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[1995] 2 C.F. 389

A-553-93

Alfred Goodswimmer, Keith Goodswimmer, Jerry Goodswimmer et Ron Sunshine, pour leur propre compte et pour le compte d’autres membres de la bande indienne de Sturgeon Lake, le conseil de la bande indienne de Sturgeon Lake, Mary Kappo, Mary Delphine Goodswimmer, Lucy Sunshine, Louise Redhead, Cecile Kiyawasew, Marina Plante, Florestine Chowace, Forence Standingribbon[1], Wilfred Goodswimmer et le conseil régional indien du Petit lac des Esclaves (appelants)

c.

Le procureur général du Canada, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et Darlene Desjarlais, en sa qualité de chef de la bande indienne de Sturgeon Lake (intimés)

Répertorié : Goodswimmer c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Strayer et McDonald, J.C.A.—Edmonton, 23 février; Ottawa, 21 mars 1995.

Peuples autochtones — Élections — Appel de l’ordonnance dans laquelle la Section de première instance a conclu qu’une personne n’ayant pas qualité d’électeur pouvait être élue chef de bande — L’intimée a été élue chef de la Bande bien que n’étant ni électrice ni indienne — Aucune condition d’éligibilité n’était requise relativement au poste de chef sous le régime de l’art. 74(3)a)(i) de la Loi sur les Indiens — La Cour ne saurait faire abstraction du sens manifeste de la Loi même si elle est anormale.

Interprétation des lois — Interprétation de l’art. 74(3)a)(i), (ii) de la Loi sur les Indiens — La question est de savoir si un chef de bande doit avoir qualité d’électeur — Historique législatif de la Loi sur les Indiens — La Loi est muette quant aux conditions d’éligibilité requises pour qu’une personne soit élue chef — Il faut interpréter libéralement les traités et les lois relatifs aux Indiens — On ne saurait faire abstraction du sens manifeste de la Loi même si elle donne lieu à des résultats absurdes.

Appel est interjeté de l’ordonnance dans laquelle la Section de première instance a conclu que, s’agissant de l’interprétation de la Loi sur les Indiens, une personne qui n’est pas un électeur de la bande indienne de Sturgeon Lake peut être élue chef de cette bande. Cette personne, l’un des intimés à l’instance, a été élue chef de la Bande bien qu’elle ne fût ni un membre de celle-ci ni une Indienne inscrite. Après que des appels eurent été déposés contre son élection, elle a été défaite à une nouvelle élection au poste de chef par l’un des appelants. Il a été allégué devant la Section de première instance que le sous-alinéa 74(3)a)(i) de la Loi devrait s’interpréter comme signifiant qu’une personne n’est habile à être élue chef de la bande que si elle a qualité d’« électeur » selon la définition donnée à l’article 2 de la Loi. Le juge des requêtes a rejeté cette prétention. La principale question qu’il faut trancher dans le présent appel était de savoir si c’est à tort que le juge des requêtes a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’avoir qualité d’« électeur » pour pouvoir être élu chef de la bande indienne de Sturgeon Lake.

Jugement : l’appel doit être rejeté.

Les traités et les lois visant les Indiens devraient recevoir une interprétation libérale, et toute ambiguïté devrait profiter aux Indiens. Les lois fédérales depuis la Confédération régissant l’élection d’un chef ou de chefs d’une bande sont muettes quant aux conditions d’éligibilité. Les règles de droit régissant l’élection d’un chef de bande ont été sensiblement changées par la Loi sur les Indiens de 1951. En vertu de celle-ci, les deux anciens modes d’élection d’un chef de bande ont été remplacés par un régime complexe qui prévoyait l’élection d’un chef, dans les circonstances y exposées, soit par vote direct soit par le vote des conseillers qui, eux, avaient été élus par vote direct. À part les conditions de présentation, la loi ne posait aucune condition d’éligibilité relativement au poste de chef dans les cas où l’élection devait se faire par vote direct conformément au sous-alinéa 73(3)a)(i). L’historique de la législation antérieure à 1951 n’est d’aucun secours pour ce qui est de l’interprétation de l’alinéa 74(3)a) de la loi actuelle. La loi de 1951 n’indique nullement que les conditions à remplir pour se faire élire chef de bande sont considérées comme assimilables à celles auxquelles il faut satisfaire pour être élu préfet ou maire d’une municipalité.

Il résulte de l’interprétation donnée par le juge des requêtes aux sous-alinéas 74(3)a)(i) et (ii) de la Loi actuelle que la personne qui brigue le poste de chef de bande n’a pas à être électeur, mais qu’on doit avoir cette qualité pour se faire élire chef par les conseillers élus. Voilà, prétendent les appelants, qui mène à une absurdité qui n’a pas pu être dans les intentions du législateur. Le fait qu’une disposition aboutit à des résultats absurdes n’est pas suffisant pour affirmer qu’elle est ambiguë et procéder ensuite à une analyse d’interprétation globale. Une personne dans la situation de l’intimée, Mme Desjarlais, pourrait fort bien réussir à être candidate au poste de chef même si elle n’avait pas qualité d’« électeur », mais cela ne conduit pas inévitablement à son élection à ce poste. Aux termes de la Loi, cette décision appartient aux personnes auxquelles il revient en dernière analyse de choisir leur chef, et ces personnes sont les « électeurs » de la Bande au sens de l’article 2 de la Loi. La Cour ne saurait faire abstraction du sens manifeste de la Loi du seul fait que d’aucuns pourraient la considérer comme anormale.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte de l’avancement des Sauvages, 1884, S.C. 1884, ch. 28, art. préambule, 3, 4, 5, 6, 10.

Acte de l’avancement des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 44, art. 5, 6, 10, 177 à 194.

Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 43, art. 75, 93, 94, 95, 96, 127, 166.

Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages, et à l’extension des dispositions de l’acte trente-et-un Victoria, chapitre quarante-deux, S.C. 1869, ch. 6, art. 10.

Acte relatif aux Sauvages, 1880, S.C. 1880, ch. 28, art. 72, 73.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

L’Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, ch. 18, art. 61, 62.

Local Authorities Election Act, S.A. 1983, ch. L-27.5, art. 21, 47.

Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 96, 97, 98, 99, 157, 168-194.

Loi des sauvages, S.R.C. 1906, ch. 81, partie I, partie II.

Loi modifiant la Loi des Indiens, S.C. 1936, ch. 20, art. 13.

Loi sur la révision des lois, S.C. 1974-75-76, ch. 20, art. 5, 6, 7.

Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, art. 73, 74(2), 80, 81(2), 82(1), 123(1),(2).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 73(1),(2),(3).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 74(1),(2),(3).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2 « bande », « électeur » (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 1), « liste de bande » (édicté, idem ), « réserve » (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1), 74, 75, 76, 77 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14), 78, 79, 81 (mod., idem, art. 15), 82, 83 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 10).

Loi sur les Indiens (Établissement de soldats), S.R.C. 1927, ch. 98, art. 187, 188, 189, 190.

Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40, art. 4.

Municipal Government Act, R.S.A. 1980, ch. M-26, art. 29.

Règlement sur le mode d’élection du conseil de certaines bandes indiennes, DORS/90-46, art. 2, 3, annexe 1.

Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 952.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. McIntosh, [1995] A.C.S. no 16 (QL); Cardinal et autres c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 508; (1982), 133 D.L.R. (3d) 513; [1982] 3 W.W.R. 673; 41 N.R. 300.

DÉCISION CONFIRMÉE :

Goodswimmer c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1994] 2 C.N.L.R. 56; (1993), 66 F.T.R. 279 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; River Wear Commissioners v. Adamson and Others, [1874-80] All E.R. Rep. 1 (H.L.).

DÉCISIONS CITÉES :

R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85; (1990), 71 D.L.R. (4th) 193; [1990] 5 W.W.R. 97; 67 Man. R. (2d) 81; [1990] 3 C.N.L.R. 46; 110 N.R. 241; 3 T.C.T. 5219.

DOCTRINE

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

APPEL d’une ordonnance de la Section de première instance ([1994] 2 C.N.L.R. 56; (1993), 66 F.T.R. 279) selon laquelle, s’agissant de l’interprétation de la Loi sur les Indiens, une personne qui n’est pas un électeur de la bande indienne de Sturgeon Lake peut être élue au poste de chef de la bande. Appel rejeté.

AVOCATS :

Philip P. Healey, John K. Gormley et Catherine M. Twinn pour les appelants Mary Kappo, Mary Delphine Goodswimmer, Lucy Sunshine, Louise Redhead, Cecile Kiyawasew, Marina Plante, Florestine Chowace, Florence Standingribbon, Wilfred Goodswimmer et le conseil régional indien du Petit lac des Esclaves.

Robert W. Hladun, c.r., et Gary R. Braun pour les appelants Alfred Goodswimmer, Keith Goodswimmer, Jerry Goodswimmer et Ron Sunshine pour leur propre compte et pour le compte d’autres membres de la bande indienne de Sturgeon Lake.

Kirk N. Lambrecht pour les intimés.

PROCUREURS :

Shibley, Righton, Toronto, McLennan Ross, Edmonton, et Catherine M. Twinn, Slave Lake, Alberta, pour les appelants Mary Kappo, Mary Delphine Goodswimmer, Lucy Sunshine, Louise Redhead, Cecile Kiyawasew, Marina Plante, Florestine Chowace, Florence Standingribbon, Wilfred Goodswimmer et le conseil régional indien du Petit lac des Esclaves.

Hladun & Company, Edmonton, pour les appelants Alfred Goodswimmer, Keith Goodswimmer, Jerry Goodswimmer et Ron Sunshine pour leur propre compte et pour le compte d’autres membres de la bande indienne de Sturgeon Lake.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : Il s’agit d’un appel attaquant une ordonnance en date du 31 août 1993 [[1994] 2 C.N.L.R. 56] par laquelle la Section de première instance a répondu à une question soulevée dans une action relativement à laquelle les parties avaient déposé un exposé conjoint des faits. La même question découlant des mêmes faits a été posée dans un second litige qu’a tranché la Section de première instance par ordonnance portant la même date. La Cour se trouve saisie également d’un appel (A-553-93) interjeté contre cette seconde ordonnance. Les motifs qui suivent valent pour les deux appels et seront déposés en conséquence.

Les faits

La bande indienne de Sturgeon Lake (ci-après la Bande) est une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, et modifications (ci-après la Loi). De même, la réserve, située à proximité de Valleyview (Alberta), est une « réserve » [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1] au sens de la Loi. Par arrêté daté du 14 décembre 1986, pris en application du paragraphe 74(1) de la Loi, le ministre a déclaré que la Bande était de celles dont le chef et le conseil sont choisis en conformité avec la Loi[2]. Le conseil se compose normalement d’un chef et de douze conseillers. Le chef est élu à la majorité des votes des électeurs de la bande, conformément au sous-alinéa 74(3)a)(i) de la Loi, comme le sont également les conseillers, suivant le sous-alinéa 74(3)b)(i).

Le 28 août 1991, des élections ont été tenues en vue de choisir un chef et douze conseillers. Un appel formé auprès du ministre a entraîné l’annulation de ces élections et de nouvelles élections ont eu lieu le 31 mars 1992. Lors de ces nouvelles élections, Darlene Desjarlais s’est fait élire chef de la Bande; elle a en conséquence assumé cette charge. Mme Desjarlais, n’étant pas membre de la Bande, n’avait pas qualité d’électeur lors des élections de la Bande, même si elle était mariée avec un membre et habitait dans la réserve. De plus, elle n’était pas Indienne inscrite. En avril 1992, des appels ont été déposés à l’égard de l’élection de Mme Desjarlais. Par lettre datée du 13 juillet 1992, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a indiqué qu’il n’existait pas de motifs suffisants pour permettre au ministre de recommander au gouverneur en conseil l’annulation de l’élection. Le Ministère laissait d’ailleurs prévoir son point de vue relativement à l’aptitude à être élu chef de bande dans sa lettre du 29 avril 1992 adressée à Mme Desjarlais, où se trouve notamment le passage suivant :

[traduction] Je tiens en particulier à confirmer votre aptitude à vous porter candidate au poste de chef. Aux termes du paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens (copie jointe), seul un électeur peut être présenté au poste de conseiller.

La Loi sur les Indiens n’établit cependant aucun critère d’éligibilité en ce qui concerne les candidats au poste de chef. En acceptant les candidatures à ce poste, le préposé aux élections ne tient compte ni de l’appartenance à la bande, ni de la résidence, ni de l’âge. Il s’ensuit que vous étiez habile à poser votre candidature et que c’est en conformité avec les dispositions applicables de la Loi sur les Indiens que vous avez été élue chef.

La question en litige

Le 31 août 1993, date des ordonnances portées en appel, Mme Desjarlais a été défaite par l’un des appelants lors d’une nouvelle élection. Dans ces circonstances, la Cour (le juge Hugessen, J.C.A.) a rendu, le 31 octobre 1994, des ordonnances portant jonction des deux appels et accordant, entre autres, l’autorisation de modifier l’intitulé de la cause et les actes de procédure. On nous demande simplement de répondre à la question suivante, à laquelle a répondu la Section de première instance [à la page 57] :

[traduction] La question de savoir si, selon l’interprétation qu’il convient de donner à la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, dans sa forme modifiée, et aux règlements d’application, une personne qui n’est pas un électeur de la bande indienne de Sturgeon Lake (la bande) est admissible à titre de candidate, et peut être élue, au poste de chef de la bande.

Les dispositions législatives pertinentes

À l’article 2 de la Loi se trouvent les définitions suivantes [« électeur » (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 1), « liste de bande » (édicté, idem)] :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« conseil de la bande »

a) Dans le cas d’une bande à laquelle s’applique l’article 74, le conseil constitué conformément à cet article;

b) dans le cas d’une bande à laquelle l’article 74 n’est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci.

« électeur » Personne qui remplit les conditions suivantes :

a) être inscrit sur une liste de bande;

b) avoir dix-huit ans;

c) ne pas avoir perdu son droit de vote aux élections de la bande.

« liste de bande » Liste de personnes tenue en vertu de l’article 8 par une bande ou au ministère.

« membre d’une bande » Personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure.

Les articles 74 à 79 [article 77 (mod., idem, art. 14)] de la Loi disposent comme suit :

74. (1) Lorsqu’il le juge utile à la bonne administration d’une bande, le ministre peut déclarer par arrêté qu’à compter d’un jour qu’il désigne le conseil d’une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera constitué au moyen d’élections tenues selon la présente loi.

(2) Sauf si le ministre en ordonne autrement, le conseil d’une bande ayant fait l’objet d’un arrêté prévu par le paragraphe (1) se compose d’un chef, ainsi que d’un conseiller par cent membres de la bande, mais le nombre des conseillers ne peut être inférieur à deux ni supérieur à douze. Une bande ne peut avoir plus d’un chef.

(3) Pour l’application du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des décrets ou règlements prévoyant :

a) que le chef d’une bande doit être élu :

(i) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande,

(ii) soit à la majorité des votes des conseillers élus de la bande désignant un d’entre eux,

le chef ainsi élu devant cependant demeurer conseiller;

b) que les conseillers d’une bande doivent être élus :

(i) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande,

(ii) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande demeurant dans la section électorale que le candidat habite et qu’il projette de représenter au conseil de la bande.

(4) Aux fins de votation, une réserve se compose d’une section électorale; toutefois, lorsque la majorité des électeurs d’une bande qui étaient présents et ont voté lors d’un référendum ou à une assemblée spéciale tenue et convoquée à cette fin en conformité avec les règlements, a décidé que la réserve devrait, aux fins de votation, être divisée en sections électorales et que le ministre le recommande, le gouverneur en conseil peut prendre des décrets ou règlements stipulant qu’aux fins de votation la réserve doit être divisée en six sections électorales au plus, contenant autant que possible un nombre égal d’Indiens habilités à voter et décrétant comment les sections électorales ainsi établies doivent se distinguer ou s’identifier.

75. (1) Seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande.

(2) Nul ne peut être candidat à une élection au poste de chef ou de conseiller d’une bande, à moins que sa candidature ne soit proposée et appuyée par des personnes habiles elles-mêmes à être présentées.

76. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des décrets et règlements sur les élections au sein des bandes et, notamment, des règlements concernant :

a) les assemblées pour la présentation de candidats;

b) la nomination et les fonctions des préposés aux élections;

c) la manière dont la votation doit avoir lieu;

d) les appels en matière électorale;

e) la définition de « résidence » aux fins de déterminer si une personne est habile à voter.

(2) Les règlements pris sous le régime de l’alinéa (1)c) contiennent des dispositions assurant le secret du vote.

77. (1) Un membre d’une bande, qui a au moins dix-huit ans et réside ordinairement sur la réserve, a qualité pour voter en faveur d’une personne présentée comme candidat au poste de chef de la bande et, lorsque la réserve, aux fins d’élection, ne comprend qu’une section électorale, pour voter en faveur de personnes présentées aux postes de conseillers.

(2) Un membre d’une bande, qui a dix-huit ans et réside ordinairement dans une section électorale établie aux fins d’élection, a qualité pour voter en faveur d’une personne présentée au poste de conseiller pour représenter cette section.

78. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les chef et conseillers d’une bande occupent leur poste pendant deux années.

(2) Le poste de chef ou de conseiller d’une bande devient vacant dans les cas suivants :

a) le titulaire, selon le cas :

(i) est déclaré coupable d’un acte criminel,

(ii) meurt ou démissionne,

(iii) est ou devient inhabile à détenir le poste aux termes de la présente loi;

b) le ministre déclare qu’à son avis le titulaire, selon le cas :

(i) est inapte à demeurer en fonctions parce qu’il a été déclaré coupable d’une infraction,

(ii) a, sans autorisation, manqué les réunions du conseil trois fois consécutives,

(iii) à l’occasion d’une élection, s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses, de malhonnêteté ou de méfaits, ou a accepté des pots-de-vin.

(3) Le ministre peut déclarer un individu, qui cesse d’occuper ses fonctions en raison du sous-alinéa (2)b)(iii), inhabile à être candidat au poste de chef ou de conseiller d’une bande durant une période maximale de six ans.

(4) Lorsque le poste de chef ou de conseiller devient vacant plus de trois mois avant la date de la tenue ordinaire de nouvelles élections, une élection spéciale peut avoir lieu en conformité avec la présente loi afin de remplir cette vacance.

79. Le gouverneur en conseil peut rejeter l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une bande sur le rapport du ministre où ce dernier se dit convaincu, selon le cas :

a) qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses à l’égard de cette élection;

b) qu’il s’est produit une infraction à la présente loi pouvant influer sur le résultat de l’élection;

c) qu’une personne présentée comme candidat à l’élection ne possédait pas les qualités requises.

Dans le Règlement[3] pris dans le but de donner effet au paragraphe 74(1), apparaissent sous la rubrique « Mode d’élection » les dispositions suivantes :

2. Le chef et les conseillers de chaque bande visée à l’annexe I sont élus à la majorité des votes des électeurs de la bande.

3. Les conseillers de chaque bande visée à l’annexe II sont élus à la majorité des votes des électeurs de la bande et le chef de celle-ci est élu à la majorité des votes des conseillers élus de la bande désignant un d’entre eux, le chef ainsi élu demeurant cependant conseiller.

Comme je l’ai déjà indiqué, la bande figure à l’annexe I de ce règlement.

L’ordonnance de la Section de première instance

Le litige porte essentiellement sur le libellé des sous-alinéas 74(3)a)(i) et (ii) de la Loi. Devant la Section de première instance, les appelants ont soutenu que le sous-alinéa 74(3)a)(i) devrait s’interpréter comme signifiant qu’une personne n’est habile à être élue chef de la bande que si elle a qualité d’« électeur » selon la définition donnée à l’article 2 de la Loi. Le juge des requêtes a rejeté ce point de vue. Ayant fait état des divers arguments avancés par les appelants, il a dit aux pages 59 et 60 :

Tous ces arguments présupposent la conclusion selon laquelle l’art. 75 est ambigu, lorsqu’il est examiné à la lumière des dispositions concernant les élections dans leur ensemble, mais je ne suis pas d’accord. Partout dans les art. 74 à 79 de la Loi, une distinction est faite entre le chef de la bande et les conseillers. Si le législateur avait voulu que les conditions d’admissibilité s’appliquant aux candidats au poste de conseiller s’appliquent aux candidats au poste de chef, il aurait certainement inclus d’une façon expresse le poste de chef dans l’art. 75(1), ou simplement mentionné la nomination au poste de membre du conseil de la bande, lequel, conformément aux art. 74(1) et (2), comprendrait le chef et les conseillers. Il n’y a rien dans les arguments des requérants qui me ferait conclure que le législateur avait l’intention d’appliquer au candidat au poste de chef les conditions d’admissibilité applicables aux conseillers. Toutefois, l’art. 75(2) contient une condition d’admissibilité s’appliquant aux candidats au poste de chef, c’est-à-dire que ni le candidat ni les personnes nommant le candidat ne peuvent faire l’objet d’une déclaration par le ministre en vertu de l’art. 78(3).

L’avocat me demande également d’examiner les arrêts Heron Seismic Services Ltd. v. Peepeekisis Indian Band, [1991] 2 C.N.L.R. 52, 87 Sask. R. 66 (B.R. Sask.), confirmé par [1992] 4 C.N.L.R. 32 (C.A. Sask.) et Joe (M.) et al. v. John M. et al. (1990), 34 F.T.R. 280, [1991] 3 C.N.L.R. 63 (1re inst.). Il s’agit de décisions de la Cour provinciale concernant l’admissibilité d’une personne aux fins de l’élection au conseil municipal, et, à mon avis, ces décisions ne sont pas ici pertinentes. Les conseils municipaux sont des créations de la loi provinciale qui devrait établir le cadre dans lequel les litiges électoraux sont résolus. Il existe des ressemblances alléchantes avec la présente affaire, mais il est également clair, à mon avis, que je dois me tourner vers le législateur pour résoudre ce litige et, en particulier, m’inspirer du libellé de la Loi sur les Indiens.

Enfin, les requérants soutiennent que si l’art. 75 est interprété comme n’imposant aucune condition d’admissibilité au candidat au poste de chef, un non-Canadien non-résident de moins de 18 ans pourrait être élu chef après avoir été nommé par deux non-Canadiens non-résidents mineurs. Toutefois, cette prémisse comporte des lacunes car elle présuppose que la personne nommée sera de fait, en fin de compte, chef de la bande. Les dispositions concernant les élections figurant dans la Loi sur les Indiens fournissent une garantie efficace contre pareils résultats absurdes étant donné que, conformément à l’art. 74(3)a)(i), le chef d’une bande doit être élu à la majorité des votes des électeurs de la bande.

Je suis également influencé par une autre considération importante. Darlene Desjarlais a été élue chef de la bande indienne du lac Sturgeon par suite d’élections tenues conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, dans lesquelles elle a obtenu la majorité des votes des électeurs de la bande. Il me semble que si cette Cour, en l’absence d’une disposition légale claire exigeant que le candidat soit un électeur, interprète l’art. 75 de façon à vicier de fait la volonté démocratique des électeurs de la bande, il y aurait violation des principes énoncés par la Cour suprême du Canada et invoqués par les requérants en l’espèce comme s’appliquant à l’interprétation de la Loi sur les Indiens.

Les principes d’interprétation auxquels a fait allusion le juge des requêtes sont énoncés dans les arrêts Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 et Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85.

S’appuyant sur le raisonnement exposé plus haut, le juge des requêtes, dans son ordonnance en date du 31 août 1993, a répondu par l’affirmative à la question en litige.

Historique des dispositions applicables

Sans conteste, les dispositions de l’article 74 de la Loi tirent directement leur origine de la Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29. Les paragraphes 73(1) et (2) ainsi que les alinéas 73(3)a) et b) de cette loi étaient ainsi conçus :

73. (1) Lorsqu’il le juge utile à la bonne administration d’une bande, le gouverneur en conseil peut déclarer par arrêté qu’à compter d’un jour y désigné le conseil d’une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera formé au moyen d’élections tenues selon la présente loi.

(2) Le conseil d’une bande ayant fait l’objet d’un arrêté prévu par le paragraphe premier se compose d’un chef, ainsi que d’un conseiller par cent membres de la bande, mais le nombre des conseillers ne doit pas être inférieur à deux ni supérieur à douze. Nulle bande ne doit avoir plus d’un chef.

(3) Pour réaliser les fins du paragraphe premier, le gouverneur en conseil peut édicter des arrêtés ou règlements prévoyant

a) Que le chef d’une bande doit être élu

(i) à la majorité des votes des électeurs de la bande, ou

(ii) à la majorité des votes des conseillers élus de la bande parmi eux, mais le chef ainsi élu doit demeurer conseiller;

b) Que les conseillers d’une bande doivent être élus

(i) à la majorité des votes des électeurs de la bande, ou

(ii) à la majorité des votes des électeurs de la bande demeurant dans la section électorale que le candidat habite et qu’il projette de représenter au conseil de la bande; [Je souligne.]

Comme nous allons le constater, ces dispositions s’éloignaient quelque peu de celles qui avaient régi antérieurement l’élection des chefs de bande. Les paragraphes 73(1), (2) et (3) ont été refondus au chapitre 149 des Statuts révisés du Canada, 1952, puis au chapitre I-6 des Statuts révisés du Canada, 1970, mais devenant cette fois-ci les paragraphes 74(1), (2) et (3). Pour une bonne part, l’argumentation adressée à la Cour concernait l’unique changement apporté au texte du paragraphe 74(3) dans les Lois révisées du Canada (1985). Dans la Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, ainsi que dans les révisions de 1952 et de 1970, les expressions « mais le chef ainsi élu doit demeurer conseiller » (1951) et « qui doit cependant demeurer conseiller » (1952 et 1970) faisaient partie intégrante des sous-alinéas 73(3)a)(ii) ou 74(3)a)(ii), mais dans la révision de 1985 la disposition correspondante (« le chef ainsi élu devant cependant demeurer conseiller ») est placée à la toute fin de l’alinéa 74(3)a). Toutefois, comme l’indique l’article 3 du Règlement sur le mode d’élection du conseil de certaines bandes indiennes, adopté en 1989[4], le législateur a de toute évidence considéré que l’expression en question se rapportait aux dispositions du sous-alinéa 74(3)a)(ii) et non pas au sous-alinéa 74(3)a)(i).

Au-delà de ce bref historique, l’attention de la Cour a été attirée sur le contexte historique plus large que fournissent différentes dispositions de lois fédérales régissant l’élection de chefs de bande postérieurement à la Confédération. Il n’est pas nécessaire d’entreprendre un examen approfondi de ces dispositions. Signalons simplement qu’aux termes d’une loi adoptée par le Parlement du Canada en 1869, « les chefs de toute nation, tribu ou peuplade de Sauvages » pouvaient, par décret du gouverneur en conseil, être élus « par les membres du sexe masculin de chaque bourgade sauvage, ayant atteint l’âge de vingt-et-un ans révolus »[5]. Cette loi ne posait cependant aucune condition d’éligibilité relativement au poste de chef. En 1876, le Parlement a précisé que l’élection d’un chef ou de chefs devait se faire lors d’une « assemblée » de la bande par ceux qui y étaient habilités[6], mais a pour le reste laissé essentiellement inchangées les dispositions de la loi antérieure. En 1880 a été adoptée une nouvelle loi fédérale qui autorisait le gouverneur en conseil à « introduire le système d’élire les chefs » lorsqu’il le jugeait « à propos, pour le bon gouvernement d’une bande ». Les personnes ayant qualité pour voter sous ce régime étaient celles qui avaient eu cette qualité aux termes des dispositions antérieures et, là encore, pour ce qui est du poste de chef, aucune exigence particulière en matière d’éligibilité n’était posée[7]. Ces diverses dispositions, modifiées à certains égards qui ne sont pas pertinents en l’espèce, ont été refondues dans les Statuts révisés du Canada, 1886[8].

En 1884, le législateur a adopté l’Acte de l’avancement des Sauvages, 1884[9], dont l’objet se dégage nettement du préambule, qui porte notamment :

CONSIDÉRANT qu’il est à propos de prendre des mesures au moyen desquelles les sauvages établis sur des réserves, dans les différentes parties du Canada, puissent être préparés à l’exercice futur des privilèges et pouvoirs municipaux :

L’article 3 de cette loi autorisait le gouverneur en conseil à déclarer qu’« une bande de sauvages mérite que le présent acte lui soit appliqué ». Les articles 4 et 5 prévoyaient la division d’une réserve en arrondissements et l’élection au conseil de la réserve d’un ou de plusieurs conseillers représentant chaque arrondissement. Suivant l’article 5, « les sauvages du sexe masculin qui auront atteint l’âge de vingt et un ans révolus, domiciliés sur la réserve (ci-après appelés les électeurs) » devaient se réunir dans le but d’élire « un membre ou plusieurs membres … devant représenter chaque arrondissement » à titre de conseillers. L’article 5 disposait en outre que seraient déclarés élus « les sauvages … qui … poss[édai]ent et occup[ai]ent une maison dans la réserve » et qui recevaient le plus grand nombre de votes. L’article 6 de la même loi, qui régissait l’élection du « conseiller en chef », était ainsi libellé :

6. À une date et un endroit, et entre les heures qui seront fixés par le surintendant général ou son député, (pourvu que le jour ainsi fixé à cet effet soit dans les huit jours de la date de l’élection des conseillers,) les conseillers élus se réuniront, et choisiront l’un d’entre eux pour agir comme conseiller en chef; et le conseiller ainsi choisi sera le conseiller en chef.

L’article 10 de la loi investissait le conseil d’une bande du pouvoir d’adopter des statuts et d’établir des règles et règlements traitant de différents sujets, ces statuts, règles et règlements devant avoir force de loi s’ils étaient « approuvés et sanctionnés par le surintendant général ». Cette loi a été refondue dans les Statuts révisés du Canada, 1886[10], où les dispositions des articles 4, 5 et 10 de la loi de 1884 sont reprises dans les articles 5, 6 et 10 respectivement.

L’Acte de l’avancement des Sauvages, 1884 ne figure pas comme tel dans les Statuts révisés du Canada, 1906. Cette révision comprenait cependant la Loi des sauvages[11], dont la partie I maintenait le mode d’élection de conseillers et de chefs prévu dans l’Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 43[12], et dont la partie II maintenait le mode d’élection de conseillers et de chefs ainsi que le mode d’adoption de toutes les lois locales et de tous les règlements locaux prévu dans l’Acte de l’avancement des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 44[13]. Ce même régime législatif a été conservé par les Statuts révisés du Canada, 1927, aux parties I et II respectivement[14].

Comme je l’ai déjà indiqué, les règles de droit régissant l’élection d’un chef de bande ont été sensiblement changées par la Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, qui est venue substituer aux deux régimes visés plus haut, qui avaient existé parallèlement depuis 1884, un nouveau mode d’élection de conseillers et de chefs[15]. De plus, l’article 80 de la même loi habilitait les conseils de bande à établir des statuts administratifs, que le ministre pouvait toutefois désavouer en vertu du paragraphe 81(2). Aux termes du paragraphe 82(1), le gouverneur en conseil pouvait déclarer « qu’une bande a atteint un haut degré d’avancement », par suite de quoi il était loisible au conseil de cette bande, « sous réserve de l’approbation du Ministre », d’établir des statuts administratifs en matière financière et de voir à leur application. Ce nouveau régime, avec modifications, figure actuellement aux articles 74 à 79 et aux articles 81 à 83 [article 81 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 15), article 83 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 10)] de la Loi.

La question en litige

La Cour se trouve principalement saisie de la question de savoir si c’est à tort que le juge des requêtes a conclu qu’il n’est pas nécessaire d’avoir qualité d’« électeur » pour pouvoir être élu chef de la bande indienne de Sturgeon Lake. Les cinq premiers appelants contestent à plusieurs titres l’ordonnance rendue par ledit juge. En effet, ils font grief au juge des requêtes de ne pas avoir appliqué de façon appropriée [traduction] « le principe posé dans l’arrêt Nowegijick », c’est-à-dire le principe relatif à l’interprétation de lois concernant les Indiens posé par la Cour suprême du Canada dans cet arrêt-là (référence plus haut); de ne pas avoir pris en considération l’ensemble de l’alinéa 74(3)a) de la Loi; et de ne pas avoir tenu compte de l’objet des dispositions législatives pertinentes tel qu’il se dégage d’un examen de leur histoire. Ils prétendent en outre que le juge aurait dû assimiler les conditions à remplir pour se faire élire chef en vertu de l’article 74 à celles auxquelles il faut satisfaire pour être élu maire ou préfet d’une municipalité dans une province[16]. Ils soutiennent en dernier lieu que c’est à tort que le juge des requêtes a conclu [à la page 60] qu’une exigence selon laquelle un candidat au poste de chef devait être électeur aurait pour effet de « vicier de faite la volonté démocratique des électeurs de la bande ». Les autres appelants ont insisté particulièrement sur le fait que l’histoire des dispositions législatives en question révélait l’intention du législateur fédéral, à savoir que quiconque cherche à se faire élire chef de la Bande doit avoir qualité d’« électeur » au sens de l’article 2 de la Loi.

Analyse

Le juge des requêtes a tenu pour non équivoques les dispositions pertinentes de la Loi. C’est pour cette raison, me semble-t-il, qu’il a considéré comme ne lui étant d’aucun secours les principes d’interprétation énoncés par le juge Dickson (plus tard juge en chef) dans l’arrêt Nowegijick, précité. Le juge Dickson y fait les observations suivantes, à la page 36 :

Selon un principe bien établi, pour être valide, toute exemption d’impôts doit être clairement exprimée. Il me semble toutefois que les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens. Si la loi contient des dispositions qui, suivant une interprétation raisonnable, peuvent conférer une exemption d’impôts, il faut, selon moi, préférer cette interprétation à une interprétation plus stricte qui pourrait être utilisée pour refuser l’exemption. Dans l’affaire Jones v. Meehan, 175 U.S. 1 (1899), on a conclu que les traités avec les Indiens [traduction] « doivent … être interprétés non pas selon le sens strict de [leur] langage … mais selon ce qui serait, pour les Indiens, le sens naturel de ce langage ».

Ces principes ont été répétés par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Mitchell, précité, aux pages 98 et 99. À la page 98, le juge en chef les ramène aux éléments suivants :

Il est possible de dégager deux éléments d’interprétation libérale dans ce passage : (1) les ambiguïtés dans l’interprétation des traités et des lois visant les Indiens doivent profiter aux Indiens, et (2) la compréhension qu’ont les autochtones des termes et des concepts juridiques correspondants contenus dans les traités avec les Indiens doit être préférée aux interprétations plus strictes et formalistes. Dans certains cas, les deux éléments ne peuvent être distingués, mais dans d’autres cas l’interprète ne pourra percevoir une ambiguïté qu’en invoquant d’abord le deuxième élément.

Sur les autres juges, trois ont passé sous silence les principes posés dans l’arrêt Nowegijick, tandis que les trois autres, dont l’opinion a été rédigée par le juge La Forest, en ont traité explicitement. À la page 142, le juge La Forest dit ne pas contester « le principe que les traités et les lois visant les Indiens devraient recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté devrait profiter aux Indiens ». Il ajoute, cependant, à la page 143 :

Mais selon ma conception de l’affaire, des considérations quelque peu différentes doivent s’appliquer dans le cas des lois visant les Indiens. Alors qu’un traité est le produit d’une négociation entre deux parties contractantes, les lois relatives aux Indiens sont l’expression de la volonté du Parlement. Cela étant, je ne crois pas qu’il soit particulièrement utile d’essayer de déterminer comment les Indiens peuvent comprendre une disposition particulière. Je pense que nous devons plutôt interpréter la loi visée en tentant de déterminer ce que le Parlement voulait réaliser en adoptant l’article en question. Ce point de vue ne constitue pas un rejet de la méthode d’interprétation libérale. Comme je l’ai déjà dit, il est clair que dans l’interprétation d’une loi relative aux Indiens, et particulièrement de la Loi sur les Indiens, il convient d’interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d’interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger. Donc si la loi porte sur des promesses contenues dans un traité, les tribunaux vont toujours s’efforcer de rejeter une interprétation qui a pour effet de nier les engagements pris par la Couronne; voir l’arrêt United States v. Powers, 305 U.S. 527 (1939), à la p. 533.

En même temps, je n’accepte pas que cette règle salutaire portant que les ambiguïtés législatives doivent profiter aux Indiens revienne à accepter automatiquement une interprétation donnée pour la simple raison qu’il peut être vraisemblable que les Indiens la préférerait [sic] à toute autre interprétation différente. Il est également nécessaire de concilier toute interprétation donnée avec les politiques que la Loi tente de promouvoir.

Quoi qu’il en soit, il ne ressort du dossier dont nous disposons rien qui indique expressément que les dispositions législatives pertinentes auraient « pour les Indiens, [un] sens naturel » particulier; d’autre part, on n’a pas clairement établi que l’interprétation que préféraient les appelants « profiterait nécessairement aux Indiens ».

Les appelants soutiennent que les articles 74 à 79 de la Loi sont à lire dans leur contexte historique. Il ressort de ce contexte que, jusqu’en 1884, l’élection des chefs de bande se faisait par vote direct; que dans l’Acte de l’avancement des Sauvages, 1884, le Parlement du Canada a instauré un régime modifié d’autonomie gouvernementale tant en ce qui concerne les élections de bande qu’en ce qui concerne l’adoption par une bande de lois et de règlements applicables dans les réserves visées par cet « acte »; que ce régime ainsi que celui qui existait déjà ont été refondus dans les Statuts révisés du Canada, 1886; que les deux régimes, modifiés à certains égards qui ne tirent pas à conséquence, ont été maintenus dans les Statuts révisés du Canada de 1906 et 1927, constituant respectivement les parties I et II de la loi pertinente y figurant; que les deux régimes ont été abolis en 1951 par la Loi sur les Indiens , S.C. 1951, ch. 29, qui y a substitué un régime nouveau; que ce nouveau régime a été refondu dans les Statuts révisés du Canada de 1952 et 1970, et encore une fois dans la révision de 1985, mais avec certaines modifications dans ce dernier cas.

D’après les appelants, l’histoire révèle donc qu’il a fallu résider dans la réserve pour pouvoir se faire élire chef de bande. Il en était effectivement ainsi pour ce qui est de l’élection d’un chef sous le régime de l’Acte de l’avancement des Sauvages, 1884, qui est devenu la partie II de la refonte de 1927. Pour être candidat sous le régime de la loi de 1884, il fallait être un « sauvage … qui … possède et occupe … une maison dans la réserve » et, aux termes de ladite loi, on ne pouvait se faire élire « conseiller en chef » sans avoir d’abord été élu membre du conseil de bande. Dans tous les autres cas visés par les dispositions législatives antérieures reprises dans la partie I de la refonte de 1927, aucune condition particulière n’était requise pour se faire élire chef de bande. Donc, lors de l’adoption de la Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, la situation semble avoir été la suivante : tandis que sous le régime de la partie I de l’ancienne loi, le candidat au poste de chef de bande n’était soumis à aucune exigence particulière en ce qui concerne l’éligibilité, la partie II de la même loi, qui s’appliquait aux bandes avancées, exigeait que le candidat réside dans la réserve et y possède et occupe une maison.

De toute évidence, la loi de 1951 a opéré des changements importants dans les règles de droit qui s’appliquaient auparavant. Elle est en effet venue remplacer par un régime complexe les deux anciens modes d’élection d’un chef de bande. Sous ce nouveau régime, le chef de bande était élu, dans les circonstances y exposées, soit par vote direct, soit par le vote des conseillers qui, eux, avaient été élus par vote direct. Le candidat au poste de chef ou de conseiller devait être présenté, c’est-à-dire que sa candidature devait être « proposée et appuyée par des personnes habiles elles-mêmes à être présentées », comme le prescrivait le paragraphe 74(2) de cette loi. À cette seule exception près, ni la loi de 1951 ni celle de 1985 ne posait de condition d’éligibilité relativement au poste de chef dans les cas où l’élection devait se faire par vote direct conformément au sous- alinéa 73(3)a)(i).

L’historique de la législation antérieure à 1951 ne m’est d’aucun secours pour ce qui est de l’interprétation de l’alinéa 74(3)a) de la Loi. En particulier, j’estime qu’on ne saurait y voir une indication fiable que le législateur a voulu que les conditions à remplir pour se faire élire chef de bande soient assimilables à celles auxquelles il faut satisfaire pour être élu maire ou préfet d’une municipalité dans une province. Il est certes exact que sous le régime de la partie II de la refonte de 1927 et pendant bien des années auparavant, le candidat au poste de chef de bande devait « posséder … une maison dans la réserve et … vivre dans la reserve »[17], mais rien ne permet de conclure formellement que cette exigence était censée s’appliquer systématiquement dans le contexte de la loi de 1951. En effet, pendant encore plus longtemps au cours de la période antérieure à 1951, on pouvait, au sein de bien des bandes, se faire élire chef par vote direct sans être soumis à des exigences particulières en matière d’éligibilité. Selon moi, au chapitre 29 des statuts de 1951, le Parlement a adopté, en ce qui concerne l’élection de chefs de bande, des dispositions un peu plus souples qui semblent reprendre certains éléments des dispositions antérieures. Par exemple, le sous-alinéa 73(3)a)(i) peut être rapproché de la partie I de l’ancienne loi, car il n’établit aucune condition d’éligibilité; quant au sous-alinéa 73(3)a)(ii), il peut se comparer avec les conditions d’éligibilité posées à la partie II de la même loi. Bien entendu, il était loisible au Parlement de s’inspirer du concept de l’autonomie gouvernementale locale—ce qu’il a fait d’ailleurs—, mais c’était à lui seul de décider dans quelle mesure il souhaitait le faire. En résumé, je ne trouve dans la loi de 1951 aucune indication que les conditions à remplir pour se faire élire chef doivent être considérées comme analogues à celles auxquelles on doit satisfaire pour être élu préfet ou maire dans une province.

Quant à la législation postérieure à 1951, elle doit être examinée séparément. Les appelants prétendent que l’alinéa 74(3)a) de la Loi apporte une modification importante à l’alinéa 73(3)a) de la loi de 1951. Or, on se rappellera que, dans cette dernière loi, l’expression « mais le chef ainsi élu doit demeurer conseiller » figure à la fin du sous-alinéa 73(3)a)(ii) et fait partie intégrante de ce sous-alinéa, et que l’expression « qui doit cependant demeurer conseiller » occupe la même place aux sous-alinéas 73(3)a)(ii) et 74(3)a)(ii) respectivement des refontes de 1952 et de 1970. Cependant, dans la version actuelle de la Loi, l’expression « le chef ainsi élu devant cependant demeurer conseiller » se trouve à la toute fin de l’alinéa 74(3)a). On fait donc valoir que cela traduit une intention de faire en sorte que l’expression en question se rapporte à la fois aux sous-alinéas (i) et (ii) et non pas simplement au sous-alinéa (ii), comme c’était le cas auparavant. Ainsi, le chef élu sous le régime du sous-alinéa (i), à l’instar de celui élu sous le régime du sous-alinéa (ii), doit être déjà conseiller pour pouvoir le « demeurer ». En d’autres termes, le chef élu par vote direct conformément au sous-alinéa (i) doit avoir qualité d’« électeur », sans quoi il n’aurait pu se faire élire conseiller. Tout au moins, soutient-on, l’alinéa dans sa rédaction actuelle est ambigu et devrait en conséquence s’interpréter en fonction des principes posés dans l’arrêt Nowegijick.

J’ai de la difficulté à accepter ces arguments. En premier lieu, si les appelants ont raison, appliquer aux deux sous-alinéas l’expression « le chef ainsi élu devant cependant demeurer conseiller » n’aurait guère de sens parce que l’élection d’un chef par vote direct sous le régime du sous-alinéa (i) se passe indépendamment de l’élection prévue au sous-alinéa (ii). Il est en effet plus logique de considérer l’expression en question comme ne se rapportant qu’au sous-alinéa (ii), ce qui avait manifestement été le cas au chapitre 29 des statuts de 1951 ainsi que dans les refontes de la loi contenues dans les Statuts révisés de 1952 et de 1970.

En cherchant à résoudre ce problème, il ne faut pas perdre de vue que le changement susmentionné s’est effectué dans le cadre de la refonte des lois d’intérêt public et général du Canada plutôt que dans une loi publique nouvellement adoptée. Le fondement légal des Lois révisées du Canada (1985) se trouve dans la Loi sur la révision des lois, S.C. 1974-75-76, ch. 20, en vertu de laquelle a été constituée une Commission de révision [sic] des lois qui, aux termes de l’article 5, « organise, révise [sic] et codifie les lois d’intérêt public et général du Canada ». Lorsqu’elle procédait à la révision, la Commission était notamment autorisée, par l’article 6 de la loi, à :

6. …

h) corriger les erreurs de présentation et les erreurs grammaticales ou typographiques dans les lois.

L’article 7 de la loi envisageait l’adoption d’une autre loi, dont un modèle figurait à l’annexe. Cette autre loi s’intitulait Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985), (3e suppl.), ch. 40 (adoptée dans L.C. 1987, ch. 48, sanctionnée le 17 décembre 1987). L’effet juridique de la révision et de l’abrogation opérées par l’adoption des Lois révisées du Canada (1985) ressort nettement de l’article 4 de cette dernière loi :

4. Les lois révisées ne sont pas censées être de droit nouveau; dans leur interprétation et leur application, elles constituent une refonte du droit contenu dans les lois abrogées par l’article 3 et auxquelles elles se substituent.

Il est difficile de savoir pourquoi, dans la refonte de 1985, l’expression « le chef ainsi élu devant cependant demeurer conseiller » a été déplacée à l’intérieur de l’alinéa 74(3)a). Cela s’est peut-être fait en conformité avec l’alinéa 6h) de la Loi sur la révision des lois. Étant donné la place que l’expression équivalente avait occupée au sous-alinéa 73(3)a)(ii) de la loi de 1951, il n’y a guère à douter qu’elle était censée modifier uniquement la version antérieure de ce sous-alinéa. En d’autres termes, elle servait à préciser que la personne élue chef par ses collègues conseillers n’en demeurait pas moins conseiller pour autant. L’article 4 de la Loi sur les Lois révisées du Canada (1985) vient toutefois écarter toute idée selon laquelle le déplacement de l’expression en question visait à modifier la règle de droit antérieure, car il dit clairement que les Lois révisées du Canada (1985) « ne sont pas censées être de droit nouveau ».

Sans aucun doute, il résulte de l’interprétation donnée par le juge des requêtes aux sous-alinéas 74(3)a)(i) et (ii) de la Loi que la personne qui brigue le poste de chef de bande n’a pas à être électeur, mais qu’on doit avoir cette qualité pour se faire élire chef par les conseillers élus. Voilà, prétendent les appelants, qui mène à une absurdité qui n’a pas pu être dans les intentions du législateur. Cette prétendue absurdité est évoquée par le juge des requêtes dans le passage suivant [à la page 60] :

Enfin, les requérants soutiennent que si l’art. 75 est interprété comme n’imposant aucune condition d’admissibilité au candidat au poste de chef, un non-Canadien, non-résident de moins de 18 ans pourrait être élu chef après avoir été nommé par deux non-Canadiens non-résidents mineurs.

D’après les appelants, il convient d’interpréter chacun des sous-alinéas en question comme exigeant que, pour être élu chef de la bande, soit par vote direct, soit indirectement par les conseillers dûment élus, le candidat doit avoir qualité d’électeur.

Le principe invoqué en l’espèce est celui qu’a énoncé lord Blackburn dans l’arrêt River Wear Commissioners v. Adamson and Others, [1874-80] All E.R. Rep. 1 (H.L.), à la page 12 :

[traduction] Il faut toutefois se rappeler que le propre des juges n’est pas de légiférer mais de déclarer l’intention exprimée par le législateur, même si, aux yeux du tribunal, cette intention peut paraître peu judicieuse. Je tiens d’ailleurs pour incontestée l’exactitude de ce que Lord Wensleydale avait coutume d’appeler « la règle d’or », c’est-à-dire qu’on doit considérer et interpréter la loi dans son ensemble en donnant à ses termes leur sens courant, à moins qu’on n’aboutisse ainsi à une contradiction, à une absurdité ou à un inconvénient qui, de par sa gravité, convainc le tribunal que le législateur n’a pas pu avoir l’intention de les employer dans leur sens courant, et justifie que le tribunal leur donne un autre sens qui, quoique moins propre, traduit ce que le tribunal conçoit comme la réalité.

Voir aussi Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto, 1994), à la page 79 et suiv.

Qu’il y ait des limites à l’application de ce principe d’interprétation, c’est ce qui se dégage nettement de l’arrêt très récent de la Cour suprême du Canada R. c. McIntosh [[1995] A.C.S. no 16 (QL)]. Il s’agit là évidemment d’une affaire pénale, mais, comme nous le verrons, l’opinion exprimée par les juges majoritaires sur ce point est d’application générale. La Cour suprême était appelée à interpréter certaines dispositions du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] dont on affirmait qu’elles ne pouvaient s’interpréter littéralement puisque cela mènerait à une absurdité, ce que le Parlement n’a pas pu vouloir. Le juge en chef du Canada a rejeté cet argument. Se prononçant au nom des majoritaires, il dit en effet, à la page 42 :

Voici la proposition que j’adopterais : lorsqu’une législature adopte un texte législatif qui emploie des termes clairs, non équivoques et susceptibles d’avoir un seul sens, ce texte doit être appliqué même s’il donne lieu à des résultats rigides ou absurdes ou même contraires à la logique (Maxwell on the Interpretation of Statutes, op. cit., à la p. 29). Le fait qu’une disposition aboutit à des résultats absurdes n’est pas, à mon avis, suffisant pour affirmer qu’elle est ambiguë et procéder ensuite à une analyse d’interprétation globale.

Le juge en chef ajoute, à la page 47 :

Même si, à l’instar du ministère public, je suis d’avis qu’il est quelque peu illogique, compte tenu de l’art. 35, de considérer qu’un agresseur initial puisse se prévaloir de l’application du par. 34(2) et que cela donne lieu à une certaine absurdité, je ne crois pas que notre Cour devrait limiter l’étendue d’un moyen de défense prévu dans la loi. Après tout, le législateur a le droit de légiférer de façon illogique (pourvu qu’il ne soulève pas de préoccupations d’ordre constitutionnel). Si le législateur n’est pas satisfait de l’application que les tribunaux accordent aux textes législatifs illogiques, il peut les modifier en conséquence.

Dans l’arrêt Cardinal et autres c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 508, la Cour suprême a bien précisé que les dispositions de la Loi ne doivent pas recevoir d’interprétation particulière si ses termes sont non équivoques. Le juge Estey tient les propos suivants, à la page 520 :

Il est inutile d’interpréter le texte du législateur de manière à lui donner un sens qui n’est ni ordinaire ni normal, mais qui se superpose plutôt aux termes choisis afin de mettre en œuvre un objet que le législateur aurait négligé selon la Cour. Si les termes utilisés … sont clairs et précis comme je le crois, il n’est pas alors nécessaire de faire appel à un mécanisme d’interprétation qui pourrait en restreindre ou dénaturer le sens.

Comme le donne à entendre le juge des requêtes, une personne dans la situation de Mme Desjarlais pourrait fort bien réussir à être candidate au poste de chef de la bande même si elle n’avait pas qualité d’« électeur », mais cela ne conduit pas inévitablement à son élection à ce poste. Aux termes de la Loi, cette décision appartient incontestablement aux personnes auxquelles il revient en dernière analyse de choisir leur chef, et ces personnes sont les « électeurs » de la bande au sens de l’article 2 de la Loi. La Cour ne saurait faire abstraction du sens manifeste de la Loi du seul fait que d’aucuns pourraient la considérer comme anormale. Tel est le propre du Parlement, à supposer qu’il se laisse persuader que quiconque cherche à se faire élire chef d’une bande en conformité avec le sous-alinéa 74(3)a)(i) de la Loi devrait être un « électeur » selon la définition figurant à l’article 2 de cette Loi.

Je rejetterais l’appel avec un seul mémoire de frais dans le présent appel et dans l’appel numéro A-553-93.

Le juge Strayer, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge McDonald, J.C.A. : J’y souscris.



[1] La graphie « Forence Standingribbon » est celle qui figure dans les ordonnances de la Cour datées du 31 octobre 1994, dont il est question ci-après. Au dossier original de la Section de première instance, on trouve plutôt « Florence Standingribbon ».

[2] Cette déclaration se trouve reflétée dans le Règlement sur le mode d’élection du conseil de certaines bandes indiennes, DORS/90-46, pris le 27 décembre 1989. À l’annexe I de ce Règlement, la bande de « Sturgeon Lake » dans la province de l’Alberta figure parmi les « bandes dont le chef et les conseillers sont élus par les électeurs ». L’annexe II du Règlement répertorie les « bandes dont les conseillers sont élus par les électeurs et dont le chef est élu par les conseillers ». C’est le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 952, qui régit la tenue des élections de bande.

[3] Règlement sur le mode d’élection du conseil de certaines bandes indiennes, précité.

[4] Précité, note 2.

[5] Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages, et à l’extension des dispositions de l’acte trente-et-un Victoria, chapitre quarante-deux, S.C. 1869, ch. 6, art. 10.

[6] L’Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, ch. 18, art. 61, 62.

[7] Acte relatif aux Sauvages, 1880, S.C. 1880, ch. 28, art. 72, 73.

[8] Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 43, art. 75, 127.

[9] S.C. 1884, ch. 28.

[10] Acte de l’avancement des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 44.

[11] Loi des sauvages, S.R.C. 1906, ch. 81.

[12] Art. 93 à 96; art. 166.

[13] Art. 177 à 193. L’art. 194 à la partie II maintenait le pouvoir d’adopter des statuts et d’établir des règles ou règlements conféré par la loi abrogée.

[14] Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 96 à 99 et art. 157 (partie I); art. 168 à 194 (partie II). L’article 185 à la partie II maintenait le pouvoir d’adopter des statuts et d’établir des règles ou règlements conféré dans la refonte de 1906. L’art. 174 de la refonte de 1927, visant l’élection de conseillers, a été légèrement modifié en 1936 (Loi modifiant la Loi des Indiens, S.C. 1936, ch. 20, art. 13), l’expression « en est le conseiller ou en sont les conseillers, suivant le cas, à condition de posséder et d’occuper respectivement une maison dans la réserve » étant en effet remplacée par « en est le conseiller ou en sont les conseillers, suivant le cas, à condition de posséder respectivement une maison dans la réserve et de vivre dans la réserve ». L’art. 185 à la partie II était attributif du pouvoir, qu’avait conféré la loi abrogée, d’adopter des statuts et d’établir des règles et règlements.

[15] Suivant l’art. 123(1) de la Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, toutes les dispositions non abrogées de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, devenaient la Loi sur les Indiens (Établissement de soldats) [S.R.C. 1927, ch. 98, art. 187 à 190]. L’art. 123(2) « abrogeait » toutes les dispositions des parties I et II de la refonte de 1927 qui avaient prévu l’élection de chefs et de conseillers de bandes, tant ordinaires qu’avancées.

[16] L’avocat du deuxième groupe d’appelants a attiré l’attention de la Cour sur divers textes législatifs provinciaux qui énoncent les exigences auxquelles est tenu de satisfaire tout candidat au poste de préfet ou de maire, exigences parmi lesquelles figurent l’obligation de résider dans la province ou bien dans la municipalité concernée, d’avoir atteint un âge minimum déterminé et de posséder la citoyenneté canadienne. Voir par exemple, la Local Authorities Election Act, S.A. 1983, ch. L-27.5, art. 21, 47; Municipal Government Act, R.S.A. 1980, ch. M-26, art. 29.

[17] Suivant la loi de 1936 (voir la note 14).

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