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[1995] 3 C.F. 300

ITA-5435-94

Affaire intéressant la Loi de l’impôt sur le revenu et une ou plusieurs cotisations établies par le ministre du Revenu national en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage, de la Loi de l’impôt sur le revenu, pris ensemble ou séparément, contre : Adeline Margaret Bodnarchuk

Répertorié : Bodnarchuk (Re) (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave—Vancouver, 24 juillet 1995.

Impôt sur le revenu — Saisies — Impôt non payé — Fonds de REÉR exigibles en exécution d’un bref de fieri facias et conformément à l’art. 52 de la B.C. Court Order Enforcement Act — Un an après que la Cour eut rendu une ordonnance dans ce sens dans une autre cause, Vancouver City Savings Credit Union refuse de solder un REÉR malgré un bref de fieri facias à cet effet — Abus des procédures — Distinction faite avec la décision DeConinck v. Royal Trust Corp. of Canada de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, où il était question de saisie-arrêt.

Pratique — Frais et dépens — Second refus de Vancouver City Savings Credit Union, à un an d’intervalle et dans une affaire différente, de solder un REÉR en exécution d’un bref de saisie-exécution pour impôt non payé — Abus des procédures — Ignorance imposée à soi-même — La coopérative de crédit, bien que n’étant pas partie à l’instance, condamnée à payer les frais de la requête.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Court Order Enforcement Act, R.S.B.C. 1979, ch. 75, art. 52.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 344(1) (mod. par DORS/87-221, art. 2).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Re Guterres (F.L.), [1994] 2 C.T.C. 308; (1994), 94 DTC 6603 (C.F. 1re inst.); Bank of B.C. v. 225280 B.C. Ltd. (1985), 65 B.C.L.R. 23 (C.S.); Re Sturmer and Town of Beaverton (1912), 25 O.L.R. 566; 2 D.L.R. 501 (C. div.); Rockwell Developments Ltd. v. Newtonbrook Plaza Ltd., [1972] 3 O.R. 199; (1972), 27 D.L.R. (3d) 651 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

DeConinck v. Royal Trust Corp. of Canada (1988), 90 N.B.R. (2d) 321; 228 A.P.R. 321; [1989] 1 C.T.C. 179; 31 E.T.R. 169 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

In re Gero et in re Loi de l’impôt sur le revenu, [1980] 1 C.F. 69 (1979), 103 D.L.R. (3d) 310; 7 B.L.R. 148; C.E.B. & P.G.R. 8084; [1979] C.T.C. 309; 79 DTC 5228; 5 E.T.R. 131 (1re inst.); Robitaille c. Dion, [1979] 1 R.C.S. 359.

REQUÊTE EX PARTE du ministre du Revenu national en ordonnance portant obligation pour Vancouver City Savings Credit Union de solder le REÉR d’Adeline Bodnarchuck, d’en remettre les fonds au ministre et de payer les frais et dépens. Requête accueillie.

MÉMOIRE SOUMIS PAR

John Mostowich pour le requérant.

PROCUREUR :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le protonotaire Hargrave : Il y a un an, dans Re Guterres (F.L.), [1994] 2 C.T.C. 308 (C.F. 1re inst.), j’ai conclu dans les motifs de l’ordonnance que les fonds d’un régime enregistré d’épargne-retraite (REÉR) étaient exigibles en exécution d’un bref de saisie-exécution et en application de l’article 52 de la loi dite Court Order Enforcement Act, R.S.B.C. 1979, ch. 75. Dans cette cause, la coopérative de crédit dénommée Vancouver City Savings Credit Union avait refusé de solder un REÉR déposé chez elle, malgré la demande de Pacific Court Bailiff Execution Services Inc., qui lui avait présenté un bref de saisie-exécution à cet effet.

En l’espèce, à la date d’anniversaire à peu près de la cause Guterres, Vancouver City Savings Credit Union refuse de nouveau de livrer un fonds de REÉR malgré un bref de fieri facias. D’où cette requête du ministre du Revenu national en ordonnance enjoignant à Vancouver City Savings Credit Union de solder le REÉR d’Adeline Bodnarchuk, d’en remettre les fonds au ministre, et de payer au ministre les dépens de la requête.

SAISIE-ARRÊT ET RÉGIMES D’ÉPARGNE-RETRAITE

À l’appui de son refus de remettre les fonds du REÉR à Revenu Canada, la coopérative de crédit invoque maintenant une décision de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, DeConinck v. Royal Trust Corp. of Canada (1988), 90 N.B.R. (2d) 321. Dans cette dernière cause, l’action en recouvrement de Revenu Canada était fondée sur le paragraphe 224(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63], qui prévoit la saisie-arrêt contre le débiteur fiscal. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a débouté Revenu Canada par ce motif que les rapports entre la compagnie de fiducie et son client M. DeConinck n’étaient pas des rapports entre créancier et débiteur, mais entre fiduciaire et bénéficiaire de la fiducie. La saisie-arrêt était donc inopérante, et la compagnie de fiducie qui avait remis à tort les fonds du REÉR à la Couronne, devait répondre de l’intérêt et de la plus-value que le REÉR autogéré eût pu produire au fil des années subséquentes.

Il n’est pas nécessaire de prendre en considération la décision DeConinck de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick; il y était question de saisie-arrêt. Le bref de saisie-exécution en l’espèce est très différent. Il y a cependant lieu de noter en passant que dans In re Gero et in re Loi de l’impôt sur le revenu, [1980] 1 C.F. 69(1re inst.), la Cour fédérale a bien jugé que les fonds de REÉR pouvaient être saisis-arrêtés, à la lumière d’un arrêt de la Cour suprême du Canada, Robitaille c. Dion, [1979] 1 R.C.S. 359 et dans lequel, prononçant le jugement de la Cour, le juge Pigeon a conclu en ces termes [à la page 362] :

En effet il est tout à fait évident que l’on ne peut pas par un contrat mettre ses biens à l’abri de saisie par ses créanciers à moins d’une disposition spéciale comme celle que l’on trouve dans la Loi des régimes supplémentaires de rentes (S.Q. 1965, ch. 25, art. 31). Ainsi, il est parfaitement clair que l’on ne peut pas faire un dépôt à la banque en stipulant l’insaisissabilité de la somme.

Dans la cause Gero, supra, le juge Walsh a conclu qu’il était possible de soutenir que les fonds de REÉR ne constituaient pas des créances échues ou à échoir au sens de la Règle 2300 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] régissant la saisie-arrêt, tant que leur propriétaire ne les avait pas réclamés de la compagnie de fiducie; il a cependant fait remarquer que « l’adoption d’une telle interprétation serait contraire à l’ensemble du principe qui régit les procédures de saisie-arrêt : en effet, cela donnerait à une personne le moyen de mettre ses biens à l’abri de saisie par ses créanciers ». (À la page 71).

RÉALISATION EN VERTU D’UN BREF DE SAISIE-EXÉCUTION

Si la question de la saisie-arrêt des fonds de REÉR n’est peut-être pas encore résolue dans certains ressorts, il n’en est pas de même du cas où une partie les réalise en vertu d’un bref de saisie-exécution, au moyen d’une disposition telle que l’article 52 de la loi dite Court Order Enforcement Act, R.S.B.C. 1979, ch. 75 :

[traduction] 52. Tout shérif ou autre auxiliaire de la justice chargé d’exécuter le bref de saisie-exécution, saisira tous numéraires ou billets de banques, chèques, lettres de change, billets à ordre, obligations, contrats fermes ou autres sûretés, appartenant au débiteur, dont il remettra au créancier la totalité ou une fraction suffisante; il les gardera en garantie de la totalité ou du solde, selon le cas, de la somme à réaliser en exécution du bref. Le shérif ou autre auxiliaire de la justice est habilité à agir en justice pour recouvrer, à l’échéance, les sommes dont il détient la garantie.

Un REÉR peut être saisi et vendu en application de la disposition ci-dessus, voir Bank of B.C. v. 225280 B.C. Ltd. (1985), 65 B.C.L.R. 23 (C.S.), à la page 24.

CONDAMNATION DU TIERS AUX DÉPENS

Il est regrettable que, malgré les exhortations dans ce sens, Vancouver City Savings Credit Union n’ait pas consulté un avocat avant de prendre, par ignorance résultant du défaut d’appréciation et d’action raisonnables, une position indéfendable qui a forcé Revenu Canada à encourir les frais de la requête en instance. J’ai donc examiné s’il y a lieu de la condamner aux dépens, bien qu’elle ne soit pas partie au litige.

Une interprétation littérale du paragraphe 344(1) des Règles de la Cour fédérale [mod. par DORS/87-221, art. 2], que voici :

Règle 344. (1) La Cour a entière discrétion pour adjuger les frais et dépens aux parties à une instance, pour en déterminer la somme, pour les répartir et pour désigner les personnes qui doivent les supporter. [Non souligné dans le texte.]

permettrait à la Cour fédérale de condamner un tiers aux dépens. Dans Rockwell Developments Ltd. v. Newtonbrook Plaza Ltd., [1972] 3 O.R. 199, cependant, la Cour d’appel de l’Ontario a limité aux parties à l’instance l’application d’un texte de loi comparable de la province (à la page 207) :

[traduction] Une interprétation littérale des mots « la juridiction ou le juge compétent a plein pouvoir pour décider qui est tenu aux dépens et dans quelle mesure » figurant à l’art. 82 produirait des absurdités manifestes, et les décisions susmentionnées posent à juste titre qu’il ne faut pas en donner une interprétation littérale. À mon avis, le mot « qui » doit s’interpréter comme signifiant « laquelle des parties à l’instance ».

La Cour est cependant investie du pouvoir de prévenir l’abus des procédures et peut, dans les cas exceptionnels, condamner aux dépens quelqu’un qui n’est pas partie à l’instance; voir par exemple Re Sturmer and Town of Beaverton (1912), 25 O.L.R. 566 (C. div.). Dans cette dernière affaire, la Cour a condamné aux dépens pour abus des procédures, un individu qui n’était pas partie à l’instance mais qui, pour se dérober aux dépens, avait poussé une personne irréfléchie à prêter son nom en qualité de demandeur. En l’espèce, Vancouver City Savings Credit Union a essayé de déplacer la charge des dépens.

L’avocat représentant le ministre tient que le second refus de la coopérative de crédit de solder le REÉR en question en exécution de l’ordonnance de saisie-exécution, constitue un abus des procédures, d’autant plus que la position indéfendable de Vancouver City Savings Credit Union tenait à l’ignorance que celle-ci s’était imposée à elle-même. À la fin des débats, j’ai fait savoir que si les agissements de la coopérative de crédit représentaient un mauvais recours à la procédure de la Cour, ils ne constituaient pas pour autant un abus des procédures.

Depuis lors, j’ai relu les témoignages par affidavit et en particulier, la correspondance entre la coopérative de crédit et le shérif en la personne de Pacific Court Bailiff Execution Services Inc.; il ressort de cette correspondance que le shérif a demandé à deux reprises le nom de l’avocat de la coopérative de crédit afin de pouvoir discuter de la situation avec lui, ce qui aurait permis d’éviter la requête en l’espèce.

Je conclus maintenant que l’argument de l’avocat représentant le ministre est raisonnable, car la coopérative de crédit, au lieu de gagner du temps et de payer les honoraires minimaux, si honoraires il y avait, d’une consultation juridique ou de se faire représenter par avocat à l’audition de cette requête, a forcé le ministère du Revenu national à engager des dépenses inutiles.

Par suite, Vancouver City Savings Credit Union a pris une position indéfendable, imposé un surcroît de frais à Revenu Canada, ajouté à la charge de travail de la Cour et abusé du contribuable en gaspillant son argent.

Vancouver City Savings Credit Union est condamnée, pour abus des procédures, à payer au ministre les frais et dépens de la requête, fixés à 200 $.

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