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[1995] 3 C.F. 643

T-2689-94

L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (requérant)

c.

Le directeur du Musée canadien de la nature (intimé)

Répertorié : Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Directeur du musée canadien de la nature) (1re inst.)

Section de première instance, juge Noël—Ottawa, 25 septembre et 5 octobre 1995.

Accès à l’information — Le syndicat cherche à obtenir le contrôle judiciaire du refus de communiquer le rapport de vérification judiciaire préparé à la recommandation du procureur du Musée pour déterminer s’il était prudent d’engager une action en diffamation contre le syndicat — Le Musée a communiqué le rapport au vérificateur général — Le rapport a été obtenu principalement dans le but d’engager des procédures, mais la communication au vérificateur général constitue une renonciation au secret professionnel.

Pratique — Communications privilégiées — Le syndicat cherche à obtenir le contrôle judiciaire du refus de communiquer le rapport de vérification judiciaire préparé à la recommandation du procureur du Musée pour déterminer s’il était prudent d’engager une action en diffamation contre le syndicat — Rapport rédigé principalement en vue d’une instance — L’utilisation réelle n’est pas pertinente — La communication volontaire au vérificateur général, sachant qu’il sera utilisé conformément au mandat conféré par la Loi, constitue une renonciation au secret professionnel.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du refus de communiquer un rapport de vérification judiciaire qui a été préparé pour le conseil d’administration du Musée canadien de la nature. Le syndicat requérant avait publié un rapport critiquant la gestion et l’utilisation des fonds par le Musée. Le procureur du Musée avait recommandé la tenue d’une vérification judiciaire pour déterminer s’il était prudent d’engager une action en diffamation. Une lettre des auteurs de la vérification au moment de leur engagement indiquait que le rapport serait préparé à l’appui d’une action possible. Bien que la vérification apparemment disculpait le Musée de tout méfait, il a refusé la demande de communication présentée par le syndicat en application de la Loi sur l’accès à l’information sur le fondement que la vérification était assujettie au secret professionnel qui lie un avocat à son client. Toutefois, le vérificateur général a eu accès au rapport de vérification judiciaire.

Les questions étaient de savoir : (1) si la vérification judiciaire a été obtenue principalement dans le but d’engager des procédures; et (2) le cas échéant, s’il y a renonciation au secret professionnel de l’avocat par la communication volontaire du rapport de vérification au vérificateur général.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Pour trancher une application du secret professionnel dans le cadre de la préparation d’une instance, le fait que l’utilisation réelle d’un document après sa préparation puisse avoir été tout à fait différente de celle qui était initialement prévue n’est pas pertinent. Le but principal d’un document doit être évalué selon le moment où il a été rédigé. Bien que le rapport de vérification judiciaire était sans doute susceptible d’être utilisé de différentes façons, il a été rédigé principalement en vue d’une instance.

Le vérificateur général doit être considéré comme un tiers à l’égard des organismes gouvernementaux dont il est chargé d’effectuer la vérification. Le simple fait que le vérificateur général ne soit pas lié par le secret professionnel dont jouit l’organisme assujetti à sa vérification, et qu’il ait, dans le cadre du mandat qui lui est confié par la loi, l’obligation de tenir compte de tout renseignement pertinent qui est porté à son attention fait en sorte que la communication volontaire de renseignements au vérificateur général doit être interprétée comme une renonciation au secret professionnel. Il n’y a aucun élément de preuve selon lequel le vérificateur général a invoqué l’un ou l’autre des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi pour obliger le Musée à lui communiquer le rapport et il n’y a pas non plus d’indication que le vérificateur général aurait choisi d’exercer ses pouvoirs si le Musée avait refusé la divulgation en invoquant le secret professionnel. Qui plus est, il n’est pas clair que le vérificateur général possédait le pouvoir d’obliger le Musée à produire le rapport et même s’il détenait ce pouvoir, il n’est pas clair que le privilège n’aurait pas pu être validement invoqué par le Musée. Étant donné que le Musée a remis le rapport au vérificateur général volontairement alors que tous les gestionnaires responsables de cette décision savaient très bien qu’il serait examiné et utilisé conformément au mandat confié par la loi au vérificateur général, le Musée a renoncé au secret professionnel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 4, 23, 41, 48.

Loi sur les musées, L.C. 1990, ch. 3, art. 30.

Loi sur le vérificateur général, L.R.C. (1985), ch. A-17, art. 6, 7, 13.

JURISPRUDENCE

DÉCISION EXAMINÉE :

Cineplex Odeon Corp. v. M.N.R. (1994), 114 D.L.R. (4th) 141; 26 C.P.C. (3d) 109; [1994] 2 C.T.C. 293; 94 DTC 6407 (Div. gén. Ont.).

DÉCISIONS CITÉES :

Anderson v. Bank of British Columbia (1876), 2 Ch.D. 644 (C.A.); Waugh v. British Railway Board, [1980] A.C. 521 (H.L.).

DEMANDE fondée sur la Loi sur l’accès à l’information présentée par un syndicat visant à obtenir le contrôle judiciaire du refus de communiquer la vérification judiciaire préparée selon la recommandation du procureur du Musée pour déterminer s’il était prudent d’engager une action en diffamation contre le syndicat. Demande accueillie.

AVOCATS :

Peter J. Barnacle pour le requérant.

Michael F. Ciavaglia pour l’intimé.

PROCUREURS :

Nelligan Power, Ottawa, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Noël : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi) de la décision du Musée canadien de la nature (le Musée) de refuser de communiquer à l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’IPFPC) un rapport de vérification judiciaire qui a été préparé pour le Conseil d’administration du Musée canadien de la nature.

1.         LES FAITS

Les faits pertinents sont les suivants :

1. En 1994, le Musée a déclaré sept postes excédentaires et a mis en disponibilité les titulaires de ceux-ci. Le comité syndical de l’IPFPC a examiné les circonstances entourant les mises en disponibilité et a par la suite publié un rapport critiquant la gestion et l’utilisation des fonds par le Musée.

2. En mars 1994, le Musée a ordonné la tenue d’une vérification judiciaire spéciale par le cabinet de comptables Peat Marwick and Thorne afin d’examiner les allégations contenues dans le rapport de l’IPFPC. Dans une lettre envoyée au chef de l’exploitation du Musée en date du 25 février 1994, le ministère de la justice, le procureur du Musée, avait recommandé la tenue d’une vérification judiciaire pour déterminer s’il était prudent d’engager des procédures. Une lettre de Peat Marwick and Thorne en date du 28 février 1994 qui confirmait la tenue de la vérification judiciaire indiquait que le rapport serait préparé à l’appui d’une action possible en diffamation contre les auteurs.

3. Le 13 avril 1994, le président du Musée a dit devant le Comité permanent du patrimoine canadien qu’il croyait que la vérification démontrerait que le rapport de l’IPFPC était fondé sur des documents présentés hors contexte, grandement dénaturés et erronés du point de vue des faits.

4. Le 25 mai 1994, le Comité de la vérification et des finances du Conseil d’administration du Musée a examiné la vérification et a conclu qu’elle disculpait les gestionnaires du Musée de tout méfait mais que la vérification ne serait pas communiquée sur le fondement du secret professionnel qui lie un avocat à son client.

5. Le rôle du vérificateur général a fait l’objet de discussions lors de la réunion du 25 mai 1994. Un représentant du Bureau du vérificateur général s’est inquiété du fait qu’il doive être prêt à répondre à toutes question qui lui seraient posées (présumément, au sujet des allégations de l’IPFPC). Un représentant du ministère de la Justice qui était présent lors de la réunion a laissé entendre que le vérificateur général pourrait avoir accès au travail sans porter atteinte au secret professionnel à l’égard du document. Le vérificateur général a eu accès au rapport judiciaire qui a été mentionné dans la vérification financière effectuée cette année par le vérificateur général.

6. Le 31 mai 1994, l’IPFPC a cherché à obtenir la communication de la vérification judiciaire en application de la Loi sur l’accès à l’information. Le Musée a refusé la communication de la vérification sur le fondement qu’elle était exclue aux termes de l’article 23 de la Loi. L’IPFPC a présenté une plainte au Commissaire à l’information du Canada relativement au refus du Musée. Le 23 septembre 1994, le Commissaire à l’information a rejeté la plainte, concluant que la vérification judiciaire contenait des renseignements protégés par le secret professionnel aux termes de l’article 23 de la Loi.

7. L’IPFPC cherche à obtenir la communication de la vérification judiciaire afin d’obtenir des renseignements concernant les activités financières du Musée et pour être en mesure de répondre aux allégations du Musée selon lesquelles le rapport de l’IPFPC était trompeur ou imprécis.

2.         DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

2.1       Loi sur l’accès à l’information

Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

Objet de la Loi

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

Droit d’accès

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents des institutions fédérales et peuvent se les faire communiquer sur demande :

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l’immigration.

Secret professionnel des avocats

23. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

Révision par la Cour fédérale

41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

Charge de la preuve

48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document incombe à l’institution fédérale concernée.

2.2       Loi sur le vérificateur général[1]

Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

Rapport à la Chambre des communes

6. Le vérificateur général examine les différents états financiers qui doivent figurer dans les Comptes publics en vertu de l’article 64 de la Loi sur la gestion des finances publiques et tous autres états que lui soumet le président du Conseil du Trésor ou le ministre des Finances pour vérification; il indique si les états sont présentés fidèlement et conformément aux conventions comptables énoncées pour l’administration fédérale et selon une méthode compatible avec celle de l’année précédente; il fait éventuellement des réserves.

7. (1) Le vérificateur général prépare à l’intention de la Chambre des communes un rapport annuel dans lequel :

a) il fournit des renseignements sur les activités de son bureau;

b) il indique s’il a reçu, dans l’exercice de ces activités, tous les renseignements et éclaircissements réclamés.

(2) Dans le rapport mentionné au paragraphe (1), le vérificateur général signale tout sujet qui, à son avis, est important et doit être porté à l’attention de la Chambre des communes, notamment les cas où il a constaté que :

a) les comptes n’ont pas été tenus d’une manière fidèle et régulière ou des deniers publics n’ont pas fait l’objet d’un compte rendu complet ou n’ont pas été versés au Trésor lorsque cela est légalement requis;

b) les registres essentiels n’ont pas été tenus ou les règles et procédures utilisées ont été insuffisantes pour sauvegarder et contrôler les biens publics, assurer un contrôle efficace des cotisations, du recouvrement et de la répartition régulière du revenu et assurer que les dépenses effectuées ont été autorisées;

c) des sommes d’argent ont été dépensées à d’autres fins que celles auxquelles le Parlement les avait affectées;

d) des sommes d’argent ont été dépensées sans égard à l’économie ou à l’efficience;

e) des procédures satisfaisantes n’ont pas été établies pour mesurer et faire rapport sur l’efficacité des programmes dans les cas où elles peuvent convenablement et raisonnablement être mises en œuvre.

Accès à l’information

13. (1) Sous réserve des dispositions d’une autre loi fédérale qui se réfèrent expressément au présent paragraphe, le vérificateur général a le droit, à tout moment convenable, de prendre connaissance librement de tout renseignement se rapportant à l’exercice de ses fonctions; à cette fin, il peut exiger que les fonctionnaires fédéraux lui fournissent tous renseignements, rapports et explications dont il a besoin.

(2) Le vérificateur général peut, pour remplir plus efficacement ses fonctions, détacher des employés de son bureau auprès de tout ministère. Celui-ci doit leur fournir les locaux et l’équipement nécessaires.

(3) Le vérificateur général doit exiger de tout employé de son bureau chargé, en vertu de la présente loi, d’examiner les comptes d’un ministère ou d’une société d’État, qu’il observe les normes de sécurité applicables aux employés du ministère ou de la société et qu’il prête le serment de respecter le secret professionnel, auquel ceux-ci sont astreints.

(4) Le vérificateur général peut interroger sous serment toute personne au sujet d’un compte soumis à sa vérification; à cette fin, il peut exercer les pouvoirs conférés aux commissaires par la partie I de la Loi sur les enquêtes.

3.         QUESTIONS EN LITIGE

L’IPFPC soutient que la vérification judiciaire n’a pas été obtenue principalement dans le but d’engager des procédures et par conséquent ne contient pas des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat aux termes de l’article 23 de la Loi. Subsidiairement, si la vérification judiciaire a été obtenue principalement dans le but d’engager des procédures, l’IPFPC soutient qu’elle a depuis été utilisée et communiquée à d’autres fins et qu’il y a donc eu renonciation au secret professionnel de l’avocat. Encore subsidiairement, l’IPFPC soutient que certaines parties de la vérification judiciaire ne sont pas privilégiées et peuvent raisonnablement être séparées des parties qui ne peuvent être communiquées et qu’on devrait donc y avoir accès à titre de renseignement public.

4.         ANALYSE

Le premier argument soulevé par l’IPFPC peut être réglé assez rapidement. Ce qui est demandé en l’espèce c’est l’application du secret professionnel. Il s’agit d’une protection contre la divulgation de communications entre un avocat et son client, ainsi qu’avec des tiers, dans la mesure où ces communications ont lieu dans le cadre de la préparation d’une instance réelle ou raisonnablement éventuelle. La seule autre exigence que les tribunaux ont imposée à l’application du privilège traditionnel en matière de secret professionnel des avocats[2] est que les communications protégées doivent avoir été produites principalement aux fins d’une instance. À cet égard, l’IPFPC soutient que le rapport de la vérification judiciaire n’a pas été principalement préparé dans le but d’une instance. En fait, l’IPFPC soutient que la manière dont le rapport a été utilisé depuis sa rédaction démontre qu’il a été préparé principalement à des fins de relations publiques et précisément, pour permettre au Musée et à ses cadres supérieurs de mieux paraître devant le public par suite des allégations présentées par l’IPFPC.

Le fait que l’utilisation réelle du rapport après sa préparation puisse avoir été tout à fait différente de celle qui était initialement prévue, bien que pertinent relativement à la question de la renonciation, a peu ou pas d’incidence sur le premier argument soulevé par l’IPFPC. Il est bien établi que le but principal d’un document doit être évalué selon le moment où il a été rédigé car c’est le but principal de sa création qui est en litige[3]. À cet égard, il ressort clairement du dossier que la vérification judiciaire a initialement été ordonnée sur la recommandation de l’avocat pour permettre la poursuite éventuelle d’une action en diffamation. Il ressort également du dossier que ce but était connu et accepté par les auteurs du rapport au moment où ils ont été engagés et qu’ils devaient agir sous la direction de l’avocat du Musée. Il n’y a pas d’autre but que celui d’une instance qui ressort de la correspondance échangée entre les avocats, le Musée et les auteurs du rapport. Je devrais ignorer cette preuve et en fait la traiter comme si elle avait été créée dans le but de jeter de la poudre aux yeux pour attribuer au rapport au moment de sa rédaction, un but principal autre que celui que soutient le Musée.

Il découle de ceci que bien que le rapport était sans doute susceptible d’être utilisé de différentes façons, je dois conclure selon la preuve qu’il a été rédigé principalement en vue d’une instance. Par conséquent, le premier argument soulevé par l’IPFPC est rejeté.

La prétention selon laquelle le Musée a par la suite renoncé au secret professionnel est plus sérieuse. Plus précisément, l’IPFPC soutient que le Musée a renoncé à son privilège en communiquant volontairement le rapport afin qu’il soit examiné de manière approfondie par le vérificateur général dans le cadre de la préparation de son rapport annuel. Le Musée réplique que la communication du rapport de la vérification judiciaire au vérificateur général ne devrait pas être considérée comme une divulgation à un tiers et que, de toute façon, la communication n’était pas volontaire car le Musée était tenu de communiquer le rapport au vérificateur général.

Dans la décision Cineplex Odeon Corp. v. M.N.R. (1994), 114 D.L.R. (4th) 141 (Div. gén. Ont.), le ministre du Revenu national a cherché à obtenir la communication de documents par ailleurs protégés par le secret professionnel qui avaient été communiqués par le vérificateur d’impôt externe à son groupe de vérification. Le ministre du Revenu national a soutenu que la communication des documents par le groupe fiscal au groupe de vérification constituait une communication à un tiers de sorte que le secret professionnel qui existait alors que le groupe de vérification fiscale détenait les documents n’existait plus. Voici ce que le juge Haley a dit, en rejetant cet argument, au sujet de la nature du rapport qui existe entre des vérificateurs externes et leurs clients, à la page 145 :

[traduction] Peats à titre de vérificateur externe de la société requérante est régi par les lignes directrices établies dans le manuel de l’Institut canadien des comptables agréés. Le vérificateur doit donner une opinion objective sur la justesse et la précision des états financiers préparés par les administrateurs de la société. Madame Levine a convenu que le vérificateur doit être indépendant des administrateurs de la société lorsqu’il fait la vérification. Le rapport du vérificateur est préparé pour les actionnaires de la société par opposition aux gestionnaires.

Si une telle vérification devait être effectuée par un autre cabinet de comptables agréés il serait indiscutable qu’ils seraient des tiers par rapport à la société et les communications à ces vérificateurs constitueraient une renonciation au secret professionnel … [Non souligné dans l’original.]

Plus loin dans son jugement, le juge Haley a souligné la pratique des vérificateurs externes aux États-Unis lorsque ceux-ci sont confrontés par des documents privilégiés qui appartiennent à leur client mais qui sont néanmoins nécessaires pour effectuer une vérification indépendante. Il a dit, à la page 150 :

[traduction] Il ressort de la pratique aux États-Unis décrite dans un article « Lawyers’ Responses to Audit Inquiries and the Attorney-Client Privilege », Arthur B. Hooker, dans (1980), 35 Bus. Law. 1021, que les vérificateurs ont souvent exigé des documents protégés par le secret professionnel des clients ou des avocats dans le cadre de la vérification. Dans la mesure où ces communications sont nécessaires pour permettre au vérificateur indépendant de remplir ses obligations, le client sera tenu de renoncer au secret professionnel.

La raison sur laquelle se fonde une telle pratique est évidente. En raison de l’obligation de premier ordre à laquelle ils sont tenus envers les actionnaires, les vérificateurs externes doivent faire état des renseignements dont ils prennent connaissance dans la mesure où ils peuvent avoir un effet sur l’exactitude des états financiers qui font l’objet de la vérification et ce nonobstant tout privilège dont pourrait se réclamer le client. Il ressort de ceci que toute communication de ce type de renseignement par un client à son vérificateur constitue de fait un abandon par le client de son droit au secret professionnel à l’égard du renseignement en question.

Le vérificateur général est, aux termes de la loi, le vérificateur du Musée[4]. À ce titre ses responsabilités et ses fonctions sont essentiellement les mêmes que celles d’un vérificateur externe. Il agit à titre de « gardien public » qui exige en retour qu’il conserve une indépendance totale en tout temps. Il ne doit aucune allégeance aux organismes qui sont assujettis à sa vérification. Sa seule obligation à l’égard d’une vérification donnée est d’indiquer pour le compte du ministre responsable et du parlement si les états qui font l’objet de la vérification sont présentés fidèlement et conformément aux conventions comptables énoncées selon une méthode compatible avec celle des années précédentes et en exprimant le cas échéant ce en quoi la vérification est déficiente[5].

En tenant compte de ce qui précède, je suis d’avis que le vérificateur général doit être considéré comme un tiers à l’égard des organismes gouvernementaux dont il est chargé d’effectuer la vérification. Quant au secret professionnel comme tel, il semble aussi évident que la communication au vérificateur général de documents par ailleurs privilégiés dans le cadre d’une vérification est tout à fait incompatible avec une intention de conserver le secret professionnel et qu’à ce titre elle équivaut à une renonciation. Le simple fait que le vérificateur général ne soit pas lié par le secret professionnel dont jouit l’organisme assujetti à sa vérification[6], et qu’il ait, dans le cadre du mandat qui lui est confié par la loi, l’obligation de tenir compte de tout renseignement pertinent qui est porté à son attention fait en sorte que la communication volontaire de renseignement au vérificateur général doit être interprétée par toutes les personnes intéressées comme une renonciation au secret professionnel.

Toutefois, le Musée soutient que la communication du rapport de la vérification judiciaire au vérificateur général n’était pas volontaire car elle a été effectuée en application des dispositions législatives qui l’exigent. Ce n’est pas ce qui ressort du dossier. Le dossier indique que le rapport de la vérification judiciaire a été remis au vérificateur général par suite de la recommandation du Comité sur la vérification et les finances du Musée prise pendant une réunion à huis clos à laquelle assistaient des fonctionnaires du Bureau du vérificateur général. Selon le procès- verbal, l’un de ces fonctionnaires a expliqué que le Bureau du vérificateur général devait être en mesure de s’assurer que le rapport de la vérification judiciaire avait été préparé conformément à ses normes. Ce besoin découlait de l’opinion exprimée par le même fonctionnaire selon laquelle le vérificateur général devait être prêt à répondre à des questions sur la gestion du Musée[7].

C’est le contexte dans lequel le rapport de la vérification judiciaire a été remis au Bureau du vérificateur général. Il n’y a aucun élément de preuve selon lequel le vérificateur général a invoqué l’un ou l’autre des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi pour obliger le Musée à lui communiquer le rapport et il n’y a pas non plus d’indication que le vérificateur général aurait choisi d’exercer ses pouvoirs si le Musée avait refusé la divulgation en invoquant le secret professionnel. Qui plus est, même si le vérificateur général avait voulu exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, il n’est pas clair qu’il possédait le pouvoir d’obliger le Musée à produire le rapport. Finalement, même s’il détenait ce pouvoir, et en présumant de son invocation, je ne suis pas convaincu que le privilège n’aurait pas pu être validement réclamé par le Musée pour empêcher la divulgation.

Le Musée soutient en outre que dans l’éventualité de son refus de collaborer, la seule possibilité que le vérificateur général aurait pu faire état de ce refus dans son rapport à la Chambre des communes[8] constituait une contrainte qui l’obligeait à collaborer et que ceci suffit pour établir que la communication du rapport de la vérification judiciaire ne fut pas volontaire. Je suis plutôt d’avis que ceci illustre le fait que le Musée devait prendre une décision à l’égard des renseignements en question, et a choisi de les divulguer plutôt que de tenter d’en préserver la confidentialité.

Par conséquent, je rejette l’argument selon lequel le Musée a été contraint de communiquer le rapport au vérificateur général. Le Musée a remis le rapport au vérificateur général volontairement alors que tous les gestionnaires responsables de cette décision savaient très bien qu’il serait examiné et utilisé conformément au mandat confié par la loi au vérificateur général[9]. C’est de fait ce qui s’est produit et le Musée et ses gestionnaires furent absous de toute incurie administrative par le rapport qui fut éventuellement publié par le vérificateur général et présenté au ministre responsable lequel énonçait, notamment :

[traduction] Notre examen du rapport KMPG n’a pas révélé de questions qui auraient un effet sur les états financiers et nous n’avons pas non plus remarqué d’autres questions soulevées par ce rapport qui entraîneraient une question de non-respect[10].

En cours de route toutefois, le Musée a renoncé au secret professionnel. J’ai par conséquent conclu qu’il n’y a aucun motif en vertu duquel le Musée peut refuser de communiquer le rapport et une ordonnance visant la communication du rapport à l’IPFPC sera rendue, les dépens étant adjugés contre le Musée.

Afin de préserver le caractère confidentiel du rapport en attendant l’exercice éventuel par le Musée de son droit d’appel, l’ordonnance de communication entrera en vigueur dans 30 jours à compter d’aujourd’hui.



[1] L.R.C. (1985), ch. A-17.

[2] Le privilège du secret professionnel des avocats et le raisonnement sur lequel il se fonde est résumé par la Court of Chancery dans l’arrêt Anderson v. Bank of British Columbia, (1876), 2 Ch.D. 644 (C.A.), à la p. 649.

[3] Voir Waugh v. British Railways Board, [1980] A.C. 521 (H.L.), à la p. 544, lord Edmund-Davies.

[4] Loi sur les musées, L.C. 1990, ch. 3, art. 30.

[5] Loi sur le vérificateur général, art. 6.

[6] L’art. 13(3) qui oblige le personnel du Bureau du vérificateur général de prêter le serment du secret exigé des employés de l’organisme qui fait l’objet de la vérification ne peut être interprété comme empêchant le vérificateur général de tenir compte et de communiquer au Parlement les renseignements d’importance qu’il est tenu de porter à l’attention du Parlement aux termes de l’art. 7.

[7] Dossier de demande du requérant, vol. 1, p. 81, à la p. 82. Le président du musée, dans une annonce subséquente, a décrit l’intérêt du vérificateur général dans le document de la manière suivante :

[traduction] En raison de l’insistance des allégations présentées contre l’équipe de gestion du musée concernant la manière dont elle a géré les finances de la société, le BVG a jugé nécessaire d’examiner en détail les articles financiers de la vérification judiciaire.

Dossier de la demande du requérant, vol. 1, p. 86.

[8] Voir l’art. 7(1)b) de la Loi sur le vérificateur général.

[9] Il ressort du dossier que le Comité de la vérification et des finances a été précisément avisé que la vérification dépasserait les normes et que le vérificateur général avait le droit (en fait l’obligation) de présenter un rapport au ministre et que le rapport final appartiendrait à celui-ci. Dossier de demande du requérant, vol. 1, p. 83.

[10] Dossier de demande du requérant, vol. 1, p. 87.

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