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[1995] 3 C.F. 656

T-1941-93

James L. Ferguson (demandeur)

c.

Arctic Transportation Ltd. et les propriétaires et toutes autres personnes ayant un droit sur les navires AMT Transporter, Arctic Nutsukpok, Arctic Immerk Kanotik, Arctic Kibrayok, Arctic Kiggiak, Arctic Tukta, Arctic Tender, Arctic Tender II et J. Mattson (défendeurs)

Répertorié : Ferguson c. Arctic Transportation Ltd. (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Vancouver, 8 et 29 août et 6 septembre 1995.

Droit international — Immunité des États — Requête en citation de la Commission du canal de Panama en qualité de tierce partie dans une action intentée par un ancien employé de cette dernière, en dommages-intérêts pour blessures subies pendant qu’il pilotait un chaland de la défenderesse à travers le canal — La Commission perçoit le péage et contrôle le mouvement des navires passant par le canal — L’art. 5 de la Loi sur l’immunité des États, prévoit que l’État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction « dans les actions qui portent sur ses activités commerciales » — Les activités de la Commission sont des activités commerciales — Elle n’est pas exemptée à titre d’« organisme d’un État étranger » puisque selon la définition de l’art. 2, pareil organisme doit être une entité juridique distincte — Ni le traité ni la loi relative au canal de Panama ne fait de la Commission une entité juridique distincte.

Pratique — Signification — Les défendeurs cherchent à citer la Commission du canal de Panama en qualité de tierce partie dans une action intentée par un ancien employé de cette dernière, en dommages-intérêts pour blessures subies pendant qu’il pilotait un chaland à travers le canal — Ni la Règle 307 des Règles de la Cour fédérale ni la Convention qui y est visée ne s’appliquent en l’espèce — La Convention régit la signification aux sujets de droit privé se trouvant dans un État signataire, non pas la signification aux gouvernements étrangers — Signification régie par l’art. 9(2) de la Loi sur l’immunité des États.

Pratique — Parties — Procédure de mise en cause — Requête en citation de la Commission du canal de Panama en qualité de tierce partie dans une action en dommages-intérêts pour blessures corporelles — La mise en cause est une procédure indépendante de l’action principale — La procédure de mise en cause, entre les défendeurs et la Commission, n’est pas une action en dommages-intérêts pour blessures corporelles, mais une action en indemnisation — La Commission tombe sous le coup de l’exception de l’art. 5 de la Loi sur l’immunité des États puisque l’action porte sur ses activités commerciales.

Requête des défendeurs qui cherchent à citer la Commission du canal de Panama en qualité de tierce partie dans une action intentée par un ancien employé de cette dernière, en

dommages-intérêts pour blessures subies pendant qu’il pilotait à travers le canal un chaland d’Arctic Transportation Ltd. La Commission est chargée de l’exploitation, de la gestion et de l’entretien du canal de Panama. Elle perçoit le péage et contrôle le mouvement des navires passant par le canal.

Se fondant sur le fait que la Commission se disait « organisme du pouvoir exécutif du gouvernement des États-Unis », les défendeurs ont invoqué l’alinéa 9(3)c) de la Loi sur l’immunité des États, aux termes duquel la signification à un organisme d’un État étranger se fait selon les règles de procédure ou de pratique applicables. Ils se sont conformés au règlement Federal Rules of Civil Procedure des États-Unis, sauf qu’ils n’ont pu signifier au procureur du district dans lequel l’action devait avoir lieu, puisque la Commission était assignée devant une juridiction canadienne.

La Commission fait valoir l’immunité par ce motif qu’elle fait partie du gouvernement d’un pays étranger. La Loi sur l’immunité des États, article 3, dispose que, sauf exceptions expressément prévues, les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction devant tout tribunal au Canada. Aux termes de l’article 5, l’État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction « dans les actions qui portent sur ses activités commerciales ». La Commission soutient à titre subsidiaire que l’article 5 ne vise que les différends commerciaux alors qu’il s’agit en l’espèce d’une action en dommages- intérêts pour blessures corporelles.

Il échet d’examiner si la Commission jouit de l’immunité de juridiction, si elle est un organisme d’un État étranger, et quelle est la loi applicable à la signification en l’espèce.

Jugement : il faut rejeter la requête.

L’article 5 s’applique pour priver la Commission de toute immunité. Ses activités sont des activités commerciales, et elle n’a pu démontrer qu’elle jouit de l’immunité de juridiction.

La procédure de mise en cause, entre les défendeurs et la Commission, n’est pas une action en dommages-intérêts pour blessures corporelles, mais une action en indemnisation. Les défendeurs concluent à la négligence de la Commission. La mise en cause est une procédure indépendante et séparée de l’action principale. L’article 5 prévoit que l’État étranger perd l’immunité de juridiction dans les actions qui portent sur ses activités commerciales, et non pas dans les actions commerciales. En l’espèce, l’action porte sur les activités commerciales auxquelles se livrait la Commission.

La signification à la Commission était irrégulière. Il est question à l’alinéa 9(3)c) des règles de procédure du ressort dans lequel l’action est intentée, en l’occurrence le Canada. En second lieu, c’est la définition d’organisme d’un État étranger à l’article 2 de la Loi sur l’immunité des États qui prévaut, et non pas la qualification que la Commission se donne à elle-même. Aux termes de cette définition, un organisme de l’État étranger doit être une entité juridique distincte. Les facteurs à prendre en considération pour décider s’il s’agit d’un organisme distinct sont : le degré de contrôle de l’État sur l’organisme, la question de savoir si celui-ci est habilité à ester en justice en son nom propre, et s’il est une entité juridique distincte. Le Traité du canal de Panama et la loi dite Panama Canal Act s’opposent à l’argument que la Commission est une entité distincte.

Ni la Règle 307 des Règles de la Cour fédérale ni la Convention qui y est visée ne s’appliquent en l’espèce. La Règle 307, qui prévoit la signification à une partie se trouvant à l’extérieur du Canada, fait partie d’un texte réglementaire. La Convention régit la signification aux sujets de droit privé dans un État signataire, non pas la signification à un gouvernement étranger. Le mode de signification qui s’impose en l’espèce est celui prévu au paragraphe 9(2) de la Loi sur l’immunité des États.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention relative à la signification et à la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, 15 novembre 1965, La Haye, 658 R.T.N.U. 163.

Federal Rules of Civil Procedure, U.S.C.S., Rule 4.

Loi sur l’immunité des États, L.R.C. (1985), ch. S-18, art. 2 « organisme d’un État étranger », 3, 5, 7(1), 9.

Panama Canal Act, 22 U.S.C.S. § 3601-3872 (1993).

Traité de 1977 entre les États-Unis d’Amérique et la République de Panama sur le canal de Panama.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 307 (mod. par DORS/92-726, art. 1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Ferranti-Packard Ltd. v. Cushman Rentals Ltd. et al. (1980), 30 O.R. (2d) 194; 115 D.L.R. (3d) 691; 19 C.P.C. 131 (H.C.); Trendtex Trading Corpn. v. Central Bank of Nigeria, [1977] 1 Q.B. 529.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Re Code canadien du travail, [1992] 2 R.C.S. 50; (1992), 91 D.L.R. (4th) 449; 92 CLLC 14,025; 137 N.R. 81.

DÉCISIONS CITÉES :

D & J Coustas Shipping Co. S.A. c. Cia de Navegacao Lloyd Brashileiro (1990), 48 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et autres, [1981] 1 R.C.S. 363; (1981), 121 D.L.R. (3d) 517; 35 N.R. 288; Ogdensburg Bridge& Port Authority v. Twp. of Edwardsburg, [1967] 1 O.R. 87; (1966), 59 D.L.R. (2d) 537 (C.A.).

REQUÊTE en citation de la Commission du canal de Panama en qualité de tierce partie dans une action intentée par un ancien employé de cette dernière, en dommages-intérêts pour blessures subies pendant qu’il pilotait un chaland à travers le canal. Requête rejetée.

AVOCATS :

Le demandeur n’était pas représenté à l’audience.

H. Peter Swanson pour les défendeurs.

Grant L. Ritchey pour la Commission du canal de Panama.

PROCUREURS :

McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour le demandeur.

Campney & Murphy, Vancouver, pour les défendeurs.

Fraser, Quinlan & Abrioux, Vancouver, pour la Commission du canal de Panama.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : Les défendeurs en l’espèce cherchent à citer la Commission du canal de Panama en qualité de tierce partie. La requête en instance porte sur le mode de signification à employer à l’égard de cet organisme et sur la question de savoir si, de toute façon, celui-ci n’est pas justiciable de la Cour.

Le demandeur, M. Ferguson, a intenté devant la Cour une action en dommages-intérêts pour blessures subies à bord d’un chaland, le AMT Transporter, qui se trouvait alors dans le canal de Panama et dont Arctic Transportation Ltd. était la propriétaire. Le demandeur était un pilote au service de la Commission du canal de Panama. Il ressort de l’interrogatoire préalable que celle-ci avait le contrôle des navires des défendeurs au passage du canal. C’est pourquoi les défendeurs cherchent à la citer en qualité de tierce partie.

La Commission du canal de Panama conteste la validité de la signification qui a eu lieu et déclare que de toute façon, elle n’est pas justiciable de la Cour. L’affirmation d’immunité est fondée sur l’assertion que la Commission du canal de Panama fait partie du gouvernement d’un pays étranger, savoir les États-Unis d’Amérique. J’examinerai en premier lieu l’immunité revendiquée parce que le statut de la Commission détermine le mode de signification requis ainsi que la question de savoir si, de toute façon, la signification ne serait qu’une démarche futile.

La Loi sur l’immunité des États, L.R.C. (1985), ch. S-18, article 3, dispose que, sauf exceptions expressément prévues, les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction devant tout tribunal au Canada. Aux termes de l’article 5 de la même loi, l’État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction « dans les actions qui portent sur ses activités commerciales ».

Je ne doute pas que les activités de la Commission du canal de Panama, telles qu’elles se rapportent aux faits de la cause, sont des activités commerciales. Elle est chargée de l’exploitation, de la gestion et de l’entretien du canal de Panama. Elle assure le passage des navires par le canal, service pour lequel elle perçoit des sommes considérables. Elle ne nie pas sérieusement qu’elle se livre, du moins en partie, à des activités commerciales. C’est à elle qu’il incombe de démontrer qu’elle jouit de l’immunité de juridiction, si c’est là le moyen qu’elle tient à faire valoir[1]. Elle ne l’a pas fait.

Les faits de la cause ne s’apparentent pas à ceux de la cause Re Code canadien du travail, [1992] 2 R.C.S. 50. Dans cette dernière affaire, l’activité commerciale supposée (l’emploi d’un personnel civil) n’était qu’une fonction périphérique de la principale activité de l’État étranger (le fonctionnement d’une base militaire). Il n’y avait donc pas perte d’immunité. En l’espèce, l’activité commerciale (la perception du péage pour le passage des navires par le canal) est au cœur des fonctions de la Commission et de ses rapports avec les défendeurs.

Ayant conclu que l’article 5 s’applique pour priver la Commission de toute immunité dont elle aurait pu normalement jouir, il n’est pas nécessaire que j’examine l’argument proposé par l’avocat de la Commission sur l’interprétation correcte du paragraphe 7(1)[2], savoir que celui-ci n’est pas applicable puisqu’il ne vise pas l’exploitation des navires du genre auquel se livrent les pilotes du canal de Panama, mais l’exploitation à plus long terme.

L’avocat de la Commission soutient cependant que, lors même que l’activité à laquelle se livre celle-ci est de nature commerciale, l’article 5 ne s’applique toujours pas puisque l’action intentée devant la Cour a pour objet l’indemnisation de blessures corporelles, alors que cet article ne vise que les différends commerciaux (par exemple rupture d’un accord de commerce). Je ne trouve pas cet argument convaincant. La procédure de mise en cause, entre les défendeurs et la Commission, n’est pas une action en dommages-intérêts pour blessures corporelles. Il s’agit d’une action en indemnisation par la Commission des dommages-intérêts que les défendeurs pourraient être condamnés à payer au demandeur. Les défendeurs concluent à négligence de la part de la Commission, et de ses préposés ou mandataires, dans l’inspection du navire AMT Transporter (appelé maintenant Arctic Tarsuit) avant et pendant son passage par le canal de Panama[3]. La mise en cause est une procédure indépendante et séparée de l’action principale, dans le cadre de laquelle elle est intentée. Elle est fondée sur des prétentions qui lui sont propres. Je ne vois pas dans la procédure de mise en cause intentée par les défendeurs, une action en dommages-intérêts pour blessures corporelles.

À supposer qu’elle le soit, je ne pense pas pour autant qu’elle échappe à l’application de l’article 5. Celui-ci prévoit que l’État étranger perd l’immunité de juridiction « dans les actions qui portent sur ses activités commerciales » [soulignement ajouté], et non pas dans les « actions commerciales ». En l’espèce, bien que l’action ait pour cause les blessures corporelles subies par un ancien pilote du canal de Panama, elle porte sur les activités commerciales auxquelles se livrait la Commission. Cela suffit pour mettre en jeu l’article 5.

Il ne reste plus qu’à examiner si la Commission est un élément d’un État étranger proprement dit, ou s’il en est un organisme. L’article 9 de la Loi sur l’immunité des États prescrit le mode de signification dans l’un et l’autre cas :

9. (1) La signification d’un acte de procédure introductif d’instance à l’État étranger, à l’exclusion de ses organismes, se fait :

a) selon le mode agréé par l’État;

b) selon le mode prévu à une convention internationale à laquelle l’État est partie;

c) selon le mode prévu au paragraphe (2).

(2) La signification mentionnée à l’alinéa (1)c) peut se faire par remise personnelle ou par envoi recommandé d’une copie de l’acte introductif d’instance au sous-secrétaire d’État aux Affaires extérieures ou à la personne qu’il désigne; le sous-secrétaire ou cette personne transmet à son tour cette copie à l’État étranger.

(3) La signification d’un acte introductif d’instance à un organisme d’un État étranger se fait :

a) selon le mode agréé par l’organisme;

b) selon le mode prévu à une convention internationale applicable à l’organisme;

c) selon les règles de procédure ou de pratique applicables.

(4) Dans les cas où la signification à un organisme d’un État étranger ne peut se faire conformément au paragraphe (3), le tribunal peut, par ordonnance, prescrire le mode de signification. [Non souligné dans le texte.]

Les défendeurs ont initialement essayé de signifier à la Commission du canal de Panama par lettre recommandée. L’avocat de cette dernière a informé celui des défendeurs que de l’avis de la Commission, cette signification était inopérante. L’avocat des défendeurs a alors opté pour le mode de signification prévu à l’alinéa 9(3)c) de la Loi sur l’immunité des États. C’est en se fondant sur la correspondance dans laquelle la Commission se disait « organisme du pouvoir exécutif du gouvernement des États-Unis » qu’il l’a considérée comme un organisme d’un État étranger, non pas comme un élément du même État. Après consultation d’un avocat américain, il a fait ce qu’il fallait pour signifier à un organisme du gouvernement des États-Unis, conformément au règlement de procédure appelé Federal Rules of Civil Procedure[4] des États-Unis. L’avis de mise en cause ayant été déjà signifié à la Commission elle-même, une copie en a été envoyée par lettre recommandée au procureur général des États-Unis à Washington, D.C. Les défendeurs n’ont pu se conformer à l’impératif prévu par le règlement dit United States Federal Court Rules de signifier au procureur du district dans lequel l’action devait avoir lieu, puisque la Commission n’était pas assignée devant une juridiction américaine. C’est pourquoi leur avocat a signifié l’avis au procureur du district de Columbia.

Je conclus que l’avocat de la Commission a eu raison de soutenir qu’il n’y a pas eu signification régulière. En premier lieu, il est certainement question à l’alinéa 9(3)c) des règles de procédure du ressort dans lequel l’action est intentée. Toute autre interprétation aboutirait aux difficultés qui confrontent les défendeurs en l’espèce : ils sont dans l’impossibilité d’observer les règles de procédure de la juridiction étrangère, lesquelles ont été conçues pour régir les procédures intentées dans le ressort de cette dernière. En second lieu, bien que la Commission se dise « organisme du pouvoir exécutif du gouvernement des États-Unis », c’est la définition d’organisme dans la Loi sur l’immunité des États, L.R.C. (1985), ch. S-18, qui prévaut, et non pas la qualification que la Commission se donne à elle-même. L’article 2 de la Loi porte :

2. …

« organisme d’un État étranger » Toute entité juridique distincte qui constitue un organe de l’État étranger.

Les précédents cités portent pour la plupart sur les efforts faits, avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immunité des États, pour déterminer si une entité était distincte de l’État étranger de façon à avoir à répondre de l’action intentée devant la juridiction saisie. Dans ce contexte, la Haute Cour de l’Ontario, dans Ferranti-Packard Ltd. v. Cushman Rentals Ltd. et al. (1980), 30 O.R. (2d) 194 [à la page 196], a rappelé le raisonnement tenu par lord Denning M.R. dans Trendtex Trading Corpn. v. Central Bank of Nigeria, [1977] 1 Q.B. 529, à la page 560, en ces termes :

[traduction] Je dois avouer que je ne vois aucune épreuve satisfaisante à part l’examen de la question de savoir quelles sont les fonctions de l’organisme en cause et qui le contrôle. Je ne pense pas que cette question doive dépendre de la loi étrangère seule. J’examinerais au contraire toutes les preuves pour décider s’il était sous contrôle gouvernemental et s’il exerçait des fonctions gouvernementales.

La Cour a ensuite examiné la loi organique de la New York Thruway Authority, dont le statut était en cause. Les facteurs qu’elle a examinés pour décider s’il s’agissait d’un organisme distinct étaient les suivants : le degré de contrôle de l’État sur l’organisme, la question de savoir si cet organisme était habilité à ester en justice en son nom propre, et s’il était une entité juridique distincte. La même démarche a été observée dans Ogdensburg Bridge& Port Authority v. Twp. of Edwardsburg, [1967] 1 O.R. 87 (C.A.).

En l’espèce, les défendeurs invoquent certains éléments du Traité de 1977 entre les États-Unis d’Amérique et la République de Panama sur le canal de Panama ainsi que la loi dite Panama Canal Act, 22 U.S.C.S. § 3601-3872 (1993), à l’appui de leur conclusion que la Commission est un organe « distinct » de l’État étranger.

En ce qui concerne le Traité, les défendeurs citent les dispositions prescrivant la nomination de citoyens panaméens au conseil d’administration de la Commission et prévoyant qu’après le 1er janvier 1990, l’administrateur général de la Commission doit être un citoyen panaméen. Ces nominations sont cependant faites par « les États-Unis d’Amérique ». Les dispositions du Traité relatives à l’administrateur général, savoir l’article III(3), alinéas (c) et (d), prévoient ce qui suit :

[traduction]

(c)  Les États-Unis d’Amérique emploieront, jusqu’au 31 décembre 1989, un citoyen des États-Unis d’Amérique aux fonctions d’administrateur général de la Commission du canal de Panama, et un citoyen panaméen aux fonctions d’administrateur général adjoint. À compter du 1er janvier 1990, un citoyen panaméen sera employé aux fonctions d’administrateur général et un citoyen des États-Unis d’Amérique, aux fonctions d’administrateur général adjoint. La République de Panama proposera les citoyens panaméens à nommer aux fonctions ci-dessus par les États-Unis d’Amérique.

(d)  Au cas où le citoyen panaméen serait renvoyé des fonctions d’administrateur général adjoint ou d’administrateur général par les États-Unis, la République de Panama proposera un autre citoyen panaméen à nommer à ce poste par les États-Unis d’Amérique. [Non souligné dans le texte.]

Les défendeurs, invoquant la nature des activités de la Commission, soutiennent qu’il ne s’agit pas là de fonctions étatiques normales. Il se trouve cependant que l’article III, paragraphe (4), du Traité prévoit que par ses activités, la Commission [traduction] « remplit les responsabilités et exerce les droits des États-Unis d’Amérique ». Les dispositions du Traité s’opposent donc à l’argument que la Commission est un entité distincte.

En ce qui concerne la loi dite Panama Canal Act, les défendeurs rappellent que la Commission est habilitée à conclure des baux pour ses bureaux et à contracter des emprunts. Cependant, le pouvoir de prendre à bail des bureaux est un pouvoir très limité, et le pouvoir d’emprunt se limite aux emprunts ne dépassant pas 400 000 000 $ auprès du Trésor américain (§ 3712a, § 3714).

Pour ce qui est du pouvoir d’ester en justice, celui que la Commission tient de la loi dite Panama Canal Act ne saurait être considéré comme tel. Elle est habilitée à régler à l’amiable les réclamations jusqu’à concurrence de 50 000 $, auquel cas le plaignant est réputé [traduction] « se désister entièrement de ses prétentions contre les États-Unis et contre tout employé des États-Unis qui, dans l’exercice de ses fonctions, est impliqué dans la matière qui a donné lieu à la réclamation » (§ 3761(c)). [Soulignement ajouté.] La Commission est habilitée à payer des dommages-intérêts dans certains cas : [traduction] « lorsque le préjudice tient directement à la négligence ou à la faute d’un cadre ou employé des États-Unis » (§ 3771(a), § 3775). Et l’acceptation par le plaignant d’une somme à lui versée est réputée [traduction] « pour solde de tout compte vis-à-vis des États-Unis d’Amérique ». Une disposition prévoit que si l’intéressé n’acquiesce pas au règlement offert par la Commission, il peut [traduction] « intenter une action contre la Commission devant la Cour de district des États-Unis pour le district Est de la Louisiane », laquelle action est subordonnée aux principes de droit qui s’appliquent [traduction] « aux actions de même nature entre un sujet de droit privé et un département ou organisme des États-Unis » (§ 3776). On peut lire encore dans la même disposition :

[traduction] § 3776. Actions fondées sur des réclamations

Toute somme à laquelle la Commission est condamnée dans une action visée à la présente section sera réglée uniquement sur les fonds autorisés ou affectés à l’entretien et à l’exploitation du canal de Panama. L’action en dommages-intérêts visée au présent article n’est recevable ni contre les États-Unis ou la Commission, ni devant aucune autre juridiction, si ce n’est conformément à ce qui est prévu au présent article; elle n’est recevable non plus contre aucun cadre ou employé des États-Unis ou de la Commission. [Non souligné dans le texte.]

C’est le président des États-Unis, non pas la Commission, qui fixe les taux de péage et établit les règles régissant le jaugeage des navires qui peuvent emprunter le canal (§ 3791). Les employés de la Commission sont soumis aux [traduction] « lois des États-Unis régissant les obligations et responsabilités des employés de l’administration fédérale » (§ 3622 (a)). Et l’article portant création de la Commission (§ 3611) dispose :

[traduction] § 3611. Commission du canal de Panama : création

Est établi dans la branche exécutive du gouvernement des États-Unis un organisme appelé Commission du canal de Panama… La Commission, sous la surveillance générale du conseil d’administration, … est chargée de l’entretien et de l’exploitation du canal de Panama ainsi que des installations et équipement y afférents. Le président exerce son autorité sur la Commission par le secrétaire à la Défense.

Comme noté, supra, les clauses du Traité ne sont d’aucun secours. Elles prévoient la création d’une commission mais ne disent pas si celle-ci fait partie intégrante du gouvernement des États-Unis ou en est un organe distinct. De même, les dispositions de la loi Panama Canal Act ne font pas ressortir une entité distincte au sens de la définition de l’article 2 de la Loi sur l’immunité des États. Elles ne prévoient ni entité juridique distincte, ni pouvoir général d’ester en justice, mais le pouvoir limité de régler à l’amiable des réclamations pour le compte du gouvernement des États-Unis, au moyen de fonds affectés à cette fin. La Commission n’est pas investie du pouvoir général d’emprunter de l’argent. Les obligations et responsabilités de ses employés sont celles des employés de l’administration fédérale. Le président conserve un large pouvoir de contrôle. L’activité de la Commission a sa source dans un traité international, aux termes duquel les responsabilités incombent au gouvernement des États-Unis. Il m’est impossible de conclure que la Commission est « un organe de l’État étranger ».

L’avocat des défendeurs, citant la Règle 307 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/92-726, art. 1)] et la Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale [658 R.T.N.U. 163], soutient que les actes de procédure, à supposer qu’ils n’aient pas été régulièrement signifiés sous le régime de l’alinéa 9(3)c) de la Loi sur l’immunité des États, ont été signifiés conformément aux alinéas 9(3)b) et 9(1)b). Le Canada et les États-Unis ont adhéré à la Convention susmentionnée.

La Règle 307 prévoit bien la signification à une partie se trouvant à l’extérieur du Canada, mais les Règles de la Cour fédérale sont un texte réglementaire et, à ce titre, ne sauraient primer un texte de loi. En fait, cette Règle prévoit expressément la signification en conformité avec la Convention relative à la signification et la notification à l’étranger, dans le cas où elle est effectuée dans un État signataire.

Je ne trouve cependant dans cette Convention aucune disposition régissant la signification à un gouvernement étranger. Ses dispositions sont centrées sur la signification aux sujets de droit privé. Elle ne se conjugue pas avec la Règle 307 pour primer le paragraphe 9(2) de la Loi sur l’immunité des États, ni pour donner ouverture au mode de signification visé à l’alinéa 9(1)b) de la même Loi. Je conclus que le mode de signification qui s’impose en l’espèce est celui prévu au paragraphe 9(2) de cette Loi.

En conséquence, la requête sera rejetée. Une prorogation de délai sera accordée aux fins de signification sous le régime du paragraphe 9(2). Si on pouvait soutenir que la comparution de l’avocat de la Commission à l’audition de la requête constitue un acquiescement à la compétence de la Cour, il ne s’agit là que d’une comparution conditionnelle, pour lui permettre de présenter ses arguments sur les questions d’immunité de l’État étranger et de signification. Je n’y vois donc pas un acquiescement volontaire.



[1] D & J Coustas Shipping Co. S.A. c. Cia de Navegacao Lloyd Brashileiro (1990), 48 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.).

[2] 7. (1) L’État étranger ne bénéficie pas, pour tout navire dont il est le propriétaire ou l’exploitant et qui était utilisé ou destiné à être utilisé dans le cadre d’une activité commerciale au moment de la naissance du droit d’action ou de l’introduction de l’instance, de l’immunité de juridiction dans les actions suivantes :

a) actions réelles contre le navire;

b) actions personnelles visant à faire valoir un droit se rattachant au navire.

[3] La compétence de la Cour en la matière a été définie par l’arrêt Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et autres, [1981] 1 R.C.S. 363.

[4] [traduction] Règle 4. Assignation

(i) Signification aux États-Unis, à ses organismes ou fonctionnaires.

(1) La signification aux États-Unis se fait :

(A) par remise d’une copie de l’assignation et de la plainte au procureur fédéral du district dans lequel l’action est intentée ou à un sous-procureur fédéral ou un fonctionnaire désigné à cet effet par le procureur fédéral par écrit déposé auprès du greffier de la juridiction compétente, ou par envoi d’une copie de l’assignation et de la plainte par lettre recommandée, avec ou sans accusé de réception, au clerc du contentieux civil au bureau du procureur fédéral, et

(B) par envoi d’une copie de l’assignation et de la plainte par lettre recommandée, avec ou sans accusé de réception, au procureur général des États-Unis à Washington, District de Columbia, et

(C) dans toute action attaquant la validité d’un ordre d’un fonctionnaire ou organisme des États-Unis, qui n’est pas nommé partie à l’action, par envoi recommandé, avec ou sans accusé de réception, d’une copie de l’assignation et de la plainte à ce fonctionnaire ou organisme.

(2) La signification à un fonctionnaire ou organisme des États-Unis se fait par signification aux États-Unis selon les modalités prévues au paragraphe (1) de la présente disposition, et aussi par envoi recommandé, avec ou sans accusé de réception, d’une copie de l’assignation et de la plainte à ce fonctionnaire ou organisme.

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