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[1995] 3 C.F. 3

A-489-94

Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec (requérant)

c.

Hydro-Québec, procureur général du Québec, procureur général du Nouveau-Brunswick (intimés)

et

Syndicat des employé-e-s de métier d’Hydro-Québec, Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, Syndicat des techniciennes d’Hydro-Québec (personnes intéressées)

et

Conseil canadien des relations du travail (Tribunal)

Répertorié : Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec c. Hydro-Québec (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen et Décary, J.C.A. et juge suppléant Chevalier—Montréal, 15 mai; Ottawa, 24 mai 1995.

Couronne — Prérogatives — Demande de contrôle judiciaire du refus par le Conseil canadien des relations du travail d’accréditer un syndicat pour défaut de compétence — Hydro-Québec, qui exploite une centrale nucléaire, se prévaut de l’immunité en sa qualité de société mandataire de la Couronne provinciale — Les tribunaux répugnent à éroder l’immunité de la Couronne — Ils n’ont pas été influencés par le vide juridique que l’attribution de l’immunité à la Couronne peut entraîner — Hydro-Québec n’est pas liée par le Code canadien du travail, ni de manière expresse, ni par déduction nécessaire — Aucune renonciation à l’immunité — Il n’y a pas perte de l’immunité du fait qu’Hydro-Québec s’est engagée dans une entreprise fédérale.

Relations du travail — Le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) a refusé d’accréditer un syndicat pour le motif qu’Hydro-Québec s’est prévalue de l’immunité de la Couronne — Le Code canadien des relations du travail était-il destiné à s’appliquer aux sociétés de la Couronne provinciale qui exploitent une centrale nucléaire? — Le Parlement n’a pas exprimé une intention claire d’appliquer la partie I du Code à Hydro-Québec — Aucun lien entre les activités d’Hydro- Québec à la centrale nucléaire et les dispositions de la partie I.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail a refusé d’accréditer le syndicat requérant pour défaut de compétence en raison de l’immunité dont se prévalait Hydro-Québec en sa qualité de société mandataire de la Couronne provinciale. Le syndicat requérant est une association qui représente tous les ingénieurs syndiqués d’Hydro-Québec, y compris ceux qui sont affectés à la centrale nucléaire de Gentilly II. À la suite d’un arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans lequel la Cour a conclu que les personnes qui travaillent dans le cadre d’établissements nucléaires sont assujetties à la compétence législative du Parlement du Canada et, plus particulièrement, au Code canadien du travail en ce qui concerne leurs rapports collectifs de travail, le requérant a présenté au Conseil une demande d’accréditation visant tous les ingénieurs travaillant à la centrale. C’est à l’encontre de cette demande d’accréditation qu’Hydro-Québec s’est prévalue, avec succès, de son immunité. La question est de savoir si le Parlement a voulu que le Code canadien du travail s’applique aux sociétés mandataires de la Couronne provinciale qui exploitent une centrale nucléaire et, dans la négative, si Hydro-Québec, par sa conduite, a renoncé à son immunité.

Arrêt : la demande doit être rejetée.

La disposition législative au cœur du débat est l’article 17 de la Loi d’interprétation, qui permet au Parlement de lier la Couronne fédérale aussi bien que la Couronne provinciale. La Couronne ne sera liée par une loi que si cette loi contient des termes exprès à cet effet, que s’il ressort de l’ensemble des dispositions de cette loi que le Parlement a eu l’intention claire de lier la Couronne, ou encore que si l’objet de cette loi serait privé de toute efficacité ou donnerait lieu à une absurdité dans l’hypothèse où la Couronne n’était pas liée. On dira, dans le premier cas, qu’il y a perte d’immunité par disposition législative expresse et, dans les deuxième et troisième cas, qu’il y a perte d’immunité par déduction nécessaire. L’immunité de la Couronne est un privilège que les tribunaux ont pris soin de protéger sans être influencés par le vide juridique que l’attribution de l’immunité à la Couronne peut entraîner. En l’espèce, Hydro-Québec n’est pas liée par le Code canadien du travail, ni de manière expresse, ni par déduction nécessaire, ni en raison d’une intention claire de la lier. Les modifications apportées au Code canadien du travail en 1993, lors de l’adoption de la Loi sur les télécommunications, ont été ajoutées de manière à assujettir expressément les sociétés mandataires de la Couronne provinciale opérant dans le domaine des télécommunications à chacune des trois parties du Code canadien du travail. Il faut déduire de cet assujettissement exprès que les sociétés qui opèrent dans le domaine du contrôle nucléaire y échappent. Le Parlement n’ayant pas exprimé une intention claire d’appliquer les dispositions de la partie I du Code canadien du travail à Hydro-Québec, dans la mesure où elle exploite une centrale nucléaire, celle-ci jouit, par conséquent, de l’immunité de la Couronne.

La théorie de la renonciation à l’immunité se fonde sur la présomption que la Couronne, lorsqu’elle accepte de tirer avantage d’une loi, accepte implicitement d’en subir les inconvénients. Hydro-Québec n’a pas renoncé à son immunité en signant une convention collective avec les employés du secteur nucléaire et en obtenant de la Commission de contrôle de l’énergie atomique l’autorisation d’exploiter sa centrale nucléaire. Il n’existe pas de lien suffisamment étroit entre l’avantage que présente l’obtention, par Hydro-Québec, d’un permis d’exploitation, et l’obligation de se soumettre à la compétence du Conseil en ce qui a trait à la partie I du Code canadien du travail. Il n’y a pas de rapport entre les activités d’Hydro-Québec à sa centrale nucléaire de Gentilly II et les dispositions de la partie I du Code canadien du travail, et le simple exercice par Hydro-Québec de son pouvoir de s’engager dans une entreprise fédérale ne lui a pas fait perdre son immunité face au Conseil canadien des relations du travail. Il incombe au Parlement d’adopter des dispositions législatives de manière à combler le vide dans lequel se trouvent les membres du syndicat.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 2 (mod par L.C. 1990, ch. 44, art. 7), 5.1 (édicté par L.C. 1993, ch. 38, art. 88), 123(1)c) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 2; L.C. 1993, ch. 38, art. 89), 123.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 3), 167(1)e) (mod. par L.C. 1993, ch. 38, art. 90).

Code du travail, L.R.Q. 1977, ch. C-27.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 17.

Loi sur l’Hydro-Québec, L.R.Q. 1977, ch. H-5, art. 13.

Loi sur le contrôle de l’énergie atomique, L.R.C. (1985), ch. A-16, art. 18.

Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R-2.

Loi sur les syndicats professionnels, L.R.Q. 1977, ch. S-40.

Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, art. 88, 89, 90.

Règlement sur le contrôle de l’énergie atomique, C.R.C., ch. 365, art. 9 (mod. par DORS/78-58, art. 7, 8; DORS/90-191, art. 2).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS SUIVIES :

Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225; [1989] 5 W.W.R. 385; (1989), 26 C.P.R. (3d) 289; 98 N.R. 161; FIOE c. Alberta Government Telephones, [1989] 2 R.C.S. 318; [1989] 5 W.W.R. 455; (1989), 68 Alta. L.R. 71; 94 N.R. 264.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), [1993] 3 R.C.S. 327; (1993), 107 D.L.R. (4th) 457; 93 CLLC 14,061; 158 N.R. 161; 66 O.A.C. 241; [1993] O.L.R.B. Rep. 1071; Banque de Montréal c. Procureur général (Qué.), [1979] 1 R.C.S. 565; (1978), 96 D.L.R. (3d) 586; 25 N.R. 330; Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015; (1988), 55 D.L.R. (4th) 63; 41 B.L.R. 1; 89 N.R. 120; 20 Q.A.C. 174.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail a refusé d’accréditer le syndicat requérant en qualité de représentant des ingénieurs d’Hydro-Québec affectés à une centrale nucléaire. Demande rejetée.

AVOCATS :

Gary H. Waxman pour le requérant.

Jean Leduc pour l’intimée Hydro-Québec.

Alain Gingras pour l’intimé le procureur général du Québec.

C. Gabriel Bourgeois pour l’intimé le procureur général du Nouveau-Brunswick.

Richard Bertrand pour les personnes intéressées.

PROCUREURS :

Gary H. Waxman, Montréal, pour le requérant.

Loranger, Marcoux, Montréal, pour l’intimée Hydro-Québec.

Le sous-procureur général du Québec, Québec, pour l’intimé le procureur général du Québec.

Le sous-procureur général du Nouveau- Brunswick, Fredericton, pour l’intimé le procureur général du Nouveau-Brunswick.

Trudel, Nadeau, Lesage, Larivière et Associés, Montréal, pour les personnes intéressées.

Service du contentieux, Conseil canadien des relations du travail, Ottawa, pour le Conseil canadien des relations du travail.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Décary, J.C.A. : La question en litige est de savoir si le Conseil canadien des relations du travail (le Conseil) a compétence, selon la partie I du Code canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2], pour accréditer le Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec (le requérant) à titre de représentant des ingénieurs d’Hydro-Québec qui travaillent à la centrale nucléaire de Gentilly II. Le Conseil s’est dit d’avis qu’en raison de l’immunité dont pouvait se prévaloir Hydro-Québec en sa qualité de société mandataire de la Couronne provinciale, il n’avait pas compétence.

Le syndicat requérant est une association de salariés incorporée en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels[1]. Il représente depuis plus de vingt ans tous les ingénieurs syndiqués d’Hydro-Québec en vertu d’une accréditation provinciale statutaire accordée aux termes du paragraphe 21(6) du Code du travail du Québec[2] (le Code québécois). Il n’y a toujours eu entre les parties qu’une seule convention collective, renégociée périodiquement et applicable à l’ensemble des ingénieurs, y compris ceux qui sont affectés à la centrale nucléaire de Gentilly II. C’est ainsi que depuis la mise en service de cette centrale nucléaire, les conditions de travail des ingénieurs qui y sont affectés ont été régies par les conventions collectives intervenues entre Hydro-Québec et le requérant.

Le 4 octobre 1993, à la suite de l’arrêt rendu quelques jours plus tôt par la Cour suprême du Canada dans Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail[3]) (ci-après Ontario Hydro), et dans lequel la Cour avait conclu que les personnes qui travaillent dans le cadre d’établissements nucléaires sont assujetties à la compétence législative du Parlement du Canada et, plus particulièrement, au Code canadien du travail en ce qui concerne leurs rapports collectifs de travail[4], le requérant présentait au Conseil une demande d’accréditation visant tous les ingénieurs travaillant pour la Direction Gestion Nucléaire d’Hydro-Québec. C’est à l’encontre de cette demande d’accréditation qu’Hydro-Québec s’est prévalue, avec succès, de son immunité.

Le débat, en l’espèce, est plus restreint qu’il n’y paraît à prime abord. Il n’est pas question de partage de compétences ou de qualification constitutionnelle. Il est acquis que la compétence en cause, soit les rapports collectifs de travail au sein de la centrale nucléaire de Gentilly II, est celle du Parlement. Il est acquis qu’en ce qui a trait à ces relations de travail, le Code québécois ne trouve pas ou plus application. Il est acquis que ne serait-ce de l’immunité qu’invoque Hydro-Québec en sa qualité de société mandataire de la Couronne provinciale[5], le Code canadien du travail s’appliquerait d’office. Bref, ce qu’il reste à décider, c’est si le Parlement a voulu que le Code canadien du travail s’applique aux sociétés mandataires de la Couronne provinciale qui exploitent une centrale nucléaire et, dans la négative, si Hydro-Québec, par sa conduite, a renoncé à son immunité.

L’immunité de la Couronne

La disposition législative au cœur du débat est l’article 17 de la Loi d’interprétation[6] :

17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet sur ses droits et prérogatives.

Cette disposition permet au Parlement de lier la Couronne fédérale aussi bien que la Couronne provinciale (voir Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes[7]) (ci-après AGT)).

La Couronne ne sera liée par une loi que si cette loi contient des termes exprès à cet effet, que s’il ressort de l’ensemble des dispositions de cette loi que le Parlement a eu l’intention claire de lier la Couronne, ou encore que si l’objet de cette loi serait privé de toute efficacité ou donnerait lieu à une absurdité (par opposition à un simple résultat non souhaité) dans l’hypothèse où la Couronne n’était pas liée[8]. On dira, dans le premier cas, qu’il y a perte d’immunité par disposition législative expresse et, dans les deuxième et troisième cas, qu’il y a perte d’immunité par déduction nécessaire.

L’immunité de la Couronne est un privilège de celle-ci que les tribunaux ont pris grand soin de n’éroder que là où il n’y avait pas d’autre avenue. C’est même avec réticence que la Cour suprême a finalement accepté que la Couronne puisse se lier autrement qu’en termes exprès et encore là, s’est-elle empressée de souligner que[9] :

… toute exception par déduction nécessaire à la règle habituelle de l’immunité de la Couronne devrait être de portée très restreinte. Par conséquent, l’intention de lier la Couronne ne peut être déduite du seul fait que les dispositions d’une loi ne pourront être appliquées facilement ou efficacement si la Couronne n’est pas liée, ni du fait que si la Couronne n’est pas liée, la loi n’aura qu’une application limitée.

Le juge en chef ajoutera, dans FIOE c. Alberta Government Telephones[10] (ci-après FIOE) :

Comme cette Cour l’a décidé dans l’arrêt R. c. Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568, il n’est peut-être pas nécessaire de déclarer expressément que la Couronne est liée (bien qu’en matière de rédaction législative, cela ne laisserait plus place à aucun doute) dans les rares cas où l’on peut affirmer que « Sa Majesté » peut être « implicitement liée par un texte législatif si telle est l’interprétation que ce texte doit recevoir lorsqu’il est replacé dans son contexte » (à la p. 575, je souligne).

Les tribunaux ne seront pas influencés dans leur interprétation de la loi en cause par le vide juridique que l’attribution de l’immunité à la Couronne peut entraîner, à moins que cette attribution ne prive d’efficacité l’application de la loi dans son ensemble[11]. Dans FIOE[12] où la question en litige était la même que dans le cas présent, le juge en chef Dickson s’exprimait à cet égard comme suit :

La lacune créée par l’omission du Parlement de lier la Couronne provinciale dans le Code peut se révéler peu commode ou même peu souhaitable sur le plan pratique ou théorique, mais en attendant que le Parlement décide de combler le vide par une déclaration expresse qui réponde à cette préoccupation, le rôle des tribunaux judiciaires se limite à déterminer si la Loi serait privée de toute efficacité si la Couronne du chef d’une province était exclue des dispositions pertinentes de cette loi. Il faut rejeter toute idée que les fins de la partie V du Code seraient complètement déjouées si la Couronne provinciale n’était pas liée par celle-ci. La très grande majorité des employés d’entreprises fédérales continuerait d’être visée par la partie V du Code même si la Couronne du chef des provinces était soustraite à son application.

Hydro-Québec est-elle liée, en l’espèce, par le Code canadien du travail?

Elle ne l’est pas de manière expresse, cela est acquis. Elle ne l’est pas non plus, à la lumière des propos du juge en chef que je viens de citer, par déduction nécessaire découlant d’une perte totale d’efficacité, cela est évident. L’est-elle par déduction nécessaire en ce sens d’une intention claire de la lier?

Le procureur du requérant s’est employé à démontrer par une analyse de la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique[13] que le Parlement, par déduction nécessaire, avait voulu que le Code canadien du travail s’appliquât aux entreprises, dont la centrale nucléaire de Gentilly II, visées par l’article 18 de cette Loi. Il est inconcevable, selon lui, que le Parlement, conscient des problèmes de santé et de sécurité que posait aux employés et à la population en général l’opération de centrales atomiques, n’ait pas voulu assujettir ces employés aux dispositions du Code canadien du travail.

Cette démarche est justement de celles dont les tribunaux doivent se méfier lorsqu’ils recherchent par déduction nécessaire l’intention du Parlement de lier la Couronne. C’est à la loi en cause, en l’espèce le Code canadien du travail, et à elle seule qu’il faut recourir pour déterminer cette intention dans un cas donné. Quand bien même la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique s’appliquerait par déduction nécessaire à la Couronne, ce sur quoi je n’ai pas à me prononcer, elle ne saurait être d’aucun secours dans ma quête de l’intention du Parlement eu égard au Code canadien du travail. À législation distincte, intention, possiblement, distincte.

Le requérant, contraint de se rabattre sur les dispositions du Code canadien du travail lui-même pour découvrir l’intention du Parlement de lier la Couronne, n’a pu mieux faire que de renvoyer la Cour à l’article 123.1 [édicté par L.R.C. (1985) (1re suppl.), ch. 9, art. 3] qu’on retrouve dans la partie II consacrée à la sécurité et à la santé au travail, et qui se lit comme suit :

123.1 Le gouverneur en conseil peut, par décret, exclure totalement ou partiellement de l’application de la présente partie—ou d’une disposition précise—l’emploi dans le cadre d’une entreprise régie par la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique.

Cet article n’appuie pas la thèse du requérant, bien au contraire. Il ne vise pas la Couronne nommément et les termes généraux qu’il emploie sont du genre de ceux contre lesquels la Cour suprême nous mettait en garde dans AGT[14]; il est d’autres emplois que ceux au sein d’entreprises déclarées être à l’avantage du Canada, lesquelles, de toute façon, ne sont pas nécessairement exploitées par des sociétés mandataires de la Couronne[15], qui peuvent tomber dans le champ d’application de la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique ou du règlement adopté en vertu d’icelle, et je ne puis d’aucune façon supposer que cet article s’adresse nécessairement à la Couronne.

De plus, l’article 123.1 ne vise que la partie II du Code et quand bien même il lierait la Couronne par déduction nécessaire, il ne le ferait qu’à l’égard de la partie II et non pas à l’égard de la partie I, la seule qui soit pertinente en l’espèce[16].

Enfin, la lecture de l’article 123.1 que nous propose le requérant fait abstraction d’autres dispositions du Code, l’article 5.1 [édicté par L.C. 1993, ch. 38, art. 88] dans la partie I, l’alinéa 123(1)c) [mod. par L.R.C. (1985) (1re suppl.), ch. 9, art. 2; L.C. 1993, ch. 38, art. 89] dans la partie II et l’alinéa 167(1)e) [mod. par L.C. 1993, ch. 38, art. 90], dans la partie III, qui suggèrent une toute autre interprétation. Ces articles, qui se lisent comme suit :

5.1 La présente partie s’applique à une entreprise canadienne, au sens de la Loi sur les télécommunications, qui est mandataire de Sa Majesté du chef d’une province ainsi qu’à ses employés.

123. (1) Malgré les autres lois fédérales et leurs règlements, la présente partie s’applique à l’emploi :

c) par une entreprise canadienne, au sens de la Loi sur les télécommunications, qui est mandataire de Sa Majesté du chef d’une province.

167. (1) La présente partie s’applique :

e) à une entreprise canadienne, au sens de la Loi sur les télécommunications, qui est mandataire de Sa Majesté du chef d’une province.

ont été ajoutés au Code canadien du travail en 1993, lors de l’adoption de la Loi sur les télécommunications[17].

Ces modifications ont de toute évidence été apportées de manière à contrer les effets de l’arrêt FIOE[18] dans lequel la Cour suprême avait décidé que les employés des sociétés mandataires de la Couronne provinciale qui exploitaient un système interprovincial de télécommunications, n’étaient pas assujettis à ce qui était alors la partie V du Code canadien du travail (et qui est devenu depuis la partie I). De cet assujettissement exprès des sociétés mandataires de la Couronne provinciale opérant dans le domaine des télécommunications à chacune des trois parties du Code canadien du travail, force est de déduire que celles de ces sociétés qui opèrent dans le domaine du contrôle nucléaire y échappent. Il est permis, quand le Parlement prend le soin de lier expressément de cette façon et à certaines fins certaines sociétés mandataires de la Couronne, d’en déduire qu’il n’a voulu lier que celles-là et à cette fin-là. La « déduction nécessaire », en l’occurrence, se retourne contre les prétentions du requérant.

Le requérant a fait grand état de ces propos du juge La Forest, dans Ontario Hydro[19] :

Enfin, l’appelante Ontario Hydro a soutenu que les lois fédérales devraient être interprétées de façon à ne pas s’appliquer aux sociétés établies pour promouvoir une fin provinciale. Toutefois, elle a admis ne pas être un mandataire de la Couronne et ne pouvoir ainsi bénéficier de l’immunité de la Couronne au sens traditionnel de cette expression. Cependant, le procureur général du Nouveau-Brunswick a soutenu que l’immunité devrait s’appliquer lorsque la qualité de mandataire de la Couronne est établie. On peut donc affirmer à bon droit que ce dernier argument ne saurait tenir, compte tenu de ma conclusion que les lois provinciales en matière de relations de travail ne s’appliquent pas aux ouvrages relevant de la compétence législative exclusive du Parlement, étant donné que ces lois se situent au cœur de cette compétence.

Je ne saurais donner à ces propos la portée que leur prête le requérant. Non seulement ne constituent-ils qu’un obiter dictum, Ontario Hydro n’étant pas un mandataire de la Couronne, mais ont-ils été prononcés dans un contexte où le juge La Forest traitait, me semble-t-il, non pas de l’immunité résultant de l’article 17 de la Loi d’interprétation, mais de celle découlant de la théorie de l’immunité constitutionnelle intergouvernementale et qui avait été rejetée dans AGT[20].

J’en viens donc à la conclusion que le Parlement n’a pas exprimé une intention claire d’appliquer à Hydro-Québec, dans la mesure où elle exploite une centrale nucléaire, les dispositions de la partie I du Code canadien du travail. Hydro-Québec jouit, par conséquent, de l’immunité de la Couronne.

Renonciation à l’immunité

La Couronne peut perdre son immunité en y renonçant. La théorie de la renonciation a été récemment exposée par le juge en chef Dickson dans AGT[21]. Cette théorie se fonde essentiellement sur la présomption suivante : la Couronne, lorsqu’elle accepte de tirer avantage d’une loi, accepterait implicitement d’en subir les inconvénients. Étant donné, cependant, que cette présomption heurte de front le principe de l’immunité de la Couronne et constitue en réalité une exception à ce principe, les tribunaux devront ici encore faire preuve de retenue avant de conclure à la renonciation. Ainsi que le rappelle le juge en chef à la page 291 :

À mon avis, la portée de l’exception fondée sur les avantages et les inconvénients doit être façonnée en se servant de la théorie sous-jacente comme point de référence. En raison de la retenue dont doivent nécessairement faire preuve les tribunaux en abordant les questions d’immunité de la Couronne, compte tenu de l’art. 16 [maintenant 17] et du critère établi antérieurement dans les présents motifs sur ce qu’il faut faire pour que la Couronne soit mentionnée ou prévue, il ne serait pas conforme à la présomption d’immunité de concevoir une exception générale à cette présomption. Une exception ne peut être la règle et c’est ce qui se produirait, me semble-t-il, si la théorie des avantages et des obligations était élargie de sorte que la Couronne serait liée par toutes les obligations d’une loi réglementante peu importe leur absence plus ou moins grande de lien avec les avantages qu’elle tirerait de cette loi. En d’autres termes, un critère assez serré (du lien suffisant) applicable à l’exception fondée sur les avantages et les obligations découle du critère strict de la constatation d’une intention du législateur de lier la Couronne.

Hydro-Québec aurait, selon le requérant, renoncé à son immunité en signant une convention collective et en obtenant de la Commission de contrôle de l’énergie atomique l’autorisation d’exploiter sa centrale nucléaire.

La signature de la convention collective

Le requérant soumet qu’en signant une convention collective avec des employés œuvrant dans le secteur nucléaire, où les relations de travail, ainsi que l’a confirmé l’arrêt Ontario Hydro, sont régies par le Code canadien du travail, Hydro-Québec s’est implicitement assujettie aux dispositions de ce Code.

Cet argument n’a aucun mérite. Lorsqu’Hydro-Québec a signé la convention collective, elle entendait être liée par le Code du travail du Québec. Je ne vois pas comment l’on puisse inférer d’un assujettissement exprès à une loi, un assujettissement implicite à une autre. C’est une chose que de dire que la Couronne renonce à l’immunité eu égard à une loi dont elle sait qu’elle régit le contrat et dont elle entend tirer avantage. C’est autre chose que de dire que la Couronne aurait renoncé à son immunité eu égard à une loi dont elle ne savait pas qu’elle régissait le contrat et dont elle n’entendait d’aucune manière tirer avantage.

Les affaires qu’invoque le requérant, soit Banque de Montréal c. Procureur général (Qué.)[22] et Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec)[23], ne sauraient trouver ici application. Dans Banque de Montréal, la Cour suprême a décidé que la Couronne provinciale qui ouvre un compte à une banque passe un contrat bancaire dont elle connaît et accepte implicitement les règles et les conséquences. Dans Sparling, la Cour suprême décidait qu’en achetant des actions d’une société régie par une loi fédérale, un mandataire de la Couronne provinciale acceptait implicitement les avantages et les obligations, dont celle de déposer un rapport d’initiés, associés à cette loi.

Ainsi, dans ces deux affaires, la Couronne connaissait la loi applicable, savait sans qu’il ne soit besoin de le dire ce à quoi elle s’engageait en signant le contrat et cherchait à profiter des avantages de la loi en question; qui plus est, l’immunité était invoquée à l’encontre de cette loi et non, comme en l’espèce, à l’encontre d’une loi autre que celle régissant le contrat au moment de sa signature. Je ne vois pas comment on peut prétendre qu’Hydro-Québec ait pu, ici, renoncer par contrat à son immunité quand elle ne savait même pas, lors de la signature du contrat, que cette immunité était en jeu.

La demande de permis

En obtenant, en vertu de l’article 9 du Règlement sur le contrôle de l’énergie atomique[24] (le Règlement) un permis d’exploitation de la centrale nucléaire de Gentilly II, Hydro-Québec a certes tiré avantage de la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique. Cela ne signifie toutefois pas, ainsi que le rappelait le juge en chef Dickson dans AGT[25], qu’Hydro-Québec soit ainsi liée par toutes les obligations de la loi réglementante. Encore faut-il, en effet, que soit démontrée l’existence d’un lien assez étroit entre l’avantage obtenu et l’obligation qu’on cherche à lui imposer, qui est celle de se soumettre à la compétence du Conseil en ce qui a trait à la partie I du Code canadien du travail.

Dans AGT, la Cour suprême a décidé qu’AGT n’avait pas renoncé à l’immunité de la Couronne à l’endroit du CRTC en choisissant de recevoir les avantages découlant de sa participation à un réseau national de télécommunications régi par la Loi sur les chemins de fer [S.R.C. 1970, ch. R-2] et réglementé en vertu de cette Loi par le CRTC. A fortiori en sera-t-il de même, lorsque l’organisme régulateur n’est pas celui désigné dans la loi dont la Couronne a tiré avantage. En l’espèce, ce n’est pas à l’égard de la Commission de contrôle de l’énergie atomique qu’Hydro-Québec invoque son immunité, mais à l’égard du Conseil canadien des relations du travail, lequel n’est même pas mentionné dans la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique non plus que dans le Règlement.

Je cherche en vain « un lien assez étroit » entre les avantages et les obligations quand la loi en cause ne contient elle-même aucune disposition laissant supposer que le Conseil aurait un rôle à jouer dans l’administration de cette loi et quand, de surcroît, son règlement d’application comprend des normes d’hygiène et de sécurité dont il confie la surveillance, non pas au Conseil, mais à la Commission de contrôle, à des inspecteurs et à des conseillers médicaux.

Je ne vois rien, non plus, qui permette de conclure que l’avantage que recevait Hydro-Québec en obtenant un permis d’exploitation « était conditionnel au respect de la restriction imposée »[26], à savoir l’assujettissement à la compétence du Conseil.

J’en viens ainsi à la même conclusion que celle à laquelle en étaient arrivés, sur un point analogue, le juge en chef Dickson et le juge Wilson aux pages 330, 331 et 333 de l’arrêt FIOE[27]. Il est clair en l’espèce qu’il ne peut y avoir de rapport ni de lien entre les activités d’Hydro-Québec à sa centrale nucléaire de Gentilly II et les dispositions de la partie I du Code canadien du travail, et je ne crois pas que le simple exercice par Hydro-Québec de son pouvoir de s’engager dans une entreprise fédérale lui ait fait perdre son immunité face au Conseil canadien des relations du travail.

Pour ces motifs, je serais d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire. J’inviterais toutefois le Parlement à assumer ses responsabilités dans les plus brefs délais de manière à combler le vide dans lequel se trouvent les membres du syndicat requérant.

Le juge Hugessen, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge suppléant Chevalier : J’y souscris.



[1] L.R.Q. 1977, ch. S-40.

[2] L.R.Q. 1977, ch. C-27.

[3] [1993] 3 R.C.S. 327.

[4] Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la société Ontario Hydro, bien qu’elle appartienne à la province d’Ontario, ne s’est pas vu reconnaître par la législature ontarienne le statut de mandataire de la Couronne. La Cour suprême n’avait donc pas à se pencher, dans Ontario Hydro, sur la question de l’immunité de la Couronne.

[5] Loi sur l’Hydro-Québec, L.R.Q. 1977, ch. H-5, art. 13.

[6] L.R.C. (1985), ch. I-21.

[7] [1989] 2 R.C.S. 225, à la p. 274.

[8] Voir AGT, supra, note 7, à la p. 281.

[9] Voir AGT, supra, note 7, à la p. 277, le juge en chef Dickson.

[10] [1989] 2 R.C.S. 318, à la p. 328.

[11] AGT, supra, note 7, à la p. 283.

[12] Supra, note 10, à la p. 330.

[13] L.R.C. (1985), ch. A-16.

[14] Supra, note 7, à la p. 282.

[15] La preuve au dossier révèle qu’il y a sept centrales nucléaires au Canada : une au Québec, une au Nouveau- Brunswick et cinq en Ontario, et que celles du Québec et du Nouveau-Brunswick sont exploitées par des sociétés mandataires de la Couronne.

[16] Le Code canadien du travail, comme son titre l’indique, est une « Loi assemblant diverses lois relatives au travail ». Il est constitué, dans sa codification la plus récente, de trois parties qui sont en réalité des lois distinctes et qui n’ont guère en commun que les définitions énoncées à l’art. 2 [mod. par L.C. 1990, ch. 44, art. 7]. La partie I, composée d’un préambule et des art. 3 à 121, vise « les relations du travail » en général et, de manière toute particulière, le processus d’accréditation des agents négociateurs. La partie II, composé des art. 122 à 165, vise la « sécurité et [la] santé au travail ». La partie III, composée des art. 166 à 264, vise la « durée normale du travail, [le] salaire, [les] congés et [les] jours fériés ». C’est ainsi que lorsque le Parlement veut qu’une disposition donnée s’applique au Code dans son entier, il dira, comme à l’art. 2, « la présente loi », et, lorsqu’il veut qu’une disposition donnée s’applique à une partie seulement du Code, il dira, comme à l’art. 123.1, « la présente partie ».

[17] L.C. 1993, ch. 38, art. 88, 89 et 90.

[18] Supra, note 10.

[19] Supra, note 3, à la p. 380.

[20] Supra, note 7, à la p. 275.

[21] Supra, note 7, aux p. 284 et s.

[22] [1979] 1 R.C.S. 565.

[23] [1988] 2 R.C.S. 1015.

[24] C.R.C., ch. 365 (mod. par DORS/78-58, art. 7, 8; DORS/90-191, art. 2).

[25] Supra, note 7, à la p. 291.

[26] AGT, supra Supra, note 10.note 7, à la p. 288.

[27] Supra, note 10.

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