le gouverneur en conseil visait une double fin (l’une conforme à son mandat … et l’autre excédant son mandat …) je doute que cela servirait la cause des intimés ». Car, comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué, « Les gouvernements ne publient pas les motifs de leurs décisions; ils peuvent être mus par une foule de considérations d’ordre politique, économique ou social, ou par leur propre intérêt ». (Voir Thorne’s Hardware Ltd., précité, aux pages 112 et 113.)

En d’autres termes, pour qu’un tribunal intervienne, on doit s’être fondé principalement sur des questions non pertinentes ainsi que sur une absence de preuve à l’appui de la décision du ministre. [C’est moi qui souligne.]

Le juge Linden conclut dans les termes suivants, à la page 263 :

… il y a suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour appuyer la décision prise par le ministre d’adopter le système qu’il a choisi. Pour arriver à cette décision, il s’est fondé sur des facteurs pertinents. Cela ne veut pas dire qu’il ressort de la preuve qu’il a nécessairement pris la bonne décision. Ce n’est pas la norme de contrôle que nous devons appliquer. En fait, même s’il pouvait être démontré qu’il aurait pris une décision erronée, il n’incombe nullement à notre Cour d’intervenir à l’égard de celle-ci dans les circonstances de l’espèce.

Il semblerait, à la lumière des commentaires qui précèdent, que même si je présumais qu’en prenant le Décret, le gouverneur en conseil a tenu compte du fait que le Conseil du Trésor prévoyait perdre le renvoi fondé sur l’article 99, le Décret ne pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire si je suis convaincu que, conformément à l’article 11 de la LRSP, le gouverneur en conseil a modifié également les taux de salaire pour s’assurer que le régime de rémunération soit compatible avec la politique salariale du gouvernement du Canada. En d’autres termes, même si le gouverneur en conseil a fait entrer d’autres considérations en ligne de compte, comme par exemple le fait qu’il pouvait perdre le renvoi fondé sur l’article 99, il ressort de la jurisprudence qu’à condition que le Décret tombe sous le coup de la LRSP, l’intervention judiciaire n’est pas justifiée, à moins qu’il s’agisse de toute évidence d’un cas « flagrant ».

L’énoncé qui précède s’accorde avec le jugement Doctors Hospital and Minister of Health et al., Re (1976), 12 O.R. (2d) 164, dans lequel, sous la plume du juge Cory (maintenant juge à la Cour suprême du Canada), la Cour divisionnaire de l’Ontario a examiné la Public Hospitals Act, R.S.O. 1970, ch. 378 et son caractère réglementaire en ce qui concerne la dotation en personnel, la gestion et le fonctionnement des hôpitaux publics. Dans cette décision, la Cour a statué que le lieutenant-gouverneur en conseil avait tenu compte de facteurs étrangers aux objets et à l’esprit de la Loi lorsqu’il avait décidé de fermer l’hôpital en cause pour des raisons de compressions budgétaires. La cour a estimé que le lieutenant-gouverneur n’avait pas compétence pour prendre cette décision et que celle-ci était par conséquent nulle. Il semble que, dans cette affaire, le lieutenant-gouverneur ait tenu uniquement compte de facteurs étrangers.

Le requérant invoque le jugement Gingras (précité) à l’appui de sa proposition que les tribunaux doivent intervenir lorsqu’un pouvoir discrétionnaire exécutif ou ministériel a été exercé de mauvaise foi ou que l’on s’est fondé sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l’objet de la loi ou que l’on a agi dans un but répréhensible. L’affaire Gingras portait sur une action en jugement déclaratoire portant que le demandeur, qui avait fait partie de la GRC jusqu’en 1984, puis du SCRS jusqu’à sa retraite en 1988, avait droit à la prime au bilinguisme créée par le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique en 1977. Le demandeur n’avait pas touché sa prime au motif que celle-ci ne faisait pas partie des avantages afférents à son emploi. Le demandeur était bilingue et avait réussi tous les test exigés pour la confirmation du droit à la prime au bilinguisme.

Le juge de première instance a conclu que seul le Conseil du Trésor et, par la suite, le directeur du Service (le SCRS), avaient le pouvoir de prendre une décision au sujet de la rémunération du demandeur, y compris le pouvoir d’accorder ou de refuser la prime au bilinguisme. Toutefois, dans cette affaire, l’acte en question était un acte administratif qui avait été accompli par le Conseil du Trésor et le directeur du SCRS en conformité avec les pouvoirs conférés par la Loi sur la gestion des finances publiques [L.R.C. (1985), ch. F-11] pour mettre en œuvre les politiques d’application générale en matière de bilinguisme dans le but de promouvoir les objectifs de la Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985), ch. O-3]. Dans cette affaire, le juge de première instance n’examinait pas un décret. Les observations formulées au sujet du contrôle judiciaire des décisions administratives sont en elles-mêmes exactes, mais, comme la Cour suprême l’a fait remarquer, elles ne semblent pas s’appliquer aux décrets portant sur des questions de commodité publique et de politique générale.

CONCLUSION

À la lecture de ce qui précède, il est évident que je dois déterminer, à la lumière des faits de l’espèce, si la prise du Décret C.P. 1993-1868 était de caractère « abusif » (en anglais egregious).

Voici en quels termes la 7e édition du Concise Oxford Dictionary, Oxford : Clarendon Press, définit le mot anglais egregious :

[traduction] adj. Choquant. Archaïsme Remarquable, d’où 2. l’adverbe egregiously. Illustre.

Le Shorter Oxford English Dictionary, Clarendon Press, 1993, en donne la définition suivante :

[traduction] 1. Vieilli Remarquable; exceptionnel, frappant; distingué, excellent. 2 Péj. Grossier, flagrant; choquant. 3 Rare Proéminent, protubérant.

Quant au Living Webster Encyclopedic Dictionary of the English Language, Chicago, The English Language Institute of America, 1967, il définit comme suit le terme egregious :

[traduction] Extraordinaire ou remarquable dans un sens péjoratif; flagrant.

Il ressort des définitions précitées du mot anglais egregious (abusif) qu’il me faut déterminer si, lorsqu’il a pris le Décret C.P. 1993-1868, l’intimé a agi uniquement de mauvaise foi et non dans le but de mettre en œuvre une politique budgétaire qui, selon ce qu’il croyait à l’époque, était le programme (politique ou autre) que le gouvernement de l’époque devait suivre.

À la lecture de l’ensemble de la preuve, je suis convaincu que l’intimé a pris le Décret C.P. 1993-1868 dans le but de mettre en œuvre sa politique de compression des salaires.

J’estime qu’il est important de citer des extraits de la déclaration que l’honorable Gilles Loiselle, qui était alors président du Conseil du Trésor, a faite le 19 juin 1991 [Débats de la Chambre des communes, vol. II, 3e sess., 34e Lég., aux pages 2075 à 2077] sur la question de la négociation collective au sein de la fonction publique du Canada, étant donné qu’elle énonce clairement la politique adoptée par le gouvernement de l’époque au sujet de la négociation collective :

Vous vous souviendrez, monsieur le Président, que dans le Budget du 26 février, le ministre des Finances d’alors avait exposé la politique salariale du gouvernement pour les trois prochains exercices financiers. Pour l’exercice 1991-1992, les budgets des ministères sont gelés à leur niveau de l’exercice précédent.

Le ministre avait indiqué à l’époque que toute augmentation salariale négociée au cours du présent exercice se traduirait par une réduction équivalente du nombre d’employés et qu’en tout état de cause, le gouvernement n’envisagerait aucune augmentation supérieure à 3 p. 100 pour l’exercice. Pour les deux exercices suivants, des augmentations annuelles pouvant aller jusqu’à 3 p. 100 sont prévues.

Je dois malheureusement signaler à la Chambre que jusqu’à présent, les syndicats ne se sont pas montrés généralement disposés à accepter les limites établies dans le Budget ni à reconnaître la situation financière qui les justifie.

Les dirigeants syndicaux ont continué à présenter des revendications salariales et non salariales qui dépassent de beaucoup, monsieur le Président, les capacités du Trésor public. En fait, les dirigeants des deux plus grands syndicats, l’Alliance de la Fonction publique et l’Institut professionnel de la Fonction publique du Canada, ont déclaré publiquement, à mon grand regret, que leur syndicat prendrait toutes les mesures nécessaires pour obliger le gouvernement à modifier sa politique salariale.

Je préférerais donc de beaucoup continuer à travailler avec les syndicats pour offrir aux fonctionnaires des règlements équitables qui respectent les limites de ce que le gouvernement et les contribuables ont les moyens de payer.

Parallèlement, je serai le premier à reconnaître que les options que nous avons laissées aux syndicats ne sont pas très alléchantes, pas plus qu’elle ne le sont pour le gouvernement, comme en témoigne l’état actuel des négociations collectives.

Le 21 juin, soit le dernier jour avant que le Parlement n’ajourne ses travaux pour l’été, les conventions collectives de 55 des 80 unités de négociation représentant 165 000 fonctionnaires seront expirées. Cinq d’entre elles le seront alors depuis plus d’un an.

À la reprise des travaux du Parlement en septembre, huit autres conventions seront venues à échéance, et jusqu’à 38 unités de négociation et 170 000 fonctionnaires pourraient déclencher une grève légale. De surcroît, nous nous attendons à ce que des sentences exécutoires soient rendues au début de juillet pour dix-huit groupes professionnels représentés par l’Institut professionnel de la Fonction publique du Canada.

Monsieur le Président, voilà la situation actuelle. J’aimerais maintenant, si vous me le permettez, exposer à la Chambre les principes directeurs que le gouvernement se propose de suivre cet été à mesure que la situation évoluera. Nous continuerons, monsieur le Président, de rechercher des règlements négociés tant que les syndicats seront disposés à venir à la table des négociations. C’est le moins que nous puissions faire pour nos employés et pour le système de négociation collective lui-même, un système qui a rendu de fiers services à l’employeur et aux employés au fil des ans.

Mais si la situation se dégrade au point de devenir inacceptable, nous agirons rapidement et fermement pour y remédier. Nous demanderons le rappel du Parlement et le prierons d’édicter les mesures législatives nécessaires en cas de grèves illégales ou de perturbations déraisonnables des services publics.

Comme l’indiquait le budget, nous prendrons les moyens qui s’imposent pour contrer les effets des sentences exécutoires qui ne respectent pas les lignes directrices concernant le 0-3-3 pour qu’elles s’alignent sur le budget. Si nous sommes obligés de légiférer, monsieur le Président, les mesures adoptées viseront tous les ministères et organismes pour lesquels le Conseil du Trésor est l’employeur, ainsi que d’autres organismes publics financés en grande partie à même les crédits parlementaires, notamment le Parlement lui-même et ses employés. Et les mêmes dispositions s’appliqueront universellement : aucune augmentation de salaires pour l’exercice 1991-1992 ou toute période suivant immédiatement l’expiration d’une convention collective, et hausse de 3 p. 100 l’année suivante.

Trois groupes, qui étaient déjà en négociation avant le budget : les groupes de la traduction, de la vérification et de la gestion des systèmes d’ordinateur auront droit à des règlements salariaux plus élevés pour toute période précédant le début du présent exercice, mais seront ensuite soumis à la règles 0 et 3 p. 100.

Les mesures législatives s’appliqueraient donc aux deux premières années du programme triennal de restrictions salariales annoncé le 26 février dernier dans le budget. Le gouvernement maintient son engagement à l’égard du plafond de 3 p. 100 annoncé dans le budget pour la troisième année du programme. Le ministre des Finances a annoncé dans le budget les taux d’inflation prévus pour les cinq prochaines années : 3 p. 100 à la fin de 1992, 2,5 p. 100 à la mi-1994 et 2 p. 100 à la fin de 1995. Ces niveaux réduits d’inflation devraient nous permettre d’atteindre les objectifs prévus pour la troisième année du programme de restrictions salariales par le biais de la convention collective.

Tout en exprimant mon désir de poursuivre les négociations, je reconnais que pour certains groupes de négociation, il n’est peut-être pas réaliste de s’attendre à un règlement volontaire avant la rentrée parlementaire du 16 septembre. Si tel est le cas, je pense qu’il ira probablement de l’intérêt de tous de déposer en Chambre à ce moment-là une loi de restrictions salariales visant les groupes qui n’ont pas accepté de règlements d’au moins deux ans selon les règles du 0-3-3 p. 100. Je sais parfaitement que cela équivaudrait à suspendre la ronde des négociations collectives, mais c’est peut-être la solution la plus équitable dans les circonstances.

Ainsi que je l’ai précisé, aucun règlement n’est intervenu entre le requérant et l’intimé au sujet des limites de 0-3-3 fixées dans l’exposé budgétaire. Le seul groupe qui est effectivement parvenu à un règlement est la « GMMC », le groupe des officiers de navires.

Les événements que nous avons relatés ont débouché sur le dépôt, par le requérant, le 27 juillet 1993, d’un renvoi fondé sur l’article 99, sur la demande faite le 15 septembre 1993 par la requérant en vue d’obtenir 10 000 formules de griefs et, finalement, sur la prise du Décret C.P. 1993-1868. La CRTFP avait fixé au 21 octobre 1993 la date à laquelle elle devait entendre le renvoi fait en vertu de l’article 99.

Je suis convaincu que ce serait trop une coïncidence de croire que le Décret C.P. 1993-1868 du 24 septembre 1993 n’a pas été pris en raison du renvoi fondé sur l’article 99 qui devait être entendu le 21 octobre 1993 et de la demande de 10 000 formules de griefs faite par le requérant—qui aurait donné lieu à l’introduction de 10 000 instances distinctes à des frais très élevés pour l’intimé.

Si j’étais persuadé que le Décret C.P. 1993-1868 n’a été pris que pour empêcher la tenue des audiences relatives aux griefs ou de l’audience fondée sur l’article 99, je n’hésiterais pas à conclure que le Décret a été pris uniquement de mauvaise foi sur le fondement de facteurs dénués de toute pertinence, ce qui m’amènerait à conclure que la prise du Décret est abusive et que le Décret est en conséquence invalide. Mais il ne m’est pas possible de tirer une telle conclusion. Il ressort en effet de la déclaration de l’honorable Gilles Loiselle que l’intimé devait suivre une politique de compression budgétaire et que, « si la situation se dégrad[ait] au point de devenir inacceptable », le gouvernement en poste agirait « rapidement et fermement pour y remédier ».

Il est évident que l’intimé a jugé que « la situation [s’était] dégrad[ée] au point de devenir inacceptable » lorsqu’il est devenu évident qu’il ne serait pas en mesure de mettre en œuvre sa politique de compression des dépenses s’il permettait que l’audience fondée sur l’article 99 ait lieu comme prévu le 21 octobre 1993 ou s’il permettait que les 10 000 griefs donnent lieu à la tenue d’audiences complètes.

Je répète les propos que le juge Linden [à la page 260] a tenus dans l’arrêt Assoc. canadienne des importateurs réglementés (précité), car il me semblent s’appliquer tout à fait au cas qui nous occupe :

Le fait d’avoir tenu compte de certains facteurs non pertinents ne met pas en péril une décision en matière de politique; c’est seulement lorsqu’une telle décision est fondée entièrement ou principalement sur des facteurs non pertinents qu’elle est contestable.

Vu l’ensemble de la preuve qui m’a été soumise, il m’est impossible de conclure que l’unique ou le principal motif de la prise du Décret C.P. 1993-1868 était d’empêcher l’audition du renvoi fondé sur l’article 99 ou d’empêcher les membres du requérant de présenter un grief.

Je suis convaincu qu’il ressort de la preuve que le gouverneur en conseil visait une double fin, à savoir, mettre en œuvre sa politique de « compression des dépenses » et, en second lieu, empêcher l’audition du renvoi fondé sur l’article 99. Le fait d’affirmer que l’intimé a pris le Décret uniquement dans le but de faire obstacle au renvoi fondé sur l’article 99 parce qu’il craignait de ne pas être satisfait du résultat de ce renvoi n’est qu’une supposition.

Ainsi que le tribunal l’a affirmé dans l’arrêt Organisation nationale anti-pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 3 C.F. 684(C.A.), à la page 707 : « Même si l’on devait présumer que le gouverneur en conseil visait une double fin (l’une conforme à son mandat … et l’autre excédant son mandat … ), je doute que cela servirait la cause des intimés ».

Ainsi que je l’ai déjà affirmé, il ressort de la preuve que l’intimé visait une double fin. En conséquence, je n’ai d’autre choix que de rejeter la demande de contrôle judiciaire.



[1] La thèse de l’employeur est que les augmentations qui prenaient effet le 1er septembre 1990 représentent un rajustement économique de 4,5 % et que de nouvelles sommes ont été ajoutées en raison notamment de la restructuration de l’unité de négociation et des modifications apportées au nombre d’échelons.

[2] Ces augmentations de salaire ne tiennent pas compte des échelons supplémentaires qui ont été ajoutés à chaque niveau du groupe et qui ont une incidence sur la rémunération.

[3] La date d’expiration de la convention collective était le 30 septembre 1993. Des dispositions spéciales ont été insérées à la clause 48.03b); elles prévoient que lorsqu’un avis écrit de retrait de la négociation cadre est donné, la date d’expiration des conventions collectives des unités de négociation qui veulent se retirer est celle qui est fixée à la clause 48.04 plutôt que celle qui est précisée à la clause 48.01 (le 30 septembre 1993). Les dates d’expiration prévues à la clause 48.04 allaient de décembre 1993 à juillet 1994. Les taux de salaire des groupes qui se retiraient ont été modifiés par une augmentation proportionnelle de 3 % calculée en fonction de la période prévue à la clause 48.04.

Doss. appel P.G. Annexe « B » de l’affidavit de M. Pierce Sutherland—Rapport exécutoire du bureau d’arbitrage (onglet 1, p. 30).

[4] Cette augmentation de pourcentage a été calculée en établissant une comparaison avec les taux maximum de ce groupe prévus dans sa convention collective précédente. Cette convention n’a pas été portée à la connaissance de la Cour. Elle aurait permis de savoir pourquoi ce groupe a fait l’objet de deux augmentations de taux : la première, le 1er février 1991 et la seconde, le 2 février 1991.

[5] Ces augmentations de taux salarial ne tiennent pas compte de l’ajout d’un échelon au niveau maximal de la grille salariale des employés classés LA 1 et de la suppression de certains échelons au niveau minimal de la grille, ce qui a permis à certains employés classés LA de recevoir une rémunération supplémentaire, quel que soit leur niveau.

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