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[1995] 3 C.F. 294

A-522-94

Dianne M. Giannakopoulos (requérante)

c.

Le ministre du Revenu national (intimé)

Répertorié : Giannakopoulos c. M.R.N. (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Strayer et Linden, J.C.A.—Edmonton, 22 juin; Ottawa, 6 juillet 1995.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — La C.C.I. a refusé une déduction des frais de déménagement réclamée en vertu de l’art. 62(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui requiert que le déménagement rapproche le contribuable de son travail d’au moins 40 kilomètres — Suivant l’odomètre d’une automobile, la nouvelle résidence se situe 44 kilomètres plus près du travail — La Cour de l’impôt a mesuré la distance en appliquant la méthode de la « ligne droite » ou du « vol d’oiseau » — La distance du déménagement devrait être mesurée suivant les voies réelles de transport — Le critère approprié est celui de la route normale la plus courte — La C.C.I. a commis une erreur de droit puisqu’elle a interprété la « distance » en ne tenant pas compte du contexte.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 62 (mod. par S.C. 1984, ch. 45, art. 21).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Lake v. Butler (1855), 24 Law J Rep (NS) 273; Jewell and Another v. Stead (1856), 25 Law J Rep (NS) 294.

DÉCISION ÉCARTÉE :

Cameron (D.) c. M.R.N., [1993] 1 C.T.C. 2745; (1993), 93 DTC 437 (C.C.I.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Bernier (J.-C.) Succession c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2535; (1990), 90 DTC 1220 (C.C.I.).

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Haines (R C) c MRN, [1984] CTC 2422; (1984), 84 DTC 1375 (C.C.I.); Bracken (S) c MRN, [1984] CTC 2922; (1984), 84 DTC 1813 (C.C.I.); Jennings v. Menaugh et al., 118 Fed. 612 (Circ. Ct. 1902).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Cour de l’impôt qui a refusé une déduction des frais de déménagement (Giannakopoulos (D.M.) c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 2562 (C.C.I.)) réclamée en vertu du paragraphe 62(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Demande accueillie.

COMPARUTION :

Dianne M. Giannakopoulos pour son compte.

AVOCATS :

Rhonda Nahorniak et Jehad Haymour pour l’intimé.

LA REQUÉRANTE POUR SON PROPRE COMPTE :

Dianne M. Giannakopoulos, Edmonton.

PROCUREUR :

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. : La présente demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt [[1995] 1 C.T.C. 2562] soulève une question précise qui n’est toutefois pas sans comporter d’importantes implications. Lorsque, dans un texte de loi, la distance entre deux endroits est une condition à l’application d’une règle de droit, comment doit-on mesurer cette distance si aucune méthode n’est précisée? Devrait-on la mesurer en ligne droite, c’est-à-dire « à vol d’oiseau », ou suivant une route normale de transport public? La Cour canadienne de l’impôt a invariablement adopté la méthode de la ligne droite[1]; cependant, la Cour fédérale n’a jamais eu auparavant l’occasion de se prononcer sur la question, qui mérite certainement qu’on l’étudie.

La requérante effectuait la cueillette de données par entrevue au sein de l’Université de l’Alberta lorsqu’en 1991, elle a accepté un poste d’adjointe administrative auprès du même employeur, ce qui l’obligeait à travailler dans un endroit différent. Pour se rapprocher de son nouveau lieu de travail, elle a donc quitté Stony Plain pour déménager à Edmonton, où est situé le centre administratif de l’université.

L’article 62 de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1984, ch. 45, art. 21] (ci-après la Loi) se lit en partie comme suit :

62. (1) Lorsqu’un contribuable a, à une date quelconque, commencé

a) à exploiter une entreprise ou à être employé dans un lieu au Canada (dans le présent paragraphe appelé son « nouveau lieu de travail »), ou

et a, de ce fait, déménagé d’une résidence au Canada où, avant le déménagement, il résidait habituellement (dans le présent article appelée son « ancienne résidence ») pour venir occuper une autre résidence sise au Canada où, après le déménagement, il a résidé habituellement (dans le présent article appelée sa « nouvelle résidence »), de sorte que la distance entre son ancienne résidence et son nouveau lieu de travail soit supérieure d’au moins 40 kilomètres à la distance entre sa nouvelle résidence et son nouveau lieu de travail, il peut déduire, dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition dans laquelle il a déménagé de son ancienne résidence pour venir occuper sa nouvelle résidence, ou pour l’année d’imposition suivante, les sommes qu’il a payées à titre ou au titre des frais de déménagement engagés pour déménager de son ancienne résidence pour venir occuper sa nouvelle résidence, dans la mesure où

c) les sommes n’ont pas été payées en son nom par son employeur.

À l’aide de l’odomètre de son automobile, la requérante a déterminé que sa nouvelle résidence était située 44 kilomètres plus près du centre administratif de l’université que son ancienne résidence. Considérant qu’elle satisfaisait aux conditions prescrites au paragraphe 62(1) de la Loi, la requérante a déduit ses frais de déménagement dans ses déclarations de revenus des années d’imposition 1991 et 1992. La déduction a toutefois été refusée et une nouvelle cotisation a été établie à son égard en fonction du fait qu’en ligne droite, sa nouvelle résidence n’était située que 36 kilomètres plus près de son nouveau lieu de travail que son ancienne résidence. La requérante a interjeté appel à la Cour canadienne de l’impôt, qui a confirmé la nouvelle cotisation pour le motif que, selon la jurisprudence de la Cour, ainsi qu’il a été mentionné précédemment, il convenait effectivement d’appliquer la méthode de la « ligne droite ».

La requérante a saisi la Cour d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Cour canadienne de l’impôt.

Pour en venir à sa conclusion relativement à la méthode de calcul appropriée, la Cour canadienne de l’impôt a, dans ses décisions antérieures, invoqué deux anciennes décisions anglaises[2], l’une concernant la compétence territoriale d’un tribunal et l’autre, l’emplacement approprié d’un poste de péage. Comme ni l’une ni l’autre décision n’avait quelque rapport avec le trajet d’un contribuable qui se rend au travail, ni l’une ni l’autre ne peut à mon avis être à juste titre appliquée à la situation visée au paragraphe 62(1).

En vertu du paragraphe 62(1), le contribuable peut déduire ses frais de déménagement lorsqu’il se rapproche de son nouveau lieu de travail. L’employé doit résider à une distance raisonnable de son travail. Lorsqu’il accepte un nouvel emploi, il peut se voir forcé de déménager afin de demeurer à une distance pratique de son travail. Au paragraphe 62(1), on reconnaît que la réinstallation constitue une dépense légitimement liée au travail. Pour fermer la porte aux tentatives d’un contribuable d’invoquer la disposition lorsqu’il désire simplement changer de résidence, la disposition requiert que le déménagement rapproche le contribuable de son travail d’au moins 40 kilomètres. En temps normal, le contribuable se rend au travail en empruntant les voies publiques normales, c’est-à-dire les routes, les autoroutes et les voies ferrées. Il est donc logique, pour déterminer si, par son déménagement, le contribuable s’est réellement rapproché de quarante kilomètres de son travail, de mesurer la distance en question en utilisant les voies réelles de transport. Pour respecter l’objectif de la disposition, il y a lieu d’adopter une méthode réaliste de calcul du trajet. La méthode de la ligne droite ne tient aucunement compte de la façon dont un employé se rend au travail. Il serait illogique d’appliquer cette méthode dans le cadre d’une disposition dont l’objet est de reconnaître les frais de réinstallation liés au travail. Il en découlerait des absurdités dans les cas où l’ancienne résidence et le nouveau lieu de travail sont séparés par une étendue d’eau. Le contribuable qui déménage d’une rive à l’autre d’un cours d’eau pour se rapprocher de son travail peut ne s’être déplacé que de quelques milles « à vol d’oiseau », alors qu’il peut en fait s’être rapproché de plusieurs douzaines de milles de son travail. C’est en fait exactement ce qui s’est produit dans l’affaire Cameron (D.) c. M.R.N.[3], où le contribuable a quitté

Aylmer (Québec) pour déménager de l’autre côté de la rivière des Outaouais, à Kars (Ontario). La Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il ne pouvait déduire ses frais de déménagement parce que la distance franchie était inférieure à 40 kilomètres suivant un calcul effectué en ligne droite.

Dans l’affaire Bernier (J.-C.) Succession c. M.R.N.[4], le juge Lamarre Proulx de la Cour canadienne de l’impôt s’est estimée liée par les décisions antérieures, mais seulement après avoir exprimé son opinion dissidente :

À mon sens, la solution de droit que le paragraphe 62(1) apporte doit s’interpréter dans le contexte des travailleurs et la distance dont il y est question doit se mesurer selon la route normale du travailleur ou celle qui devrait être normalement sa route parcourue pour se rendre de sa résidence à son lieu de travail.

Si la notion de route normale est plus réaliste et sert davantage l’objectif de l’article en question, je n’irais pas aussi loin que le juge Lamarre Proulx paraissait disposée à aller, c’est-à-dire jusqu’à accepter un calcul fondé simplement sur la route normale qu’emprunte le travailleur ou celle qu’il emprunterait normalement pour se rendre de sa résidence à son lieu de travail. Une méthode aussi subjective serait source d’incertitude et risquerait ainsi de devenir un « piège à litiges ». C’est exactement la raison que les juges ont invoquée pour expliquer leur adhésion à la méthode de la ligne droite. Il y a lieu de faire davantage preuve d’objectivité. La notion de la route la plus courte que l’employé emprunte pour se rendre au travail devrait être jointe à celle de la route normale pour le voyageur. Par conséquent, le critère de la route normale la plus courte est préférable à la méthode de la ligne droite[5], puisqu’il est à la fois réaliste et précis. Il sert également l’objectif de la disposition. Suivant ce critère, on ne s’attendrait pas à ce que le contribuable emprunte une route inhabituelle, comme une route non entretenue ou non pavée. Il laisserait également plus de latitude pour considérer le transport non seulement sur les routes, mais également sur les traversiers et les voies ferrées.

Dans mes commentaires introductifs, j’ai fait mention d’un problème général concernant l’interprétation du mot « distance » dans les textes de loi. Dans le langage ordinaire, le mot lui-même, tant en anglais qu’en français, doit s’interpréter en fonction du contexte dans lequel il s’inscrit. La « distance » entre deux clochers d’une ville ou entre Ottawa et Paris pourrait ne pas être considérée comme ayant le même sens que la « distance » entre deux coureurs dans un marathon. Il n’y a à mon sens aucune raison d’agir autrement lorsque le mot est utilisé dans le corps d’un texte de loi. À mon avis, en appliquant la méthode de la ligne droite pour calculer la distance envisagée au paragraphe 62(1) de la Loi, la Cour canadienne de l’impôt a interprété le mot sans tenir compte du contexte et, ce faisant, a commis une erreur de droit qui doit être corrigée.

J’accueillerais par conséquent la demande, j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt et lui renverrais l’affaire aux fins d’un nouvel examen qui tienne compte des présents motifs.

Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



[1] Cameron (D.) c. M.R.N., [1993] 1 C.T.C. 2745 (C.C.I.); Haines (R C) c MRN, [1984] CTC 2422 (C.C.I.); Bracken (S) c MRN, [1984] CTC 2922 (C.C.I.); Bernier (J.-C.) Succession c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2535 (C.C.I.).

[2] Lake v. Butler (1855), 24 Law J Rep (NS) 273; Jewell and Another v. Stead (1856), 25 Law J Rep (NS) 294.

[3] Précité, renvoi no 1.

[4] Précité, renvoi no 1, à la p. 2539.

[5] Jennings v. Menaugh et al., 118 Fed. 612 (Circ. Ct. 1902), cité par le juge Lamarre Proulx de la Cour canadienne de l’impôt, et où un critère semblable a été utilisé : « la route ordinaire et normale la plus courte ».

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