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[1995] 3 C.F. 669

T-3024-93

Mansour Ahani (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : Ahani c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge McGillis—Toronto, 22 août; Ottawa, 12 septembre 1995.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes non admissibles — Constitutionnalité de l’art. 40.1 de la Loi sur l’immigration, qui autorise le solliciteur général et le ministre de l’Emploi et de l’Immigration à signer une attestation certifiant, comme en l’espèce, qu’à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité, une personne n’est pas admissible pour cause de terrorisme et leur permettant de détenir l’intéressé en attendant qu’une décision soit prise à son sujet — L’art. 40.1 de la Loi sur l’immigration ne viole pas les art. 7, 9 et 10c) de la Charte — L’art. 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne rend pas l’art. 40.1 inopérant.

Droit constitutionnel — Charte des droits — L’art. 40.1 de la Loi sur l’immigration, qui autorise le solliciteur général et le ministre de l’Emploi et de l’Immigration à signer une attestation certifiant, comme en l’espèce, qu’à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité, une personne n’est pas admissible pour cause de terrorisme et leur permettant de détenir l’intéressé en attendant qu’une décision soit prise à son sujet ne viole pas les art. 7, 9 ou 10c) de la Charte.

Le demandeur, un Iranien, est entré au Canada en octobre 1991 et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social déterminé. Il affirmait que son retour en Iran mettrait sa vie en danger en raison du fait qu’il était au courant d’activités clandestines en Iran et des personnes qui s’y livraient. Il avait été mis au courant de ces faits après avoir été recruté de force par le service des assassins étrangers du ministère des Affaires étrangères d’Iran. En avril 1992, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a reconnu le statut de réfugié au demandeur. En juin 1993, le solliciteur général et le ministre de l’Emploi et de l’Immigration ont signé en vertu de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration une attestation certifiant qu’ils étaient d’avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité dont ils avaient eu connaissance, que le demandeur appartenait à l’une des catégories de personnes non admissibles visées par les dispositions relatives à l’antiterrorisme contenues à l’article 19 de la Loi sur l’immigration. Le 17 juin, le demandeur a reçu signification d’un double de l’attestation et il est détenu depuis cette date.

Le 22 juin, conformément à l’alinéa 40.1(4)a), le juge Denault a examiné à huis clos les renseignements secrets en matière de sécurité et a recueilli en l’absence du demandeur d’autres éléments de preuve présentés au nom du solliciteur général et du ministre. La juge de la Cour fédérale a communiqué au demandeur un résumé des informations et a ordonné qu’on donne au demandeur la possibilité d’être entendu au sujet de la décision de savoir si l’attestation était raisonnable compte tenu des éléments de preuve et d’information à la disposition du juge. Le demandeur n’a pas encore exercé son droit à la tenue d’une audience.

L’action vise à déterminer si l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration porte atteinte aux droits garantis par les articles 7 et 9 et l’alinéa 10c) de la Charte ou s’il nie les droits en question ou s’il est inopérant en raison de l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.

Jugement : l’action doit être rejetée.

L’instance prévue à l’article 40.1

La constitutionnalité du paragraphe 40.1(5.1) de la Loi sur l’immigration n’est pas en litige en l’espèce.

La remise de l’attestation ministérielle prévue à l’article 40.1 met notamment en branle la détention obligatoire de la personne nommée dans l’attestation et la transmission de l’attestation à la Cour fédérale pour qu’elle détermine si elle est raisonnable. Dans les sept jours de la transmission, le juge en chef ou le juge qu’il délègue doit examiner, à huis clos, les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont le ministre et le solliciteur général ont eu connaissance. Ils peuvent demander au juge délégué de recueillir d’autres éléments de preuve ou d’information en l’absence de l’intéressé et du conseiller le représentant s’ils établissent que la communication de ces éléments « porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes ». Le juge délégué a l’obligation stricte de communiquer les renseignements en question à l’intéressé pour lui permettre de contester le caractère raisonnable de l’attestation. Il doit fournir à l’intéressé un résumé des informations dont il dispose (il n’a le pouvoir discrétionnaire de refuser leur communication que s’il est d’avis que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes). L’intéressé doit également avoir la possibilité d’être entendu. L’attestation qui n’est pas annulée au terme de l’examen du juge délégué « établit de façon concluante » que l’intéressé appartient à une catégorie de personnes non admissibles. L’intéressé doit être retenu jusqu’à son renvoi du Canada. L’article 53 de la Loi sur l’immigration oblige le ministre à décider si le demandeur constitue un danger pour la sécurité du Canada avant de prendre une mesure le renvoyant dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées. Cette décision est susceptible de contrôle judiciaire. En outre, la mesure d’expulsion prise contre l’intéressé peut être portée en appel devant la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et la décision de celle-ci peut faire également l’objet d’un contrôle judiciaire.

L’article 7 de la Charte

Si l’on suppose que l’instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration qui se déroule devant le juge délégué est assujettie aux principes de justice fondamentale, le législateur fédéral a respecté les principes en question dans la procédure qu’il a prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration. En édictant l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, le législateur fédéral a élaboré une procédure par laquelle il a tenté de trouver le juste milieu entre les intérêts divergents des particuliers et ceux de l’État. Le législateur a confié la charge d’examiner le caractère raisonnable de l’attestation ministérielle à un membre indépendant de la magistrature à qui il a accordé le pouvoir d’examiner les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité, de recueillir des éléments de preuve, de permettre la divulgation d’éléments à l’intéressé dans le but de permettre celui-ci d’être suffisamment informé, et de lui donner la possibilité d’être entendu.

Opinion incidente : En ce qui concerne la détention, la portée des principes de justice fondamentale qui s’appliquent dans le cadre de l’instance prévue à l’article 40.1 doit être analysée en tenant compte des principes et des politiques d’immigration et non en fonction des normes du droit criminel. Lorsqu’on examine l’exigence de la détention contenue à l’article 40.1 dans le contexte de l’immigration, il est évident que les principes de justice fondamentale n’obligent pas le législateur fédéral à créer une procédure qui prévoie la mise en liberté de l’intéressé avant qu’une décision ne soit rendue à son sujet. Compte tenu des intérêts primordiaux de l’État en ce qui concerne les mesures à prendre face aux personnes accusées de terrorisme, le défaut du législateur fédéral de prévoir un mécanisme de mise en liberté de l’intéressé avant qu’une décision ne soit prise à son sujet ne viole pas les principes de justice fondamentale. De plus, il n’y a rien dans la procédure prescrite par l’article 40.1 qui suscite une crainte raisonnable de parti pris de la part du juge délégué. Par ailleurs, la procédure de divulgation prévue à l’article 40.1 ne viole pas les principes de justice fondamentale. En ce qui concerne le droit de l’intéressé de répondre de façon satisfaisante aux actes que l’État lui reproche, le résumé des éléments de preuve et d’information, ajouté aux autres éléments divulgués soit par l’État, soit par le juge délégué, satisfait aux exigences de la justice fondamentale. La norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui est appliquée en matière criminelle ne s’applique pas dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article 40.1; elle n’est pas exigée par les principes de justice naturelle. Le fait que la décision rendue par le juge délégué ne puisse être portée en appel ni être revue par un autre tribunal ne viole pas l’article 7 ou l’alinéa 10c) de la Charte. Le mécanisme de révision prévu à l’article 40.1 satisfait aux exigences des principes de justice fondamentale et n’exige pas que l’on accorde un autre droit d’appel à l’intéressé. En interdisant expressément tout autre appel ou toute autre révision, le législateur fédéral a renforcé l’idée que l’instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration est rapide de par sa nature même. Finalement, l’omission du législateur fédéral de prévoir d’autres droits d’appel ou de révision n’a aucune incidence sur les droits que possède le demandeur en vertu de l’alinéa 10c) de la Charte.

L’article 9 de la Charte

La détention, en vertu de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, de la personne nommée dans l’attestation avant qu’une décision ne soit prise à son sujet ne constitue pas une détention arbitraire, étant donné qu’elle est expressément autorisée par la loi et qu’elle n’a lieu qu’après que deux ministres ont respectivement décidé qu’une personne qui n’est ni citoyen canadien ni résident permanent a des antécédents ou des penchants terroristes. Il n’y a donc pas violation de l’article 9 de la Charte.

L’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits

L’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne rend pas inopérant l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 9, 10c).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Loi modifiant la Loi sur l’immigration de 1976 et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, L.C. 1988, ch. 36 (maintenant L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 3g), i), j), 4(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 2), (2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 3), (2.1) (édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 2), 5(1),(2), 14(1)c)(mod., idem, art. 8), 19(1)e) (mod., idem, art. 11), f) (mod., idem), g), 38.1 (édicté, idem, art. 28), 39 (mod., idem, art. 29), 40 (mod., idem, art. 30), 40.1(1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31), (2) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31), (3) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4), (4) (édicté, idem), (5) (édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 31), (5.1) (édicté, idem), (6) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4), (7) (édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 31), (7.1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31), (8) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4), (9) (édicté, idem), (10) (édicté, idem), 11 (édicté, idem), 40.2 (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 32), 46.04(1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 38), (3) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 38), 53(1) (mod., idem, art. 43), 70(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), (3) (mod., idem), (4) (mod., idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 65), 117 (mod., idem, art. 104).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 19(4)j) (mod. par DORS/84-849, art. 1; 89-38, art. 7), 20 (mod. par DORS/79-240, art. 4; 79-392, art. 1; 81-612, art. 1; 83-339, art. 5; 89-168, art. 2; 93-609, art. 2; 94-242, art. 5; 94-681, art. 8).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 333.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; (1993), 107 D.L.R. (4th) 342; 158 N.R. 1; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53; (1993), 102 D.L.R. (4th) 456; 153 N.R. 1.

DISTINCTION FAITE AVEC :

R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; (1991), 120 A.R. 161; [1992] 1 W.W.R. 97; 83 Alta. L.R. (2d) 93; 68 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 277; 130 N.R. 277; 8 W.A.C. 161.

ACTION contestant la constitutionalité de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration au motif qu’il viole les articles 7 et 9 et l’alinéa 10c) de la Charte, ainsi que l’alinéa 2e) le la Déclaration canadienne des droits. Action rejetée.

AVOCATS :

Paul K. Burnstein et Larry C. Konrad pour le demandeur.

James W. Leising et Donald A. MacIntosh pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Burnstein & Paine, Toronto et Larry C. Konrad, Brampton (Ontario), pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McGillis :

INTRODUCTION

Le demandeur est un réfugié au sens de la Convention. Il conteste la constitutionnalité de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31]. Sous le régime de cet article, le juge en chef de cette Cour ou tout juge de celle-ci qu’il délègue est tenu d’examiner l’attestation par laquelle le solliciteur général du Canada et le ministre de l’Emploi et de l’Immigration certifient qu’une personne, qui n’est ni citoyen canadien ni résident permanent, appartient à une catégorie de personnes non admissibles pour des raisons déterminées, dont le terrorisme. Le demandeur conteste cette disposition législative au motif qu’elle viole les articles 7 et 9 et l’alinéa 10c) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III].

LES FAITS

L’instruction de la présente action a eu lieu sur le fondement d’un exposé conjoint des faits qui a été complété par trois affidavits et par le contre- interrogatoire de l’auteur de l’un de ces affidavits. Voici les faits, tels que je les ai constatés.

Le 14 octobre 1991, le demandeur est entré au Canada et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention sur le fondement de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social déterminé. Au soutien de sa revendication du statut de réfugié, le demandeur a d’abord affirmé qu’il avait été battu en Iran par des membres du Comité révolutionnaire islamique pour s’être trouvé en état d’ébriété. Le 31 décembre 1991, le demandeur a affirmé que son retour en Iran mettrait sa vie en danger en raison du fait qu’il était au courant d’activités clandestines en Iran et qu’il connaissait des personnes qui s’y livraient. Il a ajouté qu’il avait été mis au courant de ces faits après avoir été recruté de force par le service des assassins étrangers du ministère des Affaires étrangères d’Iran. Le 31 décembre 1991, il a été déterminé que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur avait un minimum de fondement. Le 1er avril 1992, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a reconnu au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.

Les 9 et 15 juin 1993, le solliciteur général du Canada (le solliciteur général) et le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (le ministre) ont respectivement certifié en vertu du paragraphe 40.1(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31] de la Loi sur l’immigration qu’ils étaient d’avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité dont ils avaient eu connaissance, que le demandeur appartenait à l’une des catégories de personnes non admissibles visées par les dispositions relatives à l’antiterrorisme contenues au sous-alinéa 19(1)e)(iii) [mod., idem, art. 11], à la disposition 19(1)e)(iv)(C) [mod., idem], au sous-alinéa 19(1)f)(ii) [mod., idem], à la disposition 19(1)f)(iii)(B) [mod., idem] et à l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration. Le 17 juin 1993, l’attestation du solliciteur général et du ministre a été remise à un agent d’immigration et a été transmise à cette Cour. Le même jour, le demandeur a reçu signification d’un double de l’attestation et a été incarcéré. Le demandeur est détenu depuis cette date.

Le 22 juin 1993, conformément à l’alinéa 40.1(4)a) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4] de la Loi, le juge Denault a examiné à huis clos les renseignements secrets en matière de sécurité et a recueilli en l’absence du demandeur d’autres éléments de preuve présentés au nom du solliciteur général et du ministre. Conformément aux alinéas 40.1(4)b) [édicté, idem] et c) [édicté, idem] de la Loi respectivement, le juge Denault a fourni au demandeur un résumé des informations et a ordonné que l’on donne au demandeur la possibilité d’être entendu au sujet de la décision de savoir si l’attestation déposée par le solliciteur général et le ministre était raisonnable compte tenu des éléments de preuve et d’information à sa disposition.

Depuis le 25 juin 1993, la défenderesse est prête à participer à la procédure prévue par l’alinéa 40.1(4)d) [édicté, idem] de la Loi qui vise à déterminer le caractère raisonnable de l’attestation signée par le solliciteur général et le ministre. Jusqu’à maintenant, le demandeur n’a pas exercé son droit d’être entendu et aucune audience n’a eu lieu.

Le 23 novembre 1993, le juge Denault a communiqué un résumé d’informations complémentaire qu’il a fait parvenir à l’avocat du demandeur.

Les renseignements secrets en matière de sécurité dont le solliciteur général et le ministre ont eu connaissance et que le juge a examinés étaient fondés en partie sur des renseignements obtenus par le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service) au cours de huit entrevues tenues avec le demandeur et de l’interrogatoire au détecteur de mensonges que ce dernier a subi le 12 février 1993. Les renseignements secrets en matière de sécurité font état des renseignements en question. Le Service a compilé les renseignements recueillis auprès du demandeur au cours de ces huit entrevues. En février 1994, par suite de la demande qu’il avait présentée en vue d’obtenir la communication des renseignements en question, une version expurgée de ces renseignements a été mise à la disposition de l’avocat du demandeur.

Le résumé des renseignements qui a initialement été remis au demandeur par le juge Denault faisait état de l’interrogatoire au détecteur de mensonges et des trois occasions où la personne qui avait fait subir le test au détecteur de mensonges avait conclu que les réponses données par le demandeur aux questions qui lui étaient posées étaient fausses. Les renseignements du Service qui se rapportaient à la durée de l’interrogatoire au détecteur de mensonges, au nombre de questions posées, à l’attestation du bon fonctionnement de la machine et aux références de la personne qui avait fait subir le test au détecteur de mensonges ont été mis à la disposition de l’avocat du demandeur en mars 1994 par suite de la demande qu’il avait faite en vue d’obtenir ces renseignements ainsi que d’autres renseignements.

Le demandeur est âgé de 31 ans. En août 1992, il a contracté à Toronto une forme de mariage.

En réponse à l’ensemble des moyens invoqués pour contester la constitutionnalité de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, l’avocat du procureur général du Canada a présenté en preuve au procès l’affidavit de Harry Norman Southern, chef de la Section de l’antiterrorisme au Bureau régional du Service à Toronto. L’avocat du demandeur a accepté que cet affidavit soit déposé au procès et a contre-interrogé M. Southern au sujet de son témoignage. Dans son affidavit, M. Southern a déposé au sujet de la mission du Service, de la nécessité d’empêcher [traduction] « la divulgation systématique et intégrale de renseignements secrets en matière de sécurité », de la nécessité de protéger l’anonymat des sources humaines de renseignement et de la « règle des tiers » suivant laquelle les gouvernements d’États étrangers, les organisations internationales mises sur pied par des États étrangers ou leurs organismes exigent que le Service obtienne leur consentement préalable avant de divulguer des renseignements qui leur ont été communiqués sous le sceau du secret. M. Southern a également déposé au sujet du terrorisme international, des buts que poursuivent les terroristes et des méthodes qu’ils utilisent, et du terrorisme au Canada. Pour décrire le terrorisme au Canada, M. Southern a énuméré 18 actes de terrorisme, de portée nationale ou internationale, qui se sont produits au Canada depuis 1982 ou qui y ont eu leur origine. Dans sa liste d’exemples, M. Southern a énuméré une litanie d’incidents concernant notamment des actes violents de terrorisme commis contre des diplomates étrangers et des ambassades à Ottawa, l’explosion de l’avion d’Air India à l’occasion de laquelle une valise contenant une bombe avait été enregistrée à Vancouver, et l’explosion d’une bombe à l’aéroport Narita, de Tokyo, pour laquelle la valise qui contenait les explosifs provenait également de Vancouver. Dans son affidavit, M. Southern a affirmé que les terroristes se servent du Canada comme d’un refuge sûr, et qu’ils l’utilisent pour y planifier leurs actes et pour se procurer des armes et du matériel. Il a ajouté que les groupes de terroristes qui œuvrent au Canada [traduction] « se livrent de façon permanente à un grand nombre d’activités visant à appuyer le terrorisme ». Par exemple, ces groupes obtiennent et fournissent un appui logistique pour des activités terroristes exercées à l’extérieur du Canada, créent et maintiennent les structures de soutien nécessaires pour commettre des actes terroristes au Canada, recueillent des fonds, diffusent de la propagande et se livrent à de la désinformation, surveillent et manipulent les immigrants, aident d’autres terroristes à entrer aux États-Unis d’Amérique et à en sortir, font entrer clandestinement des personnes au Canada et se livrent à d’autres activités illégales. M. Southern a en outre déposé que [traduction] « même s’il est vrai que les conflits internes ne sont transportés au Canada que par une infime proportion des immigrants et des réfugiés, l’immense majorité des groupes et des personnes qui se trouvent au Canada et dont les agissements sont portés à l’attention du programme d’antiterrorisme du Service sont engagés dans des conflits régionaux dans leur pays d’origine ». M. Southern a confirmé que le Service donnait priorité absolue à la sécurité publique au Canada. En ce qui a trait à l’obligation de retenir le terroriste présumé en attendant qu’une décision soit rendue en vertu de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration au sujet du caractère raisonnable de l’attestation ministérielle, M. Southern a déclaré que l’intérêt de la sécurité publique exige une telle détention. À cet égard, il a précisé que les individus qui se livrent au terrorisme sont très dangereux, qu’ils font souvent preuve de fanatisme dans leurs convictions, qu’ils ont peu d’égards pour la vie humaine, y compris la leur, et qu’ils ne sont que de passage. Il a en outre affirmé qu’on s’attend à ce que, dans le cadre de ses obligations envers la communauté internationale, le Canada recoure de façon énergique à tous les moyens légaux qui s’offrent à lui pour identifier les terroristes et pour prendre des mesures à leur sujet, et pour empêcher que son territoire serve de refuge sûr ou de base d’opérations pour les activités des terroristes. Le contre-interrogatoire auquel l’avocat du demandeur a soumis M. Southern n’a pas sapé ou affaibli les faits au sujet desquels M. Southern a déposé dans son affidavit.

Le demandeur a présenté en preuve les affidavits souscrits par MM. Reginald Whitaker et Garry Carter pour qu’ils soient utilisés dans le cadre de l’analyse qui serait faite sous le régime de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) si le tribunal concluait que l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration—ou l’une quelconque de ses dispositions—viole l’article 7 de la Charte. Il a également déposé en preuve la lettre écrite le 21 décembre 1994 par le coordonnateur de la sécurité et des procédures désignées de cette Cour au sujet de certains des aspects procéduraux de la présente affaire. L’avocat du procureur général du Canada a accepté que cette preuve soit versée au dossier, n’a pas contre-interrogé les auteurs des affidavits et a adopté le point de vue selon lequel on ne devait accorder que très peu de valeur—sinon aucune—à leurs témoignages pour diverses raisons. M. Reginald Whitaker, professeur en sciences politiques à l’université York de North York (Ontario), affirme notamment dans son affidavit que les renseignements que le Service possède au sujet du Moyen-Orient, et notamment au sujet de l’Iran, ne sont pas fiables en raison de certains facteurs. Il a par ailleurs déposé au sujet des dangers inhérents que comporte l’utilisation dans le cadre de l’instance des « résumés » prévus à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration. M. Garry Carter, enquêteur privé qui a été l’un des enquêteurs criminels les plus expérimentés et les plus estimés de la police de la communauté urbaine de Toronto pendant de nombreuses années, s’est surtout concentré dans son affidavit sur les procédures d’expurgation et de divulgation utilisées par les tribunaux pour accorder la permission d’intercepter des communications privées en vertu des dispositions du Code criminel du Canada [Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46]. Compte tenu des conclusions auxquelles j’en viens en l’espèce, il est inutile que j’expose plus en détail la preuve soumise par le demandeur.

QUESTION EN LITIGE

La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration porte atteinte aux droits garantis par les articles 7 et 9 et l’alinéa 10c) de la Charte canadienne des droits et libertés ou s’il nie les droits en question ou s’il est inopérant en raison de l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Les dispositions législatives citées dans le présent jugement sont, pour faciliter la consultation, reproduites à l’annexe « A ».

ANALYSE

i)          l’instance prévue à l’article 40.1

Avant d’entreprendre toute analyse du régime législatif applicable en l’espèce, il convient de poser comme principe que le droit d’entrer au Canada est accordé aux citoyens canadiens et, d’une façon limitée, aux résidents permanents[1]. Par ailleurs, la loi reconnaît aux citoyens canadiens le droit de demeurer au Canada, tandis qu’elle n’accorde aux résidents permanents et aux réfugiés au sens de la Convention qu’un droit limité de le faire[2]. Ainsi, le réfugié au sens de la Convention dont il serait décidé qu’il tombe sous le coup des dispositions relatives à l’antiterrorisme qui se trouvent aux alinéas 19(1)e) et f) de la Loi sur l’immigration perdrait son droit de demeurer au Canada.

Dans les modifications qu’il a apportées en 1988 aux dispositions de la partie III de la Loi sur l’immigration portant sur l’exclusion et le renvoi[3], le législateur fédéral a édicté deux régimes législatifs complètement distincts et séparés sous la rubrique « Sûreté et sécurité publiques », qui régit le renvoi du Canada des personnes ayant des antécédents ou des penchants criminels ou terroristes. Le premier régime se trouve aux articles 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 29] et 40 [mod., idem , art. 30] et concerne les résidents permanents, et le second est prévu aux articles 40.1 et 40.2 [édicté, idem, art. 32] et s’applique aux personnes qui ne sont ni citoyens canadiens ni résidents permanents. Dans les modifications qu’il a apportés en 1992 à la Loi sur l’immigration, le législateur fédéral a inséré l’article 38.1 [édicté, idem, art. 28], qui explique les buts législatifs des articles 39 à 40.1. Le législateur fédéral a notamment précisé que les dispositions législatives en question ont expressément pour but :

38.1

a) de permettre au gouvernement fédéral de s’acquitter de son obligation de renvoyer les personnes qui menacent la sécurité du Canada ou dont la présence au pays est contraire à ses intérêts ou met en danger la vie ou la sécurité de personnes au Canada;

b) d’assurer la protection des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité;

c) de permettre le renvoi rapide des personnes dont il a été décidé qu’elles appartiennent à une catégorie non admissible visée aux articles 39 ou 40.1.

Un examen de l’article 38.1 de la Loi sur l’immigration confirme par ailleurs qu’en édictant un régime législatif différent pour les résidents permanents d’une part, et pour les personnes qui ne sont ni citoyens canadiens ni résidents permanents d’autre part, le législateur fédéral a expressément reconnu le fait que les personnes qui font partie de cette dernière catégorie n’ont pas le droit de venir au Canada ou d’y demeurer, tandis que les résidents permanents n’ont qu’un droit limité de le faire.

En édictant l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, le législateur fédéral a créé un mécanisme qui permet l’examen rapide, par un arbitre judiciaire indépendant, du caractère raisonnable de la décision par laquelle deux ministres distincts ont délivré une attestation certifiant qu’une personne qui n’est ni citoyen canadien ni résident permanent appartient à une catégorie de personnes qui, pour diverses raisons—dont le terrorisme—, ne sont pas admissibles. Sous le régime de l’article 40.1, le ministre et le solliciteur général doivent fonder leur décision selon laquelle une personne appartient à une catégorie non admissible uniquement sur les « renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance »[4]. La remise de l’attestation ministérielle à un agent d’immigration ou à d’autres fonctionnaires déterminés met en branle diverses procédures prévues par la loi, y compris la détention obligatoire de la personne nommée dans l’attestation et la transmission de l’attestation à cette Cour pour qu’elle détermine si elle est raisonnable[5]. Le ministre est tenu, dans les trois jours suivant la remise de l’attestation, « d’envoyer un avis » à l’intéressé pour l’informer de la remise et du fait que, à la suite du renvoi à cette Cour, il pourrait faire l’objet d’une mesure d’expulsion[6]. Dans les sept jours de la transmission de l’attestation à la Cour, le juge en chef ou le juge qu’il délègue (le juge délégué) doit examiner, à huis clos, les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont le ministre et le solliciteur général ont eu connaissance « et recueill[ir] les autres éléments de preuve ou d’information présentés » en leur nom[7]. Comme le ministre et le solliciteur général sont tenus de prendre leur décision uniquement à la lumière des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité, le juge délégué sait exactement quels renseignements ils ont examinés avant de délivrer l’attestation. Les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité sont les seuls éléments de preuve que le juge délégué doit examiner à huis clos. Si d’« autres éléments de preuve ou d’information » doivent être présentés, le ministre ou le solliciteur général peut demander au juge délégué de « recueillir tout ou partie de ces éléments » en l’absence de l’intéressé et du conseiller le représentant. Le juge délégué ne peut accéder à cette demande ministérielle que s’il est d’avis que la communication des éléments de preuve ou d’information en question « porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes »[8]. Le fardeau d’établir que les « autres éléments de preuve ou d’information » ne devraient pas être communiqués pour des raisons de sécurité incombe carrément au ministre qui cherche à les présenter en l’absence de l’intéressé et du conseiller le représentant. En résumé, la communication de ces éléments de preuve ou d’information à l’intéressé ne peut être empêchée sous le régime de la loi qu’à la suite d’une demande ministérielle à cet effet et d’une décision d’un juge indépendant qui statue que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes. Il s’ensuit que, faute de décision judiciaire interdisant la communication de la totalité ou d’une partie des « autres éléments de preuve ou d’information » pour des motifs de sécurité nationale ou de sécurité de personnes, les éléments en question seront communiqués à l’intéressé. Toute cette procédure doit avoir lieu dans les sept jours suivant la transmission de l’attestation à cette Cour.

Une fois qu’il a fini d’examiner les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité et qu’il a, le cas échéant, recueilli d’autres éléments de preuve ou d’information en l’absence de l’intéressé et du conseiller le représentant, le juge délégué a l’obligation stricte de communiquer les renseignements en question à l’intéressé pour lui permettre de contester le caractère raisonnable de l’attestation délivrée par le ministre et le solliciteur général. En particulier, le juge délégué doit fournir un résumé des informations dont il dispose à l’intéressé « afin de permettre à celui-ci d’être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l’attestation »[9]. Pour préparer le résumé des informations à l’intention de l’intéressé, le juge délégué doit évaluer le droit de l’intéressé d’« être suffisamment informé des circonstances » en se demandant si « [la] communication [de certains éléments de preuve ou d’information] pourrait, à son avis, porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes »[10]. Le juge délégué n’a donc le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des renseignements à l’intéressé que s’il est d’avis que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes. Les pouvoirs de communication qui sont conférés au juge délégué sont larges et exigent qu’il exerce avec prudence son pouvoir discrétionnaire de manière à s’assurer qu’il concilie comme il se doit les intérêts divergents en présence. À titre d’exemple, du point de vue pratique, le juge délégué serait tenu de communiquer les renseignements provenant de sources humaines, si cela était nécessaire pour permettre à l’intéressé d’être « suffisamment informé », sauf lorsque la nature même du renseignement révélerait l’identité de la source et mettrait en danger sa sécurité ou compromettrait la sécurité nationale. Dans de nombreux cas, les renseignements peuvent être divulgués sans crainte que la source soit identifiée, étant donné que plusieurs personnes ont pu avoir accès aux renseignements que la source a communiqués aux autorités. En pareil cas, il sera difficile aux avocats des ministres de convaincre le juge délégué que les renseignements ne devraient pas être divulgués. Le juge délégué doit également se souvenir que la norme, selon laquelle l’intéressé doit être « suffisamment informé » et que le législateur fédéral a retenue pour les personnes qui ne sont ni résidents canadiens ni résidents permanents, est moins élevée que la norme applicable aux résidents permanents dans le cadre du régime parallèle prévu à l’article 39 de la Loi sur l’immigration . En ce qui concerne les résidents permanents, le législateur fédéral a en effet prévu au paragraphe 39(6) de la Loi sur l’immigration qu’il faut fournir au résident permanent « un résumé des informations », afin de lui permettre « d’être informé le mieux possible des circonstances qui ont donné lieu à l’établissement du rapport ».

Le juge délégué doit par ailleurs donner à l’intéressé la possibilité d’être entendu[11]. Le législateur s’est contenté de parler de « possibilité d’être entendu » sans préciser la nature de l’audience à laquelle l’intéressé a droit. La « possibilité d’être entendu » consisterait à tout le moins en la possibilité pour l’intéressé et son conseiller de comparaître devant le juge délégué, d’assigner et de faire entendre des témoins, et de formuler des observations sur certaines questions, y compris sur la communication de renseignements à l’intéressé. Toutefois, compte tenu du libellé large qui est employé dans la loi, la nature de l’audience qui doit être accordée à l’intéressé peut varier selon les circonstances de chaque espèce. En outre, il est significatif que la loi exige uniquement que le juge délégué « donne » à l’intéressé « la possibilité d’être entendu ». Dans le cas où l’intéressé ne se prévaudrait pas de la possibilité d’être entendu dans un délai raisonnable—comme c’est le cas en l’espèce—, le juge délégué devrait continuer en déterminant si l’attestation est raisonnable à la lumière des éléments de preuve et d’information dont il dispose. D’ailleurs, le fait que le législateur fédéral voulait de toute évidence que cette procédure se déroule avec rapidité oblige le juge délégué à agir de cette façon[12]. Le fait qu’en l’espèce, le demandeur tente d’invoquer la durée de sa détention—laquelle est imputable au fait qu’il ne s’est pas prévalu du droit d’être entendu que la loi lui reconnaît—pour prétendre que sa détention viole les principes de justice naturelle ou qu’elle est arbitraire n’a aucun rapport avec la question.

Pour examiner le caractère raisonnable de l’attestation, le juge délégué peut « recevoir et admettre les éléments de preuve ou d’information qu’il juge utiles … pour se déterminer » au sujet du caractère raisonnable de l’attestation, « indépendamment de leur recevabilité devant les tribunaux »[13]. Cette norme de preuve assouplie s’applique à tous les aspects de l’examen auquel procède le juge délégué et profite à toutes les parties à l’instance. Au terme de son examen, le juge délégué doit décider si l’attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d’information portés à sa connaissance. Si le juge délégué conclut que l’attestation n’est pas raisonnable, il doit l’annuler[14]. La décision rendue par le juge délégué ne peut être portée en appel ni être revue par aucun tribunal[15]. L’attestation qui n’est pas annulée au terme de l’examen du juge délégué « établit de façon concluante » le fait que la personne qui y est nommée appartient à la catégorie de personnes non admissibles qui y est visée[16]. À la suite de la décision rendue au sujet du caractère raisonnable de l’attestation, la personne nommée dans cette dernière doit être retenue jusqu’à son renvoi du Canada, à moins qu’elle n’ait pas été expulsée du Canada dans les cent vingt jours suivant la prise de la mesure de renvoi[17]. Dans ces circonstances, la loi prévoit une procédure qui permet à la personne nommée dans l’attestation de demander sa mise en liberté[18]. Rien dans la loi n’oblige l’intéressé à contester le caractère raisonnable de l’attestation. D’ailleurs, le ministre peut en tout temps ordonner la mise en liberté de l’intéressé afin de lui permettre de quitter le Canada, même si le juge délégué n’a pas encore rendu sa décision au sujet du caractère raisonnable de l’attestation[19].

L’instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration vise seulement et exclusivement à déterminer le caractère raisonnable de l’attestation ministérielle qui certifie que la personne qui y est nommée appartient à une catégorie déterminée de personnes non admissibles. Cet article de la loi ne traite pas de la question de l’expulsion. En l’espèce, les dispositions de l’article 53 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43] de la Loi sur l’immigration s’appliqueraient à l’expulsion, compte tenu du fait que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention. Si le juge délégué décidait que l’attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d’information à sa disposition, le ministre serait tenu, aux termes de l’article 53 de la Loi sur l’immigration, de décider par ailleurs si le demandeur constitue un danger pour la sécurité du Canada avant que puisse être prise une mesure le renvoyant dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées. Si le ministre décidait que le demandeur constitue effectivement un danger pour la sécurité du Canada, le demandeur aurait le droit de contester cette décision en introduisant une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. En outre, si une mesure d’expulsion était prise contre le demandeur, les paragraphes 70(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18], (3) [mod., idem] et (4) [mod., idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 65] de la Loi sur l’immigration lui permettraient d’interjeter appel de cette mesure devant la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en invoquant des moyens portant sur des questions de droit, de fait ou des questions mixtes. Le demandeur aurait également le droit de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de toute décision que la section d’appel rendrait par la suite.

Dans mon examen de la procédure prescrite, je me suis abstenue de citer le paragraphe 40.1(5.1) [édicté, idem, art. 31] de la Loi sur l’immigration, qui traite de « renseignements obtenus sous le sceau du secret auprès du gouvernement d’un État étranger, d’une organisation internationale mise sur pied par des États étrangers ou de l’un de leurs organismes ». L’avocat du procureur général du Canada affirme que la Cour ne doit pas se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 40.1(5.1) [édicté, idem , art. 31] de la Loi sur l’immigration dans le contexte de la présente affaire, étant donné qu’on n’a pas obtenu de renseignements d’un État étranger ou d’une organisation internationale en ce qui concerne le demandeur. Je suis d’accord avec lui et je m’abstiens expressément de formuler dans le présent jugement des observations au sujet de la constitutionnalité du paragraphe 40.1(5.1) de la Loi sur l’immigration.

ii)         l’article 7 de la Charte

L’article 7 de la Charte dispose :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

La méthode à utiliser pour déterminer s’il y a eu violation du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui est garanti par l’article 7 de la Charte a été exposée dans les termes suivants par le juge Sopinka dans l’arrêt Rodriguez c. Colombie- Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, à la page 584 :

L’article 7 comporte deux éléments d’analyse. Le premier se rapporte aux valeurs en jeu en ce qui concerne l’individu. Le second se rapporte aux restrictions éventuelles de ces valeurs sous l’angle de leur conformité avec les principes de justice fondamentale.

Pour aborder le premier élément de cette analyse à deux volets, il convient de préciser quels sont les droits que les dispositions de la Loi sur l’immigration confèrent au demandeur et ce, dans le but d’évaluer l’étendue de la protection que lui accorde l’article 7 de la Charte[20].

L’article 3 de la Loi sur l’immigration affirme que le droit et la politique du Canada en matière d’immigration visent, dans leur conception et leur mise à œuvre, à promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international et qu’ils reconnaissent diverses nécessités. Parmi les facteurs divergents qui sont énumérés à l’article 3 et qui sont pertinents dans le contexte de la présente affaire, mentionnons la nécessité « de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays … de maintenir et de garantir … la sécurité et l’ordre public … [et] de promouvoir l’ordre et la justice sur le plan international en n’acceptant pas sur le territoire canadien des personnes susceptibles de se livrer à des activités criminelles »[21]. Reconnaissant les obligations qui lui sont imposées en ce qui a trait aux réfugiés, le législateur fédéral a accordé dans la Loi sur l’immigration certains droits limités aux réfugiés au sens de la Convention. Aux termes du paragraphe 4(2.1) de la Loi sur l’immigration, les réfugiés au sens de la Convention jouissent d’un droit limité de demeurer au Canada. Ce droit limité s’éteint s’il est établi, notamment, que le réfugié au sens de la Convention appartient à l’une des catégories de personnes non admissibles, y compris celles relatives au terrorisme. Même si un réfugié au sens de la Convention perd son droit limité de demeurer au Canada, le paragraphe 53(1) de la Loi sur l’immigration interdit de le renvoyer du Canada dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées, à moins qu’il n’appartienne à l’une des catégories non admissibles et que le ministre soit d’avis qu’il « constitue un danger pour la sécurité du Canada ». Un réfugié au sens de la Convention qui a été renvoyé du Canada peut se prévaloir de son droit de revenir au Canada en vertu de l’alinéa 14(1)c) [mod., idem, art. 8] de la Loi sur l’immigration, s’il n’a pas « obtenu l’autorisation de séjourner dans un autre pays ». Le réfugié au sens de la Convention possède également, en vertu des paragraphes 46.04(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 38] et (3) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 38] de la Loi sur l’immigration, le droit limité de demander le droit d’établissement, pour lui-même et pour les membres de sa famille, à moins qu’il n’appartienne à l’une des catégories non admissibles, notamment celles qui concernent le terrorisme. Le réfugié au sens de la Convention peut par ailleurs demander un permis de travail au Canada en vertu de l’alinéa 19(4)j) [mod. par DORS/84-849, art. 1; 89-38, art. 7] et de l’article 20 [mod. par DORS/79-240, art. 4; 79-392, art. 1; 81-612, art. 1; 83-339, art. 5; 89-168, art. 2; 93-609, art. 2; 94-242, art. 5; 94-681, art. 8] du Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78-172]. Ce sont là les droits limités que la Loi sur l’immigration et le Règlement sur l’immigration de 1978 reconnaissent aux réfugiés au sens de la Convention.

L’avocat du demandeur soutient qu’en plus des droits que la loi lui confère à titre de réfugié au sens de la Convention, le demandeur possède certains [traduction] « intérêts protégés par la Constitution » qui découlent de l’introduction de l’instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration. Il soutient en particulier que ces intérêts comprennent notamment la privation de liberté découlant de la détention, le stress causé par les faits qu’on lui reproche, la flétrissure associée à la confirmation de l’attestation, son renvoi forcé du Canada et [traduction] « la menace à sa vie associée à son éventuel rapatriement dans un pays où il sera probablement persécuté ». L’avocat du demandeur affirme que l’article 7 de la Charte protège les intérêts en question.

Un examen des droits conférés au réfugié au sens de la Convention par la Loi sur l’immigration confirme que le fait de conclure qu’une personne appartient à certaines catégories de personnes non admissibles, y compris celles qui concernent le terrorisme, donne lieu à l’application de la condition à laquelle ses droits limités de demeurer au Canada et de demander le droit d’établissement sont assujettis. En pareil cas, le réfugié au sens de la Convention cesse de posséder ces deux droits. En outre, le caractère absolu du droit que lui confère le paragraphe 53(1) de ne pas être renvoyé du Canada dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées dépend de l’opinion du ministre suivant laquelle le réfugié ne constitue pas un danger pour la sécurité du Canada. Le droit du réfugié au sens de la Convention de revenir au Canada dans les circonstances énumérées à l’alinéa 14(1)c) de la Loi sur l’immigration n’est cependant pas touché par une conclusion de non-admissibilité. Bien que le réfugié au sens de la Convention ne perde pas nécessairement son droit de demander un permis de travail en vertu du Règlement sur l’immigration de 1978 s’il est renvoyé du pays, j’estime que ce facteur n’a aucune importance dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article 7 de la Charte. En résumé, le fait de conclure qu’un réfugié au sens de la Convention appartient à l’une des catégories de personnes non admissibles, y compris celles relatives au terrorisme, lui fait perdre ses droits limités de demeurer au Canada et de présenter une demande de droit d’établissement et fait dépendre son droit de ne pas être renvoyé dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées de la décision du ministre suivant laquelle il ne constitue pas un danger pour la sécurité du Canada.

Ayant examiné les droits que la Loi sur l’immigration reconnaît au demandeur en tant que réfugié au sens de la Convention, j’en viens à la conclusion que la question préalable à déterminer dans le cadre du premier volet de l’analyse fondée sur l’article 7 de la Charte est celle de savoir si le fait pour le demandeur d’avoir perdu ses droits limités de demeurer au Canada et d’y demander le droit d’établissement ou le changement qu’a subi la nature de son droit de ne pas être renvoyé du Canada constituent une négation de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. J’en viens toutefois également à la conclusion qu’il n’est pas nécessaire que je réponde à cette question, étant donné que je suis d’avis que la procédure prescrite par l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration ne viole pas les principes de justice fondamentale[22]. Dans ces conditions, il est également inutile que je me demande si la violation présumée de ses « intérêts protégés par la Constitution » constitue une négation de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne.

En ce qui a trait au second volet de l’analyse fondée sur l’article 7 de la Charte, les principes à appliquer pour déterminer si un régime législatif donné viole les principes de justice fondamentale ont été énoncés par le juge Sopinka dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711. Pour examiner la constitutionnalité des dispositions législatives antérieures régissant le renvoi de résidents permanents reconnus coupables de certaines infractions criminelles, le juge Sopinka a confirmé l’importance d’adopter une méthode contextuelle pour interpréter l’article 7 de la Charte. À cet égard, il a déclaré ce qui suit aux pages 733 et 734 :

Donc, pour déterminer la portée des principes de justice fondamentale en tant qu’ils s’appliquent en l’espèce, la Cour doit tenir compte des principes et des politiques qui sous-tendent le droit de l’immigration. Or, le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer. En common law, les étrangers ne jouissent pas du droit d’entrer au pays ou d’y demeurer.

La distinction entre citoyens et non-citoyens est reconnue dans la Charte. Bien que le par. 6(2) accorde aux résidents permanents le droit de se déplacer dans tout le pays, d’établir leur résidence et de gagner leur vie dans toute province, seuls les citoyens ont de droit « de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir », que garantit le par. 6(1).

Le Parlement a donc le droit d’adopter une politique en matière d’immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu’il leur soit permis d’entrer au Canada et d’y demeurer. C’est ce qu’il a fait dans la Loi sur l’immigration

À mon avis, les propos du juge Sopinka s’appliquent directement à l’affaire qui nous occupe. En conséquence, je conclus que la constitutionnalité de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration doit être analysée en tenant compte « des principes et des politiques qui sous-tendent le droit de l’immigration ». Je constate en outre que l’instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration ne vise qu’à déterminer le caractère raisonnable de l’attestation ministérielle de non-admissibilité. La question est purement et simplement une question d’immigration.

Dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité, le juge Sopinka a également laissé entendre qu’il était possible que les instances analogues à celle dont le juge délégué est saisi ne soient pas assujetties aux principes de justice fondamentale. La question soulevée par le juge Sopinka n’a pas été débattue devant moi. Aux fins de mon analyse, je tiens par conséquent pour acquis que l’instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration qui se déroule devant un juge délégué est assujettie aux principes de justice fondamentale[23].

Dans son mémoire et dans son plaidoyer, l’avocat du demandeur soutient que les principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte créent des [traduction] « droits procéduraux à l’application régulière de la loi ». Il affirme que, dans le cadre de l’instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, les principes de justice fondamentale garantiraient au demandeur les droits procéduraux suivants : le droit de ne pas être détenu arbitrairement, le droit à une audience devant un arbitre impartial, le droit d’obtenir communication de tout renseignement se trouvant en la possession de l’État [traduction] « qui pourrait éventuellement l’aider » à répondre aux faits qu’on lui reproche, le droit de répondre de façon satisfaisante aux faits qu’on lui reproche, et le droit d’interjeter appel de la décision ou de la faire réviser. Il ajoute que les principes de justice fondamentale comprennent [traduction] « le droit de faire supporter par l’État le risque d’une décision erronée qui priverait l’intéressé de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». Bon nombre des observations formulées par l’avocat du demandeur au soutien de sa thèse relative aux « droits procéduraux à l’application régulière de la loi » se fondaient sur l’hypothèse erronée que l’instance prévue par l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration est de nature criminelle ou quasi-criminelle.

Pour me prononcer sur les protections qui sont accordées à un particulier par l’article 7 de la Charte dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, je n’oublie pas les conseils formulés par le juge Sopinka dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité, aux pages 743 et 744 :

La portée des principes de justice fondamentale varie selon le contexte et la nature des intérêts en jeu. Dans l’arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, le juge La Forest affirme au nom de la majorité, à la p. 361 :

Évidemment, les exigences de la justice fondamentale englobent à tout le moins l’équité en matière de procédure (voir, par exemple, les observations dans ce sens faites par le juge Wilson dans l’arrêt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, aux pp. 212 et 213). Il est également clair que les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables : elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque. Ainsi, certaines garanties en matière de procédure pourraient être requises par la Constitution dans une situation donnée et ne pas l’être dans l’autre.

De même, les règles de justice naturelle et le concept de l’équité procédurale, qui peuvent dans un contexte donné faire partie des principes de justice fondamentale, ne constituent pas des normes figées.

L’analyse de la portée des principes de justice fondamentale dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration doit donc se faire dans le contexte des principes et des politiques d’immigration et en tenant compte des intérêts divergents de l’État et de la personne en cause. Dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité, le juge Sopinka a fait remarquer, à la page 744, que, bien que le particulier ait intérêt à ce que la procédure soit équitable, « l’État a aussi grandement intérêt à mener efficacement les enquêtes en matière de sécurité nationale et de criminalité et à protéger les sources de renseignements de la police ».

Pour ce qui est du contexte de l’immigration, j’ai déjà cité l’observation du juge Sopinka suivant laquelle « le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer ». De plus, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, le droit et la politique du Canada en matière d’immigration au Canada reconnaissent l’existence de besoins divergents, dont ceux qui concernent nos obligations internationales et humanitaires envers les réfugiés, la sécurité de la société canadienne et la promotion de l’ordre international par le refus de permettre à des personnes qui sont susceptibles de se livrer à des activités criminelles de se servir de notre territoire. À l’article 38.1 de la Loi sur l’immigration, le législateur fédéral a expressément abordé les objectifs législatifs de certains articles—dont ceux de l’article 40.1—en soulignant que le Canada a l’obligation de « renvoyer les personnes qui menacent la sécurité du Canada ou dont la présence au pays est contraire à ses intérêts ou met en danger la vie ou la sécurité de personnes au Canada ». Le législateur a également précisé que certains articles de la Loi sur l’immigration, dont l’article 40.1, visent à assurer la protection des renseignements secrets délicats en matière de sécurité ou de criminalité et à permettre le renvoi rapide des personnes qui appartiennent à certaines catégories de personnes non admissibles, dont celles que concerne le terrorisme. Qui plus est, en l’espèce, les faits établis par le témoignage de M. Harry Norman Southern, chef de l’antiterrorisme au bureau régional du SCRS à Toronto, démontrent de façon non équivoque que le Canada a grandement intérêt, tant sur le plan interne que sur le plan international, à pourchasser les terroristes, à leur refuser l’accès au Canada et à protéger la sécurité nationale et les sources de renseignement de la police. Malgré ces considérations, il faut néanmoins reconnaître que le demandeur a un intérêt opposé à ce que la procédure prévue par l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration soit équitable.

J’en suis venu à la conclusion qu’en édictant l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, le législateur fédéral a élaboré une procédure par laquelle il a tenté de trouver le juste milieu entre les intérêts divergents des particuliers et ceux de l’État. En particulier, le législateur fédéral a confié la charge d’examiner le caractère raisonnable de l’attestation ministérielle à un membre indépendant de la magistrature à qui il a accordé le pouvoir d’examiner les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité, de recueillir des éléments de preuve, de permettre la divulgation d’éléments à l’intéressé dans le but de lui permettre d’être « suffisamment informé », et de donner à l’intéressé « la possibilité d’être entendu ». À mon avis, l’analyse contextuelle confirme que les principes de justice fondamentale ont été respectés dans la procédure conçue par le législateur fédéral à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration.

Malgré la conclusion à laquelle j’en arrive en l’espèce, je tiens à dire quelques mots au sujet de certaines observations que l’avocat du demandeur a formulées au soutien de sa thèse qu’il faut incorporer certains « droits procéduraux à l’application régulière de la loi » dans les principes de justice fondamentale dans le contexte de la présente affaire.

En ce qui concerne l’argument que le droit de ne pas être détenu arbitrairement fait partie des principes de justice fondamentale, l’avocat du demandeur soutient que la personne qui est nommée dans une attestation a le droit de demander sa mise en liberté au même titre que la personne qui est [traduction] « accusée du crime le plus grave que prévoit notre droit criminel ». Ainsi que je l’ai déjà dit, la portée des principes de justice fondamentale applicable dans le cadre de l’instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration doit être analysée en tenant compte des principes et des politiques d’immigration et non en fonction des normes du droit criminel. La thèse développée par l’avocat du demandeur au sujet du droit de demander une mise en liberté repose sur des dispositions législatives du Code criminel du Canada et sur des principes et politiques de droit criminel qui ne trouvent aucune application en l’espèce. En tout état de cause, je fais remarquer que la détention qui nous occupe en l’espèce est exigée par la loi et qu’elle ne se produit qu’après que deux ministres ont jugé qu’une personne qui n’est ni un citoyen canadien ni un résident permanent appartient à l’une des catégories de personnes non admissibles, dont celles liées au terrorisme. En outre, un examen des dispositions de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration et de son but législatif tel qu’il est exprimé à l’article 38.1 confirme que l’instance doit se dérouler avec rapidité, ce qui suppose que l’on s’attend par ailleurs à ce que la détention de la personne en cause soit brève. Ainsi que je l’ai déjà souligné, le fait qu’une personne ne se prévaut pas de la possibilité qui lui est donnée d’être entendue et qu’elle choisit de demeurer en détention au Canada au lieu d’essayer de quitter le pays, ne saurait être invoqué pour justifier son affirmation que sa détention viole les principes de justice fondamentale. Ayant examiné l’exigence de la détention contenue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration dans le contexte de l’immigration, je suis convaincue que les principes de justice fondamentale n’obligent pas le législateur fédéral à créer une procédure qui prévoie la mise en liberté de l’intéressé avant qu’une décision ne soit rendue à son sujet, comme l’avocat du demandeur le prétend. En outre, les faits au sujet desquels M. Southern a déposé à l’appui de son affirmation que les intérêts de la sécurité publique exigent une telle détention démontrent que les personnes qui se livrent à des actes de terrorisme sont souvent dangereuses, sont fréquemment fanatiques, ont peu d’égards pour la vie humaine et ne sont que de passage. Il a ajouté que les obligations internationales qui lui sont imposées obligent le Canada à recourir de façon énergique à tous les moyens légaux qui s’offrent à lui pour identifier les terroristes et pour prendre des mesures à leur sujet. À mon avis, les faits établis par le témoignage de M. Southern concourent à démontrer que, dans le contexte de l’immigration, les principes de justice fondamentale ne sont pas violés par le fait qu’une personne qui, selon l’attestation de deux ministres, a des antécédents ou des penchants terroristes, est gardée en détention avant qu’une décision ne soit prise à son sujet. En outre, je constate que l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration prévoit la mise en liberté d’une telle personne après qu’une décision a été prise à son sujet lorsqu’elle n’a pas été expulsée dans les cent vingt jours suivant la prise de la mesure de renvoi[24]. L’existence du mécanisme de mise en liberté que prévoit la loi dans le cas où une période de temps prolongée s’écoule après qu’une décision a été prise au sujet de l’intéressé confirme le fait que le législateur fédéral a expressément examiné la question de la mise en liberté et qu’il a décidé de ne la permettre que dans les circonstances très restreintes prévues au paragraphe 40.1(8). Compte tenu des intérêts primordiaux de l’État en ce qui concerne les mesures à prendre face aux personnes accusées de terrorisme, je suis d’avis que le défaut du législateur fédéral de prévoir un mécanisme de mise en liberté de l’intéressé avant qu’une décision ne soit prise à son sujet ne viole pas les principes de justice fondamentale.

L’avocat du demandeur soutient en outre que la nature du processus créé par l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration suscite une crainte raisonnable de parti pris de la part du juge délégué qui tient l’enquête à huis clos. Je ne puis accepter cet argument. À mon avis, il n’y a rien dans la procédure prescrite par l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration qui suscite une crainte raisonnable de parti pris de la part du juge délégué qui tient l’enquête à huis clos. Dans la mesure où le moyen invoqué par l’avocat du demandeur repose sur l’assertion que la participation d’un juge délégué à une audience à huis clos compromet son impartialité, je signale que, dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), la Cour suprême du Canada a statué que les Règles du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui permettaient l’exclusion discrétionnaire d’une ou de plusieurs parties au cours des témoignages ou de la présentation des observations, ne violaient pas les principes de justice fondamentale.

En ce qui concerne la question de la divulgation, l’avocat du demandeur fait reposer principalement sa thèse sur les principes qui ont été posés dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, et dans d’autres décisions qui ont été rendues en matière de droit criminel. Ainsi que je l’ai déjà précisé, les principes de droit criminel ne s’appliquent pas en l’espèce. À mon avis, le processus législatif de divulgation imposé par l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, qui oblige un membre indépendant de la magistrature à concilier les intérêts divergents de l’État et de la personne, respecte les principes de justice fondamentale dans le contexte de l’immigration. En outre, l’utilisation de résumés d’éléments de preuve dans les affaires d’immigration qui contiennent des renseignements concernant la sécurité nationale et les renseignements fournis par des informateurs a été expressément approuvée par le juge Sopinka dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), aux pages 745 et 746 :

Quoique l’audience se soit déroulée à huis clos le premier jour, un résumé des éléments de preuve produits a été fourni à l’intimé. À mon avis, ces différents documents renfermaient suffisamment de renseignements pour mettre l’intimé au courant de la substance des actes qu’on lui reprochait et pour lui permettre de répondre. La justice fondamentale n’exige nullement dans ce contexte que soient également donnés à l’intimé des détails concernant les méthodes d’enquête sur la criminalité ou les sources auxquelles la police a eu recours pour obtenir ces renseignements.

Dans ces conditions, je suis par conséquent convaincue que la procédure de divulgation prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration ne viole pas les principes de justice fondamentale.

Dans le même ordre d’idées, l’avocat du demandeur prétend que la procédure prescrite par l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration prive l’intéressé de son droit de répondre de façon satisfaisante aux actes que l’État lui reproche. Je ne puis accepter cet argument pour les motifs que j’ai déjà formulés dans le cadre de mon analyse du moyen invoqué par l’avocat du demandeur au sujet de la divulgation. J’estime en outre que le résumé des éléments de preuve et d’information, ajouté aux autres éléments divulgués soit par l’État, soit par le juge délégué, renferme suffisamment de renseignements pour mettre le demandeur au courant de la substance des actes qu’on lui reproche et pour lui permettre d’y répondre. L’avocat du demandeur fait en outre valoir que l’article 117 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 104] de la Loi sur l’immigration, qui interdit d’exiger la production des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité ou des éléments de preuve visés à l’article 40.1 « devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements » empêche l’intéressé de répondre de façon satisfaisante aux actes qu’on lui reproche. Il soutient en particulier que l’article 117 de la Loi sur l’immigration [traduction] « a pour effet d’interdire au juge délégué qui tient l’audience de contraindre à la production de renseignements ou à la présence de certains témoins » Cet argument repose sur une compréhension erronée du sens de l’article 117 de la Loi sur l’immigration. À mon avis, il ressort du libellé clair et évident de l’article 117 de la Loi sur l’immigration qu’il est interdit aux tribunaux et aux organismes autres que le juge délégué visé à l’article 40.1 de contraindre à la production de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité. En termes simples, l’article 117 de la Loi sur l’immigration ne s’applique absolument pas à l’instance prévue à l’article 40.1. L’avocat du demandeur soutient également que l’absence de pouvoir exprès d’assigner des témoins à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration constitue une négation du droit du demandeur de répondre de façon satisfaisante aux actes qu’on lui reproche. Je ne puis retenir cet argument. À mon avis, la personne qui fait l’objet d’une instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration peut invoquer la Règle 333 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], qui lui permet d’assigner des témoins à comparaître par voie de subpoena.

L’avocat du demandeur prétend également que les principes de justice fondamentale exigent que l’État établisse hors de tout doute raisonnable les faits qu’il reproche à la personne nommée dans l’attestation ministérielle. Je ne suis pas de cet avis. Selon moi, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui est appliquée en matière criminelle ne s’applique pas dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration. J’estime en outre qu’il n’est pas nécessaire, dans le contexte de la présente affaire, que je détermine quelle est la norme de preuve applicable dans le cas d’une instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration.

Finalement, l’avocat du demandeur soutient que le paragraphe 40.1(6) de la Loi sur l’immigration, qui prévoit que la décision rendue par le juge délégué ne peut être portée en appel ni être revue par aucun tribunal, viole l’article 7 et l’alinéa 10b) de la Charte. La question des droits d’appel a fait l’objet d’observations de la part de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53. En discutant des droits d’appel, le juge La Forest a déclaré ce qui suit, aux pages 69 et 70 :

Les appels devant les cours d’appel et la Cour suprême du Canada sont devenus si courants que l’on s’attend généralement à ce qu’il existe un moyen quelconque d’en appeler de la décision d’un tribunal de première instance. Toutefois, il demeure qu’il n’existe pas de droit d’appel sur une question sauf si le législateur compétent l’a prévu.

Diverses raisons de principe militent en faveur de l’adoption d’une procédure qui limite les droits d’appel. Parfois, il n’est pas dans l’intérêt de la justice de donner la possibilité d’obtenir d’autres opinions … Une autre raison de principe, qui a son importance dans l’affaire dont notre Cour est saisie, est que le règlement final de poursuites, particulièrement celles de nature criminelle, ne devrait pas être retardé inutilement.

La procédure créée par le législateur fédéral à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration constitue le mécanisme qui est prévu en ce qui concerne la révision de la décision prise par les deux ministres. Je suis convaincue, sur le fondement des principes énoncés dans l’arrêt Kourtessis c. M.R.N., précité, que les principes de justice fondamentale n’exigent pas que l’on accorde à l’intéressé un autre droit d’appel ou de révision. En outre, en interdisant expressément tout autre appel ou toute autre révision, le législateur fédéral a renforcé l’idée que l’instance prévue à l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration est rapide de par sa nature même. Finalement, l’omission du législateur fédéral de prévoir d’autres droits d’appel ou de révision n’a aucune incidence sur les droits que possède le demandeur en vertu de l’alinéa 10c) de la Charte.

iii)        l’article 9 de la Charte

L’article 9 de la Charte dispose :

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

En ce qui concerne l’article 9 de la Charte, l’avocat du demandeur se fonde sur les observations qu’il a formulées à l’appui de son argument que le droit de ne pas être détenu arbitrairement fait partie des principes de justice fondamentale. Je suis convaincue que la détention, en vertu de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, de la personne nommée dans l’attestation avant qu’une décision ne soit prise à son sujet ne constitue pas une détention arbitraire, étant donné qu’elle est expressément autorisée par la loi et qu’elle n’a lieu qu’après que deux ministres ont respectivement décidé qu’une personne qui n’est ni citoyen canadien ni résident permanent a des antécédents ou des penchants terroristes. Dans ces conditions, il n’y a ni violation ni négation du droit prévu à l’article 9 de la Charte.

iv)        L’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits

L’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits énonce :

2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations.

Je suis d’avis que l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne rend pas inopérant l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration.

DISPOSITIF

L’action est rejetée. Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

ANNEXE « A »

i)    Loi sur l’immigration

3. La politique canadienne d’immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en œuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité :

g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l’endroit des personnes déplacées ou persécutées;

i) de maintenir et de garantir la santé, la sécurité et l’ordre public au Canada;

j) de promouvoir l’ordre et la justice sur le plan international en n’acceptant pas sur le territoire canadien des personnes susceptibles de se livrer à des activités criminelles.

4. (1) Ont le droit d’entrer au Canada les citoyens canadiens et, sous réserve de l’article 10.3, sauf s’il a été établi qu’ils appartiennent à l’une des catégories visées au paragraphe 27(1), les résidents permanents.

(2.1) Sous réserve des autres lois fédérales, la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu en vertu de la présente loi ou dans le cadre des règlements et qui se trouve légalement au Canada a le droit d’y demeurer, sauf si elle tombe sous le coup des alinéas 19(1)c.1), c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou a été déclarée coupable d’une infraction prévue par une loi fédérale :

a) soit pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été infligée;

b) soit qui peut être punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.

5. (1) Seules les personnes visées à l’article 4 sont de droit autorisées à entrer au Canada et à y demeurer.

(2) Ont le droit de s’établir les immigrants qui n’appartiennent pas à une catégorie non admissible et qui remplissent les conditions prévues à la présente loi et à ses règlements.

14. (1) L’agent d’immigration laisse entrer au Canada ceux dont l’interrogatoire l’a convaincu :

c) soit qu’ils n’ont pas obtenu l’autorisation de séjourner dans un autre pays après avoir été renvoyés du Canada ou l’avoir quitté à la suite d’une mesure de renvoi;

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

e) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles :

(iii) soit commettront des actes de terrorisme,

(iv) soit sont membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle :

(C) soit commettra des actes de terrorisme;

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles :

(ii) soit se sont livrées à des actes de terrorisme,

(iii) soit sont ou ont été membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée :

(B) soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national;

g) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, ou qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes ou qu’elles sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d’une telle organisation;

38.1 Attendu que les personnes qui ne sont ni citoyen canadien ni résident permanent ne peuvent prétendre au droit de venir ou de demeurer au Canada, que les résidents permanents ne peuvent y prétendre que de façon limitée et que la coopération avec les gouvernements et organismes étrangers est essentielle au maintien de la sécurité nationale, les articles 39 à 40.2 ont pour but :

a) de permettre au gouvernement fédéral de s’acquitter de son obligation de renvoyer les personnes qui menacent la sécurité du Canada ou dont la présence au pays est contraire à ses intérêts ou met en danger la vie ou la sécurité de personnes au Canada;

b) d’assurer la protection des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité;

c) de permettre le renvoi rapide des personnes dont il a été décidé qu’elles appartiennent à une catégorie non admissible visée aux articles 39 ou 40.1.

40.1 (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent, s’ils sont d’avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance, qu’une personne qui n’est ni citoyen canadien ni résident permanent appartiendrait à l’une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii), signer et remettre une attestation à cet effet à un agent d’immigration, un agent principal ou un arbitre.

(2) En cas de remise de l’attestation visée au paragraphe (1) :

a) l’enquête prévue par ailleurs aux termes de la présente loi sur l’intéressé ne peut être ouverte tant que la décision visée à l’alinéa (4)d) n’a pas été rendue;

b) l’agent principal ou l’arbitre doit, par dérogation aux articles 23 ou 103 mais sous réserve du paragraphe (7.1), retenir l’intéressé ou prendre une mesure de renvoi à cet effet contre lui en attendant la décision.

(3) En cas de remise de l’attestation prévue au paragraphe (1), le ministre est tenu :

a) d’une part, d’en transmettre sans délai un double à la Cour fédérale pour qu’il soit décidé si l’attestation doit être annulée;

b) d’autre part, dans les trois jours suivant la remise, d’envoyer un avis à l’intéressé l’informant de la remise et du fait que, à la suite du renvoi à la Cour fédérale, il pourrait faire l’objet d’une mesure d’expulsion.

(4) Lorsque la Cour fédérale est saisie de l’attestation, le juge en chef de celle-ci ou le juge de celle-ci qu’il délègue pour l’application du présent article :

a) examine dans les sept jours, à huis clos, les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont le ministre ou le solliciteur général ont eu connaissance et recueille les autres éléments de preuve ou d’information présentés par ces derniers ou en leur nom; il peut en outre, à la demande du ministre ou du solliciteur général, recueillir tout ou partie de ces éléments en l’absence de l’intéressé et du conseiller le représentant, lorsque, à son avis, leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

b) fournit à l’intéressé un résumé des informations dont il dispose, à l’exception de celles dont la communication pourrait, à son avis, porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes, afin de permettre à celui-ci d’être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l’attestation;

c) donne à l’intéressé la possibilité d’être entendu;

d) décide si l’attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d’information à sa disposition, et, dans le cas contraire, annule l’attestation;

e) avise le ministre, le solliciteur général et l’intéressé de la décision rendue aux termes de l’alinéa d).

(5) Pour l’application du paragraphe (4), le juge en chef ou son délégué peut, sous réserve du paragraphe (5.1), recevoir et admettre les éléments de preuve ou d’information qu’il juge utiles, indépendamment de leur recevabilité devant les tribunaux, et peut se fonder sur ceux-ci pour se déterminer.

(6) La décision visée à l’alinéa (4)d) ne peut être portée en appel ni être revue par aucun tribunal.

(7) Toute attestation qui n’est pas annulée en application de l’alinéa (4)d) établit de façon concluante le fait que la personne qui y est nommée appartient à l’une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) et l’intéressé doit, par dérogation aux articles 23 ou 103 mais sous réserve du paragraphe (7.1), continuer d’être retenu jusqu’à son renvoi du Canada.

(7.1) Le ministre peut ordonner la mise en liberté de la personne nommée dans l’attestation afin de lui permettre de quitter le Canada, que la décision visée à l’alinéa (4)d) ait ou non été rendue.

(8) La personne retenue en vertu du paragraphe (7) peut, si elle n’est pas renvoyée du Canada dans les cent vingt jours suivant la prise de la mesure de renvoi, demander au juge en chef de la Cour fédérale ou au juge de cette cour qu’il délègue pour l’application du présent article de rendre l’ordonnance visée au paragraphe (9).

(9) Sur présentation de la demande visée au paragraphe (8), le juge en chef ou son délégué ordonne, aux conditions qu’il estime indiquées, que l’intéressé soit mis en liberté s’il estime que :

a) d’une part, il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable;

b) d’autre part, sa mise en liberté ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes.

(10) À l’audition de la demande visée au paragraphe (8), le juge en chef ou son délégué :

a) examine, à huis clos et en l’absence de l’auteur de la demande et du conseiller le représentant, tout élément de preuve ou d’information présenté au ministre concernant la sécurité nationale ou celle de personnes;

b) fournit à l’auteur de la demande un résumé des éléments de preuve ou d’information concernant la sécurité nationale ou celle de personnes dont il dispose, à l’exception de ceux dont la communication pourrait, à son avis, porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

c) donne à l’auteur de la demande la possibilité d’être entendu.

(11) Pour l’application du paragraphe (10), le juge en chef ou son délégué peut recevoir et admettre les éléments de preuve ou d’information qu’il estime utiles, indépendamment de leur recevabilité devant les tribunaux.

46.04 (1) La personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention est reconnu par la section du statut peut, dans le délai réglementaire, demander le droit d’établissement à un agent d’immigration pour elle-même et les personnes à sa charge, sauf si elle se trouve dans l’une des situations suivantes :

a) elle est un résident permanent;

b) un autre pays lui a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention et elle serait, en cas de renvoi du Canada, autorisée à retourner dans ce pays;

c) elle a la nationalité ou la citoyenneté d’un autre pays que celui qu’elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d’être persécutée;

d) elle a résidé en permanence dans un autre pays que celui qu’elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d’être persécutée et elle serait, en cas de renvoi du Canada, autorisée à retourner dans ce pays.

(3) Malgré les autres dispositions de la présente loi mais sous réserve des paragraphes (3.1) et (8), l’agent d’immigration accorde le droit d’établissement à l’intéressé et aux personnes à sa charge visées par la demande, s’il est convaincu qu’aucun d’entre eux n’est visé à l’un des alinéas 19(1)c.1), c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou n’a été déclarée coupable d’une infraction prévue par une loi fédérale :

a) soit pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été infligée;

b) soit passible d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l’alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si elle appartient à l’une des catégories non admissibles visées :

b) aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada.

70. …

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), peuvent faire appel devant la section d’appel d’une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel :

a) les non-résidents permanents qui se sont vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention aux termes de la présente loi ou de ses règlements;

b) les personnes qui, ayant demandé l’admission, étaient titulaires d’un visa de visiteur ou d’immigrant, selon le cas, en cours de validité lorsqu’elles ont fait l’objet du rapport visé à l’alinéa 20(1)a).

(3) Les moyens que peuvent invoquer les appelants visés au paragraphe (2) sont les suivants :

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) le fait que, pour des raisons d’ordre humanitaire, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

(4) Les moyens d’appel sont limités aux questions de droit, de fait ou mixtes dans le cas d’appels relatifs à une mesure d’expulsion ou d’expulsion conditionnelle interjetés par les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas 2a) ou b), qui :

a) soit on fait l’objet de l’attestation prévue au paragraphe 40(1) ou de l’attestation prévue au paragraphe 40.1(1) et non annulée au titre de l’alinéa 40.1(4)d), sauf si elles sont visées aux sous-alinéas 19(1)c.1)(ii) ou 19(2)a.1)(ii);

b) soit appartiennent, selon la décision d’un arbitre, à l’une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), j), k) ou l).

117. Il est interdit, devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, d’exiger la production des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité ou les éléments de preuve ou d’information visés au paragraphe 39(2), à l’article 40.1 ou au paragraphe 81(2).

ii)    Charte canadienne des droits et libertés

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération.

iii)   Déclaration canadienne des droits

2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;



[1]11Voir art. 4(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 2] de la Loi sur l’immigration.

[2] Art. 4(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 3] et (2.1) [édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 2] de la Loi sur l’immigration.

[3] Loi modifiant la Loi sur l’immigration de 1976 et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, L.C. 1988, ch. 36 (maintenant L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29), qui est entrée en vigueur le 3 octobre 1988.

[4] Art. 40.1(1) de la Loi sur l’immigration.

[5] Art. 40.1(2)b) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31], 3a) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4], 4d).

[6] Art. 40.1(3)b) [édicté, idem].

[7] Art. 40.1(4)a).

[8] Art. 40.1(4)a).

[9] Art. 40.1(4)b).

[10] Id.

[11] Art. 40.1(4)c).

[12] Voir art. 38.1c) de la Loi sur l’immigration, qui précise que les articles 39 à 40.2 ont notamment pour but « de permettre le renvoi rapide des personnes dont il a été décidé qu’elles appartiennent à une catégorie non admissible visée aux articles 39 ou 40.1 ».

[13] Art. 40.1(5) [édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 31].

[14] Art. 40.1(4)d).

[15] Art. 40.1(6) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4].

[16] Art. 40.1(7)a) [édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 31].

[17] Art. 40.1(7)b) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31].

[18] Art. 40.1(8) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4], (9) [édicté, idem], (10) [édicté, idem], (11) [édicté, idem].

[19] Art. 40.1(7.1) [édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 31].

[20] Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, le juge Wilson, à la p. 204.

[21] Art. 3g), i) et j) de la Loi sur l’immigration.

[22] Voir le raisonnement suivi par le juge Sopinka dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, aux p. 731 et 732.

[23] Dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité, le juge Sopinka déclare ce qui suit à la p. 742 :

Le Parlement aurait donc pu prévoir simplement la délivrance d’une attestation sans la tenue d’une audience. Mais le fait que le Parlement, ne se contentant pas de satisfaire aux exigences que lui impose la Constitution, a prévu la tenue d’une audience, permet-il à l’intimé de se plaindre de ce que cette audience ne respecte pas les principes de justice fondamentale? On pourrait soutenir que le Parlement n’a pas élargi la portée de ses obligations constitutionnelles en prévoyant à titre gracieux la tenue d’une audience. C’est toutefois là une question qu’il n’est pas nécessaire de trancher en l’espèce vu ma conclusion que, dans l’hypothèse où les procédures devant le comité de surveillance seraient assujetties aux principes de justice fondamentale, ceux-ci ont été respectés.

[24] Voir les art. 40.1(7.1), (8), (9) et (10) de la Loi sur l’immigration.

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