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[1995] 3 C.F. 762

T-1910-95

Ronald J. Bissett et Stephen E. Stapleton (requérants)

c.

Le ministre du Travail et Helayne R. Hauw (intimés)

et

T-1649-95

Carlo Cimetta, Andreino Sartor et Kerry Tully (requérants)

c.

Helayne R. Hauw et ministre du Travail (intimés)

Répertorié : Bissett c. Canada (Ministre du Travail) (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein—Toronto, 18 septembre; Ottawa, 11 octobre 1995.

Droit administratif — Appels prévus par la loi — Relations du travail — Si on applique les critères pertinents (commodité, nature de l’erreur, juridiction d’appel), un appel interjeté devant un arbitre sous le régime du Code canadien du travail à l’encontre des ordres de paiement délivrés par un inspecteur en vertu de l’art. 251.1 du Code constitue un recours approprié pouvant remplacer une demande de contrôle judiciaire — Les questions de compétence et de justice naturelle relèvent de la compétence d’appel de l’arbitre, tout comme les autres questions qui touchent le fond de la décision dont appel.

Relations du travail — Un appel interjeté devant un arbitre sous le régime du Code canadien du travail à l’encontre des ordres de paiement délivrés par un inspecteur en vertu de l’art. 251.1 du Code constitue un recours approprié pouvant remplacer une demande de contrôle judiciaire — Les questions de compétence et de justice naturelle relèvent de la compétence d’appel de l’arbitre, tout comme les autres questions qui touchent le fond de la décision dont appel.

Lorsque la société STN a été mise sous séquestre, en juillet 1995, le séquestre provisoire a avisé les employés de la cessation de leur emploi pour la société STN. Environ deux semaines plus tard, une inspectrice sous le régime du Code canadien du travail, a délivré des ordres de paiement aux requérants en vertu du paragraphe 251.1(1) du Code. Les ordres de paiement portaient que les requérants, d’anciens administrateurs de la société STN qui avaient démissionné avant le licenciement des employés, étaient solidairement responsables des salaires des employés de la société STN pour un montant de 567 120,51 $. Les requérants ont engagé une procédure d’appel et pris des dispositions pour remettre ce montant au ministre du Travail. Les requérants ont également demandé à la présente Cour de délivrer des brefs de certiorari annulant les ordres de paiement. Les intimés ont alors présenté des requêtes en vue d’obtenir le sursis des instances devant la présente Cour et les requérants ont par la suite déposé des requêtes reconventionnelles sollicitant le sursis des instances devant l’arbitre. La question à trancher était celle de savoir si la procédure d’appel devant un arbitre prescrite par le Code constitue un recours approprié pouvant remplacer une demande de contrôle judiciaire.

Jugement : les requêtes reconventionnelles sollicitant le sursis des procédures devant l’arbitre doivent être rejetées et une procédure de contrôle judiciaire ne doit pas être entreprise.

Les principes applicables ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt récent Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui : (1) le contrôle judiciaire est un redressement discrétionnaire; (2) le contrôle judiciaire est possible lorsqu’il n’existe pas d’autre procédure appropriée (le caractère approprié de la procédure étant évalué en regard de la commodité, de la nature de l’erreur et de la nature de la juridiction d’appel); (3) une procédure d’appel prévue par la loi peut être appropriée même lorsque le litige porte sur des questions de compétence et notamment sur des questions de justice naturelle.

(1) Le caractère approprié du recours devant l’arbitre. Les pouvoirs étendus dont l’arbitre est investi lui permettent de trancher de façon complète les appels des requérants, tant en ce qui a trait à la procédure qu’au redressement et, en ce sens, l’appel auprès de l’arbitre constitue un recours approprié pour remplacer le contrôle judiciaire. Bien que les requérants décrivent la question en litige comme se limitant simplement à la détermination des dates de leurs démissions, il est douteux que la question de la responsabilité des administrateurs puisse être tranchée comme une simple question préliminaire distincte, même s’il s’avère en bout de ligne qu’il s’agit d’une question de compétence. Certains éléments de preuve seront nécessaires, à tout le moins en ce qui a trait aux dates exactes des démissions. Les facteurs temps et coûts sont favorables à l’utilisation de la procédure devant l’arbitre. Si les ordres de paiement ont été délivrés au mépris des règles de la justice naturelle, l’arbitre peut confirmer, annuler ou modifier les ordres de paiement en se fondant sur la preuve produite par les requérants, et sur toute autre preuve qui lui est soumise, de façon beaucoup plus efficace qu’au moyen de l’exercice du contrôle judiciaire.

(2) L’indépendance institutionnelle—La crainte raisonnable de partialité. La question de l’indépendance institutionnelle de l’arbitre touche la constitutionnalité des dispositions concernant l’arbitre dans le Code canadien du travail. Toutefois, les requérants ne se sont pas conformés à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, qui les oblige à donner un avis aux procureurs généraux du Canada et de la province. Il serait prématuré de trancher cette question : d’autres éléments de preuve seraient nécessaires concernant la nature de la désignation de l’arbitre, le fondement de sa rémunération et les autres rapports unissant, le cas échéant, l’arbitre, le ministre et l’inspecteur, pour que la décision rendue sur la question de l’indépendance institutionnelle soit une décision éclairée.

(3) Les arguments constitutionnels fondés sur l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les requérants se fondent sur l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Crevier c. Procureur général du Québec et autres pour soutenir que l’arbitre n’a pas le pouvoir d’examiner les décisions des inspecteurs pour déterminer s’il y a eu erreur de compétence, car ce rôle appartient aux juges nommés par le gouverneur général en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il n’est pas question d’accorder aux requérants l’autorisation de se conformer à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale aux fins de cet argument, alors que cette autorisation leur a été refusée en ce qui a trait à l’argument touchant l’indépendance institutionnelle—partialité. Néanmoins, il faut distinguer l’affaire Crevier du fait que l’assemblée législative du Québec avait tenté d’établir un tribunal qui outrepassait sa compétence législative. Les questions de compétence ou de justice naturelle relevaient de la compétence d’appel de l’arbitre, tout comme les autres questions qui touchaient le fond de la décision dont appel.

Compte tenu de la preuve et des arguments présentés à la Cour en l’espèce, l’appel devant l’arbitre constitue un recours approprié pour remplacer le contrôle judiciaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 251.1(1) (édicté par L.C. 1993, ch. 42, art. 37), 251.11 (édicté, idem), 251.12 (édicté, idem).

Code des professions, L.R.Q. 1977, ch. C-26.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 96.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 2(1).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; (1979), 96 D.L.R. (3d) 14; [1979] 3 W.W.R. 676; 26 N.R. 364.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; (1981), 127 D.L.R. (3d) 1; 38 N.R. 541.

DÉCISION CITÉE :

Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394; (1992), 92 D.L.R. (4th) 609; 42 C.P.R. (3d) 353; 138 N.R. 321.

REQUÊTES sollicitant le sursis des procédures devant la Cour et requêtes reconventionnelles sollicitant le sursis des procédures devant l’arbitre sous le régime du Code canadien du travail, la question en litige étant celle de savoir si la procédure d’appel prescrite par le Code constitue un recours approprié pouvant remplacer une demande de contrôle judiciaire. Les requêtes reconventionnelles et les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

AVOCATS :

Andrew J. Reddon pour les requérants dans le dossier T-1910-95.

Clifton P. Prophet et Susan J. Stamm pour les requérants dans le dossier T-1649-95.

Peter M. Southey et Gina M. Scarcella pour les intimés.

PROCUREURS :

McCarthy Tétrault, Toronto, pour les requérants dans le dossier T-1910-95.

Gowling, Strathy & Henderson, Toronto, pour les requérants dans le dossier T-1649-95.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rothstein : La question à trancher en l’espèce est celle de savoir si un appel interjeté devant un arbitre en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, constitue un recours approprié pouvant remplacer une demande de contrôle judiciaire.

LES FAITS

Les requêtes et requêtes reconventionnelles dans les dossiers T-1649-95 et T-1910-95 ont été entendues simultanément. Les requérants dans les deux dossiers ont été membres du conseil d’administration de la société STN[1]. Le 4 juillet 1995, un séquestre provisoire de la société STN a été nommé par une ordonnance de la Cour de l’Ontario (Division générale) et, le 5 juillet 1995, le séquestre provisoire a avisé les employés de la cessation de leur emploi pour la société STN.

Le 18 juillet 1995, Helayne R. Hauw, en sa qualité d’inspectrice sous le régime du Code canadien du travail, a délivré des ordres de paiement aux requérants en vertu du paragraphe 251.1(1) [édicté par L.C. 1993, ch. 42, art. 37] du Code. Les ordres de paiement portaient, notamment, que les requérants étaient solidairement responsables des salaires des employés de la société STN pour un montant de 567 120,51 $.

Les requérants affirment ne pas avoir été avisés ni avoir obtenu la possibilité d’être entendus avant que Mme Hauw leur délivre ces ordres de paiement. Ils ajoutent qu’ils ont démissionné avant le licenciement des employés par le séquestre et qu’ils ne sont donc pas responsables des salaires des employés.

En vertu du Code canadien du travail, si les requérants désirent contester les ordres de paiement, ils peuvent interjeter appel auprès d’un arbitre dans un délai de 15 jours après avoir reçu signification des ordres. La formation d’un appel est subordonnée au paiement, par les administrateurs, au ministre du Travail, du montant indiqué dans les ordres de paiement. L’article 251.11 [édicté, idem] du Code canadien du travail se lit comme suit :

251.11 (1) Toute personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée peut, par écrit, interjeter appel de la décision de l’inspecteur auprès du ministre dans les quinze jours suivant la signification de l’ordre ou de sa copie, ou de l’avis.

(2) L’employeur et l’administrateur de personne morale ne peuvent interjeter appel d’un ordre de paiement qu’à la condition de remettre au ministre la somme visée par l’ordre, sous réserve, dans le cas de l’administrateur, du montant maximal visé à l’article 251.18.

Les requérants ont engagé une procédure d’appel et pris des dispositions pour remettre le montant de 567 120,51 $ au ministre du Travail. (La Cour ne fait donc pas face en l’espèce à un requérant qui n’est pas en mesure de verser au ministre le montant indiqué dans un ordre de paiement.) Les requérants ont également demandé à la présente Cour de délivrer des brefs de certiorari annulant les ordres de paiement.

Au début du mois de septembre 1995, les intimés ont présenté des requêtes en vue d’obtenir le sursis des instances devant la présente Cour. Les requérants ont par la suite déposé des requêtes reconventionnelles sollicitant le sursis des instances devant l’arbitre. Ce sont ces requêtes en sursis qui ont donné lieu à la présente décision.

LES RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

Au début de l’instance, la question du droit applicable a fait l’objet d’une certaine controverse. Au cours des plaidoiries, les avocats ont toutefois convenu que les principes pertinents étaient ceux énoncés récemment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3. Dans ses motifs, le juge en chef Lamer énonce, au nom de la majorité, des lignes directrices relativement aux instances telles celles dont la Cour est saisie. Voici un résumé des principes pertinents :

1. Bien qu’une partie puisse avoir le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Section de première instance de la Cour fédérale, rien n’oblige la Cour à procéder au contrôle judiciaire. Les juges de la Section de première instance de la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de déterminer s’il y a lieu à contrôle judiciaire.

2. Le principe de l’autre recours approprié énoncé dans l’arrêt Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, est confirmé. Les cours de justice doivent tenir compte de multiples facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si une procédure d’appel prescrite par la loi constitue un autre recours approprié. À la page 31 de l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, le juge en chef déclare :

… je conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d’une procédure d’appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent : la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur et la nature de la juridiction d’appel (c.-à-d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’offrir un redressement). Je ne crois pas qu’il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteur pertinents.

3. Un tribunal d’appel prévu par la loi peut offrir un autre recours approprié, même lorsque le litige porte sur des questions de compétence et notamment sur des questions de justice naturelle.

LES ARGUMENTS DES REQUÉRANTS

J’ai examiné les prétentions des avocats en ce qui a trait à la commodité, à la nature de l’erreur et à la nature de la juridiction d’appel. Les avocats n’ont fait valoir aucun autre facteur pertinent en l’espèce. Ceux qui représentent les requérants soutiennent que le litige porte sur des questions préliminaires et distinctes et qu’il ne conviendrait pas de les embrouiller en les intégrant à un processus complexe d’une grande portée comportant notamment la production d’éléments de preuve. Ils affirment qu’ils ne pourraient jamais être indemnisés pour le temps consacré à l’affaire et la totalité de leurs frais. Ils font valoir que les erreurs en cause touchent la compétence et qu’une forte preuve prima facie établit qu’elles ont été commises. Quant à la nature de la juridiction d’appel, les requérants font valoir que l’arbitre n’est pas inamovible, que sa rémunération n’est pas garantie et qu’il n’est pas indépendant du pouvoir exécutif, de sorte qu’il ne jouit pas de l’indépendance institutionnelle, ce qui suscite une crainte raisonnable de partialité. Les requérants ajoutent que le Parlement n’a pas le pouvoir d’établir une procédure d’appel auprès d’un arbitre sous le régime du Code canadien du travail parce que ces dispositions violent l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]].

ANALYSE

La commodité, la nature de l’erreur et la nature du tribunal (hormis les questions de l’indépendance institutionnelle et de la crainte raisonnable de partialité) sont des questions interdépendantes, du moins en l’espèce.

C’est l’article 251.12 [édicté, idem] du Code qui prévoit la désignation et la compétence de l’arbitre ainsi que la procédure à suivre devant lui :

251.12 (1) Le ministre, saisi d’un appel, désigne en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’appel et lui transmet l’ordre de paiement ou l’avis de plainte non fondée ainsi que le document que l’appelant a fait parvenir au ministre en vertu du paragraphe 251.11(1).

(2) Dans le cadre des appels que lui transmet le ministre, l’arbitre peut :

a) convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit, ainsi qu’à produire les documents et les pièces qu’il estime nécessaires pour lui permettre de rendre sa décision;

b) faire prêter serment et recevoir des affirmations solennelles;

c) accepter sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’à son appréciation il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

d) fixer lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

e) accorder le statut de partie à toute personne ou tout groupe qui, à son avis, a essentiellement les mêmes intérêts qu’une des parties et pourrait être concerné par la décision.

(3) Dans le cadre des appels que lui transmet le ministre, l’arbitre dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil pour procéder à l’examen du cas dont il est saisi ou rendre sa décision.

(4) L’arbitre peut rendre toutes les ordonnances nécessaires à la mise en oeuvre de sa décision et peut notamment, par ordonnance :

a) confirmer, annuler ou modifier—en totalité ou en partie—un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée;

b) ordonner le versement, à la personne qu’il désigne, de la somme consignée auprès du receveur général du Canada;

c) adjuger les dépens.

(5) L’arbitre transmet une copie de sa décision sur un appel, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

(6) Les ordonnances de l’arbitre sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(7) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire—notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto—visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre du présent article.

(1)       Le caractère approprié du recours devant l’arbitre

L’arbitre est manifestement investi de pouvoirs étendus. L’appel ne se limite pas au contrôle judiciaire de l’ordonnance contestée. Il comporte une nouvelle audition complète. L’arbitre peut confirmer, annuler ou modifier les ordres de paiement en totalité ou en partie, ordonner le versement d’une somme consignée à la personne qu’il désigne et adjuger les dépens. De toute évidence, l’arbitre peut trancher de façon complète les appels des requérants, tant en ce qui a trait à la procédure qu’au redressement et, en ce sens, l’appel auprès de l’arbitre constitue un recours approprié pour remplacer le contrôle judiciaire.

Toutefois, les requérants soutiennent que c’est la nature même du processus d’appel devant l’arbitre qui le rend peu commode. Ils fondent cet argument sur leurs prétentions selon lesquelles les questions visées par les appels sont distinctes. Sans vouloir de quelque façon que ce soit trancher ces questions quant au fond, je ne suis pas convaincu, à partir du dossier dont je dispose, que tel est le cas.

Les requérants affirment qu’ils n’étaient pas administrateurs à l’époque en cause et, par conséquent, que l’arbitre n’a pas compétence pour délivrer des ordres de paiement contre eux. Les requérants décrivent la question en litige comme se limitant simplement à la détermination des dates de leurs démissions. Les intimés soutiennent que les dates de démission de certains des requérants ne sont pas établies de façon certaine et, du moins en ce qui concerne la portion des salaires dus aux employés correspondant aux vacances payées, la dette relative aux vacances a été contractée avant les dates de démission des administrateurs.

Comme je l’ai déjà mentionné, ce n’est pas à moi qu’il appartient de trancher le litige. Il me suffit de dire, même si je reconnais que les requérants peuvent faire valoir une forte preuve prima facie, que je suis convaincu que la thèse des intimés n’est pas manifestement frivole ou vexatoire, et qu’elle devra être examinée. En outre, je doute que la question de la responsabilité des administrateurs puisse être tranchée comme une simple question préliminaire distincte, même s’il s’avère en bout de ligne qu’il s’agit d’une question de compétence. Il semble que certains éléments de preuve seront nécessaires, à tout le moins en ce qui a trait aux dates exactes des démissions. Les vastes pouvoirs de l’arbitre lui permettront d’examiner tous les faits pertinents et de rendre une décision permettant d’accorder aux requérants la mesure de redressement demandée s’il s’avère qu’ils y ont droit. Il pourrait s’agir non seulement du remboursement du montant versé au ministre du Travail, mais également des frais. Selon moi, la question du temps et des frais milite pour le processus d’appel devant l’arbitre.

Si les ordres de paiement ont été délivrés au mépris des règles de la justice naturelle (en supposant que ces règles s’appliquent), les requérants auront l’occasion de présenter à l’arbitre les observations qu’ils ont été empêchés de présenter à l’inspecteur qui a délivré les ordres de paiement. L’arbitre peut confirmer, annuler ou modifier les ordres de paiement en se fondant sur la preuve produite par les requérants et sur toute autre preuve qui lui est soumise. Ce processus constitue selon moi une façon plus efficace de régler la question que le contrôle judiciaire qui, advenant que les requérants aient gain de cause, se solderait par le renvoi de l’affaire à un inspecteur afin qu’il rende une nouvelle décision.

(2)       L’indépendance institutionnelle—La crainte raisonnable de partialité

J’aborderai maintenant la question de l’indépendance institutionnelle et de la crainte raisonnable de partialité. L’argument des requérants ne s’appuie pas sur les personnes, ni sur les circonstances particulières en cause, mais sur le régime établi par la loi. Ils précisent que l’inspecteur est désigné par le ministre du Travail, tout comme l’arbitre. À leur avis, cette situation soulève la question de l’indépendance institutionnelle de l’arbitre. Ils affirment aussi que l’absence d’inamovibilité et de sécurité financière de l’arbitre soulève des questions.

Bien que je ne puisse déclarer que le Parlement ne pouvait aucunement établir un régime qui risque de violer le principe de l’indépendance institutionnelle, la question qui se pose n’est pas celle de savoir si le recours à un arbitre dans un cas donné constitue un recours approprié pouvant remplacer le contrôle judiciaire, compte tenu du type de considérations suggérées par le juge en chef Lamer dans l’arrêt Matsqui. C’est un argument qui touche la constitutionnalité des dispositions concernant l’arbitre dans le Code canadien du travail. Les avocats des requérants suggèrent qu’il n’était pas nécessaire de traiter la question de l’indépendance institutionnelle et de la crainte de partialité dans la loi par voie de contestation de la constitutionnalité. Toutefois, contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui où les dispositions applicables faisaient partie d’un texte équivalant à un règlement[2] qui, parce qu’il s’agit de législation subordonnée, peut être contesté en regard des principes habituels de l’ultra vires reconnus en common law, les dispositions en cause en l’espèce font partie d’une loi principale, le Code canadien du travail. Pour contester la validité d’une disposition du Code canadien du travail, les avocats des requérants devraient s’être conformés à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19], en donnant un avis aux procureurs généraux du Canada et des provinces. Cette mesure n’a pas été prise. Les avocats des requérants ont demandé qu’on leur donne l’occasion de s’y conformer. Pour les motifs que j’énoncerai, je ne pense pas qu’il serait utile de leur accorder un délai pour qu’ils se conforment à l’article 57.

Les avocats des intimés ont fait valoir les prétentions suivantes :

1. Il n’existe aucun élément de preuve établissant l’absence d’inamovibilité, l’absence de garantie quant à la rémunération ou un contrôle administratif inapproprié, à partir duquel la Cour pourrait examiner la question de la crainte raisonnable de partialité.

2. Les arguments touchant la crainte raisonnable de partialité sont prématurés.

3. En ce qui a trait au fond, l’absence d’indépendance institutionnelle de l’arbitre n’a pas été établie.

En ce qui concerne l’absence de preuve et le caractère prématuré des arguments, le juge Sopinka a rédigé le texte qui suit au nom de la majorité des juges qui ont exprimé une opinion à cet égard (et non au nom de la majorité des juges de la Cour) dans l’affaire Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, à la page 68 :

… je remettrais à un stade ultérieur l’application du critère afin que la personne raisonnable puisse avoir l’avantage de savoir comment le tribunal en question fonctionne dans les faits. C’est maintenant presque un truisme de dire que les principes de justice naturelle sont flexibles et doivent être considérées dans leur contexte.

Il a ajouté, aux pages 71 et 72 :

On constate donc une tendance dans la jurisprudence à n’aborder la question de la partialité institutionnelle qu’après que le tribunal a été constitué ou qu’il a en fait rendu jugement. Or, la nécessité de considérer « objectivement » l’indépendance institutionnelle n’exclut pas l’examen de l’application d’un régime législatif qui crée un tribunal administratif, mais qui n’énonce que vaguement ou partiellement les trois éléments mentionnés dans l’arrêt Valente, ce qui est le cas en l’espèce, puisque les règlements de taxation en cause ne donnent aucun détail concernant la durée des fonctions et la rémunération. Il ne serait pas prudent de formuler des conclusions définitives sur le fonctionnement de cette institution en se fondant uniquement sur le libellé des règlements administratifs. La connaissance de la réalité opérationnelle de ces éléments manquants pourrait offrir un contexte nettement plus riche dans lequel peut être entrepris un examen objectif de l’institution en question et des rapports qui la caractérisent. Autrement, l’hypothétique « personne sensée » dont on parle en droit administratif demeure, pour sensée qu’elle soit, ignorante.

Le Code canadien du travail ne parle pas des questions de l’amovibilité et de la rémunération. On a porté à mon attention une lettre concernant la nomination de l’arbitre, datée du 12 septembre 1995. Cette lettre ne traite que vaguement de ces questions. Elle se lit en partie comme suit :

[traduction] Monsieur Dissanayake,

Pour faire suite à votre conversation téléphonique avec M. P. Lépine de la présente section, je vous confirme que la ministre du Travail, l’honorable Lucienne Robillard, vous a désigné en qualité d’arbitre pour entendre les appels susmentionnés relativement au recouvrement des salaires.

Vous trouverez sous pli les documents pertinents à cette affaire et des lignes directrices concernant votre rémunération et vos dépenses.

Les lignes directrices relatives à la rémunération et aux dépenses n’ont pas été produites en preuve.

Il me paraît manifeste, comme au juge Sopinka dans l’affaire Matsqui, qu’il n’est pas opportun de tirer à cette étape une conclusion définitive en ce qui a trait à l’indépendance institutionnelle de l’arbitre à partir uniquement du Code canadien du travail et de la lettre désignant l’arbitre. D’autres éléments de preuve seraient nécessaires concernant la nature de la désignation de l’arbitre, le fondement de sa rémunération et les autres rapports unissant, le cas échéant, l’arbitre, le ministre et l’inspecteur, pour que la décision rendue sur la question de l’indépendance institutionnelle soit une décision éclairée. Étant donné l’absence de pareille preuve à la présente étape, il serait prématuré de trancher la question de l’indépendance institutionnelle et de la crainte raisonnable de partialité dans le cadre des présentes requêtes.

Je ne crois pas qu’il serait utile d’accorder un délai pour que les conditions énoncées à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale soient remplies parce qu’aucun élément de preuve n’a été produit sur la question de l’indépendance institutionnelle et que l’examen de cette question est donc prématuré. En fait, cette mesure aurait pour seul effet de retarder davantage l’instance. Je refuse donc de me prononcer sur la constitutionnalité des dispositions du Code canadien du travail concernant l’arbitre dans le cadre des présentes requêtes.

(3)       Les arguments constitutionnels fondés sur l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867

Enfin, les requérants soutiennent que l’arbitre n’a pas le pouvoir d’examiner les décisions des inspecteurs pour déterminer s’il y a eu erreur de compétence, car ce rôle appartient aux juges nommés par le gouverneur général en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 :

96. Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

Les requérants s’appuient sur l’arrêt Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220.

Je le répète, les requérants ne se sont pas conformés à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale. Il n’est pas question d’accorder aux requérants l’autorisation de s’y conformer aux fins du présent argument, alors que cette autorisation leur a été refusée en ce qui a trait à l’argument touchant l’indépendance institutionnelle—partialité. Toutefois, j’estime que quelques remarques sur la décision Crevier peuvent fournir certaines indications.

Je souligne d’emblée qu’il n’est absolument pas certain que l’article 96 limite le pouvoir du Parlement de créer des tribunaux d’appel. Voir Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394, à la page 415.

Quoi qu’il en soit, l’affaire Crevier concernait un régime législatif inhabituel par lequel la Cour suprême du Canada a jugé que la province de Québec avait tenté d’établir un tribunal qui outrepassait la compétence législative que lui confère la Loi constitutionnelle de 1867. Dans cette affaire, on avait constitué un tribunal des professions, composé de six juges de la Cour provinciale désignés par le juge en chef du Québec, pour entendre les appels des comités de discipline. Sa composition faisait en fait du tribunal des professions un système de cour provinciale parallèle investie d’une compétence distincte de celle de la cour provinciale régulière. La Cour suprême a statué que le tribunal des professions ne faisait pas partie intégrante du régime administratif prévu par le Code des professions, L.R.Q. 1977, ch. C-26, mais qu’il le chapeautait en exerçant uniquement un pouvoir de surveillance. Pour cette raison, la Cour suprême a considéré le Code des professions comme une tentative par l’Assemblée législative du Québec d’établir une cour qui outrepassait sa compétence législative.

Il est plus fréquent qu’un régime législatif établisse des tribunaux administratifs afin qu’ils exercent les fonctions spécifiques que le Parlement ou une assemblée législative jugent appropriées. Ils ne sont habituellement pas composés uniquement de juges. Dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir décisionnel, il arrive que des questions de droit ou de compétence accessoires à leurs décisions se posent. Ce serait notamment le cas des questions de savoir si un bien-fonds appartient ou non à une réserve aux fins de l’évaluation et de la taxation, comme dans Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, si une personne n’a pas bénéficié des règles de la justice naturelle, comme dans l’affaire Harelkin, ou si les personnes auxquelles on a signifié des ordres de paiement siégeaient au conseil d’administration à l’époque en cause, aux fins de déterminer leur responsabilité concernant les salaires en vertu du Code canadien du travail. Le rôle conféré à l’arbitre par le Code canadien du travail fait partie du régime administratif global prévu par la loi. L’arbitre entend des appels sur toutes les questions pertinentes relatives à la responsabilité des administrateurs. Il n’est pas nécessaire que l’arbitre soit un juge d’une cour établie. Il se peut que, dans une cause donnée, des questions de compétence ou de justice naturelle soient soulevées comme moyen d’appel. Ces questions relèvent de la compétence d’appel de l’arbitre, tout comme les autres questions qui touchent le fond de la décision dont appel. L’arrêt Crevier ne s’applique pas en l’espèce.

CONCLUSION

Après avoir examiné le dossier qui m’a été soumis et les arguments qui m’ont été présentés, je conclus que l’appel devant l’arbitre constitue en l’espèce un recours approprié pour remplacer le contrôle judiciaire. Il va de soi que l’arbitre doit trancher les appels dont il est saisi de la façon la plus efficace et la plus rapide possible, en accord avec les principes de l’équité. Il appartiendra toutefois à l’arbitre de déterminer la procédure à suivre.

Il ne s’agit donc pas d’une situation dans laquelle la Cour devrait entreprendre le contrôle judiciaire. Les requêtes sollicitant le sursis des procédures devant l’arbitre sont rejetées. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.



[1] Les intimés ont convenu que Stephen E. Stapleton n’a jamais siégé au conseil d’administration de la société STN.

[2] Voir Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, aux p. 17 et 18. Les règlements administratifs pris par une bande indienne en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, constituent des règlements par application de l’art. 2(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

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