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[1995] 2 C.F. 455

A-342-93

La Commission canadienne des droits de la personne (appelante) (intimée)

c.

Umesh Pathak (également connu sous le nom de Mesh Pathak) (intimé) (requérant)

et

La Banque Royale du Canada (intimée) (intimée)

Répertorié : Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak (C.A.)

Cour d’appel, juges Pratte, MacGuigan et Décary, J.C.A.—Vancouver, 3 avril; Ottawa, 11 avril 1995.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Appel interjeté contre une ordonnance enjoignant à la CCDP de produire tous les documents utilisés pour la préparation du rapport de l’enquêteur — Après étude du rapport de l’enquêteur et des observations de l’intimé, la CCDP a rejeté la plainte alléguant l’existence d’actes discriminatoires — La Règle 1612(4) prévoit que la demande de production des pièces en la possession du Tribunal doit indiquer de façon précise les pièces demandées; les pièces doivent être pertinentes — Pertinence établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance et dans l’affidavit — Puisque rien ne permet de douter de l’exactitude ou de l’intégralité du rapport, la demande de production des documents est rejetée.

Droits de la personne — Appel interjeté contre une ordonnance enjoignant à la CCDP de produire les documents utilisés pour la préparation du rapport de l’enquêteur — Après étude du rapport de l’enquêteur et des observations de l’intimé, la CCDP a rejeté la plainte alléguant l’existence d’actes discriminatoires — Même si l’enquêteur est un prolongement de la Commission, l’étape de l’enquête et celle de la décision sont deux étapes distinctes — Aux termes de l’article 44 de la LCDP, la CCDP peut se fonder sur un rapport sans examiner le dossier complet de l’enquête — Les documents ne sont pas tous en la possession de la CCDP lorsqu’elle rend sa décision — Seuls les documents demandés par la CCDP pour rendre sa décision sont en la possession de la CCDP — Il n’est pas nécessaire que soient soumis les documents utilisés par l’enquêteur dans la préparation de son rapport.

Il s’agit d’un appel interjeté contre une ordonnance de la Section de première instance qui enjoignait à la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) de produire tous les documents utilisés par l’enquêteur dans la préparation d’un rapport relatif à de prétendus actes discriminatoires, dans la mesure où les documents étaient accessibles et sous la garde de la Commission. Après étude du rapport de l’enquêteur et des observations du plaignant, la Commission a rejeté la plainte. Le plaignant (intimé dans la présente espèce) a fait une demande de contrôle judiciaire et, conformément à la Règle 1612 des Règles de la Cour fédérale, il a demandé que soit rendue une ordonnance forçant la Commission à produire tous les documents utilisés par l’enquêteur dans la préparation du rapport. Le juge des requêtes a estimé que l’enquêteur avait mené l’enquête en tant que prolongement de la Commission et non en tant que personne indépendante de celle-ci. Il est arrivé à la conclusion que les documents en la possession de l’enquêteur étaient en réalité en la possession de la Commission et donc intéressaient la demande de contrôle judiciaire et qu’ils devaient être produits.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Le juge Pratte (le juge Décary y souscrit) : La Règle 1612(4) prévoit que la demande de pièces se trouvant en la possession de l’office fédéral qui a rendu la décision doit indiquer de façon précise les pièces demandées et que ces pièces doivent être pertinentes à la demande de contrôle judiciaire. La pertinence des documents demandés doit être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit produits par le requérant. Puisque l’avis de requête introductif d’instance, l’affidavit et les autres pièces ne laissent rien voir qui permette de douter de l’exactitude ou de l’intégralité du rapport de l’enquêteur, on doit considérer les moyens invoqués et évaluer la pertinence des documents demandés en énonçant pour hypothèse que le rapport de l’enquêteur est un résumé fidèle et complet de la preuve produite aux fins de l’enquête. La production des documents ne servirait donc manifestement aucune fin utile.

Le juge MacGuigan (le juge Décary y souscrit) : L’enquêteur est un prolongement de la Commission. Ce qui est en la possession de l’enquêteur est en la possession de la Commission. Mais cela ne veut pas dire que l’enquêteur et la Commission doivent à toutes fins être considérés comme une seule et même personne. Tous les documents étaient sous la garde de la Commission, mais ils n’étaient pas tous effectivement devant la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision. Seuls les documents que la Commission avait demandés se trouvait en sa possession. Si la Commission choisit de ne pas demander tel ou tel document, alors ce document ne se trouve pas devant la Commission à l’étape de la décision, par opposition à l’étape de l’enquête. Ce sont là deux moments différents de la vie de la Commission.

La CCDP a rendu sa décision en conformité avec l’article 44. L’intention de cet article, c’est que la Commission n’est pas tenue d’examiner le dossier complet de l’enquête, mais peut se fonder uniquement sur le rapport de l’enquêteur. Le rapport déclenche l’action de la Commission, et c’est le seul document formant la base de la décision de la Commission sur la manière de régler la plainte.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 43 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 63), 44 (mod., idem, art. 64).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1612 (édictée par DORS/92-43, art. 19), 1613 (édictée, idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Whiteman c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 9 C.H.R.R. D/4944 (C.A.F.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; (1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 100 N.R. 241.

APPEL d’une ordonnance enjoignant à la CCDP de produire tous les documents utilisés par l’agent des droits de la personne pour la préparation de son rapport d’enquête sur lequel la CCDP s’était fondée pour rejeter une plainte d’actes discriminatoires. Appel accueilli.

AVOCATS :

Margaret Rose Jamieson pour l’appelante (intimée).

Manuel A. Azevedo pour l’intimé (requérant) Umesh Pathak (également connu sous le nom de Mesh Pathak).

Gillian L. Gardiner pour l’intimée (intimée) la Banque Royale du Canada.

PROCUREURS :

Conseiller juridique, Commission canadienne des droits de la personne pour l’appelante (intimée).

Manuel A. Azevedo, Vancouver, pour l’intimé (requérant) Umesh Pathak (également connu sous le nom de Mesh Pathak).

Bull, Houser & Tupper, Vancouver, pour l’intimée (intimée) la Banque Royale du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Pratte, J.C.A. : La Cour est saisie d’un appel interjeté contre une ordonnance de la Section de première instance rendue en vertu de la Règle 1613 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/92-43, art. 19)] et enjoignant à la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») de produire des copies certifiées conformes de certains documents.

Le 17 avril 1991, l’intimé Umesh Pathak (l’« intimé ») déposait auprès de la Commission une plainte alléguant qu’il avait été victime d’un acte discriminatoire de la part de la Banque Royale du Canada. La Commission, conformément à l’article 43 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 63)] (la « Loi »), a donné mandat à un certain Bob Fagan d’enquêter sur la plainte. À l’issue de son enquête, M. Fagan a préparé le compte rendu de ses conclusions et a recommandé le rejet de la plainte. Un exemplaire de ce rapport a été envoyé à l’intimé pour qu’il présente son point de vue. Il a répondu par des observations écrites détaillées, que l’enquêteur a présenté à la Commission en même temps que son rapport. Le 18 mars 1992, après étude du rapport de l’enquêteur et des observations de l’intimé, la Commission a décidé, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) [mod., idem, art. 64] de la Loi, « de rejeter la plainte pour le motif que, eu égard à la preuve produite, la prétendue discrimination est inexistante ».

Le 23 avril 1992, l’intimé, qui n’était pas alors représenté par un avocat, a déposé un avis de requête introductif d’instance en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)], demandant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission pour les deux motifs suivants, savoir :

(1) « la décision a été rendue illégalement parce que la Commission a ignoré la preuve pertinente, interprété erronément la preuve produite et tiré des conclusions de fait qui étaient manifestement déraisonnables au point de constituer une erreur révisable »; et

(2) « la conduite de la Commission a été telle que l’[intimé] a subi un déni de justice naturelle et de justice fondamentale »[1].

Outre cet avis de requête, l’intimé a produit un affidavit dans lequel il déclarait simplement son intention de produire ultérieurement un affidavit plus détaillé. Il ne semble pas que cet affidavit complémentaire ait jamais été produit.

L’avis de requête renfermait aussi, comme l’autorise la Règle 1612(2) [édictée par DORS/92-43, art. 19], une demande pour que « la Commission envoie une copie certifiée conforme du dossier au requérant et au greffe »[2]. La Commission a accédé à cette demande et, le 8 mai 1992, a déposé des copies de tous les documents qui étaient en sa possession lorsqu’elle a décidé de rejeter la plainte de l’intimé.

Quelques mois plus tard, après constitution d’avocat, l’intimé a demandé, entre autres, que soit rendue une ordonnance enjoignant à la Commission de produire et de déposer « tous les documents utilisés par l’agent des droits de la personne Bob Fagan dans la préparation du rapport d’enquête ». Le juge des requêtes a fait droit à cette demande.

C’est contre sa décision que le présent appel est formé.

Le juge a estimé, avec raison, qu’il devait ordonner la production des documents si tels documents se rapportaient à la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, comme il se considérait lié par les prononcés du juge Sopinka dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 898 selon lesquels, aux termes de la Loi, « [l]’enquêteur qui mène l’enquête le fait en tant que prolongement de la Commission » et non « comme une personne indépendante de la Commission qui présente des preuves en témoignant devant elle », il est arrivé à la conclusion que les documents en la possession de l’enquêteur étaient en réalité en la possession de la Commission et que, pour ce motif, ils intéressaient la demande de contrôle judiciaire.

À mon avis, cette décision ne peut être conciliée avec les dispositions des Règles de la Cour fédérale et celle de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Aux termes de la Règle 1600 et suivantes, une demande de contrôle judiciaire débute par un avis de requête introductif d’insistance, avis qui doit, entre autres, « indique[r] … avec précision, le redressement recherché », « indique[r] … les motifs au soutien de la demande de même que les dispositions législatives ou règles afférentes » et « indique[r] … au moyen d’une liste, les éléments de preuve documentaires qui seront utilisés à l’audition ». L’avis de requête doit être accompagné d’un affidavit « qui confirm[e] … les faits sur lesquels [la partie requérante] se fonde ». Un requérant ne peut demander le contrôle judiciaire d’une décision simplement parce que la décision ne lui plaît pas. Il doit connaître et mentionner les irrégularités qui, selon lui, ont pour effet de vicier cette décision.

Aux termes de la Règle 1612, une partie à une demande de contrôle judiciaire qui veut se servir de pièces en la possession du tribunal administratif qui a rendu la décision visée par la demande peut demander une copie certifiée conforme de ces pièces. La Règle 1612(4) se lit ainsi :

Règle 1612. …

(4) La demande indique de façon précise les pièces en possession de l’office fédéral; ces pièces doivent être pertinentes à la demande de contrôle judiciaire.

Si les pièces ne sont pas pertinentes, le tribunal administratif n’est pas tenu de les produire.

Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s’il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l’intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit produits par l’intimé.

Dans la présente espèce, la décision de la Commission dont l’intimé voudrait obtenir la réformation a été rendue en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi, sur la foi du rapport préparé par M. Fagan et des conclusions écrites envoyées par l’intimé en réponse à ce rapport. L’article 44 de la Loi prévoit clairement que la Commission doit rendre sa décision[3] sur la foi du rapport de l’enquêteur. La Loi présume en effet que le rapport de l’enquêteur présente fidèlement toute la preuve produite aux fins de l’enquête. Cette présomption doit être prise en considération dans l’évaluation de la pertinence des documents demandés par l’intimé.

L’intimé demande la production de tous les documents utilisés par l’enquêteur dans la préparation de son rapport. L’avis de requête introductif d’instance de l’intimé, son affidavit ou les autres pièces en la possession de la Cour ne laissent rien voir qui permette de douter de l’exactitude ou de l’intégralité du rapport de M. Fagan. Il s’ensuit que l’on doit considérer les moyens invoqués par l’intimé dans son avis de requête introductif d’instance et évaluer la pertinence des documents demandés en énonçant pour hypothèse que le rapport de l’enquêteur est un résumé fidèle et complet de la preuve produite aux fins de l’enquête. La production des documents ne servirait donc manifestement aucune fin utile.

J’accueillerais l’appel et modifierais l’ordonnance de la Section de première instance par suppression du paragraphe 3 de cette ordonnance.

Le juge Décary, J.C.A. : J’y souscris.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Je souscris entièrement aux motifs de la décision de mon collègue le juge Pratte, J.C.A. mais je voudrais ajouter quelques considérations supplémentaires.

Après avoir engagé des procédures de contrôle judiciaire devant la Section de première instance, l’intimé a ensuite demandé qu’une ordonnance soit rendue enjoignant à la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») de produire et de déposer certains documents. La Commission a fait droit à la requête, sauf pour la demande visant « tous les documents utilisés par l’agent des droits de la personne Bob Fagan pour la préparation du rapport d’enquête » (dossier d’appel, à la page 51).

Le juge des requêtes a fait droit à la requête, y compris à cette demande, et il a ordonné à la Commission de produire tous les documents utilisés par l’agent des droits de la personne, Bob Fagan, (à l’exclusion des notes de celui-ci) pour la préparation du rapport d’enquête … dans la mesure où tels documents étaient accessibles et en la possession de la Commission le 16 novembre 1992. Le juge des requêtes a estimé que, conformément à la Règle 1612, toutes ces pièces étaient pertinentes (dossier d’appel, à la page 66).

Le principal précédent judiciaire dans ce domaine est l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, dans lequel la Cour suprême a jugé à la majorité (4 contre 2) que la décision de la Commission relative à une plainte n’était pas une décision de nature judiciaire ou quasi judiciaire, mais plutôt une décision administrative susceptible de contrôle uniquement au titre de l’équité dans les procédures et non au titre de « l’ensemble des règles de justice naturelle » (à la page 897).

S’exprimant au nom de trois des quatres juges de la majorité, le juge Sopinka fait deux énoncés qui intéressent la présente espèce. Le premier se rapporte à la relation entre un enquêteur et la Commission (à la page 898) :

L’enquêteur qui mène l’enquête le fait en tant que prolongement de la Commission. Pour ma part, je ne considère pas l’enquêteur comme une personne indépendante de la Commission qui présente des preuves en témoignant devant elle. Ce qui arrive plutôt c’est que l’enquêteur établit un rapport à l’intention de la Commission. C’est là simplement une illustration du principe qui s’applique aux tribunaux administratifs, savoir qu’ils ne sont pas tenus de s’acquitter eux-mêmes de la totalité de leurs tâches, mais peuvent en déléguer une partie à d’autres. Bien que l’art. 36 [maintenant l’art. 44] n’exige pas la remise d’une copie du rapport aux parties, cela a été fait en l’espèce.

Le juge des requêtes, considérant que ce passage disposait de l’affaire dont il était saisi, a tenu les propos suivants (dossier d’appel, à la page 75) :

On ne comprend guère comment on pourrait s’opposer à ce que le requérant demande que l’on produise devant la Cour l’ensemble des documents dont la Commission a pu disposer. Cela vaut pour l’ensemble des documents utilisés par l’enquêteur dont les travaux sont, en droit, assimilés à ceux de la Commission. Comme l’a rappelé le juge Sopinka dans le passage de l’arrêt S.E.P.Q.A. cité plus haut « l’enquêteur qui mène l’enquête le fait en tant que prolongement de la Commission ». Il n’est pas « une personne indépendante de la Commission qui présente des preuves en témoignant devant elle ». Ainsi, selon la haute juridiction, la CCDP est réputée avoir elle-même eu connaissance de l’ensemble des documents retenus par l’enquêteur. Pour décider si la Commission a effectivement commis une erreur de droit ou outrepassé ses compétences, il faut que l’instance de contrôle judiciaire sache quels sont les éléments au vu desquels la CCDP a décidé, comme elle l’a fait, qu’il y avait lieu de rejeter la plainte formulée par le requérant. Or, d’après la Cour suprême, les travaux de l’enquêteur sont, en droit, assimilés à ceux de la Commission, l’enquêteur étant comme un prolongement de celle-ci. Ces documents sont, ou pourraient très bien être, d’une importance capitale pour l’exercice correct du contrôle judiciaire auquel vont prendre part les parties en l’espèce.

Je regrette de devoir dire que le juge des requêtes a, pour des raisons compréhensibles, commis une erreur en interprétant trop littéralement les propos du juge Sopinka. L’enquêteur, il est vrai, n’est pas une personne indépendante de la Commission qui présentera des preuves en témoignant devant elle, mais un prolongement de la Commission. Rappelant l’ordonnance du juge des requêtes : « tous les documents utilisés par l’agent des droits de la personne … pour la préparation du rapport de l’enquête … dans la mesure où tels documents étaient accessibles et en la possession de la Commission » soulignement ajouté, je serais d’avis qu’il n’était pas possible pour la Commission d’affirmer qu’elle n’avait pas la garde de tels documents. En ce sens, ce qui est en la possession de l’enquêteur est en la possession de la Commission.

Mais cela ne veut pas dire, selon moi, que l’enquêteur et la Commission doivent à toutes fins être considérés comme une seule et même personne. Tous les documents étaient sous la garde de la Commission et d’un accès facile, mais l’on ne saurait dire qu’ils étaient effectivement devant la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision. Affirmer le contraire serait établir une fiction juridique illimitée fusionnant l’identité de l’enquêteur et celle de la Commission, deux personnes à bien des égards distinctes.

Ce qui était en la possession de la Commission, aux fins de la décision, c’était seulement ce que la Commission avait demandé. Dans le cas qui nous intéresse, il ressort nettement de l’affidavit du secrétaire de la Commission (dossier d’appel, à la page 6 et suivantes) que les documents n’étaient pas tous effectivement en la possession de la Commission. Par exemple, les évaluations de la Banque Royale du Canada relatives à la performance de l’intimé ne figuraient pas dans la liste des documents soumis à la Commission.

La meilleure preuve que les propos du juge Sopinka ne peuvent avoir le sens que leur attribue le juge des requêtes est le propre énoncé du juge Sopinka un peu plus loin dans l’arrêt Syndicat (à la page 902) :

La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l’enquêteur, les autres données de base qu’elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. [Soulignement ajouté].

Seuls le rapport de l’enquêteur et les observations des parties sont nécessaires pour la décision de la Commission. Tout le reste est laissé au bon plaisir de la Commission. Si la Commission choisit donc de ne pas demander tel ou tel document, alors on ne peut dire que ce document se trouve devant la Commission à l’étape de la décision, par opposition à l’étape de l’enquête. Ledit document ne saurait donc faire l’objet d’une demande de production à titre de document utilisé par la Commission dans sa décision, même s’il a fort bien pu être utilisé par l’enquêteur dans son rapport. Ce sont là deux moments différents de la vie de la Commission, des moments distincts qui ne sauraient être confondus par l’effet d’une fiction juridique.

Par ailleurs, il semble que l’intention évidente de l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, c’est que les membres de la Commission ne sont pas tenus d’examiner le dossier complet de l’enquête, mais sont censés se fonder uniquement sur le rapport. La disposition se lit en partie ainsi :

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer, en application de l’article 49, un tribunal des droits de la personne chargé d’examiner la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(4) Après réception du rapport, la Commission :

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphe (2) ou (3);

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée, de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

Tout arrive lorsque le rapport est reçu. Le rapport n’est pas seulement ce qui déclenche l’action de la Commission, c’est aussi le seul document formant la base de la décision de la Commission sur la manière de régler la plainte.

La même conclusion ressort des décisions de la Cour d’appel fédérale.

Par exemple, dans l’espèce Whiteman c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 9 C.H.R.R. D/4944 (C.A.F.), paragraphe 37973, le juge Marceau affirme sans ambages que « c’était en effet sur le fondement du rapport de l’enquêteur et des observations des parties que la Commission [canadienne des droits de la personne] était tenue de rendre sa décision ».

À mon avis, l’appel doit donc être accueilli et l’affaire réglée comme l’indique le juge Pratte.

Le juge Décary, J.C.A. : J’y souscris.



[1] L’intimé a plus tard reçu l’autorisation de modifier son avis de requête pour y alléguer un motif additionnel de réformation, savoir le suivant : « la Commission a commis un excès de pouvoir en appliquant un critère juridique erroné dans l’interprétation du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ».

[2] La Commission aurait pu refuser de se conformer à cette demande. La Règle 1612 n’autorise pas une partie à demander la production de documents qu’il a déjà en sa possession ou à utiliser la demande de production de documents comme moyen d’enquête pour savoir si le tribunal administratif a en sa possession des documents qui pourraient appuyer son argumentation.

[3] Les paragraphes 44(1) et (3) se lisent en partie ainsi :

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifiée.

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