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[1995] 2 C.F. 467

A-650-92

Sa Majesté la Reine du Chef du Canada (appelante) (défenderesse)

c.

Comeau Sea Foods Limited, personne morale* (intimée) (demanderesse)

Répertorié : Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Linden et Robertson, J.C.A.—Halifax, 29 novembre 1994; Ottawa, 27 février 1995.

Droit administratif — Appel portant sur une question complexe opposant le droit administratif et le droit des délits — Permis octroyés par le ministre des Pêches pour la pêche au homard en haute mer — Frais engagés par l’intimée pour transformer les bateaux équipés pour la pêche au pétoncle en bateaux pour la pêche au homard — Pressions exercées par les pêcheurs côtiers sur le ministre pour qu’il refuse les permis — Question importante de politique fédérale et provinciale — Refus du ministre d’octroyer les permis — Demande de dommages-intérêts pour négligence présentée par l’intimée contre la Couronne — Le juge de première instance a statué que le ministre avait épuisé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a autorisé l’octroi des permis — Les éléments de la négligence ont été établis — Selon la Couronne, le ministre n’est pas responsable (1) parce qu’il s’agit d’une décision de politique et (2) en raison de l’art. 8 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif — Moyen de défense fondé sur l’autorisation du législateur — Distinction entre la délivrance d’un permis et l’autorisation d’octroyer un permis — Distinction entre décision de politique et décision opérationnelle — Existence d’une obligation de diligence à première vue — Examen de la jurisprudence depuis que le critère relatif à l’obligation de diligence a été élaboré dans l’arrêt Anns v. Merton London Borough Council — Il importe de tenir compte des recours offerts par le droit administratif lorsqu’on détermine s’il existe ou non une obligation de diligence — L’intimée aurait pu procéder par voie de certiorari ou de mandamus — Il n’existait plus d’obligation de diligence et la Couronne n’a pas commis de négligence.

Couronne — Responsabilité délictuelle — Appel et appel incident d’une décision de la Section de première instance d’accorder des dommages-intérêts à la suite de l’omission du ministre de délivrer des permis autorisés pour la pêche au homard — Application de la distinction entre décision de politique et décision opérationnelle — Les décisions de politique n’entraînent pas de responsabilité fondée sur la négligence — Obligation de diligence existant à première vue en faveur de l’intimée — Il n’existe plus d’obligation de diligence compte tenu de l’existence de recours adéquats offerts par le droit administratif — Le ministre a satisfait à la norme de diligence requise — Aucune responsabilité pour négligence.

Pêches — Autorisation donnée par le ministre concernant des permis pour la pêche au homard en haute mer (art. 7 de la Loi sur les pêches) — Frais engagés par l’intimée, avant la délivrance des permis, pour la transformation de bateaux équipés pour la pêche au pétoncle en bateaux pour la pêche au homard — Protestation de la part des pêcheurs côtiers — Refus du ministre d’octroyer des permis pour la pêche côtière — Poursuite pour négligence intentée par l’intimée contre la Couronne — Le juge de première instance a statué que la révocation dépassait les pouvoirs du ministre et a tenu la Couronne responsable — Décision de politique ou décision opérationnelle — La Cour ne peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre — Le caractère prévisible de la perte de l’intimée ne peut entraver le pouvoir discrétionnaire du ministre — Aucune action pour négligence ne peut être intentée, sauf si le ministre a mal interprété l’art. 7 en ne faisant pas preuve de diligence raisonnable pour éviter de prendre une décision excédant ses pouvoirs.

Il s’agit d’un appel et d’un appel incident d’une décision de la Section de première instance selon laquelle le ministre des Pêches et des Océans est responsable des dommages résultant de son refus de délivrer des permis pour la pêche au homard en haute mer qu’il avait auparavant autorisés en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches. En décembre 1987, le ministre a informé l’intimée qu’il avait autorisé l’octroi de quatre permis expérimentaux de pêche au homard en haute mer, précisant le total de la prise autorisée pour la saison de pêche en cours. À la suite de cette annonce, les pêcheurs côtiers de homard opposés aux nouveaux permis ont exercé des pressions considérables sur le ministre pour qu’il modifie sa décision au motif que la délivrance de permis supplémentaires pour la pêche en haute mer aurait un effet préjudiciable sur la pêche côtière. En fin de compte, le ministre a cédé à leurs protestations et a révoqué son autorisation, même s’il savait que l’intimée avait déjà consacré des fonds à la transformation d’un bateau équipé pour la pêche au pétoncle en bateau pour la pêche au homard. L’intimée a intenté une action en dommages-intérêts fondée sur différents motifs de responsabilité, dont la négligence. Le juge de première instance a statué qu’une fois que le ministre avait autorisé l’octroi des permis, il avait épuisé son pouvoir discrétionnaire visé à l’article 7. Dès lors, la révocation outrepassait les pouvoirs du ministre et constituait une négligence pouvant faire l’objet d’une poursuite. Les deux principales questions soulevées dans cet appel étaient de savoir si le ministre avait une obligation de diligence envers l’intimée et, le cas échéant, s’il a satisfait à la norme de diligence requise.

Arrêt (le juge Linden, J.C.A. dissident en partie) : l’appel est accueilli et l’appel incident, rejeté.

Le juge Stone, J.C.A. : Même si la décision de permettre l’octroi d’un permis en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches constituait une décision « de politique », la décision subséquente par laquelle le ministre a renié son engagement n’était ni une véritable décision de politique ni une décision opérationnelle. Cette décision n’était tout simplement pas autorisée par le législateur. L’appelante ne pourrait être tenue responsable en raison de sa négligence dans le cadre d’une véritable décision de politique générale à moins que celle-ci n’ait pas été prise de bonne foi ou qu’elle se soit révélée irrationnelle; la responsabilité de l’appelante pourrait cependant, dans certaines circonstances, être engagée par suite de la négligence découlant d’une décision « opérationnelle ». L’opposition entre une décision de politique et une décision opérationnelle fait partie des règles de droit canadiennes depuis son adoption par la Cour suprême du Canada. Le critère à deux volets énoncé par la Chambre des lords dans l’affaire Anns v. Merton London Borough Council doit être appliqué. En premier lieu, il faut déterminer s’il existe un lien suffisamment étroit entre les parties pour que le manque de diligence de la part de la défenderesse puisse raisonnablement être perçu par celle-ci comme étant susceptible de causer un préjudice à la demanderesse. Le ministre avait, à première vue, une obligation de diligence envers l’intimée au moment en cause. À la lumière du deuxième volet du critère énoncé dans Anns, il faut se demander s’il existe des raisons de rejeter ou de restreindre la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages qui peuvent découler de l’inexécution de cette obligation. La disponibilité d’un recours par voie de contrôle judiciaire doit être considérée avant qu’on puisse conclure à l’existence d’une obligation de diligence. L’intimée aurait pu obtenir réparation au moyen du contrôle judiciaire si elle avait choisi d’emprunter cette voie. Au moins à partir du moment où le ministre a officiellement communiqué sa deuxième décision par lettre le 31 mai 1988, l’intimée était en mesure de faire valoir un recours assez rapide et certain sous forme de certiorari. Le recours en mandamus exigeant la délivrance des permis était offert à l’intimée au printemps 1988. La disponibilité de recours adéquats en droit administratif par voie de contrôle judiciaire doit être prise en considération à la lumière du second volet du critère énoncé dans Anns lorsqu’il s’agit de décider si la portée d’une obligation de diligence prima facie devrait être rejetée dans les circonstances de l’espèce. Cette obligation doit ainsi être rejetée. L’appelante ne devait pas être tenue responsable en raison de sa négligence puisqu’elle n’avait aucune obligation de diligence envers l’intimée.

Le juge Robertson, J.C.A. (souscrivant au jugement quant au résultat) : La révocation constitue tout aussi bien une décision de politique que la décision de permettre l’octroi des permis en premier lieu. Les arrêts de la Cour suprême du Canada relatifs à la décision Anns et, en particulier, la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle, proscrivent tout examen, par un organe judiciaire, du caractère raisonnable ou du bien-fondé de la décision du ministre de révoquer l’autorisation. Puisque cette décision entre dans la catégorie des décisions de politique, aucune obligation de diligence ne peut exister entre les parties relativement au fait que le ministre était justifié ou non de révoquer son autorisation. En outre, le caractère prévisible de la perte de l’intimée ne peut être invoqué afin d’entraver à bon droit le pouvoir discrétionnaire du ministre. L’existence du délit administratif que représente l’action fautive du titulaire d’une charge publique est établie lorsqu’on prouve que la décision non valide est entachée par la malveillance ou la connaissance de son invalidité. Il n’y a aucune preuve, et cet argument n’a pas non plus été soulevé, que le ministre a agi avec malveillance ou en toute connaissance de l’invalidité. On n’a pas conclu non plus à la mauvaise foi du ministre. Le fait que celui-ci n’avait pas le pouvoir de révoquer l’autorisation n’en faisait pas moins une décision de politique. En outre, l’interprétation erronée de la loi ne fait pas en sorte qu’une décision de politique devienne une décision opérationnelle. Elle la rend simplement ultra vires. Il n’est pas permis d’examiner s’il y avait lieu pour le ministre de révoquer l’autorisation lorsqu’on évalue des arguments fondés sur la négligence. Pour autant que la décision a été prise de bonne foi, elle ne peut faire l’objet d’une révision par la Cour. Le ministre avait envers l’intimée une obligation de diligence qui se limitait à la manière dont il a décidé s’il possédait ou non le pouvoir nécessaire pour révoquer l’autorisation. Il n’aurait pu être jugé négligent d’avoir exercé un pouvoir discrétionnaire relié aux politiques qu’il était autorisé à exercer par une loi du Parlement, même dans les circonstances où il sait qu’une partie se fie aux déclarations antérieures relevant du pouvoir discrétionnaire ministériel. Le caractère prévisible d’une perte (de dommages) ne peut supplanter l’obligation d’établir le non-respect du degré de diligence requis. Puisque la décision relative à la révocation a été jugée ultra vires, le ministre ne peut invoquer la défense fondée sur l’autorisation du législateur. Mais si on fonde la responsabilité en l’espèce sur l’absence d’une autorisation par le législateur et sur la confiance préjudiciable, on impose une forme de responsabilité stricte aux autorités publiques, ce qui a été rejeté par la Cour suprême du Canada. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas de négligence pouvant faire l’objet d’une poursuite.

Le juge Linden, J.C.A. (dissident en partie) : En essayant de révoquer l’autorisation des permis octroyés à l’intimée, le ministre a agi sans l’autorisation du législateur. Un ministre ou d’autres fonctionnaires n’engagent pas nécessairement leur responsabilité civile du simple fait qu’ils commettent une erreur dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Les tribunaux devraient conclure à la présence d’une obligation lorsqu’un préjudice quelconque est raisonnablement prévisible, à moins que de bonnes raisons de politique justifient la négation de cette obligation. Compte tenu de l’existence manifeste d’un lien étroit entre l’intimée et le ministre, ce dernier avait une obligation de diligence envers elle. Non seulement le juge de première instance avait-il raison de conclure à l’existence d’une obligation de diligence, mais il était justifié de croire que les éléments de preuve établissaient une conduite négligente de la part du ministre. Tous les éléments d’une cause d’action découlant de la négligence ont été dûment établis, sauf en ce qui concerne la nature politique ou opérationnelle de la décision. Les tribunaux de common law se sont montrés réticents à traiter la Couronne comme un simple citoyen. L’immunité en cas de négligence devrait être accordée avec parcimonie aux organismes de la Couronne. Seules de véritables décisions de politique, généralement prises à un échelon élevé, qui sont fonction de facteurs sociaux, politiques ou économiques et touchent l’allocation de ressources budgétaires à des ministères devraient être soustraites à l’application des principes de droit en matière de négligence. Si la conduite ne jouit pas d’une immunité à titre de décision de pure politique, les principes ordinaires de droit en matière de négligence restent applicables. Puisque la Couronne doit pouvoir être libre de gouverner, l’immunité peut être nécessaire, mais elle est limitée aux fonctions qu’on peut dûment assimiler au fait de « gouverner » et ne s’étend pas aux autres tâches du gouvernement. Comme la décision de révoquer l’autorisation ne peut être assimilée au fait de gouverner, elle ne pourrait être protégée par l’immunité accordée aux décisions de politique. La volte-face du ministre semble s’appuyer uniquement sur les pressions politiques exercées par les pêcheurs côtiers de homard. L’article 7 de la Loi sur les pêches ne donne pas au ministre le pouvoir de révoquer, sans raison, l’autorisation qu’il avait accordée au préalable. Lorsqu’il a procédé à une telle révocation, le ministre a excédé sa compétence, et ce manquement à la loi représentait une négligence pouvant faire l’objet d’une poursuite.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte pour réglementer la pêche et protéger les pêcheries, S.C. 1867-68, ch. 60.

Crown Proceedings Act, 1947, 10 & 11 Geo. 6, ch. 44, art. 2(1)a).

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), art. 3a), 8.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 7, 9 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 95).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 456 (mod. par DORS/90-846, art. 15).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228; (1989), 64 D.L.R. (4th) 689; [1990] 1 W.W.R. 385; 41 B.C.L.R. (2d) 350; 41 Admin. L.R. 161; 1 C.C.L.T. (2d) 1; 18 M.V.R. (2d) 1; 103 N.R. 1; Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Rowling v. Takaro Properties Ltd., [1988] A.C. 473 (C.P.).

DÉCISION INFIRMÉE :

Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1992] 3 C.F. 54 (1992), 11 C.C.L.T. (2d) 241 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Brown c. Colombie-Britannique (Ministre des Transports et de la Voirie), [1994] 1 R.C.S. 420; [1994] 4 W.W.R. 194; (1994), W.A.C. 1; 89 B.C.L.R. (2d) 1; 42 B.C.A.C. 1; 20 Admin. L.R. (2d) 1; 19 C.C.L.T. (2d) 233; Swinamer c. Nouvelle-Écosse (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 445; (1994), 129 N.S.R. (2d) 321; 112 D.L.R. (4th) 18; 362 A.P.R. 321; 20 Admin. L.R. (2d) 39; 19 C.C.L.T. (2d) 233; Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; (1984), 10 D.L.R. (4th) 641; [1984] 5 W.W.R. 1; 29 C.C.L.T. 97; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021; (1992), 91 D.L.R. (4th) 289; 137 N.R. 241; Somerville Belkin Indust. Ltd. v. Man., [1988] 3 W.W.R. 523; (1988), 51 Man. R. (2d) 232; 38 B.L.R. 122 (C.A.); San Sebastian Pty. Ltd. v. Minister Administering Environmental Planning and Assessment Act 1979 (1986), 162 C.L.R. 340 (Aust. H.C.); R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205; (1983), 153 D.L.R. (3d) 9; [1983] 3 W.W.R. 97; 23 CCLT 121; 45 N.R. 425; R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129 (1985), 29 D.L.R. (4th) 347; [1985] 5 W.W.R. 481; 30 B.L.R. 236; 61 N.R. 19 (C.A.); Brewer Bros. c. Canada (Procureur général), [1992] 1 C.F. 25 (1991), 80 D.L.R. (4th) 321; 8 C.C.L.T. (2d) 45; 129 N.R. 3 (C.A.); Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; McGillivray v. Kimber et al. (1915), 52 R.C.S. 146; 26 D.L.R. 164.

DÉCISIONS CITÉES :

Winnipeg Condominium Corporation No. 36 c. Bird Construction Co., [1995] A.C.S. no 2 (QL); Stewart c. Pettie, [1995] A.C.S. no 3 (QL); Petrocorp. v. Butcher, 14 août 1990, N.Z., non publié; Ultramares v. Touche, 255 N.Y. 170 (App. Div. 1931); Yuen Kun Yeu v. Attorney-General of Hong Kong, [1988] A.C. 175 (P.C.); Peabody Donation Fund (Governors of) v. Sir Lindsay Parkinson & Co. Ltd., [1985] A.C. 210 (H.L.); Murphy v Brentwood DC, [1990] 2 All ER 908 (H.L.); Swanson c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 C.F. 408 (1991), 80 D.L.R. (4th) 741; 7 C.C.L.T. (2d) 186; 124 N.R. 218 (C.A.); LaPointe c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1992), 4 Admin. L.R. (2d) 298; 51 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Central Canada Potash Co. Ltd. et autre c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1979] 1 R.C.S. 42; (1978), 88 D.L.R. (3d) 609; [1978] 6 W.W.R. 400; 6 C.C.L.T. 265; 23 N.R. 481; Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.); Home Office v Dorset Yacht Co Ltd, [1970] 2 All ER 294 (H.L.); Batty v. Metropolitan Property Realisations Ltd., [1978] 2 W.L.R. 500 (C.A.); B.D.C. Ltd. c. Hofstrand Farms Ltd., [1986] 1 R.C.S. 228; (1986), 26 D.L.R. (4th) 1; [1986] 3 W.W.R. 216; 1 B.C.L.R. (2d) 324; 36 C.C.L.T. 87; 65 N.R. 261; Rothfield c. Manolakos, [1989] 2 R.C.S. 1259; (1989), 63 D.L.R. (4th) 449; [1990] 1 W.W.R. 408; 102 N.R. 249; Sutherland Shire Council v. Heyman (1985), 157 C.L.R. 424 (Aust. H.C.); Rivtow Marine Ltd. c. Washington Iron Works et autre, [1974] R.C.S. 1189; (1973), 40 D.L.R. (3d) 530; [1973] 6 W.W.R. 692; Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; (1975), 62 D.L.R. (3d) 1; 6 N.R. 359; Galaske c. O’Donnell, [1994] 1 R.C.S. 670; (1994), 112 D.L.R. (4th) 109; [1994] 5 W.W.R. 1; 69 W.A.C. 37; 89 B.C.L.R. (2d) 273; 43 B.C.A.C. 37; 21 C.C.L.T. (2d) 1; 166 N.R. 5; Sterling Trusts Corpn. v. Postma et al., [1965] R.C.S. 324; (1964), 48 D.L.R. (2d) 423; Mentuck c. Canada, [1986] 3 C.F. 249 (1986), 3 F.T.R. 80 (1re inst.); Grant v. Province of New Brunswick (1973), 6 N.B.R. (2d) 95; 35 D.L.R. (3d) 141 (C.A.); Welbridge Holdings Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957; (1970), 22 D.L.R. (3d) 470; [1972] 3 W.W.R. 433; Sirros v Moore, [1974] 3 All ER 776 (C.A.); Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705; 23 Q.A.C. 1; (1989), 45 M.P.L.R. 1; 94 N.R. 1; Just v. R. in Right of B.C., [1985] 5 W.W.R. 570; (1985), 64 B.C.L.R. 349; 33 C.C.L.T. 49; 34 M.V.R. 124 (C.S.C.-B.); Just v. B.C. (Govt.), [1987] 2 W.W.R. 231; (1986), 10 B.C.L.R. (2d) 223; 40 C.C.L.T. 160; 1 M.V.R. (2d) 357 (C.A.C.-B.); Just v. British Columbia (1991), 60 B.C.L.R. (2d) 209 (C.S.); Dalehite v. United States, 346 U.S. 15 (1953); Riverscourt Farms Ltd. v. Niagara-on-the-Lake (Town) (1992), 9 C.C.L.T. (2d) 231; 8 M.P.L.R. (2d) 13 (Div. gén. de l’Ont.); Clark c. Canada, [1994] 3 C.F. 323 (1994), 3 C.C.E.L. (2d) 172; 20 C.C.L.T. (2d) 142; 94 CLLC 14,028; 76 F.T.R. 241 (1re inst.); Kuczerpa c. Canada (1993), 14 C.R.R. (2d) 307; 152 N.R. 207 (C.A.F.); Williams v. State, 127 N.Y.2d 545 (Ct. App. 1955); Chhabra (O.P.) c. Canada, [1989] 2 C.T.C. 13; (1989), 89 DTC 5310 (C.F. 1re inst.); Francoeur et al. c. Canada (1994), 78 F.T.R. 109 (C.F. 1re inst.); Brasyer v. Maclean (1875), L.R. 6 P.C. 398 (P.C. N.S.W.); Janiak c. Ippolito, [1985] 1 R.C.S. 146; (1985), 16 D.L.R. (4th) 1; 31 C.C.L.T. 113; 57 N.R. 241; 9 O.A.C. 1; Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.); Tock c. St. John’s Metropolitan Area Board, [1989] 2 R.C.S. 1181; (1989), 82 Nfld. & P.E.I.R. 181; 64 D.L.R. (4th) 620; 257 A.P.R. 181; 1 C.C.L.T. (2d) 113; 47 M.P.L.R. 113; 104 N.R. 241; United Terminals Ltd. c. M.R.N., [1992] 3 C.F. 302(C.A.).

DOCTRINE

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APPEL et APPEL INCIDENT d’une décision de la Section de première instance ([1992] 3 C.F. 54 (1992), 11 C.C.L.T. (2d) 241) qui avait accueilli une action en dommages-intérêts en raison de l’omission de l’appelante de délivrer des permis pour la pêche au homard en haute mer qu’elle avait autorisés en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches. Appel accueilli, appel incident rejeté.

AVOCATS :

David Sgayias, c.r., pour l’appelante (défenderesse).

Stewart McInnes, c.r. et David S. MacDougall pour l’intimée (demanderesse).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante (défenderesse).

McInnes, Cooper & Robertson, Halifax, pour l’intimée (demanderesse).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : J’ai eu le privilège de lire l’ébauche des motifs de jugement de mon collègue le juge Linden. Les faits tels qu’énoncés par le juge de première instance [[1992] 3 C.F. 54 ne sont pas contestés. Je conviens avec mon collègue que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur dans l’interprétation des dispositions de l’article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, et en particulier de l’expression « ou en permettre l’octroi [de baux et de permis de pêche] »[1]. Je suis d’accord que l’intimée ne pourrait avoir gain de cause, le cas échéant, qu’en raison de la seule négligence. Je conviens également que l’appel incident devrait être rejeté pour les motifs proposés par mon collègue.

Au paragraphe 11 de sa plaidoirie, l’intimée cherche à être indemnisée pour les « dépenses engagées » et le « manque à gagner ». Le juge de première instance a statué que ce chef de dommages-intérêts [à la page 76] « se rapporte à la demande fondée sur la violation de contrat », qu’il avait rejetée. Au deuxième paragraphe du jugement, l’appelante est tenue responsable [traduction] « des pertes financières raisonnablement prévisibles découlant du fait qu’elle [la demanderesse] s’est fiée, pendant la période allant du 29 décembre 1987 au 29 avril 1988, à l’autorisation de la défenderesse » visant l’octroi de permis pour la saison de pêche 1987-1988. Cet aspect du jugement n’a pas été contesté dans le cadre de l’appel incident.

Il existe un aspect de cette affaire sur lequel je désire exprimer mon propre point de vue. Il s’agit de l’argument de l’appelante selon lequel la Cour devrait faire droit à l’appel de toute manière, parce que le ministre des Pêches n’avait aucune obligation de diligence envers l’intimée au moment où il a décidé de ne pas octroyer les permis qu’il avait déjà autorisés. Je désire répondre particulièrement à l’observation où l’appelante fait valoir que la Cour devrait s’inspirer en partie du raisonnement du Conseil privé dans l’arrêt Rowling v. Takaro Properties Ltd., [1988] A.C. 473. Puisque le juge de première instance ne mentionne pas cet arrêt dans ses motifs, je présume qu’il n’a pas été invoqué durant l’argumentation en première instance.

En l’espèce, même si la décision de permettre l’octroi d’un permis en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches constituait une décision « de politique », la décision subséquente par laquelle le ministre a renié son engagement n’était tout simplement pas autorisée par le législateur. Il est clair que l’appelante ne pourrait être tenue responsable en raison de sa négligence dans le cadre d’une véritable décision de politique générale à moins que celle-ci n’ait pas été prise de bonne foi ou qu’elle se soit révélée irrationnelle; la responsabilité de l’appelante pourrait cependant, dans certaines circonstances, être engagée par suite de la négligence découlant d’une décision « opérationnelle ».

Comme mon collègue le souligne, l’opposition entre une décision de politique et une décision opérationnelle fait désormais partie des règles de droit canadiennes depuis son adoption par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228. Dans deux arrêts récents, la Cour suprême du Canada a confirmé et appliqué les principes élaborés dans l’arrêt Just, précité, soit : Brown c. Colombie-Britannique (Ministre des Transports et de la Voirie), [1994] 1 R.C.S. 420, et Swinamer c. Nouvelle-Écosse (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 445.

Je souscris à l’opinion du juge de première instance et de mon collègue selon laquelle la décision prise par le ministre le 29 décembre 1987 constituait une véritable décision de politique. Bien entendu, ce n’est pas cette décision mais celle qu’a prise ultérieurement le ministre, le 29 avril 1988, laquelle a été communiquée à l’intimée le 31 mai 1988, qui sous-tend l’argument de négligence. Il semble clair que cette deuxième décision ne peut être considérée comme une véritable décision de politique si, comme mon collègue l’a montré, et je suis d’accord avec lui, elle outrepassait les pouvoirs accordés par l’article 7 de la Loi sur les pêches. Elle ne semble pas non plus constituer une décision « opérationnelle » au sens envisagé dans l’arrêt Just, précité, et dans les arrêts subséquents de la Cour suprême. Je parviens à cette conclusion sur la base de la distinction établie entre une décision de politique, d’une part, et une décision opérationnelle, d’autre part, telle qu’elle est énoncée dans ces affaires. Cette distinction est expliquée de façon particulièrement claire par le juge Cory, au nom de la majorité, dans l’arrêt Brown, précité, à la page 441 :

Pour distinguer les questions de politique générale des opérations, il peut être utile de passer en revue quelques-uns des facteurs pertinents à cet égard. Ces facteurs se dégagent des arrêts de notre Cour : Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, Barratt c. District of North Vancouver, [1980] 2 R.C.S. 418, et Just, précité, et peuvent se résumer comme suit :

Les véritables décisions de politique générale comportent des facteurs sociaux politiques et économiques. Lorsqu’elle prend des décisions de cette nature, l’autorité publique s’efforce d’établir un équilibre entre l’efficacité et l’économie, dans le cadre de la planification et de la détermination préalable des limites de ses engagements et de leur mise en œuvre réelle. Les véritables décisions de politique générale seront habituellement dictées par des considérations ou des contraintes d’ordre financier, économique, social et politique.

L’aspect opérationnel est celui de la mise en œuvre pratique des politiques ainsi formulées; il concerne principalement l’exécution ou l’implantation d’une politique. Les décisions opérationnelles sont habituellement le produit d’une directive administrative, de l’opinion d’un expert ou d’un professionnel, ou encore de normes techniques ou de la norme générale de ce qui est raisonnable.

La distinction établie entre une décision politique et opérationnelle vise, à mon avis, à permettre aux tribunaux de déterminer si une décision est de nature à mettre une autorité publique à l’abri de toute responsabilité découlant de la négligence ou si cette décision peut engager la responsabilité de cette autorité publique en raison de la façon dont elle a été mise en œuvre. L’hypothèse sous-jacente semble être que l’autorité publique a pris sa décision, indépendamment de la nature politique ou opérationnelle de celle-ci, conformément à l’exercice d’un pouvoir accordé par le législateur. Si cette décision excède les pouvoirs accordés par la loi, à mon point de vue, elle ne peut être protégée par le fait qu’il s’agit d’une décision « de politique » tout simplement parce qu’il n’y aurait rien à protéger. Il me semble donc que la deuxième décision du ministre, celle de ne pas octroyer les permis qu’il avait autorisés dans sa première décision, ne peut être liée d’aucune manière à la « mise en œuvre pratique » ou à l’« exécution » de la première décision de politique. Bref, je suis d’avis que cette décision ne constituait ni une véritable décision de politique ni une décision opérationnelle : il s’agissait simplement d’une décision qui n’était pas autorisée par la loi.

Une telle conclusion, de toute évidence, ne met pas un terme au litige parce qu’il reste à décider, comme je l’ai déjà mentionné, s’il existait une obligation de diligence. Mon collègue renvoie au critère à deux volets, énoncé par lord Wilberforce dans l’affaire Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.), pour déterminer l’obligation de diligence. Lord Wilberforce exprimait ce critère dans les termes suivants, aux pages 751 et 752 :

[traduction] [On a] établi le principe selon lequel, lorsqu’il s’agit de prouver qu’il existe une obligation de diligence dans une situation donnée, il n’est pas nécessaire de démontrer que les faits de cette situation sont semblables aux faits de situations antérieures où il a été jugé qu’une telle obligation existait. Il faut plutôt aborder cette question en deux étapes. En premier lieu, il faut se demander s’il existe, entre l’auteur allégué de la faute et la personne qui a subi le préjudice, un lien suffisamment étroit de proximité ou de voisinage pour que le manque de diligence de la part de l’auteur de la faute puisse raisonnablement être perçu par celui-ci comme étant susceptible de causer un préjudice à l’autre personne—auquel cas, il existe à première vue une obligation de diligence. Si on répond par l’affirmative à la première question, il faut se demander en second lieu s’il existe des motifs de rejeter ou de restreindre la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages qui peuvent découler de l’inexécution de cette obligation ….

Cet énoncé a été adopté par la Cour suprême dans l’affaire Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2. Puisque le plus haut tribunal canadien a depuis confirmé l’analyse faite dans l’arrêt Anns, à mon avis, elle doit être appliquée en l’espèce. C’est ce que la Cour suprême a fait dans Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021 et dans deux décisions très récentes. Ainsi, dans l’affaire Winnipeg Condominium Corporation No. 36 c. Bird Construction Co. [[1995] A.C.S. no 2 (QL)] (no du greffe 23624, jugement rendu le 26 janvier 1995), le juge La Forest s’exprime ainsi aux pages 27 et 28 :

En premier lieu, notre Cour, à la différence de la Chambre des lords, n’a pas rejeté le critère à deux volets établi par lord Wilberforce dans l’arrêt Anns. La méthode préconisée par lord Wilberforce a été adoptée par notre Cour dans l’arrêt Kamloops Ville de c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2, où le juge Wilson propose, aux pp. 10 et 11, cette version légèrement modifiée du critère de l’arrêt Anns :

1)   y a-t-il des relations suffisamment étroites entre les parties [ … ] pour qu[‘une personne ait] pu raisonnablement prévoir que [son] manque de diligence pourrait causer des dommages à [l’autre personne]? Dans l’affirmative,

2)   existe-t-il des motifs de restreindre ou de rejeter a) la portée de l’obligation et b) la catégorie de personnes qui en bénéficient ou c) les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu?

Par la suite, notre Cour a recouru à la méthode de l’arrêt Anns dans l’arrêt Rothfield c. Manolakos, [1989] 2 R.C.S. 1259, aux pp. 1266 et 1285, et tout récemment, dans l’arrêt Norsk, précité, où elle a décidé de ne pas suivre les lords juges dans leur abandon de la méthode adoptée dans les arrêts Anns et Kamloops.

L’arrêt Anns a été appliqué encore une fois par la Cour suprême dans Stewart c. Pettie [[1995] A.C.S. no 3 (QL)] (no du greffe 23739, jugement rendu le 26 janvier 1995).

J’aborderai maintenant le premier volet du critère énoncé dans Anns. Il s’agit de déterminer s’il existe un lien suffisamment étroit entre les parties pour que le manque de diligence de la part de la défenderesse puisse raisonnablement être perçu par celle-ci comme étant susceptible de causer un préjudice à la demanderesse[2]. Je souscris à l’opinion du juge de première instance et conclus qu’il existait à première vue une obligation de diligence. Comme il le mentionne aux pages 71 et 72 :

Premièrement, le ministre avait une obligation de diligence envers la demanderesse. Il y avait un lien de proximité entre la défenderesse et la demanderesse, par suite de la déclaration que le ministre avait faite à cette dernière le 29 décembre 1987, à savoir que les permis lui seraient délivrés. À compter de ce jour-là du moins, le ministre aurait dû se rendre compte que toute autre décision prise par lui dans cette affaire toucherait directement une partie déterminée, à savoir la demanderesse.

À mon avis, il a conclu avec raison que le ministre avait une obligation de diligence envers l’intimée à ce moment-là. Il s’agissait à première vue d’une obligation de diligence.

À la lumière du deuxième volet du critère énoncé dans Anns, il faut se demander s’il existe des raisons de rejeter ou de restreindre la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages qui peuvent découler de l’inexécution de cette obligation. Selon moi, c’est ici que le raisonnement énoncé dans l’affaire Takaro, précitée, devient pertinent. Takaro représente un des nombreux arrêts où les membres du Conseil privé ou de la Chambre des lords ont commencé à jeter un doute sur la validité du critère énoncé dans Anns pour déterminer la responsabilité découlant de la négligence. Lord Keith exprime ses hésitations face au critère à la page 501, où il mentionne [traduction] « la crainte qu’une application trop littérale peut amener la Cour à omettre de prendre en considération, d’analyser et de soupeser tous les facteurs pertinents avant de décider s’il est approprié ou non d’imposer une obligation de diligence ». Cette même crainte avait été exprimée plus tôt dans l’affaire Peabody Donation Fund (Governors of) v. Sir Lindsay Parkinson & Co. Ltd., [1985] A.C. 210 (H.L.) et dans Yuen Kun Yeu, précitée. Ces doutes ont évolué jusqu’à la décision rendue par la Chambre des lords dans Murphy v Brentwood DC, [1990] 2 All ER 908, où il a été décidé d’abandonner ce critère. La Cour suprême du Canada a refusé de le faire lorsqu’elle en a eu la possibilité pour la première fois dans l’arrêt Norsk, précité. Comme je l’ai souligné, elle a confirmé récemment cette position dans les décisions Winnipeg Condominium et Stewart, précitées.

Je suis d’accord avec mon collègue : les commentaires de lord Keith sur l’obligation de diligence n’étaient pas nécessaires lorsqu’il a décidé qu’il n’y avait pas eu inexécution de l’obligation dont l’existence était présumée. Lord Keith l’indique expressément à la page 500 puis à la page 503. Selon moi, ces préoccupations doivent néanmoins être examinées afin qu’on puisse déterminer si l’une d’entre elles peut avoir une incidence en l’espèce. Dans les observations de son procureur, l’appelante s’est fondée notablement sur le raisonnement de lord Keith. De fait, si ce raisonnement était adopté en tout ou en partie, il affermirait considérablement la défense de l’appelante.

Je me tournerai maintenant vers l’arrêt Takaro, précité. Dans ses commentaires incidents, lord Keith fait référence à six facteurs qui ont une incidence importante sur l’obligation de diligence et, de fait, qui militent contre l’imposition de cette obligation. Ces facteurs sont énoncés aux pages 501 à 503 :

[traduction] Notre Cour désire mentionner particulièrement certains points qui lui semblent importants. Premièrement, une décision négligente, comme celle qui est reprochée ici, a pour seule conséquence d’entraîner un retard, du fait que la partie lésée peut recourir au contrôle judiciaire; si l’on suppose que l’erreur de droit reprochée est d’une gravité telle qu’elle peut licitement être décrite comme négligente, la décision sera certainement annulée par un processus qui, en Nouvelle-Zélande comme au Royaume-Uni, se déroulera normalement avec promptitude. Deuxièmement, en pratique, il est sans doute très rare qu’une erreur de droit de ce genre commise par un ministre ou une autre autorité publique puisse être à bon droit considérée comme négligente : on le sait bien, n’importe qui, même un juge, peut mal interpréter une loi, et une telle erreur d’interprétation, lorsqu’elle survient, peut être sévèrement critiquée sans être jugée « négligente ». De toute évidence, ce simple fait souligne qu’il est très invraisemblable qu’on puisse conclure au manquement à une obligation le cas échéant, point sur lequel notre Cour reviendra. Il s’agit néanmoins d’un facteur pertinent qui doit être pris en compte lorsqu’un tribunal cherche à déterminer s’il est indiqué de conclure à l’existence de la responsabilité pour négligence.

Troisièmement, il existe un risque d’exagération. On espère que, en règle générale, l’imposition d’une responsabilité découlant de la négligence incitera les intéressés à faire preuve d’une plus grande diligence dans l’exercice de leurs fonctions; parfois, non seulement ce ne sera pas le cas, mais l’imposition de la responsabilité peut même s’assortir de conséquences néfastes. En d’autres termes, le remède peut être pire que la maladie. Certaines raisons nous portent à croire que cela peut arriver lorsque des autorités locales sont tenues responsables de la négligence des inspecteurs en bâtiments dans l’inspection de fondations, comme ce fut le cas dans l’affaire Anns v. Merton London Borough Council [1978] A.C. 728. En effet, il y a le risque que les inspecteurs en bâtiments de certaines autorités locales réagissent à cette décision en majorant tout simplement, et sans nécessité, la norme de profondeur des fondations, ce qui imposerait un fardeau financier très lourd et inutile aux membres de la collectivité. Un risque comparable peut surgir dans les cas comme l’espèce, parce qu’une fois qu’on saura qu’il existe une responsabilité découlant de la négligence lorsqu’un ministre a mal interprété une loi et a donc outrepassé sa compétence, le fonctionnaire prudent pourrait faire preuve d’un zèle extrême et s’assurer d’obtenir des conseils juridiques, ou même l’opinion d’un tribunal, avant de prendre des décisions, ce qui créerait des délais inutiles dans un grand nombre de dossiers.

Quatrièmement, il est très difficile de définir les circonstances où il est possible d’affirmer, avec raison, qu’un ministre a l’obligation d’obtenir des conseils juridiques. On ne peut raisonnablement, de l’avis de notre Cour, imposer au ministre l’obligation d’obtenir des conseils juridiques dans tous les cas où il est appelé à user du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le législateur. Notre Cour estime qu’il est difficile de voir comment les cas où existe l’obligation d’obtenir des conseils juridiques devraient être distingués de ceux où il est inutile de le faire. De toute manière, les représentants du ministère concerné seront consultés; le dossier sera traité et présenté au ministre pour qu’il prenne une décision de la façon habituelle, de sorte que son attention se portera sur la question pertinente. Encore une fois, il ne faut pas oublier que le ministre, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire légal, agit essentiellement en qualité de gardien de l’intérêt public. En l’espèce, par exemple, il agissait sous le régime d’un texte législatif adopté non pas pour l’avantage des requérants à l’égard de l’autorisation d’émissions d’actions, mais bien pour la protection de l’ensemble de la collectivité. En outre, le ministre, pour autant que notre Cour le sache, n’a normalement aucune obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans un délai donné. S’il outrepasse sa compétence à cause d’une erreur d’interprétation de la loi et qu’un retard en découle avant qu’il prenne une décision conforme à ses pouvoirs, il devra à nouveau exercer son pouvoir discrétionnaire et, s’il le fait en faveur du demandeur, le retard aura eu pour seul effet de différer l’octroi, au demandeur, d’un avantage que celui-ci n’avait aucun droit absolu de recevoir.

L’application large de ce raisonnement entraînerait probablement l’absence d’une obligation de diligence de la part d’une autorité publique sauf peut-être dans le cas où elle a agi de mauvaise foi ou de manière irrationnelle.

Dans l’affaire Anns, précitée, lord Wilberforce [à la page 752] n’a pas expliqué ce qu’il entendait par des [traduction] « motifs de rejeter ou de restreindre la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages qui peuvent découler de l’inexécution de cette obligation ». Les préoccupations de lord Keith ne visaient pas, bien évidemment, les « facteurs » qui devaient s’appliquer en présence d’une obligation de diligence prima facie. Il est important de ne pas oublier que l’affaire Takaro, précitée, contrairement à l’espèce, portait sur la négligence de l’autorité publique dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré par le législateur. Ce n’est pas le cas ici, si l’on suppose, comme je le crois, que le juge de première instance a bien interprété les dispositions de l’article 7 de la Loi sur les pêches. Bien que le ministre ait eu le pouvoir discrétionnaire de décider de permettre ou non l’octroi de permis de pêche en haute mer, le législateur ne lui a accordé aucun pouvoir de refuser de délivrer ces permis une fois qu’ils ont été autorisés. Je reconnais que les permis étaient assujettis à des conditions imposées par le ministre, sujet que j’aborderai dans quelques instants. On ne peut en toute bonne foi prétendre que le ministre, à l’instar du ministre dans l’affaire Takaro, précitée, a commis une erreur quelconque dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui conférait la loi. À mon avis, le ministre n’avait aucun pouvoir discrétionnaire légal de décider de ne pas délivrer les permis.

Je traiterai maintenant des préoccupations de lord Keith afin de déterminer si elles devraient être prises en considération à la lumière du deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Anns. Il me semble que le premier facteur précisé par lord Keith devrait être pris en compte en l’espèce. Il laisse entendre que la disponibilité d’un recours par voie de contrôle judiciaire doit être considérée avant qu’on puisse conclure à l’existence d’une obligation de diligence. J’estime que cette préoccupation est pertinente dans le cas qui nous occupe. Comme je tenterai de le démontrer ultérieurement, il aurait été possible en l’espèce que l’intimée obtienne réparation au moyen du contrôle judiciaire si elle avait choisi d’emprunter cette voie.

D’après le deuxième facteur énoncé par lord Keith [à la page 502], [traduction] « en pratique, il est sans doute très rare qu’une erreur de droit de ce genre commise par un ministre ou une autre autorité publique puisse être à bon droit considérée comme négligente : on le sait bien, n’importe qui, même un juge, peut mal interpréter une loi ». Dans Takaro, on demandait au ministre d’exercer, en faveur du demandeur, ce qui constituait sans aucun doute un pouvoir discrétionnaire accordé par le législateur, et il était allégué que le ministre avait dérogé à son mandat. Rien dans le dossier qui nous occupe ici nous porte à croire que le ministre s’est même interrogé sur l’interprétation de la loi, particulièrement de l’article 7. À la page 64 de ses motifs, le juge de première instance s’exprime ainsi :

Aucune preuve n’a été présentée pour expliquer le volte-face du ministre entre le 29 décembre 1987 et le 29 avril 1988, à part ce qui est évident, à savoir les pressions auxquelles il faisait face par suite de l’opposition vigoureuse des pêcheurs côtiers (qui sont beaucoup plus nombreux que les pêcheurs en haute mer) à l’octroi de tout nouveau permis de pêche du homard en haute mer. Le ministre n’a pas témoigné pendant ce procès et le Ministère n’a pas présenté de preuve indiquant l’existence de quelque autre raison. Une preuve abondante a été présentée à l’égard des objections des pêcheurs côtiers.

Le pouvoir de prendre la deuxième décision semble avoir été présumé, ce qui doit être distingué de la situation dans Takaro, précitée, où la négligence reprochée au ministre était survenue dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire accordé par le législateur.

En troisième lieu, lord Keith cite le risque d’exagération qui fait suite à une décision imposant la responsabilité à une autorité publique pour négligence. Il s’inquiétait de la possibilité qu’un [à la page 502] [traduction] « fonctionnaire prudent [puisse] faire preuve d’un zèle extrême et s’assurer d’obtenir des conseils juridiques, ou même l’opinion d’un tribunal, avant de prendre des décisions, ce qui créerait des délais inutiles dans un grand nombre de dossiers ». Si l’on accepte le bien-fondé de cet argument dans les circonstances de Takaro, précitée, il reste difficile de voir comment il peut avoir une incidence déterminante sur l’existence d’une obligation de diligence en l’espèce. Nous ne sommes pas aux prises avec une décision qui fait suite à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire mais bien avec le fait que le ministre a tenté d’infirmer une telle décision. La situation est des plus inusitées, mais je suis dans l’impossibilité d’accorder à cette considération la même force qu’elle aurait dans d’autres circonstances.

Selon lord Keith, on ne peut raisonnablement imposer au ministre [à la page 502] [traduction] « l’obligation d’obtenir des conseils juridiques dans tous les cas où il est appelé à user du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le législateur ». Il semble, encore une fois, que lord Keith s’attachait principalement à la situation dont il était saisi. J’ai déjà laissé entendre que l’espèce était radicalement différente. Dans les circonstances de l’affaire qui nous occupe, à mon avis, le ministre aurait dû s’assurer que la loi qui lui donnait le pouvoir de prendre sa première décision lui accordait aussi celui de l’infirmer. Il n’était pas exagéré de s’attendre à ce que le ministre prenne une telle précaution.

Je peux fort bien comprendre la préoccupation suivante de lord Keith, à savoir que le ministre en l’occurrence [à la page 502] [traduction] « agit essentiellement en qualité de gardien de l’intérêt public ». On peut en dire de même de la décision prise par le ministre le 29 décembre 1987, parce qu’elle constituait une décision de politique qui s’appuyait vraisemblablement sur des facteurs comme l’abondance de la ressource et la mesure dans laquelle son exploitation devrait être permise. Encore une fois, nous ne nous attachons pas ici à cette décision particulière. Selon les conclusions du juge de première instance, la deuxième décision ne découle pas d’un objectif visant véritablement à protéger l’intérêt de la collectivité à l’égard de la ressource. Ce fait est mis en évidence par les conclusions du juge de première instance à la page 71 :

La preuve présentée pour le compte de la défenderesse, quoique honnête et sincère, n’a tout simplement pas établi l’existence d’une justification raisonnable, lorsqu’il s’est agi d’annoncer initialement qu’il avait été décidé de permettre l’octroi des permis de pêche du homard à la demanderesse, puis de révoquer la permission. La seule justification apparente du changement d’attitude, en ce qui concerne l’octroi des permis, était l’opposition véhémente des pêcheurs côtiers. Cependant, selon la preuve, même avant que le ministre eût fait l’annonce, pareille opposition était passablement prévisible, sauf peut-être en ce qui concerne sa force et sa volubilité.

Le dernier facteur cité par lord Keith tient à ce que le ministre n’a [à la page 503] [traduction] « normalement aucune obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans un délai donné »; s’il avait outrepassé sa compétence ce faisant et qu’un retard en découlait, il aurait [traduction] « pour seul effet de différer l’octroi, au demandeur, d’un avantage que celui-ci n’avait aucun droit absolu de recevoir ». Selon l’interprétation de la loi par le juge de première instance, à laquelle je souscris, le ministre en l’espèce n’exerçait pas un pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré par le législateur lorsqu’il a pris sa décision du 29 avril 1988.

Je désire maintenant expliquer pourquoi je suis d’avis, comme je l’ai déjà mentionné, qu’il est important d’établir, lorsqu’on doit déterminer l’existence d’une obligation de diligence, si des recours adéquats en droit administratif étaient offerts à l’intimée. Il s’agit du premier facteur énoncé par lord Keith dans Takaro, précitée. Ce même argument est invoqué par C. Lewis, dans son ouvrage intitulé Judicial Remedies in Public Law (London : 1992), à la page 379 :

[traduction] Les décisions prises conformément à l’exercice d’un pouvoir conféré par le législateur sont assujetties au contrôle judiciaire et, parfois, à un droit légal d’appel. Les décisions illicites peuvent être annulées et la personne est alors soustraite aux conséquences d’une telle décision. L’existence de ces recours est perçue par les tribunaux comme un indice de l’inutilité d’offrir tout autre moyen fondé sur la négligence, particulièrement si le contrôle judiciaire ou l’appel suffisent à corriger la situation et que le seul préjudice réel subi par la personne est un retard et, peut-être, les dépenses engagées afin d’établir la non-validité de la décision. Voilà qui semble en partie une décision bien évidente de notre Cour, soit qu’il devrait y avoir une distinction entre les recours de droit public et ceux de droit privé. Lorsqu’une décision ultra vires peut être écartée au moyen d’un appel ou d’un contrôle judiciaire, il ne devrait exister normalement aucune responsabilité supplémentaire ouvrant droit à des dommages-intérêts, à moins que la personne puisse établir l’action fautive. La simple négligence n’est pas suffisante. La possibilité d’annuler la décision peut également signifier que le seul préjudice subi est lié aux dépenses engagées pour contester la décision.

Comme ce point de vue a été exprimé à la lumière de la responsabilité découlant de la négligence selon des principes qui ont été, dans une certaine mesure, élaborés en Angleterre après la décision Anns, il doit être interprété en conséquence, bien évidemment. Néanmoins, je trouve cette analyse éminemment fondée. Au moins à partir du moment où le ministre a officiellement communiqué sa deuxième décision par lettre le 31 mai 1988, l’intimée était en mesure de faire valoir un recours assez rapide et certain sous forme de certiorari par voie de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la Cour. Si le ministre, comme je l’ai conclu, n’avait pas le pouvoir de prendre cette deuxième décision, la Section de première instance l’aurait certainement annulée.

L’élimination de cet obstacle aurait pu permettre à l’intimée d’obtenir une ordonnance de la Section de première instance par voie de mandamus exigeant que le ministre délivre les permis. Ceux-ci s’assortissaient de « conditions précises », mais il est manifeste d’après les conclusions du juge de première instance qu’elles ne constituaient aucun obstacle à l’octroi de ces permis. Selon ces conclusions, au moins une partie des conditions avaient fait l’objet de discussions et ne présentaient aucune difficulté. Le juge de première instance a statué à la page 62 que « jusqu’au 8 mars au moins, le Ministère aurait délivré les permis … en se réservant le droit de fixer les conditions précises attachées à ces permis ». Il s’exprime ainsi à la page 67 :

Lorsque les permis ont en fin de compte été refusés, cela n’avait rien à voir avec l’omission par la demanderesse de satisfaire à quelque condition précise.

Plus loin, à la page 74, il en vient à la conclusion suivante :

En outre, la preuve montre que, par suite des discussions subséquentes qui ont eu lieu entre les agents des pêches et les personnes autorisées à recevoir les nouveaux permis, l’affaire évoluait sans difficulté en faveur de l’octroi des permis eux-mêmes. Il ne restait aucune question de politique à régler. Les faits objectifs montrent que les deux parties supposaient que la délivrance des certificats eux-mêmes était une mesure courante, et non une question de politique. Par conséquent, rien ne permet de nier l’existence d’une obligation de diligence en ce qui concerne la révocation.

Les conditions rattachées aux permis ne faisaient pas l’objet de négociations entre les parties : c’est le ministre qui en décidait, et il a de fait imposé des conditions outre celles qui avaient été discutées par ses représentants et l’intimée[3]. En l’occurrence, le ministre n’a pas refusé de délivrer les permis en raison du non-respect d’une condition imposée. Selon les éléments de preuve, les conditions ont simplement retardé l’octroi des permis[4]. Par conséquent, le recours en mandamus par voie de demande de contrôle judiciaire à la Section de première instance, exigeant la délivrance des permis, était offert à l’intimée au printemps 1988.

Ces recours auraient-ils été adéquats pour corriger la situation du point de vue de l’intimée? Celle-ci avait engagé des dépenses entre le 29 décembre 1987 et le 29 avril 1988 afin de convertir ses navires pour la pêche au homard en haute mer. La disponibilité de ces recours lui aurait permis d’utiliser ces navires pour la pêche. Je suis conscient que cette pêche est de nature saisonnière et que si l’intimée désirait poursuivre ses activités de pêche après la fin de la saison 1987-1988, elle aurait eu besoin de nouveaux permis. Je reconnais également que le retard occasionné par la demande de contrôle judiciaire aurait fait en sorte que l’intimée n’aurait pu consacrer que très peu de temps, voire pas du tout, à la pêche avant la fin de cette saison. La date à laquelle l’intimée aurait pu avoir gain de cause grâce à ce moyen de même que le renouvellement des permis sont des questions qui restent purement spéculatives. Je me refuse à me perdre en de telles conjectures. En toute justice, on peut affirmer qu’en engageant les dépenses pour la conversion de ses navires l’intimée espérait que les permis autorisés le 29 décembre 1987 seraient renouvelés à la fin de la saison de pêche 1987-1988 alors que le pouvoir de renouvellement constituait un pouvoir discrétionnaire absolu du ministre sous le régime du paragraphe 7(1) de la Loi.

J’ai conclu que la disponibilité de recours adéquats en droit administratif par voie de contrôle judiciaire doit être prise en considération à la lumière du second volet du critère énoncé dans Anns lorsqu’il s’agit de décider si la portée d’une obligation de diligence prima facie devrait être rejetée dans les circonstances de l’espèce. À mon avis, c’est le cas. Par conséquent, j’estime que l’appelante n’avait aucune obligation de diligence envers l’intimée et qu’elle ne devrait donc pas être tenue responsable en raison de sa négligence.

Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens dans l’instance et devant la Section de première instance, et de rejeter l’appel incident avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. (dissident en partie) : Dans le cadre du présent appel, la Cour doit débrouiller une question complexe où il y a conflit entre le droit administratif et le droit de la responsabilité délictuelle.

Certains permis de pêche sont autorisés par le gouvernement sous réserve de conditions précises qui doivent faire l’objet de discussions entre les parties. Le gouvernement est informé que le titulaire éventuel des permis engage des dépenses pour se préparer. Malgré l’absence de problèmes relatifs au respect des conditions imposées, le gouvernement change d’idée et ne délivre pas les permis. Une perte financière s’ensuit. Le « titulaire » déçu des permis intente une action civile en dommages-intérêts et obtient gain de cause en première instance. Le gouvernement conteste cette décision tandis que le « titulaire » éventuel des permis interjette un appel incident devant la Cour.

LES FAITS

Comeau Sea Foods Limited (Comeau) est une entreprise de pêche intégrée qui exploite une quinzaine de navires au large de la côte de la Nouvelle-Écosse. Depuis 1984, Comeau se dit intéressée à obtenir des permis pour la pêche au homard en haute mer. La résolution du conflit relatif à la frontière canado-américaine dans le golfe du Maine en 1985 a permis d’ajouter des secteurs additionnels pour la pêche au homard dans les eaux canadiennes. Comeau a donc renouvelé ses efforts en vue d’obtenir des permis de pêche au homard de 1986 à 1987. En septembre 1987, le ministre indiquait à la famille Comeau que l’entreprise recevrait au moins un permis de pêche au homard en haute mer.

Le 29 décembre 1987, le ministre des Pêches et des Océans a envoyé à Comeau un télex l’informant qu’il avait autorisé l’octroi de quatre permis et précisant l’allocation aux entreprises (AE, c’est-à-dire le total de la prise autorisée) pour l’année de pêche en cours :

[traduction] J’ai le plaisir de vous informer que j’ai autorisé l’octroi à votre société de deux permis de pêche au homard en haute mer, lesquels viseraient les divisions 4X et 5Z de l’OPAN ainsi que de deux permis expérimentaux de pêche au homard et au crabe rouge en haute mer, visant la division 4W de l’OPAN. Un permis de chaque type sera considéré comme une unité et sera apposé à bord de deux des bateaux de la société de plus de 60 pieds de longueur hors tout.

L’AE de votre société, pour une saison de pêche de 12 mois (du 15 octobre au 14 octobre), sera de 60 tonnes par bateau pour la pêche au homard dans la division 4W, aucune limite de capture n’étant prévue pour le crabe rouge. De même, l’AE de votre société pour le homard dans les divisions 4X et 5Z sera de 30 tonnes par bateau.

Ces AE seront partagées proportionnellement comme suit pour chacun de vos bateaux pendant la saison 1987-1988 :

Division 4W—48T

Divisions 4X et 5Z—24T

Les agents régionaux communiqueront avec vous dans peu de temps pour discuter des conditions précises des permis.

Le 11 janvier 1988, des agents régionaux ont invité Comeau et d’autres entreprises à une « réunion des titulaires de permis de pêche du homard en haute mer » qui a lieu à Hunt’s Point (Nouvelle-Écosse) le 14 janvier 1988. Assistaient à cette réunion des titulaires de permis déjà délivrés, ainsi que des représentants de Comeau et d’autres entreprises qui avaient été informées, le 29 décembre 1987, que le ministre avait autorisé l’octroi de permis en leur faveur. Le Ministère a donné des explications au sujet de nouvelles allocations et des mesures de surveillance qui seraient prises.

Le 27 janvier 1988, ceux qui avaient assisté à la réunion ont reçu un deuxième télex les informant qu’ils devaient déposer un plan de pêche à l’égard de chaque bateau pour le reste de la saison de pêche. C’est ce que Comeau a fait par lettre datée du 29 janvier 1988, précisant qu’elle utiliserait le Lady Comeau et le Lady Louise. La lettre ajoutait ceci :

[traduction] Ces bateaux sont actuellement équipés pour la pêche du pétoncle, mais des travaux sont sur le point d’être exécutés afin de les convertir pour la pêche au homard en haute mer. Ces bateaux devraient être prêts pour la pêche en avril.

Dès lors, et jusqu’au 8 mars 1988, les permis auraient pu être délivrés à Comeau en tout temps, mais comme les conditions n’avaient pas encore été fixées d’une manière définitive, les permis auraient été octroyés sous réserve que ces conditions soient déterminées. Le 8 mars, toutefois, Ottawa a donné pour instruction de ne pas délivrer pareils permis sans autorisation expresse du sous-ministre adjoint à Ottawa.

Depuis l’annonce de l’octroi des nouveaux permis le 29 décembre 1987, les pêcheurs côtiers du homard, qui étaient beaucoup plus nombreux que le groupe des pêcheurs en haute mer, s’opposaient à ces permis et exerçaient des pressions considérables sur le ministre pour qu’il modifie sa décision. La réponse initiale de celui-ci, fondée sur un rapport qu’il avait reçu, s’appuyait sur l’absence de preuves scientifiques montrant que la délivrance de nouveaux permis dans la division 4W aurait un effet préjudiciable sur la pêche côtière. Les pressions n’ont pas cessé. Par suite d’une rencontre avec les pêcheurs côtiers le 30 mars 1988, le ministre a publié un communiqué de presse maintenant qu’il n’« annulerait » pas les nouveaux permis de pêche au homard en haute mer, mais déclarant qu’il était prêt à imposer les conditions nécessaires pour répondre aux préoccupations des pêcheurs côtiers de homard. Malgré tout, les pêcheurs côtiers ont continué à exercer des pressions, et la chose a engendré un différend politique important en Nouvelle-Écosse et à Ottawa.

Les pressions politiques ont eu raison du ministre et l’ont forcé à changer d’idée. Dans ce que le juge de première instance qualifie de « volte-face », le 29 avril 1988, le ministre est revenu sur son engagement et a annoncé dans un communiqué de presse que « les quatre permis expérimentaux de pêche au homard en haute mer en Nouvelle-Écosse ne seraient pas délivrés dans un avenir immédiat », en attendant les résultats d’une nouvelle étude « de toutes les questions importantes auxquelles faisait face l’industrie de la pêche au homard dans la région Scotia-Fundy ». Cette décision a été confirmée par une lettre adressée à Comeau en date du 31 mai 1988. Bien que l’étude ait été réalisée en 1990, Comeau n’avait pas encore reçu les permis, d’abord autorisés à la fin de 1987, au moment où la décision de première instance était rendue, c’est-à-dire au printemps 1992.

LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

Dans des motifs écrits de 23 pages[5], le juge Strayer, alors juge de première instance, a conclu à la responsabilité civile du gouvernement envers Comeau. Il a décrit la situation comme un exemple de [à la page 71] « gestion capricieuse des affaires publiques, laquelle causait un tort sérieux aux entrepreneurs privés ».

Le juge Strayer a examiné l’étendue du pouvoir conféré au ministre par les dispositions pertinentes de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, articles 7 et 9 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.) ch. 31, art. 95], qui ressortent comme suit :

7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries—ou en permettre l’octroi—, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’octroi de baux, permis ou licences pour un terme supérieur à neuf ans est subordonné à l’autorisation du gouverneur général en conseil.

9. Le ministre peut suspendre ou révoquer tous baux, permis ou licences consentis en vertu de la présente loi si :

a) d’une part, il constate un manquement à leurs dispositions;

b) d’autre part, aucune procédure prévue à la présente loi n’a été engagée à l’égard des opérations qu’ils visent.

L’avocat du gouvernement, en première instance, a soutenu que l’article 7 donne au ministre les pouvoirs discrétionnaires absolus de décider si un permis devrait être octroyé, ou faire l’objet d’une permission d’octroi, ce qui comportait le droit de changer d’idée en tout temps jusqu’à la délivrance en bonne et due forme du permis. Par la suite, il est admis que le ministre doit agir conformément à l’article 9.

Le juge Strayer n’a pas souscrit à cette observation et s’exprime comme suit (aux pages 66 et 67) :

Selon le libellé de l’article 7, il est passablement clair que le ministre peut, à discrétion, octroyer des permis ou en permettre l’octroi. Le sens de ce libellé semble être clair. Si le ministre octroie le permis, personne n’a plus rien à faire. S’il en permet l’octroi, comme il l’a fait en l’espèce, certaines conditions devant être fixées avec le titulaire envisagé, il reste uniquement à quelqu’un d’autre (les représentants du ministre) et au titulaire à élaborer ces conditions. L’état d’un permis dont le ministre a permis l’octroi est peut-être plus ambigu que celui d’un permis qui a été octroyé (ce dernier n’étant révocable que conformément à l’article 9), mais le ministre n’a plus aucun rôle en pareil cas. Son pouvoir discrétionnaire consiste (1) à octroyer le permis, ou (2) à en permettre l’octroi.

Par conséquent, le juge de première instance a conclu que, une fois qu’il a décidé de permettre l’octroi des permis à Comeau, le ministre avait épuisé son pouvoir discrétionnaire. Sa décision ultérieure de refuser la délivrance des permis outrepassait donc ses pouvoirs. Le juge Strayer est parvenu à cette conclusion en se fondant, d’une part, sur le fait que tous les intéressés, à partir du ministre, agissaient comme si les permis avaient déjà été octroyés. Ainsi, le ministre précisait l’allocation aux entreprises pour la saison de pêche courante dans son télex du 29 décembre 1987, informant Comeau qu’elle recevrait quatre permis. Dans des réunions et correspondances ultérieures entre Comeau et des représentants du ministère, Comeau était nommée et traitée comme si elle était déjà « titulaire des permis ». Nul n’a contesté le fait que les permis auraient pu être octroyés en tout temps avant le 8 mars 1988, et après une telle délivrance, ils n’auraient pu être annulés que conformément à l’article 9.

Ayant déterminé que la décision de refuser la délivrance des permis outrepassait les pouvoirs du ministre, le juge de première instance a ensuite pris en considération les quatre bases juridiques avancées par Comeau pour conclure à la responsabilité civile : 1) irrecevabilité fondée sur une promesse; 2) acte juridique irrévocable; 3) non-respect du contrat; et 4) manquement par négligence à une obligation légale.

Le juge de première instance a rejeté le premier motif pour des raisons de procédure et de fond. Il a refusé la demande formulée par l’intimée au procès, laquelle visait à modifier sa déclaration afin de plaider l’irrecevabilité fondée sur une promesse, en raison du retard dans la présentation de cette demande. Sur le fond, il statue comme suit (aux pages 68 et 69) :

En tirant cette conclusion, je m’appuie sur le fait que, à mon avis, cette plaidoirie serait de toute façon futile. Il s’agirait ainsi de tenter de fonder une cause d’action, une demande en dommages-intérêts, sur l’irrecevabilité fondée sur une promesse et non simplement d’invoquer pareille promesse afin d’empêcher celui qui l’a faite de ne pas la respecter. Je crois que c’est là pousser trop loin la notion d’irrecevabilité fondée sur une promesse et qu’il n’est pas opportun d’appliquer cette notion en l’espèce.

Sous le deuxième chef, le ministre aurait exécuté un acte légal irrévocable dont la révocation a causé un préjudice à l’intimée. Cet argument a aussi été rejeté; il se fondait en partie sur une fin de non-recevoir et en partie sur la proposition selon laquelle le ministre était dessaisi de l’affaire une fois qu’il avait permis l’octroi du permis. Comme l’explique le juge de première instance (à la page 76) :

J’ai déjà rejeté la fin de non-recevoir, et je ne suis pas convaincu que l’argument selon lequel le ministre était dessaisi de l’affaire ajoute quoi que ce soit à la conclusion que j’ai tirée, à savoir que le ministre outrepassait sa compétence en révoquant sa décision et en refusant la délivrance alors que le refus n’avait rien à voir avec les conditions auxquelles il avait autorisé l’octroi du permis.

Le juge de première instance n’a pas été non plus persuadé par le troisième motif, soit le non-respect du contrat. Selon Comeau, il existait un lien contractuel en vertu duquel l’entreprise se préparerait pour la pêche au homard en haute mer et ferait cette pêche en échange de l’octroi, par le ministre, des permis autorisés le 29 décembre 1987. Le ministre bénéficierait des informations recueillies à l’aide des activités de pêche de Comeau dans la zone expérimentale 4W, où nul n’avait jamais pêché. Comeau a fait valoir qu’en entamant la conversion de ses navires, elle avait commencé à exécuter son obligation contractuelle et que le ministre était donc tenu par voie de contrat de délivrer les permis.

Le juge de première instance a déclaré que la nature des relations entre ceux qui délivrent les permis et ceux qui en font la demande sont généralement régies non par le droit des contrats, mais par les dispositions de la loi pertinente. Si les parties voulaient que la demande et l’octroi de permis entraînent des obligations contractuelles, ce fait devait être clairement établi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La suggestion voulant que l’engagement de fonds par Comeau en vue de convertir ses navires constituait une « acceptation » de « l’offre » contenue dans le télex envoyé par le ministre le 29 décembre 1987 n’a pas réussi à persuader le juge Strayer, parce que rien ne montrait que le ministre savait avant cette date que Comeau dépenserait de l’argent. Au contraire, Comeau avait informé le ministre qu’elle possédait déjà des bateaux entièrement équipés pour la pêche au homard.

Le juge Strayer a conclu que le quatrième argument, la négligence, constituait la seule voie possible permettant de conclure à l’existence d’une responsabilité. Il a décidé que les éléments de la négligence, soit l’obligation de diligence, le manquement à cette obligation et une perte prévisible attribuable à ce manquement, avaient été établis. Ses motifs, sur ce point, se lisent comme suit (aux pages 71 et 72) :

Premièrement, le ministre avait une obligation de diligence envers la demanderesse. Il y avait un lien de proximité entre la défenderesse et la demanderesse, par suite de la déclaration que le ministre avait faite à cette dernière le 29 décembre 1987, à savoir que les permis lui seraient délivrés. À compter de ce jour-là du moins, le ministre aurait dû se rendre compte que toute autre décision prise par lui dans cette affaire toucherait directement une partie déterminée, à savoir la demanderesse. Deuxièmement, le degré requis de diligence n’a pas été respecté. Depuis au moins le 29 janvier 1988, date à laquelle la demanderesse a informé le ministre des Pêches et des Océans qu’elle effectuait des travaux en vue de convertir ses bateaux pour la pêche du homard en haute mer afin d’utiliser les permis, on pouvait certainement prévoir que toute dérogation à la ligne de conduite (c’est-à-dire l’octroi des permis) antérieurement annoncée par le ministre le 29 décembre 1987 causerait préjudice à la demanderesse. Troisièmement, comme je l’ai fait savoir, la preuve me convainc que la demanderesse a subi une certaine perte financière prévisible par suite du volte-face du ministre le 29 avril 1988 …

Le gouvernement a soutenu que, même s’il était possible que les éléments de la négligence ordinaire soient établis, le ministre ou la Couronne avait le droit d’échapper à la responsabilité. Deux moyens de défense ont été soulignés en faveur de cette conclusion : en premier lieu, le ministre n’avait aucune obligation de diligence envers Comeau parce qu’il prenait une décision de politique et non une décision opérationnelle; en second lieu, le ministre était soustrait à toute responsabilité parce que ses actions relevant de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire étaient autorisées par le législateur et, en conséquence, parce qu’il était protégé contre toute responsabilité civile délictuelle en vertu des principes juridiques généraux et des dispositions de l’article 8 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21].

À l’encontre du premier argument, qui traite de l’immunité d’une décision de politique, le juge Strayer se prononce de la manière suivante (aux pages 73 à 75) :

Dans le cas des autorités publiques, il existe une bonne raison de ne pas conclure à l’existence d’une obligation de diligence si la décision qui a causé préjudice est une décision « de politique ». Les tribunaux respectent ainsi le droit et l’obligation des organismes publics d’établir une politique dans les limites de leurs attributions et ils ne cherchent pas à réviser les décisions de politique à l’égard desquelles les autorités publiques sont politiquement responsables … D’autre part, les décisions prises dans le cadre de la « mise en œuvre » des décisions de politique sont assujetties à une obligation de diligence. En effet, une fois que la décision de politique nécessaire a été prise, elle devrait être mise en œuvre d’une façon qui ne causera pas un risque déraisonnable de préjudice à ceux qu’elle touchera vraisemblablement.

Il faut d’abord faire observer que ce raisonnement découle, si je comprends bien, de la supposition selon laquelle la présumée décision « de politique » est autorisée par la loi. En l’espèce, j’ai déjà décidé que la décision attaquée, soit le refus de délivrer les permis, outrepassait la compétence du ministre.

Cependant, j’ai également conclu que la seule décision de politique pertinente a été prise par le ministre lorsqu’il a annoncé qu’il avait permis l’octroi des permis à la demanderesse. Il ne s’agissait pas d’une simple mesure officieuse; c’était une mesure expressément prévue par le paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches, qui permet au ministre à discrétion d’« octroyer des … permis … ou [d’] en permettre l’octroi ». La preuve laisse entendre qu’en l’espèce, il avait été décidé de permettre l’octroi plutôt que d’octroyer les permis eux-mêmes, parce qu’il restait encore à fixer certaines conditions précises. En outre, la preuve montre que, par suite des discussions subséquentes qui ont eu lieu entre les agents des pêches et les personnes autorisées à recevoir les nouveaux permis, l’affaire évoluait sans difficulté en faveur de l’octroi des permis eux-mêmes. Il ne restait aucune question de politique à régler. Les faits objectifs montrent que les deux parties supposaient que la délivrance des certificats eux-mêmes était une mesure courante, et non une question de politique. Par conséquent, rien ne permet de nier l’existence d’une obligation de diligence en ce qui concerne la révocation.

En second lieu, même si on retenait l’argument de la défenderesse, à savoir qu’après avoir permis l’octroi des permis, le ministre pouvait encore, à discrétion, refuser de les octroyer, je ne suis pas convaincu que cela ferait obstacle à une plaidoirie de simple négligence. Le moyen de défense fondé sur l’autorisation du législateur n’a jamais été absolu. Si un organisme se voyait conférer un pouvoir discrétionnaire, il ne pourrait pas invoquer l’autorisation du législateur comme moyen de défense dans les actions fondées sur un délit découlant du tort causé par suite de l’exercice de ce pouvoir reconnu par la loi à moins qu’il ne puisse montrer qu’en l’exerçant, on portait inévitablement atteinte à des droits privés … En l’espèce, la défenderesse n’a pas montré que cette façon de gérer les permis de pêche du homard était la conséquence inévitable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 7 de la Loi sur les pêches.

Les autres arguments de la Couronne ont aussi été rejetés. Le juge de première instance a statué que la défense fondée sur l’autorisation du législateur n’était pas absolue mais qu’elle ne pouvait offrir qu’un moyen de défense en cas de négligence si le tort reproché est une conséquence inévitable de l’exercice du pouvoir reconnu par la loi. Il conclut ce qui suit (à la page 75) :

On n’a pas montré à ma satisfaction que l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’article 7 autorise celui-ci à permettre l’octroi d’un permis pendant l’année où l’annonce est faite, puis à refuser d’octroyer le permis après qu’un titulaire éventuel a engagé des dépenses en se fondant sur cette annonce, et ce, à la connaissance du ministre.

À l’égard de l’argument de la Couronne sur l’exemption légale, le juge de première instance a souligné, avec raison, que l’article 8 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif avait été jugé pertinent uniquement dans les cas de conduite non négligente (voir la décision de la Cour d’appel fédérale dans Swanson c. Canada (Ministre des Transports)[6]) Comme le juge de première instance avait déjà conclu que les actions du ministre constituaient de la négligence, il a déclaré que cette loi ne s’appliquait pas.

Par conséquent, le juge de première instance a conclu que le gouvernement était responsable en raison de sa négligence, mais il a rejeté les trois autres motifs de responsabilité. L’évaluation des dommages-intérêts a été renvoyée à une autre date, par suite de la détermination de la responsabilité, conformément à l’ordonnance du juge Martin datée du 7 mai 1991.

LES QUESTIONS À TRANCHER EN APPEL

Il y a trois points principaux en litige dans le cadre du présent appel : 1) le sens de l’article 7; 2) la cause d’action découlant de la négligence; 3) l’exemption de la responsabilité fondée sur l’opposition entre une décision politique et une décision opérationnelle. Je les examinerai l’un après l’autre.

1.         Le sens de l’article 7

L’appelante prétend que l’article 7 accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire absolu de délivrer ou de permettre l’octroi de permis, dont le droit de décider de ne pas octroyer des permis qu’il avait antérieurement autorisés. Le juge de première instance a rejeté cet argument, statuant que les termes de l’article étaient passablement clairs : le pouvoir discrétionnaire du ministre se résume à deux actions et à ces deux actions seulement, c’est-à-dire la délivrance d’un permis ou l’autorisation d’octroyer un permis. Il a également conclu qu’en essayant de révoquer l’autorisation des permis octroyés à Comeau, le ministre agissait sans l’autorisation du législateur. À mon sens, le juge de première instance a tiré ses conclusions à bon droit.

L’article 7 investit le ministre du pouvoir de délivrer des permis ou de permettre l’octroi de permis. C’est ce qu’on peut appeler un pouvoir positif, soit celui d’accorder un privilège ou un droit. L’article 9 confère au ministre le pouvoir de suspendre ou de révoquer des permis déjà consentis, ce qui constitue un pouvoir négatif, soit le pouvoir de révoquer, de soustraire ou d’annuler des droits et privilèges accordés au préalable. Le pouvoir du ministre en vertu de l’article 9 n’est pas absolu comme il l’est sous le régime de l’article 7. En effet, le ministre peut suspendre ou révoquer le permis seulement si le titulaire a contrevenu aux dispositions du permis. Ces restrictions imposées au pouvoir du ministre tiennent compte des conséquences négatives possibles, pour le titulaire, de la suspension ou de la révocation d’un permis. Dans une affaire, par exemple, un ministre a tenté de révoquer un permis de pêche afin de se servir d’un pêcheur pour faire un exemple; le tribunal a statué que le ministre avait alors agi en dehors de sa compétence. Ainsi, dans l’affaire LaPointe c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans)[7], le juge Collier a conclu que la Couronne avait engagé sa responsabilité civile :

… un organe investi d’un pouvoir discrétionnaire … ne peut prendre des mesures que la loi n’autorise pas; il doit respecter l’esprit de la loi qui lui donne le pouvoir d’agir. Lorsque l’organe agit, il ne peut le faire d’une manière arbitraire ou capricieuse; la loi oblige un organe décisionnel à agir de bonne foi en tenant compte de tous les facteurs pertinents dont il est saisi.

L’avocat du gouvernement a reconnu en l’espèce que, une fois que le ministre avait délivré un permis sous le régime de l’article 7, ce permis pouvait être révoqué seulement en conformité avec l’article 9. À l’égard de la décision d’autoriser l’octroi d’un permis, cependant, le gouvernement a fait valoir que le ministre pouvait, jusqu’à ce qu’un certificat en bonne et due forme soit rédigé et remis au titulaire du permis, révoquer ou annuler son autorisation à son gré. Mais quelle est la véritable différence entre la délivrance d’un permis et le fait d’autoriser qu’il soit octroyé? Il est clair que le ministre ne garde pas sur son bureau une pile de certificats en blanc qu’il se contente de remplir et de signer, « octroyant » ainsi des permis. Normalement, on s’attend à ce que les fonctionnaires octroient les permis sur les instructions du ministre.

Pourquoi l’article 7 mentionne-t-il alors deux genres différents de pouvoirs et quelle en est la signification? Malgré les explications de l’avocat du gouvernement, je ne suis pas convaincu que les termes « ou en permettre l’octroi [de permis] » étaient censés s’appliquer à l’éventualité où la responsabilité de l’octroi des permis est partagée avec un autre ministre ou mandataire de la Couronne. Ces situations sont rares et ne justifieraient pas ce libellé spécial dans la loi. À mon avis, une interprétation évidente de l’article 7 porte à croire qu’il vise deux situations : tout d’abord, si les conditions du permis sont déjà connues ou fixées par les parties, le ministre enjoint simplement à ses fonctionnaires de délivrer ce permis. En revanche, si les modalités n’ont pas encore été définies, mais que le ministre a décidé qu’une personne devrait recevoir un permis, il autorise ses fonctionnaires à octroyer le permis dès que les conditions auront été fixées de manière définitive. Une telle interprétation est conforme à l’objectif d’efficacité administrative, puisque les fonctionnaires n’ont pas besoin de consulter à nouveau le ministre tant et aussi longtemps que les parties peuvent s’entendre sur les conditions de délivrance du permis. Si cette interprétation est la bonne, le ministre ne peut révoquer sans motif une autorisation d’octroyer un permis, à tout le moins lorsque la décision a déjà été communiquée au requérant.

Voilà l’interprétation adoptée par le juge de première instance et que celui-ci estimait corroborée par les éléments de preuve. À mon avis, il a eu raison de conclure ainsi, car non seulement le ministre a-t-il informé Comeau qu’il avait autorisé l’octroi de quatre nouveaux permis, mais il lui avait précisé la quantité de poissons que l’entreprise pouvait capturer en vertu de ses permis pour l’année de pêche déjà en cours. Le ministre, ses fonctionnaires et Comeau ont tous agi comme si l’entreprise avait déjà reçu les permis. Comeau a été invitée aux réunions des titulaires de permis et elle a reçu de la correspondance adressée aux titulaires de permis. La délivrance en bonne et due forme des certificats était considérée comme une simple formalité administrative qui serait menée à bien en temps opportun[8]. En l’espèce, le ministre a outrepassé sa compétence en essayant de révoquer l’autorisation qu’il avait donnée.

On pourrait faire valoir que l’issue aurait pu être différente si le ministre avait changé d’idée avant d’aviser Comeau de la délivrance des permis. De même, il se peut que, si le ministre avait simplement fait une déclaration publique générale quant à l’octroi de nouveaux permis, Comeau n’aurait eu aucune assurance d’en recevoir un. L’entreprise n’aurait pas été justifiée de s’appuyer sur cette déclaration. Le ministre aurait eu toute la liberté de changer d’idée, parce qu’une déclaration générale indiquant la prise d’une mesure diffère d’un engagement spécifique envers une personne. En l’occurrence, l’autorisation d’octroyer les permis a été faite par écrit et a été communiquée expressément à l’intimée.

Cette situation se distingue de celle de l’affaire San Sebastian Pty. Ltd. v. Minister Administering Envrionmental Planning and Assessment Act 1979[9], où des promoteurs ont investi dans des terrains sur la foi d’un programme d’aménagement municipal que le conseil de ville s’était engagé à prendre en considération lorsqu’il examinerait des demandes d’aménagement futur. Si la municipalité s’était engagée non seulement à prendre en considération son programme d’aménagement, mais à y adhérer, on aurait pu faire valoir des arguments plus solides en faveur de la responsabilité dans l’éventualité où la ville n’aurait pas donné suite à son engagement. Toutefois, les promoteurs avaient compté (pour utiliser des termes empruntés au milieu des affaires, ils ont alors pris un risque calculé) que le conseil donnerait suite à son programme d’aménagement. Dans le cas qui nous occupe, si Comeau avait entamé la conversion de ses navires pour la pêche au homard au cas où elle se verrait octroyer un permis par suite d’une déclaration générale d’intention du ministre visant la délivrance d’autres permis, elle aurait également pris une chance. Jusqu’à ce que l’entreprise reçoive l’avis officiel de la décision du ministre portant qu’un permis avait été octroyé, rien ne justifierait une plainte si l’entreprise avait finalement mal calculé.

2.         La cause d’action découlant de la négligence

Ayant déterminé que le ministre avait outrepassé son pouvoir en révoquant la permission d’octroyer les permis, nous devons maintenant examiner les conséquences de cette violation. Quittons le domaine du droit administratif pour entrer dans le monde de la responsabilité civile délictuelle.

Il est clair qu’un ministre ou d’autres fonctionnaires n’engagent pas nécessairement leur responsabilité civile du simple fait qu’ils commettent une erreur dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire[10]. Dans l’affaire Rowling v. Takaro Properties Ltd.[11], un ministre a été appelé à consentir à certaines acquisitions de terres en Nouvelle-Zélande par des non-résidents. On prétend que le ministre, lorsqu’il a décidé s’il devait consentir à ces acquisitions, avait pris en considération un facteur qu’il n’avait pas le droit d’examiner. Les demandeurs ont subi une perte financière en conséquence du refus du ministre et ont soutenu que celui-ci avait agi de façon négligente dans l’exercice de ses pouvoirs, qu’il avait délibérément excédé son autorité et qu’il l’avait exercé avec malveillance. Le juge de première instance a statué que le ministre croyait honnêtement qu’il exerçait convenablement ses fonctions. Le ministre savait qu’il ne pouvait s’appuyer seulement sur le facteur contesté pour parvenir à sa décision, mais estimait qu’il pouvait en tenir compte avec d’autres facteurs. La Cour d’appel a infirmé cette décision en déclarant que le ministre avait été négligent puisque, s’il savait qu’il ne pouvait s’appuyer uniquement sur le facteur contesté, il aurait dû savoir qu’il ne pouvait absolument pas le prendre en considération. En rétablissant la décision de première instance, le Conseil privé a indiqué que la Cour d’appel avait passé outre à la conclusion de fait du juge de première instance, selon laquelle le ministre estimait qu’il pouvait tenir compte du facteur en question, même après avoir reçu des conseils d’un comité du Cabinet.

Cependant, l’arrêt Takaro n’est pas applicable en l’espèce parce que, dans cette affaire, le ministre prenait une décision en application de la loi. Sa faute résidait dans la manière dont il est parvenu à cette décision. Ici, par contre, le ministre a pris une décision qui n’était pas autorisée par le législateur et, en conséquence, a outrepassé son pouvoir légal.

Le juge de première instance a conclu que le ministre, en décidant de révoquer son autorisation, avait à la fois omis de respecter son obligation légale et fait preuve de négligence ouvrant droit à une poursuite. Il ressort des motifs de première instance, cités abondamment plus haut, que la révocation a été jugée négligente parce que le ministre avait communiqué son autorisation à Comeau (en précisant la capture permise), parce que Comeau s’y était réellement et raisonnablement fiée, comme en font foi les dépenses engagées pour la conversion des navires de pêche, parce que le ministre savait fort bien que Comeau se fiait à sa décision et parce que l’entreprise était susceptible de subir des dommages s’il la révoquait. Je suis d’avis que le juge de première instance avait raison.

Obligation

Depuis l’arrêt Donoghue v. Stevenson[12], nous avons tous une obligation de diligence, c’est-à-dire le devoir de prendre des mesures raisonnables pour éviter de causer un préjudice à autrui. Sous réserve du problème relatif à la nature politique ou opérationnelle d’une décision, dont nous discuterons plus loin, les termes mémorables et poétiques de lord Atkin nous guident encore aujourd’hui :

[traduction] En droit, l’équivalent de la règle voulant que l’on aime son prochain est qu’il ne faut pas causer de préjudice à celui-ci. Et la question que se pose l’avocat de savoir qui est le prochain reçoit une réponse restrictive. Il faut exercer une prudence raisonnable pour éviter les actions ou les omissions qui, selon ce que nous pouvons raisonnablement prévenir, sont susceptibles de causer un dommage à notre prochain. À la question de savoir qui donc, au regard de la loi, est mon prochain, il semble que la réponse soit celle-ci : les personnes que mon acte touche si directement que je devrais raisonnablement envisager que l’action ou l’omission considérée est susceptible de les toucher ainsi.

Cette déclaration de principe a servi de jalon[13] aux décisions ultérieures, mais il ne s’agit pas d’une règle inflexible. Selon lord Reid, ce principe [traduction] « ne devrait s’appliquer que dans les cas où il n’existe aucune justification ou explication valide permettant de l’exclure »[14]. En d’autres termes, les tribunaux devraient conclure à la présence d’une obligation lorsqu’un préjudice quelconque est raisonnablement prévisible, à moins que de bonnes raisons de politique justifient la négation de cette obligation.

Lord Wilberforce a tenté d’expliquer cette situation dans sa décision Anns v. Merton London Borough Council[15], lorsqu’il écrivait ce qui suit :

[traduction] établi le principe selon lequel lorsqu’il s’agit de prouver qu’il existe une obligation de diligence dans une situation donnée, il n’est pas nécessaire de démontrer que les faits de cette situation sont semblables aux faits de situations antérieures où il a été jugé qu’une telle obligation existait. Il faut plutôt aborder cette question en deux étapes. En premier lieu, il faut se demander s’il existe, entre l’auteur allégué de la faute et la personne qui a subi le préjudice, un lien suffisamment étroit de proximité ou de voisinage pour que le manque de diligence de la part de l’auteur de la faute puisse raisonnablement être perçu par celui-ci comme étant susceptible de causer un préjudice à l’autre personne—auquel cas il existe à première vue une obligation de diligence. Si on répond par l’affirmative à la première question, il faut se demander en second lieu s’il existe des motifs de rejeter ou de restreindre la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages qui peuvent découler de l’exécution de cette obligation …

Cette démarche en deux étapes concernant le critère de l’obligation a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres[16] où Mme le juge Wilson l’a énoncé d’une façon assez détaillée :

1)   y a-t-il des relations suffisamment étroites entre les parties … pour que les autorités aient pu raisonnablement prévoir que leur manque de diligence pourrait causer des dommages à la personne en cause? Dans l’affirmative,

2)   existe-t-il des motifs de restreindre ou de rejeter a) la portée de l’obligation et b) la catégorie de personnes qui en bénéficient ou c) les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu?

La Cour suprême du Canada a souscrit constamment à ce critère dans d’autres décisions[17].

L’arrêt Anns a été par la suite réfuté au Royaume-Uni[18], mais, dans la décision Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co.[19], la Cour suprême du Canada a refusé de façon unanime et retentissante de changer son cap et, a confirmé sa foi dans l’arrêt Anns. Cette dernière affaire est donc bel et bien vivante au Canada même si elle a été éliminée dans son pays d’origine. Cette situation est encourageante parce qu’Anns apportait des précisions utiles au principe du prochain énoncé dans Donoghue v. Stevenson, lequel constitue et devrait constituer la clé de voûte des règles de droit en matière de négligence.

Toutefois, puisqu’il y a eu en l’espèce une perte économique, il y a lieu de déterminer l’existence d’un autre facteur avant d’imposer une obligation de diligence, soit l’existence d’un lien étroit. Mme le juge McLachlin expliquait ainsi le concept du lien étroit dans l’affaire Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co.[20] :

On peut formuler le problème ainsi : avant que le droit n’impose une responsabilité, il doit exister un lien entre le comportement du défendeur et la perte subie par le demandeur qui fait qu’il est juste que le défendeur indemnise le demandeur. En matière contractuelle, il y a le lien, contractuel. En matière fiduciaire, c’est l’obligation fiduciaire qui établit le lien nécessaire. En matière délictuelle, la notion équivalente est le lien étroit. Le lien étroit peut revêtir diverses formes—qu’il s’agisse de proximité physique, circonstancielle, causale ou présumée—qui servent à identifier les catégories d’affaires dans lesquelles il existe une responsabilité.

Sous cet angle, la notion du lien étroit peut être considérée comme une expression générale qui vise un certain nombre de circonstances disparates dans lesquelles le rapport existant entre les parties est si étroit qu’il est juste et raisonnable de permettre l’indemnisation en matière délictuelle. La complexité et la diversité des circonstances dans lesquelles la responsabilité délictuelle peut prendre naissance ne permettent pas d’identifier un critère unique qui puisse servir de marque universelle de la responsabilité. On trouvera le sens de « lien étroit » en examinant plutôt les circonstances dans lesquelles on a conclu à son existence et en déterminant si l’affaire en cause est semblable au point de justifier une conclusion similaire.

En résumé, je suis d’avis que la jurisprudence laisse entendre que la perte purement économique peut, à première vue, donner lieu à indemnisation lorsqu’en plus d’une négligence et d’une perte prévisible, il existe un lien suffisamment étroit entre l’acte négligent et la perte subie. Le lien étroit est la notion déterminante qui permet d’éviter le spectre de la responsabilité illimitée. On peut établir l’existence d’un lien étroit au moyen de toute une gamme de facteurs, selon la nature de l’affaire. Jusqu’à maintenant, on a conclu à l’existence d’un lien suffisamment étroit dans le cas de renseignements inexacts fournis par négligence où il y a promesse et confiance corrélative (Hedley Byrne), où il y a une obligation d’avertir (Rivtow) et où une loi impose à une municipalité une responsabilité envers les propriétaires et les occupants d’un bien-fonds (Kamloops). Mais ces catégories ne sont pas limitatives. Comme davantage d’affaires sont jugées, nous pouvons nous attendre à une autre définition des facteurs qui engendrent la responsabilité pour perte purement économique dans des catégories particulières d’affaires. Pour déterminer s’il faudrait étendre la responsabilité à une nouvelle situation, les tribunaux tiendront compte des facteurs qui se rapportent traditionnellement à l’existence d’un lien étroit comme le rapport qui existe entre les parties, la proximité physique, les obligations présumées ou imposées et le lien étroit de causalité. Et ils insisteront sur des facteurs spéciaux suffisants pour éviter l’imposition d’une responsabilité indéterminée et déraisonnable. Il en résultera une façon fondée sur des principes et, en même temps, souple d’aborder la responsabilité délictuelle pour la perte purement économique. Cette façon de procéder permettra l’indemnisation lorsque celle-ci est justifiée, tout en excluant la responsabilité indéterminée et inopportune, et elle permettra également l’évolution cohérente du droit en conformité avec l’approche amorcée en Angleterre par l’arrêt Hedley Byrne et suivie au Canada dans les arrêts Rivtow, Kamloops et Hofstrand.

De la sorte, le juge McLachlin a indiqué que le lien étroit s’assimilerait à l’exigence du lien de causalité directe existant en droit civil, et elle pose en principe l’existence d’un « rapport étroit » entre l’acte négligent et la perte qui en résulte. « Les pertes éloignées qui découlent de rapports connexes ne sauraient donner lieu à une indemnisation »[21].

Le lien étroit entre Comeau et le ministre en l’espèce est évident : des discussions directes ont eu lieu entre les deux parties. Une communication écrite a été envoyée par le ministre à Comeau annonçant l’autorisation des permis et l’octroi de contingents précis, sous réserve de certaines conditions. Comeau a informé le Ministère de ses plans et des travaux qui seraient effectués sur les navires. Le Ministère était tout à fait au courant des modifications apportées. Des réunions ont permis de discuter des plans et de l’opposition à ces plans. La révocation n’a pas pris seulement la forme d’une déclaration publique, car elle a été directement communiquée à Comeau par écrit. Il existe un lien étroit et clair en l’espèce, de nature physique, circonstancielle et causale. Il ne s’agit pas d’une affaire où il y a perte économique et où le tribunal doit statuer sur [traduction] « la responsabilité pour un montant indéterminé, pour un temps indéterminé et à l’égard d’une catégorie indéterminée », éventualité qui a tellement inquiété le juge Cardozo dans l’affaire Ultramares v. Touche[22]. En l’espèce, un nombre déterminé de « titulaires de permis » avait obtenu la permission de pêcher une quantité donnée dans un secteur précis pour une période fixe. Le coût des modifications apportées aux navires était facile à calculer. Il n’y a donc aucune raison de conclure que le gouvernement n’était tenu à aucune obligation envers Comeau dans ces circonstances où il y avait un lien étroit, hormis la question de la nature politique ou opérationnelle de la décision, dont nous discuterons ci-dessous.

Manquement découlant d’une conduite négligente

Non seulement le juge de première instance avait-il raison de conclure à l’existence d’une obligation de diligence, mais il était justifié de croire que les éléments de preuve établissaient une conduite négligente de la part du ministre. Le degré de diligence qu’on attend d’une personne raisonnable n’a pas été respecté, selon les conclusions du juge. Les cours d’appel sont réticentes à intervenir dans des conclusions de fait s’il y a des éléments de preuve pouvant étayer la décision, à moins qu’il y ait une erreur manifeste ou dominante[23].

Le juge Strayer a reconnu qu’il n’était pas tenu de conclure à la négligence sur la seule foi d’un manquement à une loi. Depuis la décision R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool[24], une violation de la loi est considérée comme une preuve de négligence; le juge a le droit d’accepter cet élément de preuve ou de le rejeter. Il n’est pas lié par cet élément de preuve, mais il peut choisir de l’être.

La façon dont il faut tenir compte d’un manquement à une loi dans l’évaluation de la négligence a été décrite ainsi par le juge Dickson (devenu par la suite juge en chef)[25] :

Il faut se rappeler que les autres éléments de la responsabilité délictuelle, c.-à-d. la causalité et le préjudice valent aussi pour les situations où il y a eu infraction à une loi. Pour qu’elle soit le moindrement pertinente, la violation d’une loi doit avoir causé un préjudice dont le demandeur se plaint. Si c’est le cas, la violation de la loi doit constituer une preuve de négligence de la part du défendeur. [Soulignements ajoutés.]

Avant l’arrêt Saskatchewan Wheat Pool, une contravention à une loi constituait une preuve à première vue de négligence, c’est-à-dire que le juge était tenu de l’accepter comme un acte de négligence, à moins qu’il y ait des éléments de preuve contraires[26]. Il y a eu également des décisions où la contravention à la loi constituait une négligence en soi[27]. De nos jours, cependant, cette violation ne représente qu’une preuve de négligence sur laquelle le juge peut se fonder ou non.

Le juge de première instance a décidé, en fait, que la révocation illicite de l’autorisation d’octroi du permis par le ministre contrairement à la loi, dans les circonstances, constituait une conduite négligente susceptible de causer une perte à Comeau. Il était juste de conclure à l’existence d’une conduite négligente en l’espèce. Je ne vois rien dans les faits qui m’amènent à ne pas souscrire à son opinion. Non seulement pouvait-on raisonnablement prévoir le risque d’une perte pour Comeau, mais le ministre avait réellement connaissance des dépenses engagées. Le gouvernement savait que Comeau perdrait de l’argent si l’autorisation d’octroi du permis était révoquée. Comeau s’est raisonnablement fiée à l’autorisation du ministre. Il y avait un lien étroit entre la perte économique et la révocation.

Tous les éléments d’une cause d’action découlant de la négligence ont donc été dûment établis, sauf en ce qui concerne la nature politique ou opérationnelle de la décision.

Jurisprudence connexe

Il y a eu des cas où, dans des situations semblables, les tribunaux ont jugé d’après les faits qu’il peut exister une obligation contractuelle entre les parties.

Dans Somerville Belkin Indust. Ltd. v. Man.[28], la demanderesse avait convenu d’acquérir une usine si elle recevait de l’aide gouvernementale aux fins de l’exploitation. Une subvention a été approuvée par le Comité de développement économique du Cabinet et par le Cabinet du gouvernement manitobain. Cette décision a été communiquée à la demanderesse par lettre provenant du bureau du ministre datée du jour de l’élection provinciale, mais le décret n’avait pas encore été rédigé dans sa forme définitive. Après l’arrivée au pouvoir d’un nouveau parti, les fonctionnaires du Ministère avaient assuré à la demanderesse qu’elle recevrait quand même la subvention, de sorte qu’elle a continué d’engager des fonds. Le nouveau gouvernement a refusé d’honorer l’entente conclue et d’accorder la subvention. La demanderesse a intenté une action. La Cour d’appel, confirmant la décision de première instance, a statué que la nouvelle administration était liée par l’engagement de son prédécesseur. Le décret a été considéré comme une simple formalité dont l’absence ne pouvait résilier l’entente que les parties avaient voulu rendre exécutoire.

La majorité de la Cour dans Somerville Belkin a souscrit aux motifs énoncés par le juge Stone, J.C.A., dans l’affaire R. c. CAE Industries Ltd.[29]. CAE Industries avait pris en charge une installation d’entretien d’Air Canada d’après une entente selon laquelle le gouvernement fédéral garantirait un nombre minimal d’heures de travail et ferait tout son possible pour confier du travail additionnel à l’usine. Cette entente se fondait sur une lettre signée par trois ministres du Cabinet fédéral et adressée au président de la société demanderesse. Le gouvernement fédéral a soutenu que la lettre constituait une entente politique qui ne visait nullement à créer un lien contractuel. Le juge Stone a refusé cet argument[30] :

Il ressort de la preuve soumise que les parties ont considéré que le document constituait un contrat les liant dans la mesure où il a été partiellement exécuté. En outre, comme on l’a souligné, le fardeau de la preuve dans un cas de ce genre [traduction] « incombe à la personne qui affirme qu’on ne voulait produire aucun effet juridique et ce fardeau est très lourd » … [Les renvois sont omis.]

Les faits en l’instance ne peuvent appuyer l’existence d’une responsabilité contractuelle, mais la situation s’apparente quelque peu à ces affaires. Les éléments de preuve qui ont été acceptés par le juge de première instance montrent clairement que Comeau aussi bien que le Ministère ont traité l’octroi de permis comme s’il s’agissait d’une simple formalité qui serait accomplie en temps opportun; voilà qui ressemble à la situation prévalant dans l’affaire Somerville Belkin. Toutes les parties ont agi comme si les permis avaient déjà été octroyés : le ministre a alloué un contingent de poissons et Comeau a converti ses navires. D’après l’entente intervenue entre les parties, Comeau exercerait ses activités de pêche en vertu de ces permis pour la saison. Aucune promesse ne devait être exécutoire, cependant, de sorte qu’il n’y avait aucun contrat. Les principes régissant l’octroi de permis en l’occurrence sont ceux du droit public et du droit de la responsabilité civile délictuelle, et non pas ceux du droit des contrats. Il est néanmoins réconfortant de voir des issues uniformes dans des situations analogues fondées sur différentes théories de la responsabilité[31].

3.         L’exemption de la responsabilité : décision de politique ou décision opérationnelle?

Même si le gouvernement a outrepassé sa compétence et que l’existence, à première vue, d’une cause d’action découlant de la négligence a été établie, la responsabilité civile n’en découle pas nécessairement. Il faut franchir le vide qui existe entre le droit administratif et le droit de la responsabilité civile délictuelle. La Cour doit décider si les principes de la responsabilité délictuelle devraient s’appliquer en l’espèce ou si les exigences du droit administratif devraient les empêcher d’entrer en jeu.

Même si les textes législatifs fédéraux[32] disposent depuis 1947 que « [e]n matière de responsabilité civile délictuelle, l’État est assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour … les délits civils commis par ses préposés », les tribunaux de common law se sont montrés réticents à traiter la Couronne comme un simple citoyen. Au nom du respect de la séparation des pouvoirs et parce qu’ils se soucient de préserver leur capacité d’évaluer les décisions du gouvernement, les tribunaux ont établi le principe de l’immunité en matière de responsabilité pour négligence dans le cas des décisions « de politique ». Ce principe s’ajoute à l’immunité bien reconnue en matière de responsabilité civile dont jouissent les actions législatives ainsi que la prise de décisions judiciaires et quasi judiciaires[33].

L’arrêt prépondérant sur cette question a été rendu dans l’affaire Just c. Colombie-Britannique[34], où la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Cory, a simplifié considérablement les règles de droit. L’appelant, M. Just, et sa fille roulaient sur une autoroute de la Colombie-Britannique afin de se rendre au centre de villégiature de Whistler pour leurs vacances lorsque leur voiture a été frappée par un rocher qui s’était détaché de la falaise surplombant la route. Mlle Just est décédée et son père a été grièvement blessé. Le ministère public de la province a été poursuivi en responsabilité civile à cause de sa négligence dans l’entretien de l’autoroute. Le juge de première instance[35] et la Cour d’appel[36] ont tous les deux rejeté l’action en statuant que le système d’inspection des autoroutes constituait une activité de planification et de politique qui n’engendrait aucune obligation de diligence.

En appel à la Cour suprême du Canada, c’est le juge Cory qui a eu la tâche délicate de déterminer si une responsabilité délictuelle était imposée au gouvernement provincial. Le juge a formulé une mise en garde : il serait, a-t-il dit, inopportun de restaurer l’immunité du gouvernement et de nier l’évolution récente du droit. Il a distingué deux types d’activités gouvernementales, les « décisions de politique » et les « décisions de mise en œuvre » :

L’immunité gouvernementale initiale en matière de responsabilité délictuelle était devenue intolérable. C’est pourquoi des lois ont été adoptées pour imposer de façon générale à la Couronne la responsabilité de ses actes comme si elle était une personne. Cependant, la Couronne n’est pas une personne et doit pouvoir être libre de gouverner et de prendre de véritables décisions de politique sans encourir pour autant une responsabilité civile délictuelle. On ne pourrait, par contre, restaurer l’immunité complète de la Couronne en qualifiant de « politique » chacune de ces décisions[37].

Il donne également l’explication suivante :

Les véritables décisions de politique devraient être à l’abri des poursuites en responsabilité délictuelle, de sorte que les gouvernements soient libres de prendre leurs décisions en fonction de facteurs sociaux, politiques ou économiques. Cependant, l’application de ces décisions peut fort bien engager la responsabilité[38].

En règle générale, l’obligation traditionnelle de diligence issue du droit de la responsabilité délictuelle s’appliquera à un organisme gouvernemental de la même façon qu’à un particulier. Pour déterminer si une telle obligation existe, il faut d’abord se demander s’il y a entre les parties une proximité suffisante pour en justifier l’imposition[39].

Le juge Cory souligne également certaines des caractéristiques d’une véritable décision de politique qui devrait être soustraite à la responsabilité découlant de la négligence :

Une autorité publique est assujettie à l’obligation de diligence à moins d’un motif valable de l’en exempter. Un motif valable d’exemption est le cas d’une véritable décision de politique prise par un organisme gouvernemental. Or ce qui constitue une décision de politique peut varier à l’infini et être prise à divers échelons, bien que ce soit normalement à un haut niveau[40].

De façon générale, les décisions concernant l’allocation de ressources budgétaires à des ministères ou organismes gouvernementaux seront rangées dans la catégorie des décisions de politique[41].

En d’autres termes, l’immunité en cas de négligence devrait être accordée avec parcimonie aux organismes de la Couronne[42]. Seules de « véritables décisions de politique », généralement prises à un échelon élevé, qui sont fonction de « facteurs sociaux, politiques ou économiques » et touchent « l’allocation de ressources budgétaires à des ministères » devraient être soustraites à l’application des principes de droit en matière de négligence.

Si la conduite ne jouit pas d’une immunité à titre de « décision de pure politique », les principes ordinaires de droit en matière de négligence restent applicables. Toutefois, il y a quand même lieu de « procéder alors à l’analyse traditionnelle de la responsabilité délictuelle, et c’est la question de la norme de diligence requise de l’organisme gouvernemental qui doit alors être examinée … en fonction de toutes les circonstances, y compris par exemple les restrictions budgétaires et la possibilité de trouver le personnel qualifié et l’équipement nécessaire »[43]. Si une obligation est ainsi imposée, la conduite réelle doit être évaluée quand même afin qu’on puisse déterminer si elle était déraisonnable; la Cour doit alors s’appuyer sur les indices habituels en matière de négligence, y compris la disponibilité ou l’absence de ressources.

Par conséquent, le juge Cory a conclu à l’existence d’une responsabilité délictuelle, mais l’affaire a dû être renvoyée pour un nouveau procès afin qu’on puisse déterminer si les employés gouvernementaux avaient fait preuve du degré requis de diligence. Dans le cadre du nouveau procès, le juge Donald a statué qu’il y avait eu négligence et accordé des dommages-intérêts de plus de un million de dollars; cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel[44].

Il est possible d’examiner l’immunité d’une décision de politique d’une autre façon : il se peut que la Cour reconnaisse qu’un gouvernement a le droit de gouverner à l’abri de toutes les contraintes de la responsabilité délictuelle ordinaire. En bref, le gouvernement ne peut commettre un délit lorsqu’il gouverne[45]. Cependant, lorsque le gouvernement prend des mesures pour les citoyens, plutôt que de gouverner, il devrait être assujetti aux principes ordinaires en matière de négligence. Pour emprunter les termes du juge Cory, puisque « la Couronne … doit pouvoir être libre de gouverner »[46], l’immunité peut être nécessaire, mais elle est limitée aux fonctions qu’on peut dûment assimiler au fait de « gouverner » et ne s’étend pas aux autres tâches du gouvernement. Celles-ci peuvent être désignées par diverses expressions, notamment la « mise en œuvre », les « fonctions opérationnelles », les « pouvoirs en matière commerciale », les « questions de routine » ou la « prestation de services ». Il n’est pas nécessaire qu’un demandeur prouve que la sanction représente une « mise en œuvre » ou une « exécution »; il suffit à la Cour de décider, en droit, qu’il n’est pas opportun pour elle d’examiner la question parce qu’il s’agit en l’occurrence d’une décision de politique.

En d’autres termes, l’immunité devrait protéger uniquement ce que Hogg décrit comme étant des [traduction] « activités gouvernementales particulières »[47]. Ces activités ont normalement trait à de grandes questions, ce qu’on peut appeler des macrodécisions et non pas des sujets de routine, c’est-à-dire des microdécisions[48]. Par exemple, un chômeur ou une entreprise qui fait faillite ne peut poursuivre la Couronne en invoquant la gestion négligente de l’économie par le Cabinet[49]. Les décisions de politique économique prises aux échelons les plus élevés ne peuvent pas et ne devraient pas être révisées par les tribunaux, puisque cette fonction ne relève pas des organes judiciaires : seuls les bulletins de vote peuvent contrôler ce genre de conduite.

Cela ne veut pas dire, cependant, que le gouvernement devrait échapper à tout examen minutieux dès qu’il existe un élément discrétionnaire qui nécessite qu’un fonctionnaire exerce son jugement. Tous les membres des professions doivent faire preuve de jugement, et les tribunaux les tiennent responsables de leurs décisions. Les inspecteurs de l’État et les fonctionnaires chargés de l’application des règlements dans la plupart des situations se retrouvent dans une situation assez semblable à celle d’autres professionnels pour que les tribunaux soient en mesure de les évaluer en fonction du comportement d’une personne raisonnable, indépendamment de ce qu’avance le professeur Feldthusen[50]. Il ne faut pas oublier que la plupart des décisions gouvernementales sont prises à plus d’un échelon. Par exemple, les aspects budgétaires sont déterminés à un niveau différent de celui des aspects opérationnels. En conséquence, si une personne invoque la négligence parce que l’État n’accorde pas un financement suffisant à une section particulière de l’appareil gouvernemental chargée des inspections de sécurité, il lui serait pratiquement impossible de convaincre la Cour qu’il ne s’agissait pas d’une décision de politique[51]. Par contre, si elle allègue que les inspecteurs embauchés au moyen de ce financement par la section gouvernementale chargée des inspections et de la sécurité ont fait leur travail négligemment, il est difficile de voir comment cette décision pourrait être considérée comme une décision de politique[52].

L’arrêt Just a été suivi dans Swanson c. Canada (Ministre des Transports)[53]; un avion de la ligne aérienne Wapiti Aviation s’est écrasé, tuant six des neuf passagers. Le pilote avait pris l’air contrairement aux règlements de sécurité, phénomène courant chez Wapiti Aviation. Transports Canada connaissait les contraventions antérieures de Wapiti en matière de sécurité mais n’a pas pris de mesures suffisantes pour forcer la ligne aérienne à apporter des correctifs. Dans un rapport, un inspecteur de Transports Canada avait mis ses supérieurs en garde quant au fait que, chez Wapiti, « on ne tient aucunement compte des règlements, des droits des autres personnes et de la sécurité des passagers »; l’inspecteur avait conclu comme suit : « Si cette manière d’opérer se poursuit encore longtemps, il est pratiquement certain que nous aurons à faire face à un accident mortel »[54]. Par suite de l’écrasement fatal qui avait été prévu par l’inspecteur de Transports Canada, les familles de certaines victimes ont poursuivi le gouvernement du Canada, Wapiti étant devenue insolvable. Le juge de première instance [[1990] 2 C.F. 619(1re inst.)] a statué que l’État avait une obligation envers les familles et qu’il y avait eu manquement à cette obligation. La Cour d’appel fédérale a confirmé ce jugement en raisonnant ainsi, à la suite de Just :

En l’espèce, c’est à bon droit que le juge de première instance a statué que la suite donnée par la Couronne aux plaintes et aux rapports était une décision opérationnelle et non une question de politique … Il a conclu plus loin que la question « cesse d’être uniquement une question de politique, pour devenir une question opérationnelle » [à la page 634]. Le fonctionnaire qui prenait les décisions d’application n’était pas un haut fonctionnaire élu comme un ministre ou même un sous-ministre; ce n’était qu’un directeur régional. Son travail ne comportait aucune fonction de politique, de planification ou de gouvernement, mais seulement des tâches administratives, opérationnelles ou de service. La décision ne comportait aucun aspect « polycentrique », et la preuve ne permet pas non plus de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment de ressources pour permettre une application plus stricte des règlements. Il existait de nombreuses lignes directrices spécifiques sur lesquelles le tribunal pouvait se fonder pour apprécier la conduite du décideur. Il ne s’agissait pas d’une macrodécision d’ordre budgétaire.

Il s’agissait essentiellement d’inspecteurs de compagnies aériennes, d’avions et de pilotes, qui n’élaboraient pas de politiques mais se contentaient de les mettre en œuvre, même s’ils devaient certainement exercer un certain pouvoir discrétionnaire et un certain jugement dans le cadre de leur travail, comme bien d’autres professionnels.

Les fonctionnaires en question n’ont pas participé à des décisions comportant « des facteurs sociaux, politiques ou économiques ». D’ailleurs, c’est un organisme qui tirait entièrement son existence du ministère des Transports, la Commission canadienne des Transports, un organisme quasi judiciaire à qui il incombait de tenir compte de ces facteurs, qui a accordé la licence initiale à Wapiti et à d’autres compagnies aériennes, tandis que la direction générale en question était concernée par les licences d’exploitation axées principalement sur la question de la sécurité. Ces fonctionnaires n’étaient pas concernés par la santé de l’industrie aéronautique, et ils ne s’intéressaient pas à desservir les régions éloignées ou à trouver du travail pour les jeunes pilotes et, s’ils ont tenu compte de ces questions pour prendre leurs décisions, ils n’auraient probablement pas dû le faire. Il ne leur appartenait pas non plus de s’inquiéter du fait que les compagnies aériennes [traduction] « aient recours à des instances politiques ». Leur mission consistait à appliquer de leur mieux et avec les ressources dont ils disposaient les règlements et les ONA en tenant compte de la sécurité. Il s’agissait de toute évidence d’une fonction opérationnelle. Par conséquent, ils étaient tenus envers les demandeurs d’une obligation civile de diligence les obligeant à faire preuve de diligence raisonnable dans les circonstances[55].

Un autre jugement s’appuyait sur l’affaire Just, soit Brewer Bros. c. Canada (Procureur général)[56], où plusieurs producteurs de grains ont poursuivi le gouvernement canadien parce que la Commission canadienne des grains avait fait preuve de négligence en permettant à un « producteur-exploitant d’élévateur » d’exercer ses activités sans avoir donné de cautionnement suffisant, comme l’exige la Loi sur les grains du Canada[57]. Les demandeurs avaient livré des grains au « producteur-exploitant d’élévateur » et ont subi des pertes financières lorsque le permis de celui-ci a été révoqué et que l’entreprise a été placée sous séquestre avant que les demandeurs ne soient rémunérés. Le juge de première instance [(1990), 66 D.L.R. (4th) 71 (C.F. 1re inst.)] a tenu le gouvernement du Canada responsable, et la Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision.

Comme il y avait perte économique en l’occurrence, l’analyse était plus complexe. Le juge Stone a toutefois expliqué que la loi avait « pour but de protéger les producteurs de grains … et … donn[ait] à la Commission l’obligation de s’assurer que cette garantie est suffisante »[58]. Les éléments de preuve établissaient, selon le juge Stone, que « le rôle de la Commission dans l’application adéquate des dispositions … relatives aux permis et aux cautionnements était un élément essentiel du commerce canadien des grains … Je suis convaincu qu’une relation de proximité comme celle qui entraîne une obligation de diligence de droit privé a été créée[59] ».

S’appuyant sur l’arrêt Just, le juge Stone explique en outre qu’il n’existe « aucun fondement pour exonérer [le gouvernement] de toute responsabilité du fait que les décisions prises seraient des décisions de « politique » »[60]. Il a refusé également d’exonérer le gouvernement « de toute responsabilité de droit privé parce que ses fonctions étaient quasi-judiciaires ou analogues à des fonctions de police. Même si on peut soutenir que certains des pouvoirs de la Commission pourraient être ainsi qualifiés, les actes et les omissions reprochés par les intimés n’en font pas partie »[61] Il s’est ensuite attaché à déterminer si la Commission avait satisfait au degré de diligence prévu dans la mise en œuvre de la nouvelle politique et il a conclu que non.

On peut donc en conclure que les tribunaux canadiens, fidèles aux principes établis dans l’affaire Just, montrent qu’ils assujettiront la plupart des activités gouvernementales aux règles générales de la négligence. La portée de l’immunité des politiques est clairement circonscrite dans les limites étroites fixées par l’arrêt Just[62].

Dans l’éventualité où un tribunal décide qu’une conduite relève d’une décision de politique et soustrait l’organisme gouvernemental aux principes ordinaires de la négligence, la responsabilité peut quand même être imposée, mais sur une autre base plus complexe et étroite. Il est possible pour le plaignant de prouver que la décision de politique a été prise de mauvaise foi ou qu’elle était tellement irrationnelle ou déraisonnable qu’elle ne constituait pas un exercice valable du pouvoir discrétionnaire. Le cas échéant, il serait possible de conclure à l’existence d’une responsabilité[63]. En outre, s’il est impossible de satisfaire à cette exigence, et elle peut rarement l’être, l’organisme gouvernemental peut quand même être tenu responsable s’il omet de suivre comme il se doit la politique qu’il a adoptée.

La Cour suprême du Canada rendait récemment deux décisions où le gouvernement a été dégagé de toute responsabilité sur la base des principes établis dans Just. Ainsi, dans l’arrêt Brown c. Colombie-Britannique (Ministre des Transports et de la Voirie)[64], le demandeur a dérapé en voiture sur une route verglacée de l’Île de Vancouver. Bien que la Cour ait estimé qu’il existait une obligation générale de maintenir la route en bon état, en l’occurrence, le gouvernement a été exempté des principes ordinaires de la négligence parce que sa décision d’adopter l’horaire d’été, et donc de réduire les services d’entretien, constituait une décision de politique. Selon le juge Cory [aux pages 441 et 442], « [c]’était une décision de politique générale nécessitant la prise en considération classique des ressources financières et humaines ainsi que d’importantes négociations avec les syndicats gouvernementaux. Il s’agissait donc véritablement d’une décision gouvernementale comportant des aspects sociaux politiques et économiques ». Par conséquent, en l’absence d’une preuve d’irrationalité ou de mauvaise foi, et comme il n’existait aucune preuve de négligence dans l’aspect opérationnel de la décision de politique, aucune responsabilité n’a été imposée. Même si la Cour suprême a rendu une décision unanime quant au résultat, le juge Sopinka a indiqué [à la page 424] qu’il n’était pas satisfait du « critère “politique générale—opérations” comme le facteur déterminant de la responsabilité », laissant entendre qu’il voudrait que la Cour réexamine son utilité à une date ultérieure.

Dans l’affaire Swinamer c. Nouvelle-Écosse (Procureur général)[65], la deuxième affaire que nous mentionnerons, le demandeur a été blessé par un arbre qui a tombé sur son camion alors qu’il roulait sur une autoroute entretenue par la province. On avait inspecté les arbres situés près de l’autoroute qui pouvaient se révéler dangereux, et 200 arbres morts—mais pas celui qui a frappé le demandeur—ont été marqués. On a demandé des fonds pour l’abattage de ces arbres sur une période de trois ans. Bien que la Cour ait reconnu encore une fois l’obligation d’entretenir l’autoroute, elle a conclu que la décision d’inspecter et d’identifier les arbres dangereux était une étape préliminaire dans le processus d’élaboration de politiques. Il s’agissait en l’occurrence, d’après le juge Cory, [à la page 465] d’un « cas typique de décision de politique générale », c’est-à-dire où on « établissait des priorités aux fins de l’affectation des fonds dont [on] disposait ». Il en conclut que [aux pages 465 et 466] « [l]es décisions de politique générale de l’État doivent échapper à l’application des critères du droit privé en matière de responsabilité délictuelle ». Puisqu’il n’y avait aucune preuve d’irrationalité ou de mauvaise foi, ni de négligence quant à l’aspect opérationnel de la décision de politique, aucune responsabilité ne pouvait être imposée.

Bien que ces deux décisions semblent constituer une « régression » pour certains, je suis d’avis qu’elles sont fidèles à la philosophie de Just. Il ne faut pas oublier que les principales décisions dans les deux cas ont été rédigées par le juge Cory, qui était également l’auteur des motifs de l’arrêt Just; il n’a certainement pas laissé entendre qu’il dérogeait d’une façon quelconque à ce qu’il avait conclu auparavant, même si d’autres membres de la Cour suprême semblaient exprimer quelque hésitation à l’égard de divers aspects des motifs du juge Cory. Il est certainement compréhensible dans les circonstances que les décisions gouvernementales aient été considérées dans ces deux cas comme des décisions de politique, mais il n’aurait peut-être pas été nécessaire de s’attarder sur la question de l’obligation parce qu’à mon point de vue ces deux affaires auraient pu être tranchées plus simplement, puisque les faits n’établissaient aucune négligence.

Dans l’affaire qui nous occupe ici, le juge de première instance conclut que la décision par laquelle le ministre permettait l’octroi des permis à Comeau constituait une décision de politique. Par suite de cette permission, il ne restait aucune question à résoudre quant aux politiques, mais seulement des aspects de routine comme l’établissement des conditions et la délivrance du permis. Ces fonctions ne peuvent, de par leur nature même, être considérées comme des questions de politique : on ne peut attacher aucune question budgétaire à la décision de révoquer l’autorisation, même si cette décision a été prise par le ministre. Elle ne constituait pas une macrodécision qu’on pourrait faire entrer dans la fonction gouvernementale, car il s’agissait d’une microdécision qui revêtait peu d’importance pour la nation. On ne peut conclure qu’il serait inopportun ou difficile pour les tribunaux de l’évaluer. Elle ne peut donc être protégée par l’immunité accordée aux décisions de politique. La révocation d’une autorisation, soit le fait de renier une décision antérieure sans avoir la compétence nécessaire, peut difficilement être considérée comme une décision de politique qui mérite d’être protégée par l’immunité de l’État en cas de négligence. Le législateur ne devrait pas accorder l’immunité dans ces circonstances, lorsque le décideur avait pleinement connaissance des conséquences financières préjudiciables envers un tiers qui s’était, avec raison, fié à un engagement, puisque cette immunité serait alors incompatible avec le professionnalisme et la responsabilité dont doivent faire preuve les fonctionnaires.

En l’espèce, la volte-face du ministre semble s’appuyer uniquement sur les pressions politiques exercées par les pêcheurs côtiers de homard. Rien ne laisse croire que Comeau ne se conformerait pas aux conditions que le Ministère était en train de fixer de manière définitive. On a admis que Comeau aurait reçu les permis sur demande avant le 8 mars 1988. Le juge de première instance a souligné que le ministre savait fort bien, avant son télex du 29 décembre 1987, qu’il y aurait une opposition de la part des pêcheurs côtiers, même s’il n’avait pu en prévoir la portée et la véhémence.

Le droit de la responsabilité civile délictuelle n’est pas supplanté par les besoins du droit administratif dans cette situation.

Takaro

Enfin, je dois commenter les remarques incidentes de lord Keith of Kinkel dans l’affaire Takaro, où il se dit opposé à l’attribution de toute responsabilité civile délictuelle au gouvernement. À mon sens, ses commentaires n’ont aucune pertinence, puisque les parlements de l’Angleterre et du Canada ont promulgué des lois portant qu’un gouvernement peut engager sa responsabilité délictuelle comme s’il était une personne ordinaire[66]. En outre, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt qui a force de précédent sur cette question. J’estime que je dois m’attarder sur ces commentaires, néanmoins, parce que l’avocat de l’appelante nous a exhorté à adopter ce point de vue et parce que mes collègues l’ont fait.

Selon lord Keith, si une décision est qualifiée de décision opérationnelle, une obligation de diligence ne devrait pas nécessairement s’ensuivre. Lord Keith, en contradiction directe avec des textes législatifs adoptés par le Parlement, laisse entendre [à la page 501] [traduction] « qu’il existe certaines considérations militant contre l’imposition d’une responsabilité ». Il poursuit de la manière suivante[67] :

[traduction] Notre Cour désire mentionner particulièrement certains points qui lui semblent importants. Premièrement, une décision négligente, comme celle qui est reprochée ici, a pour seule conséquence d’entraîner un retard, du fait que la partie lésée peut recourir au contrôle judiciaire; si l’on suppose que l’erreur de droit reprochée est d’une gravité telle qu’elle peut licitement être décrite comme négligente, la décision sera certainement annulée par un processus qui, en Nouvelle-Zélande comme au Royaume-Uni, se déroulera normalement avec promptitude. Deuxièmement, en pratique, il est sans doute très rare qu’une erreur de droit de ce genre commise par un ministre ou une autre autorité publique puisse être à bon droit considérée comme négligente : on le sait bien, n’importe qui, même un juge, peut mal interpréter une loi, et une telle erreur d’interprétation, lorsqu’elle survient, peut être sévèrement critiquée sans être jugée « négligente ». De toute évidence, ce simple fait souligne qu’il est très invraisemblable qu’on puisse conclure au manquement à une obligation le cas échéant …

Troisièmement, il existe un risque d’exagération. On espère que, en règle générale, l’imposition d’une responsabilité découlant de la négligence incitera les intéressés à faire preuve d’une plus grande diligence dans l’exercice de leurs fonctions; parfois, non seulement ce ne sera pas le cas, mais l’imposition de la responsabilité peut même s’assortir de conséquences néfastes. En d’autres termes, le remède peut être pire que la maladie … dans les cas comme l’espèce, parce qu’une fois qu’on saura qu’il existe une responsabilité découlant de la négligence lorsqu’un ministre a mal interprété une loi et a donc outrepassé sa compétence, le fonctionnaire prudent pourrait faire preuve d’un zèle extrême et s’assurer d’obtenir des conseils juridiques, ou même l’opinion d’un tribunal, avant de prendre des décisions, ce qui créerait des délais inutiles dans un grand nombre de dossiers.

Lord Keith of Kinkel fait observer qu’il peut être possible de soulever certains de ces points, mais la difficulté de cet exercice a porté le juge de première instance et un juge d’appel dans l’affaire Takaro à douter du bien-fondé de l’obligation de diligence. Lord Keith continuait ainsi[68] :

[traduction] … certains croient que la responsabilité pour négligence devrait être imposée dans des cas comme en l’espèce, lorsque l’effet d’une telle responsabilité engendre un redressement, d’une part, seulement à de très rares occasions et, alors, uniquement pour les conséquences du délai, qui ne devrait pas être considérable; d’autre part, cette responsabilité entraînerait un retard notable dans un grand nombre d’affaires pour lesquelles aucun redressement n’est possible. Dans toutes les circonstances, on doit se demander sérieusement s’il serait approprié d’imposer la responsabilité pour négligence dans ces affaires, ou s’il ne serait pas davantage dans l’intérêt public que les citoyens n’aient de recours, comme en l’espèce, que dans les cas où le ministre ou l’autorité publique ont agi de mauvaise foi.

Notre Cour estime qu’il ne serait pas convenable de répondre à cette question en l’occurrence; de fait, nul ne doit conclure que nous exprimons une opinion sur ce point. En effet, comme nous l’avons mentionné, cette question n’a pas été totalement élaborée au cours de l’argumentation. De toute manière, notre Cour est très consciente du fait, déjà mentionné, que dans la grande majorité des cas où on allègue qu’il y a eu négligence dans l’interprétation d’une loi, il est probable qu’il sera établi que l’erreur ne peut être décrite comme une négligence.

D’après moi, outre la nature totalement incidente de ces remarques, par ailleurs incompatibles avec la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, l’approche de lord Keith à l’égard des obligations des autorités publiques présente certains problèmes. Tout d’abord, il laisse entendre qu’aucune obligation de diligence ne devrait exister parce qu’un manquement à cette obligation, c’est-à-dire la négligence, sera rarement établie. En toute déférence, je ne vois pas comment le fait que peu de demandes fondées sur la négligence obtiennent gain de cause puisse être utilisé pour justifier l’élimination d’une cause d’action en responsabilité civile délictuelle. Au contraire, on pourrait croire que, si les cas de négligence sont rares, c’est parce que l’obligation de diligence actuellement imposée aux autorités publiques a l’effet souhaité, c’est-à-dire favoriser une norme de conduite élevée[69].

Deuxièmement, lord Keith mentionne que les recours de droit administratif peuvent permettre de corriger les erreurs de droit promptement. C’est peut-être vrai en Angleterre, mais les retards judiciaires constituent un grave problème au Canada. Peu importe la rapidité avec laquelle les demandeurs peuvent être entendus, pour certains, même un court délai peut s’avérer extrêmement sérieux. Une journée de pêche manquée ne peut être rattrapée. Lord Keith ne mentionne pas la possibilité des appels, et d’autres délais, advenant qu’une ordonnance infirmant une décision soit obtenue rapidement. Même si les délais ne constituent pas un problème, l’annulation d’une décision ne représente pas toujours vraiment une réparation, car il n’y a généralement aucuns dommages-intérêts octroyés dans des cas ordinaires de révision administrative. Par conséquent, même si Comeau avait eu gain de cause dans sa demande, elle aurait eu à supporter les frais de la conversion de ses navires. Dans le cas qui nous occupe, tout délai de plus de quelques semaines dans l’annulation de la décision (s’il n’y a aucun appel) empêcherait Comeau de faire des profits durant l’année. Il est difficile de croire qu’il s’agit là d’un résultat satisfaisant pour des personnes qui agissent de bonne foi en se fiant sur les actions des représentants de leur gouvernement. Il me semble, toutefois, qu’il serait opportun de considérer ce facteur lorsqu’on décide si Comeau a pris des mesures suffisantes pour atténuer ses dommages; il ne peut en revanche servir à empêcher tout redressement, comme le laisse entendre le juge Stone.

Lord Keith affirme de façon surprenante que la menace de poursuites pour négligence contre le gouvernement pourrait terrifier les fonctionnaires britanniques à un point tel que le processus décisionnel gouvernemental en deviendrait paralysé. Il craint que l’activité gouvernementale ne soit immobilisée par le risque d’une responsabilité possible et qu’il faudrait obtenir des conseils juridiques détaillés pour tous les genres de décisions qui sont prises avec ou sans avis juridique depuis des années. La jurisprudence emprunte un courant bien différent de nos jours au Royaume-Uni par rapport à la voie où elle s’était engagée il y a deux décennies dans l’affaire Home Office v Dorset Yacht Co Ltd[70]. Alors, avec une grande fierté et force tambours et trompettes, la Chambre des lords, par la plume de lord Reid, proclamait que les fonctionnaires britanniques ne manqueraient pas à leur devoir par crainte d’être assujettis à une responsabilité civile délictuelle. Contrairement à la situation qui prévalait à New-York[71], où les fonctionnaires étaient protégés par une immunité en cas de responsabilité pour négligence, lord Reid s’est vanté avec fierté que la bureaucratie britannique n’avait pas besoin d’une telle immunité parce que [traduction] « les fonctionnaires de Sa Majesté se laissent moins facilement intimider ».

Je ne dirais pas que nos fonctionnaires sont meilleurs que ceux de l’Angleterre, mais je ne vois aucune raison justifiant de discréditer les bureaucrates canadiens, comme le fait lord Keith à l’égard des fonctionnaires britanniques. Je ne peux croire que l’administration canadienne soit aussi timide et craintive que le sont les fonctionnaires d’aujourd’hui en Angleterre, selon lord Keith. Certainement, à l’instar d’autres professionnels, ils seront en mesure d’exercer leurs fonctions malgré le risque d’engager leur responsabilité en matière civile délictuelle dans les rares cas où il peut être établi qu’ils ont fait preuve de négligence. Je préfère m’associer au point de vue de Mme le juge Wilson, qui a déclaré dans Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres[72] que l’imposition de la responsabilité civile aux autorités publiques ne [pourrait] « causer des catastrophes financières » mais qu’elle jouerait un rôle de « protection utile pour les citoyens dont la confiance de plus en plus grande dans les fonctionnaires semble une caractéristique de notre temps ». Mme le juge estimait que les fonctionnaires canadiens « s’acquittent de leurs responsabilités de façon consciencieuse » et qu’une omission sera « l’exception plutôt que la règle ». Voilà une opinion qui montre la confiance dans la fonction publique, dans sa capacité de soutenir, aussi bien que d’autres instances de notre société, un examen attentif en matière de responsabilité délictuelle.

Il ne faut pas oublier que, dans l’affaire Takaro, on cherchait à déterminer les mesures permises à un ministre lorsqu’il doit prendre une décision qui relève de son pouvoir discrétionnaire, tandis qu’en l’occurrence le ministre a révoqué illégalement une décision qu’il avait initialement prise dans l’exercice légal de son pouvoir discrétionnaire.

CONCLUSION

Il convient de récapituler : l’article 7 accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire absolu de délivrer et de permettre l’octroi de permis. Il ne lui donne pas le pouvoir de révoquer, sans raison, l’autorisation qu’il avait accordée au préalable. Par conséquent, lorsqu’il a procédé à une telle révocation, le ministre excédait sa compétence. Ce fait en lui-même, cependant, ne constitue pas une négligence pouvant faire l’objet d’une poursuite. Malgré tout, dans ces circonstances, puisque l’autre partie s’est fiée à ses dépens à la décision du ministre et qu’elle l’a fait avec la connaissance de celui-ci, il était opportun de conclure que le manquement à la loi représentait une négligence pouvant faire l’objet d’une poursuite. Enfin, le ministre ne peut prétendre qu’il est protégé par l’immunité accordée aux décisions de politique, puisque sa décision ne touchait pas un aspect budgétaire ni une activité gouvernementale : il s’agissait simplement d’une question de routine, et la décision a été prise sans autorité. Bien que l’autorisation initiale, soit permettre l’octroi des permis, ait pu constituer une décision de politique qui n’aurait pu faire l’objet d’une contestation en matière de responsabilité civile délictuelle, la décision de révoquer cette autorisation, prise hors la compétence accordée par le législateur, ne peut prétendre à une telle protection. Le droit administratif n’a pas préséance sur le droit de la responsabilité civile délictuelle en l’occurrence.

L’appel est donc rejeté avec dépens.

Quand à l’appel incident, je suis d’avis que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur dans sa décision relative aux trois autres motifs de responsabilité soumis par l’intimée. Il est donc également rejeté avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. (motifs concordants quant au résultat) : J’ai examiné les motifs de mon collègue, le juge Linden, J.C.A. et je regrette de ne pas être en mesure de souscrire à sa conclusion, savoir l’existence d’une négligence ouvrant droit à une poursuite. Les faits essentiels de l’espèce mettent en lumière les tiraillements qu’occasionne l’application de principes de droit privé dans le domaine du droit public.

En application de l’article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14 (la Loi), le ministre des Pêches d’alors (le ministre) a exercé son pouvoir discrétionnaire « absolu » d’autoriser l’octroi de permis de pêche au homard en haute mer à l’intimée, Comeau Sea Foods Limited (Comeau). Sur la foi de cette autorisation, et au moment où toutes les conditions essentielles préalables à l’octroi des permis ont été satisfaites mais avant que les permis soient réellement délivrés, Comeau a commencé à engager des dépenses afin de convertir un chalutier destiné à la pêche aux pétoncles en vue d’en faire un navire servant à la pêche au homard; elle en a avisé le ministre. Au même moment, des pressions étaient exercées sur ce dernier par les pêcheurs côtiers, qui estimaient que la délivrance de permis supplémentaires pour la pêche en haute mer aurait un effet préjudiciable sur la pêche côtière. En fin de compte, le ministre a cédé à leurs protestations en révoquant son autorisation, en refusant d’octroyer des permis de pêche en haute mer et en entamant une étude fédérale sur l’état de la pêche au homard. Seize mois plus tard, Comeau a intenté une action en dommages-intérêts fondée sur plusieurs motifs de responsabilité, dont la « négligence ». Elle n’a jamais tenté de faire valoir des recours sous forme de contrôle judiciaire ou de mandamus.

En s’appuyant sur l’article 7 de la Loi, le ministre a soutenu au procès qu’il avait conservé le pouvoir de révoquer son autorisation en tout temps avant la délivrance en bonne et due forme des permis. Le juge de première instance n’a pas accepté cette interprétation et a statué qu’une fois que le ministre avait autorisé l’octroi des permis, il avait épuisé son pouvoir discrétionnaire visé à l’article 7 (cette décision est publiée dans le recueil [1992] 3 C.F. 54(1re inst.)). Dès lors, la révocation a été jugée comme outrepassant les pouvoirs du ministre. Le juge de première instance en a conclu qu’elle constituait une négligence ouvrant droit à une poursuite et que, même si la loi habilitait expressément le ministre à révoquer son autorisation, le résultat juridique demeurerait inchangé. Les autres chefs de responsabilité ont été rejetés et font l’objet de l’appel incident.

Le juge Linden, J.C.A. a conclu que la décision du juge de première instance doit être confirmée. Même si je conviens que la décision de révoquer l’autorisation outrepassait les compétences du ministre, que celui-ci avait une obligation de diligence limitée envers Comeau et que l’appel incident devrait être rejeté, je suis d’avis que le ministre n’a pas contrevenu à la norme de diligence requise et, par conséquent, qu’il ne s’agit pas d’un cas de négligence ouvrant droit à une poursuite. J’essaierai d’énoncer ma position aussi succinctement que possible avant de passer à une analyse approfondie.

Les deux grandes questions en litige dans le cadre du présent appel consistent à déterminer si le ministre avait une obligation de diligence envers Comeau et, le cas échéant, s’il y a eu manquement, dans les circonstances, à la norme de diligence requise. L’existence d’une obligation de diligence en l’espèce est tributaire de l’application de la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle qui a été énoncée pour la première fois dans l’arrêt Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.) et qui est désormais solidement établie dans les règles de droit canadiennes. Selon cette distinction, les décisions de politique n’engagent pas la responsabilité pour négligence de leur auteur, mais les décisions opérationnelles ne jouissent pas de cette immunité. Le juge de première instance a assimilé la révocation à une décision opérationnelle ainsi qu’à un acte de négligence. À mon avis, toutefois, la révocation constitue tout aussi bien une décision de politique que la décision de permettre l’octroi des permis en premier lieu. Cela ne veut pas dire que le ministre n’avait aucune obligation de diligence envers Comeau. La décision de révoquer l’octroi des permis s’appuyait sur deux examens distincts. Premièrement, le ministre devait décider s’il y avait lieu de révoquer l’autorisation. Deuxièmement, il devait déterminer si, en droit, il pouvait le faire. La première question en est une de politique et, à ce titre, ne peut faire l’objet d’allégations de négligence. La deuxième est de nature opérationnelle parce qu’elle est liée à la façon dont le ministre s’est assuré qu’il avait le pouvoir légal de révoquer sa première autorisation. C’est dans ce sens limité qu’il existe une obligation de diligence et que la décision du ministre de révoquer l’autorisation doit respecter les principes juridiques en matière de négligence.

Il y aura négligence si le ministre a omis de faire preuve de la diligence raisonnable requise d’un « ministre » raisonnable agissant dans des circonstances semblables. Cependant, le fait qu’une décision administrative outrepasse les compétences de son auteur, ne nous dit pas qu’elle a été prise sans diligence raisonnable. Il faut donc expliquer comment le ministre a contrevenu à la norme de diligence requise. La conclusion du juge de première instance quant à l’existence d’une négligence ouvrant droit à une poursuite s’appuie sur deux facteurs. Tout d’abord, le ministre n’a pas « établi l’existence d’une justification raisonnable, lorsqu’il s’est agi d’annoncer initialement qu’il avait été décidé de permettre l’octroi des permis de pêche du homard à [Comeau], puis de révoquer la permission » (à la page 71). Selon le juge de première instance, la volte-face du ministre constituait « une gestion capricieuse des affaires publiques, laquelle causait un tort sérieux aux entrepreneurs privés » (à la page 71). Ensuite, le ministre n’a pas respecté le degré de diligence requis en révoquant l’autorisation antérieure dans des circonstances où il aurait dû raisonnablement prévoir que cette décision ferait subir une perte financière à Comeau (à la page 72). Bref, le ministre a omis d’agir raisonnablement dans les circonstances.

En toute déférence, j’estime que cette analyse est fautive. D’après moi, les arrêts de la Cour suprême relatifs à la décision Anns et, en particulier, la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle, proscrivent tout examen, par un organe judiciaire, du caractère raisonnable ou du bien-fondé de la décision du ministre de révoquer l’autorisation. Puisque cette décision entre dans la catégorie des décisions de politique, je ne crois pas qu’une obligation de diligence existerait entre le ministre et Comeau relativement au fait que le ministre était justifié ou non de révoquer son autorisation. Je suis également d’avis que le caractère prévisible de la perte de Comeau ne peut être invoqué afin d’entraver à bon droit le pouvoir discrétionnaire du ministre. Ce facteur ne peut non plus justifier la conclusion selon laquelle la révocation constituait un comportement négligent. Comme j’en discuterai plus en détail ci-dessous, la négligence ouvrant droit à une poursuite n’existera que s’il peut être démontré que le ministre a mal interprété l’article 7 de la Loi en omettant de faire preuve de diligence raisonnable afin d’éviter de prendre une décision invalide.

C’est la confiance préjudiciable, la prévisibilité de la perte et l’excès de compétence qui rendent si attrayante en l’espèce la conclusion relative à l’existence de la responsabilité. Je dois décider si ces facteurs, pris dans leur ensemble, justifient l’épithète « négligence ». Sans aucun doute, certains estiment que Comeau a droit à une indemnisation. À mon avis, les principes du droit des contrats, l’irrecevabilité fondée sur une promesse ou en equity, la déclaration inexacte faite avec négligence, la négligence en soi et le manquement à une obligation légale n’appuient pas l’existence d’un tel droit à la lumière des faits en l’espèce. La négligence, bien entendu, n’est pas la seule source de responsabilité civile délictuelle en cas de mesure administrative illicite. L’abus d’autorité dans l’exercice d’une charge publique est un délit bien établi en droit et doit être pris en considération en premier lieu. Le rapport entre l’affaire qui nous occupe et ce délit administratif sera manifeste.

ABUS D’AUTORITÉ DANS L’EXERCICE D’UNE CHARGE PUBLIQUE

Dans sa forme la plus ancienne, ce délit était limité aux cas où un fonctionnaire (soit une personne exerçant un pouvoir conféré par la loi ou une prérogative) avait abusé d’un pouvoir qu’il possédait réellement. Une fois qu’il était établi que la décision était entachée de malveillance, c’est-à-dire que l’auteur avait l’intention de causer un préjudice au demandeur, la décision en question donnait lieu à une demande en dommages-intérêts. Au fil des ans, le délit a été élargi aux cas où les décideurs savaient qu’ils ne possédaient pas le pouvoir qu’ils tentaient d’exercer. Aujourd’hui, l’existence du délit administratif est établie lorsqu’on prouve que la décision non valide est entachée par la malveillance ou la connaissance de son invalidité : voir Chhabra (O.P.) c. Canada, [1989] 2 C.T.C. 13 (C.F. 1re inst.), aux pages 18 et 19, juge Cullen; Francoeur et al. c. Canada (1994), 78 F.T.R. 109 (C.F. 1re inst.), aux pages 125 à 128 et voir de façon générale Peter W. Hogg, Liability of the Crown, (Toronto, Carswell, 1989), aux pages 111 à 113; J. McBride; « Damages as a Remedy for Unlawful Administrative Action », [1979] C.L.J. 323; P. P. Craig, « Compensation in Public Law » (1980), 96 L.Q. Rev. 413; R. C. Evans, « Damages for Unlawful Administrative Action : The Remedy for Misfeasance in Public Office » (1982), 31 Int. & Comp. L.Q. 640.

Soulignons l’arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121 en guise d’exemple classique de ce délit administratif; dans cette affaire, la responsabilité découlait de l’article 1053 du Code civil du Bas-Canada, mais on présume généralement que la responsabilité serait la même en vertu de la common law; voir les propos du juge Rand aux pages 139 à 142. Dans Roncarelli, le permis de restaurateur du demandeur a été révoqué par la Commission des Liqueurs du Québec sur les instructions du Premier ministre afin de punir le demandeur de s’être rendu caution pour des Témoins de Jéhovah inculpés d’avoir contrevenu à des règlements régissant la distribution de littérature relative à leur foi. Comme on le sait, Roncarelli a obtenu gain de cause devant une Cour suprême divisée. Pourtant, il ne fait aucun doute que l’acte reproché représentait un [traduction] « abus grossier d’un pouvoir légal visant expressément à punir [le demandeur] pour un geste tout à fait non pertinent ». Le juge Rand, rédacteur d’un des jugements de la Cour, a qualifié l’acte illicite de malveillant et a redéfini ce terme de manière à ce qu’il désigne aussi [traduction] « les actes posés pour une raison et dans un but étranger à l’administration » (à la page 141).

Bien qu’il semble évident que la malveillance ou la connaissance réelle soit requise pour que la Cour conclue à l’existence d’une action fautive, ce principe juridique n’a pas toujours été établi. La notion selon laquelle une personne qui a subi une perte en raison d’une décision invalide a le droit d’être indemnisée même s’il n’y avait aucune malveillance, connaissance de l’invalidité ou négligence remonte à la décision de la Cour suprême dans McGillivray c. Kimber et al. (1915), 52 R.C.S. 146. Selon cet arrêt, la responsabilité n’est plus fondée sur l’existence d’une faute, mais elle est assimilée à une forme de responsabilité stricte; voir également Brasyer v. Maclean (1875), L.R. 6 P.C. 398 (P.C. N.-G.S.).

Dans McGillivray, le permis du demandeur avait été révoqué par une simple résolution de l’autorité chargée de l’octroi des permis alors que, d’après les règlements, la tenue préalable d’une audience en bonne et due forme était requise. Dans des motifs dissidents et distincts, deux des cinq membres de la Cour suprême ont affirmé qu’ils refusaient de confirmer les dommages-intérêts accordés en première instance en l’absence de malveillance de la part de l’organisme chargé de l’octroi des permis. Dans des motifs distincts, chacun des trois juges de la majorité s’est dit prêt à tenir l’organisme chargé de l’octroi des permis responsable même s’il n’y avait eu aucune malveillance de sa part, mais ils ont semblé accepter le fait que le défendeur croyait honnêtement posséder le pouvoir de révoquer le permis sans une audience en bonne et due forme (certains éléments de preuve laissaient croire à la présence de motifs illicites). Sur la foi de l’arrêt McGillivray, on accepte désormais qu’un fonctionnaire ou un tribunal puisse être tenu responsable d’avoir excédé sa compétence même si la personne qui a pris la décision présumait à tort qu’elle avait le pouvoir d’agir; voir McBride, précité, à la page 330.

Si l’on accepte qu’une personne qui a subi une perte en raison d’une décision administrative non valide a le droit d’être indemnisée même s’il est impossible d’établir une faute, on reconnaît alors une forme de responsabilité stricte. Jusqu’à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Welbridge Holdings Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957, il semble qu’on ait accepté au Canada qu’une décision non valide prise de bonne foi puisse faire l’objet d’une poursuite : voir Hogg, précité, à la page 111, note 160; voir également Evans, précité, à la page 660, et Craig, précité, aux pages 438 à 440, qui favorise la responsabilité stricte.

Dans l’arrêt Welbridge, la Cour suprême a statué que la prise d’un règlement non valide ne pouvait faire l’objet d’une poursuite en l’absence de négligence ou d’une injustice intentionnelle. Au nom de la Cour, le juge Laskin (devenu par la suite juge en chef) a saisi cette occasion de commenter la décision McGillivray, ce qui a signalé la disparition de la notion suivant laquelle on pouvait conclure à une action fautive du titulaire d’une charge publique si celui-ci avait simplement pris une décision outrepassant ses pouvoirs. À la page 967, le juge Laskin conclut abruptement comme suit :

La décision McGillivray c. Kimber, ((1915), 52 R.C.S. 146) pour autant qu’elle présente un raisonnement majoritaire, fait état du défaut de toute compétence ou d’une injustice intentionnelle pouvant de toute façon être considérée comme se reflétant dans le défaut de compétence.

Bien que l’explication offerte à l’appui du véritable raisonnement sous-tendant McGillivray soit peut-être ténue, elle traduit le point de vue dominant, soit qu’en l’absence de faute, l’autorité publique ne sera pas jugée responsable simplement parce qu’elle a excédé sa compétence. De nos jours, le délit administratif que représente l’abus d’autorité dans l’exercice d’une charge publique doit être considéré comme un délit intentionnel, dont la pertinence a cédé largement le pas à l’opposition entre la bonne et la mauvaise foi.

À la lumière des faits en l’espèce, il n’y a aucune preuve, et cet argument n’a pas non plus été soulevé, que le ministre a agi avec malveillance ou en toute connaissance de l’invalidité. On n’a pas conclu non plus à la mauvaise foi du ministre. Voilà qui m’amène à me demander si les gestes du ministre sont tels qu’ils peuvent être qualifiés de « négligents » ou si l’imposition de la responsabilité dans cette affaire s’assimile davantage à la notion de la responsabilité stricte. Cette dernière possibilité se révèle, bien sûr, incompatible avec les principes énoncés par la Cour suprême. Je chercherai d’abord à déterminer s’il existe une obligation de diligence.

L’OBLIGATION DE DILIGENCE

À mon avis, la décision de politique concernant le bien-fondé de la révocation de l’autorisation ne s’assortissait d’aucune obligation de diligence de la part du ministre. Toutefois, une telle obligation existait dans le cas de la décision de mise en œuvre quant à savoir si le ministre pouvait révoquer son autorisation. Je fonde cette obligation existant à première vue sur les notions de lien étroit et de confiance préjudiciable. Je ne peux cependant poursuivre cette analyse sans d’abord me pencher sur la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle.

Il est bien reconnu en droit que c’est essentiellement au moyen de la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle que la Cour suprême a tenté d’ériger un cadre analytique permettant de soustraire certaines activités gouvernementales à l’application des principes en matière de négligence. Même s’il est possible d’établir à première vue une obligation de diligence en common law (soit le premier volet de l’analyse en deux étapes énoncée par lord Wilberforce dans l’arrêt Anns), c’est seulement lorsque la décision contestée est considérée comme une décision opérationnelle que surgit l’obligation (le deuxième volet de l’analyse). Les décisions de politique sont mises à l’abri des poursuites pour négligence parce que la Couronne « doit pouvoir être libre de gouverner »; Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228, à la page 1239, le juge Cory.

On s’entend sur la nature purement politique de la décision, prise par le ministre, de permettre l’octroi de permis à Comeau. L’article 7 de la Loi confère expressément au ministre un pouvoir discrétionnaire « absolu » de permettre la délivrance de ces permis. La Cour suprême a déclaré maintes fois que les décisions fondées sur des facteurs sociaux, politiques ou économiques peuvent être considérées comme de véritables décisions de politique. Si le ministre avait bien interprété l’article 7, il ne fait aucun doute que la révocation aurait été assimilée à une décision de politique.

La décision de permettre l’octroi de permis de pêche ainsi que la décision de révoquer cette autorisation se fondaient sur des considérations qui entrent généralement dans la catégorie des décisions de politique. Les deux décisions ont été prises par le ministre. Enfin, les conséquences de la décision de révocation étaient tout aussi graves, voire plus, que celles de la décision d’autoriser l’octroi des permis en question. Cela étant dit, le fait que le ministre n’avait pas le pouvoir de prendre une telle décision n’en faisait pas moins une décision de politique. La révocation d’une décision de politique doit être vue comme une mesure « de négation » et non pas de « mise en œuvre », comme l’a estimé le juge de première instance (voir les motifs du juge de première instance, à la page 73). En outre, l’interprétation erronée de la Loi ne fait pas en sorte qu’une décision de politique devienne opérationnelle. Elle la rend simplement ultra vires.

Je suis bien conscient que la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle a fait l’objet de critiques virulentes, surtout en raison du caractère fondamentalement ambigu de ce facteur déterminant de la responsabilité. Comme le souligne le professeur Hogg, [traduction] « même une décision opérationnelle peut ressembler à une décision de politique à un point tel qu’elle ne peut faire l’objet d’une évaluation judiciaire à la lumière de la norme de diligence raisonnable en matière de négligence » (précité, à la page 124, note 11). Dans Brown c. Colombie-Britannique (Ministre des Transports et de la Voirie), [1994] 1 R.C.S. 420, le juge Sopinka en a profité pour attirer l’attention sur l’abondance des ouvrages de doctrine critiquant la distinction du fait qu’elle constituerait un critère inefficace et peu fiable pour justifier l’imposition d’une obligation de diligence. Il propose ce qui suit : « La Cour voudra peut-être examiner à une date ultérieure si ce critère demeure utile comme facteur déterminant exclusif de la responsabilité » (à la page 425).

Si la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle ne constitue plus le facteur déterminant de la responsabilité, par quoi peut-on la remplacer? Bien que les critiques soient multiples, un substitut pratique et acceptable continue d’échapper aux auteurs. Les lacunes de la décision Anns sont bien connues, mais les solutions sont aussi erronées que la distinction elle-même; voir l’analyse pénétrante de Hogg à cet égard (précité, aux pages 117 et 118). Une solution qui a reçu une certaine faveur exige que la question de l’obligation soit décidée en fonction d’une analyse de la confiance préjudiciable qui, à première vue, semble tout à fait idéale en l’espèce : voir Sutherland Shire Council v. Heyman (1985), 157 C.L.R. 424 (H.C. Aust); l’article de M. K. Woodall intitulé « Private Law Liability of Public Authorities for Negligent Inspection and Regulation » (1992), 37 McGill L.J. 83, et Murphy v. Brentwood DC, [1990] 2 All ER 908 (H.L.). D’autres, comme le juge Brennan de la Haute Cour de l’Australie, se demandent si cette solution n’est pas elle-même entachée d’erreur. Rédigeant pour les Paisley Lectures un article intitulé « Liability in Negligence of Public Authorities : The Divergent Views », il formule l’objection suivante (à la page 114) :

[traduction] C’est une chose pour les tribunaux d’accorder des dommages-intérêts lorsque le demandeur a été incité à se fier à l’exercice continu et prudent d’un pouvoir légal par une autorité publique; c’est une toute autre d’accorder des dommages-intérêts à un demandeur lorsque la responsabilité de l’autorité publique tient à l’omission d’exercer ses pouvoirs en vue de protéger le demandeur dans des circonstances où cette omission peut vraisemblablement causer des dommages.

La difficulté que pose l’application d’une distinction entre une décision de politique et une décision opérationelle dans des circonstances tout à fait différentes du contexte de la décision Anns a été reconnue par le Comité judiciaire du Conseil privé dans la décision Rowling v. Takaro Properties Ltd., [1988] A.C. 473. Dans cette affaire, le demandeur a prétendu que le ministre des Finances de la Nouvelle-Zélande avait fait preuve de négligence dans l’interprétation de son pouvoir légal lorsqu’il a refusé de consentir à un projet d’investissement étranger. Quant à la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle, les lords juges étaient « enclins » à adhérer au point de vue dominant dans la doctrine, à savoir qu’elle ne constitue pas un facteur déterminant de la responsabilité. Ils étaient bien conscients que le refus du consentement par le ministre pouvait être décrit comme une décision politique plutôt qu’une décision opérationnelle. Par ailleurs, ils estimaient que l’interprétation d’une loi relevait davantage d’une décision opérationnelle.

Le Conseil privé a tout simplement décidé, dans l’affaire Takaro, qu’aucune négligence de la part du ministre n’avait été établie. Il a toutefois saisi l’occasion de reformuler les principes de l’arrêt Anns. Même dans les cas où la décision examinée est jugée de nature opérationnelle et qu’on peut établir l’existence à première vue d’une obligation de diligence, on a proposé que celle-ci ne soit pas automatique (à la page 501). L’issue finale serait tributaire de diverses considérations pragmatiques servant à éliminer les dossiers non justiciables. C’est dans ce contexte que mon collègue, le juge Stone, J.C.A. a statué que Comeau n’était pas visée par une obligation de diligence. Le caractère satisfaisant et la disponibilité d’un recours en mandamus étaient considérés comme une justification suffisante pour rejeter l’obligation à première vue.

Je ne peux nier que la reformulation, dans Takaro, des principes énoncés dans l’arrêt Anns est extrêmement attrayante et pouvait fort bien faire partie de la solution au Canada; voir l’article du juge Sopinka intitulé « The Liability of Public Authorities : Drawing the Line » (1993), 1 Tort L Rev 123. Toutefois, je suis réticent à emprunter cette voie d’analyse en l’espèce. Une fois que les parties ont convenu de distinguer la question de la responsabilité de celle des dommages-intérêts, il était inévitable que le juge de première instance serait privé de la possibilité de régler les questions relatives à la pertinence et au caractère satisfaisant des recours offerts en droit administratif. Pourquoi Comeau n’a-t-elle jamais tenté d’obtenir une ordonnance de mandamus? Le caractère satisfaisant de ce recours est-il lié à l’obligation d’atténuer les dommages (voir Janiak c. Ippolito, [1985] 1 R.C.S. 146) plutôt qu’à l’obligation de diligence? Ces questions n’ont jamais été débattues. Cette approche analytique se complique d’autant que le juge de première instance a limité la responsabilité aux dommages découlant de la confiance préjudiciable et raisonnable, moyen plus compatible avec l’irrecevabilité fondée sur une promesse ou en equity. Une demande présentée au titre d’un manque à gagner est aussi raisonnablement prévisible en matière de responsabilité civile délictuelle que dans le domaine des contrats; voir par exemple Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller& Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.). Toutefois, comme ni l’une ni l’autre partie n’a interjeté appel de cet aspect de la décision, je me sens obligé de m’attarder sur la conclusion du juge de première instance, à savoir l’existence d’une négligence pouvant faire l’objet d’une poursuite.

À mon avis, il n’est pas nécessaire d’abandonner la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle telle qu’elle est actuellement appliquée par la Cour suprême : voir Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705; Just c. Colombie-Britannique, précitée; Rothfield c. Manolakos, [1989] 2 R.C.S. 1259; Tock c. St. John’s Metropolitan Area Board, [1989] 2 R.C.S. 1181; Brown c. Colombie-Britannique, précitée; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021; Swinamer c. Nouvelle-Écosse (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 445; Winnipeg Condominium Corporation No. 36 v. Bird Construction Co., [1995] A.C.S. no 2 (QL); et Stewart c. Pettie, [1995] A.C.S. no 3 (QL).

Comme je l’ai mentionné plus tôt, le ministre devait appuyer sa décision de révocation sur deux points et arriver à deux conclusions distinctes. Premièrement, il était tenu de se demander s’il y avait lieu de révoquer l’autorisation initiale. Deuxièmement, il devait déterminer s’il pouvait, en droit, le faire.

La première question relève essentiellement de la politique. Le ministre devait en effet décider s’il était dans l’intérêt public de révoquer son autorisation. En parvenant à cette décision, il ne fait aucun doute que le ministre aurait raisonnablement prévu que sa révocation entraînerait une perte financière pour Comeau. Le juge de première instance a mis l’accent sur l’omission, par le ministre, d’offrir une justification raisonnable expliquant qu’il soit revenu sur sa première décision. Il a conclu, dans les faits, que le ministre savait, au moment de l’autorisation, qu’il y aurait une opposition véhémente de la part des pêcheurs côtiers. Le ministre disposait également d’études montrant que l’octroi de permis de pêche en haute mer ne porterait pas préjudice à la pêche côtière. En cédant à des pressions politiques prévisibles, le ministre a fait volte-face et s’est attiré les commentaires suivants du juge de première instance (aux pages 71 et 75, respectivement) :

Il est clair qu’en l’espèce, les mesures prises pour le compte de la défenderesse constituaient une gestion capricieuse des affaires publiques, laquelle causait un tort sérieux aux entrepreneurs privés … La preuve présentée pour le compte [du ministre] … n’a tout simplement pas établi l’existence d’une justification raisonnable, lorsqu’il s’est agi d’annoncer initialement qu’il avait été décidé de permettre l’octroi des permis de pêche du homard à [Comeau], puis de révoquer la permission …

Toutefois, il reste à savoir si ce genre de prise de décision équivaut à une négligence ouvrant droit à une poursuite. J’ai conclu qu’en l’occurrence, elle y ouvrait droit.

On n’a pas montré à ma satisfaction que l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’article 7 autorise celui-ci à permettre l’octroi d’un permis pendant l’année où l’annonce est faite, puis à refuser d’octroyer le permis après qu’un titulaire éventuel a engagé des dépenses en se fondant sur cette annonce, et ce, à la connaissance du ministre.

Je suis incapable de voir sur quelle base on peut conclure que le ministre avait l’obligation légale de permettre aux intérêts financiers de Comeau d’avoir préséance sur ce qui était, de l’avis du ministre, dans l’intérêt public. Je ne suis pas non plus prêt à mettre en doute la sagesse politique, ou l’absence d’une telle sagesse, sous-tendant la révocation. Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’est pas permis d’examiner s’il y avait lieu pour le ministre de révoquer l’autorisation lorsqu’on évalue des arguments fondés sur la négligence. Pour autant que la décision a été prise de bonne foi, elle ne peut faire l’objet d’une révision par la Cour. Il en va autrement lorsqu’on cherche à déterminer si le ministre avait le pouvoir de prendre cette décision.

On peut faire valoir, aux fins de l’établissement de la responsabilité découlant de la négligence, qu’il est permis d’examiner le caractère raisonnable de la décision du ministre sans lever le spectre de l’exercice abusif d’un pouvoir discrétionnaire rendant une décision administrative ultra vires. Selon moi, il est peu judicieux d’élever le « caractère raisonnable » d’une décision administrative pour en faire un critère pertinent dans l’évaluation d’une demande découlant de la négligence, puis de soupeser ce facteur en fonction des pertes subies par le demandeur après qu’il s’est fié à cette décision. L’application des principes en matière de négligence est déjà assez difficile sans qu’on y ajoute le critère du « caractère raisonnable ».

Il s’ensuit que la seule décision où la distinction entre une décision de politique et une décision opérationnelle peut se révéler pertinente tient au pouvoir légal du ministre de révoquer son autorisation. Cette affaire ressemble aux cas où un permis de construction est délivré négligemment par une municipalité qui omet de faire preuve de diligence raisonnable et de s’assurer qu’un projet d’aménagement respecte les règlements en vigueur. Bien que la municipalité conserve le droit légal de révoquer le permis, le propriétaire peut intenter une poursuite en dommages-intérêts au titre de la négligence s’il subit des pertes. Dans les cas de « délivrance fautive », la décision contestée est de nature opérationnelle; il en va de même des cas de « révocation fautive ».

En résumé, j’ai la conviction que le ministre avait une obligation de diligence envers Comeau. Toutefois, elle se limitait à la manière dont le ministre a décidé s’il possédait ou non le pouvoir nécessaire pour révoquer l’autorisation. Il reste à déterminer si, en prenant cette décision, le ministre a omis de se conformer à la norme de diligence requise.

LA NÉGLIGENCE

Dans ses motifs, le juge Stone, J.C.A. souligne à la page 483 que « Rien dans le dossier qui nous occupe ici nous porte à croire que le ministre s’est même interrogé sur l’interprétation de la loi, particulièrement de l’article 7 ». Puis à la page 484, il conclut que « le ministre aurait dû s’assurer que la loi qui lui donnait le pouvoir de prendre sa première décision lui accordait aussi celui de l’infirmer. Il n’était pas exagéré de s’attendre à ce que le ministre prenne une telle précaution ». Dans la mesure où ces commentaires peuvent appuyer la conclusion suivant laquelle le ministre aurait, par négligence, mal interprété la loi, je dois exprimer mon désaccord.

Il ne s’agit pas en l’occurrence d’une affaire où l’on reproche au ministre d’avoir omis de faire preuve de diligence raisonnable en établissant avec certitude l’étendue de son pouvoir sous le régime de l’article 7 de la Loi. Le juge de première instance n’a pas non plus conclu à l’existence d’une négligence pouvant faire l’objet d’une poursuite pour ce motif. Lorsqu’on passe en revue les plaidoiries et la transcription de première instance, il est évident que cet argument n’a jamais été invoqué. De fait, la seule mention de la négligence dans les plaidoiries de Comeau est liée [traduction] « au non-respect, par la défenderesse, de son obligation légale à cet égard, ce qui constitue un délit de négligence » (Dossier d’appel, à la page 10). L’obtention de conseils juridiques par le ministre et, s’il ne l’a pas fait, l’existence d’une obligation visant l’obtention de ces conseils représentent des questions de nature factuelle et juridique qui n’ont jamais été soulevées par Comeau. Il serait erroné, à mon avis, de déclarer que le ministre avait l’obligation légale d’obtenir des conseils juridiques, ce qui ferait croire, à tort, qu’il avait l’obligation de divulguer le contenu des avis juridiques qu’il aurait reçus. Je désire énoncer bien clairement qu’il n’incombait pas au ministre de prouver qu’il avait agi raisonnablement en formulant son opinion sur la compétence dont il est investi par l’article 7 de la Loi. Il est vrai que le ministre n’a pas été convoqué comme témoin par la Couronne, mais ce fait n’a pas privé Comeau de la possibilité d’obtenir le témoignage du ministre sur ces questions (voir les Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], Règle 456 [mod. par DORS/90-846, art. 15]; et la décision United Terminals Ltd. c. M.R.N., [1992] 3 C.F. 302(C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée (1993), 147 N.R. 320 (C.S.C.)).

Je ne laisse pas entendre que le ministre peut éviter d’engager sa responsabilité en invoquant simplement une « erreur de jugement ». Par ailleurs, je souscris à l’opinion de lord Keith dans l’affaire Takaro, selon laquelle il peut être rare qu’un demandeur puisse être en mesure d’établir l’existence d’une interprétation inexacte faite avec négligence. La complexité de bon nombre de textes législatifs modernes et le fait qu’ils soient susceptibles d’être interprétés de diverses manières n’échappent à personne. On peut interpréter une disposition législative soigneusement et se tromper, ou encore le faire avec négligence et ne pas commettre d’erreur. Il est bien vrai qu’une décision administrative pourrait être prise contrairement à une disposition expresse et sans équivoque d’un texte législatif, auquel cas il ne serait pas déraisonnable de présumer que l’auteur de la décision a agi négligemment ou de mauvaise foi (en sachant qu’il excédait sa compétence); voir Craig, précité, aux pages 423 à 426. Subsidiairement, si le ministre avait persisté à invoquer l’argument absurde relatif à sa compétence sous le régime de l’article 7, j’aurais été enclin à conclure à l’existence d’une responsabilité pour l’un ou l’autre de ces motifs. Mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

Puisqu’il ne s’agit pas d’un dossier où il a été allégué ou établi que le ministre avait omis de faire preuve de diligence raisonnable en déterminant l’étendue de son pouvoir, il y a lieu d’examiner plus attentivement les motifs qui ont amené le juge de première instance à conclure que la décision de révoquer la permission d’octroyer des permis constituait une négligence pouvant faire l’objet d’une poursuite. En d’autres termes, quelle était la norme de diligence exigée du ministre et comment cette norme a-t-elle été violée dans les circonstances? À la page 72, le juge de première instance tirait la conclusion suivante :

Deuxièmement, le degré requis de négligence n’a pas été respecté. Depuis au moins le 29 janvier 1988, date à laquelle la demanderesse a informé le ministre des Pêches et des Océans qu’elle effectuait des travaux en vue de convertir ses bateaux pour la pêche du homard en haute mer afin d’utiliser les permis, on pouvait certainement prévoir que toute dérogation à la ligne de conduite (c’est-à-dire l’octroi des permis) antérieurement annoncée par le ministre le 29 décembre 1987 causerait préjudice à la demanderesse.

Strictement parlant, la norme soulignée n’est pas tributaire du caractère raisonnable de la révocation dont nous avons déjà parlé. Cette norme peut vouloir dire qu’aucune personne raisonnable (le ministre) n’aurait révoqué l’autorisation parce qu’il était prévisible que Comeau subirait une perte. Je ne crois pas que cette analyse soit en accord avec les principes en matière de négligence. Si l’on doit accepter la véracité de cet énoncé du droit, il n’est pas nécessaire de déterminer si le ministre avait réellement le pouvoir de révoquer sa permission. Autrement dit, le ministre n’aurait pu se prévaloir de la défense fondée sur l’autorisation du législateur. Aux pages 71 et 74 respectivement, le juge de première instance statuait comme suit :

De fait, j’estime également que même si la révocation était autorisée par la Loi, un délit de négligence aurait néanmoins été commis en l’occurrence. Toutefois, la demanderesse n’a pas plaidé la chose; dans la nouvelle déclaration, elle s’est contentée d’alléguer que le refus

[traduction] [constituait] un excès de la compétence conférée par la Loi sur les pêches et [allait] à l’encontre de l’obligation d’origine législative qui incomb[ait] à la défenderesse, ce qui constitu[ait] une négligence …

En second lieu, même si l’on retenait l’argument de la défenderesse, à savoir qu’après avoir permis l’octroi des permis, le ministre pouvait encore, à discrétion, refuser de les octroyer, je ne suis pas convaincu que cela ferait obstacle à une plaidoirie de simple négligence. Le moyen de défense fondé sur l’autorisation du législateur n’a jamais été absolu. Si un organisme se voyait conférer un pouvoir discrétionnaire, il ne pourrait pas invoquer l’autorisation du législateur comme moyen de défense dans les actions fondées sur un délit découlant du tort causé par suite de l’exercice de ce pouvoir reconnu par la loi à moins qu’il ne puisse montrer qu’en l’exerçant, on portait inévitablement atteinte à des droits privés.

Bien qu’on ne puisse imposer au ministre, à mon avis, une norme de conduite différente de celle qu’on attend des personnes ordinaires dans le contexte de la responsabilité civile délictuelle, il existe d’importantes différences entre les ministres de la Couronne et les citoyens ordinaires qui justifient certaines distinctions sur le plan des moyens de défense en cas de négligence. Le moyen fondé sur l’autorisation du législateur en fait évidemment partie. Cette défense énonce, de manière générale, qu’un organisme public ne peut être tenu responsable en raison de sa négligence s’il a agi conformément à une obligation ou à une autorisation du législateur, lorsqu’il peut établir que l’exercice de ce pouvoir portait inévitablement atteinte à des droits privés : voir Tock c. St. John’s Metropolitan Area Board, précitée; et les commentaires de Peter W. Hogg sur la jurisprudence dans l’article intitulé « Tock v. St. John’s Metropolitan Area Board » (1990), 69 Rev. du Bar. can. 589.

Je conviens que l’autorité publique ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire conféré par le législateur d’une manière absolue, à moins que le pouvoir en question soit de nature politique. En l’espèce, les pouvoirs du ministre relatifs à la délivrance de permis relèvent uniquement de la politique concernant la gestion des pêches canadiennes, et il aurait été possible pour le ministre de révoquer son autorisation dans le cadre de ce pouvoir discrétionnaire si le législateur le lui avait permis. Par conséquent, je ne peux souscrire à l’opinion du juge de première instance selon laquelle, même si la révocation des permis était autorisée par la loi, cette révocation dans les circonstances de l’espèce constituait quand même de la négligence. À mon sens, le ministre n’aurait pu être jugé négligent d’avoir exercé un pouvoir discrétionnaire relié aux politiques s’il était autorisé à exercer ce pouvoir par une loi du Parlement, même dans les circonstances où il sait qu’une partie se fie aux déclarations antérieures relevant du pouvoir discrétionnaire ministériel. Dans de tels cas, le demandeur s’y serait fié à son détriment en sachant parfaitement bien que l’autorisation initiale pouvait être retirée. Cette confiance préjudiciable ne pourrait être jugée « raisonnable ».

On pourrait croire que les commentaires du juge de première instance sur l’autorisation par le législateur représentent des commentaires incidents et, par conséquent, qu’ils peuvent être laissés de côté. Par contre, on ne peut passer outre le fait que la négligence du ministre demeure liée à sa décision de révoquer l’autorisation dans des circonstances où la perte de Comeau était prévisible. Cependant, le caractère prévisible d’une perte (de dommages), ne peut supplanter l’obligation d’établir le non-respect du degré de diligence requis. Il est vrai que, puisque la décision relative à la révocation a été jugée ultra vires, le ministre ne peut invoquer la défense fondée sur l’autorisation du législateur. Mais si on fonde la responsabilité en l’espèce sur l’absence d’une autorisation par le législateur et sur la confiance préjudiciable, on impose une forme de responsabilité stricte aux autorités publiques. Or, cette responsabilité a été rejetée dans l’affaire Welbridge Holdings Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, précitée. On propose plutôt que la norme de diligence soit liée à l’exactitude du texte législatif.

Aussi évident que cela puisse sembler, j’estime qu’il est important de ne pas oublier que la délivrance de permis constitue la raison d’être d’un bon nombre de bureaucraties. Il est également prévisible qu’une fois les permis octroyés, il sera possible pour le titulaire éventuel de croire raisonnablement qu’il a le droit de possèder ces documents et qu’il sera exposé à une perte financière en cas de révocation injustifiée. Il est aussi courant, dans le domaine administratif, que des permis soient révoqués dans des circonstances où l’évaluation judiciaire présume après coup que la révocation échappait à la compétence de son auteur. L’excès de pouvoir est tout autant un problème aujourd’hui qu’il l’a été au cours des trois derniers siècles depuis la création du délit administratif de l’abus d’autorité dans l’exercice d’une charge publique. La mise en pratique des règles de droit administratif ne peut être entièrement supplantée par une solide théorie du droit de la négligence qui permet que la prévisibilité d’une perte (la confiance préjudiciable et les dommages) ait préséance sur la nécessité d’établir qu’il y a eu manquement à la norme de diligence requise. Je crois qu’il s’agit d’un cas de perte économique où les tribunaux doivent s’interroger sur l’existence d’une [traduction] « responsabilité pour un montant indéterminé pour un temps indéterminé à l’égard d’une catégorie indéterminée », selon les paroles du juge Cardozo dans l’affaire Ultramares v. Touche, 255 N.Y. 170 (App. Div. 1931), à la page 179. De toute évidence, l’importance de cette affaire comme précédent dépasse grandement les limites de la pêche au homard en haute mer.

À mon avis, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas de négligence pouvant faire l’objet d’une poursuite.

CONCLUSION

Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler la décision de la Section de première instance et de rejetter l’action avec dépens en l’instance et devant le tribunal inférieur. Je suis d’avis de trancher l’appel incident de la façon proposée par mon collègue, le juge Linden.



* Note de l’arrêtiste : le nom exact est Comeau’s Sea Foods Limited.

[1] Il semble que ces termes aient figuré pour la première fois à l’art. 2 de la loi intitulée Acte pour réglementer la pêche et protéger les pêcheries, S.C. 1867-68, ch. 60. Même si l’on accepte que cette expression, comme le soutient l’appelante, permet que la responsabilité d’octroi des permis soit, dans certaines circonstances, partagée par le ministre des Pêches avec un autre ministre ou mandataire de la Couronne, cet argument n’est pas déterminant, selon moi, et ne justifie pas qu’on limite la portée de cette disposition à une telle situation.

[2] Dans l’arrêt Just, précité, à la p. 1235, le juge Cory reconnaît « qu’il n’est peut-être pas toujours souhaitable d’adopter servilement cette démarche en deux temps » et, à cette fin, il cite la décision du Conseil privé dans l’affaire Yuen Kun Yeu v. Attorney-General of Hong Kong, [1988] A.C. 175.

[3] Voir par exemple le télex envoyé par le ministre le 10 février 1988, où des conditions supplémentaires étaient imposées (Dossier d’appel, aux p. 111 et 112).

[4] L’intimée n’avait pas réellement présenté de demandes d’octroi de permis ni versé les droits nécessaires, apparemment parce que les conditions devaient être fixées définitivement. Selon les éléments de preuve, par conséquent, ces conditions auraient entraîné un certain « retard » dans la délivrance des permis. (Transcription du procès, témoignage de Bellefontaine, de la p. 87, ligne 19, jusqu’à la p. 89, ligne 25).

[5] Décision publiée dans le recueil [1992] 3 C.F. 54

[6] [1992] 1 C.F. 408(C.A.).

[7] (1992), 4 Admin. L.R. (2d) 298 (C.F. 1re inst.), à la p. 305.

[8] Voir Somerville Belkin Indust. Ltd. v. Man., [1988] 3 W.W.R. 523 (C.A. Man.); dans un contexte contractuel, le décret n’avait pas pris sa forme définitive mais les parties avaient considéré que c’était le cas.

[9] (1986), 162 C.L.R. 340 (H.C. Aust.).

[10] Central Canada Potash Co. Ltd. et autre c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1979] 1 R.C.S. 42, à la p. 85.

[11] [1988] A.C. 473 (C.P.).

[12] [1932] A.C. 562 (H.L.), à la p. 580.

[13] Fleming, The Law of Torts (8e éd., 1992).

[14] Voir Home Office v Dorset Yacht Co Ltd, [1970] 2 All ER 294 (H.L.), à la p. 297.

[15]15 [1978] A.C. 728 (H.L.), aux p. 751 et 752; voir également Batty v. Metropolitan Property Realisations Ltd., [1978] 2 W.L.R. 500 (C.A.).

[16] [1984] 2 R.C.S. 2, aux p. 10 et 11.

[17] Voir B.D.C. Ltd. c. Hofstrand Farms Ltd., [1986] 1 R.C.S. 228, à la p. 243 (le juge Estey); Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S, 1228; Rothfield c. Manolakos, [1989] 2 R.C.S. 1259 (le juge Cory); « [l’]interprétation de l’arrêt Anns est … bien-fondée [sic] ».

[18] Voir Murphy v Brentwood DC, [1990] 2 All ER 908 (H.L.); voir également Sutherland Shire Council v. Heyman (1985), 157 C.L.R. 424 (Aust. H.C.).

[19] [1992] 1 R.C.S. 1021. Winnipeg Condominium Corporation No. 36 c. Bird Construction Co., [1995] A.C.S. no 2 (QL) à la p. 26; Stewart c. Pettie, [1995] A.C.S. no 3 (QL); voir également Petrocorp. v. Butcher, le 14 août 1990, N.-Z.

[20] Ibid., aux p. 1152 et 1153.

[21] Ibid., à la p. 1154.

[22] 255 N.Y. 170 (App. Div. 1931), à la p. 179, cité par le juge Laskin dans Rivtow Marine Ltd. c. Washington Iron Works et autre, [1974] R.C.S. 1189, à la p. 1218.

[23] Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; Galaske c. O’Donnell, [1994] 1 R.C.S. 670.

[24] [1983] 1 R.C.S. 205.

[25] Ibid., à la p. 226.

[26] Voir Sterling Trusts Corpn. v. Postma et al., [1965] R.C.S 324.

[27] Voir Prosser et Keeton, On The Law of Torts (5e éd.), 1985, à la p. 221.

[28] [1988] 3 W.W.R. 523 (C.A. Man.).

[29] [1986] 1 C.F. 129(C.A.).

[30] À la p. 154.

[31] Voir également Mentuck c. Canada, [1986] 3 C.F. 249(1re inst.); Grant v. Province of New Brunswick (1973), 6 N.B.R. (2d) 95 (C.A.).

[32] Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 3a).

[33] Voir Welbridge Holdings Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957; Sirros v Moore, [1974] 3 All ER 776 (C.A.).

[34] [1989] 2 R.C.S. 1228; voir également Rothfield c. Manolakos, [1989] 2 R.C.S. 1259; la situation est la même au Québec, voir Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, où il a été jugé qu’une municipalité ayant décidé d’exploiter un service de lutte contre les incendies a alors exercé une activité « de mise en œuvre » assujettie aux principes ordinaires de la faute

[35] [1985] 5 W.W.R. 570 (C.S.C.-B.) (Mme le juge McLachlin).

[36] [1987] 2 W.W.R. 231 (C.A.C.-B.).

[37] Précité, note 34, à la p. 1239.

[38] Ibid., aux p. 1240 et 1241.

[39] Ibid., à la p. 1244.

[40] Ibid., à la p. 1242.

[41] Ibid., à la p. 1245.

[42] Voir Bailey et Bowman, « The Policy/Operational Dichotomy—A Cuckoo in the Nest » (1986), 45 Camb. L.J. 43, à la p. 456 : [traduction] « elle doit être contenue dans les limites aussi étroites que possible ».

[43] Just c. Colombie-Britannique, précité, à la p. 1245.

[44] Voir (1991), 60 B.C.L.R. (2d) 209 (C.S.).

[45] Voir le juge Jackson, dissident, dans l’affaire Dalehite v. United States, 346 U.S. 15 (1953), à la p. 60.

[46] Voir Just c. Colombie-Britannique, précité, à la p. 1239. Voir également Epstein, Richard et autres, Cases and Materials on Torts (1984), à la p. 854.

[47] Hogg, Peter W. « Government Liability : Assimilating Crown and Subject » (1994), 16 Adv. Q. 366, à la p. 372.

[48] Voir Swanson c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 C.F. 408(C.A.), aux p. 423 et 424, le juge Linden.

[49] Voir Bailey et Bowman, précité, à la p. 439.

[50] Voir Economic Negligence : The Recovery of Pure Economic Loss (3e éd., 1994).

[51] Voir Riverscourt Farms Ltd. v. Niagara-on-the-Lake (Town) (1992), 9 C.C.L.T. (2d) 231 (Div. gén. de l’Ont.), où la Cour a statué que l’omission d’engager des dépenses afin d’accroître la pression des conduites d’eau pour la lutte contre les incendies constituait une décision de politique. On a invoqué aussi l’absence de lien de causalité avec les dommages causés par un incendie.

[52] Voir Clark c. Canada, [1994] 3 C.F. 323(1re inst.), où le gouvernement a été trouvé responsable de la conduite d’agents de la GRC qui avaient, selon la Cour, fait preuve de négligence en omettant de protéger une femme de harcèlement. L’affaire Just n’est même pas mentionnée.

[53] [1992] 1 C.F. 408(C.A.) (le juge Linden, J.C.A.).

[54] Ibid., à la p. 416.

[55] Ibid., aux p. 423 à 425.

[56] [1992] 1 C.F. 25(C.A.).

[57] S.C. 1970-71-72, ch. 7 (maintenant L.R.C. (1985), ch. G-10).

[58] Précité, note 56, à la p. 54.

[59] Ibid., à la p. 55.

[60] Ibid., aux p. 59 et 60.

[61] Ibid., à la p. 60.

[62] Voir Hogg, « Government Liability : Assimilating Crown and Subject », précité, note 47, à la p. 373; Klar, Lewis N. « The Supreme Court of Canada : Extending the Tort Liability of Public Authorities » (1990), 28 Alta. L. Rev. 648, à la p. 655; Galloway, « Liability of Government : Just or Just and Reasonable » (1990), 41 Admin. L.R. 133, à la p. 152.

[63] Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; voir également l’arrêt Anns, précité, note 15.

[64] [1994] 1 R.C.S. 420. Voir également Kuczerpa c. Canada (1993), 14 C.R.R. (2d) 307, (C.A.F.); l’omission de légiférer sur un problème social était une décision de politique prise par le ministre et n’était donc pas assujettie à un examen à la lumière du droit de la responsabilité civile delictuelle.

[65] [1994] 1 R.C.S. 445.

[66] Crown Proceedings Act, 1947, 10 & 11 Geo. 6, ch. 44, art. 2(1)a).

[67] Précité, note 11, aux p. 501 et 502.

[68] Ibid, à la p. 503.

[69] Voir Cohen, « Regulating Regulators : The Legal Environment of the State » (1990), 40 U.T.L.J. 213; Cohen, « Suing the State », Ibid., à la p. 630.

[70] [1970] 2 All ER 294 (H.L.), à la p. 302.

[71] Williams v. State, 127 N.Y. 2d. 545 (Ct. App. 1955).

[72] [1984] 2 R.C.S. 2, à la p. 26.

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