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[1995] 2 C.F. 433

A-664-93

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Mara Properties Limited (intimée)

Répertorié : Canada c. Mara Properties Ltd. (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Stone et McDonald, J.C.A.—Vancouver, 12 janvier; Ottawa, 22 février 1995.

Impôt sur le revenu — Corporations — Liquidation d’une filiale — Appel d’une décision par laquelle la C.C.I. a autorisé la déduction d’une perte correspondant à la différence entre le produit effectif de la vente et le coût d’acquisition réputé selon l’art. 88(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu d’un bien-fonds acquis par suite de l’achat et de la liquidation de la filiale — La compagnie mère et sa filiale exploitent une entreprise d’aménagement immobilier — L’art. 88(1) prévoit qu’en cas de liquidation, la filiale est réputée disposer de ses biens à leur coût pour elle et que la compagnie mère est réputée les acquérir au même prix — Il s’agit de savoir si le bien-fonds fait partie du stock de manière à pouvoir considérer la perte fictive subie lors de la disposition comme une perte qui a été subie dans le cadre d’une entreprise et qui peut être utilisée pour calculer le profit tiré d’une entreprise — Applicabilité de l’art. 245(1), qui empêche de se prévaloir de déductions qui réduisent le revenu de façon indue ou factice.

Il s’agit de l’appel d’une décision par laquelle la Cour de l’impôt a permis à l’intimée de déduire une perte correspondant à la différence entre le produit de disposition effectif d’un fonds de terre et son coût d’acquisition réputé selon le paragraphe 88(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le 30 novembre 1982, le contribuable, la Mara Properties Limited, a acquis toutes les actions en circulation de la Fraserview Development Ltd., dont le seul bien était un fonds de terre qui avait été initialement acheté au prix de six millions de dollars, mais dont la juste valeur marchande au moment de la liquidation n’était que de trois millions de dollars. Le contribuable et la Fraserview œuvraient tous les deux dans le domaine de l’aménagement immobilier. La Fraserview a été liquidée le même jour et le bien-fonds a été vendu à un acheteur avec lequel la venderesse n’avait aucun lien de dépendance. Aux termes du paragraphe 88(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la filiale est réputée disposer de ses biens en faveur de sa compagnie mère à leur coût pour la filiale immédiatement avant la liquidation, et la compagnie mère est réputée acquérir les biens en question au même prix. La Mara a déduit de ses revenus pour 1982 et pour les années subséquentes la perte subie lors de la vente, de telle sorte qu’elle a évité entièrement l’impôt payable pour les années en question. Les opérations avaient pour seul objet la réduction de l’impôt. Le ministre a refusé la déduction.

Le juge de la Cour de l’impôt a statué que le paragraphe 9(1) (qui définit le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise pour une année d’imposition comme étant le bénéfice qu’il en tire) et l’alinéa 18(1)a) (qui interdit la déduction des dépenses sauf dans la mesure où elles sont engagées dans le but de tirer un revenu d’une entreprise) n’empêchaient pas de déduire la perte du simple fait que la Mara n’avait pas acquis le bien-fonds en vue de tirer un bénéfice d’une entreprise. Elle a statué que le bien-fonds en question constituait un élément de stock entre les mains des deux compagnies, et que le paragraphe 88(1) s’applique « nonobstant » toute autre disposition de la Loi. Elle a statué que le paragraphe 245(1) (qui interdit de faire une déduction à l’égard d’un débours fait ou d’une dépense faite ou engagée relativement à une opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu) ne s’applique qu’aux « déductions » et aux « débours » et que le coût réputé ne constitue pas une déduction ou un débours « fait ». La perte résulte d’une disposition législative qui crée une présomption et à laquelle on doit donner effet. Finalement, elle a affirmé que, jusqu’en 1987, le législateur fédéral avait, par le biais du sous-alinéa 88(1)a)(iii), une politique par laquelle une compagnie mère pouvait se servir des pertes en capital non réalisées de sa filiale à la suite de la liquidation de cette dernière et de son absorption par la compagnie mère. En 1987, le paragraphe 249(4) a été inséré dans la Loi et l’article 1801 a été ajouté au Règlement de l’impôt sur le revenu. Les modifications ne se bornaient pas à codifier le droit existant, mais visaient à bloquer le transfert des pertes pour éviter les situations comme celle dont il s’agit en l’espèce.

L’appelante soutenait que le bien-fonds ne faisait pas partie du stock, et que la vente de la Fraserview au contribuable ne satisfaisait pas au « critère de l’objet commercial » parce que le contribuable n’avait pas acheté la Fraserview en vue de tirer un revenu et qu’il n’y avait aucune expectative raisonnable de tirer un profit de cette opération. À titre subsidiaire, l’appelante a affirmé que le paragraphe 245(1) empêchait l’intimée de déduire le coût réputé du bien-fonds pour calculer son revenu d’entreprise.

La question qui se pose est celle de savoir si le bien-fonds est passé dans le stock du contribuable de telle sorte que la perte fictive subie lors de la disposition puisse être considérée comme une perte d’entreprise et être utilisée pour calculer le profit tiré de l’entreprise de l’intimée.

Arrêt (le juge McDonald, J.C.A., étant dissident) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Marceau, J.C.A. : La règle édictée par le paragraphe 88(1) veut que, lors de la liquidation d’une filiale, celle-ci soit réputée disposer de tous ses biens à un prix égal à leur coût indiqué pour elle et que la compagnie mère soit réputée avoir fait l’acquisition des biens en question au même prix. Le paragraphe 88(1) ne précise pas si le coût d’acquisition réputé et le produit effectif de la vente des biens entreront dans le calcul du revenu tiré par la compagnie mère de son entreprise. Cette détermination doit se faire conformément à l’article 9 de la Loi. Pour satisfaire aux exigences de cette disposition, la compagnie mère doit démontrer que les biens sont passés dans son propre stock.

Le fait que la compagnie mère et la filiale exploitaient toutes les deux la même entreprise n’oblige pas à conclure que le bien est passé dans le stock de la compagnie mère à moins que l’opération par laquelle le bien-fonds a été acquis a été conclue par la compagnie mère au cours ou dans le cadre de l’exploitation de son entreprise ou pour les besoins de celle-ci. Une opération qui ne présente pas les attributs habituels du commerce, spécialement si elle ne comporte aucune possibilité de dégager un profit, ne constitue pas une opération commerciale et tout bien qui est acquis de la sorte ne peut être considéré comme un article de commerce. Le simple fait de chercher à se procurer un avantage fiscal ne fait pas d’une opération non commerciale une opération commerciale. L’opération en cause en l’espèce ne présentait pas les attributs habituels du commerce. Le fait que le contribuable ait pris à sa charge toutes les dettes de la Fraserview n’a aucune incidence sur la détermination de la nature de l’opération. Le bien-fonds acquis de la sorte n’est pas passé dans le stock de l’intimée.

Le paragraphe 245(1) ne s’applique pas. La série d’opérations par lesquelles l’intimée a acquis le bien-fonds ne constitue pas un trompe-l’œil. Même si le paragraphe 88(1) avait permis à l’intimée de considérer la différence entre le coût réputé et le produit effectif de la vente comme une perte subie dans le cadre de son entreprise, on ne saurait dire que cette perte est « fictive » ou « indue », étant donné qu’elle résulte de l’application spécifique de la Loi.

Le juge Stone, J.C.A. : Il n’est pas nécessaire d’interpréter les modifications apportées en 1987 à la Loi de l’impôt sur le revenu et au Règlement de l’impôt sur le revenu, mais elles ne modifient pas nécessairement l’état antérieur du droit. Le paragraphe 45(2) de la Loi d’interprétation dispose que la modification d’un texte législatif ou réglementaire n’est pas réputée impliquer une déclaration portant que les règles de droit du texte antérieur étaient différentes de celles de sa version modifiée.

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident) : La perte subie lors de la vente du bien-fonds constitue une perte subie dans le cadre d’une entreprise parce que le bien-fonds était un élément de stock entre les mains de l’intimée. Lors de sa liquidation, une filiale distribue automatiquement ses biens à sa compagnie mère (paragraphe 88(1)) et les biens en question devraient être regroupés avec les autres biens de même nature de la compagnie mère. Les deux compagnies exploitaient la même entreprise et considéraient le bien-fonds comme un bien en stock. Lors de la liquidation de la Fraserview, son stock aurait dû se fondre avec celui de la Mara du point de vue fiscal.

Le paragraphe 9(1) n’empêche pas l’inclusion de la perte subie par le contribuable lors de la vente du stock dans le calcul du revenu d’entreprise du simple fait que l’acquisition de la Fraserview n’avait pas pour but de tirer un revenu, c.-à-d. qu’elle ne satisfaisait pas au « critère de l’objet commercial ». Une opération peut être valide sans être un trompe-l’œil de quelque façon tout en n’ayant d’autre objet commercial qu’un objet fiscal.

Le coût réputé ne se rapportait pas à un « débours fait ou [à] une dépense faite ou engagée ». La perte dont la déduction a été demandée et qui a été subie lors de la vente du bien-fonds ne pouvait pas être fictive parce qu’elle résultait d’une disposition législative qui crée une présomption et à laquelle on doit donner effet.

C’est à bon droit que le juge de la Cour de l’impôt a statué que les modifications apportées en 1987 étaient des modifications de fond qui ne se bornaient pas à clarifier ou à codifier les règles de droit existantes en changeant sensiblement les conséquences tant pour la filiale que pour la compagnie mère. Elles empêchent le transfert de pertes commerciales accumulées comme celles dont il s’agit en l’espèce.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 4(1), 9(1), 18(1)a) (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126), 88(1) (mod. par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 27; 1974-75, ch. 26, art. 52; 1977-78, ch. 1, art. 43; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 48), 245(1), 248(1) « inventaire » (mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 192), 249(4) (édicté par L.C. 1987, ch. 46, art. 70).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 45(2).

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 1801 (mod. par DORS/89-419, art. 1).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1 (H.L.); Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3; (1994), 171 N.R. 225; Macdonald & Sons Ltd. c. M.R.N., [1970] R.C.É. 230; (1970), 70 DTC 6032; Canada c. Loewen, [1994] 3 C.F. 83(C.A.); Sous-ministre du Revenu (Qué.) c. Lipson, [1979] 1 R.C.S. 833; (1979), 29 N.R. 335; Moloney (M.) c. Canada, [1992] 2 C.T.C. 227; 92 DTC 6570 (C.A.F.); C of IR v Challenge Corporation Ltd (1986), 8 NZTC 5219 (C.P.); Ensign Tankers (Leasing) Ltd v Stokes (HMIT), [1992] BTC 110 (H.L.).

DÉCISIONS CITÉES :

Bishop (Inspector of Taxes) v. Finsbury Securities, Ltd., [1966] 3 All E.R. 105 (H.L.); FA & AB Ltd v Lupton (Inspector of Taxes), [1971] 3 All E.R. 948 (H.L.).

APPEL d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (Mara Properties Ltd. c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 3189; (1993), 93 DTC 1449 (C.C.I.)) a permis au contribuable de déduire une perte correspondant à la différence entre le produit de disposition effectif et le coût d’acquisition réputé selon le paragraphe 88(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu d’un bien-fonds acquis par suite de l’achat et de la liquidation d’une filiale. L’appel est accueilli.

AVOCATS :

Brent Paris pour l’appelante.

Warren J. A. Mitchell, c.r., pour l’intimée.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Thorsteinssons, Vancouver, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. : J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement rédigés par mon collègue, le juge McDonald, J.C.A. Malheureusement, mon analyse des principes juridiques applicables aux faits de la présente espèce ne m’amène pas à la conclusion à laquelle il en est venu. Je ne puis donc partager son opinion et dois en toute déférence exprimer mon désaccord avec lui.

Je ne doute pas que le paragraphe 88(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 27; 1974-75, ch. 26, art. 52; 1977-78, ch. 1, art. 43; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 48)] (la Loi) renferme une règle qui est censée s’appliquer automatiquement. Il prévoit même expressément qu’il s’applique malgré toute autre disposition de la Loi. Les conditions d’application de la disposition sont clairement énoncées et ont été respectées. Le paragraphe 88(1) s’applique de toute évidence en l’espèce.

J’accepte également le fait que le paragraphe 245(1) de la Loi, qui concerne les opérations factices, n’a aucun rôle à jouer dans le contexte factuel de la présente affaire. La série d’opérations par lesquelles l’intimée s’est portée acquéreur du fonds de terre de Maple Ridge ne constitue pas un trompe-l’œil, peu importe le mobile économique ultérieur qui l’a poussée à agir. Il s’agissait d’opérations véritables qui ne dissimulaient rien. Même si le paragraphe 88(1) a pour effet de permettre à l’intimée de considérer la différence entre le coût réputé et le produit effectif de la vente comme une perte subie dans le cadre de son entreprise, on ne saurait dire que cette perte est « factice » ou « indue », étant donné qu’elle résulte de l’application spécifique de la Loi.

Là où je ne suis pas du même avis que mon collègue, c’est dans mon interprétation du paragraphe 88(1) et dans l’opinion que j’ai de l’effet limité de la règle qu’il établit.

Par souci de commodité, je reproduis à nouveau les dispositions pertinentes et significatives du paragraphe 88(1) :

88. (1) Lorsqu’une corporation canadienne imposable (appelée dans le présent paragraphe la « filiale ») a été liquidée après le 6 mai 1974 …, les règles suivantes s’appliquent nonobstant toutes autres dispositions de la présente loi :

a) … tout bien de la filiale attribué à la corporation mère lors de la liquidation est réputé avoir fait l’objet d’une disposition par la filiale à un prix égal,

(iii) au coût indiqué du bien, pour la filiale, immédiatement avant la liquidation …

c) le prix, pour la corporation mère, de chaque bien de la filiale, qui lui a été attribué lors de la liquidation, est réputé être le montant réputé être, en vertu de l’alinéa a), le produit de disposition du bien …

Si je comprends bien la règle édictée par cette disposition, lors de la liquidation d’une filiale, celle-ci est réputée disposer de tous ses biens à un prix égal à leur coût indiqué pour elle et la compagnie mère est réputée avoir fait l’acquisition des biens en question au même prix. C’est, selon moi, la seule interprétation possible de cette disposition. Plus particulièrement, je ne puis interpréter la disposition comme signifiant que, si les biens faisaient partie du stock de la filiale, ils passeront dans le stock de la compagnie mère; elle ne précise pas non plus que les pertes non réalisées de la filiale deviennent des pertes d’entreprise de la compagnie mère. Elle ne dit pas que la compagnie mère sera considérée, sur le plan fiscal, comme étant dans la même situation que celle dans laquelle se trouvait la filiale pour ce qui est des biens. Elle prévoit un coût d’acquisition réputé, mais elle ne précise pas, selon mon interprétation, si le coût réputé et le produit effectif de la vente des biens entreront dans le calcul du revenu tiré par la compagnie mère de son entreprise. Cette détermination doit se faire conformément à l’article 9 de la Loi, qui définit le revenu d’entreprise. Pour satisfaire aux exigences de cette disposition, la compagnie mère doit démontrer que les biens sont passés dans son propre stock.

Il est vrai que, dans le cas qui nous occupe, l’entreprise de la compagnie mère est l’aménagement et la vente de biens immobiliers et qu’il s’agit de la même entreprise que celle qu’exploitait la filiale. C’est cette caractéristique de l’affaire qui rend l’analyse si difficile. Si l’entreprise de l’intimée avait été différente, le plan aurait été impensable, car l’acquisition du bien-fonds ne serait de toute évidence pas une opération effectuée dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise, et elle n’aurait jamais pu être considérée, eu égard aux circonstances, comme un projet comportant un risque de caractère commercial (voir la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Canada c. Loewen, [1994] 3 C.F. 83(C.A.)). Mais le fait que la compagnie mère et la filiale exploitaient toutes les deux la même entreprise nous force-t-il, en soi, à conclure que le bien est nécessairement passé dans le stock de la compagnie mère étant donné qu’il faisait partie du stock de la filiale? À mon avis, il ne pourrait en être ainsi que si l’opération ou la série d’opérations par lesquelles le bien-fonds a été acquis avaient été entreprises par la compagnie mère au cours ou dans le cadre de l’exploitation de son entreprise ou pour les besoins de celle-ci. Il est de jurisprudence constante qu’une opération qui ne présente pas les attributs habituels du commerce, spécialement si elle ne comporte aucune possibilité de dégager un profit direct ou indirect, immédiat ou éventuel, ne constitue pas une opération commerciale et que tout bien qui est acquis de la sorte ne peut être considéré comme un article de commerce (voir les arrêts Bishop (Inspector of Taxes) v. Finsbury Securities, Ltd., [1966] 3 All E.R. 105 (H.L.); FA & AB Ltd v Lupton (Inspector of Taxes), [1971] 3 All E.R. 948 (H.L.); Sous-ministre du Revenu (Qué.) c. Lipson, [1979] 1 R.C.S. 833). Il est également de jurisprudence constante que le simple fait de chercher à se procurer un avantage fiscal ne fait pas d’une opération non commerciale une opération commerciale (Moloney (M.) c. Canada, [1992] 2 C.T.C. 227 (C.A.F.); Canada c. Loewen, précité[1]).

Il est incontestable que l’opération en cause en l’espèce ne présentait pas les attributs habituels du commerce, ainsi qu’il ressort de l’extrait suivant du jugement du juge de première instance [[1993] 2 C.T.C. 3189 (C.C.I.), aux pages 3191 et 3192] :

Cette série d’opérations avait pour seul objet la réduction de l’impôt. L’avocat de l’appelante a dit pertinemment :

[traduction] Soyons francs, Madame le juge. Nous ne cachons pas qu’il s’agit d’une opération motivée uniquement par des considérations d’ordre fiscal. Nous ne cachons pas non plus qu’il n’y avait aucune expectative raisonnable de tirer un profit d’un bien que nous avons acquis puis revendu presque aussitôt à une perte de quatre millions et demie de dollars.

Qu’il en ait été effectivement ainsi, voilà ce qu’a indiqué M. Ralph Schmidtke, dirigeant de l’appelante. Il a aussi confirmé qu’on avait déjà envisagé l’acquisition du bien-fonds en vue de son aménagement dans le cadre des activités habituelles de l’appelante, mais que ce n’était rien de plus qu’un projet, qui a en fait été abandonné.

Il est également vrai qu’en liquidant sa filiale, l’intimée prenait à sa charge toutes les dettes de la Fraserview. On peut essayer d’y voir un indice convaincant que l’intimée avait l’intention de fusionner l’entreprise exploitée par sa filiale et la sienne et d’exploiter l’entreprise de la filiale sans le moindre changement. Je ne vois pas les choses de cette manière. Pour mener le projet à bien, il fallait évidemment que l’intimée suive cette voie et c’est ce qu’elle a fait à dessein — et très prudemment — seulement après avoir « placé » les dettes entre les mains d’une société contrôlée par son principal actionnaire. Mais je ne vois pas comment ce fait pourrait à lui seul avoir une incidence sur la détermination de la nature de l’opération et sur le statut du bien-fonds au cours de la courte période de temps pendant laquelle il appartenait à l’intimée avant d’être transféré conformément à une vente arrangée d’avance.

L’avocat de l’intimée a tenté de contester la thèse de l’appelante en la qualifiant de version la plus récente du « critère de l’objet commercial » qui a été discrédité en droit canadien depuis l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, de la Cour suprême du Canada. Je ne suis pas de cet avis. La question qui se pose n’est pas celle de savoir si l’on ne doit pas tenir compte de l’opération ou de la série d’opérations comme dans l’arrêt Stubart. Il s’agit d’une opération véritable qui, comme je l’ai déjà dit, a produit des effets juridiques ostensibles et à laquelle la règle créée par le paragraphe 88(1) s’appliquait indubitablement. Je répète que la question qui se pose est celle de savoir si le bien-fonds qui a été acquis est passé dans le stock de l’intimée de telle sorte que la perte fictive subie lors de sa disposition doive être considérée comme une perte d’entreprise et être utilisée pour calculer le profit tiré de l’entreprise de l’intimée. En toute déférence pour le juge de première instance et pour mon collègue, j’estime que, conformément aux dispositions de la Loi, il faut répondre par la négative à cette question.

J’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision rendue le 27 octobre 1993 par la Cour canadienne de l’impôt et je rétablirais les cotisations du ministre qui sont énoncées dans les avis de nouvelle cotisation datés du 16 juillet 1991 relativement aux années d’imposition de l’intimée se terminant le 30 novembre 1982, le 30 novembre 1983, le 30 novembre 1987 et le 30 novembre 1988.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : J’ai eu l’avantage de lire le projet de motifs de jugement de mes deux collègues. À mon avis, l’appel devrait être accueilli pour les motifs proposés par le juge Marceau, J.C.A., de même que pour les motifs qui suivent.

L’un des arguments invoqués devant le juge de première instance concernait l’importance à accorder à certaines modifications apportées en 1987 à la Loi de l’impôt sur le revenu et au Règlement de l’impôt sur le revenu [C.R.C., ch. 945][2]. En effet, au procès et devant notre Cour, on a fait valoir que l’adoption de ces modifications signifiait que le législateur fédéral avait l’intention de modifier l’état antérieur du droit. On a expliqué que ces modifications avaient pour effet d’empêcher de transmettre sans incidence fiscale à une compagnie mère la perte accumulée et non réalisée imputable au stock lors de la liquidation d’une filiale. Le juge de première instance a qualifié les modifications de 1987 [à la page 3196] de « modifications de fond » qui ne se bornaient pas à « simplement clarifier ou codifier les règles de droit existantes » et qui avaient pour effet d’éliminer « précisément les résultats devant lesquels nous nous trouvons en l’espèce ». Mon collègue le juge McDonald, J.C.A. fait sien ce raisonnement.

À mon avis, les modifications de 1987 ne devraient pas être examinées avec une telle complaisance. Nous ne sommes pas tenus de les interpréter. Je désire simplement déclarer qu’à mon avis, on ne doit pas nécessairement considérer que ces modifications modifient l’état antérieur du droit. C’est ce qui ressort à l’évidence des dispositions du paragraphe 45(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui énoncent :

45. …

(2) La modification d’un texte ne constitue pas ni n’implique une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l’a édicté, les considérait comme telles.

Je trancherais l’appel de la manière proposée par le juge Marceau, J.C.A.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident) : Il s’agit de l’appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt rendue le 27 octobre 1993 par laquelle le juge de première instance a décidé que l’intimée pouvait réclamer la déduction d’une perte découlant de la vente d’un bien qui avait été acquis par suite de l’achat et de la liquidation d’une filiale. La seule question en litige devant la Cour de l’impôt était celle de savoir si l’intimée pouvait déduire la perte en question de ses revenus.

L’intimée a déduit de ses revenus pour l’année d’imposition 1982 et pour les années subséquentes la perte dont elle avait héritée de sa filiale, de telle sorte qu’elle a évité entièrement l’impôt payable pour les années en question.

Les faits

L’intimée, Mara Properties Ltd. (la Mara), est une corporation canadienne imposable dont le principal établissement est situé à Vancouver, en Colombie-Britannique. L’entreprise de l’intimée était gérée par son actionnaire principal, M. Werner Paulus, un résident des États-Unis. La Mara exploite une entreprise de recherche, d’aménagement et de vente de biens immobiliers. Elle a déclaré tous les profits tirés de la vente de biens immobiliers à titre de revenus d’entreprise et non à titre de gains en capital.

L’opération qui fait l’objet du présent appel a été entreprise le 30 novembre 1982, date à laquelle la Mara a acquis toutes les actions en circulation d’une autre corporation canadienne imposable, la Fraserview Development Ltd. (la Fraserview). Le prix d’achat des actions en question était de 69 998 $. La Fraserview est ainsi devenue une filiale possédée en propriété exclusive par la Mara. Le seul bien de la Fraserview au moment de l’acquisition était un fonds de terre (le bien-fonds) qui avait été initialement acheté au prix approximatif de six millions de dollars et qui avait été aménagé en partie par la Fraserview pour une somme additionnelle de 1 577 000 $.

Le même jour que celui où elle a acquis le contrôle de la Fraserview, la Mara a procédé à la liquidation de la compagnie, ce qui a donné lieu au « transfert libre d’impôt » du bien-fonds de la Fraserview à la Mara conformément au paragraphe 88(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi).

88. (1) Lorsqu’une corporation canadienne imposable (appelée dans le présent paragraphe la « filiale ») a été liquidée après le 6 mai 1974 …, les règles suivantes s’appliquent nonobstant toutes autres dispositions de la présente loi :

a) … tout bien de la filiale attribué à la corporation mère lors de la liquidation est réputé avoir fait l’objet d’une disposition par la filiale à un prix égal,

(iii) au coût indiqué du bien, pour la filiale, immédiatement avant la liquidation …

c) le prix, pour la corporation mère, de chaque bien de la filiale, qui lui a été attribué lors de la liquidation, est réputé être le montant réputé être, en vertu de l’alinéa a), le produit de disposition du bien …

Au moment de la liquidation, la juste valeur marchande du bien-fonds de la Fraserview était tombée à trois millions de dollars. Des témoins qui ont comparu devant le juge de première instance ont qualifié la moins-value du bien-fonds de « perte en gestation » (une expression du métier que l’on emploie pour illustrer le fait que la perte ne s’est pas concrétisée — au moyen notamment d’une vente — pendant qu’elle se trouvait entre les mains de la filiale). La perte ne s’est réalisée que lorsque le bien-fonds a été vendu par la compagnie mère Mara à un tiers avec lequel elle n’avait aucun lien de dépendance. La Mara a ensuite demandé que la perte découlant de la vente du bien-fonds soit déduite de son revenu, mais le ministre a refusé la déduction, d’où l’appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt.

Il importe de noter que toutes ces opérations avaient pour seul objet la réduction de l’impôt. Le juge de première instance a cité [à la page 3192] à cet égard les propos suivants de l’avocat de l’appelante :

[traduction] Soyons francs, Madame le juge. Nous ne cachons pas qu’il s’agit d’une opération motivée uniquement par des considérations d’ordre fiscal. Nous ne cachons pas non plus qu’il n’y avait aucune expectative raisonnable de tirer un profit d’un bien que nous avons acquis puis revendu presque aussitôt à une perte de quatre millions et demie de dollars.

La décision entreprise

Le juge de première instance a qualifié le paragraphe 88(1) de disposition qui prévoit un transfert libre d’impôt et selon laquelle la disposition et l’acquisition du bien d’une filiale sont réputées avoir eu lieu au coût pour la filiale et suivant laquelle les conséquences fiscales de l’opération sont différées jusqu’au moment où la compagnie mère dispose effectivement du bien en question au moyen notamment d’une vente. Elle a conclu que cette disposition joue automatiquement du moment que sont remplies toutes les conditions qu’elle pose, ce qui est le cas en l’espèce. Elle s’est permise d’observer que la raison d’être du paragraphe 88(1) est la reconnaissance du fait qu’avant sa liquidation, une filiale peut avoir accumulé des pertes non réalisées sur des biens non immobilisés.

Le juge de première instance a jugé mal fondé le moyen du ministre suivant lequel le paragraphe 9(1)[3] et l’alinéa 18(1)a) [mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126][4] de la Loi empêchaient de déduire le coût du bien-fonds parce que l’intimée n’avait pas acquis le bien-fonds en vue de tirer un profit de l’entreprise qu’elle avait l’intention d’exploiter. Plus précisément, elle a rejeté le moyen tiré de l’alinéa 18(1)a) en concluant que le bien-fonds en question constituait un élément de stock entre les mains des deux compagnies et non « un débours ou une dépense » fait ou engagé qui peut être déduit « dans le calcul du revenu ». Elle a conclu que l’intimée n’avait pas fait ou engagé un débours ou une dépense, et qu’elle avait tout simplement hérité du coût réputé du bien-fonds.

En ce qui concerne le paragraphe 9(1), le ministre a fait valoir que le coût indiqué réputé du bien-fonds est trompeur, étant donné qu’il était inconcevable que sa vente, qui avait été planifiée à l’avance, rapporte un bénéfice quelconque. Là encore, le juge de première instance a jugé ce moyen mal fondé en statuant que la définition du mot « revenu » au paragraphe 9(1) n’a pas pour effet de permettre au contribuable de se prévaloir d’une déduction en vertu du paragraphe 88(1) parce que, de par ses termes mêmes, le paragraphe 88(1) s’applique « nonobstant » toute autre disposition de la Loi.

Finalement, le juge de première instance a également rejeté la prétention du ministre suivant laquelle l’achat de la Fraserview constituait une opération factice qui tombait sous le coup du paragraphe 245(1) de la Loi. Elle a déclaré que cette disposition était analogue à l’alinéa 18(1)a), étant donné qu’elle ne s’applique qu’aux « déductions » ou aux « débours ou dépense[s] fait[s] ou engagé[s] ». Elle a déclaré que le coût réputé du bien-fonds en cause n’était pas une « déduction » ou un « débours ou une dépense fait ou engagé ». De fait, loin d’être factice, la perte résulte d’une disposition législative qui crée une présomption et à laquelle il faut donner effet.

Dans sa conclusion, le juge de première instance a déclaré que, jusqu’en 1987, le législateur fédéral avait vraisemblablement prévu, au sous-alinéa 88(1)a)(iii), une politique qui permettait à une compagnie mère de se prévaloir des pertes autres qu’en capital non réalisées de sa filiale à la suite de la liquidation de celle-ci et de son absorption par la compagnie mère. Les modifications de 1987 dont nous avons déjà parlé avaient de toute évidence pour but de bloquer le transfert de pertes et d’empêcher par conséquent la situation précise qui existe en l’espèce.

Questions en litige en appel

Les questions en litige sont les suivantes :

1. Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en statuant que la différence entre le coût réputé du bien-fonds aux termes du paragraphe 88(1) et le produit de la vente du bien-fonds constituait un résultat qui entrait à bon droit dans le calcul des profits de l’intimée pour l’année d’imposition 1982?

2. Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en statuant que l’on pouvait tenir compte du coût réputé du bien-fonds aux termes du paragraphe 88(1) pour calculer le revenu d’entreprise de l’intimée pour l’année d’imposition 1982, même si l’intimée n’a pas utilisé le bien-fonds dans son entreprise et qu’elle ne l’a pas acquis dans l’intention de l’utiliser dans son entreprise?

3. Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en statuant que le paragraphe 88(1) a lui-même pour effet de créer une perte provenant d’une entreprise qui correspond à la différence entre le coût du bien-fonds réputé aux termes du paragraphe 88(1) et le produit de la vente du bien-fonds?

4. Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en statuant que le coût du bien-fonds réputé aux termes du paragraphe 88(1) ne constitue pas un débours ou une dépense au sens de l’alinéa 18(1)a) ou un débours ou une dépense au sens du paragraphe 245(1)?

Analyse

Je commence la présente analyse en répétant que la seule considération qui a incité l’intimée à s’engager dans ces opérations était de réduire son impôt. Ce postulat de base peut de prime abord frapper l’esprit des juges comme étant désagréable à entendre et contraire au principe général qui interdit d’éviter l’impôt et suivant lequel l’évitement abusif d’impôt, qui est contraire à l’objectif d’équité que vise la Loi de l’impôt sur le revenu actuelle, n’est plus tolérable. Cette aversion doit toutefois être tempérée en tenant compte aussi bien de l’opinion fondamentale de lord Tomlin, suivant laquelle [traduction] « Tout homme a le droit, s’il le peut, de diriger ses affaires de façon que son assujettissement aux impôts prescrits par les lois soit moindre qu’il ne le serait autrement » (Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1 (H.L.), à la page 19), que de la conclusion tirée par le juge Wilson dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 540 (Stubart) : « Une opération peut être valide sans être un trompe-l’œil de quelque façon (comme en l’espèce), mais elle peut n’avoir d’autre objet commercial qu’un objet fiscal ». Qui plus est, notre Cour doit apprécier la perte subie par suite de la vente du bien-fonds en ayant « présent à l’esprit les réalités commerciales et économiques plutôt que quelque critère juridique formel » (Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, à la page 17 (Bon-Secours)).

Avant d’aller plus loin, je crois qu’il serait sage de clarifier la terminologie à employer dans le cas qui nous occupe. En l’espèce, l’intimée a acquis les actions de la Fraserview à un moment où le coût du bien-fonds dépassait sa juste valeur marchande d’environ 4 500 000 $. Par l’effet précis du paragraphe 88(1) de la Loi, l’intimée n’a pas réalisé de perte relativement au bien-fonds lorsque la Fraserview a été liquidée. Inversement, le coût du bien-fonds pour la Fraserview est devenu le coût du bien-fonds pour l’intimée.

C’est l’intimée, et non la Fraserview, qui a réalisé la perte lorsque le bien-fonds a été vendu. J’ai à dessein souligné le mot « perte » pour bien préciser que la somme en question en l’espèce constitue bel et bien une perte résultant de la vente du bien-fonds. Cette perte n’est ni un « débours », ni « une charge », ni « une dépense ».

L’opposition de l’appelante à la déduction de la perte commence au niveau le plus fondamental de la Loi de l’impôt sur le revenu. En conséquence, je commence mon analyse en vérifiant si l’intimée possède une source de revenu (ou de perte) en vertu de laquelle elle peut réclamer la déduction de cette perte. Aux termes du paragraphe 4(1) de la Loi, le revenu ou la perte du contribuable est calculé en fonction de sa source. Cet article dispose :

4. (1) …

a) Le revenu ou la perte d’un contribuable pour année d’imposition, provenant d’une charge, d’un emploi, d’une entreprise, de biens ou d’une autre source, ou de sources situées dans un endroit déterminé, signifie le revenu ou la perte, selon le cas …

Je répète que c’est à bon droit que l’appelante affirme que le revenu d’entreprise d’un contribuable est le bénéfice qu’il tire de cette entreprise et, conformément aux principes comptables généralement reconnus (PCGR), le bénéfice correspond à l’excédent des produits d’une année d’imposition sur les charges et les dépenses engagées pour obtenir ces produits. Parmi les éléments que la Loi permet de déduire, il y a lieu de mentionner les pertes autres qu’en capital, et il est généralement reconnu que les pertes provenant d’une entreprise constituent des pertes autres qu’en capital. Je conclus que la perte subie par suite de la vente du bien-fonds constitue une perte provenant d’une entreprise parce que le bien-fonds est un élément de stock entre les mains de l’intimée.

À ce stade-ci, j’aborde le moyen de l’appelante suivant lequel le bien-fonds en question ne peut faire partie du stock ou de l’inventaire. Le paragraphe 248(1) [mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 192] de la Loi énonce :

248. …

« inventaire » S’entend de la description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise pour une année d’imposition …

L’appelante affirme que l’intimée n’a pas acquis la Fraserview en vue de l’utiliser dans le cours normal de ses affaires et qu’en conséquence, le bien-fonds qui a été transféré libre d’impôt à l’intimée en vertu du paragraphe 88(1) ne constitue pas un stock et ne devrait pas entrer dans le calcul du bénéfice tiré de cette entreprise. En outre, comme l’intimée n’a jamais eu l’intention de tirer un revenu de l’achat de la Fraserview et de la vente subséquente du bien-fonds, et sachant que, du début à la fin, l’opération ne comportait aucune expectative raisonnable de profit, le bien-fonds ne constitue pas une source de revenu et ne fait pas partie du stock de l’entreprise de l’intimée.

Pour simplifier les moyens qu’elle a invoqués, je considère que l’appelante voulait dire qu’on ne peut tenir compte de la perte subie relativement au bien-fonds pour calculer le revenu de l’intimée.

Sur le premier moyen, il convient de préciser que l’intimée est une entreprise qui achète, aménage et vend des biens immobiliers. En conséquence, sur le plan fiscal, l’intimée déclare à titre de revenu (ou de perte) les bénéfices ou les pertes qu’elle réalise dans le cadre de ces activités. En l’espèce, l’intimée a acheté toutes les actions de la Fraserview, une compagnie qui œuvrait dans le domaine de l’aménagement et de la vente d’immeubles et qui considérait ses biens-fonds comme des éléments de son stock.

Il est constant que les parties n’avaient aucun lien de dépendance entre elles et que le prix payé pour les actions correspondait à leur juste valeur marchande. Je souligne ces éléments pour établir une distinction entre la présente situation et celle dont il était question dans l’affaire Macdonald & Sons Ltd. c. M.R.N., [1970] R.C.É. 230. Dans cette affaire, la compagnie appelante avait déduit le coût de 3 000 $ l’acre payé pour acquérir un bien-fonds, soit une somme de 1 000 $ l’acre payée en espèces et une donation de 2 000 $ l’acre consentie par l’actionnaire principal. La juste valeur marchande du bien-fonds au moment de la vente s’établissait à 2 200 $ l’acre. La compagnie appelante avait rapidement vendu le bien-fonds au prix de 3 000 $ l’acre et n’avait déclaré aucun bénéfice au motif que le coût du bien-fonds pour elle était de 3 000 $. Le juge Thurlow a conclu [à la page 258] que l’appelante n’avait pas acquis le bien-fonds dans le cadre de l’exploitation d’un commerce parce que l’opération initiale [traduction] « n’a pas été exécutée de la même façon que les opérations qui caractérisent les opérations commerciales foncières habituelles ». Plus précisément, le juge a statué que l’opération initiale avait été conclue avec un lien de dépendance, ce qui permettait de conclure que le bien-fonds avait été acquis à un prix plus élevé que sa juste valeur marchande à l’époque. L’acquisition du bien-fonds dont il était question dans l’affaire Macdonald n’avait de toute évidence pas été faite dans le cadre habituel d’une entreprise foncière. Toutefois, ainsi que je l’ai déjà déclaré, la vente de toutes les actions de la Fraserview a été conclue sans lien de dépendance et d’une façon qui est caractéristique du mode habituel d’acquisition des compagnies. En conséquence, lors de la liquidation de Fraserview, le stock de cette dernière a été transféré libre d’impôt dans le stock de l’intimée.

Bien que l’avocat de l’appelante ait exhorté notre Cour à ne pas considérer le bien transféré libre d’impôt comme un élément de stock, il n’a pas pu aider la Cour à déterminer comment ce bien-fonds devait être défini du point de vue fiscal. J’estime que le bien-fonds a été transféré libre d’impôt dans le stock de l’intimée. La Fraserview exploitait une entreprise d’aménagement et de vente de biens-fonds et le bien-fonds en question faisait partie de son stock. Lors de sa liquidation, une filiale distribue automatiquement ses biens à sa compagnie mère (paragraphe 88(1)) et les biens en question devraient être regroupés avec les biens de même nature de la compagnie mère. En l’espèce, les deux compagnies exploitent la même entreprise et considèrent le bien-fonds comme un bien en stock. En conséquence, lors de la liquidation de la Fraserview, son stock aurait dû se fondre avec celui de la Mara du point de vue fiscal.

Le second volet de la thèse de l’appelante est que, comme l’acquisition de la Fraserview par l’intimée n’avait pas pour but de tirer un revenu et comme il n’y avait aucune expectative raisonnable de tirer un profit de cette opération, le bien-fonds n’a pas créé une source de revenu et il ne peut par conséquent constituer un élément du stock de l’intimée[5]. L’appelante soutient essentiellement que la vente de la Fraserview à l’intimée ne satisfait pas au « critère de l’objet commercial ». Cela nous amène à une autre question. Le fait que le seul but que poursuivait le contribuable en concluant l’opération était d’obtenir un avantage fiscal est-il pertinent? L’extrait suivant de la décision concourante du juge Wilson dans l’arrêt Stubart constitue la meilleure réponse que l’on peut donner à cette question [à la page 540] :

Je suis aussi d’avis que le critère de l’objet commercial et celui du trompe-l’œil sont deux critères distincts. Une opération peut être valide sans être un trompe-l’œil de quelque façon (comme en l’espèce), mais elle peut n’avoir d’autre objet commercial qu’un objet fiscal. La question est donc de savoir si le Ministre a le droit de ne pas en tenir compte pour ce seul motif. Dans l’affirmative, c’est une énorme brèche dans l’opinion incidente de lord Tomlin : [traduction] « Tout homme a le droit, s’il le peut, de diriger ses affaires de façon que son assujettissement aux impôts prescrits par les lois soit moindre qu’il ne le serait autrement », Inland Revenue Commissioners v. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1, à la p. 19. En réalité, il me semble que le critère de l’objet commercial constitue un rejet total du principe énoncé par lord Tomlin.

J’estime que cette citation s’applique tant aux opérations qui tombent sous le coup de la section B de la Loi qu’à celles qui font partie de la section C. En conséquence, je conclus que le paragraphe 9(1) de la Loi n’empêche pas l’inclusion de la perte subie par l’intimée lors de la vente du stock dans le calcul de son revenu d’entreprise. En conséquence, je ne vois pas l’utilité de formuler des commentaires au sujet de la question de savoir si la « disposition dérogatoire » du paragraphe 88(1) l’emporte sur le paragraphe 9(1).

Application du paragraphe 245(1)

L’appelante soutient à titre subsidiaire que le juge de première instance a commis une erreur en statuant que le paragraphe 245(1) n’empêche pas l’intimée de déduire le coût réputé du bien-fonds pour calculer son revenu d’entreprise. Voici les dispositions applicables du paragraphe 245(1) :

245. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi, aucune déduction ne peut être faite à l’égard d’un débours fait ou d’une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu.

À mon avis, le juge de première instance a eu raison d’affirmer que le coût indiqué présumé dont l’intimée a hérité en l’espèce ne se rapportait pas à « un débours fait ou [à] une dépense faite ou engagée ». De plus, je suis d’accord pour dire que la perte subie lors de la vente du bien-fonds et dont on réclame la déduction ne peut être factice, étant donné qu’elle résulte d’une disposition législative qui crée une présomption (le paragraphe 88(1)) et à laquelle on doit donner effet.

J’ai lu et examiné avec intérêt l’extrait suivant de l’arrêt C of IR v Challenge Corporation Ltd (1986), NZTC 5219 (C.P.), aux pages 5225 et 5226 (qui a été cité et approuvé dans l’arrêt Ensign Tankers (Leasing) Ltd v Stokes (HMIT), [1992] BTC 110 (H.L.), à la page 123) :

[traduction] Le contribuable peut réduire son impôt sur le revenu en diminuant son revenu ou en engageant des dépenses dans des circonstances qui lui permettent de réduire son revenu imposable ou qui lui donnent le droit de diminuer son obligation fiscale …

Il y a évitement de l’impôt … lorsque le contribuable réduit son obligation fiscale sans subir une perte ou engager une dépense qui lui donne droit à cette déduction. Le contribuable qui évite l’impôt ne réduit pas son revenu, ne subit pas de perte et n’engage pas de dépense, mais obtient néanmoins une réduction de son obligation fiscale comme s’il l’avait fait.

Je crois qu’il faut rapprocher cette citation de la déclaration suivante que le juge Estey a faite dans l’arrêt Stubart, aux pages 575 et 576 :

La législation en matière d’impôt sur le revenu, comme la loi fédérale de notre pays, n’est plus uniquement un simple moyen de prélever des revenus pour faire face aux dépenses gouvernementales. Le gouvernement utilise les prélèvements d’impôt pour réaliser certains objectifs déterminés de politique économique. Ainsi, la Loi est à la fois un outil de politique économique et de politique fiscale. L’élément de politique économique de la Loi prend quelquefois la forme d’une incitation du contribuable à s’engager dans une activité précise ou à la réorganiser. Sans l’incitation contenue dans la Loi, le contribuable ne s’engagerait peut-être pas dans cette activité et pour lui l’opération en cause n’aurait pas d’autre objet commercial véritable.

L’intention du législateur

Dans l’arrêt Bon-Secours, la Cour suprême du Canada a souligné qu’il était nécessaire que les tribunaux examinent l’intention qu’a le législateur fédéral en créant et en modifiant des articles de la Loi de l’impôt sur le revenu. En 1971, le législateur fédéral a modifié l’article 88, qui prévoit que les biens d’une filiale possédée en propriété exclusive sont réputés, en cas de liquidation, avoir été vendus au prix coûtant et avoir été acquis par la compagnie mère au prix coûtant. Il s’ensuit que le gain ou la perte afférent à ces biens est reporté jusqu’au moment où la compagnie mère en dispose. En 1981, le législateur fédéral a modifié la loi de sorte que, lors du changement survenu dans le contrôle d’une compagnie, la fraction non amortie du coût en capital des biens amortissables de la compagnie est ramenée à la moitié de la juste valeur marchande des biens en immobilisation admissible de la compagnie. En 1987, le législateur a modifié de nouveau la Loi pour y insérer le paragraphe 249(4) et a ajouté, en 1989, l’article 1801 au Règlement pour mettre en œuvre une des mesures annoncées en 1987.

Ces ajouts ont effectivement imposé la reconnaissance des pertes accumulées se rapportant au stock au moment du changement survenu dans le contrôle. Ces modifications de 1987 empêchent le transfert de pertes commerciales accumulées comme celle dont l’intimée réclame la déduction en l’espèce.

Par souci de commodité et de simplicité, je fais miens les propos que le juge de première instance a tenus à la page 3196 de sa décision :

Je ne souscris pas au point de vue selon lequel les modifications de 1987 n’ont fait qu’élucider les règles de droit qui s’appliquaient par ailleurs en 1982, comme l’a fait valoir l’avocat de l’intimée [appelante]. Ces modifications vont nettement plus loin, car, si les opérations en cause avaient eu lieu après l’entrée en vigueur des modifications, il aurait fallu évaluer à sa juste valeur marchande le stock de la filiale. Par conséquent, postérieurement à 1987, les pertes accumulées et non réalisées imputables au stock ne pouvaient être transmises à la corporation mère lors d’une liquidation; elles étaient plutôt conservées par la filiale. Ce sont des modifications de fond qui ont été apportées en 1987. Elles ne se bornaient pas à simplement clarifier ou codifier les règles de droit existantes, mais en ont changé sensiblement les conséquences tant pour la filiale que pour la corporation mère. Appelées nouveau mécanisme pour minimiser les pertes ou nouvelles dispositions anti-évitement, ces modifications étaient présentées publiquement comme éliminant précisément les résultats devant lesquels nous nous trouvons en l’espèce.

Dispositif

Le sous-alinéa 88(1)a)(iii) de la Loi donnait à l’intimée le droit de déduire de son produit de disposition de 3 022 970 $ le coût indiqué réputé de 7 577 175 $ relatif à son bien-fonds. Ce résultat n’est pas incompatible avec l’objet et l’esprit de la Loi dans son ensemble ou avec l’intention du législateur. Je rejetterais l’appel avec dépens.



[1] Voici un extrait de l’arrêt Moloney (M.) c. Canada, aux p. 227 et 228 :

Il est un principe élémentaire de droit que les contribuables peuvent structurer leurs affaires de manière à être assujettis au minimum d’impôts; toutefois il est tout aussi évident à notre avis que, pour les contribuables, la réduction de leurs propres impôts ne peut en soi constituer une entreprise aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu … En d’autres termes, pour qu’une activité soit reconnue comme une « entreprise » dont les dépenses sont déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)a), non seulement le contribuable doit-il s’y adonner avec une expectative raisonnable de profit, mais aussi faut-il s’attendre à ce que le profit en question découle de l’activité elle-même et non pas exclusivement des dispositions de la loi fiscale.

[2] Ces modifications se trouvent à l’art. 70 de L.C. 1987, ch. 46, qui a eu pour effet d’insérer l’art. 249(4) dans la Loi, et à l’art. 1801 [mod. par DORS/89-419, art. 1] du Règlement.

[3] L’art. 9(1) de la Loi porte :

9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

[4] L’art. 18(1)a) porte :

18. …

a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

[5] J’ai examiné les arrêts Sous-ministre du Revenu (Qué.) c. Lipson, [1979] 1 R.C.S. 833 et Moloney (M.) c. Canada, [1992] 2 C.T.C. 227 (C.A.F.) et je conclus qu’il en ressort que, pour être considérée comme une entreprise, une activité doit non seulement être exercée avec une expectative raisonnable de profit, mais aussi que l’on doit s’attendre à ce qu’un profit découle de l’entreprise elle-même plutôt qu’exclusivement de la loi fiscale. Dans ces arrêts, la cour n’a pas déclaré que chaque opération d’une entreprise doit comporter une expectative raisonnable de profit. Si c’était le cas, une entreprise ne pourrait jamais réclamer la déduction à titre de dépense du coût de tout conseil juridique ou financier sur la façon de structurer ses affaires pour réduire son fardeau fiscal. En conséquence, je conclus que l’on ne doit pas étendre la portée de la jurisprudence précitée pour l’appliquer à chacune des opérations d’une entreprise.

Dans l’arrêt Canada c. Loewen, [1994] 3 C.F. 83(C.A.), il s’agissait d’une opération que le contribuable prétendait être une « opération commerciale ». Comme dans les affaires précitées, notre Cour a conclu qu’une opération commerciale doit comporter une expectative raisonnable de profit. Je dois toutefois souligner que, dans l’affaire Loewen, l’unique opération en cause constituait toute l’« opération commerciale » ou toute l’« entreprise ». La situation était donc différente de celle qui nous occupe. Il est incontestable que la Mara Properties Limited exploite une entreprise avec une expectative raisonnable de profit.

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