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[1995] 3 C.F. 86

IMM-4014-94

Ahmad Atef (requérant)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Atef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Wetston—Toronto, 23 mars; Winnipeg, 29 mai 1995.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Contrôle judiciaire de la décision selon laquelle le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention — Le requérant a été déclaré coupable de possession d’héroïne en vue d’en faire le trafic — La définition de réfugié au sens de la Convention exclut les personnes tombant sous le coup des sections E et F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés — L’art. 1Fc) exclut de l’application de la Convention les personnes coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies — S’il y a lieu à exclusion, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les facteurs d’inclusion — L’art. 1Fc) est applicable aux personnes qui ne sont pas des représentants de l’autorité, lors même qu’elles n’ont spécifiquement participé à aucune activité internationale — Les trafiquants internes sont un maillon indispensable dans la chaîne de distribution des stupéfiants — Sens des buts et principes des Nations Unies — Le trafic d’héroïne est un crime contre lequel l’ONU a pris et coordonné diverses initiatives — L’art. 1Fc) n’est pas nul pour cause d’imprécision.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Contrôle judiciaire de la décision selon laquelle le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention — Par suite de sa condamnation pour possession d’héroïne en vue d’en faire le trafic, le requérant est tombé sous le coup de l’exclusion prévue à l’art. 1Fc) de la Convention des Nations Unies, exclusion intégrée dans la définition que donne la Loi sur l’immigration de réfugié au sens de la Convention — L’argument de la violation des droits garantis par l’art. 7 de la Charte est prématuré puisqu’il n’est pas question d’expulsion en cet état de la cause « L’art. 1Fc) n’est pas nul pour cause d’imprécision — Les tribunaux peuvent donner un sens constant et définitif aux « buts et principes » des Nations Unies.

Justice criminelle et pénale — Stupéfiants — Demandeur d’asile reconnu coupable de possession d’héroïne en vue d’en faire le trafic — Il échet d’examiner s’il est exclu de l’application de la Convention — Les efforts des Nations Unies pour combattre le commerce illicite de drogues sont compris dans les « buts et principes » de l’Organisation internationale — Les agissements du requérant ont des implications internationales vu la provenance du stupéfiant — L’art. 1Fc) de la Convention doit s’interpréter comme s’appliquant aux personnes dans son cas si le Canada veut remplir ses obligations internationales dans la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants — Il n’y a aucune différence entre l’importation, la possession en vue d’en faire le trafic, et le trafic proprement dit de l’héroïne — Les trafiquants internes sont un maillon indispensable de la chaîne de distribution des stupéfiants — Un élément du « substrat de valeurs partagées par la société » est la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Recours en contrôle judiciaire contre la décision selon laquelle le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention. La définition de réfugié au sens de la Convention, figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, s’applique à toute personne qui satisfait aux conditions prévues à l’alinéa 2(1)a), mais exclut les personnes soustraites à l’application de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés par l’article premier, sections E ou F, de ce texte. La section Fc) de l’article premier exclut de l’application de la Convention toute personne dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elle s’est rendue coupable d’agissements contraires « aux buts et aux principes des Nations Unies ». La Commission a conclu que le requérant tombait sous le coup de la section Fc), puisqu’il avait été condamné pour possession d’héroïne en vue d’en faire le trafic, avant que sa revendication du statut de réfugié ne fût instruite. Elle conclut que les Nations Unies ont pris des initiatives pour combattre et/ou éliminer le commerce illicite de drogues et que ces initiatives sont comprises dans les « buts et principes » de l’Organisation internationale. Le verdict de culpabilité rendu contre le requérant est la preuve qu’il est engagé dans le commerce illicite de drogues et que, le pavot étant l’ingrédient principal de l’héroïne, le trafic en la matière présente des caractéristiques internationales.

La Commission a donné une interprétation disjonctive de la définition de « réfugié au sens de la Convention », ce qui signifie que s’il y a lieu à exclusion, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les facteurs d’inclusion. Le requérant soutient que les objectifs de l’exclusion doivent être pondérés par les facteurs d’inclusion. Que le champ d’application de la section Fc) doit être déterminé au regard des buts et principes des Nations Unies, lesquels, selon la Charte de l’Organisation internationale, ne concernent que les relations entre États indépendants et souverains. Et que le droit international ne connaît pas la responsabilité de l’individu qui n’est pas un représentant de l’autorité ou dont le crime ne présente pas d’importantes ramifications internationales.

Selon la Commission, l’argumentation du requérant qui fait valoir que ses droits garantis par les articles 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, auquel il ne peut être porté atteinte qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale) et 12 (droit à la protection contre tous traitements cruels et inusités) de la Charte sont violés par l’application de la disposition d’exclusion de la section Fc) de l’article premier, est prématurée puisque rien ne prouve qu’il serait expulsé. Selon le requérant, le paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration porte atteinte au droit à la justice fondamentale qu’il tient de l’article 7 de la Charte car la section Fc) ne dit pas ce qui est contraire aux buts et aux principes des Nations Unies et ne définit pas clairement les frontières du répréhensible ou des zones de danger alors que le grand public n’est pas au courant des grandes initiatives de l’ONU. La Commission a conclu que la section Fc) n’est pas nulle pour cause d’imprécision.

Il échet d’examiner (1) si la Commission a commis une erreur en donnant une interprétation disjonctive de la définition de réfugié au sens de la Convention; (2) si la section Fc) de l’article premier est applicable aux personnes qui ne sont pas des représentants de l’autorité; (3) si la section Fc) porte atteinte aux droits que garantissent au requérant les articles 7 et 12 de la Charte; et (4) si la section Fc) est nulle pour cause d’imprécision.

Jugement : il faut rejeter la recours.

(1) La définition de « réfugié au sens de la Convention » est disjonctive. La Commission n’est nullement tenue d’examiner les facteurs d’inclusion pour pondérer les facteurs d’exclusion lorsqu’elle applique la section Fc) de l’article premier de la Convention. S’il était vrai que la Commission aurait pu entreprendre une analyse des facteurs d’inclusion, qu’elle ne l’ait pas fait ne vaut pas erreur de droit. La pondération pourrait être envisagée dans certains cas, mais non pas en l’espèce.

(2) Bien que l’Organisation des Nations Unies, en sa qualité d’organisation internationale, n’ait peut-être pas compétence sur les individus, ses initiatives peuvent avoir des implications internes chez les pays membres. Le législateur a intégré dans la Loi sur l’immigration les obligations qu’assume le Canada dans le cadre de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Si la section Fc) ne peut s’appliquer aux individus qui, comme le requérant, ont été reconnus coupables des infractions de ce genre sous le régime du droit pénal interne, on pourrait dire que le Canada ne remplit pas ses obligations internationales que ce soit à l’égard des réfugiés ou dans la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants. La Cour a toujours jugé que le trafic d’héroïne, stupéfiant qui n’est pas produit au Canada, est un crime contre lequel l’ONU a pris et coordonné une variété d’initiatives internationales. Il n’y a aucune différence entre l’importation, la possession en vue du trafic et le trafic proprement dit de l’héroïne. Les initiatives de l’ONU ayant une portée interne tout autant qu’internationale, la section Fc) peut s’appliquer à une personne reconnue coupable de trafic d’héroïne au Canada, lors même qu’elle n’a spécifiquement participé à aucune activité internationale en la matière. Les trafiquants internes sont un maillon indispensable dans la chaîne de distribution des stupéfiants, et il ne faut pas minimiser leur participation.

(3) Les moyens tirés par le requérant de la Charte sont prématurés dans le contexte de l’examen de la question de savoir s’il est irrecevable à revendiquer la protection de la Convention par l’effet de la disposition d’exclusion de la section Fc), puisque la Cour n’est pas appelée à se prononcer sur une mesure d’expulsion.

(4) La section Fc) n’est pas nul pour cause d’imprécision. Une loi sera jugée inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire, c’est-à-dire pour trancher quant à sa signification à la suite d’une analyse raisonnée. Elle ne délimite pas suffisamment une sphère de risque et ne peut donc fournir ni d’avertissement raisonnable aux citoyens ni de limitation du pouvoir discrétionnaire dans l’application de la loi. Le pouvoir discrétionnaire d’exclusion de la Commission connaît une certaine limite objective. Elle doit examiner objectivement les faits et y appliquer les principes de droit qui s’imposent. La question de savoir quels sont les buts et les principes des Nations Unies est une question de droit, alors que celle de savoir s’il y a été porté atteinte est une question de fait. Les tribunaux peuvent donner un sens constant et définitif aux buts et principes des Nations Unies. Du point de vue du fond, l’avertissement raisonnable réside donc dans la conscience subjective de l’illégalité d’une conduite, fondée sur les valeurs qui forment le substrat du texte d’incrimination et sur le rôle que joue le texte d’incrimination dans la vie de la société. Un élément du « substrat de valeurs partagées par la société » est la lutte contre la production, la vente et la consommation illicites de stupéfiants. La section Fc) définit clairement une zone de danger et se prête au débat judiciaire par analyse rationnelle et application de critères juridiques.

Les questions suivantes sont certifiées : (1) La section Fc) est-elle nulle pour cause d’imprécision?; (2) La section Fc) s’applique-t-elle aux personnes qui ne sont pas en situation d’autorité?; (3) La Commission doit-elle pondérer les facteurs d’exclusion par les facteurs d’inclusion dans l’application de la section Fc) de l’article premier de la Convention?

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 12.

Charte des Nations Unies, [1945] R.T. Can. no 7, Art. 1, 2.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, le 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, Art. 1Fa),b),c).

Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23.

Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, ch. N-1, art. 4(2),(3).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) « réfugié au sens de la Convention » (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 114(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102), annexe (édictée par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 34).

Protocole des Nations Unies relatif au statut des réfugiés, 31 janvier 1967, [1969] R.T. Can. no 29.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Thamotharampillai c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 99 (1994), 77 F.T.R. 114 (1re inst.); Kabirian c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 143 (1re inst.) (QL); Arica c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] F.C.J. no 670 (C.A.) (QL); R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; (1992), 114 N.S.R. (2d) 91; 93 D.L.R. (4th) 36; 313 A.P.R. 91; 74 C.C.C. (3d) 289; 43 C.P.R. (3d) 1; 15 C.R. (4th) 1; 10 C.R.R. (2d) 34; 139 N.R. 241; R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711; (1992), 77 C.C.C. (3d) 91; 17 C.R. (4th) 74; 12 C.R.R. (2d) 31; 144 N.R. 176; 51 Q.A.C. 161.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mehmet, [1992] 2 C.F. 598(C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (1994), 115 D.L.R. (4th) 403; 24 Imm. L.R. (2d) 229 (C.A.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] F.C.J. no 870 (1re inst.) (QL); Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779; (1991), 84 D.L.R. (4th) 438; 67 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 1; 129 N.R. 81; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 93 N.R. 183.

DÉCISIONS CITÉES :

Tutu c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 74 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.); Gil c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 508 (1994), 174 N.R. 292 (C.A.); Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.); Hoang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; 120 N.R. 193 (C.A.F.).

DOCTRINE

Bassiouni, M. Cherif (ed.) International Criminal Law, Vol. 1. Transnational Publishers, 1987.

Garant, Patrice. L’imprécision en droit administratif et en droit constitutionnel : un défi à l’intelligence moyenne. Toronto : Carswell, 1994.

Goodwin-Gil, Guy S. The Refugee in International Law. Oxford : Clarendon Press, 1983.

Halewood, Michael. « Excluding Refugees Pursuant to the 1951 Convention : Should the Purposes and Principles of the United Nations Extend Beyond the Promotion of Human Rights to the Exclusion of Drug Traffickers? » (1995), 25 Imm. L.R. (2d) 305.

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status. Toronto : Butterworths, 1991.

Kindred, H. M. et al. International Law : Chiefly as Interpreted and Applied in Canada, 5th ed. Toronto : Emond Montgomery Publications Limited, 1993.

« Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité » dans Annuaire de la Commission du droit international 1991, vol. II, 2e partie (New York : Nations Unies, 1994).

Rikhof, J. « The Treatment of the Exclusion Clauses in Canadian Refugee Law » (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 31.

DEMANDE de contrôle judiciaire contre la décision selon laquelle le requérant, qui avait été reconnu coupable de possession d’héroïne en vue d’en faire le trafic, n’est pas un réfugié au sens de la Convention. Demande rejetée.

AVOCATS :

Howard C. Gilbert pour le requérant.

Claire A. H. Le Riche pour l’intimé.

PROCUREURS :

Gilbert & Yallen, Toronto, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonance rendus par

Le juge Wetston : Il y a en l’espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 2 août 1994 par laquelle la section du statut de réfugié, Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a conclu que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention, mais une personne tombant sous le coup de la section Fc) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention), signée à Genève le 28 juillet 1951 [[1969] R.T. Can. no 6], le Protocole [Protocole des Nations Unies relatif au statut des réfugiés] de celle-ci signé à New York le 31 janvier 1967 [[1969] R.T. Can. no 29]. La section Fc) de l’article premier est intégrée dans la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] par l’effet de la définition de « réfugié au sens de la Convention » au paragraphe 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1] de cette Loi; elle figure également à l’annexe [édictée, idem, art. 34] de la Loi. Voici ce que porte cette section :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Le requérant, citoyen de l’Iran, est arrivé au Canada le 2 février 1986, date à laquelle il a revendiqué le statut de réfugié par ce motif qu’il craignait avec raison d’être persécuté en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier. Cependant, le 13 septembre 1987, avant même que sa revendication du statut de réfugié ne fût instruite, il a été poursuivi pour possession d’héroïne en vue d’en faire le trafic, en violation du paragraphe 4(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, ch. N-1, laquelle possession est un acte criminel au regard du paragraphe 4(3) de la même Loi. M. Atef a été reconnu coupable de cette infraction le 11 décembre 1987 et condamné à une peine d’emprisonnement de 55 mois. Par la suite, le 28 octobre 1992, sa revendication du statut de réfugié a été jugée pourvue d’un minimum de fondement et, en conséquence, elle a été soumise à la Commission pour instruction. L’audience, à laquelle participait le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, eut lieu le 1er juin 1993 et le 27 octobre 1993.

Les points litigieux

Voici les questions soulevées par le requérant dans ce recours en contrôle judiciaire :

1. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en décidant de n’examiner l’affaire sous l’angle de l’inclusion qu’au cas où elle aurait conclu que le requérant n’était pas exclu par l’effet de la section Fc) de l’article premier; dans l’affirmative, la Commission a-t-elle commis une erreur faute d’avoir pondéré les facteurs d’exclusion par les facteurs d’inclusion?

2. La section Fc) de l’article premier s’applique-t-il au cas du requérant, qui n’est pas une personne en situation d’autorité?

3. La section Fc) de l’article premier porte-t-il atteinte aux droits du requérant, que protège les articles 7 ou 12 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]?

4. La section Fc) de l’article premier de la Convention porte-t-il atteinte, en raison de son imprécision, aux droits du requérant, que protège l’article 7 de la Charte?

La Commission, par des motifs détaillés en réponse à chacune des questions soumises à la Cour, a conclu que le requérant est exclu de l’application de la Convention parce que, au regard de la section Fc) de l’article premier de ce texte, il y a des raisons sérieuses de penser qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

1.         Inclusion et exclusion

En ce qui concerne l’application de la disposition d’exclusion, savoir la section Fc) de l’article premier, la Commission a tiré la conclusion suivante en pages 5 et 6 des motifs de sa décision :

[traduction] … la disposition d’exclusion de la définition [de réfugié au sens de la Convention] est disjonctive, elle n’est pas reliée aux facteurs d’inclusion prévus dans cette définition. Elle signifie que s’il y a lieu à exclusion, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les facteurs d’inclusion.

À notre avis, c’était la volonté du législateur, telle qu’en témoigne la disposition d’exclusion de la section Fc) de l’article premier, d’exclure les personnes de cette catégorie quand bien même elles risqueraient vraiment la persécution … nous avons conclu qu’aucune règle de droit ne prescrit la pondération dont fait état l’avocat du requérant.

Selon le requérant, la Commission a commis une erreur de droit pour avoir donné une interprétation disjonctive de la définition de « réfugié au sens de la Convention » figurant au paragraphe 2(1). Dans l’examen des facteurs d’exclusion, dit-il, il incombe à la Commission de prendre aussi en considération les facteurs d’inclusion, ainsi que toutes les circonstances atténuantes de son crime et la question de savoir s’il présente actuellement un risque pour la société. Dans ce contexte, le requérant soutient que l’exclusion prévue à la définition de réfugié au sens de la Convention ne doit pas être envisagée à part, mais interprétée comme signifiant que les objectifs de l’exclusion doivent être pondérés par les facteurs d’inclusion. Et que cette pondération s’impose pour garantir que les objectifs de la Loi sur l’immigration et de la Convention soient atteints pour ce qui est de l’exclusion et de l’inclusion.

Selon le requérant, chaque alinéa de la section F de l’article premier est différent, et il faut distinguer lorsqu’il s’agit d’appliquer les sections Fa), b) et c) de l’article premier respectivement. Il reconnaît que la pondération n’est peut-être pas nécessaire pour ce qui est de la section Fa)[1], mais soutient qu’elle s’impose à l’égard des sections Fb) et Fc), citant à cet effet The Law of Refugee Status de James C. Hathaway (Toronto : Butterworths, 1991), en page 225, et The Refugee in International Law de Goodwin-Gil, 1983, en pages 62 et 63, qui tiennent que la pondération s’impose dans le contexte de la section Fb). Le requérant soutient que le commentaire sur l’impératif de pondération dans le contexte de la section Fb) est instructif pour ce qui est de l’interprétation correcte de la section Fc), du fait que la seule distinction entre ces deux alinéas tient au lieu du crime. Il en conclut que la pondération s’impose aussi dans le contexte de la section Fc).

Le requérant se fonde sur la conclusion suivante tirée par la Cour d’appel fédérale en page 607 de l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mehmet, [1992] 2 C.F. 598 pour soutenir que les facteurs d’inclusion doivent être examinés pour pondérer les objectifs de l’exclusion :

À l’égard d’un revendicateur qui a satisfait au test d’éligibilité, l’application d’une clause d’exclusion n’est jamais automatique, et toujours elle nécessitera une appréciation des circonstances et de l’ensemble de la situation …

Il invoque encore l’arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 en pages 326 et 327, où la Cour d’appel fédérale a jugé que, dans le contexte de la section Fa) de l’article premier, il est préférable que la Commission tienne compte des facteurs d’inclusion en même temps que des facteurs d’exclusion.

Il cite aussi l’arrêt Gonzalez, supra, de la Cour d’appel fédérale où, en pages 655 et 656, le juge Mahoney s’est prononcé en ces termes au sujet de la possibilité de pondération dans le contexte de la section Fb) de l’article premier :

Le requérant soutient qu’une conclusion quant au bien-fondé de la revendication est essentielle parce que la persécution qu’il pourrait subir advenant son retour doit être appréciée au regard de la gravité des actes susceptibles de donner lieu à l’application de la clause d’exclusion; selon lui, cette appréciation est un facteur dont la Commission du statut de réfugié devait tenir compte pour décider s’il y avait lieu d’invoquer la clause d’exclusion. Cet argument est étayé par la doctrine sinon par la jurisprudence, comme en témoigne le passage suivant …

Ce passage apparaît sous le sous-titre « Crimes graves de droit commun », lesquels sont visés par la section Fb) de l’article premier et non par la section Fa). Vu cependant le caractère non limitatif de ce commentaire et le libellé de la section F de l’article premier, l’auteur ne pouvait appliquer son raisonnement qu’au paragraphe dans son ensemble. L’analyse d’un autre commentaire cité devant nous me convainc que lui aussi est entièrement étayé par la section Fb) de l’article premier.

Les crimes commis par les auteurs d’une révolution ou ses opposants peuvent-ils être qualifiés de crimes de « droit commun »? J’en doute. Peut-être l’adjectif « grave » utilisé à la section Fb) de l’article premier rend-il possible la pondération suggérée mais on ne retrouve rien de tel à la section Fa). Les crimes visés par cette dernière disposition sont, par définition, extrêmement graves. Dans la mesure où le commentaire s’applique aussi à cet alinéa, c’est peut-être que ce qui se produit en situation de combat ne doit pas forcément être considéré comme un crime.

Le requérant soutient que, chaque alinéa de la section F de l’article premier étant différent, il n’y a pas lieu pour la Cour d’appliquer l’analyse qu’elle a faite dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [[1993] F.C.J. no 870 (1re inst.) (QL)] et qu’a adoptée la Commission en l’espèce, analyse par laquelle la Cour a conclu qu’il n’y avait aucune distinction entre les sections Fa) et Fc) et qu’en conséquence, l’application de ce dernier se faisait sans pondération.

Au contraire, dit-il, c’est à l’égard de cet section Fc) que, vu sa portée très générale, la nécessité de pondérer l’exclusion par l’inclusion est la plus impérieuse. Et que, faute par la Commission de pondérer les facteurs d’exclusion par les facteurs d’inclusion, tout acte, si insignifiant ou banal soit-il, qui pourrait être contraire à une initiative quelconque des Nations Unies, pourrait servir à justifier l’exclusion sous le régime de la section Fc).

De son côté, l’intimé soutient que la définition légale de « réfugié au sens de la Convention », au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, est claire. Quiconque tombe sous le coup de l’une des dispositions d’exclusion des sections E ou F de l’article premier de la Convention ne jouit pas de la protection offerte par le Canada aux réfugiés au sens de la Convention. Dans ce contexte, la Commission n’était nullement tenue par la Loi d’examiner si le requérant aurait pu satisfaire aux critères de cette définition n’eût été le fait qu’il y avait des raisons sérieuses de penser qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. L’intimé cite à l’appui de cet argument divers précédents : Gonzalez, supra, en pages 655 à 657; Tutu c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 74 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.), en page 47; et Gil c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 508(C.A.), en pages 534 et 535. Il soutient encore que les facteurs d’exclusion sont complètement indépendants des attributs du réfugié, et qu’il n’y a lieu d’examiner aucun autre facteur après qu’il a été jugé que le demandeur a commis un crime tel que la Convention ne s’applique plus dans son cas (Mehmet, supra, et Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306(C.A.)).

Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration définit comme réfugié au sens de la Convention toute personne qui satisfait aux conditions prévues à l’alinéa 2(1)a), mais exclut les personnes soustraites à l’application de la Convention par l’article premier, sections E ou F, de ce texte. Il est clair que ce paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration comprend l’intégralité de la section F de l’article premier. Il est aussi clair que quiconque tombe sous le coup de l’un des facteurs d’exclusion prévus aux sections E et F de cet article ne peut revendiquer la protection offerte par le Canada aux réfugiés au sens de la Convention. Il ne s’agit pas là d’une appréhension littérale du paragraphe 2(1) et de l’article premier, section F, mais de la seule interprétation qu’on puisse donner de leur libellé. La définition de « réfugié au sens de la Convention » qui figure au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration est disjonctive. En conséquence, je conclus que la Commission n’est nullement tenue d’examiner les facteurs d’inclusion pour pondérer les facteurs d’exclusion lorsqu’elle applique la section Fc) de l’article premier de la Convention.

Je ne pense pas que les conclusions tirées par la Cour dans Mehmet, supra, signifient que la disposition d’exclusion doit être pondérée par les facteurs d’inclusion. Cette décision porte sur les questions d’admissibilité découlant de l’examen du minimum de fondement. Par ailleurs, il ressort de l’affaire Moreno, supra, que les revendications y étaient étroitement liées, ce qui engageait à considérer les facteurs d’inclusion parallèlement aux facteurs d’exclusion. Je partage l’interprétation faite par la Commission de cette décision Moreno.

Par ailleurs, dans Gonzalez, supra, en page 657, le juge Mahoney a expressément conclu que ni l’une ni l’autre approche ne valait erreur de droit. Donc s’il était vrai que la Commission aurait pu entreprendre une analyse des facteurs d’inclusion, qu’elle ne l’ait pas fait ne vaut pas erreur de droit. Je n’interprète pas les conclusions tirées par le juge Mahoney dans Gonzalez, supra, comme signifiant qu’à son avis, les sections Fb) et Fc) de l’article premier de la Convention comportaient un impératif de pondération. Il se peut qu’à son avis, la pondération puisse être envisagée dans certains cas. Je conclus cependant que tel n’est pas le cas en l’espèce.

En fait, l’avocat du requérant reconnaît au cours des débats que si la disposition d’exclusion est disjonctive, point n’est besoin de prendre en considération les facteurs d’inclusion pour contrebalancer l’exclusion. Autrement dit, si la Commission n’est pas tenue d’examiner les facteurs d’inclusion dans l’instruction de la cause au regard de la section Fc) de la Convention, la pondération n’est pas nécessaire.

Le requérant soutient encore que sans l’impératif de pondération de l’exclusion par l’inclusion, la section Fc) aura pour résultat d’exclure presque automatiquement, peu importe la gravité des agissements en cause pourvu qu’il y ait eu contravention à une initiative quelconque des Nations Unies. J’estime que son argument n’a rien à voir avec les termes de la section Fc) que je ne trouve nullement ambigus. Qui plus est, l’analyse des travaux préparatoires de la Convention m’engage aux conclusions suivantes :

a) Les agissements en question doivent être criminels;

b) L’exclusion prévue à la section Fc) peut s’appliquer aux actes commis dans le pays d’accueil comme dans le pays d’origine. Voir Rikhof, J. « The Treatment of the Exclusion Clauses in Canadian Refugee Law » (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 31, en page 62. Pour une vue différente de l’application de la section Fc), voir Michael Halewood, « Excluding Refugees Pursuant to the 1951 Convention : Should the Purposes and Principles of the United Nations Extend Beyond the Promotion of Human Rights to the Exclusion of Drug Traffickers? » (1995), 25 Imm. L.R. (2d) 305.

L’interprétation des buts et principes des Nations Unies est une question de droit, laquelle est susceptible de contrôle judiciaire de la part de la Cour fédérale. Qui plus est, comme la Commission l’a fait observer à plusieurs reprises dans sa décision, le requérant peut toujours invoquer le paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi sur l’immigration pour saisir le ministre d’une demande de dispense pour des raisons d’ordre humanitaire, auquel cas les circonstances atténuantes du crime commis au Canada pourraient être prises en considération. En conséquence, la Commission n’a commis aucune erreur de droit à cet égard.

2.         Personnes en situation d’autorité

La section Fc) de l’article premier s’applique-t-il aux personnes qui ne sont pas en situation d’autorité? La Commission a tiré à cet égard la conclusion suivante, en page 12 des motifs de sa décision :

[traduction] … il n’y a aucune raison de limiter l’application de cet article [1Fc)] à certains individus ou certaines catégories sociales. Cela reviendrait à diminuer l’efficacité des efforts faits par l’Organisation des Nations Unies pour réaliser ses buts et ses principes, lesquels embrassent l’élimination de ces agissements.

Le requérant soutient que le champ d’application de la section Fc) doit être déterminé au regard des « buts et principes des Nations Unies », tels qu’ils figurent aux articles 1 et 2 de la Charte des Nations Unies, [1945] R.T. Can. no 7]. Que l’application de la section Fc) ne peut déborder du mandat légal des Nations Unies; qu’essentiellement, les buts et principes dont fait état la Charte des Nations Unies concernent les relations entre États indépendants et souverains; qu’en conséquence, on ne saurait dire qu’un individu, comme le requérant, qui ne représente pas une autorité gouvernementale ni n’est engagé dans des activités internationales, peut se rendre coupable d’agissements contraires à un but ou principe quelconque des Nations Unies car, selon les principes de droit international, rien ne permet de dire que l’Organisation des Nations Unies a compétence sur les actes commis par un individu à l’intérieur de l’État où il se trouve.

Le requérant reconnaît que l’Organisation des Nations Unies a pris certaines initiatives pour combattre le trafic de drogues, mais tient que ces initiatives, convenues entre des États souverains, ne visent qu’à fixer une stratégie coordonnée contre la consommation et le mouvement de drogues illicites. Et que si les diverses initiatives assurent le moyen de juger si un État donné remplit ses obligations internationales, elles n’ont pas valeur de lois internes. Dans la mesure où la Commission conclut que la lutte contre la consommation et le trafic de drogues illicites est un but poursuivi par les Nations Unies, le requérant soutient que conclusion n’a un sens que dans le contexte de la coordination des actions d’États souverains.

Selon le requérant, ni l’une ni l’autre des deux décisions Pushpanathan, supra, et Thamotharampillai c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 99(1re inst.), de la Cour ne pose que la section Fc) de l’article premier s’applique aux individus qui ne sont pas en situation d’autorité ou qui ne participent pas à d’importantes activités internationales. Que la décision Pushpanathan, supra, ne pose pas que cette disposition s’applique aux individus comme le requérant. Et que cette décision n’est pas exhaustive, en ce qu’elle ne porte pas sur les buts et les principes des Nations Unies.

Il soutient encore que la décision Thamotharampillai, supra, ne permet pas non plus de conclure que la section Fc) s’applique à son égard; que cette décision étend le champ d’application de la section Fc) aux individus dont les activités ont des « répercussions internationales importantes ». À la différence de cette affaire dans laquelle le demandeur d’asile était accusé de complot de trafic de stupéfiants et où il y avait des preuves d’importation de stupéfiants en contrebande au Canada, le crime commis par le requérant en l’espèce n’a rien d’international. Selon le requérant, la conclusion tirée par la Commission que son crime avait des ramifications internationales du fait que l’héroïne n’est pas un produit d’origine canadienne, n’est pas suffisante pour établir l’existence de « répercussions internationales importantes » au sens de la décision Thamotharampillai, supra.

L’intimé s’oppose à l’argument proposé par le requérant que le droit international ne connaît pas la responsabilité de l’individu qui n’est pas un représentant de l’autorité ou dont le crime ne présente pas d’importantes ramifications internationales. Selon l’intimé, il ressort d’une simple lecture de la section Fc) qu’il n’y a aucune raison pour en limiter l’application aux représentants de l’autorité ou aux personnes dont le crime présente d’importantes ramifications internationales. Il cite à l’appui les décisions suivantes de la Cour : Pushpanathan, supra, Thamotharampillai, supra, et Kabirian c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 143 (1re inst.) (QL). Selon l’intimé, la Cour a adopté une approche large et libérale dans l’application de la section Fc), au lieu de l’approche restrictive que préconisent le requérant et certains auteurs. Essentiellement, l’intimé soutient que selon les principes de droit en vigueur, le trafic d’héroïne est au Canada un crime contraire aux buts et aux principes des Nations Unies.

À l’argument du requérant selon lequel son crime est exclusivement une infraction à la loi interne et ne présente aucune ramification internationale, l’intimé réplique que la Commission avait reçu du ministre des preuves établissant que sur le plan international, la possession d’héroïne aux fins de trafic est une infraction particulièrement grave. Il cite en outre l’article 25 du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, qui est contenu dans [Annuaire de la Commission du droit international 1991], Rapport de la Commission à l’Assemblée générale des Nations Unies, pour faire valoir que la section Fc) de l’article premier de la Convention vise bien la responsabilité de l’individu. Voici ce que porte l’article 25 du Projet de code [en pages 101 et 102] :

1. Tout individu qui commet ou ordonne que soit commis l’un quelconque des actes ci-après :

   entreprendre, organiser, faciliter, financer ou encourager le trafic illicite de stupéfiants à une vaste échelle, dans le cadre d’un État ou un cadre transfrontière

sera, une fois reconnu coupable de cet acte, condamné [à … ].

3. On entend par trafic illicite de stupéfiants toute production, fabrication, extraction, préparation, offre, mise en vente, distribution, vente, livraison à quelque condition que ce soit, courtage, expédition, expédition en transit, transport, importation ou exportation de tout stupéfiant ou de toute substance psychotrope en violation du droit interne ou du droit international.

Je dois rejeter l’argument du requérant selon lequel il faut donner de la section Fc) de l’article premier une interprétation restrictive. Bien que l’Organisation des Nations Unies, en sa qualité d’organisation internationale, n’ait peut-être pas compétence sur les individus, ses initiatives peuvent avoir des implications internes chez les pays membres. Par exemple, le législateur a intégré dans la Loi sur l’immigration les obligations qu’assume le Canada dans le cadre de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Cette Loi prévoit que certaines personnes seront exclues du bénéfice de la protection de la Convention, dans le cas par exemple où elles se sont rendues coupables d’agissements contraires « aux buts et aux principes » des Nations Unies. Si la section Fc) ne peut s’appliquer aux individus qui, comme le requérant, ont été reconnus coupables des infractions de ce genre sous le régime du droit pénal interne, on pourrait dire que le Canada ne remplit pas ses obligations internationales que ce soit à l’égard des réfugiés ou dans la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants.

Dans International Criminal Law, Vol. 1 (Transnational Publishers, 1987), en pages 507 à 524, qui relate en détail la lutte internationale contre les crimes de droit commun et les stupéfiants, l’auteur M. Bassiouni explique, en page 521, comment des individus comme le requérant forment les rouages du trafic international de stupéfiants :

[traduction] Le trafic illicite de drogues et les activités criminelles des trafiquants internationaux constituent un sujet d’inquiétude pour la communauté internationale. Dans la majorité des cas, les organisateurs du trafic international illicite ne manient pas matériellement les drogues eux-mêmes, mais organisent, financent et dirigent ces opérations qui sont exécutées par des sous-fifres; les drogues sont ensuite distribuées aux consommateurs par des revendeurs qui en assurent le mouvement et la dissémination dans un réseau organisé qui fait boule de neige.

On peut aussi lire dans H. M. Kindred et al., International Law : Chiefly as Interpreted and Applied in Canada, 5e éd. (Emond Montgomery Publications Limited, 1993), ce qui suit en page 446 :

[traduction] Au cours du XXe siècle, la communauté internationale en est venue à accepter que des individus puissent être poursuivis et reconnus coupables de crimes internationaux comme les crimes contre la paix, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, l’apartheid, le génocide, les tortures, certains actes de terrorisme international, et le trafic international de drogues et de substances psychotropes… cependant, en l’absence d’une instance répressive internationale, la coopération des États dans la lutte contre l’activité criminelle internationale a pris la forme de traités spécifiques imposant l’extradition et la poursuite sur place. [Non souligné dans l’original.]

Si on peut dire qu’en dernier ressort, les moyens de lutte contre le trafic de stupéfiants par l’application de la loi pénale et des sanctions en matière d’immigration sont surtout des mesures internes, il n’y a guère de doute que la lutte internationale contre les stupéfiants a été lancée par la Société des Nations et largement poursuivie par les Nations Unies.

Le Projet de code de 1991, que cite l’intimé, n’est pas encore terminé. Il exprime néanmoins la volonté de lutter contre le trafic illicite de drogues. De fait, on peut voir, du moins dans ce contexte, que les règles internationales et internes deviennent de plus en plus étroitement liées.

En outre, une jurisprudence relativement constante s’est élaborée au sujet de l’application de la section Fc) de l’article premier de la Convention. À cet égard, la Cour a toujours jugé que le trafic d’héroïne, stupéfiant qui n’est pas produit au Canada, est un crime contre lequel l’ONU a pris et coordonné une variété d’initiatives internationales. Le requérant cherche à distinguer l’affaire en instance de la cause Thamotharampillai, supra, en particulier, par ce motif que son propre crime tombait exclusivement sous le coup de la loi interne et n’était pas aussi grave, mais je ne vois aucune différence entre la possession d’héroïne en vue du trafic et le trafic proprement dit de ce stupéfiant.

D’ailleurs, je partage la conclusion tirée par Madame le juge McGillis dans Kabirian, supra, en pages 6 et 7 où, adoptant l’analyse faite dans la décision Thamotharampillai, supra, elle a jugé que, les initiatives de l’ONU ayant une portée interne tout autant qu’internationale, la section Fc) peut s’appliquer à une personne reconnue coupable de trafic d’héroïne au Canada, lors même qu’elle n’a spécifiquement participé à aucune activité internationale en la matière. Je partage aussi sa conclusion que les trafiquants internes sont un maillon indispensable dans la chaîne de distribution des stupéfiants, et qu’il ne faut pas minimiser leur participation.

En conséquence, je conclus que la Commission n’a pas commis une erreur pour avoir jugé que le requérant est une personne visée par la section Fc) de l’article premier.

3.         L’application des articles 7 et 12 de la Charte

Selon la Commission, l’argumentation du requérant qui fait valoir que ses droits garantis par les articles 7 et 12 de la Charte sont violés par l’application de la disposition d’exclusion de la section Fc) de l’article premier, était prématurée puisque rien ne prouve qu’il serait expulsé du Canada vers l’Iran.

Dans Arica c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [[1995] F.C.J. no 670 (QL)], la Cour d’appel a récemment examiné la question de l’application de l’article 7 de la Charte dans le contexte de l’exclusion. Il est vrai que cette décision porte sur l’application de la section Fa) de l’article premier de la Convention, mais je ne vois pas ce que celui-ci a de différent avec la section Fc) au regard de l’article 7 de la Charte. Dans ce contexte, le juge Robertson a tiré en page 17 la conclusion suivante :

À mon avis, l’article 7 de la Charte ne change pas le droit existant. Il est au mieux prématuré de soutenir qu’il y a eu violation des droits que l’article 7 de la Charte garantit à l’appelant, car il n’a pas été prouvé devant la Commission que l’appelant serait expulsé du Canada vers le Pérou. Il convient de noter que nous n’examinons pas ici l’exécution d’une ordonnance d’expulsion mais plutôt un appel formé contre une décision dans laquelle il a été jugé que l’appelant n’a pas le droit de revendiquer le statut de réfugié. Le fait d’interdire à quelqu’un de revendiquer un tel statut ne suppose pas ou n’entraîne pas en soi un acte positif qui puisse influer sur sa vie, sa liberté ou la sécurité de sa personne. Cette conclusion s’accorde avec la jurisprudence de notre Cour; voir Barrera c. M.E.I. (1992), 18 Imm.L.R. (2d) 81 (C.A.F.). D’après moi, ce que dit la Cour suprême dans Singh et autres c. M.E.I., [1985] 1 R.C.S. 177, ne s’écarte en rien de cette conclusion. Il faudrait comparer cet arrêt avec l’arrêt plus récent de cette Cour Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779.

Malgré l’argument contraire du requérant, je conclus donc que la Commission a jugé à bon droit que ses arguments relatifs à l’article 7 étaient prématurés, dans le contexte de l’examen de la question de savoir s’il est irrecevable à revendiquer la protection de la Convention par l’effet de la disposition d’exclusion de la section Fc).

En ce qui concerne l’argument du requérant relatif à l’article 12, savoir que son exclusion constitue un traitement cruel et inusité, j’estime que les motifs prononcés par le juge Robertson dans Arica, supra, au sujet de l’article 7 de la Charte sont également applicables à l’article 12. Dans Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, il a été jugé que l’extradition même d’un individu qui risque la peine de mort ne porte atteinte ni à l’article 7 ni à l’article 12 de la Charte. Le juge La Forest a conclu en page 834 que le gouvernement a le droit et l’obligation d’exclure et d’expulser des étrangers s’il le juge indiqué; voir également Hoang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35 (C.A.F.). Bien qu’en l’espèce, il ne s’agisse pas d’un résident permanent ou de quelqu’un qui s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, j’estime que les arguments fondés par le requérant sur l’article 12 de la Charte sont prématurés en cet état de la cause puisque la Cour n’est pas appelée à se prononcer sur une mesure d’expulsion.

En conséquence, je conclus que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire au regard de l’article 7 ou de l’article 12 de la Charte.

4.         Manque de précision

La Commission a-t-elle conclu à tort que la section Fc) de l’article premier n’est pas nul pour cause d’imprécision ou de généralité excessive?

Selon le requérant, le paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, qui intègre la section Fc) de l’article premier de la Convention, porte atteinte, en raison de son imprécision, au droit à la justice fondamentale qu’il tient de l’article 7 de la Charte. Il soutient que cet alinéa ne donne pas un avertissement sur le fond, c’est-à-dire qu’il n’apprend pas à la société ce qui est contraire « aux buts et aux principes des Nations Unies ». Et qu’il ne définit pas clairement les frontières du répréhensible ou des zones de danger alors que le grand public n’est pas au courant des grandes initiatives de l’ONU.

Comme l’a fait observer la Cour suprême du Canada dans R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, en pages 621 et s., la doctrine de l’imprécision est fondée sur les principes de l’avertissement raisonnable donné aux justiciables et de la limitation du pouvoir discrétionnaire dans l’application de la loi. L’avertissement raisonnable comporte deux impératifs : l’impératif de forme, savoir la connaissance même du texte de loi, et l’impératif de fond, savoir la conscience que certains agissements sont interdits par la loi. La limitation du pouvoir discrétionnaire dans l’application de la loi tient au fait qu’une loi ne doit pas être imprécise au point que le pouvoir de juger se confond avec le pouvoir de poursuivre. Essentiellement, ainsi que le fait observer le juge Gonthier dans Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, une loi sera jugée inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire.

La Cour suprême a été encore appelée à se prononcer sur la doctrine de l’imprécision dans R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711, où elle l’a expliquée en ces termes, en page 727 :

Après avoir fait remarquer, à la p. 632 [de Nova Scotia Pharmaceutical Society], que « le critère selon lequel une loi sera jugée imprécise est assez exigeant », [le juge Gonthier] a conclu, à la p. 643, qu’« une loi sera jugée d’une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire ». Cette conclusion repose sur le raisonnement suivant (aux pp. 639 et 640) :

Une disposition imprécise ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire, c’est-à-dire pour trancher quant à sa signification à la suite d’une analyse raisonnée appliquant des critères juridiques. Elle ne délimite pas suffisamment une sphère de risque et ne peut donc fournir ni d’avertissement raisonnable aux citoyens ni de limitation du pouvoir judiciaire dans l’application de la loi. Une telle disposition n’est pas intelligible, pour reprendre la terminologie de la jurisprudence de notre Cour, et ne donne par conséquent pas suffisamment d’indication susceptible d’alimenter un débat judiciaire. Elle ne donne aucune prise au pouvoir judiciaire.

Ainsi, parce qu’une loi imprécise ne saurait orienter le débat judiciaire d’une manière cohérente, elle porte atteinte aux principes de justice fondamentale garantis à l’art. 7; c’est en outre une considération qui entre en jeu dans l’analyse fondée sur l’article premier.

Les divers facteurs à prendre en considération pour examiner si une loi est imprécise sont relevés par le juge Gonthier dans Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, en page 627 :

… [ces facteurs] comprennent : a) la nécessité de la souplesse et le rôle des tribunaux en matière d’interprétation; b) l’impossibilité de la précision absolue, une norme d’intelligibilité étant préférable; c) la possibilité qu’une disposition donnée soit susceptible de nombreuses interprétations qui peuvent même coexister …

Il s’agit donc d’examiner si, compte tenu des facteurs susmentionnés, le législateur, en intégrant la section Fc) dans la Loi sur l’immigration, a clairement défini la zone de danger ainsi que les prémisses du débat judiciaire, comme l’exige la norme constitutionnelle de précision. La formulation « contraire aux buts et aux principes des Nations Unies » est-elle imprécise au point d’être inconstitutionnelle?

Antérieurement à l’arrêt Morales, supra, la Cour suprême du Canada a été appelée à appliquer la doctrine de l’imprécision dans des cas où le texte en cause soit définissait une infraction soit interdisait certains agissements. Par exemple, dans Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, le litige portait sur la disposition portant complot dans l’ancienne Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, ch. C-23] qui interdisait les agissements visant à diminuer « indûment » la libre concurrence sur les marchés canadiens, agissements punissables, sur déclaration de culpabilité, d’une amende et d’une peine d’emprisonnement. Dans Morales, supra, la question de l’imprécision s’est posée au sujet des motifs de détention préventive, savoir l’« intérêt public » et la « sécurité publique ». En l’espèce, il est clair que c’est la section Fc) la disposition portant interdiction. Si la Commission a des raisons sérieuses de penser que l’intéressé s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, la Convention ne sera pas applicable.

L’intimé soutient que l’application de la Convention relève du droit public, non du droit pénal ou du droit civil, mais je ne pense pas que de faire de la section Fc) une matière de droit public administrée par la CISR diminue ou atténue, de quelque manière que ce soit, l’application de la doctrine de l’imprécision. À cet égard, la Cour suprême, dans Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, en page 642, a confirmé que la doctrine est applicable à l’égard de tous les textes de loi :

Pour terminer, je tiens à souligner en outre que la norme que j’ai exposée s’applique à tous les textes de loi, de droit civil, de droit pénal, de droit administratif ou autre. Les citoyens ont droit à ce que l’État se conforme aux normes constitutionnelles régissant la précision chaque fois qu’il établit des textes de loi.

La section Fc) de l’article premier ne tombera pas sous le coup de la doctrine de l’imprécision du seul fait qu’il est formulé en termes généraux susceptibles d’interprétation. Ainsi que l’a noté le juge en chef dans Morales, supra, en page 729, « souplesse n’est pas synonyme d’imprécision ». Ce qu’il y a lieu d’examiner, c’est de savoir si cette disposition confère un pouvoir discrétionnaire absolu. Dans Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, le juge Gonthier a tiré à ce sujet la conclusion suivante, en page 642 :

Ce qui fait plus problème, ce ne sont pas tant des termes généraux conférant un large pouvoir discrétionnaire, que des termes qui ne donnent pas, quant au mode d’exercice de ce pouvoir, d’indications permettant de le contrôler. Encore une fois, une loi d’une imprécision inacceptable ne fournit pas un fondement suffisant pour un débat judiciaire; elle ne donne pas suffisamment d’indication quant à la manière dont les décisions doivent être prises, tels les facteurs dont il faut tenir compte ou les éléments déterminants. En donnant un pouvoir discrétionnaire qui laisse toute latitude, elle prive le pouvoir judiciaire de moyens de contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

Par la suite, dans Morales, supra, en page 754, le juge Gonthier s’est encore prononcé au sujet du pouvoir discrétionnaire en ces termes :

Par conséquent, le seul fait qu’il existe un pouvoir discrétionnaire conféré par une disposition législative ne peut en soi servir de base à une évaluation constitutionnelle de cette disposition. L’existence de paramètres possibles de ce pouvoir discrétionnaire ne le peut pas non plus, car un pouvoir discrétionnaire dont on dit qu’il est entravé peut être un pouvoir limité non seulement par des contraintes appropriées mais également par celles qui ne le sont pas ou qui sont inadéquates. La question plus importante qui demeure est donc de connaître la nature du pouvoir discrétionnaire qui est conféré et la mesure dans laquelle le libellé de la disposition législative peut étayer le raisonnement qu’exige la question à trancher. [Non souligné dans l’original.]

Je conclus des motifs de décision de la Commission qu’elle n’a pas commis une erreur en décidant que la section Fc) de l’article premier n’est pas imprécis. De fait, sa recension des règles de droit et de leur application à l’égard de cette disposition traduit une analyse réfléchie et minutieuse des questions en litige. Il me reste juste à ajouter quelques remarques comme suit.

La Commission tient certes un pouvoir discrétionnaire de la section Fc) de l’article premier, mais ce pouvoir n’est pas aussi étendu ou aussi large que le pouvoir discrétionnaire qui peut s’exercer à l’égard d’autres matières visées par la Loi sur l’immigration. En effet, cet alinéa note que les dispositions de la Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser (1) qu’elles se sont rendues coupables de certains agissements, et (2) que ces agissements sont contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, le juge Lamer [tel était alors son titre] a tiré la conclusion suivante en page 1076 :

Le Parlement ne peut pas avoir eu l’intention d’autoriser un usage si déraisonnable de la discrétion qu’il a conférée. Une discrétion, indépendamment des termes par lesquels elle est conférée, n’est jamais absolue. Il s’agit d’un principe reconnu depuis fort longtemps. H. W. R. Wade, dans son traité intitulé Administrative Law (4e éd. 1977), s’exprime ainsi aux pp. 336 et 337 :

[traduction] Il est reconnu depuis plus de trois siècles que le pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités publiques n’est pas absolu, même à l’intérieur de ses limites bien définies, mais qu’il est assujetti à des limites légales générales. Ces limites sont exprimées de plusieurs façons différentes : on dit par exemple que le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable et de bonne foi, qu’il ne faut tenir compte que des considérations pertinentes, qu’il ne doit y avoir absolument aucune malversation, ou que la décision ne doit pas être le fruit de l’arbitraire ou du caprice. [Je souligne.]

Voir aussi Patrice Garant, L’imprécision en droit administratif et en droit constitutionnel : un défi à l’intelligence moyenne (Toronto : Carswell, 1994), en page 75.

Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’exclusion, la Commission doit examiner objectivement les faits et y appliquer les principes de droit qui s’imposent. Ce pouvoir discrétionnaire connaît une certaine limite objective. Comme noté supra, la question de savoir quels sont les buts et les principes des Nations Unies est une question de droit, alors que celle de savoir s’il y a été porté atteinte est une question de fait.

Dans Morales, supra, en page 730, le juge en chef, après avoir fait remarquer que le terme « intérêt public » est susceptible d’interprétation, a examiné si les tribunaux peuvent lui donner un sens constant et établi. Il a répondu par la négative eu égard aux faits de la cause. En l’espèce, je conclus que les tribunaux peuvent donner un sens constant et définitif aux buts et principes des Nations Unies. Ainsi que l’a fait observer le juge Gonthier dans Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, en page 638, « [l]es règles juridiques ne fournissent qu’un cadre, un guide pour régler sa conduite …. la conduite est guidée par l’approximation ». Et en page 641, lors même que le pouvoir judiciaire applique simplement la loi à l’égard des « dispositions ‘mécaniques’ », il « joue toujours un rôle de médiateur dans l’actualisation du droit, encore que l’étendue de ce rôle puisse varier ». C’est ainsi que les textes de loi ne peuvent faire davantage que de définir une « sphère de risque ».

En droit pénal, nul n’est censé ignorer la loi. Bien que le domaine qui nous intéresse en l’espèce soit celui du droit public, il n’est pas déraisonnable qu’un demandeur d’asile au Canada puisse, dans un autre tribunal, tomber sous le coup de sanctions allant au-delà de la peine appliquée par les juridictions répressives. C’est là un élément de l’avertissement de fond qui l’éclaire sur la zone de danger. Les dispositions d’exclusion de la Loi sur l’immigration sont les frontières qui définissent la zone de danger dans le cas du demandeur d’asile coupable de crimes graves au regard de la loi pénale du Canada, et peut-être aussi contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Une autre sanction peut être appliquée. La même conclusion revêt une forme plus élégante sous la plume du juge Gonthier dans Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, en page 634 :

Du point de vue du fond, l’avertissement raisonnable réside donc dans la conscience subjective de l’illégalité d’une conduite, fondée sur les valeurs qui forment le substrat du texte d’incrimination et sur le rôle que joue le texte d’incrimination dans la vie de la société.

Et en page 635 :

Il se peut qu’il n’y ait pas d’avertissement raisonnable si la loi est couchée dans des termes assez généraux, de sorte qu’elle ne permet pas aux citoyens de prendre facilement connaissance de son fond, lorsqu’elle ne peut être rattachée à aucun élément du substrat de valeurs partagées par la société. Ce n’est pas par coïncidence que de telles lois sont souvent jugées imprécises.

Si les buts et les principes des Nations Unies sont énumérés en termes généraux dans la Charte de l’organisation internationale, il est indiscutable qu’ils ont été à l’origine de nombreuses activités. En l’espèce, une activité fondamentale découlant de l’un de ces buts de la Charte des Nations Unies est la lutte internationale contre les stupéfiants. Un élément du « substrat de valeurs partagées par la société » (Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, en page 634) est la lutte contre la production, la vente et la consommation illicites de stupéfiants. Les dangers de l’abus d’héroïne ne soulèvent aucune controverse, que ce soit sur le plan interne ou international, le débat ne porte plus que sur l’étendue de ces dangers; voir Bassiouni, supra, en page 507.

Il y a eu jusqu’ici peu de décisions portant interprétation de la section Fc) de l’article premier. Les cas d’espèce sont néanmoins de plus en plus nombreux et une jurisprudence constante est en cours d’élaboration. C’est ce qui se dégage de l’approche adoptée par la Commission en page 43 des motifs de sa décision :

[traduction] PARTIE 3 : A-T-ON DES RAISONS SÉRIEUSES DE PENSER QUE LE DEMANDEUR S’EST RENDU COUPABLE D’AGISSEMENTS CONTRAIRES AUX BUTS ET AUX PRINCIPES DES NATIONS UNIES?

(O) Cette question a reçu dans une large mesure une réponse affirmative après analyse dans les passages qui précèdent.

Pour récapituler cependant, le tribunal tire les conclusions de fait et de droit suivantes :

1. Sur la foi des preuves produites, nous concluons que la possession d’héroïne en vue du trafic est une infraction particulièrement grave, à la fois au Canada et du point de vue international;

2. Les initiatives indiquées supra et figurant à la pièce M-2 en matière du commerce illicite de drogues ont été et sont entreprises par les Nations Unies pour combattre et/ou éliminer (i) le commerce illicite de drogues (y compris la possession d’héroïne aux fins de trafic), et (ii) ses effets très graves sur l’humanité et sur la société humaine en général.

3. Nous concluons qu’il y a des activités des Nations Unies qui sont comprises dans les buts et principes visés à la section 1Fc) de la Convention.

4. Le fait que le demandeur a été reconnu coupable de possession d’héroïne aux fins de trafic et qu’il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 55 mois, est la preuve concluante qu’il est engagé dans le commerce illicite de drogues et que, le pavot étant l’ingrédient principal de l’héroïne, le trafic en la matière présente des caractéristiques internationales.

5. Il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

6. Le demandeur est une personne inadmissible, par l’effet de la section 1Fc), à se voir reconnaître, sous le régime de la Loi, le statut de réfugié au sens de la Convention.

En conséquence, je conclus que la section Fc) de l’article premier définit clairement une zone de danger et se prête au débat judiciaire par analyse rationnelle et application de critères juridiques : Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, en page 639. Il n’est donc pas nul pour cause d’imprécision.

Certification

Le requérant demande à la Cour de certifier les trois questions suivantes :

Question un :

La section Fc) de l’article premier est-il nul pour cause d’imprécision?

Question deux :

La section Fc) de l’article premier s’applique-t-il aux personnes qui ne sont pas en situation d’autorité?

Question trois :

La Commission doit-elle pondérer les facteurs d’exclusion par les facteurs d’inclusion dans l’application de la section Fc) de l’article premier de la Convention?

L’intimé convient qu’il y a lieu de certifier les questions un et deux à titre de questions graves de portée générale. J’en conviens; elles seront donc certifiées telles quelles.

En ce qui concerne la troisième question proposée par l’avocat du requérant, je conclus, malgré les objections de l’intimé, qu’il s’agit là aussi d’une question grave de portée générale; elle est donc certifiée.

Décision

Par tous ces motifs, le recours en contrôle judiciaire est rejeté.



[1] Voir Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 F.C. 646 (C.A.); le juge Mahoney a tiré en p. 657 la conclusion suivante sur la pondération dans le contexte de la section Fa) de l’article premier :

À mon avis, rien dans la Loi ne permet à la section du statut de réfugié d’apprécier la sévérité de la persécution potentielle au regard de la gravité de la conduite qui l’a amenée à conclure qu’il s’agissait d’un crime visé par la section Fa) de l’article premier. L’exclusion de la section Fa) de l’article premier fait, en vertu de la loi, partie intégrante de la définition. Quel que soit par ailleurs le bien-fondé de sa revendication, le demandeur ne peut aucunement être un réfugié au sens de la Convention si l’exclusion s’applique.

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