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[1995] 2 C.F. 309

T-1499-92

Riverside Concrete Limited (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre du Revenu national (défenderesse)

Répertorié : Riverside Concrete Ltd. c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein—Toronto, 9, 13 janvier; Ottawa, 17 mars 1995.

Douanes et accise — Loi sur la taxe d’accise — Action en remboursement de la taxe de vente payée relativement au béton mélangé sur le chantier entre le 1er août 1985 et le 25 septembre 1988 — La contribuable ne déduisait pas le coût du transport du prix de vente aux fins du calcul de la taxe de vente — Dans sa lettre du 26 mai 1988, elle s’est plainte de ce que la taxe était injuste — Le 25 septembre 1990, le T.C.C.E., dans une autre affaire, a statué que la taxe de vente sur le béton mélangé sur le chantier devait être calculée après déduction des coûts du transport — L’art. 68 de la Loi sur la taxe d’accise fixe à deux ans la période de prescription pour le remboursement de la taxe payée par « erreur de fait ou de droit ou autrement » — Application de l’art. 68 — C’est le caractère volontaire du paiement, et non la protestation, qui importe pour déterminer si le paiement a été fait par erreur de droit — Le caractère involontaire d’un paiement est lié à des sanctions extrajudiciaires, p. ex. la saisie des biens, la coercition personnelle, le déni du droit de continuer les activités commerciales — La taxe de vente n’a pas été payée en raison d’une contrainte ou de la coercition personnelle après le 1er mai 1986, date à laquelle est entré en vigueur l’art. 53.3, qui interdit les moyens de perception tant que le contribuable cherche à faire respecter ses droits en s’adressant aux divers paliers officiels — Aucune preuve qu’avant cette date on a pris ou menacé de prendre des sanctions extrajudiciaires.

Equity — Recours en equity — Erreur — La loi fiscale fixe un délai de prescription pour le remboursement des paiements faits par « erreur de fait ou de droit ou autrement » — Le paiement a-t-il été fait par erreur de droit ou en raison d’une coercition personnelle? — Examen de la jurisprudence et de la doctrine portant sur la protestation et l’erreur de droit dans le contexte fiscal — La taxe a été payée volontairement en raison d’une erreur de droit, par conséquent le délai de prescription s’applique.

Interprétation des lois — L’art. 68 de la Loi sur la taxe d’accise impose un délai de prescription de deux ans pour le remboursement des paiements faits par « erreur de fait ou de droit ou autrement » — L’adjonction de « ou autrement » ne signifie pas que l’art. 68 s’applique quelles que soient les raisons du paiement, mais rend encore plus ambiguë la notion d’erreur telle qu’appliquée dans le contexte de l’art. 68 — Le législateur serait justifié de reconsidérer la formulation de cette disposition.

Il s’agit d’une demande de remboursement de la taxe de vente payée entre le 1er août 1985 et le 25 septembre 1988. La demanderesse vendait du béton qui était mélangé sur le chantier. Elle ne déduisait pas du prix de vente le coût du transport du béton avant de calculer la taxe de vente, contrairement à la façon de calculer la taxe de vente sur le béton prémélangé. Dans sa lettre du 26 mai 1988 adressée à Revenu Canada, la demanderesse a allégué que l’inégalité de traitement, selon qu’il s’agissait de béton prémélangé ou de béton mélangé sur le chantier, procurait à ses compétiteurs fournissant du béton prémélangé un avantage indu quant aux coûts de production. Revenu Canada a rejeté la plainte de la demanderesse, qui a continué à payer la taxe de vente fédérale comme auparavant. Le 25 septembre 1990, le Tribunal canadien du commerce extérieur (T.C.C.E.), dans une autre affaire, a statué que la taxe de vente sur le béton mélangé sur le chantier devait être calculée après déduction des coûts du transport. La demanderesse a demandé, dans la forme prescrite, le remboursement de la taxe de vente payée pour la période du 1er août 1985 au 31 décembre 1990. Le ministre a accordé le remboursement pour la période postérieure au 25 septembre 1988, mais a refusé le remboursement pour la période antérieure à cette date parce que cette période était au-delà du délai de deux ans prévu par l’article 68 de la Loi sur la taxe d’accise. L’article 68 impose un délai de prescription de deux ans relativement au remboursement des paiements faits par erreur, que ce soit par « erreur de fait ou de droit ou autrement ».

La demanderesse allègue que, parce qu’elle a payé sous réserve, elle n’a pas payé par suite d’une erreur et que, par conséquent, le délai de prescription de l’article 68 ne peut pas lui être opposé. La question en litige est donc de savoir si la demanderesse a versé les sommes d’argent en cause par erreur de droit.

Jugement : l’action est rejetée.

La lettre de protestation de la demanderesse a peu d’incidence sur le plan juridique. La demanderesse n’a pas allégué que la taxe perçue sur les coûts du transport est illégale, mais qu’elle est « injuste » parce qu’elle la place dans une situation désavantageuse par rapport à ses compétiteurs. La lettre de protestation n’est d’aucun secours à la demanderesse quant à son argument que le paiement de la taxe d’accise n’a pas été fait par erreur de droit.

Le caractère volontaire du paiement, non la protestation, permet de déterminer si le paiement a été fait par erreur de droit. Le paiement sera volontaire s’il peut seulement être exigé au moyen de procédures judiciaires dans lesquelles la validité de la taxe peut être mise en question. Pour que le paiement soit qualifié d’involontaire, il faut qu’il y ait utilisation ou menace d’utilisation de moyens contre lesquels le payeur ne peut immédiatement se prémunir qu’en payant la somme exigée. Le caractère involontaire du paiement est lié à des sanctions extrajudiciaires telles que la saisie des biens, la coercition personnelle, le déni du droit de continuer les activités commerciales. L’existence de sanctions extrajudiciaires est en elle-même insuffisante pour rendre un paiement de taxe involontaire, en l’absence d’une intention de la part de l’autorité gouvernementale d’appliquer ces sanctions. Même dans le cas où des doutes sont ressentis au sujet de la validité de la loi fiscale, on ne peut recouvrer les sommes payées à moins de pouvoir faire judiciairement la preuve de la coercition.

À compter du 1er mai 1986, seuls des moyens d’exécution judiciaires pouvaient être pris. L’article 53.3, qui est entré en vigueur le 1er mai 1986, interdit aux représentants du gouvernement de prendre des moyens de perception tant que le contribuable cherche à faire respecter certains droits précis en s’adressant aux divers paliers administratifs et aux tribunaux. Le ministre ne peut pas imposer des sanctions extrajudiciaires dans le but de percevoir les taxes pendant que la contestation du contribuable suit son cours. La demanderesse n’a pas payé la taxe de vente en raison de la contrainte ou de la coercition après le 1er mai 1986. Il n’y a aucune preuve que, entre le 1 août 1985 et le 30 avril 1986, le ministre a tenté de prendre des sanctions extrajudiciaires. Comme la demanderesse a payé volontairement, les taxes ont été payées par erreur de droit, et le délai de prescription de deux ans de l’article 68 s’applique.

Une demande informelle de remboursement n’a pas un effet continu qui protège le droit de la demanderesse à un remboursement pour une période remontant à deux ans. La demanderesse a choisi de ne pas suivre les procédures de remboursement prescrites par la Loi sur la taxe d’accise. Elle ne peut pas maintenant alléguer, s’appuyant sur une lettre informelle, que l’article 68 est inopérant.

L’adjonction des mots « or otherwise » pour modifier les mots « mistake » ou « error » dans la version anglaise n’a pas pour effet de rendre l’article 68 applicable quelles que soient les raisons du paiement, mais rend encore plus ambiguë la notion d’erreur telle qu’appliquée dans le contexte de l’article 68. Le législateur serait justifié de reconsidérer la formulation de cette disposition.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1952, ch. 100, art. 46(6).

Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13, art. 52(4) (mod. par S.C. 1986, ch. 9, art. 38), 53 (mod., idem, art. 40), 53.3 (édicté, idem).

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 68 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34), 72(2) (mod., idem), (6) (mod., idem), 81.2 (édicté, idem, art. 38; L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 47, art. 52), 81.17 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38), 81.19 (édicté, idem; L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 47, art. 52), 83 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 41), 86 (mod., idem; L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 47, art. 52).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Bain v. Corporation of Montreal (1883), 8 R.C.S. 252.

DÉCISION NON SUIVIE :

Monarch Concrete Products Ltd. c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 1; (1989), 29 F.T.R. 218; 2 TCT 4321; 1 TST 2201 (C.F. 1re inst.).

distinction faite avec :

Queen, The v. Premier Mouton Products Inc., [1961] R.C.S. 361; (1961), 27 D.L.R. (2d) 639; [1961] C.T.C. 160; 61 DTC 1105.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Pick-a-Mix Concrete Ltd. c. M.R.N. (1990), 3 TCT 2347 (T.C.C.E.); 474245 Ontario Ltd. c. M.R.N. (1993), 1 GTC 4086 (T.C.C.E.); Vancouver Growers Ltd. v. G. H. Snow Ltd. (1937), 52 B.C.R. 32; [1937] 4 D.L.R. 128; [1937] 3 W.W.R. 121 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Maskell v. Horner, [1915] 3 K.B. 106 (C.A.); Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161; (1989), 59 D.L.R. (4th) 161; [1989] 4 W.W.R. 97.

DOCTRINE

Pannam, Clifford L. « The Recovery of Unconstitutional Taxes in Australia and in the United States » (1964), 42 Tex. L. Rev. 779.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

ACTION en remboursement de la taxe de vente payée sous réserve et à l’extérieur du délai de prescription de deux ans fixé par l’article 68 de la Loi sur la taxe d’accise pour le remboursement des paiements faits « par erreur de fait ou de droit ou autrement ». Action rejetée.

AVOCATS :

Ian R. Blain pour la demanderesse.

P. Christopher Parke pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Parker, Ross, Blain & Rodenhurst, Ingersoll (Ontario), pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein : En l’espèce, la demanderesse demande le remboursement de la taxe de vente fédérale payée entre le 1er août 1985 et le 31 décembre 1990. La défenderesse a accordé le remboursement de la taxe payée à compter du 25 septembre 1988. En ce qui concerne la demande de remboursement de la taxe payée avant cette date, la question en litige consiste à savoir si le délai de prescription prévu à l’article 68 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34], est applicable.

Les faits

La demanderesse vendait du béton qui était mélangé sur le chantier. Elle ne déduisait pas du prix de vente le coût du transport du béton au chantier aux fins du calcul de la taxe de vente. Dans sa lettre du 26 mai 1988 adressée à Revenu Canada, la demanderesse s’est plainte de ce que la taxe de vente sur le béton prémélangé était calculée après déduction du coût du transport du béton au chantier. Elle a déclaré que l’inégalité de traitement, selon qu’il s’agissait de béton prémélangé ou de béton mélangé sur le chantier, procurait à ses compétiteurs fournissant du béton prémélangé un avantage indu quant aux coûts de production. Revenu Canada a rejeté la plainte de la demanderesse par lettre datée du 6 juin 1988. La demanderesse a continué à payer la taxe de vente fédérale sur le prix de vente total du béton, incluant la partie imputable aux coûts du transport.

Le 25 septembre 1990, statuant sur un appel interjeté par Pick-a-Mix Concrete Limited, le Tribunal canadien du commerce extérieur (T.C.C.E.) a statué que la taxe de vente sur le béton mélangé sur le chantier devait être calculée après déduction des coûts du transport : Pick-a-Mix Concrete Ltd. c. M.R.N. (1990), 3 TCT 2347.

Le 22 mars 1991, probablement en raison de la décision Pick-a-Mix, la demanderesse a déposé dans la forme prescrite, auprès de Revenu Canada, une demande de remboursement de la taxe de vente payée pour la période du 1er août 1985 au 31 décembre 1990. La somme réclamée s’élevait à 46 092,08 $. Le 11 juin 1991, le ministre a accordé, dans un avis de décision, un remboursement de 20 342,31 $ pour la taxe de vente payée sur les coûts du transport pour la période du 25 septembre 1988 (soit deux ans avant la décision Pick-a-Mix) au 31 décembre 1990. Le ministre n’a pas accordé de remboursement pour la période antérieure au 25 septembre 1988, parce que cette période était [traduction] « au-delà du délai de deux ans prévu par l’article 68 (antérieurement l’article 44) de la » Loi sur la taxe d’accise.

Question en litige

La question en litige en l’espèce consiste à savoir si la demanderesse a droit à un remboursement pour la période antérieure au 25 septembre 1988.

Analyse

L’article 68 de la Loi sur la taxe d’accise prévoit que :

68. Lorsqu’une personne, sauf à la suite d’une cotisation, a versé des sommes d’argent par erreur de fait ou de droit ou autrement, et qu’il a été tenu compte des sommes d’argent à titre de taxes, de pénalités, d’intérêts ou d’autres sommes en vertu de la présente loi, un montant égal à celui de ces sommes doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payé à cette personne, si elle en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement de ces sommes.

À première vue, l’article 68 fixe à deux ans la période de prescription pour le remboursement de la taxe d’accise payée par erreur[1].

Dans la décision 474245 Ontario Ltd. c. M.R.N. (1993), 1 GTC 4086 (T.C.C.E.), qui portait sur des faits semblables à ceux de l’espèce, l’appelante demandait le remboursement pour une période remontant à plus de deux ans avant le dépôt de sa demande de remboursement. Le T.C.C.E. a rejeté l’appel dans les termes suivants, à la page 4088 :

Le délai prévu à l’article 68 de la Loi est de deux ans après le paiement des sommes. Comme le Tribunal n’a pas juridiction d’équité pour ignorer ou modifier un délai comme celui prescrit à l’article 68 de la Loi pour le motif que ce serait juste ou équitable, la période à considérer dans la détermination du droit de l’appelant à un remboursement doit être de deux ans avant la présentation de la demande de remboursement en la forme prescrite, soit la période allant du 6 mars 1989 au 6 mars 1991. L’appelant n’a donc pas droit à un remboursement des sommes payées avant le 6 mars 1989, et l’appel est rejeté.

La demanderesse allègue que la décision 474245 Ontario Ltd. est erronée parce que le T.C.C.E. n’a pas tenu compte de la jurisprudence pertinente.

L’avocat de la demanderesse avance que puisque cette dernière a payé sous réserve, à la suite de sa lettre du 26 mai 1988, elle n’a pas payé par suite d’une erreur, et que, par conséquent, le délai de prescription de l’article 68 ne peut pas lui être opposé. Il appuie cette affirmation sur l’arrêt Queen, The v. Premier Mouton Products Inc., [1961] R.C.S. 361, qui, comme il l’a fait remarquer, n’a pas été pris en considération dans la décision 474245 Ontario Ltd. Dans l’arrêt Premier Mouton, le contribuable a payé la taxe d’accise sur le « mouton doré » produit de 1950 à 1952. Le « mouton doré » était fabriqué à partir de peaux de mouton. La taxe était exigée en vertu d’une disposition qui se rapportait à la fourrure. Dans une autre affaire, tranchée en juin 1956, la Cour suprême du Canada avait statué que la peau de mouton ne pouvait pas être qualifiée de fourrure et que, par conséquent, elle n’était assujettie à aucune taxe d’accise. En octobre 1957, Premier Mouton Products Inc. a engagé des procédures afin de se faire rembourser les sommes d’argent qu’elle avait versées au titre de la taxe d’accise. L’affaire a été plaidée devant la Cour suprême du Canada en 1960, qui a rendu son arrêt en 1961.

Au moment où l’arrêt Premier Mouton a été rendu, la disposition alors en vigueur, qui a été ultérieurement remplacée par l’article 68, était le paragraphe 46(6) de la Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1952, ch. 100 :

46. …

(6) Si quelqu’un, par erreur de droit ou de fait, a payé ou a payé en trop à Sa Majesté des deniers dont il a été tenu compte à titre de taxes imposées par la présente loi, ces deniers ne doivent pas être remboursés à moins que demande n’ait été faite par écrit dans les deux ans qui suivent le paiement ou le paiement en trop de ces deniers.

La question en litige était de savoir si le délai de deux ans fixé par le paragraphe 46(6) était applicable. Dans un arrêt rendu à majorité, la Cour suprême du Canada a statué qu’il ne s’appliquait pas. Elle a jugé que Premier Mouton Products Inc. n’avait pas mal interprété la loi, et que les véritables raisons de la compagnie pour avoir payé étaient que ses dirigeants avaient été intimidés et menacés par les représentants du Ministère et qu’ils avaient craint que leur commerce ne soit fermé. Par conséquent, la Cour a jugé inapplicable le délai de deux ans pour demander le remboursement de la taxe d’accise en vertu du paragraphe 46(6) de la Loi sur la taxe d’accise.

L’avocat de la demanderesse allègue que l’arrêt Premier Mouton s’applique en l’espèce; il admet par ailleurs que le libellé de l’article 68 est plus large que celui de son prédécesseur, le paragraphe 46(6). Les mots « ou autrement » ont été ajoutés dans l’article 68, de sorte que les fautes* visées par cet article sont celles commises par « erreur de fait ou de droit ou autrement ». Toutefois, l’avocat de la demanderesse affirme que les mots « ou autrement » qualifient le mot « erreur ». Il dit qu’aucune erreur quelle qu’elle soit n’a été commise en l’espèce, parce que la demanderesse s’est opposée au paiement de la taxe, si bien que l’adjonction des mots « ou autrement » n’a aucune incidence.

La défenderesse soutient que les mots « ou autrement » ne font pas que qualifier le mot « erreur », mais qu’ils ont été ajoutés pour rendre l’article 68 applicable à toute demande de remboursement, quelle qu’ait été la raison pour laquelle le contribuable a versé les sommes d’argent.

J’admets avoir certains doutes quant à l’effet de l’adjonction des mots « ou autrement » dans l’article 68. Pour autant que je sache, en contexte juridique, l’erreur est soit erreur de droit, soit erreur de fait. À mon avis, lorsque le législateur a utilisé les mots « par erreur de fait ou de droit » dans l’article 68, il a dû s’inspirer des principes de droit généraux en matière d’erreur tels qu’entendus par les juristes. Il semble que le législateur ait ajouté les mots « ou autrement » pour s’assurer que le délai prévu par l’article 68 s’applique même aux cas où les sommes d’argent ont été payées pour une autre raison que l’erreur de fait ou l’erreur de droit. Toutefois, dans la version anglaise, les mots « or otherwise » paraissent modifier le mot « mistake », ou au moins le mot « error ». Dans l’un et l’autre cas, j’ai du mal à concevoir quel type de faute ou d’erreur le législateur envisageait lorsqu’il a ajouté ces mots. S’il voulait que l’article 68 s’applique quelles que soient les raisons du paiement, je ne crois pas qu’il ait atteint son but par l’adjonction des mots « or otherwise » pour modifier les mots « mistake » ou « error » dans la version anglaise. À mon avis, l’adjonction de ces mots rend encore plus ambiguë la notion déjà difficile de l’erreur telle qu’appliquée dans le contexte de l’article 68. Le législateur serait justifié de reconsidérer la formulation de cette disposition. De toute façon, je ne crois pas que l’adjonction des mots « ou autrement » permette de distinguer l’espèce de l’arrêt Premier Mouton.

Au regard de l’arrêt Premier Mouton, la question est de savoir si la demanderesse a payé les sommes d’argent en cause par erreur de droit, compte tenu de sa lettre de protestation et de son obligation de payer la taxe de vente fédérale en vertu de la Loi sur la taxe d’accise. J’ai conclu que la lettre de protestation de la demanderesse a une portée juridique limitée et que la demanderesse n’a pas payé la taxe de vente en raison d’une contrainte ou d’une coercition qui aurait été exercée sur elle. Par conséquent, la demanderesse a payé par erreur de droit, et le délai de deux ans prévu par l’article 68 s’applique.

Je voudrais d’abord faire remarquer que même s’il faut accorder certains effets juridiques à une lettre de protestation, ces effets ne peuvent aider la demanderesse à démontrer que le paiement n’a pas été fait par erreur de droit en l’espèce. La demanderesse affirme dans sa lettre de protestation :

[traduction] La présente constitue une protestation contre la partie de la taxe d’accise que nous payons sur le transport, pour la livraison de notre produit.

Cette taxe est injuste parce que nos compétiteurs dans le domaine du béton prémélangé sont exemptés de cette partie de la taxe, ce qui leur donne un avantage indû quant à leurs coûts de production.

Ce qu’il faut remarquer, c’est que la demanderesse ne conteste pas la légalité de la taxe exigée sur les coûts du transport. Son argument est plutôt que la [traduction] « taxe est injuste » parce qu’elle la place dans une situation désavantageuse par rapport à ses compétiteurs qui [traduction] « sont exemptés de cette partie de la taxe ». Elle fait valoir en substance que tous les compétiteurs devraient être traités de la même façon, et non que la taxe est illégale. Cela étant, sa lettre de protestation n’est d’aucun secours à la demanderesse quant à son argument que le paiement de la taxe d’accise n’a pas été fait par erreur de droit.

De toute façon, comme je l’ai dit, une lettre de protestation a généralement peu d’incidence juridique lorsqu’il s’agit de déterminer si une taxe a été payée par erreur de droit. La question pertinente est plutôt de savoir si la taxe a été payée volontairement. Dans l’arrêt Premier Mouton, la coercition était le principal facteur pris en considération pour déterminer si la taxe avait été payée volontairement. On n’a accordé que peu d’importance à la protestation. Ce sont les motifs du juge Taschereau qui semblent les plus clairs sur ce point. À la page 369, il affirme que :

[traduction] … le simple fait que le paiement ait été fait « sous réserve » n’est pas concluant mais, si l’on examine toutes les circonstances de l’affaire, il en découle que l’intimée avait clairement l’intention de conserver son droit de se faire rembourser la somme qu’elle avait payée.

Paraphrasant lord Reading dans l’arrêt célèbre Maskell v. Horner, [1915] 3 K.B. 106 (C.A.), le juge Taschereau affirme [à la page 369] :

[traduction] … je suis convaincu que les paiements n’avaient pas été faits dans le but de se libérer d’une obligation juridique ou pour régler définitivement une demande contestée. La pression qui a été exercée est suffisante, je pense, pour faire en sorte que la volonté des dirigeants de l’intimée ne puisse s’exprimer librement, ce qui a pour résultat que le soi-disant consentement à payer la taxe n’a aucune valeur juridique et peut être écarté. Le paiement n’a pas été fait volontairement et dans le but de conclure la transaction… le paiement a été fait dans le but de se soustraire à la menace, et non avec l’intention d’abandonner un droit, mais avec l’intention de conserver le droit de contester la légalité de la demande. Les menaces et les paiements faits sous réserve appuient cette prétention de l’intimée.

Le juge Fauteux [tel était alors son titre] a souscrit à la conclusion du juge Taschereau. Comme lui, il a mis l’accent sur le caractère volontaire du paiement de la taxe et non sur la protestation. Dans l’arrêt Bain v. Corporation of Montreal (1883), 8 R.C.S. 252, auquel s’est reporté le juge Fauteux [à la page 374], il a été statué que :

[traduction] … une protestation n’est d’aucune utilité si le paiement ou l’exécution de l’obligation est par ailleurs volontaire.

Par conséquent, l’arrêt Premier Mouton donne à entendre que c’est le caractère volontaire du paiement de la taxe, et non la protestation, qui compte aux fins de déterminer si le paiement a été fait par erreur de droit.

Dans un article que j’ai trouvé utile, intitulé « The Recovery of Unconstitutional Taxes in Australia and in the United States » (1964), 42 Tex. L. Rev. 779 (auquel le juge La Forest fait référence dans l’arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, à la page 1210), Clifford L. Pannam souscrit à ce point de vue, à la page 786 :

[traduction] Par conséquent, le simple fait que l’on ait protesté au moment du paiement est sans incidence. La protestation la plus véhémente ne fera pas qu’un paiement est involontaire s’il existe effectivement un choix de payer ou non. Par contre, s’il n’y a aucun choix, l’existence d’une protestation est sans pertinence. Dans les cas ambigus, toutefois, la protestation peut aider à faire la preuve qu’il y a eu contrainte. [Notes de bas de page omises.]

Pannam explique à la page 784 l’importance de déterminer si le paiement de la taxe a été fait volontairement :

[traduction] En plus des exceptions qui ont été établies, la formulation même de la règle de l’erreur de droit pose une limite importante à son application. La règle ne s’applique que s’il y a eu paiement volontaire, de sorte que s’il se trouve que le paiement a été fait involontairement, ou sous la contrainte, alors les sommes versées peuvent être recouvrées au moyen d’une action en répétition de l’indu. La distinction entre un paiement volontaire et un paiement involontaire prend donc une importance cruciale. Elle détermine pour chaque cas considéré s’il y aura recouvrement ou non. Ceci explique pourquoi presque toutes les décisions judiciaires publiées aux États-Unis et en Australie se rapportant à la question du recouvrement de taxes payées en vertu d’une loi invalide sont entièrement centrées sur la question de savoir si le paiement en question a été fait sous la contrainte ou non. Les tribunaux canadiens ont la même façon d’aborder cette question. Le caractère du paiement est considéré comme déterminant quant à savoir s’il est recouvrable. [Notes de bas de page omises.]

L’une des premières déclarations sur le caractère volontaire des paiements de taxe est celle du juge Macdonald, J.C.A. dans l’arrêt Vancouver Growers Ltd. v. G. H. Snow Ltd. (1937), 52 B.C.R. 32 (C.A.). De façon générale, il était d’avis que le fait qu’une loi oblige au respect de ses dispositions et impose des pénalités, ou que les représentants du gouvernement sont dans une situation de supériorité par rapport au contribuable individuel, ne renverse pas la présomption que tous les citoyens s’acquittent volontairement des obligations pécuniaires imposées par la loi. Aux pages 37 et 38, il affirme :

[traduction] Si les paiements faits conformément à une loi qui a été déclarée invalide doivent être qualifiés d’involontaires parce qu’il faut supposer que les payeurs n’étaient pas à égalité avec les autorités prétendant agir en vertu de la loi, il pourrait être difficile de trouver des représentants disposés à assumer les risques inhérents. Une déclaration d’invalidité peut survenir après des années de fonctionnement, et de grosses sommes pourraient devenir recouvrables s’il suffisait de montrer, dans son sens littéral, que « les paiements ont été faits dans des circonstances qui ne laissaient au payeur aucun choix » ou que « le demandeur n’avait réellement pas le choix et que les parties [ … ] ne traitaient pas à égalité ». Toute loi, que ses fins soient fiscales ou autres, qu’elle soit valide de fait, ou tenue pour telle pour le moment, oblige au respect de ses dispositions au risque pour le contrevenant d’encourir les peines prévues. Le payeur n’a aucun choix et les autorités qui exigent le paiement sont dans une position de supériorité. Il ne s’ensuit pas, cependant, que tous ceux qui se conforment le font sous la contrainte, sauf dans le sens que toute loi impose des obligations et que les parties, au sens le plus pur, ne sont pas « à égalité ». Il faut présumer que tous les citoyens s’acquittent volontairement des obligations pécuniaires ou autres que la loi leur impose.

Sur la question du caractère volontaire des paiements, Pannam affirme aux pages 785 et suivantes :

1) Chaque affaire doit être jugée à partir de ses propres faits.

2) De façon générale, un paiement volontaire n’est pas nécessairement un paiement que le payeur désire faire.

3) Le paiement sera volontaire s’il peut seulement être exigé au moyen de procédures judiciaires dans lesquelles la validité de la taxe peut être mise en question.

4) Pour que le paiement soit qualifié d’involontaire, il faut qu’il y ait utilisation ou menace d’utilisation de moyens contre lesquels le payeur ne peut se prémunir qu’en payant la somme exigée.

5) Le caractère involontaire du paiement est lié à des sanctions extrajudiciaires telles que la saisie des biens, la coercition personnelle, le déni du droit de continuer les activités commerciales (ce sont les facteurs retenus dans l’arrêt Premier Mouton).

6) L’existence de sanctions extrajudiciaires est en elle-même insuffisante pour rendre un paiement de taxe involontaire, en l’absence d’une intention de la part de l’autorité gouvernementale d’appliquer ces sanctions[2].

Pannam conclut, aux pages 788 et 789 :

[traduction] Si les taxes sont payées sans délai en présumant valide la loi qui en exige le paiement, elles ne peuvent pas être recouvrées s’il s’avère que cette loi est invalide. Une erreur de droit a été commise et les sommes versées erronément ne peuvent pas être recouvrées. Même dans le cas où des doutes sont ressentis au sujet de la validité de la loi fiscale, on ne peut recouvrer les sommes payées à moins de pouvoir faire judiciairement la preuve de la coercition, du caractère involontaire ou de la contrainte viciant leur paiement.

Je pense que l’analyse de Pannam est conforme aux conclusions de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Premier Mouton. Elle est, à ma connaissance, l’explication la plus complète en ce qui concerne la protestation et l’erreur de droit dans le contexte de l’obligation de payer une taxe, et je la trouve convaincante.

En l’espèce, même si l’on supposait que la demanderesse entretenait certains doutes quant à son obligation de payer la taxe (et j’ai déjà dit pourquoi cela ne me semble pas le cas), sa lettre de protestation est tout au plus la preuve qu’elle ne voulait pas payer la taxe. Mais la vraie question est de savoir si la demanderesse avait le choix de payer ou non la taxe. L’a-t-elle payée volontairement ou en raison de l’utilisation de moyens de coercition? Si la demanderesse avait le choix, le paiement des sommes en question ont résulté d’une erreur de droit.

Pour pouvoir arriver à une conclusion sur cette question, il faut déterminer si la perception de la taxe ne pouvait être effectuée que par des procédures judiciaires ou si, comme dans l’affaire Premier Mouton, les autorités gouvernementales auraient pu prendre et avaient l’intention de prendre des sanctions extrajudiciaires contre la demanderesse, rendant ainsi le paiement involontaire. Je suis arrivé à la conclusion que, au 1er mai 1986, seuls des moyens d’exécution judiciaires pouvaient être pris. Avant le 1er mai 1986, des moyens d’exécution extrajudiciaires auraient peut-être pu être pris, mais aucune preuve n’a été déposée quant à l’intention du ministre à cet égard. Le paiement de la taxe par la demanderesse, tant avant qu’après le 1er mai 1986, ne peut être caractérisé d’involontaire.

L’article 53 de la Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13, modifié[3], édictait :

53. (1) Le Ministre peut certifier qu’une taxe, une amende, des intérêts ou une autre somme payables en vertu de la présente loi n’ont pas été payés selon les prescriptions de la présente loi.

(2) Sur production à la Cour fédérale, un certificat établi aux termes du présent article est enregistré auprès de cette Cour et possède, à compter de cet enregistrement, la même vigueur et le même effet, et toutes procédures peuvent être intentées sur la foi de ce certificat, comme s’il était un jugement obtenu devant cette Cour pour une dette au montant spécifié dans le certificat.

Après que le ministre a certifié que la taxe payable n’a pas été payée selon les prescriptions de la loi, la saisie-arrêt ou d’autres moyens d’effectuer la perception peuvent être pris. Bien qu’il ne fasse aucun doute que les moyens pris en vertu de la Loi sur Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 et de son Règlement [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] pour obtenir le paiement de la taxe sont clairement des moyens de nature judiciaire, ils découlent de ce qui peut sembler, en l’absence d’autres éléments, n’être que le jugement unilatéral du ministre que les taxes sont dues. Toutefois, l’article 53.3 de la Loi sur la taxe d’accise, qui est entré en vigueur le 1er mai 1986[4] interdit aux représentants du gouvernement de prendre des moyens de perception tant que le contribuable cherche à faire respecter certains droits précis en s’adressant aux divers paliers administratifs et aux cours ayant compétence en la matière. Selon le paragraphe 53.3(4), le ministre ne peut pas établir un certificat en vertu de l’article 53 dans les quatre-vingt dix jours qui suivent l’envoi d’un avis de cotisation au contribuable. Les paragraphes (5) et (6) prescrivent que, si le contribuable dépose un avis d’opposition dans le délai prévu, le ministre ne peut pas prendre de moyens de perception avant qu’il n’ait été statué sur l’avis d’opposition et les appels qui peuvent en découler.

Selon moi, les dispositions de l’article 53.3 établissent un processus judiciaire par lequel le contribuable peut, s’il engage les procédures prévues, contester l’obligation de payer la taxe en question. Le ministre ne peut pas imposer des sanctions extrajudiciaires dans le but de percevoir les taxes pendant que la contestation du contribuable suit son cours. Il n’y a par conséquent aucun fondement à l’allégation suivant laquelle le paiement des taxes aurait été fait sous la contrainte ou la coercition à partir du 1er mai 1986.

Dans la mesure où il pourrait être soutenu que, entre le 1er août 1985 et le 30 avril 1986, la défenderesse aurait pu exiger le paiement par des moyens extrajudiciaires, pareil argument ne serait d’aucune utilité à la demanderesse parce qu’il n’y a aucune preuve que pendant cette période la défenderesse a tenté de prendre des sanctions extrajudiciaires. Comme l’a affirmé Pannam, la simple existence de sanctions extrajudiciaires n’est pas suffisante pour rendre un paiement de taxe involontaire, en l’absence de la preuve de l’intention de prendre de telles sanctions.

Comme je suis arrivé à la conclusion que la demanderesse a payé volontairement, je suis d’avis que les taxes ont été payées par erreur de droit, aux termes de l’article 68.

L’avocat de la demanderesse a aussi invoqué la décision Monarch Concrete Products Ltd. c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 1 (C.F. 1re inst.) pour appuyer l’allégation que les demandes informelles de remboursement ont un effet continu. Si la lettre de protestation envoyée par la demanderesse le 26 mai 1988 pouvait être assimilée à la demande de remboursement envisagée par l’article 68, la question serait alors de savoir si elle a un effet continu, de manière à pouvoir être considérée comme protégeant le droit de la demanderesse à un remboursement pour la période de deux ans remontant jusqu’au 26 mai 1986.

Je ne crois pas qu’une demande informelle de remboursement puisse à elle seule avoir un effet continu. Le législateur a établi une procédure par laquelle, en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, les contribuables peuvent demander des remboursements. La première étape de cette procédure est de présenter une demande de remboursement au moyen de la formule prescrite, conformément au paragraphe 72(2) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34]. Cette formule existe probablement pour répondre au besoin de Revenu Canada d’obtenir des renseignements précis afin d’être en mesure de vérifier la validité et le montant du remboursement demandé. Le ministre délivre ensuite un avis de détermination conformément au paragraphe 72(6) [mod., idem]. Le contribuable peut ensuite déposer un avis d’opposition conformément à l’article 81.17 [édicté, idem, art. 38]. Par la suite, le ministre délivre un avis de décision en vertu du paragraphe 81.17(5). Aux termes des articles 81.19 [édicté, idem; L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 47, art. 52] et 81.2 [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52], le contribuable peut en appeler d’un avis de décision défavorable auprès du T.C.C.E. ou de la Cour fédérale. C’est ce qu’a fait Pick-a-Mix Concrete Limited, qui a interjeté appel devant le T.C.C.E., suivant toute la procédure prescrite à partir du dépôt de l’avis d’opposition.

Une fois qu’une personne a déposé la demande envisagée par l’article 68, le ministre doit la prendre en considération et l’accepter ou la refuser en tout ou en partie; voir le paragraphe 72(6). Dans le cas où le ministre omet de prendre une décision, le requérant peut vraisemblablement l’y forcer au moyen d’une procédure de mandamus. Dans le cas où le ministre accepte la demande, l’affaire apparaît réglée. Toutefois, dans le cas d’un rejet, le requérant peut engager les procédures d’examen et d’appel auxquelles j’ai fait référence précédemment.

Je ne crois pas qu’un requérant puisse simplement présenter une demande informelle, recevoir une réponse défavorable, découvrir, quelques années plus tard, que la même question a reçu dans une autre affaire une réponse favorable, et alors réclamer un remboursement des taxes payées à partir d’un moment remontant à deux ans avant sa demande informelle originale. Si tel est le sens de la décision Monarch, j’exprime respectueusement mon désaccord.

Il était loisible à la demanderesse de suivre la procédure prévue dans la Loi sur la taxe d’accise. Elle n’a cependant fait qu’envoyer une lettre de protestation le 26 mai 1988. Si, au lieu d’envoyer cette lettre, la demanderesse avait déposé une demande de remboursement au moyen de la formule prescrite et avait suivi les procédures d’examen et d’appel prévues par la loi, elle aurait probablement pu obtenir un remboursement remontant, sinon au 1er août 1985, au moins au 1er mai 1986. Le remboursement à partir du 26 mai 1986 dépendait d’une réponse favorable à une demande de remboursement présentée dans les formes. En d’autres termes, si Riverside avait présenté sa demande de remboursement le 26 mai 1988, avait suivi les procédures d’examen et d’appel et, comme Pick-a-Mix, avait reçu une décision favorable du T.C.C.E., elle aurait obtenu un remboursement de la taxe qu’elle avait payée remontant jusqu’à deux ans avant le dépôt de sa demande de remboursement.

Bref, la demanderesse a choisi de ne pas suivre les procédures prescrites par la loi. Je ne crois pas que, s’appuyant sur une lettre informelle de protestation, elle puisse maintenant, en l’absence de coercition, alléguer que l’article 68 est inopérant.

Bien que la conclusion selon laquelle la période de prescription prévue par l’article 68 s’applique à la demanderesse puisse sembler sévère, il faut se rappeler que les délais de prescription sont bien connus en droit et que, lorsque les lois établissent des procédures et des délais, il faut s’y conformer. Bien sûr, dans certaines circonstances, la loi accorde à la cour ou au tribunal le pouvoir discrétionnaire de prolonger ces délais. Et, dans certains cas exceptionnels comme Premier Mouton, d’autres raisons peuvent expliquer pourquoi un délai de prescription n’est pas applicable. Mais il n’en est rien en l’espèce.

L’avocat de la demanderesse allègue qu’une loi fiscale doit toujours recevoir une interprétation stricte à l’égard du fisc, et que, pour dégager le gouvernement de l’obligation de verser le remboursement qui serait dû si ce n’était du délai de prescription, la loi doit comporter des dispositions très claires d’exonération. Toutefois, depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, il semble que les lois fiscales doivent recevoir une interprétation en contexte qui tienne compte tant du but poursuivi que de l’ensemble du régime établi. Voir Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (Toronto, Butterworths, 1994), à la page 406. Bien que le contribuable jouisse encore d’une présomption favorable, cette dernière doit être examinée en tenant compte du but poursuivi par la disposition fiscale. Voir Driedger, à la page 408.

Compte tenu de ces règles d’interprétation des lois fiscales, et compte tenu du régime légal s’appliquant aux remboursements établi par la Loi sur la taxe d’accise, je suis convaincu que l’article 68 édicte un délai de prescription de deux ans qui est applicable en l’espèce. Si ce n’était pas le cas, tout contribuable qui enverrait une lettre de protestation, si dénuée de fondement que cette lettre puisse être, pourrait empêcher le temps de prescription de courir. Ce n’est pas une interprétation raisonnable de l’article 68. Sur le plan des principes, on pourrait prétendre que le gouvernement ne devrait pas pouvoir refuser, en invoquant la prescription, un remboursement de taxes payées par erreur, ou que le délai de prescription devrait être plus long. Mais c’est là une question qui relève du législateur, non de la Cour.

La demanderesse a inutilement payé la taxe de vente (selon la décision Pick-a-Mix) sur les coûts du transport dans son prix de vente du béton. Non seulement a-t-elle payé une taxe qu’elle n’avait pas à payer, mais parce que ses compétiteurs du domaine du béton prémélangé n’avaient pas eu à payer la taxe de vente sur les coûts du transport, elle a été désavantagée sur le plan de la concurrence et a pu en conséquence perdre des ventes. Dans une affaire comme l’espèce, la Cour est très encline à interpréter la loi de manière à éviter un résultat inéquitable. Toutefois, la Cour est liée par la loi. La loi est édictée en vue d’une application générale, et il peut y avoir des cas où le résultat de son application puisse être âpre. C’est le cas en l’espèce. Pendant l’argumentation, j’ai discuté de divers autres points de vue avec les avocats des parties, mais je n’en ai pu trouver qui puisse emporter un jugement favorable pour la demanderesse.

Avec regret, je dois rejeter l’action. Je ne ferai aucune adjudication des dépens.



[1] En l’espèce, la période de deux ans précédant le dépôt de la demande de la demanderesse a commencé le 22 mars 1989. L’avocat du ministre a précisé que le ministre avait accordé à titre gracieux le remboursement pour la période débutant le 25 septembre 1988, soit deux ans avant que le T.C.C.E. rende sa décision dans l’affaire Pick-a-Mix.

* N.D.T. : Alors que la version anglaise de l’art. 68 utilise les mots « error » et « mistake », la version française n’utilise que le mot « erreur ». Étant donné qu’une partie de la discussion de la présente décision porte sur ces termes, les mots « error », « mistake » de même que « or otherwise » ont été repris tels quels dans le texte français lorsque leur traduction pouvait entraîner une obscurité.

[2] Pannam affirme, aux p. 785 à 788 :

[traduction] Il découle de la nature même de la question que chaque cas doit être jugé à partir de ses propres faits. Toutefois, certaines règles générales peuvent être énoncées avec une certaine confiance. Premièrement, l’expression « paiement volontaire » ne désigne pas nécessairement un paiement que le payeur désire faire. Comme l’a dit un juge australien : « Pour bien des gens, leurs paiements ne sont jamais volontaires en ce sens! ». Un paiement est clairement volontaire, même si le payeur souhaiterait ne pas avoir à le faire, lorsque ce paiement est fait en vertu du libre exercice de sa volonté de se débarrasser d’une obligation pécuniaire. La question cruciale est celle de savoir s’il a le choix entre payer et ne pas payer. Ou, pour exprimer cela par une tournure négative, avant qu’un paiement ne soit qualifié d’involontaire, il doit y avoir utilisation ou menace d’utilisation de moyens, qui sont à la disposition de la partie exigeant le paiement, contre la personne ou les biens du payeur, et auxquels ce dernier ne peut dans l’immédiat se soustraire autrement qu’en payant la somme demandée…

Il semble assez bien établi tant en Australie qu’aux États-Unis que le paiement de taxes sera toujours considéré comme volontaire s’il ne peut être exigé qu’au moyen de procédures judiciaires dans lesquelles la validité de la taxe ou la constitutionnalité de la loi fiscale peut être contestée. Si, par contre, le non-paiement doit entraîner des sanctions extrajudiciaires telles que la saisie des biens, la coercition personnelle, le déni du droit de commencer ou de poursuivre des activités commerciales, alors le caractère du paiement change. On a déjà pensé qu’il n’en était ainsi que s’il était fortement probable que ces sanctions seraient appliquées immédiatement. Dernièrement, toutefois, cette exigence a été atténuée … Il ne semble pas, cependant, que la simple existence de sanctions extrajudiciaires prévues par une loi fiscale, sans la preuve que les autorités entendent les appliquer, rende le paiement involontaire.

Le fait que le paiement des taxes soit exigé par des représentants du gouvernement investis de grands pouvoirs d’exécution et que ces taxes leur soient payées, peut sembler, en soi, constituer une contrainte. Le citoyen et le représentant revêtu de l’autorité de l’État ne sont tout simplement pas à égalité. À partir de cette constatation, on pourrait prétendre que les paiements faits aux représentants du gouvernement ne peuvent jamais être volontaires, ou, subsidiairement, qu’il faut beaucoup moins de preuve pour établir la contrainte exercée par eux qu’il n’en faut pour prouver celle que pourrait exercer un particulier. Le premier argument n’a jamais été vu comme juridiquement valable … Le deuxième, en ce qu’il porte à penser qu’il existe des critères différents pour apprécier le caractère volontaire des paiements faits, selon qu’il s’agit de paiements aux représentants du gouvernement ou à des particuliers, n’a pas une bien large assise juridique. Il a cependant été accepté dans la mesure où il porte à penser que le même critère puisse permettre d’arriver à des conclusions différentes selon qu’il s’agit d’un particulier ou d’un représentant du gouvernement. Le représentant du gouvernement a de bien plus grands moyens d’exécution à sa disposition, et ce facteur est très important dans tout examen portant sur le caractère volontaire d’un paiement. Il n’y a cependant aucun doute qu’un paiement fait à ce représentant du gouvernement puisse être volontaire. Le fait qu’il s’agisse d’un représentant du gouvernement qui puisse détenir certains pouvoirs n’est qu’un des éléments qui doivent être pris en considération.

En dehors de ces règles générales, le droit relatif aux paiements volontaires se ramifie dans les détails de chaque espèce et des moyens de contrainte que l’on allègue avoir été pris. Ce sont là toutefois les règles que les cours australiennes et américaines ont suivies pour résoudre les litiges portant sur le recouvrement de taxes invalides. Ce ne sont pas des règles très généreuses pour le contribuable. [Notes de bas de page omises]

[3] L’art. 53 est modifié par L.C. 1986, ch. 9, art. 40, qui était entré en vigueur le 1er mai 1986. Cette disposition se trouve maintenant à L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 83 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 41]. Du 1er août 1985 au 30 avril 1986, la disposition relative à la certification était l’art. 52(4) [mod. par S.C. 1986, ch. 9, art. 58], qui était entré en vigueur le 1er juin 1985 et était rédigé de la façon suivante :

52. …

(4) Tout montant payable au titre des taxes, amendes et intérêts prévus à la présente loi, à l’exception de la Partie I, resté impayé en totalité ou en partie quinze jours après la date de la mise à la poste, par lettre recommandée ou certifiée, d’un avis d’arriérés adressé au transporteur aérien titulaire d’un permis, au contribuable ou à la personne titulaire d’une licence aux fins de la Partie II.1, selon le cas, peut être certifié par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l’accise et, sur production à la Cour fédérale ou à un de ses juges ou au fonctionnaire que la Cour ou un juge de cette Cour peut désigner, le certificat est enregistré auprès de cette Cour et possède, à compter de la date de cet enregistrement, la même vigueur et le même effet, et toutes procédures peuvent être intentées sur la foi de ce certificat, comme s’il était un jugement obtenu devant cette Cour pour le recouvrement d’une dette au montant spécifié dans le certificat, y compris les amendes et les intérêts jusqu’à la date du paiement prévu dans la présente loi, et inscrits à la date de cet enregistrement, et tous les frais et dépenses raisonnables afférents à l’enregistrement de ce certificat sont recouvrables de la même manière que s’ils faisaient partie de ce jugement.

[4] L.C. 1986, ch. 9, art. 40, maintenant L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 86 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 41; (4e suppl.), ch. 47, art. 52] (qui est substantiellement la même disposition).

53.3 (1) Les paragraphes 52(3) et (5) et les articles 53 à 53.2 ne s’appliquent pas à l’égard de toute peine ou amende imposée conformément à une déclaration de culpabilité pour une infraction prévue à la présente loi.

(2) Le Ministre ne doit pas certifier, en vertu de l’article 53, qu’une somme n’a pas été payée, à moins que la personne par qui la somme est payable n’ait fait l’objet d’une cotisation pour cette somme sous le régime de la présente Partie.

(3) Le Ministre ne peut pas :

a) signifier un ordre en vertu de l’article 53.1 à l’égard d’une somme payable en application de la présente loi, ou

b) exiger, en vertu de l’article 53.2, la retenue d’un montant à l’égard d’une somme payable en application de la présente loi,

à moins que la personne par qui la somme est payable ait fait l’objet d’une cotisation pour cette somme sous le régime de la présente Partie ou qu’un jugement contre cette personne concernant le paiement de cette somme n’ait été rendu par un tribunal compétent.

(4) Lorsqu’une personne a fait l’objet d’une cotisation pour toute somme payable en application de la présente loi sauf en application des paragraphes 51.15(4) ou 51.38(1), le Ministre ne peut pas, aux fins de la perception de cette somme :

a) intenter des procédures judiciaires devant un tribunal,

b) établir un certificat en vertu de l’article 53,

c) signifier un avis en vertu de l’article 53.1, ou

d) exiger, en vertu de l’article 53.2, la retenue d’un montant,

avant quatre-vingt-dix jours suivant la date de l’envoi de l’avis de cotisation à cette personne.

(5) Lorsqu’une personne a signifié un avis d’opposition en vertu de l’article 51.15, sauf lorsqu’il s’agit de l’article 51.33, le Ministre ne peut pas, aux fins de la perception de la somme en litige, prendre une des actions visées aux alinéas (4)a) à d) avant quatre-vingt-dix jours suivant la date de l’envoi de l’avis de décision à cette personne.

(6) Lorsqu’une personne en a appelé à la Commission ou à la Division de première instance de la Cour fédérale en application de la présente Partie, sauf en application de l’article 51.33, à l’égard d’une cotisation, le Ministre ne peut pas, aux fins de la perception de la somme en litige, prendre une des actions visées aux alinéas (4)a) à d) :

a) lorsque l’appel est fait à la Commission, avant la date de l’envoi d’une copie de la décision de la Commission à cette personne ou de l’abandon de l’appel par cette personne; et

b) lorsque l’appel est fait à la Division de première instance de la Cour fédérale, avant la date du jugement de la Cour ou de l’abandon de l’appel par cette personne.

(7) Lorsqu’une personne est nommée dans un renvoi en vertu de l’article 51.36, consent à un renvoi en vertu de l’article 51.37 ou comparaît à titre de partie à l’audition d’un de ces renvois, le Ministre ne peut pas, aux fins de la perception d’une somme pour laquelle cette personne a fait l’objet d’une cotisation et dont la responsabilité du paiement sera touchée par la détermination de la question, prendre une des actions visées aux alinéas (4)a) à d) avant la date de la détermination de la question par la Cour.

(8) Par dérogation aux paragraphes (1) à (7), dans les cas où une personne a signifié un avis d’opposition en vertu de l’article 51.15 ou a appelé d’une cotisation à la Commission ou à la Division de première instance de la Cour fédérale en application de la présente Partie, à l’exclusion de l’article 51.33, et où la personne conclut un accord écrit avec le Ministre à l’effet de retarder les procédures d’opposition ou d’appel jusqu’à ce qu’une décision ou un jugement soit rendu dans une autre instance devant la Commission, la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada où la question en litige est la même, ou essentiellement la même que celle soulevée par l’opposition ou l’appel de cette personne, le Ministre peut prendre action conformément aux alinéas (4)a) à d) en vue de la perception d’une somme pour laquelle la personne a fait l’objet d’une cotisation établie conformément à la décision ou au jugement rendu par la Commission ou par une cour dans l’autre instance, après avoir notifié par écrit cette personne de cette décision ou de ce jugement.

(9) Les paragraphes (2) et (3) ne s’appliquent pas à un montant censé être une taxe par l’application des paragraphes 51.39(2) ou (3).

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