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[1995] 3 C.F. 383

IMM-6504-93

Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine), Pickford & Black, Pesqueria LatinoAmericana, S.A., Pesqueria Atlantica S.A., Pesqueria Altamar S.A., Pesquera La Palma S.A., Transportes Oceanicos S.A. et Pezmares S.A. (requérantes)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

IMM-7407-93

Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine), Pickford & Black, Pesqueria LatinoAmericana, S.A., Pesqueria Atlantica S.A., Pesqueria Altamar S.A., Pesquera La Palma S.A., Transportes Oceanicos S.A. et Pezmares S.A. (requérantes)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay—Halifax, 13 décembre 1994; Ottawa, 1er septembre 1995.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de visiteurs — Contrôle judiciaire de décisions d’agents de l’immigration exigeant le dépôt d’un cautionnement et le paiement de frais administratifs par les propriétaires, les exploitants des navires de pêche cubains désertés par des membres du personnel qui ont demandé le statut de réfugié au sens de la Convention — La Loi et le Règlement exigent des frais des « transporteurs » — Les requérantes sont des transporteurs parce qu’elles ont transporté les membres de leur personnel sur des navires au Canada — La définition ne précise pas que le navire doit servir principalement au transport des personnes ou des marchandises — Le Parlement a voulu donner un sens large à la définition.

Il s’agit de demandes de contrôle judiciaire portant (1) sur la décision d’exiger un cautionnement et (2) sur la décision d’exiger des frais administratifs. Les requérantes sont des compagnies cubaines propriétaires et exploitantes de navires de pêche qui ont dû entrer dans des ports canadiens aux fins d’obtenir des permis et de prendre à bord des inspecteurs. Dans les ports canadiens, quelque 20 membres du personnel ont déserté les navires et demandé le statut de réfugié au sens de la Convention. Les autorités de l’immigration ont donné avis de l’obligation de déposer un cautionnement de 7 000 $ pour chaque membre du personnel concerné et elles ont ultérieurement demandé le paiement de frais administratifs de 5 000 $ à l’égard de chacun de six membres du personnel désignés nommément. (Ces derniers frais étaient apparemment un montant réclamé sur le cautionnement de 7 000 $.) En vertu de l’article 91.1 de la Loi sur l’immigration, le ministre peut imputer provisoirement au transporteur des frais administratifs pour tout membre du personnel qui cesse d’être un visiteur. En vertu de l’article 92, le sous-ministre peut ordonner aux transporteurs de déposer tout cautionnement jugé nécessaire pour garantir le paiement des frais qui pourraient être mis à leur charge. « Transporteur » est défini comme étant toute personne ou groupement qui assurent un service de transport de voyageurs ou de marchandises par véhicule ou tout autre moyen.

Les requérantes ont soutenu qu’aucune d’entre elles n’est un transporteur, parce qu’elles n’ont pas comme raison d’être le transport de personnes ou de marchandises, mais la pêche ou des activités liées à la pêche. On a avancé que le terme « transporteur » s’applique seulement aux personnes ou aux compagnies faisant le transport de passagers ou de marchandises à titre onéreux. L’intimé a soutenu qu’il suffisait que des personnes soient transportées par un navire qui s’arrête au Canada.

Jugement : les demandes doivent être rejetées.

Les requérantes sont comprises dans la définition de « transporteur » parce qu’elles ont transporté les membres de leur personnel à bord de leurs navires. Cette définition ne précise pas que le navire doive être principalement utilisé pour le transport de marchandises ou de personnes, ou qu’il doive être utilisé pour le transport à titre onéreux. Il n’y a rien dans la Loi qui donne à entendre que la définition de « transporteur » plus restrictive proposée par les requérantes soit celle qui devrait être adoptée. En fait, l’alinéa b) de la définition de transporteur, qui doit être utilisé pour l’application de certains articles de la Loi, comprend l’exploitant d’un pont ou d’un tunnel. Les fins générales de la Loi, les dispositions précises qui doivent être prises quant aux membres du personnel de navires étrangers, les obligations des exploitants de navires de même que les aspects pratiques de l’application de la Loi donnent tous à entendre qu’il faut attribuer un sens large à la définition de « transporteur ». La grande étendue des obligations imposées aux transporteurs dans la partie V de la Loi, y compris l’article 86, qui tient responsable le transporteur pour le renvoi des membres du personnel de leurs véhicules ou navires, appuie aussi cette interprétation. Il n’y a pas de motif s’accordant aux fins de la Loi qui permette de restreindre l’application de cet article aux exploitants de navires qui transportent des personnes ou des marchandises à titre onéreux.

La question suivante a été certifiée pour étude par la Cour d’appel : « Lorsque le propriétaire ou l’exploitant d’un véhicule qui n’est pas principalement utilisé aux fins du transport de personnes ou de marchandises, comme un navire utilisé pour la pêche, transporte des personnes ou des marchandises au Canada à bord de ce véhicule, le propriétaire, l’exploitant ou leur mandataire entrent-ils dans la définition de « transporteur » donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration ? »

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) « master » [version anglaise seulement], « membre du personnel » (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1), « propriétaire d’un véhicule », « transporteur » (mod. idem), « véhicule » (mod. idem), 26(1)c.1) (mod. idem, art. 15), 27(2)e) (mod. idem, art. 16), 83(1) (mod. idem, art. 73), 86 (mod. idem, art. 75), 91.1 (édicté idem, art. 80), 92 (mod. idem, art. 81).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 53(1) (mod. par DORS/93-44, art. 23), 54(1) (mod., idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Rosenbloom v. Lavut (1916), 33 D.L.R. 470 (C.R. Qué.); Sault Ste. Marie, City of v. Algoma Steel Corporation Limited, [1961] R.C.S. 739.

DEMANDE de contrôle judiciaire de décisions d’agents d’immigration exigeant le dépôt d’un cautionnement et le paiement de frais administratifs par les propriétaires et exploitants de navires de pêche cubains qu’ont désertés au Canada plusieurs membres du personnel qui ont demandé le statut de réfugié au sens de la Convention. Demandes rejetées.

AVOCATS :

Roderick H. Rogers pour les requérantes.

Gregory A. MacIntosh pour l’intimé.

PROCUREURS :

Stewart McKelvey Stirling Scales, Halifax, pour les requérantes.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs des ordonnances rendus par

Le juge MacKay : Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire, dont l’audition a été jointe par ordonnance, étant donné qu’elles portent sur des questions identiques découlant de faits similaires. Elles se rapportent à des décisions affectant les requérantes prises par des agents d’immigration placés sous l’autorité du ministre intimé.

Les requérantes sont la Flota Cubana De Pesca, un organisme cubain responsable des activités de la flotte de pêche cubaine affectée par les décisions en question, Pickford & Black, les mandataires canadiens de l’organisme cubain et des compagnies, et six compagnies cubaines distinctes, propriétaires et exploitantes de navires de pêche ou de navires ayant un lien avec la flotte de pêche cubaine exerçant ses activités dans l’Atlantique, au large des côtes canadiennes. Ces navires faisaient la pêche au large des côtes de la Nouvelle-Écosse en vertu d’une entente internationale entre le Canada et Cuba. Aux termes de cette entente, les navires cubains devaient obtenir un permis pour pêcher dans les eaux canadiennes et ils devaient avoir à bord des inspecteurs de pêche pendant leurs activités, et ces obligations nécessitaient qu’ils relâchent dans un port de la côte est pour obtenir les permis ou pour prendre à leur bord ou laisser descendre à terre les inspecteurs de pêche. Certains navires transportaient le poisson de la flotte cubaine à une entreprise canadienne partenaire ayant ses activités à Shelburne (Nouvelle-Écosse), et l’un des navires avait relâché afin de débarquer le corps d’un membre du personnel décédé. Alors que les navires se trouvaient dans les ports de la Nouvelle-Écosse ou du Nouveau-Brunswick, quelque 20 membres du personnel de plusieurs navires ont déserté et demandé le statut de réfugié.

Par la suite, les autorités de l’immigration ont donné avis de l’obligation de déposer un cautionnement de 7 000 $ pour chaque membre du personnel concerné et ils ont ultérieurement demandé le paiement de frais administratifs de 5 000 $ à l’égard de chacun des six membres du personnel désignés nommément. Ces derniers frais étaient apparemment un montant réclamé sur le cautionnement de 7 000 $ exigé et payé sous réserve par le mandataire canadien Pickford & Black.

Les deux demandes de contrôle judiciaire ont été engagées à l’égard de décisions distinctes, la première se rapportant aux décisions exigeant le paiement du cautionnement, et la seconde se rapportant à l’imputation de frais administratifs. Les requérantes soutiennent que les frais et les paiements ne peuvent être exigés d’elles en vertu de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] et de son Règlement [Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172], dont les dispositions prévoient ces paiements ou ces frais à l’égard d’un « transporteur ». On affirme qu’aucune des requérantes n’est un transporteur au sens de la Loi sur l’immigration.

Au moment d’entendre l’affaire, les avocats ont annoncé que les parties avaient convenu que les demandes étaient retirées quant aux paiements à l’égard de cinq membres du personnel désignés nommément qui avaient déserté leur navire, étant donné, selon l’admission des requérantes, que les navires sur lesquels ils avaient été en service et qu’ils avaient désertés avaient effectué le transport du poisson ou d’autres marchandises. Pour les autres membres du personnel qui avaient déserté, environ 15 en tout, les questions concernant le paiement du cautionnement et la validité des frais administratifs imputés étaient toujours en litige.

Le régime juridique

En vertu de la Loi sur l’immigration et de son Règlement, un membre du personnel d’un navire peut être exempté de la procédure d’immigration habituelle à la condition que le responsable du navire fournisse la liste exacte et complète des membres du personnel conformément au paragraphe 53(1) [mod. par DORS/93-44, art. 23] du Règlement. Un fois cette liste remise à l’agent d’immigration, qui l’endosse, toutes les personnes mentionnées dans la liste sont réputées être des visiteurs au sens du paragraphe 2(1) de la Loi, et elles peuvent entrer au Canada sans qu’il leur soit nécessaire de fournir d’autres documents. Avant le départ du navire du point d’entrée, le responsable du navire doit fournir la liste des membres du personnel endossée par l’agent d’immigration au point d’entrée et sur laquelle figure toutes les modifications apportées à la liste pendant que le navire se trouvait au Canada. Si un membre du personnel déserte ou omet de rejoindre le navire, le responsable du navire doit informer un agent d’immigration conformément au paragraphe 54(1) [mod., idem] du Règlement et il doit lui remettre un rapport écrit détaillé. Aux termes de l’alinéa 26(1)c.1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 15], un membre du personnel d’un véhicule qui entre au Canada perd la qualité de visiteur lorsqu’il cesse d’être un membre du personnel, et il doit faire l’objet d’un rapport conformément à l’alinéa 27(2)e) [mod., idem, art. 16] de la Loi à titre de personne entrée au Canada en qualité de visiteur et y demeurant après avoir perdu cette qualité.

Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce [art. 86 (mod., idem, art. 75), 91.1(1) (édicté, idem, art. 80), 92(1) (mod., idem, art. 81)] :

86. Dans le cas où une personne entre au Canada à titre de membre du personnel d’un véhicule ou pour le devenir et perd la qualité de visiteur aux termes du paragraphe 26(1), le transporteur qui exploite le véhicule peut être tenu responsable par le ministre du transport de la personne à destination du pays d’où elle est arrivée, ou du pays agréé par le ministre à la demande du transporteur, ainsi que des frais de renvoi de la personne.

91.1 (1) Le ministre peut imputer provisoirement au transporteur des frais administratifs, selon le tarif réglementaire, pour toute personne faisant partie d’une catégorie précisée par règlement pour l’application du présent article, dans les cas suivants :

b) la personne est entrée au Canada à titre de membre du personnel d’un véhicule exploité par le transporteur ou pour le devenir et fait l’objet du rapport visé à l’alinéa 27(2)e) à titre de membre du personnel qui a perdu la qualité de visiteur aux termes de l’alinéa 26(1)c.1).

92. (1) Le sous-ministre peut ordonner aux transporteurs de déposer auprès de Sa Majesté du chef du Canada une somme d’argent, en monnaie canadienne, ou tout autre cautionnement réglementaire qu’il estime nécessaire pour garantir le paiement des frais qui pourraient être mis à leur charge aux termes de la présente loi après qu’il en a été ainsi ordonné.

De plus, les définitions suivantes du paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 1] sont pertinentes :

2. (1) …

« master » [Version anglaise seulement]*

« membre du personnel » Sauf disposition contraire des règlements, toute personne employée à bord d’un véhicule en déplacement pour occuper un poste lié à son fonctionnement ou au service des passagers, y compris le responsable du véhicule.

« propriétaire d’un véhicule » Sont assimilés au propriétaire le mandataire de celui-ci et toute personne ayant un droit sur le véhicule.

« transporteur » Personne ou groupement, y compris leurs mandataires, qui assurent un service de transport de voyageurs ou de marchandises par véhicule ou tout autre moyen. S’entend en outre, pour l’application des paragraphes 89(2) à (7), des articles 92 et 93 et de l’alinéa 114(1)cc), de l’exploitant d’un pont ou d’un tunnel ou d’une administration aéroportuaire désignée aux termes de la Loi relative aux cessions d’aéroports. La présente définition s’applique aux gouvernements fédéral et provinciaux ainsi qu’aux municipalités, dans la mesure où ils exploitent ou fournissent un tel service.

« véhicule » Moyen de transport maritime, fluvial, terrestre ou aérien.

Positions des parties

Les requérantes soutiennent qu’aucune des compagnies en l’espèce n’est un « transporteur » au sens de la Loi sur l’immigration, à part celles exploitant des navires qui, comme cela a été admis, après réflexion, à l’audience, ont été utilisés pour le transport de marchandises.

Les parties ont convenu que les navires en question étaient des « véhicules » tels que définis par la Loi. Les requérantes soutiennent cependant qu’elles sont des compagnies de pêche exploitant des navires pour la pêche ou des activités liées à la pêche, et qu’elles ne sont pas des transporteurs au sens de la Loi. Elles n’ont pas comme raison d’être le transport de personnes ou de marchandises. Le simple fait que certains de leurs navires sont entrés dans des ports canadiens avec à bord les membres de leur personnel ne fait pas d’elles des transporteurs.

Les requérantes se réfèrent aux dictionnaires juridiques et renvoient aux définitions de [traduction] « transport », soit [traduction] « le déplacement de marchandises ou de personnes d’un endroit à un autre par un transporteur ». Le terme [traduction] « transporteur » est ensuite défini dans ces dictionnaires comme étant [traduction] « une personne ou une compagnie qui fait le transport de passagers et de marchandises à titre onéreux ». On avance que le terme « transporteur » dans la Loi sur l’immigration s’applique seulement aux personnes ou aux compagnies faisant le transport de passagers ou de marchandises à titre onéreux. Les requérantes renvoient à la décision Rosenbloom v. Lavut (1916), 33 D.L.R. 470 (C.R. Qué.), où la Cour a dû déterminer quel sens donner au terme [traduction] « entreprise de transport » dans le contexte de la législation sur les accidents du travail, où ce terme n’était pas défini. Dans cette affaire, le juge Bruneau a conclu que seul le transport exécuté par des entrepreneurs ou des transporteurs publics pouvait constituer une entreprise de transport, et que les entreprises qui avaient une autre raison d’être n’entraient pas dans cette catégorie. Dans l’arrêt Sault Ste. Marie, City of v. Algoma Steel Corporation Limited, [1961] R.C.S. 739, la Cour suprême du Canada a examiné les mots [traduction] « système de transport » dans le contexte d’une loi fiscale qui n’en donnait pas de définition. Après avoir fait l’historique législatif de la loi, la Cour a conclu que l’expression avait un sens restreint, c’est-à-dire qu’elle renvoyait à un système qui offrait un service public, et non à un service de transport de marchandise tel que celui faisant partie de l’entreprise de fabrication qui était au centre des activités du contribuable. Enfin, on allègue qu’il y a ambiguïté dans les termes qui sont en l’espèce utilisés, que les frais imputés sont analogues à un impôt et que, dans les circonstances, ces frais ne devraient pas être imposés aux requérantes.

Les requérantes, se fondant sur leur allégation selon laquelle, à titre d’exploitants de navires qui ne sont pas utilisés pour le transport de personnes ou de marchandises à titre onéreux, ou qui ne sont pas principalement utilisés pour le transport de marchandises ou de personnes, demandent que les frais dans chaque cas soient imputés par catégorie, selon la nature de l’activité pour laquelle chaque membre du personnel a été engagé. Par conséquent, comme on l’a fait remarquer, pour cinq membres du personnel dont les navires étaient utilisés pour le transport de marchandises, les requérantes se sont désistées de leurs demandes et ont admis que les frais en question sont applicables relativement à ces personnes. Pour sept autres membres du personnel dont les navires faisaient seulement la pêche et ne sont entrés dans les ports de la Nouvelle-Écosse qu’en ce qui concerne les permis et les observateurs et pour débarquer le corps d’un membre du personnel décédé, on fait valoir qu’ils se sont adonnés à la pêche ou à des activités accessoires qui n’ont pas fait des requérantes des « transporteurs » aux termes de la Loi.

Une troisième catégorie était formée de membres du personnel dont les navires étaient utilisés pour transférer une partie du poisson pêché par la flotte à l’usine du partenaire canadien situé à Shelburne (Nouvelle-Écosse), une fonction qui, selon les requérantes, ne faisait pas pour autant d’elles un transporteur, étant donné que ce travail était partie intégrante de leurs activités de pêche en vertu de l’entente conclue avec le Canada.

L’intimé fait valoir que le sens de « transporteur » dans la Loi est clair. Il ne nécessite pas que des personnes ou des marchandises soient transportées à titre onéreux, ou, même, que la raison d’être de l’utilisation d’un véhicule ou un navire soit le transport de personnes ou de marchandises. Il suffit, comme en l’espèce, que des personnes, en l’occurrence les membres du personnel, soient transportées par un navire qui s’arrête au Canada. La Loi sur l’immigration a pour but de contrôler l’entrée au Canada des non-citoyens et d’assurer un cadre d’application aux contrôles établis. L’intimé avance que la compétence des autorités de l’immigration quant à une personne transportée au Canada à bord d’un navire, que cette personne soit un membre du personnel ou un passager, ne peut dépendre des motifs ou des buts qui sous-tendent les activités du navire. Quels que soient ces motifs ou ces buts, la seule question pertinente en ce qui concerne la définition de transporteur est celle de savoir si la personne ou le groupement « assure un service de transport de voyageurs ou de marchandises [au Canada] ». En l’espèce, on fait remarquer qu’il a fallu un bon nombre de mois avant que les requérantes déterminent que certains des navires en question étaient utilisés pour le transport de marchandises, et non uniquement pour la pêche et les activités s’y rapportant. Cette sorte de décision ne pourrait pas facilement être prise par les autorités de l’immigration, qui n’ont pas l’information pertinente quant à la multitude des fins que les exploitants des divers véhicules ou navires peuvent avoir lorsqu’ils transportent des personnes au Canada. Qui plus est, la Loi sur l’immigration comporte des dispositions précises quant aux membres du personnel des navires, en ce qui concerne les documents qui doivent être préparés à leur sujet et leur acceptation à titre de visiteurs, mais, en retour, elle oblige le responsable du navire à faire connaître avant le départ les changements qui sont survenus dans le personnel du navire, et, les compagnies exploitantes sont tenues d’assumer les frais engagés dans le cas où un membre du personnel déserte, abandonnant le personnel du navire et perdant ainsi la qualité de visiteur dont il était titulaire en vertu de la Loi.

Conclusion

À mon avis, les requérantes sont comprises dans la définition de « transporteur » donnée dans la Loi sur l’immigration. Bien qu’un bon nombre de leurs navires soient utilisés principalement pour la pêche, ou un travail qui y est lié, les requérantes transportent effectivement les membres de leur personnel à bord de leurs navires. Elles doivent, comme tout exploitant de navire ou de véhicule transportant des personnes au Canada, se plier à certaines formalités relativement à leurs membres du personnel et aux règles de l’immigration. La Loi et le Règlement prévoient explicitement les dispositions qui doivent être prises relativement aux membres du personnel à leur arrivée au Canada et à leur départ du pays, et l’obligation des compagnies exploitant des navires d’assumer les frais qui pourraient éventuellement être engagés pour le renvoi de personnes transportées au Canada, comme membres du personnel ou à un autre titre, si elles n’ont pas le droit de rester au Canada en vertu de la Loi. Par conséquent, la portée de la Loi est suffisamment large pour comprendre les exploitants de véhicules ou de navires qui arrivent au Canada avec des passagers clandestins qui cherchent à quitter le navire les transportant dès leur arrivée dans un port canadien. La raison d’être de l’exploitation d’un navire n’a certainement pas grand-chose à voir avec les obligations des exploitants et des responsables d’éviter de causer des problèmes d’immigration au Canada lorsque leurs navires visitent le pays.

La définition ne précise pas que le navire doive être principalement utilisé pour le transport de marchandises ou de personnes, ou qu’il doive être utilisé pour le transport à titre onéreux. Il n’y a rien dans la Loi qui donne à entendre que la définition de transporteur plus restrictive proposée par les requérantes soit celle qui devrait être adoptée. En fait, une partie de la définition de transporteur qui doit être utilisée pour l’application de certains articles de la Loi, dont l’article 92, qui est le fondement de l’exigence de cautionnement, comprend l’exploitant d’un pont, d’un tunnel ou d’une administration aéroportuaire. À mon avis, le Parlement n’a pas eu l’intention de donner un sens restrictif à la définition, comme le prétendent les requérantes. Au contraire, les fins générales de la Loi, les dispositions précises qui doivent être prises quant aux membres du personnel de navires étrangers, les obligations des exploitants de navires de même que les aspects pratiques de l’application de la Loi donnent tous à entendre qu’il faut attribuer un sens large à la définition de « transporteur », comme le prétend l’intimé. La grande étendue des obligations imposées aux transporteurs dans la partie V de la Loi, qui comprend maintenant plus d’une douzaine d’articles, dont l’article 86, qui tient responsable le transporteur pour le renvoi des membres du personnel de leurs véhicules ou navires appuie aussi cette interprétation. Il n’y a pas de motifs s’accordant aux fins de la Loi qui permette de restreindre l’application de cet article aux exploitants de navires qui transportent des personnes ou des marchandises à titre onéreux.

Pour ces motifs, je conclus que les organismes cubains requérants sont des transporteurs aux termes de la Loi, et qu’il en est de même pour Pickford & Black, le mandataire de ces compagnies. Ils ont transporté des personnes par navire au Canada; la demande de déposer un cautionnement en vertu de la Loi et l’imputation des frais administratifs sont valides conformément aux articles 91.1 et 92 de la Loi.

Les demandes de contrôle judiciaire présentées par les requérantes sont par conséquent rejetées en vertu des ordonnances qui seront respectivement décernées à leur égard et auxquelles seront annexés les présents motifs.

À la suite de l’audition de l’espèce, j’ai demandé aux avocats s’ils désiraient faire certifier, en vertu du paragraphe 83(1) [mod., idem, art. 73] de la Loi, une question qui pourrait être soumise à la Cour d’appel. L’avocat de l’intimé a demandé que la question suivante soit certifiée.

Lorsque le propriétaire ou l’exploitant d’un véhicule utilisé pour la pêche transporte des personnes ou des marchandises au Canada à bord de ce véhicule, le propriétaire, l’exploitant ou leur mandataire entrent-ils dans la définition de « transporteur » donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration »?

À mon avis, la question est importante si elle est posée en des termes plus généraux, soit : « Lorsque le propriétaire ou l’exploitant d’un véhicule qui n’est pas principalement utilisé aux fins du transport de personnes ou de marchandises, comme un navire utilisé pour la pêche, transporte des personnes ou des marchandises au Canada ». En ces termes, j’accepte de certifier la question, comme en font foi les ordonnances décernées qu’accompagnent les présents motifs.



* Note marginale de la Loi. Cependant, dans la définition de « membre du personnel », « master » est rendu par « responsable du véhicule »; la version française du paragraphe 54(1) du Règlement rend « master » par « responsable d’un véhicule ». [N.d.T.]

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