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[1995] 3 C.F. 708

T-1181-95

Indian Manufacturing Limited et 951268 Ontario Limited (demanderesses)

c.

Kin Ming Lo, Phillip Bannon et M. et Mme Untel et toute autre personne, dont l’identité est inconnue, qui met en vente, vend, importe, fabrique, imprime, distribue, expédie, entrepose ou met à l’étalage des marchandises non autorisées portant la marque de commerce Indian Motorcycle ou Indian Motorcycle au Canada, ou fait de la publicité pour de telles marchandises ou en fait le commerce (défendeurs)

Répertorié : Indian Manufacturing Ltd. c. Lo (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Toronto, 21 août; Vancouver, 28 septembre 1995.

Injonctions — Requête visant à faire réexaminer une ordonnance Anton Piller et à faire convertir une injonction provisoire ex parte en injonction interlocutoire — L’ordonnance Anton Piller a pour objet de préserver des éléments de preuve avant le procès et de placer les marchandises saisies sous la garde de la Cour ou de l’avocat du demandeur — En l’espèce, la garde est assurée directement par les demanderesses — Examen de la jurisprudence britannique — Un mandataire de l’avocat peut exécuter l’ordonnance — La moralité de l’avocat des demanderesses n’est pas mise en doute — Les ordonnances Anton Piller sont des mandats de perquisition en matière civile obtenus ex parte.

Pratique — Frais et dépens — Les dépens d’une requête visant à faire réexaminer une injonction provisoire ex parte sont sollicités contre chacun des « intimés » — Il n’y a aucun « intimé » dans l’avis de requête — Ces personnes n’ont pas été constituées parties défenderesses à l’action — Aucune règle n’autorise la Cour à adjuger des dépens contre des non- parties.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Anton Piller K.G. v. Manufacturing Processes Ltd., [1976] Ch. 55 (C.A.); Columbia Picture Industries Inc. v. Robinson, [1986] 3 All E.R. 338 (Ch. D.); Universal Thermosensors Ltd. v. Hibben, [1992] 3 All E.R. 257 (Ch. D.).

DOCTRINE

Berryman, J. B. et al. Remedies : Cases and Materials. Toronto : Emond Montgomery, 1988.

Craig, Ian. « Anton Piller After Universal Thermosensors » (1992), 136 Sol. J. 1078.

Exall, Gordon. « Anton Pillers after Hibben » (1992), 136 Sol. J. 218.

Henderson, Gordon F. (coll.). Trade-marks Law of Canada. Scarborough, Ont. : Carswell, 1993.

Lovick, Sara. « Pillers of Justice » (1992), 142 New Law J. 323.

Practice Direction (Mareva and Anton Piller Orders : New Forms), [1994] 4 All E.R. 52 (C.A.).

Russell, Fiona. « Anton Piller After Universal Thermosensors : Has the Pendulum Swung Too Far » (1992), 14 Eur. Intell. Prop. Rev. 243.

REQUÊTE visant à faire réexaminer une ordonnance Anton Piller et à faire convertir une injonction provisoire ex parte en injonction interlocutoire. Requête rejetée.

AVOCATS :

Joseph S. Garten pour les demanderesses.

Personne n’a comparu pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Joseph S. Garten, Toronto, pour les demanderesses.

Aucun procureur inscrit au dossier pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l`ordonnance rendus par

Le juge Reed : Le 21 août 1995, une requête a été soumise à la Cour conformément à une ordonnance antérieure de la Cour accordant aux demanderesses une ordonnance dite Anton Piller. La requête visait à faire réexaminer l’ordonnance antérieure et à faire convertir l’injonction provisoire ex parte (M. Untel), qu’elle renfermait, en injonction interlocutoire. La conversion était sollicitée à l’égard de personnes physiques à qui cette ordonnance a été signifiée et dont l’identité pouvait maintenant être établie. La Cour a fait remarquer que le libellé de l’ordonnance posait quelques difficultés. Certaines d’entre elles avaient été résolues à la date de l’audience. D’autres, a estimé la Cour, nécessitaient un examen plus approfondi.

À la réflexion, il est clair qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande d’ordonnance sous au moins un aspect. Les dépens de la requête, soit 250 $, sont sollicités contre chacun des « intimés ». Autant que la Cour puisse en juger, aucune personne physique n’est constituée « intimée » dans l’avis de requête. L’avis de requête ne mentionne que des défendeurs; ce sont les défendeurs nommés dans la déclaration initiale et dans l’ordonnance Anton Piller du 5 juin 1995. Autant que la Cour puisse savoir, les demanderesses veulent que les dépens soient recouvrés de chacune des personnes physiques auxquelles cette ordonnance a maintenant été signifiée et contre qui la demande d’injonction interlocutoire est dirigée. Ces personnes, comme la Cour l’a fait remarquer, n’ont pas été constituées parties à l’action. En effet, l’avocat des demanderesses a indiqué expressément qu’il ne voulait pas qu’elles soient ainsi constituées. Il sollicite seulement une ordonnance interlocutoire contre elles, vraisemblablement à titre de personnes mises au courant de l’ordonnance, bien qu’elles ne soient pas parties à l’action. De toute façon, la Cour ne connaît aucune règle qui l’autorise à adjuger des dépens contre des non-parties. Sous cet aspect, le projet d’ordonnance ne peut pas être accordé.

Les termes de l’ordonnance Anton Piller elle-même sont un autre aspect sous lequel une difficulté se pose. Ce type d’ordonnance a pour objet, du moins en théorie, de préserver des éléments de preuve avant le procès. En tant que telles, les marchandises saisies sont d’ordinaire confiées à la garde de la Cour ou de l’avocat du demandeur, ou encore d’un mandataire de cet avocat. En l’espèce, l’« avocat des demanderesses » est aussi le vice-président de l’une de celles-ci. Par conséquent, la garde est en fait assurée directement par les demanderesses. En outre, le pouvoir d’entrer dans des locaux et d’y perquisitionner, de saisir des marchandises, des documents et du matériel de fabrication appartenant aux défendeurs, nommés ou non, a aussi été accordé directement aux demanderesses étant donné que l’avocat de celles-ci est aussi le vice-président de la société.

Dans l’arrêt célèbre Anton Piller K.G. v. Manufacturing Processes Ltd., [1976] Ch. 55 (C.A.), lord Denning a souligné le fait que le pouvoir d’entrer dans les locaux avait été donné à la demanderesse accompagnée de son avocat ou à son avocat. La présence de l’avocat était exigée pour faire en sorte que les pouvoirs ne soient exercés qu’en présence d’un fonctionnaire judiciaire. Plus récemment, au Royaume-Uni, l’opportunité de mettre une distance encore plus grande entre le demandeur et les personnes qui exécutent l’ordonnance a été étudiée.

Dans l’arrêt Columbia Picture Industries Inc. v. Robinson, [1986] 3 All E.R. 338 (Ch. D.), aux pages 371 et 372, le bien-fondé de la décision de laisser les marchandises saisies sous la garde de l’avocat de la demanderesse a été remis en question. Cet arrêt examine certains des abus que peut entraîner l’exécution des ordonnances Anton Piller. Dans l’arrêt Universal Thermosensors Ltd. v. Hibben, [1992] 3 All E.R. 257 (Ch. D.), aux pages 275 à 277, la Cour a indiqué que les juges appelés à décerner des ordonnances Anton Piller devraient sérieusement tenir compte d’un certain nombre de garanties. L’une de ces garanties était l’opportunité de prévoir que l’ordonnance soit signifiée, et que son exécution soit surveillée par un avocat expérimenté bien au fait des modalités d’exécution de telles ordonnances et qui ne fait pas partie du cabinet représentant la partie qui a obtenu l’ordonnance. Depuis cet arrêt, les auteurs britanniques ont fait de nombreux commentaires soit critiquant soit appuyant les suggestions faites dans l’arrêt Universal Thermosensors[1]. L’un d’eux suggère que des avocats soient désignés [traduction] « exécuteurs d’ordonnances Anton Piller agréés », devant répondre principalement devant la cour de l’accomplissement de leurs devoirs à ce titre[2]. Le 28 juillet 1994, le lord juge en chef a donné une directive de pratique exposant une nouvelle procédure applicable aux ordonnances Anton Piller[3]. Selon cette directive de pratique, un avocat surveillant doit être désigné dans presque tous les cas. Ce surveillant prend des engagements personnels et signifie l’ordonnance.

La Cour se rend bien compte qu’elle a déjà donné des pouvoirs de perquisition en matière civile à certaines agences d’investigation. La Cour ne statue pas sur l’opportunité de telles mesures, quoique de telles agences ne soient ni des fonctionnaires judiciaires ni des mandataires d’avocats. La Cour est consciente du fait que, surtout dans le cas des marchands ambulants, retenir les services d’avocats pour contrôler ce type d’activité coûte cher. Pourtant, l’ordonnance Anton Piller comprend d’ordinaire une condition selon laquelle un mandataire de l’avocat peut l’exécuter. Cela devrait contribuer à réduire les frais. La Cour se demande s’il y aurait lieu, au cas où des personnes autres que des avocats seraient désignées pour l’exécution des ordonnances, de conférer à ces personnes un pouvoir plus limité que celui qui est habituellement accordé dans une ordonnance Anton Piller. Parmi les personnes pouvant exécuter l’ordonnance, énumérées dans l’ordonnance Anton Piller que la Cour est appelée à étudier et à confirmer, figurent deux agences d’investigation. La Cour ne les connaît pas.

La Cour ne veut pas laisser entendre que le type de procédure qui semble avoir été adopté au Royaume-Uni devrait l’être par la présente Cour à l’heure actuelle. Les avocats qui obtiennent maintenant des ordonnances Anton Piller de la présente Cour sont peu nombreux et sont bien connus de la Cour. Ce sont des personnes en qui la Cour a toute confiance. La Cour s’inquiète cependant de l’usage suivant lequel certaines conditions seraient insérées dans les ordonnances Anton Piller sans réflexion suffisante.

De plus, la Cour ne veut pas donner l’impression d’émettre des doutes sur la moralité de Me Garten. Bien au contraire. La Cour est certaine qu’il se conduit en conformité avec les plus hautes normes d’intégrité. La Cour s’inquiète cependant au sujet du précédent qui est ainsi créé. Les ordonnances Anton Piller sont en fait des mandats de perquisition en matière civile[4] obtenus ex parte.

Pour conclure, la Cour estime n’être simplement pas convaincue qu’il y a lieu de décerner l’ordonnance sollicitée.



[1] Voir, par exemple : Russell, « Anton Piller After Universal Thermosensors : Has the Pendulum Swung Too Far » (1992), 14 Eur. Intell. Prop. Rev. 243; Craig, « Anton Piller After Universal Thermosensors » (1992), 136 Sol. J. 1078; Lovick, « Pillers of Justice » (1992), 142 New Law J. 323, Exall, « Anton Pillers After Hibben » (1992), 136 Sol. J. 218.

[2] Craig, ibid.

[3] Practice Direction (Mareva and Anton Piller Orders : New Forms), [1994] 4 All E.R. 52 (C.A.).

[4] Voir, par exemple, Berryman et al. Remedies : Cases and Materials. Toronto : Emond Montgomery, 1988 et G. F. Henderson (coll.), Trade-marks Law of Canada. Scarborough, Ont. : Carswell, 1993, à la p. 272.

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