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[1995] 3 C.F. 231

IMM-1693-94

Secrétaire d’État du Canada (requérant)

C.

Marlon Bruan (intimé)

Répertorié : Bruan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Nadon—Winnipeg, 31 janvier; Ottawa, 9 juin 1995.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes non admissibles — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la section d’appel de la CISR a accueilli l’appel interjeté d’une mesure d’exclusion — Décès du parrain avant la délivrance du visa — Ce fait n’a été divulgué aux autorités qu’au point d’entrée — Aux termes de l’art. 70(2)b) de la Loi sur l’immigration, peuvent faire appel d’une mesure de renvoi les personnes qui étaient titulaires d’un « visa d’immigrant en cours de validité » lorsqu’elles ont fait l’objet du rapport rédigé par un agent d’immigration — La section d’appel n’avait pas compétence — Lorsque la principale raison de la délivrance d’un visa a cessé d’exister avant sa délivrance, un tel visa n’est pas un « visa d’immigrant en cours de validité ».

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accueilli l’appel interjeté par l’intimé d’une mesure d’exclusion prise contre lui. L’intimé est un citoyen des Philippines. Sa demande de résidence permanente a été parrainée par sa mère. La mère de l’intimé est décédée en juillet 1991 et sa demande a été acceptée en septembre 1991. Ce n’est que lorsqu’un agent d’immigration lui a demandé au point d’entrée si sa mère résidait toujours à la même adresse que l’intimé a informé les autorités canadiennes que sa mère était décédée en 1991. L’agent d’immigration a rédigé un rapport dans lequel il a déclaré qu’à son avis, le fait d’admettre l’intimé au Canada contreviendrait à la Loi parce que l’intimé appartenait à la catégorie de personnes non admissibles prévue à l’alinéa 19(2)d) de la Loi. Plus précisément, l’agent a déclaré que l’intimé n’était pas un résident permanent et qu’on ne pouvait lui accorder le droit d’établissement avec le visa qui lui avait été délivré, étant donné qu’il ne remplissait pas les conditions requises pour faire partie de la catégorie de la famille en tant que fils non marié. À la suite d’une enquête, l’arbitre a également conclu que l’intimé ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi et du Règlement sur l’immigration de 1978. L’arbitre a ordonné l’exclusion de l’intimé. La section d’appel a accueilli l’appel pour des raisons d’ordre humanitaire et a ordonné que la mesure de renvoi soit annulée.

Le requérant a soutenu que la section d’appel n’avait pas compétence pour entendre l’appel de l’intimé parce qu’à son arrivée au Canada, l’intimé n’était pas titulaire d’un visa en cours de validité comme l’exige l’alinéa 70(2)b) de la Loi sur l’immigration. Cet alinéa prévoit que les personnes qui sollicitent le droit d’établissement et qui étaient titulaires d’un « visa d’immigrant en cours de validité » lorsqu’elles ont fait l’objet d’un rapport rédigé par un agent d’immigration en vertu de l’alinéa 20(1)a) peuvent faire appel devant la section d’appel de la mesure de renvoi prise contre elles. La question à trancher est celle de savoir si, à son arrivée au Canada, l’intimé était titulaire d’un visa en cours de validité. Le requérant a invoqué deux arrêts de la Cour d’appel fédérale, à savoir l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. De DeCaro et l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Wong. La section d’appel a établi une distinction entre ces deux décisions et la présente affaire et a statué que, lorsque l’intimé est arrivé au Canada, son visa était un visa en cours de validité étant donné qu’il n’était pas expiré.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La section d’appel a commis une erreur de droit en concluant qu’elle avait compétence pour entendre l’appel de l’intimé.

Bien que les arrêts De DeCaro et Wong ne portent pas sur le décès d’un parrain, il n’y a pas lieu de faire de distinction entre la présente espèce et ces deux affaires. La Cour est tenue de suivre le raisonnement du juge Pratte, J.C.A., dans l’arrêt De DeCaro et encore plus celui du juge MacGuigan, J.C.A., dans l’arrêt Wong, dans lequel le juge a déclaré que lorsque, comme en l’espèce, la principale raison de la délivrance d’un visa a cessé d’exister avant sa délivrance, un tel visa n’est pas un « visa d’immigrant en cours de validité ». Ces décisions trouvent également un appui dans un arrêt antérieur dans lequel la Cour d’appel fédérale a statué qu’un visa peut être révoqué ou devenir invalide en raison d’un changement de situation. Ce qui constitue un changement de situation est une question qui doit être tranchée dans chaque cas.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, s. 27(1)e).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 6 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 3), 9 (mod., idem, art. 4), 19(2)d), 20(1)a), 70(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), (3) (mod., idem), 83 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) (mod. par DORS/93-44, art. 1), 4 (mod. idem, art. 4), 6 (mod. par DORS/79-167, art. 2; 82-702, art. 2; 83-675, art. 2; 84-140, art. 2; 88-286, art. 3; 91-157, art. 1; 92-101, art. 3; 93-44, art. 5; 94-242, art. 1), 6.1 (édicté par DORS/93-44, art. 6), 12 (mod. par DORS/83-540, art. 2; 93-44, art. 11; 93-412, art. 8.)

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS SUIVIES :

Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. De DeCaro, [1993] 2 C.F. 408 (1993), 103 D.L.R. (4th) 564; 155 N.R. 129 (C.A.); Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Wong (1993), 153 N.R. 237 (C.A.F.).

DÉCISION APPLIQUÉE :

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Gudino, [1982] 2 C.F. 40 (1981), 124 D.L.R. (3d) 748; 38 N.R. 361 (C.A.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accueilli l’appel interjeté d’une mesure d’exclusion (Bruan c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] I.A.D.D. no 55 (QL)). Demande accueillie.

AVOCATS :

Mark G. Mason pour le requérant.

David Matas pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

David Matas, Winnipeg, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Nadon : Le requérant sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 25 février 1994 par laquelle la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [[1994] I.A.D.D. no 55 (QL)] (la section d’appel) a accueilli l’appel interjeté par l’intimé d’une mesure d’exclusion prise contre lui. En conséquence, la section d’appel a annulé la mesure d’exclusion et a ordonné que l’intimé soit interrogé à un point d’entrée et qu’on lui accorde le droit d’établissement au Canada.

Les faits pertinents peuvent être résumés de la façon suivante.

L’intimé, qui est né le 9 juillet 1959, est un citoyen des Philippines. Sa mère, qui a été admise au Canada le 27 novembre 1986, a accepté de le parrainer et a, par conséquent, signé un engagement d’aider un membre de la catégorie de la famille. À l’époque en cause, la mère de l’intimé résidait avec sa fille (la sœur de l’intimé) au 2027, rue Sinclair, à Winnipeg. Comme la mère de l’intimé était sans travail, la sœur de l’intimé se chargeait de l’entretien de sa mère et assumait les coûts de la maison dans laquelle elles résidaient. L’engagement d’aide signé par la mère de l’intimé est daté du 10 novembre 1988. La mention [traduction] « frais de parrainage conjoint payés » est clairement inscrite sur le document.

En décembre 1989, l’intimé a présenté une demande de résidence permanente au Canada et a précisé dans son formulaire de demande que sa mère était son parrain. Alors qu’elle se trouvait en visite aux Philippines en juillet 1991, la mère de l’intimé est décédée. Le 4 septembre 1991, l’ambassade du Canada à Manille a écrit à l’intimé pour l’informer que sa demande de résidence permanente avait été acceptée. Voici le texte de la lettre écrite à l’intimé :

[traduction] Nous sommes heureux de vous annoncer que votre demande de résidence permanente au Canada a été acceptée. L’enveloppe ci-jointe[1] contient des visas d’immigration canadiens pour vous et pour les membres de votre famille qui vous accompagnent. Vous devez présenter les visas à l’agent d’immigration au point d’entrée à votre arrivée au Canada. Veuillez prendre note que les visas sont valides jusqu’au 19 MARS 1992. Vous devez arriver au Canada avant l’expiration du visa.

Les documents relatifs à votre admission au Canada vous sont délivrés sur la foi des renseignements que vous avez communiqués. Si vous ou l’un des membres de votre famille qui vous accompagnent se marie ou change d’état matrimonial avant de partir pour le Canada, ou s’il y a d’autres changements dans la composition de votre famille avant la date prévue de votre départ, veuillez en informer notre bureau sans délai pour éviter des retards et des difficultés ultérieures.

La feuille d’information ci-jointe vous donne des conseils qui peuvent vous être utiles lors de la planification de votre départ et après votre arrivée au Canada.

L’intimé a témoigné qu’après avoir reçu la lettre en question, il est passé prendre son visa à l’ambassade du Canada à Manille. Il a également témoigné qu’on lui a demandé de s’identifier et qu’après qu’il l’eut fait, on lui a remis son visa. L’intimé n’a pas informé l’ambassade canadienne, avant son départ des Philippines, que sa mère était décédée en juillet 1991.

L’intimé a quitté les Philippines et est arrivé à Vancouver (Colombie-Britannique), le 22 janvier 1992. À son arrivée, l’agent d’immigration lui a demandé si sa mère résidait toujours au 2027, rue Sinclair, à Winnipeg, ce à quoi il a répondu que sa mère était décédée en juillet 1991. On a également demandé à l’intimé s’il avait informé l’ambassade du Canada à Manille du décès de sa mère. À cette question, l’intimé a répondu que, comme on ne le lui avait pas posé cette question, il n’avait pas fourni ce renseignement. En conséquence, le 5 mars 1992, l’agent d’immigration a rédigé en vertu de l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] (la Loi) un rapport dans lequel il a déclaré qu’à son avis, le fait d’admettre l’intimé au Canada contreviendrait à la Loi parce que l’intimé appartenait à la catégorie de personnes non admissibles prévue à l’alinéa 19(2)d) de la Loi.

Plus précisément, l’agent d’immigration a déclaré dans son rapport que l’intimé n’était pas un citoyen canadien, qu’il n’était pas un résident permanent du Canada, et qu’on ne pouvait lui accorder le droit d’établissement avec le visa qui lui avait été délivré, étant donné qu’il ne possédait pas les conditions requises pour faire partie de la catégorie de la famille en tant que fils non marié. Le rapport précisait en outre que l’intimé ne possédait plus les conditions requises, parce que sa mère était décédée en juillet 1991, c’est-à-dire avant que son visa ne soit délivré le 4 septembre 1991. Finalement, le rapport précisait que l’intimé avait omis de signaler le décès de sa mère au bureau des visas à l’étranger alors qu’il était tenu de le faire.

Le 12 juin 1992, une enquête a eu lieu à Winnipeg devant un arbitre de la Direction générale de l’arbitrage pour l’immigration. Au terme de l’enquête, l’arbitre a conclu que l’intimé ne satisfaisait pas aux exigences du Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78-172], en particulier, aux exigences de l’article 12 [mod. par DORS/83-540, art. 2; 93-44, art. 12; 93-412, art. 8] de ce Règlement et que, par conséquent, le fait d’admettre l’intimé au Canada contreviendrait aux dispositions de la Loi. En conséquence, l’arbitre a ordonné l’exclusion de l’intimé du Canada.

Le 12 juin 1992, l’intimé a interjeté appel de la décision de l’arbitre devant la section d’appel. L’audience qui s’est déroulée devant la section d’appel a eu lieu à Winnipeg les 26 avril, 6 mai et 7 juin 1993. Le 25 février 1994, la section d’appel a accueilli l’appel de l’intimé et a ordonné que la mesure de renvoi soit annulée.

Le 31 mars 1994, le requérant a déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Réduite à sa plus simple expression, la thèse du requérant est que la section d’appel n’avait pas compétence pour entendre l’appel de l’intimé. Plus précisément, le requérant soutient que, comme à son arrivée au Canada l’intimé n’était pas titulaire d’un visa en cours de validité, la section d’appel ne pouvait pas entendre son appel sous le régime de l’alinéa 70(2)b) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi, qui se lit comme suit :

70. …

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), peuvent faire appel devant la section d’appel d’une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel :

b) les personnes qui, ayant demandé l’admission, étaient titulaires d’un visa de visiteur ou d’immigrant, selon le cas, en cours de validité lorsqu’elles ont fait l’objet du rapport visé à l’alinéa 20(1)a).

Le paragraphe 70(3) [mod., idem] de la Loi, dont voici le libellé, est également pertinent :

70. …

(3) Les moyens que peuvent invoquer les appelants visés au paragraphe (2) sont les suivants :

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) le fait que, pour des raisons d’ordre humanitaire, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

Ainsi qu’il ressort nettement du paragraphe 70(2) de la Loi, l’intimé avait le droit de faire appel de la mesure de renvoi si, à son arrivée au Canada, il était titulaire d’un visa d’immigrant en cours de validité. La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si, à son arrivée au Canada le 22 janvier 1992, l’intimé était titulaire d’un tel visa.

Au soutien de sa thèse, le requérant invoque principalement deux arrêts de la Cour d’appel fédérale, à savoir l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. De DeCaro, [1993] 2 C.F. 408et l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Wong (1993), 153 N.R. 237.

La section d’appel a examiné les arrêts De DeCaro et Wong de la Cour d’appel. La section d’appel a toutefois conclu qu’il y avait lieu d’établir une distinction entre ces deux décisions et la présente affaire. La section d’appel s’est dite d’avis que, lorsque l’intimé est arrivé au Canada, le visa qui lui avait été délivré par l’ambassade du Canada à Manille était un visa en cours de validité, étant donné qu’il n’était pas expiré[2]. À la page 24 de sa décision, la section d’appel a déclaré ce qui suit :

[traduction] Tous les facteurs qui précèdent et la différence qui existe entre la compétence que la Loi confère à la section d’appel lorsqu’elle se prononce sur le cas d’une personne qui serait titulaire d’un visa d’immigrant en cours de validité et la compétence que possède la section d’appel lorsqu’elle statue sur le cas d’un résident permanent qui a fait l’objet d’une mesure de renvoi—et qui peuvent tous les deux se retrouver dans leur situation respective en raison d’un changement de situation—m’amènent à conclure que l’expression « visa d’immigrant en cours de validité » s’entend d’un visa qui n’est pas expiré ou d’un visa qui n’a pas été révoqué.

Bien qu’elle ait statué que la mesure de renvoi prise contre le requérant était valide, la section d’appel a néanmoins accueilli son appel pour des raisons d’ordre humanitaire. La section d’appel a conclu sa décision en déclarant [à la page 30] :

[traduction] Comme l’appel est accueilli et que la mesure de renvoi prise contre l’appelant est annulée, la question qui se pose est bien sûr celle de l’effet d’une ordonnance prescrivant que l’appelant soit interrogé à titre de personne sollicitant l’admission à un point d’entrée. Comme l’appel est accueilli pour des raisons d’ordre humanitaire conduisant à la conclusion que l’appelant ne devrait pas être renvoyé du Canada lorsqu’il sera interrogé à un point d’entrée, il y a lieu de donner effet à la conclusion, ainsi qu’au visa qui lui a été délivré, de façon à lui accorder le droit d’établissement au Canada. J’ordonne donc également que l’appelant soit interrogé en tant que personne sollicitant l’admission à un point d’entrée.

Analyse

Je commence mon analyse par un examen des dispositions de la Loi et du Règlement sur l’immigration de 1978 qui sont pertinentes à la délivrance des visas. L’article 6 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 3] de la Loi énonce les principes généraux qui régissent la sélection des immigrants et sur le fondement desquels sont pris les règlements relatifs à la sélection fondée sur les liens familiaux et le statut de personne à charge. Les articles pertinents en ce qui concerne la catégorie de la famille sont le paragraphe 2(1) [mod. par DORS/93-44, art. 1], qui énonce la définition du terme « parent »; l’article 4 [mod., idem , art. 4], qui prescrit que la catégorie de la famille constitue une catégorie d’immigrants pour l’application du paragraphe 6(1) de la Loi; l’article 6 [mod. par DORS/79-167, art. 2; 82-702, art. 2; 83-675, art. 2; 84-140, art. 2; 88-286, art. 3; 91-157, art. 1; 92-101, art. 3; 93-44, art. 5; 94-242, art. 1], qui énonce certains critères et conditions applicables à la catégorie de la famille et, finalement, l’article 6.1 [édicté par DORS/93-44, art. 6], qui renferme d’autres conditions à respecter.

Le paragraphe 2(1) donne la définition suivante du terme « parent » :

2. (1) …

« parent » À l’égard d’un répondant, l’une des personnes suivantes :

a) son conjoint;

b) un fils à sa charge ou une fille à sa charge;

c) son père ou sa mère;

d) son grand-père ou sa grand-mère;

e) son frère, sa sœur, son neveu, sa nièce, son petit-fils ou sa petite-fille, orphelins âgés de moins de 19 ans et non mariés;

f) sa fiancée;

g) un enfant de moins de 19 ans qu’il a l’intention d’adopter et qui est, selon le cas :

(i) un orphelin,

(ii) un enfant abandonné dont les parents sont inconnus,

(iii) un enfant né hors mariage qui a été confié à un bureau de protection de l’enfance aux fins d’adoption,

(iv) un enfant dont les parents sont séparés et qui a été confié à un bureau de protection de l’enfance aux fins d’adoption,

(v) un enfant dont l’un des parents est décédé et qui a été confié à un bureau de protection de l’enfance aux fins d’adoption;

h) une personne apparentée, indépendamment de son âge ou de son lien de parenté avec le répondant, dans le cas où le répondant n’a pas de conjoint, de fils, de fille, de père, de mère, de grand-père, de grand-mère, de frère, de sœur, d’oncle, de tante, de neveu ou de nièce :

(i) soit qui est citoyen canadien,

(ii) soit qui est résident permanent,

(iii) soit dont il peut par ailleurs parrainer la demande d’établissement.

Je passe maintenant à l’article 9 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4] de la Loi, qui concerne la procédure et les conditions relatives aux demandes de visas. Les paragraphes 9(1) et (3) sont ainsi libellés :

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d’entrée.

(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l’agent des visas et produire toutes les pièces qu’exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

Par conséquent, le paragraphe 9(3) oblige la personne qui présente une demande de visa de répondre franchement aux questions que lui pose l’agent des visas avant qu’un visa ne lui soit délivré. En l’espèce, le requérant ne prétend pas que l’intimé n’a pas répondu franchement aux questions qui lui ont été posées par l’agent des visas à l’ambassade du Canada à Manille.

La section d’appel a conclu que l’intimé avait été franc du début à la fin. La section d’appel a également conclu que l’intimé croyait honnêtement que son parrainage était un parrainage conjoint, c’est-à-dire que sa sœur appuyait sa mère. Sur le fondement de cette conclusion, la section d’appel a conclu que [à la page 11] :

[traduction] Je suis convaincu que l’appelant croyait que son parrainage était un parrainage conjoint. Bien que l’appelant doive assumer la responsabilité de l’issue des événements, je suis convaincu qu’il n’avait pas l’intention de présenter la situation de façon trompeuse, mais plutôt qu’il a agi sur le fondement d’un malentendu honnête quant aux modalités de son parrainage et de ses responsabilités.

Je passe maintenant à l’article 12 du Règlement, qui se lit comme suit :

12. Un immigrant à qui un visa a été délivré et qui se présente pour examen devant un agent d’immigration à un point d’entrée, conformément au paragraphe 12(1) de la Loi, doit

a) si son état matrimonial a changé depuis la délivrance du visa, ou

b) si des faits influant sur la délivrance du visa ont changé depuis que le visa a été délivré ou n’ont pas été révélés au moment où le visa a été délivré,

établir

c) que lui-même et les personnes à sa charge, qu’elles l’accompagnent ou non, dans le cas où un visa a été délivré à l’immigrant conformément au paragraphe 6(1), à l’article 9 ou aux paragraphes 10(1) ou (1.1) ou 11(3) ou (4),

d) que lui-même et les personnes à sa charge qui l’accompagnent, dans tout autre cas,

satisfont, au moment de l’examen, aux exigences de la Loi, du présent règlement, du Règlement sur la catégorie désignée d’Indochinois, du Règlement sur la catégorie désignée d’exilés volontaires ou du Règlement sur la catégorie désignée de prisonniers politiques et de personnes opprimées, y compris les exigences relatives à la délivrance du visa.

L’alinéa 12b) du Règlement impose au titulaire d’un visa l’obligation de révéler à l’agent d’immigration, au point d’entrée, tous les faits pertinents influant sur la délivrance du visa qui ont changé depuis la date de la délivrance du visa ou qui n’ont pas été révélés au moment où le visa a été délivré. En conséquence, aux termes de l’alinéa 12b) du Règlement, l’intimé était obligé de divulguer à l’agent d’immigration à son arrivée à Vancouver que sa mère était décédée avant que son visa ne soit délivré par l’ambassade du Canada à Manille. Ainsi que je l’ai déjà déclaré, en réponse à une question que l’agent d’immigration lui a posé à Vancouver, l’intimé a révélé que sa mère était décédée avant la délivrance de son visa.

À cause de ce changement de situation, l’agent d’immigration a conclu que l’intimé était incapable d’établir qu’il satisfaisait aux exigences relatives à la délivrance de son visa. En conséquence, l’agent d’immigration a conclu que l’intimé n’était pas admissible au sens de la Loi et du Règlement. Cette conclusion n’est pas contestée.

Le fait que sa mère soit décédée avant la délivrance de son visa et le fait qu’il n’ait pas révélé ce fait à l’ambassade du Canada à Manille rend-il le visa de l’intimé invalide pour l’application du paragraphe 70(2) de la Loi?

En premier lieu, je pars du principe que le fait d’être titulaire d’un visa d’immigrant en cours de validité ne rend pas une personne automatiquement admissible au Canada au sens de la Loi. L’alinéa 19(2)d) de la Loi le précise dans les termes les plus nets. En voici le texte :

19. …

(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui :

d) soit ne se conforment pas aux conditions prévues à la présente loi et à ses règlements ou aux mesures ou instructions qui en procèdent, soit ne peuvent le faire.

L’alinéa 19(2)d) précise bien qu’une personne ne peut être admise que si, au moment de son entrée, elle se conforme aux conditions prévues à la Loi et à ses règlements. Ainsi donc, l’intimé devait convaincre l’agent d’immigration que, le 22 janvier 1992, il satisfaisait aux exigences de la Loi et de ses règlements, y compris les exigences relatives à la délivrance des visas. L’agent d’immigration a conclu que le requérant ne satisfaisait pas à ces exigences et il a rédigé le rapport visé à l’alinéa 20(1)a) de la Loi. À la suite de l’enquête qui s’est déroulée devant lui, l’arbitre a également conclu que l’intimé ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi et de ses règlements. Plus précisément, l’arbitre n’était pas convaincu que l’intimé pouvait être admis en tant que membre de la catégorie de la famille. Cette conclusion n’est pas contestée.

Je passe maintenant aux arrêts De DeCaro et Wong de la Cour d’appel fédérale. Le requérant soutient que la section d’appel [traduction] « a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’arrêt De DeCaro ». Le requérant affirme en outre que la section d’appel [traduction] « a commis une erreur de droit en n’accordant aucune importance à l’arrêt Wong de la Cour d’appel fédérale ».

Dans l’affaire De DeCaro, la décision de la majorité a été rendue par le juge Pratte, avec l’appui du juge Létourneau. Le juge Marceau était d’accord avec le juge Pratte pour dire que l’intimé ne pouvait être admis au Canada. Toutefois, les motifs que le juge Marceau a prononcés pour en venir à cette conclusion sont très différents de ceux qu’a rendus le juge Pratte.

On peut résumer les faits de cette affaire de la façon suivante. Au mois d’octobre 1988, un agent des visas a délivré un visa d’immigrant à Ignazio DeCaro ainsi qu’à deux (2) personnes à charge devant l’accompagner, à savoir sa femme et sa fille Kristle Julie DeCaro. Ignazio DeCaro est décédé avant de quitter la Colombie pour le Canada. Mme De DeCaro et sa fille n’ont pas informé les autorités de l’immigration de son décès. Mme De DeCaro est arrivée au Canada en compagnie de sa fille et d’un autre enfant, qui était né aux États-Unis et qui n’avait jamais obtenu de visa pour le Canada. À son arrivée au Canada, Mme De DeCaro a sollicité le droit d’établissement pour elle-même et ses deux (2) enfants. Ce droit lui a été refusé en vertu de l’alinéa 19(2)d). L’arbitre a conclu que, lorsqu’elle avait sollicité l’admission au Canada, Mme De DeCaro était titulaire d’un visa d’immigrant en cours de validité, étant donné que son visa n’avait pas été révoqué par les autorités compétentes. L’arbitre a conclu que le décès de M. DeCaro n’avait pas automatiquement invalidé le visa de Mme De DeCaro. L’arbitre a en outre conclu qu’il n’était pas nécessaire de se référer à l’article 12 du Règlement, étant donné que cette disposition n’édictait pas une condition d’admission et qu’en conséquence, sa violation n’entraînait pas l’inadmissibilité de l’intimée. La section d’appel s’est déclarée compétente pour entendre l’affaire et elle a rejeté l’appel interjeté par le ministre. La section d’appel a conclu qu’elle avait compétence parce que Mme De DeCaro avait obtenu régulièrement un visa d’immigrant qui n’avait jamais été révoqué ou annulé par les autorités compétentes. La question de la compétence qui était en litige dans l’affaire De DeCaro est la même que celle qui se pose en l’espèce.

À la suite de la décision de la section d’appel, le ministre a interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale. L’appel du ministre a été accueilli. Les juges Pratte et Marceau ont rédigé des motifs. Comme les motifs du juge Pratte diffèrent considérablement de ceux qu’a prononcés le juge Marceau, je les examinerai à tour de rôle.

Je tiens d’abord à bien préciser que le juge Pratte et le juge Marceau ont, pour des motifs différents, conclu que Mme De DeCaro ne pouvait être admise au Canada parce qu’elle ne pouvait pas, au point d’entrée, établir qu’elle satisfaisait aux exigences de l’article 12 du Règlement. Plus précisément, Mme De DeCaro a été jugée non admissible parce qu’elle ne pouvait plus satisfaire aux exigences relatives à la délivrance de son visa, en raison du décès de son mari.

La divergence d’opinion qui existe entre le juge Pratte et le juge Marceau concerne l’expression « titulaires d’un visa … d’immigrant en cours de validité » que l’on trouve à l’alinéa 70(2)b) de la Loi. Par suite de leur divergence de vues sur cette question, le juge Pratte a tranché la question en annulant la décision rendue par la section d’appel et en prononçant la mesure de renvoi que l’arbitre aurait dû prendre en vertu de l’alinéa 32(5)b) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11] de la Loi. Le juge Pratte a donc ordonné que Mme De DeCaro soit exclue du Canada.

Quant au juge Marceau, il a également annulé la décision rendue par la section d’appel mais, contrairement au juge Pratte, il a renvoyé le dossier à la section d’appel pour qu’elle examine la question de savoir si, pour des raisons d’ordre humanitaire, Mme De DeCaro ne devait pas être renvoyée du Canada. En d’autres termes, le juge Pratte était d’avis que la section d’appel n’avait pas compétence pour entendre l’appel de Mme De DeCaro, tandis que le juge Marceau estimait que la section d’appel possédait effectivement cette compétence.

Les motifs rédigés par le juge Pratte au sujet du sens de l’expression « titulaire d’un visa en cours de validité » se trouvent à la page 417 de sa décision :

L’intimée était-elle, lorsqu’elle a fait l’objet du rapport en vertu de l’article 20(1)a), titulaire d’un visa « en cours de validité »? L’expression « en cours de validité » laisse entendre qu’un visa, valide à l’origine, peut par la suite cesser de l’être. Avant la mort de son mari, l’intimée détenait certainement un visa valide même s’il s’agissait, comme je l’ai dit, d’un visa conditionnel; après ce décès, cependant, il était impossible que la condition dont le visa était assorti soit accomplie de sorte que ce visa était, dès lors, dénué de toute valeur. Ce n’était plus, à mon sens, un visa « en cours de validité ».

Le requérant m’exhorte en l’espèce à adopter ce point de vue. Sur ce point de vue, le requérant soutient que, comme le parrain de l’intimé est décédé avant la délivrance du visa, le visa n’était plus valide. Le requérant soutient en outre qu’en conséquence, lorsque l’intimé est arrivé au Canada, il n’était plus titulaire d’un visa d’immigrant en cours de validité et qu’en conséquence, la section d’appel ne pouvait plus entendre son appel en vertu de l’alinéa 70(2)b) de la Loi.

Je passe maintenant aux motifs prononcés par le juge Marceau. Tout d’abord, je tiens à souligner que je préfère les motifs du juge Marceau à ceux du juge Pratte. Le juge Marceau commence son analyse en déclarant que les concepts de « visa valide » et de « visa conditionnel », dont le juge Pratte parle dans ses motifs, ne se trouvent ni dans la Loi, ni dans le Règlement. À la page 419 de ses motifs, le juge Marceau écrit ce qui suit :

La Loi et le Règlement ne me semblent faire usage ni de cette notion de visa valide pouvant devenir invalide selon les circonstances, ni de cette notion de visa conditionnel requérant, pour avoir effet, la réalisation actuelle de la condition.

Le juge Marceau poursuit en expliquant que l’expression « visa valide » est employée habituellement dans la Loi au sens de « visa en cours de validité », c’est-à-dire, selon lui, au sens de visa non périmé. À la page 419 de ses motifs, il déclare :

Ni la Loi donc, ni le Règlement, où l’on retrouve le mot « validité » encore plus rarement (articles 14 [mod. par DORS/89-38, art. 2] et 50 [mod., idem, art. 22]) ne parlent de visa valide dans un sens autre que visa non périmé.

En ce qui concerne la notion de « visa conditionnel », le juge Marceau affirme que cette notion ne figure nulle part dans la Loi et dans le Règlement. Il affirme que la Loi et le Règlement parlent de conditions uniquement en ce qui concerne le droit d’établissement que confère le visa, et non en ce qui a trait au visa lui-même. À la page 420, il déclare :

L’officier, en accordant le droit d’établissement, impose des conditions qui, au cas de non-respect éventuel, donnent lieu à un rapport sous l’alinéa 27(1)b) de la Loi.

Il affirme également à la page 420 que :

Cette notion de visa émis conditionnellement, qui perdrait son effet automatiquement par le seul fait de l’inexécution ou de l’impossibilité d’exécution d’une condition, me paraît, je le dis avec égards pour mon collègue, étrangère à la Loi.

Le juge Marceau poursuit en déclarant qu’à son avis, la technique qu’on a utilisée pour couvrir les cas de changements dans la situation de l’immigrant entre le moment de la délivrance du visa et le moment de son arrivée à la frontière du pays est contenue à l’article 12 du Règlement[3].

Selon le juge Marceau, la délivrance du visa d’immigrant ne constitue pas l’octroi du droit d’établissement. Cette délivrance signifie simplement que l’agent des visas se trouvant à l’étranger s’est formé l’opinion que le requérant satisfaisait aux exigences de la Loi et du Règlement pour pouvoir être admis au Canada. Malgré cette délivrance, le requérant qui arrive au Canada doit convaincre l’agent d’immigration qu’il a le droit d’être admis au Canada. L’article 12 du Règlement impose à l’immigrant l’obligation de convaincre l’agent d’immigration qu’il satisfait aux exigences de la Loi et du Règlement ainsi qu’aux exigences relatives à la délivrance de son visa. Pour ce faire, l’immigrant doit révéler tout changement dans les faits qui ont pu influer sur la délivrance du visa qui est survenu entre la date de la délivrance du visa et la date de son arrivée au Canada. Qui plus est, le requérant doit divulguer tous les faits qui n’ont pas été révélés au moment où le visa a été délivré et qui auraient dû être portés à la connaissance de l’agent des visas à l’étranger.

Le juge Marceau souligne ensuite qu’il existe une discordance entre la version française et la version anglaise de l’article 12 du Règlement et qu’à son avis, la version anglaise doit être préférée. Il conclut ensuite cette partie de ses motifs en déclarant, à la page 423 :

Au contraire, la version anglaise prise à la lettre témoigne d’un système parfaitement logique, conforme aux principes généraux et d’application pratique relativement aisée. Car l’idée mise en œuvre est tout simplement qu’advenant un changement dans les faits qui ont pu influer sur la délivrance de son visa, le titulaire à l’entrée doit démontrer que ce changement n’a pas affecté sa capacité de satisfaire aux exigences d’octroi de son visa, de sorte que, même s’il était survenu avant l’examen de sa demande, il n’aurait pas conduit l’agent responsable à la refuser. La logique est sauvée, l’octroi du visa conserve une valeur, le travail de vérification de l’officier à l’entrée est limité au strict nécessaire. [Non souligné dans l’original.]

Voilà les motifs qui ont conduit le juge Marceau à conclure que la section d’appel avait effectivement compétence pour entendre l’appel de Mme De DeCaro. Bien qu’elle ne pût être admise au Canada parce qu’elle ne pouvait pas satisfaire aux exigences de l’article 12 du Règlement, Mme De DeCaro était titulaire d’un visa d’immigrant en cours de validité lorsque la mesure de renvoi a été prise contre elle.

Bien que, dans le cas qui nous occupe, le parrain de l’intimé soit décédé avant la délivrance du visa, je ne crois pas que ce fait changerait le raisonnement du juge Marceau, étant donné qu’il affirme dans les termes les plus nets, à la page 423 de ses motifs, que l’article 12 couvre les faits pertinents qui auraient dû être révélés au moment où le visa a été délivré à l’étranger. Je répète que le fait que l’intimé a obtenu un visa ne le rend pas admissible au Canada. Le fait qu’un requérant a menti ou a trompé les autorités à l’étranger peut avoir une incidence sur la question de savoir si la section d’appel est disposée à annuler la mesure de renvoi pour des raisons d’ordre humanitaire.

En l’espèce, la section d’appel a conclu qu’il y avait des raisons d’ordre humanitaire suffisantes pour annuler la mesure de renvoi prise contre l’intimé. La section d’appel en est arrivée à cette conclusion pour les motifs suivants :

i) lorsqu’il a présenté sa demande de résidence permanente, l’intimé satisfaisait aux critères relatifs au parrainage;

ii) à cause de [traduction] « son immigration imminente et du fait qu’il s’attendait à rejoindre sa famille au Canada pour s’y installer, M. Bruan a pris des mesures irrévocables pour mettre un terme à sa vie aux Philippines »;

iii) depuis son arrivée au Canada, l’intimé, qui est incapable de travailler au Canada, a fait du bénévolat à Winnipeg auprès de personnes handicapées intellectuellement et auprès de personnes atteintes d’une déficience physique;

iv) l’intimé a été honnête et franc du début à la fin et il croyait que le décès de sa mère n’était pas pertinent à son admission, étant donné que sa sœur continuait à appuyer sa demande.

Je passe maintenant à l’examen du second arrêt de la Cour d’appel fédérale, l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Wong. Dans cette affaire, une citoyenne canadienne avait accepté de parrainer son père et sa sœur, cette dernière à titre de fille non mariée à la charge de son père. Le père et la sœur ont été interrogés à Hong Kong, mais avant la délivrance de leur visa, le père est mort. Ni le parrain ni la sœur n’ont informé les autorités canadiennes à Hong Kong du décès du père et, n’étant pas au courant de cet événement, les autorités ont délivré des visas au père et à la sœur. Lorsque la sœur est arrivée au Canada, elle a menti à l’agent d’immigration. Toutefois, le certificat de décès du père a finalement été produit aux autorités.

À la suite d’une enquête, la sœur a été exclue du Canada. Elle a interjeté appel de la décision de l’arbitre devant la section d’appel, qui a statué qu’elle avait compétence pour entendre l’appel, étant donné qu’au moment de son établissement, la fille était titulaire d’un visa d’immigrant en cours de validité. La section d’appel a ensuite rendu une décision favorable à la fille pour des raisons d’ordre humanitaire. Le ministre a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la section d’appel sur l’unique question de la compétence. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel et a annulé la décision de la section d’appel au motif que celle-ci n’avait pas compétence pour entendre l’appel. Les motifs de la Cour ont été rendus par le juge MacGuigan qui, à la page 238, écrit ce qui suit :

La seule question que cette Cour a à trancher porte sur la compétence qu’à la Commission pour connaître de l’appel, et cette question dépend de celle de savoir si la fille à charge était titulaire d’un visa d’immigration en cours de validité. Notre examen de cette question se trouve, dans une grande mesure, entravé par le fait que, bien qu’elle ait reçu une signification en bonne et due forme de la tenue de cette audience, l’intimée n’a ni comparu en personne, ni ne s’est fait représenter par avocat, ce qui fait qu’aucun argument n’a été présenté pour répondre aux prétentions de l’appelant.

L’appelant a attiré notre attention sur la récente décision majoritaire rendue le 1er mars 1993 par cette Cour dans l’affaire Le ministère de l’emploi et de l’immigration c. Decaro (A-916-90). Quelle que soit la conséquence lorsqu’un élément sur lequel repose la délivrance cesse d’exister par la suite, nous sommes au moins convaincus que, lorsque, comme en l’espèce, la principale raison de la délivrance d’un visa a cessé d’exister avant sa délivrance, on ne peut dire d’un tel visa qu’il est « un visa d’immigrant en cours de validité ».

Le requérant soutient qu’on ne peut établir de distinction entre cette décision et la présente affaire. En revanche, l’intimé affirme que je ne suis pas lié par l’arrêt Wong de la Cour d’appel fédérale, étant donné que l’intimée (Mme Wong) n’avait pas comparu devant la Cour d’appel et qu’elle n’avait invoqué aucun moyen. En conséquence, la Cour n’avait pas l’avantage de connaître les moyens invoqués à l’encontre de ceux du ministre.

Ni l’arrêt Wong ni l’arrêt De DeCaro ne portait sur le décès d’un parrain. Dans l’affaire De DeCaro, M. DeCaro avait présenté une demande distincte et, après que sa demande eut été accueillie, un visa avait été délivré à sa femme parce qu’elle était une « personne à charge accompagnant » M. DeCaro. Dans l’affaire Wong, une demande de parrainage avait été présentée au nom de Mme Wong et de son père. Mme Wong avait obtenu un visa parce qu’elle faisait partie de la catégorie des filles non mariées à la charge de leur père. Bien que les faits de ces deux affaires diffèrent de ceux du cas qui nous occupe, je suis d’avis qu’on ne peut faire aucune distinction entre la présente affaire et les arrêts de la Cour d’appel, particulièrement l’arrêt Wong.

Bien que je préfère les motifs prononcés par le juge Marceau, je suis d’avis que je suis tenu de suivre le raisonnement du juge Pratte, et encore plus celui du juge MacGuigan suivant lequel lorsque, comme en l’espèce, la principale raison de la délivrance d’un visa a cessé d’exister avant sa délivrance, on ne peut dire d’un tel visa qu’il est « un visa d’immigration en cours de validité ». Il va sans dire que, lorsqu’il a prononcé ses motifs dans l’affaire Wong, le juge MacGuigan était au courant des motifs du juge Marceau.

Le point de vue exprimé par le juge Pratte et par le juge MacGuigan trouve également un appui dans un autre arrêt de la Cour d’appel fédérale, à savoir l’arrêt Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Gudino, [1982] 2 C.F. 40 Dans cette affaire, un immigrant avait présenté une demande en vue d’obtenir la résidence permanente. Par suite notamment d’une offre d’emploi qu’une compagnie aérienne canadienne lui avait faite, l’immigrant a obtenu suffisamment de points pour avoir droit au statut de résident permanent.

Avant la délivrance de son visa, l’immigrant a perdu son emploi à la compagnie aérienne. Au moment de la délivrance du visa, l’agent des visas n’était pas au courant du fait que l’immigrant avait perdu son emploi et l’immigrant ne lui a pas fourni spontanément ce renseignement. Le jour de la délivrance du visa, l’agent des visas a appris que l’immigrant n’avait plus de travail. Le lendemain, l’agent des visas a informé l’immigrant par téléphone que son visa était périmé et qu’il ne devait pas se rendre au Canada.

Malgré tout, l’immigrant a pris l’avion pour le Canada et a été admis sur la foi de son visa. Au point d’entrée, l’immigrant n’a pas informé l’agent d’immigration qu’il avait perdu son emploi avant la délivrance de son visa, ni qu’il avait été avisé à l’étranger que son visa était périmé et qu’il ne pouvait pas entrer au Canada.

La principale question litigieuse à trancher était celle de savoir si l’immigrant était une personne visée par l’alinéa 27(1)e) de la Loi [Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52], c’est-à-dire un résident permanent qui avait obtenu le droit d’établissement par des moyens irréguliers.

Dans ses motifs de jugement, le juge Heald a tenu les propos suivants, aux pages 43 et 44 :

Quant à la question de savoir s’il a utilisé des moyens irréguliers pour obtenir le droit d’établissement à titre de résident permanent, l’intimé fait valoir principalement que l’agent des visas a agi sans pouvoir en l’informant, le 24 janvier 1978, dans la conversation téléphonique susmentionnée, que le visa était périmé et qu’il ne devrait pas se rendre au Canada. L’avocat de l’intimé fonde cette prétention sur l’idée que la question d’emploi ou de non-emploi n’est pas un fait important, et que même si l’intimé avait révélé qu’il y avait un changement à cet égard, l’agent au point d’entrée eût été quand même obligé de le laisser entrer sur présentation du visa. L’avocat soutient que dès que l’intimé eut atteint le nombre de points d’appréciation requis, il avait droit à la délivrance du visa, et qu’il n’appartenait nullement à l’agent des visas de Mexico de l’annuler ou d’informer l’intimé de son annulation, puisque l’agent des visas était dessaisi une fois qu’il l’avait délivré.

Je ne suis pas du même avis. La Loi sur l’immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, et son Règlement d’application exigeaient que toute personne demandant à être admise au Canada fût en possession d’un « visa d’immigrant valable et non périmé ». J’estime qu’il découle nécessairement de l’emploi de l’expression « valable et non périmé » qu’un visa peut être révoqué et devenir invalide en raison de faits nouveaux. L’avocat de l’intimé fait toutefois valoir que le changement doit être un [traduction] « changement important » et que les changements importants sont seulement ceux qui pourraient faire qu’un immigrant autrement admissible en vertu de l’article 5 de la Loi sur l’immigration de 1970 devient inadmissible sous le régime de cet article.

J’estime que cet argument peut très bien aboutir à une interprétation trop restrictive des « faits nouveaux ». Toutefois, il ressort des faits de l’espèce que la perte d’emploi a eu pour conséquence de modifier la situation de l’intimé : d’abord admissible, il est devenu inadmissible à la résidence permanente. Sans les points attribués pour son « emploi réservé », il n’avait pas suffisamment de points pour être admissible à la résidence permanente. Par conséquent, il appartiendrait à la catégorie interdite visée à l’alinéa 5t ) de l’ancienne Loi qui déclarait inadmissibles :

5. …

t) les personnes qui ne peuvent remplir ni observer, ou qui ne remplissent ni n’observent, quelque condition ou prescription de la présente loi ou des règlements, ou des ordonnances légitimement établies aux termes de la présente loi ou des règlements.

Bien qu’aucune question n’ait été soulevée dans l’affaire en question au sujet de la compétence de la section d’appel, le juge Heald a déclaré dans les termes les plus nets qu’un visa pouvait être révoqué ou devenir invalide en raison d’un changement de situation. Les motifs du juge Heald s’accordent selon moi avec ceux qu’ont prononcés les juges Pratte et MacGuigan dans les arrêts De DeCaro et Wong.

Je suis par conséquent d’avis que la section d’appel a commis une erreur de droit en concluant qu’elle avait compétence pour entendre l’appel de l’intimé.

Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du requérant doit être accueillie. L’affaire sera renvoyée à la section d’appel pour qu’elle réexamine l’affaire en tenant compte des présents motifs.

À la clôture de l’audience, l’avocat de l’intimé a, conformément à l’article 83 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi, fait valoir que je devais certifier que la question suivante constitue une question grave de portée générale :

Dans quels cas, s’il en est, un visa par ailleurs valide cesse-t-il d’être valide et cette invalidité s’applique- t-elle dans le cas d’un changement de situation comme celui qui s’est produit en l’espèce ou dans l’affaire Wong?

Je ne considère pas que cette question constitue une question grave de portée générale. Ce qui constitue un changement de situation qui rend un visa invalide est une question qui doit être tranchée dans chaque cas par le juge des faits.

Le problème qu’on essaie de résoudre par la question proposée a déjà été réglé, selon moi, par la Cour d’appel dans les arrêts De DeCaro et Wong.

En l’espèce, ce que l’intimé demande en fait, c’est que la Cour d’appel réexamine les arrêts De DeCaro et Wong. Malheureusement pour l’intimé, on ne peut établir une distinction entre le cas qui nous occupe et les arrêts en question, qui tranchent en conséquence la question en litige en l’espèce.

Ainsi que je l’ai déjà précisé, si j’avais été libre de me prononcer sur cette question, j’aurais suivi le raisonnement du juge Marceau. Il ne m’est toutefois pas permis de le faire.

En conséquence, je ne certifie pas la question proposée.



[1] En fait, le visa n’a pas été joint à la lettre. On a demandé à l’intimé de passer le prendre à l’ambassade.

[2] La date d’expiration était le 19 mars 1992.

[3] En fait, l’art. 12b) du Règlement vise non seulement les changements qui se produisent entre la date de la délivrance du visa et la date d’arrivée au Canada, mais également tous les faits pertinents qui auraient dû être divulgués au moment où le visa a été délivré.

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