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[1995] 3 C.F. 68

A-215-95

Feoso Oil Limited (demanderesse) (appelante)

c.

Les propriétaires du navire « Sarla » et toutes autres personnes ayant un droit sur ce navire (défendeurs) (intimés)

Répertorié : Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le) (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Stone et Linden, J.C.A.—Vancouver, 23 mai; Ottawa, 5 juin 1995.

Pratique — Jugements et ordonnances — Jugement sommaire — Appel de la décision par laquelle un juge des requêtes a permis que la procédure de jugement sommaire visant le rejet de la demande dans une action in rem en matière d’amirauté suive son cours au motif qu’il n’existait aucune question de fait sérieuse à instruire — Les Règles 432.1 à 432.7, régissant la procédure à suivre pour obtenir un jugement sommaire, visent à éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ou les moyens de défense ne sont pas fondés — La partie requérante doit convaincre la Cour qu’il n’existe pas de question sérieuse à instruire — La partie intimée doit produire une preuve qui énonce des faits démontrant l’existence d’une question sérieuse à instruire — Les deux parties doivent produire les éléments de preuve auxquels elles ont raisonnablement accès relativement aux questions soulevées par les actes de procédure et à partir desquels la Cour peut déterminer s’il existe une question sérieuse à instruire — La preuve des intimés ne réfutait pas l’allégation de l’appelante selon laquelle le carburant pour le fonctionnement du navire avait été commandé par ses propriétaires ou leurs agents — Il existait une question de fait sérieuse à instruire.

Droit maritime — Contrats — Existence ou non d’un lien contractuel — Appel de la décision de permettre que la procédure de jugement sommaire visant le rejet de la demande dans une action in rem en matière d’amirauté suive son cours — Une action in rem est possible uniquement lorsque les marchandises ou services ont été fournis au navire défendeur à la demande de ses propriétaires ou d’une personne agissant en leur nom — Les intimées ont fourni du mazout lourd au navire pour son fonctionnement — Comme il n’était pas clair si le mazout lourd avait été commandé par les propriétaires ou leurs agents, ou par le capitaine par nécessité avec l’autorisation réelle ou apparente des propriétaires, la demande de jugement sommaire ne devait pas suivre son cours car une question de fait sérieuse devait être tranchée à l’issue d’une instruction.

Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle le juge des requêtes a permis que la procédure de jugement sommaire, visant le rejet de la demande des demanderesses dans l’action in rem en matière d’amirauté, suive son cours au motif qu’il n’existait pas de question de fait sérieuse à instruire. Le navire défendeur a été saisi sur la foi d’un affidavit portant que du gazoil marin et du mazout (le « mazout lourd ») avaient été livrés au navire pour son fonctionnement. Le mazout lourd avait été commandé par un courtier. La demanderesse/appelante soutenait, et les défendeurs/intimés niaient, que le mazout lourd avait été commandé par les propriétaires du navire ou en leur nom.

Les Règles 432.1 à 432.7 régissent la procédure à suivre pour obtenir un jugement sommaire. Le paragraphe 432.3(1) oblige le juge à rendre un jugement sommaire lorsqu’il est convaincu qu’il n’existe aucune question sérieuse à instruire. En vertu du paragraphe 432.3(4), le juge peut rendre un jugement sommaire lorsqu’il existe une question sérieuse à instruire, sauf s’il ne peut obtenir les faits nécessaires pour trancher les questions de fait ou de droit ou s’il estime injuste de trancher les questions dans le cadre de la requête en vue d’obtenir un jugement sommaire. Le paragraphe 432.2(1) prévoit que la partie intimée ne peut s’appuyer sur les seules allégations ou dénégations contenues dans ses plaidoiries écrites, mais qu’elle doit énoncer, dans un affidavit ou à l’aide d’un autre élément de preuve, des faits précis démontrant l’existence d’une question sérieuse à instruire.

Par application de l’alinéa 22(2)m) et des paragraphes 43(2) et (3) de la Loi sur la Cour fédérale, le droit de connaître d’une demande visée à l’alinéa 22(2)m) par voie d’action in rem existe uniquement si, au moment où l’action est intentée, le navire appartient véritablement à la personne qui en était le véritable propriétaire au moment où la cause d’action a pris naissance. Le créancier acquiert le droit d’intenter une action in rem contre le navire uniquement si ses propriétaires ont contracté une dette pour la fourniture de choses de première nécessité. L’appelante ne peut faire valoir une action in rem en l’absence de preuve établissant que le mazout lourd a été fourni au navire défendeur à la demande des propriétaires ou d’une personne agissant en leur nom et capable de les lier.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Les Règles 432.1 à 432.7 visent à éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ou les moyens de défense ne sont manifestement pas fondés. Les deux parties doivent produire les éléments de preuve auxquels elles ont raisonnablement accès relativement aux questions soulevées par les actes de procédure et à partir desquels la Cour peut déterminer s’il existe une question sérieuse à instruire. Le paragraphe 432.2(1) des Règles impose à la partie intimée l’obligation de ne pas s’appuyer sur les seules plaidoiries écrites, mais de produire une preuve qui énonce « des faits précis démontrant l’existence d’une question sérieuse à instruire ». La partie requérante est tenue de convaincre la Cour qu’il n’en existe pas. L’appelante était donc tenue de présenter une preuve, s’il en était, démontrant qu’il existait une question sérieuse à instruire.

Il n’était pas clair si les propriétaires avaient commandé le mazout lourd par l’intermédiaire de leurs agents, ou si c’est le capitaine, qui demeurait responsable du navire, qui les avait commandées par nécessité avec l’autorisation réelle ou apparente de ses propriétaires. La preuve des intimés ne réfutait pas l’allégation contenue dans la preuve de l’appelante selon laquelle le mazout avait été commandé « en conformité avec les instructions reçues de l’acheteur M/V SARLA et de ses propriétaires ». Il s’agissait là d’une question de fait sérieuse qui ne pouvait être tranchée qu’à l’issue d’une instruction.

LOIS ET RÈGLEMENTS

An Act to improve the Practice and extend the Jurisdiction of the High Court of Admiralty of England (R.-U.), 1840, 3 & 4 Vict. ch. 65, art. 6.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 22(2)m), 43(2),(3).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 2(2), 6 (édictée par DORS/90-846, art. 2), 302, 332(1), 344 (mod. par DORS/87-221, art. 2), 432.1 (édictée par DORS/94-41, art. 5), 432.2 (édictée, idem), 432.3 (édictée, idem), 432.4 (édictée, idem), 432.5 (édictée, idem), 432.6 (édictée, idem), 432.7 (édictée, idem).

Règles de Procédure Civile, Règl. de l’Ont. 560/84, règles 1.04(1), 20.

Rules of the Supreme Court, SI 1965/1776 (R.-U.), Ord. 14, r. 1.

The Admiralty Court Act, 1861 (R.-U.), 24 Vict., ch. 10, art. 5.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

The Tolla, [1921] P. 22 (Adm.); The Mogileff, [1921] P. 236 (Adm.); Mount Royal/Walsh Inc. c. Jensen Star (Le), [1990] 1 C.F. 199 (1989), 99 N.R. 42 (C.A.); Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 225; 45 C.P.C. (2d) 168; 33 C.P.R. (3d) 515 (Div. gén.); Irving Ungerman Ltd. v. Galanis (1991), 4 O.R. (3d) 545; 83 D.L.R. (4th) 734; 1 C.P.C. (3d) 248; 50 O.A.C. 176 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Marine Atlantic Inc. c. Blyth (1994), 77 F.T.R. 97 (C.F. 1re inst.); Nova Scotia Barristers’ Liability Claims Fund c. Navire Ashley Lynn (1994), 80 F.T.R. 141 (C.F. 1re inst.); Penthouse International Ltd. c. 163564 Canada Inc. (1994), 86 F.T.R. 95 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION CITÉE :

Westcan Stevedoring Ltd. c. Le Armar, [1973] C.F. 1232 (1re inst.).

APPEL de la décision par laquelle un juge des requêtes a permis que la procédure de jugement sommaire visant le rejet de la demande dans une action in rem en matière d’amirauté suive son cours. Appel accueilli.

AVOCATS :

John W. Bromley pour la demanderesse (appelante).

H. Peter Swanson pour les défendeurs (intimés).

PROCUREURS :

Connell Lightbody, Vancouver, pour la demanderesse (appelante).

Campney & Murphy, Vancouver, pour les défendeurs (intimés).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : La seule question soulevée par l’appel est celle de savoir si le juge chargé des requêtes a commis une erreur en accueillant la requête des intimés afin que la procédure de jugement sommaire suive son cours dans la présente action in rem en matière d’amirauté.

La requête présentée devant la Section de première instance sollicitait [traduction] « un jugement sommaire rejetant en totalité la demande de la demanderesse et une ordonnance portant que les dépens sont adjugés en faveur de la partie défenderesse » au motif qu’il « n’existe aucun lien contractuel entre la demanderesse et la partie défenderesse, et que celle-ci n’a aucune obligation juridique envers la demanderesse ». Les intimés invoquent les Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] 344 [mod. par DORS/87-221, art. 2] et 432.1 [édictée par DORS/94-41, art. 5]. Il faut souligner que l’ordonnance contestée n’accorde pas le redressement expressément demandé, mais permet uniquement que la procédure en jugement sommaire suive son cours au motif qu’il « n’existe aucune question de fait sérieuse à instruire » et qu’elle a ajourné la requête afin qu’elle soit plaidée à une date déterminée ou à toute autre date fixée par le juge chargé des requêtes. Il semble que celui-ci ait procédé ainsi avec l’accord exprès des parties. Au début de la plaidoirie orale, la Cour a laissé entendre que cette façon de procéder pourrait bien être irrégulière parce que les paragraphes 432.1(2) et 432.3(1) [édictée, idem] des Règles semblent prévoir que le juge chargé des requêtes doit trancher complètement la requête sollicitant un jugement sommaire, et non rendre une ou plusieurs décisions sur une ou plusieurs questions préliminaires et trancher ultérieurement la requête proprement dite. Autrement, il pourrait s’ensuivre une série d’appels plutôt qu’un appel unique de l’ordonnance ou du jugement réglant la totalité de l’instance. La Cour a néanmoins entendu en entier la plaidoirie des deux parties sur la question qui lui était soumise, tout en indiquant clairement qu’elle n’approuvait pas nécessairement la procédure suivie en l’espèce.

Le navire défendeur/intimé (ci-après le « navire défendeur ») a été saisi en vertu d’un mandat décerné sur la foi d’un affidavit portant demande de mandat, signé le 20 septembre 1994, qui contenait les allégations suivantes :

[traduction] 2. Brandon Tieh Ching Liu, 9e-11e étages de l’édifice Chia Chi, 877, route Laichi Kok, Kowloon, Hong Kong, directeur exécutif de la société Feoso Oil Limited (« la société Feoso ») m’a informé que du gazoil marin et du mazout (« le mazout lourd carburant ») ont été fournis au bâtiment motorisé « SARLA » pour le fonctionnement du bâtiment, vers le 6 juillet 1994, à Hong Kong.

3. Le mazout lourd a été commandé à la société Feoso par la société Marine Oil Brokering Co. (S) Pte. Ltd., en sa qualité de courtier au nom de l’acheteur M/V « SARLA » et de ses propriétaires, conformément aux conditions et modalités habituellement stipulées par le fournisseur. Une copie conforme d’un télex envoyé par la société Marine Oil Brokering Co. (S) Pte. Ltd. à K. M. Chan de la société Feoso sur ce sujet constitue la pièce « A » jointe au présent affidavit.

4. Une copie conforme d’un télex envoyé par la société Feoso à la société Marine Oil Brokering Co. (S) Pte. Ltd. confirmant la commande et la déclarant assujettie aux clauses types de mars 1991 de la société Feoso constitue la pièce « B » jointe au présent affidavit.

5. La pièce « C » jointe au présent affidavit est une copie conforme d’une télécopie envoyée par la société Praxis Maritime Services Ltd. (« la société Praxis ») à l’affréteur du bâtiment qui précise que la société Praxis, en conformité avec les instructions reçues de l’acheteur M/V « SARLA » et de ses propriétaires, a désigné la société Feoso pour la fourniture de mazout lourd conformément aux spécifications, modalités et conditions générales du fournisseur.

6. Brandon Tieh Ching Liu m’a informé que la société Feoso fournissait du carburant par l’intermédiaire de la société Marine Oil Brokering Co. (S) Pte. Ltd. depuis environ cinq ans, et que la société Marine Oil Brokering Co. (S) Pte. Ltd. devait connaître les clauses types de mars 1991 de la société Feoso.

7. La pièce « D » jointe au présent affidavit est une copie conforme des clauses types de mars 1991 de la société Feoso, dont le paragraphe 1.2 définit le terme « ACHETEUR » comme s’entendant solidairement de la partie qui organise la livraison du carburant et du propriétaire et/ou de l’affréteur coque nue du bâtiment.

8. La pièce « E » jointe au présent affidavit est une copie conforme des factures sur lesquelles le capitaine du bâtiment a apposé le tampon [traduction] « Compte de l’affréteur ».

9. Il n’a pas été satisfait à la demande de paiement du mazout lourd livré, faite par la demanderesse, et une somme de 68 797,39 $ US demeure impayée.

Une copie d’une télécopie datée du 29 juin 1994 est jointe à l’affidavit. Cette télécopie a été envoyée par la société Praxis Maritime Service Ltd. de Pirée, en Grèce, aux affréteurs mentionnés ci-dessous, pour les aviser que la société avait passé un contrat pour la fourniture du mazout lourd en cause aux conditions suivantes :

[traduction] En qualité de courtier uniquement et en conformité avec les instructions reçues de l’acheteur M/V « SARLA » et de ses propriétaires, nous avons désigné le contrat suivant de fourniture de carburant conformément aux modalités et conditions habituellement stipulées par les fournisseurs …

Le lendemain, la société Marine Oil Brokering Co. (S) Pte. Ltd., de Singapour, a envoyé un télex à l’appelante (dont une copie est jointe au présent affidavit), pour commander le mazout lourd [traduction] « en qualité de courtier uniquement et en conformité avec les instructions reçues de l’acheteur M/V SARLA et de ses propriétaires ». L’appelante a répondu par télex le même jour, pour confirmer son acceptation [traduction] « sous réserve des clauses types de mars 1991 de la société Feoso ». La pièce « E » est également jointe à l’affidavit. Il s’agit de copies de deux reçus de livraison de carburant datés du 6 juillet 1994 qui portent le tampon [traduction] « M/V SARLA—Pirée Grèce », émis tous les deux par le chef mécanicien du navire défendeur et portant le tampon [traduction] « Compte de l’affréteur ». La simple lecture de ces documents et des autres éléments de preuve déposés ne révèle pas la véritable signification de ces derniers mots.

La déclaration contient les allégations suivantes :

[traduction] 3. Du gazoil marin et du mazout (« le mazout lourd ») ont été fournis au navire motorisé « SARLA » par la société demanderesse Feoso Oil Limited (« la société Feoso ») pour le fonctionnement du bâtiment vers le 6 juillet 1994, à Hong Kong.

4. Le mazout lourd a été commandé à la société Feoso par les propriétaires du M.V. « SARLA » et en conformité avec les modalités et conditions habituellement stipulées par le fournisseur qui sont connues comme les clauses types de mars 1991 de la société Feoso.

5. Il n’a pas encore été satisfait à la demande de paiement du mazout lourd livré faite par la demanderesse, en dépit d’une mise en demeure adressée aux propriétaires et la somme de 68 797,39 $ US demeure impayée.

La défense, qui a été déposée le 1er décembre 1994, fait valoir les éléments suivants :

[traduction] 3. La partie défenderesse nie chacune des allégations de fait contenues au paragraphe 3 de la déclaration et, sans limiter la généralité de ce qui précède, nie expressément que du gazoil marin, du pétrole et du mazout (« le mazout lourd ») ont été fournis au navire « SARLA » par la demanderesse pour le fonctionnement du bâtiment, vers le 6 juillet 1994, à Hong Kong, tel qu’il l’est allégué ou de quelque façon que ce soit.

4. La partie défenderesse nie chacune des allégations de fait contenues au paragraphe 4 de la déclaration et, sans limiter la généralité de ce qui précède, nie expressément que le mazout lourd a été commandé par les propriétaires du M.V. « SARLA » et en conformité avec les conditions et modalités habituellement stipulées par le fournisseur, tel qu’il l’est allégué ou de quelque façon que ce soit.

5. La partie défenderesse nie chacune des allégations de fait contenues au paragraphe 5 de la déclaration et, sans limiter la généralité de ce qui précède, nie expressément devoir à la demanderesse la somme de 69 797,39 $ US ou quelque montant que ce soit.

6. En réponse à l’ensemble de la déclaration et à titre subsidiaire, la partie défenderesse affirme que si le mazout lourd a été fourni au bâtiment « SARLA » tel qu’il l’est allégué, ce qu’elle nie, il l’a été sur commande expresse des affréteurs du bâtiment et sur leur crédit, et non sur le crédit du bâtiment ou de ses propriétaires ou de leurs préposés ou mandataires, et la partie défenderesse fait valoir qu’il n’existe aucun lien contractuel quel qu’il soit entre elle et la demanderesse.

Si l’on s’en remet au dossier, le navire défendeur appartenait à toutes les époques en cause à la société Manley Corporation, des îles Vierges britanniques, qui appartenait entièrement à la Norfolk Shipholding Ltd. du même endroit.

Le dossier comprend une preuve additionnelle, par affidavit, qui a été déposée par les intimés à l’appui de leur requête sollicitant un jugement sommaire. Il s’agit notamment d’un contrat d’affrètement à temps (formule du gouvernement approuvée par la New York Produce Exchange) daté du 21 avril 1994, signé par la société Manley Corporation et Hanchart Worldwide Shipping B.V. en qualité d’affréteurs (la « charte-partie »); une convention type de gestion de navires datée du 4 avril 1989, passée par la société Norfolk Shipholding Ltd. (décrite comme « les propriétaires ») et la société Natalca Shipping Co. S.A. de Pirée, en Grèce (décrite comme « les gestionnaires ») relativement à un certain nombre de bâtiments, dont le navire défendeur; enfin, une convention de sous-agence conclue le 1er avril 1987, entre la société Natalca Shipping Co. S.A. en qualité d’« agent général » et la Trans-Ocean Steamship Agency Inc., de New York, en qualité de « sous-agent ». À la ligne 39 de la charte-partie, les affréteurs ont convenu de [traduction] « fournir et payer tout le carburant, à moins de convention contraire »; de plus, par la clause 31, les affréteurs ont convenu de fournir au navire, lors de sa remise à ses propriétaires, approximativement la même quantité de carburant que celle fournie par ceux-ci au moment de la livraison du navire aux affréteurs, le carburant fourni lors de la remise [traduction] « devant être déduit du dernier paiement suffisant de loyer ». La clause 11 de la convention de gestion du navire oblige les gestionnaires à [traduction] « prendre des arrangements pour la fourniture du carburant, de la qualité précisée par les propriétaires, nécessaire aux activités du bâtiment ». Au paragraphe 3(a) de la convention de sous-agence, la société Trans-Ocean Steamship Agency Inc. a convenu de [traduction] « voir à ce que les bâtiments soient approvisionnés … en carburant … nécessaire à l’exploitation des navires », mais que [traduction] « tout contrat relatif au carburant … sera assujetti à l’approbation de l’agent général. » Les affidavits des intimés sont tous au même effet, c’est-à-dire qu’ils portent que le mazout lourd en cause n’a été commandé ni par les propriétaires du navire défendeur, ni par qui que ce soit qui aurait été autorisé à agir en leur nom. En fait, l’un des affidavits, celui de Gregory Seremetis de Trans-Tec Services Inc., une société de New York, laisse entendre que la société Praxis Maritime Services Ltd. a agi conformément aux instructions des affréteurs uniquement, lorsqu’elle a envoyé la télécopie du 29 juin 1994[1]. Il ressort de cet affidavit que Trans-Tec Services Inc. a agi en qualité de courtier exclusif en carburant de la société Trans-Ocean Steamship Agency Inc. et de la société Natalca Shipping Co., S.A. L’état définitif de location inclus dans la preuve des intimés établit que le navire a été remis à ses propriétaires [traduction] « le 5 juillet [1994] à 2342 UT », fait qui peut avoir une incidence sur l’issue de l’instance.

Bien que le juge chargé des requêtes n’ait pas énoncé séparément les motifs de l’ordonnance dont appel, ses déclarations introductives nous renseignent sur les motifs de sa décision. Elles indiquent que la requête était contestée sur les points suivants : d’après la preuve, ni les propriétaires du navire, ni aucun gestionnaire ou employé lié au navire défendeur n’a commandé le mazout lourd en cause, les clauses types du contrat de fournisseur de l’appelante n’imposaient aucune obligation aux intimés et, enfin, aucun élément de la preuve ne laisse entendre que le capitaine ou le chef mécanicien du navire défendeur a commandé le mazout lourd. L’ordonnance contient les déclarations introductives suivantes, qui font certainement état de l’opinion du juge concernant la preuve :

[traduction] ET APRÈS avoir examiné les documents et avoir acquis la conviction que rien ne laisse entendre en l’espèce que le capitaine ou le chef mécanicien du « Sarla » ont effectivement commandé le mazout lourd;

ET APRÈS avoir conclu que, par application du paragraphe 432.2(1) des Règles, la partie demanderesse a, en qualité de partie intimée dans une requête sollicitant un jugement sommaire, l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour soulever des questions de fait sérieuses à instruire;

ET APRÈS avoir conclu que la partie demanderesse n’a pas soulevé de questions de fait sérieuses, que ce soit dans sa propre preuve par affidavit ou par voie de contre-interrogatoire;

La procédure à suivre pour obtenir un jugement sommaire est régie par les Règles 432.1 à 432.7 [édictées, idem] des Règles de la Cour fédérale, qui sont entrées en vigueur le 13 janvier 1994. La requête des intimés est prévue par le paragraphe 432.1(2) des Règles, qui se lit comme suit :

Règle 432.1

(2) Le défendeur peut, après avoir déposé et signifié une défense, et à tout moment avant que l’heure et la date de l’instruction soient fixées, présenter au juge une requête, appuyée d’un affidavit ou d’un autre élément de preuve, en vue d’obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration comportant allégués.

Aux fins de la présente instance, une requête de cette nature doit être tranchée conformément au paragraphe 432.3(1) des Règles, dont le libellé est le suivant :

Règle 432.3(1) Lorsque le juge est convaincu qu’il n’existe aucune question sérieuse à instruire à l’égard d’une réclamation ou d’une défense, il rend un jugement sommaire en conséquence.

Le paragraphe 432.3(4) s’applique dans les situations qui y sont décrites :

Règle 432.3

(4) Lorsque le juge décide qu’il existe une question sérieuse à l’égard de la réclamation ou de la défense, il peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d’une partie, soit sur une question ou en général, sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) l’ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour qu’il puisse trancher les questions de fait ou de droit;

b) il estime injuste de trancher les questions dans le cadre de la requête en vue d’obtenir un jugement sommaire.

La Règle 432.2 traite de la preuve qui doit être produite par les parties dans le cadre d’une requête sollicitant un jugement sommaire. Le voici :

Règle 432.2 (1) En réponse à un affidavit ou à un autre élément de preuve présenté à l’appui d’une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire, la partie intimée ne peut s’appuyer sur les seules allégations ou dénégations contenues dans ses plaidoiries écrites; elle doit énoncer, dans un affidavit ou à l’aide d’un autre élément de preuve, des faits précis démontrant l’existence d’une question sérieuse à instruire.

(2) La partie qui entend utiliser un affidavit dans le cadre d’une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire peut se fonder sur des renseignements ou une croyance, tel qu’il est prévu au paragraphe 332(1), mais, à l’audition de la requête, son omission d’offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits pertinents peut, s’il y a lieu, entraîner une conclusion défavorable[2].

Bien que la question à trancher en appel touche la validité de l’ordonnance, il est important de comprendre les principes du droit de l’amirauté à appliquer pour trancher l’instance en définitive et en apprécier le bien-fondé. Selon l’appelante, le mazout lourd en cause a été fourni au navire défendeur à la suite d’une demande faite par les propriétaires ou en leur nom et, par conséquent, l’appelante a le droit de procéder par voie d’action in rem. La Cour tire sa compétence relative à une demande de cette nature de l’alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] dont le libellé est le suivant :

22. (2) …

m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarrage;

Les marchandises et services visés dans cet alinéa sont parfois décrits comme des choses de « première nécessité », ou « necessaries », en anglais, terme qui figurait dans les anciennes lois du Royaume-Uni[3]. Par application des paragraphes 43(2) et (3) de la Loi, la compétence conférée à la Cour par l’alinéa 22(2)m) ne doit être exercée, en matière réelle, :

43. …

(3) … que si, au moment où l’action est intentée, le véritable propriétaire du navire, de l’aéronef ou des autres biens en cause est le même qu’au moment du fait générateur.

Il ressort clairement de ces dispositions que le droit de connaître d’une demande visée à l’alinéa 22(2)m) par voie d’action in rem existe uniquement si, au moment où l’action est intentée, le navire appartient véritablement à la personne qui en était le véritable propriétaire au moment où la cause d’action a pris naissance. (Voir Mount Royal/Walsh Inc. c. Jensen Star (Le), [1990] 1 C.F. 199(C.A.).) Une autre subtilité doit être prise en compte. Il est bien établi que le fait que le véritable propriétaire n’ait pas changé depuis la fourniture des choses de première nécessité ne suffit pas en soi pour que le créancier bénéficie d’un droit réel en vertu de la loi. La jurisprudence est unanime quant au fait que le créancier acquiert le droit d’intenter une action in rem contre le navire uniquement si ses propriétaires ont contracté une dette pour la fourniture de choses de première nécessité. Ainsi, dans l’affaire The Tolla, [1921] P. 22 (Adm.), la partie demanderesse a fait valoir une réclamation relative à des choses de première nécessité par voie d’action in rem pour les dépenses engagées à la demande du capitaine au moment où le navire faisait l’objet d’un affrètement à temps. À la page 24, le juge Hill a énoncé le principe applicable :

[traduction] Le navire ne peut faire l’objet d’un recours in rem, à moins que ses propriétaires ne soient tenus d’exécuter une obligation.

Voir également, par exemple, Westcan Stevedoring Ltd. c. Le Armar, [1973] C.F. 1232 (1re inst.) et la décision Jensen Star, précitée[4]. En l’espèce, à moins de circonstances exceptionnelles, le principe énoncé ci-dessus s’applique de sorte que l’appelante ne pouvait faire valoir une action in rem en l’absence de preuve établissant que le mazout lourd a été fourni au navire défendeur à la demande des propriétaires ou d’une personne agissant en leur nom et capables de les lier.

Il n’est pas surprenant que très peu de décisions aient été rendues par la Cour jusqu’à maintenant sous le régime des règles régissant l’obtention d’un jugement sommaire depuis leur adoption il y a moins de deux ans. Aucune des décisions publiées rendues par la Section de première instance (Marine Atlantic Inc. c. Blyth (1994), 77 F.T.R. 97; Nova Scotia Barristers’ Liability Claims Fund c. Navire Ashley Lynn (1994), 80 F.T.R. 141; Penthouse International Ltd. c. 163564 Canada Inc. (1994), 86 F.T.R. 95 ne pose de principe général à appliquer pour accueillir ou rejeter une requête sollicitant un jugement sommaire. Il semble qu’il s’agisse de cas d’espèce, ce qui s’explique compte tenu du caractère inédit du nouveau processus. Je souscris à l’opinion émise par le juge Reed dans l’affaire Blyth, précitée [à la page 103], selon laquelle les nouvelles règles « doivent être interprétées dans le contexte qui est le leur ». Par ailleurs, je ne pense pas que la Cour doive s’abstenir de tenir compte des décisions rendues par un juge d’une cour supérieure d’une province relativement à l’interprétation de règles similaires, plus particulièrement dans le cas où leur libellé est identique, pour l’essentiel, à celui des règles dont la Cour est saisie.

Un certain nombre de décisions ont été rendues sous le régime de la règle 20 des Règles de Procédure Civile [Règl. de l’Ont. 560/84] de l’Ontario, dont les règles 432.1 à 432.7 s’inspirent. Le paragraphe 20.04(2) de ces règles prévoit, tout comme le paragraphe 432.3(1) des Règles de la Cour fédérale, que le tribunal, « s’il est convaincu qu’une demande ou une défense ne soulève pas de question litigieuse, rend un jugement sommaire en conséquence. » Dans l’affaire Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 225 (Div. gén.), le juge Henry a passé en revue plusieurs décisions antérieures des tribunaux ontariens avant de déclarer, aux pages 237 et 238 :

[traduction] À mon avis, il existe une norme minimale moins exigeante établie par la nouvelle règle 20 et la jurisprudence qui se développe. Selon cette norme, la Cour doit, en examinant minutieusement le bien-fondé d’une instance, décider si l’affaire mérite d’être renvoyée à un juge qui l’instruira. Il ne fait aucun doute que l’affaire sera instruite s’il existe de véritables questions de crédibilité qui doivent absolument être tranchées pour qu’une décision sur les faits soit rendue. Hormis ces éléments, la règle prévoit maintenant que le juge chargé des requêtes aura accès à des témoignages rendus sous serment au moyen des affidavits et à d’autres documents exigés par la règle dans lesquels les parties présentent leur cause sous son meilleur jour. On s’attend donc que le juge chargé des requêtes soit en mesure d’évaluer la nature et la qualité de la preuve à l’appui d’une « question litigieuse »; le critère à appliquer ne consiste pas à savoir si la partie demanderesse n’a aucune chance d’avoir gain de cause à la suite de l’instruction; il s’agit plutôt de savoir si la Cour parvient à la conclusion que l’affaire est douteuse au point de ne pas mériter d’être examinée par le juge des faits lors d’une instruction ultérieure; le cas échéant, il faut épargner aux parties « les souffrances et les dépenses liées à une instruction longue et coûteuse après une attente indéterminée » (le juge Farley, dans Avery).

Dans Irving Ungerman Ltd. v. Galanis (1991), 4 O.R. (3d) 545 (C.A.), le juge en chef adjoint Morden de la Cour d’appel de l’Ontario a formulé les remarques suivantes sur la règle ontarienne aux pages 550 et 551 :

[traduction] Le droit d’une partie à un litige de se faire entendre, au sens de la tenue d’une instruction, peut avoir été considéré traditionnellement comme l’élément essentiel de la justice procédurale, et le fait d’en priver une partie, comme la marque d’une injustice procédurale. Il se peut toutefois que dans des procédures ne comportant pas de véritables questions litigieuses qui commandent une instruction, la tenue d’un procès soit inutile, et représente donc un manquement à la justice procédurale. Dans ce type de procédure, la partie qui a gain de cause a, à la fois, subi un retard inutile avant d’obtenir justice sur le fond et dû engager des frais additionnels. La règle 20 est un mécanisme qui permet d’éviter pareil manquement à la justice procédurale.

Il serait pratique que l’expression « question litigieuse » puisse être exprimée sous forme d’une formule précise facile d’application. Toutefois, compte tenu des façons très variées et imprévisibles dont des questions peuvent surgir sous le régime de la règle 20, il n’est pas possible—et l’expérience relative à l’alinéa 56c) aux États-Unis a démontré qu’il peut être nuisible— de donner de l’éclat au libellé de la règle à l’aide d’expressions qui n’en rendent pas bien le sens. (Voir Wright, Miller et Kane, supra, vol. 10A, pp. 97 à 107 et 176 et 177.)

On peut sans risque affirmer que la question ne doit pas être fallacieuse et, plus précisément, que les termes « à instruire » aident à l’interprétation de cette expression. Si la preuve produite dans le cadre d’une requête sollicitant un jugement sommaire convainc la Cour qu’il n’existe pas de questions de fait dont la résolution exige une instruction, les conditions posées par la règle sont remplies. Il doit être clair qu’une instruction est inutile. C’est à la partie requérante qu’il incombe de convaincre le tribunal que sa requête satisfait aux exigences de la règle. De plus, il est important de se rappeler que le rôle du tribunal n’est pas de résoudre une question de fait, mais de déterminer s’il en existe une. (Voir 6 Moore’s Federal Practice, 2e éd. (publication de 1987), p. 56-391; Wright, Miller et Kane, supra, vol. 10A, pp. 574 et 575.[5])

Selon moi, le nouveau processus autorisé par les Règles 432.1 à 432.7 ne doit pas être interprété de façon à empêcher le juge chargé des requêtes de faire ce qu’il prévoit de façon certaine— soit de permettre le prononcé d’un jugement sommaire dans les circonstances appropriées et, partant, des économies par rapport au temps et à l’argent qu’il faudrait autrement consacrer à l’instruction. L’intention qui en ressort est celle d’éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ou les moyens de défense sont manifestement non fondés. Le juge Henry a déclaré, dans l’arrêt Pizza Pizza, précité, que les deux parties doivent [traduction] « présenter leur cause sous son meilleur jour ». L’intimée ne peut demeurer inactive dans l’espoir que la requête échoue d’elle-même en raison de l’insuffisance de la preuve. Le paragraphe 432.2(1) des Règles lui impose l’obligation de ne pas « s’appuyer sur les seules … plaidoiries écrites », mais de produire une preuve qui énonce « des faits précis démontrant l’existence d’une question sérieuse à instruire ». Pour appliquer les nouvelles règles, il faut tenir compte de tous ces éléments.

Je ne peux souscrire à l’opinion du juge chargé des requêtes, selon laquelle le paragraphe 432.2(1) des Règles impose à l’appelante l’obligation de soulever une question sérieuse à instruire. Au contraire, en qualité de parties requérantes, les intimés devaient convaincre la Cour qu’il n’existait aucune question de cette nature (voir la décision Irving Ungerman Ltd., précitée, à la page 551). Les nouvelles Règles semblent exiger que les deux parties produisent les éléments de preuve auxquels elles ont raisonnablement accès relativement aux questions soulevées par les actes de procédure et à partir desquels la Cour peut déterminer s’il existe une question sérieuse à instruire. L’appelante était donc tenue en vertu du paragraphe 432.2(1) des Règles de présenter une preuve, s’il en était, démontrant qu’il existe une question sérieuse à instruire. Selon moi, cette règle n’impose qu’un fardeau relatif à la preuve.

L’appelante soutient que le juge chargé des requêtes a commis une erreur en permettant que la procédure en jugement sommaire suive son cours au motif [traduction] « qu’il n’existe aucune question de fait sérieuse ». L’instance vise, bien sûr, une demande formulée par voie d’action in rem en matière d’amirauté, mais cet élément ne suffit pas en soi pour justifier le refus du redressement demandé. Les règles applicables ne se limitent pas aux actions d’une autre nature[6].

Il est incontestable que l’appelante aurait eu amplement le temps, si elle l’avait voulu, de procéder à un contre-interrogatoire relativement à la preuve par affidavit produite par les intimés. Par contre, le droit à un contre-interrogatoire, bien que fondamental, ne comporte pas les mêmes avantages qu’un interrogatoire au préalable complet mené après la divulgation des documents. En l’espèce, aucune des parties n’a choisi d’exercer son droit à un contre-interrogatoire relativement à la preuve par affidavit déposée par l’autre. Les règles n’imposent pas, selon moi, l’obligation absolue à l’une ou l’autre des parties de mener un contre-interrogatoire, bien que le défaut d’une partie de se prévaloir de ce droit puisse peut-être avoir un effet défavorable sur ces prétentions en raison du manque de preuve. Pareil défaut ne constitue pas pour autant une infraction aux règles, ni ne justifie en soi une conclusion défavorable.

L’appelante, qui aurait normalement dû déposer sa propre preuve, en vertu des règles, pour répondre à celle des intimés, s’est contentée de déposer l’affidavit d’un représentant de l’appelante, dont la teneur ne différait pas beaucoup de celle de l’affidavit portant demande de mandat. Je reconnais que l’appelante n’avait probablement aucun contrôle sur les sources possibles d’éléments de preuve pouvant étayer son affirmation selon laquelle le mazout lourd a été commandé par les propriétaires du navire, ou en leur nom, et sur le crédit du navire. Ces sources se situent dans différents pays du monde—situation courante dans les causes en matière d’amirauté soumises à la Cour, dont la compétence in rem s’étend au monde entier dans la mesure où la chose se trouve dans son ressort au moment de l’introduction de l’action. Il m’est impossible de conclure à partir du dossier que l’appelante a retenu des éléments de preuve qui auraient dû être déposés en réponse à la requête ou, en fait, que l’appelante était dans une situation qui lui permettait de faire des déclarations allant au-delà de celles énoncées dans les affidavits déposés—soit que le mazout lourd a été fourni sur la foi des assertions faites dans la télécopie envoyée le 30 juin 1994 par la société Marine Oil Brokering Co.

Il reste à décider s’il existait une « question sérieuse à instruire ». Les intimés ont, de toute évidence, raison d’affirmer que leur preuve porte que le mazout lourd n’a pas été commandé par les propriétaires du navire, ni par qui que ce soit agissant en leur nom. Selon moi, cette preuve a néanmoins pour seul effet de contredire la preuve tout aussi claire contenue dans les affidavits de l’appelante selon laquelle le mazout lourd a été commandé [traduction] « en conformité avec les instructions reçues de l’acheteur M/V SARLA et de ses propriétaires ». La preuve des intimés n’établit pas vraiment la véracité des faits, bien qu’elle attaque sans équivoque la véracité de la preuve de l’appelante. Toutefois, la question de savoir ce qui s’est véritablement passé n’est toujours pas résolue. Cette question tient en grande partie à la crédibilité des parties et elle ne peut être résolue par un juge chargé des requêtes ni par la présente Cour.

Pris isolément, les contrats compris dans la charte-partie et les documents connexes peuvent bien laisser entendre que ce sont les affréteurs, et non les propriétaires du navire, qui sont responsables de l’approvisionnement en carburant du navire défendeur et du coût du carburant. Toutefois, il n’est pas possible d’exclure catégoriquement que les propriétaires aient pu autoriser cet achat particulier, malgré les stipulations de la charte-partie et des documents connexes. Dans l’arrêt Jensen Star, précité (une affaire concernant des matériels fournis et à des réparations effectuées à un navire), à la page 216, le juge Marceau, J.C.A., a réaffirmé le principe consacré par une série de jugements de la Cour de l’Échiquier du Canada et de la Section de première instance de la présente Cour, selon lequel « une action in rem est possible seulement si le propriétaire a engagé personnellement sa responsabilité à l’égard de la somme réclamée ». Il a ensuite dressé trois scénarios possibles pouvant engager la responsabilité du propriétaire d’un navire [à la page 217] :

… le propriétaire peut avoir conclu le contrat lui-même, il peut avoir autorisé quelqu’un à s’engager sur son crédit personnel, ou il peut avoir autorisé expressément ou implicitement une personne qui a la possession et le contrôle du navire à tirer du crédit du navire (plutôt que de la totalité de ses biens personnels).

En l’espèce, il n’est pas clair si les propriétaires ont commandé le mazout lourd par l’intermédiaire de leurs agents, ou si c’est le capitaine, qui demeurait responsable du navire, qui les a commandées par nécessité avec l’autorisation réelle ou apparente de ses propriétaires.

Selon moi, la preuve des intimés ne réfute pas l’allégation contenue dans la preuve de l’appelante selon laquelle le mazout lourd a été commandé [traduction] « en conformité avec les instructions reçues de l’acheteur M/V SARLA et de ses propriétaires ». Cette déclaration ne doit pas être dissociée de son contexte et notamment du fait qu’au moment où le carburant a été fourni au navire défendeur, celui-ci avait peut-être été remis à ses propriétaires en vertu de la charte-partie.

J’ai conclu qu’il existe une « question » de fait « sérieuse » qui ne peut être résolue qu’à l’issue d’une instruction. En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens et j’annulerais l’ordonnance de la Section de première instance.

Le juge Marceau, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Il faut souligner que, bien que cette preuve émane d’un représentant de la société Praxis Maritime Services Ltd., le déposant ne précise pas qu’il se fonde sur des renseignements ou une croyance, comme l’exigent les art. 432.2(1) et 332(1) des Règles.

[2] La mention du « paragraphe 332(1) » renvoie de toute évidence aux Règles; ce paragraphe se lit ainsi :

Règle 332. (1) Les affidavits doivent se restreindre aux faits que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance qu’il en a, sauf en ce qui concerne les requêtes interlocutoires pour lesquelles peuvent être admises des déclarations fondées sur ce qu’il croit et indiquant pourquoi il le croit.

[3] An Act to improve the Practice and extend the Jurisdiction of the High Court of Admiralty of England (R.-U.), 1840, 3 & 4 Vict., ch. 65, art. 6; The Admiralty Court Act, 1861 (R.-U.), 24 Vict., ch. 10, art. 5.

[4] Dans le jugement The Mogileff, [1921] P. 236 (Adm.), par exemple, le juge Hill a déclaré, à la p. 243 :

[traduction] Il s’agit uniquement d’exemples du principe selon lequel vous ne pouvez intenter une action in rem pour des choses de première nécessité, à moins qu’à la date de la poursuite, vous ne puissiez intenter une action en paiement d’une dette relativement à l’objet précis visé par votre réclamation.

S’il était possible de démontrer que le capitaine a commandé le mazout lourd, les propriétaires seraient normalement liés et le crédit du navire engagé, à moins que le capitaine n’ait agi sans pouvoir réel ou apparent (décision The Mogileff, précitée, à la p. 243.) Le dossier ne contient aucun affidavit du capitaine ou du chef mécanicien du navire défendeur. En fait, les intimés n’affirment nulle part dans la preuve que ni l’un ni l’autre de ces officiers n’ont commandé le mazout lourd.

[5] Ces observations ont été faites à la lumière de la politique formulée dans le paragraphe 1.04(1) des Règles de l’Ontario selon lesquelles les règles « doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance civile, de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse ». Le paragraphe 2(2) des Règles de la Cour fédérale, bien que libellé différemment, semble viser le même objectif. Il dispose, notamment, que les règles « doivent s’interpréter les unes par les autres et autant que possible faciliter la marche normale des procès plutôt que la retarder ou y mettre fin prématurément ». Voir aussi les Règles 6 [édictée par DORS/90-846, art. 2] et 302.

[6] Comparer aux Rules of the Supreme Court [SI 1965/1776], Order 14, rule 1, de l’Angleterre, qui permettent le prononcé d’un jugement au motif que [traduction] « la partie défenderesse ne fait valoir aucun moyen de défense », mais déclarent cette règle inapplicable à [traduction] « une action in rem en matière d’amirauté ».

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