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[1995] 3 C.F. 544

T-1254-92

Le chef John Ermineskin, Lawrence Wildcat, Gordon Lee, Art Littlechild, Maurice Wolfe, Curtis Ermineskin, Gerry Ermineskin, Earl Ermineskin, Rick Wolfe, Ken Cutarm, Brian Lee, Lester Fraynn, chef élu et conseillers de la Bande et de la Nation des Indiens Ermineskin, agissant en leur nom et au nom de tous les autres membres de la Bande et de la Nation des Indiens Ermineskin (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, l’honorable Thomas R. Siddon, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, et l’honorable Donald Mazankowski, ministre des Finances (défendeurs)

Répertorié : Bande indienne Ermineskin c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay— Calgary, 18 septembre; Ottawa, 21 septembre 1995.

Pratique — Communication de documents et interrogatoire préalable — Interrogatoire préalable — Requête sollicitant une ordonnance en vertu de la nouvelle Règle 456(4) enjoignant aux défendeurs de produire un ancien employé de la Couronne en qualité de représentant de la Couronne afin qu’il soit interrogé au préalable — On allègue que cet employé a plus d’expérience et est mieux informé des questions touchant le pétrole et le gaz qu’un autre ancien employé — Aucun n’a la qualité de « gestionnaire, fonctionnaire ou employé » de la Couronne, ces deux personnes ayant quitté leur emploi au sein de la fonction publique — La Règle 456 change implicitement le rôle de la Cour en ce qui a trait à la désignation du représentant de la Couronne aux fins de l’interrogatoire préalable — Elle établit un processus à deux volets — La Cour ne peut intervenir, sauf si la personne désignée par la Couronne n’est ni renseignée ni en mesure d’obtenir des renseignements quant aux faits essentiels aux questions visées par l’interrogatoire préalable — La Couronne doit placer une confiance raisonnable dans son représentant qui a le pouvoir implicite de la lier — L’argument portant qu’un représentant est moins bien renseigné que l’autre ne constitue pas un motif qui permet à la Cour d’intervenir.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 456(1) (mod. par DORS/90-846, art. 15), (2) (mod., idem), (3) (mod., idem), (4) (mod., idem), 465.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. CAE Industries Ltd. et autre, [1977] 2 R.C.S. 566; (1977), 72 D.L.R. (3d) 159; 31 C.P.R. (2d) 236; 13 N.R. 624; Chhabra c. Canada, [1986] F.C.J. no 338 (1re inst.) (QL); Can. Indemnity Co. et al. v. A.G.B.C., [1974] 4 W.W.R. 752; (1974), 49 D.L.R. (3d) 610 (C.S.C.-B.); de Jong v. Milwaukee Insur. Co. (1965), 52 W.W.R. 371; 53 D.L.R. (2d) 155 (C.S.C.-B.); Richter Gedeon Vegyészeti Gyar RT c. Merck & Co. et al. (1994), 87 F.T.R. 230 (C.F. 1re inst.); infirmé [1995] 3 C.F. 330(C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Irish Shipping Ltd. c. La Reine, [1974] 1 C.F. 445(1re inst.); Kodak Canada Ltd. c. Polaroid Corp. (1976), 29 C.P.R. (2d) 181 (C.F. 1re inst.); Smith (S M) c. La Reine, [1981] CTC 476; (1981), 81 DTC 5351 (C.F. 1re inst.).

REQUÊTE sollicitant une ordonnance en vertu du paragraphe 456(4) des Règles de la Cour fédérale afin qu’un ancien employé de la Couronne comparaisse en qualité de représentant de la Couronne et soit interrogé au préalable. Requête rejetée.

AVOCATS :

James A. O’Reilly, Edward H. Molstad, c.r., Marco S. Poretti, L. Douglas Rae, et Judy D. MacLachlan pour la Bande Samson demanderesse.

L. Leighton Decore pour la Bande Enoch demanderesse.

Marvin R. V. Storrow, c.r., et Malcom O. MacLean pour la Bande Ermineskin demanderesse.

Alan D. Macleod, c.r., W. Clarke Hunter, Thomas E. Valentine et Mary E. Comeau pour les défendeurs.

PROCUREURS :

O’Reilly & Associates, Montréal, Parlee McLaws, Edmonton, et Rae & Company, Calgary, pour la Bande Samson demanderesse.

Blake, Cassels & Graydon, Vancouver, pour la Bande Ermineskin demanderesse.

Biamonte, Cairo & Shortreed, Edmonton, pour la Bande Enoch demanderesse.

Macleod, Dixon, Calgary, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Les demandeurs (les demandeurs Ermineskin) sollicitent une ordonnance en vertu du paragraphe 456(4) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/90-846, art. 15)] afin que les défendeurs (la Couronne) produisent M. Edward E. Moore en qualité de représentant de la Couronne afin qu’il soit interrogé au préalable par les demandeurs. L’ordonnance enjoindrait à M. Moore de témoigner pour éviter qu’une autre personne soit désignée par la Couronne pour témoigner en son nom, alors que les demandeurs n’ont pas encore commencé leur interrogatoire préalable.

Le contexte

Les circonstances de l’affaire sont assez inhabituelles. La requête est présentée dans le cadre d’une action intentée par les demandeurs, dont l’instruction doit avoir lieu simultanément avec celle de deux autres actions : Le chef Victor Buffalo et autres c. Sa Majesté la Reine et autres (T-2022-89) (concernant les demandeurs Samson), et Le chef Jerome Morin et autres c. Sa Majesté la Reine (T-1386-90) (concernant les demandeurs Enoch). Ces trois actions soulèvent des questions semblables et comportent des demandes similaires. Elles doivent être tranchées à partir d’une preuve commune concernant des allégations d’abus de confiance et de manquement à d’autres obligations fiduciaires, par la Couronne, relativement à la gestion de ressources pétrolifères et gazéifères situées sur les réserves, à la gestion de sommes reçues à titre de redevances découlant de la vente de ces ressources et à la mise en oeuvre de programmes et de services pour les trois bandes indiennes en cause.

Les demandeurs Samson, dans l’une des autres actions (T-2022-89), ont déjà procédé à l’interrogatoire préalable d’un représentant désigné par la Couronne, M. James Eickmeier, relativement aux questions touchant le pétrole et le gaz. C’est parce qu’ils prévoient que la Couronne désignera à nouveau M. Eickmeier pour témoigner en son nom à l’interrogatoire préalable que mèneront les demandeurs Ermineskin relativement aux questions touchant le pétrole et le gaz que ces derniers ont déposé une requête afin que la Cour désigne M. Moore pour représenter la Couronne. Leurs prévisions concernant la vraisemblance de la désignation de M. Eickmeier par la Couronne n’ont pas été contestées lors des plaidoiries. Je prends acte du fait que les demandeurs Samson et Enoch, engagés dans des actions parallèles, ont appuyé les demandeurs Ermineskin lors de l’audition de la présente requête.

Les demandeurs fondent leur requête sur le nombre d’années de service de MM. Moore et Eickmeier, respectivement, relativement à la gestion par la Couronne des réserves pétrolifères et gazéifères, sur la similitude des liens qui unissent maintenant ces deux personnes à l’Administration, ainsi que sur la façon dont l’interrogatoire préalable de M. Eickmeier par les demandeurs Samson se serait déroulé. Les demandeurs Samson sont parties à l’action concurrente T-2022-89, mais l’interrogatoire préalable de M. Eickmeier sera utile aux trois bandes, bien que les demandeurs Ermineskin et Enoch aient l’intention de poser, en interrogatoire préalable, des questions touchant le pétrole et le gaz qui concernent spécifiquement les demandes qu’ils font respectivement valoir dans leurs actions concurrentes.

M. Moore était un employé permanent de la Couronne, qui a occupé un poste supérieur dans le ministère responsable des ressources minérales de l’Ouest du Canada, et plus particulièrement de l’Alberta, de 1965 à 1981, année au cours de laquelle il a pris sa retraite ou démissionné de la fonction publique. Depuis 1981, il continue de travailler à l’occasion pour la Couronne en qualité d’entrepreneur. Âgé de 73 ans et apparemment en bonne santé, il est présentement lié par contrat à la Couronne qui a retenu ses services pour préparer l’instruction dans la présente instance. Au dire de M. Eickmeier, il travaille à partir d’un bureau du groupe de soutien juridique de l’Administration.

M. Eickmeier était un employé de la Couronne qui a occupé un poste supérieur au sein de l’unité responsable des ressources pétrolifères et gazéifères des Indiens de 1987 à 1991. Tout comme M. Moore, il a maintenant pris sa retraite de la fonction publique, mais il continue de travailler à l’occasion pour la Couronne à titre d’entrepreneur. Depuis janvier 1994, il travaille en vertu d’un contrat relativement au présent litige, principalement pour préparer l’interrogatoire préalable mené par les demandeurs Samson, y assister et assurer le suivi des engagements en qualité de représentant de la Couronne relativement aux questions touchant le pétrole et le gaz. Lors de séances antérieures de l’interrogatoire préalable, M. Moore aurait été présent aux côtés de M. Eickmeier, qui lui aurait demandé conseil avant de répondre à certaines questions, mais cette pratique aurait rapidement pris fin.

Les demandeurs Ermineskin soulignent que la liste des documents de la Couronne divulgués à ce jour comprend environ 3 600 documents émanant de M. Moore ou adressés à celui-ci, entre 1965 et la mi-février 1990. Sur cette liste, on ne compte qu’environ 375 documents émanant de M. Eickmeier ou adressés à celui-ci à partir de 1987. Au cours de son interrogatoire préalable par les demandeurs Samson, M. Eickmeier s’est engagé à obtenir des renseignements à plus de 2 500 reprises jusqu’à maintenant. Bon nombre de réponses fournies à ce jour en vertu de ces engagements sont expressément fondées sur des renseignements obtenus auprès de M. Moore et M. Eickmeier a reconnu que M. Moore, avec qui il a passé beaucoup de temps, est la personne qui l’a le plus aidé à obtenir des renseignements et à répondre aux engagements en ce qui a trait à la période s’échelonnant de 1965 à 1981. Je suis d’avis que la participation plus active de M. Moore, qui a été consulté, n’est pas surprenante compte tenu du nombre respectif d’années de service de ces deux personnes qui, à des moments différents, ont exercé des fonctions relatives à la gestion des ressources gazéifères et pétrolifères des Indiens, et notamment des bandes demanderesses.

En se fondant en partie sur ce contexte et en partie sur la façon dont s’est déroulé l’interrogatoire préalable de M. Eickmeier, les demandeurs soutiennent que la désignation de M. Moore en qualité de représentant de la Couronne serait plus efficace et permettrait de faciliter le processus de l’interrogatoire préalable. Les nombreux engagements pris par M. Eickmeier, le fait qu’il consulte fréquemment M. Moore ou qu’il s’en remette à lui pour répondre à ses engagements et les nouvelles questions souvent suscitées, auprès des demandeurs, par les réponses fournies, qui donnent lieu à de nouveaux engagements et, en bout de ligne, à des réponses additionnelles, retardent l’obtention, par les demandeurs, de renseignements auxquels ils ont droit.

Je constate que les demandeurs ne contestent pas que M. Eickmeier est un représentant habile à témoigner. Ils font valoir qu’il n’est pas aussi bien informé que M. Moore et que l’interrogatoire préalable serait grandement facilité si M. Moore était désigné en qualité de représentant de la Couronne. À défaut, ils soutiennent que les interrogatoires seront moins adéquats et efficaces qu’ils ne le pourraient. Les demandeurs prétendent en outre que la désignation de M. Eickmeier les empêcherait d’obtenir des aveux ou des renseignements qui seraient favorables à leur cause et qui simplifieraient sa présentation devant la Cour, car M. Moore, dont l’expérience de ces questions remonte à plus de 25 ans, a une perception des questions fondamentales et de la suite des événements qui n’est pas négligeable en l’espèce, alors que M. Eickmeier ne jouit pas d’une aussi longue expérience qui lui permettrait d’avoir une compréhension comparable des événements. Enfin, les demandeurs affirment qu’ils subiront un préjudice si M. Moore n’est pas interrogé relativement aux événements auxquels il a participé pendant plus de 25 ans, alors que la Couronne ne subirait apparemment aucun préjudice si la Cour ordonnait que M. Moore témoigne en son nom.

Bien que la Couronne n’ait introduit aucune preuve par affidavit pour contester la requête des demandeurs Ermineskin, elle a plaidé que M. Moore, compte tenu de son âge, n’est pas disposé à témoigner au nom de la Couronne. Étant donné la portée des questions en litige entre les parties et le nombre de ministères en cause pendant la période de 50 ans ou plus visée par la demande des demandeurs, la personne désignée pour témoigner au nom de la Couronne devra s’engager à faire de son mieux pour obtenir des renseignements et à fournir, le cas échéant, des réponses écrites aux questions qui lui auront été posées mais auxquelles elle n’aura pas répondu à l’interrogatoire préalable. M. Moore affirme qu’il n’est pas disposé à prendre de pareils engagements. La Couronne est d’avis que M. Eickmeier est habile à répondre en son nom et qu’il est prêt à prendre les mesures voulues pour collaborer comme il l’a fait depuis janvier 1994. De plus, dans la mesure où la participation directe de M. Moore à la gestion des ressources gazéifères et pétrolifères des Indiens a duré plus longtemps que celle de M. Eickmeier, la Couronne soutient que l’interrogatoire préalable vise à établir les faits et non la perception et la compréhension qu’en a le témoin; par conséquent, M. Moore doit lui aussi, pour aider à répondre aux engagements, consulter les anciens dossiers et se rafraîchir la mémoire quant aux faits. Enfin, bien que son expérience directe s’étende sur une plus grande partie de la période en cause que celle de M. Eickmeier, il n’a occupé un poste directement pertinent que pendant 15 des 50 années visées par la demande.

Les Règles

Les Règles de la Cour qui régissent l’interrogatoire préalable, plus particulièrement dans le cas de la Couronne, ont récemment fait l’objet de modifications énoncées dans l’ordonnance modificatrice no 13, DORS/90-846, article 15, qui est entrée en vigueur le 7 décembre 1990. Les dispositions pertinentes de la Règle 456 qui s’appliquent depuis 1990 sont reproduites ci-dessous avec les dispositions de la Règle 465 qu’elles ont remplacées. Le libellé de l’ancien texte revêt une certaine importance pour l’examen de la jurisprudence mentionnée par les avocats dans leurs plaidoiries.

Règle 456. (1) Une partie n’a le droit d’interroger toute partie adverse au préalable qu’une seule fois sans l’autorisation de la Cour.

(2) Lorsqu’une personne morale, un groupe de personnes ou une entité non constitué est soumis à un interrogatoire préalable, il doit choisir un dirigeant, un directeur, un membre ou un employé bien renseigné qui sera interrogé en son nom.

(3) Lorsque la Couronne est soumise à un interrogatoire préalable, le procureur général du Canada ou le sous-procureur général du Canada désigne un gestionnaire, un fonctionnaire ou un employé bien renseigné pour répondre en son nom.

(4) Lorsqu’elle est saisie d’une demande de la part d’une partie ayant le droit d’interroger une personne désignée conformément à l’alinéa (2) ou (3), la Cour peut ordonner qu’une autre personne soit interrogée.

Règle 465. (1) Aux fins de la présente Règle, on peut procéder à l’interrogatoire préalable d’une partie, tel que ci-après prévu dans cette Règle,

b) si la partie est une corporation ou un corps ou autre groupe de personnes autorisé à ester en justice, soit en son propre nom soit au nom d’un membre de sa direction ou d’une autre personne, en interrogeant un membre de la direction ou autre membre de cette corporation ou de ce groupe,

c) si la partie est la Couronne, en interrogeant un officier ministériel ou autre officier de la Couronne désigné par le procureur général du Canada ou le sous-procureur général du Canada ou par ordonnance de la Cour, et

d) dans tous les cas, en interrogeant une personne qui, avec son consentement, a été agréée par la partie qui procède à l’interrogatoire et par la partie qui en est l’objet.

Analyse

Les défendeurs se fondent sur les décisions R. c. CAE Industries Ltd. et autre, [1977] 2 R.C.S. 566 et Chhabra c. Canada, [1986] F.C.J. no 338 (1re inst.) (QL), pour faire valoir que M. Moore n’est plus un gestionnaire, un fonctionnaire ou un employé de la Couronne depuis 1981 et que la Cour ne peut donc pas ordonner qu’il soit interrogé au préalable au nom des défendeurs. Les deux affaires précitées concernaient l’application de l’ancien alinéa 465(1)c) des Règles en vertu duquel on pouvait procéder à l’interrogatoire préalable de la Couronne, en qualité de partie, « en interrogeant un officier ministériel ou autre officier de la Couronne désigné par le procureur général du Canada … ou par ordonnance de la Cour ». Dans l’affaire CAE Industries, la Cour suprême a statué que cette règle ne permettait pas à la Cour de désigner un ancien ministre de la Couronne qui n’était plus en poste même si, à l’époque où il était ministre, il pouvait être considéré comme « l’officier de la Couronne » le mieux informé car, au moment de l’interrogatoire préalable, il n’était plus un « officier ministériel ou autre officier de la Couronne ». Dans Chhabra, le juge Collier a simplement rejeté une requête présentée par la partie demanderesse en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à des personnes qui n’étaient pas des « fonctionnaires de la Couronne » et qui n’avaient aucun lien, et notamment aucun lien d’emploi, avec la Couronne de répondre à l’interrogatoire préalable au nom de la Couronne.

À la suite des modifications apportées en 1990, le paragraphe 456(3) des Règles prévoit maintenant que, lorsque la Couronne est soumise à un interrogatoire préalable, le procureur général du Canada ou le sous-procureur général du Canada « désigne un gestionnaire, un fonctionnaire ou un employé bien renseigné pour répondre en son nom ». Bien que le statut ou les conditions d’emploi de la personne désignée ne soient pas précisés, on peut selon moi conclure, à partir des termes utilisés, que le législateur avait l’intention d’inclure toutes les personnes qui ont un lien avec la Couronne (ou avec la personne morale) et qui sont les mieux renseignées quant aux faits susceptibles de préciser et de délimiter les questions à trancher entre les parties lors de l’instruction. Voir les affaires Can. Indemnity Co. et al. v. A.G.B.C., [1974] 4 W.W.R. 752 (C.S.C.-B.) et de Jong v. Milwaukee Insur. Co. (1965), 52 W.W.R. 371 (C.S.C.-B.), qui traitent de la portée de l’expression [traduction] « dirigeant ou employé » d’une personne morale dans la disposition des Règles de la Colombie-Britannique prévoyant l’interrogatoire préalable. Les tribunaux ont refusé de donner à cette expression une interprétation restrictive. Ils ont plutôt statué que la question de savoir si le témoin proposé avait, avec la personne morale, des liens suffisants pour être considéré comme l’un de ses dirigeants ou employés aux fins de cette Règle devait être évaluée en tenant compte des circonstances particulières à chaque espèce.

Il est très intéressant de noter en l’espèce que ni M. Moore, ni M. Eickmeier, n’ont la qualité de « gestionnaire, fonctionnaire ou employé » de la Couronne au sens strict ou étroit, ces deux personnes ayant quitté leur emploi à temps plein au sein de la fonction publique il y a plusieurs années. Toutefois, chacun d’eux continue de travailler pour la Couronne en qualité d’entrepreneur et a acquis suffisamment d’expérience dans ses anciennes fonctions pour pouvoir témoigner. Leurs contrats respectifs actuels ne se distinguent apparemment que par un élément : bien que leurs services aient été retenus pour aider à la préparation de l’instruction dans la présente instance, seul M. Eickmeier semble être tenu par son contrat de répondre à l’interrogatoire préalable en qualité de représentant de la Couronne. On a précisé, lors des plaidoiries, que M. Moore n’est pas disposé à assumer ce rôle.

Les demandeurs s’appuient sur les décisions Irish Shipping Ltd. c. La Reine, [1974] 1 C.F. 445(1re inst.) et Kodak Canada Ltd. c. Polaroid Corp. (1976), 29 C.P.R. (2d) 181 (C.F. 1re inst.), pour faire valoir qu’il n’existe aucune présomption selon laquelle la personne désignée par la Couronne pour répondre en son nom à l’interrogatoire préalable est nécessairement la personne qui doit être interrogée. En fait, l’avocat de la partie qui procède à l’interrogatoire serait présumé savoir mieux que quiconque qui devrait être interrogé. Ainsi, dans un cas où la Cour était convaincue qu’une personne plus appropriée que celle désignée par la Couronne occupait un poste suffisamment élevé pour fournir des réponses qui lieraient la Couronne, le juge en chef adjoint a ordonné qu’une personne, choisie par la partie demanderesse qui procédait à l’interrogatoire, soit interrogée au préalable au nom de la Couronne : Smith (S M) c. La Reine, [1981] CTC 476 (C.F. 1re inst.).

Je suis d’avis que ces décisions doivent être interprétées en tenant compte du libellé de l’alinéa 465(1)c) des Règles en vigueur à l’époque, selon lequel on pouvait procéder à l’interrogatoire préalable « en interrogeant un officier ministériel ou autre officier de la Couronne désigné par le procureur général du Canada … ou par ordonnance de la Cour ». Par application du paragraphe 456(3) des Règles, la Couronne désigne maintenant son représentant et la Cour peut, en vertu du paragraphe 456(4) des Règles, « [l]orsqu’elle est saisie d’une demande de la part d’une partie en droit d’interroger une personne désignée, conformément à l’alinéa … (3), … ordonner qu’une autre personne soit interrogée ». Il me paraît clair que ces dispositions établissent un processus en deux étapes : le procureur général ou le sous-procureur général détermine d’abord qui doit représenter la Couronne et ce n’est qu’après que la Cour peut intervenir. Il est peu probable que la Cour exerce son pouvoir d’intervenir, à moins qu’il ne soit établi que la personne désignée par la Couronne n’est ni renseignée ni en mesure d’obtenir des renseignements quant aux faits essentiels aux questions visées par l’interrogatoire préalable.

La seule cause analogue à laquelle j’ai pu me reporter traite des dispositions comparables de la Règle 456 concernant la désignation des représentants des personnes morales en vertu du paragraphe (2) et l’intervention possible de la Cour en vertu du paragraphe (4). Le juge Muldoon y a interprété le processus à suivre comme comportant deux volets : Richter Gedeon Vegyészeti Gyar RT c. Merck & Co. et autre (1994), 87 F.T.R. 230 (C.F. 1re inst.). Il a rejeté la requête par laquelle les défenderesses réclamaient une ordonnance désignant certaines personnes pour témoigner au nom de la personne morale demanderesse. Ses motifs s’appuient essentiellement sur le fait que la requête était prématurée, la demanderesse ayant proposé de nommer deux représentants pour répondre à l’interrogatoire et aucune preuve n’ayant établi que leur témoignage aurait été inefficace ou inapproprié. De l’avis du juge Muldoon [aux pages 232 et 233], les défenderesses devaient en l’espèce

… se satisfaire du premier choix de la demanderesse, ou, dans ce cas-ci, des deux personnes que cette dernière a généreusement choisies, à moins qu’elles ne puissent persuader la demanderesse, sans la contraindre, de se raviser. La demanderesse n’est pas tenue de le faire. Si les personnes que la demanderesse a initialement désignées ne sont pas renseignées, ou si elles sont mal renseignées, les défenderesses auraient le droit d’invoquer la Règle 456(4). La requête qu’elles ont présentée en l’espèce est prématurée. Par conséquent, elle sera rejetée. Une autre fois, les défenderesses auront besoin d’une preuve forte qu’une personne autre que celle que la demanderesse a désignée est réellement nécessaire.

En appel, le juge en chef Isaac a déclaré à la page 335 au nom de la Cour d’appel ([1995] 3 C.F. 330 :

Le juge des requêtes a signalé, avec raison à mon humble avis, qu’en vertu du paragraphe 456(2) [mod., idem] des Règles, le droit de désigner la ou les personnes qui seront soumises à un interrogatoire préalable pour la société intimée est accordé à l’intimée dans le premier cas mais non aux appelantes ou à la Cour. Tant que les personnes désignées par l’intimée n’avaient pas montré durant l’interrogatoire préalable qu’elles n’étaient pas des personnes bien renseignées au sens du paragraphe 456(2), les appelantes ne pouvaient pas invoquer à leur avantage les dispositions du paragraphe 456(4).

Les paragraphes (3) et (2) de la Règle 456 qui traitent respectivement de la désignation du représentant de la Couronne et de celle du représentant d’une personne morale aux fins de l’interrogatoire préalable sont similaires. Le pouvoir de la Cour d’intervenir et de désigner la personne qui sera interrogée en vertu du paragraphe (4) semble identique dans les deux cas.

J’estime que les modifications apportées aux Règles en 1990 changent implicitement le rôle de la Cour en ce qui a trait à la désignation du représentant de la Couronne aux fins de l’interrogatoire préalable. Elles attribuent à la Cour un rôle de second plan, qu’elle peut jouer lorsque le représentant désigné par la Couronne s’avère mal renseigné et incapable d’obtenir des renseignements. Cette nouvelle disposition traduit une plus grande reconnaissance implicite qu’auparavant du fait que la personne interrogée au préalable au nom de la Couronne ou d’une personne morale lie la partie qu’elle représente, savoir la Couronne ou la personne morale, par ses aveux sur des questions de fait. Cet aspect du rôle de la personne interrogée implique nécessairement qu’elle jouit d’une confiance raisonnable de la part de la Couronne pour agir comme son représentant ayant le pouvoir implicite de la lier.

Conclusion

Je suis convaincu qu’on peut s’attendre en l’espèce que M. Moore soit la mieux renseignée des deux personnes envisagées comme témoins éventuels sur les questions touchant le pétrole et le gaz pour les années 1965 à 1981, en raison de l’expérience directe qu’il a acquise à cette époque. Il ne fait aucun doute que même M. Moore devra consulter des documents pour se rafraîchir la mémoire relativement à des faits et à des événements survenus il y a 30 ans. J’insisterais pour que la Couronne envisage sérieusement de prendre des arrangements avec M. Moore afin qu’il réponde à l’interrogatoire au nom de la Couronne relativement à ces questions pour la période s’échelonnant de 1965 à 1981. Il ne s’agit pas là des seules questions et des seules années pertinentes en l’espèce et d’autres témoins devront manifestement être entendus. Si le processus de l’interrogatoire préalable pouvait être ainsi facilité de façon significative, toutes les parties en bénéficieraient.

Toutefois, je ne suis pas disposé à prononcer l’ordonnance sollicitée par les demandeurs Ermineskin. On a affirmé que M. Moore n’était pas disposé à témoigner au nom de la Couronne et que celle-ci ne peut exiger qu’il témoigne en son nom car il n’est plus au service de la Couronne, si ce n’est à titre d’entrepreneur. La Cour ne pourrait enjoindre à M. Moore de témoigner que si elle était convaincue que les circonstances le justifient, à moins qu’il soit raisonnablement certain qu’il est disposé à le faire et qu’il jouit d’une confiance raisonnable de la part de la Couronne pour agir comme son représentant ayant le pouvoir de la lier par ses aveux sur des questions de fait. Pour l’instant, aucun de ces faits n’est établi.

Bien que je rejette la requête des demandeurs Ermineskin à cette étape de la procédure, je ne me fonde pas sur le caractère prématuré de la requête. Cette question n’a pas été plaidée devant moi et, au cours des plaidoiries, les parties ont présupposé que la Couronne désignerait M. Eickmeier pour répondre à l’interrogatoire préalable auquel les demandeurs Ermineskin entendent procéder. Le rôle semblable joué par M. Eickmeier, lorsqu’il a été interrogé au préalable au nom de la Couronne par les demandeurs Samson dans une action connexe, a déjà fourni aux demandeurs Ermineskin un fondement qui leur permet de juger s’il s’agit d’une personne bien renseignée, caractéristique requise des représentants de la Couronne en vertu du paragraphe (3) de la Règle 456. L’argument essentiel invoqué par les demandeurs à l’appui de la présente requête porte que M. Eickmeier n’est pas aussi bien renseigné que M. Moore. Je ne crois pas que ce soit là un motif qui permette à la Cour d’intervenir en vertu du paragraphe 456(4) des Règles. Si, à une étape ultérieure, lorsqu’ils auront traité avec M. Eickmeier, les demandeurs en arrivent à une conclusion plus négative et constatent qu’il n’est effectivement pas bien renseigné, ils pourront présenter une nouvelle requête pour demander à la Cour d’ordonner à une personne autre que celle désignée par la Couronne de répondre à l’interrogatoire préalable au nom de la Couronne, cette personne étant disposée à témoigner et qualifiée pour le faire en raison de son expérience et de ses fonctions.

Pour les motifs énoncés, je prononce une ordonnance rejetant la requête des demandeurs.

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