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[1995] 2 C.F. 609

T-1995-94

Textainer Equipment Management B.V. (demanderesse)

c.

Baltic Shipping Company et les navires Nikolay Golovanov, Akademik Gorbunov, Aleksandr Prokofyev, Aleksandr Starostenko, Aleksandr Ulyanov, Anatoliy Lunacharskiy, Anatoliy Vasilyev, Anna Ulyanova, Astrakhan, Baltiysk, Boris Zhemchuzhin, Budapesht, Dekabrist, Dmitriy Ulyanov, Evgeniy Mravinskiy, Georgiy Pyasetskiy, Georgiy Tovstonogov, Harry Pollit, Ilya Ulyanov, Inzhenier Bashkirov, Inzhenier Machulskiy, Ivan Chernykh, Ivan Derbenev, Kapitan Gavrilov, Kapitan Goncharov, Kapitan Khabalov, Kapitan Kanevskiy, Kapitan Kozlovskiy, Kapitan Primak, Kislovodsk, Kolomna, Kompozitor Musorgskiy, Komsomolsk, Kostroma, Krasnodon, Kronshtadt, Kudozhnik Pakhomov, Khudozhnik Romas, Lukhovitsy, Magnitogorsk, Mekhanik Konovalov, Mekhanik Yevgrafov, Murom, Nadezhda Krupskaya, Nadezhda Obukhova, Nikolay Krylenko, Nikolay Pogodin, Nikolay Tikhonov, Nikolay Tulpin, Novaya Ladoga, Novogrudok, Olga Ulyanova, Palekh, Pavlograd, Pavlovsk, Petr Masherov, Petrodvorets, Pioner Vyborga, Primorsk, Priozersk, Professor Tovstykh, Rostov, S. Kirov, Samarkand, Sestroretsk, Skulptor Konenkov, Skulptor Vuchetich, Skulptor Zalkalns, Smolensk, Stakhanovets Kotov, Stakhanovets Yermolenko, Sverdlovsk, Truskavets, Tykhon Kiselev, Ulan Bator, Valerian Kuybyshev, Vladimir Ilich, Warnemunde, William Foster, et les propriétaires et toutes autres personnes ayant un droit sur ces navires (défendeurs)

Répertorié : Textainer Equipment Management B.V. c. Baltic Shipping Co. (1re inst.)

Section de première instance, juge Nadon—Montréal 16 et 21 mars 1995.

Droit maritime — Pratique — Demande de modification de l’ordonnance portant versement, par prélèvement, à la demanderesse et à l’intervenante d’une partie du produit de la vente judiciaire des navires de la défenderesse Baltic — La Cour ne savait pas que d’autres réclamations importantes existaient contre Baltic — Il n’a pas été enjoint, en application de la Règle 1008, d’aviser d’autres réclamants éventuels qu’ils devaient déposer leurs réclamations dans le délai fixé, faute de quoi une fin de non-recevoir pourrait être opposée à celles-ci — La procédure prévue à la Règle 1008 doit être suivie à moins qu’il n’existe aucun risque réel qu’il soit porté préjudice aux droits des réclamants — La partie qui cherche à y déroger doit fournir tous les renseignements nécessaires à la Cour, faute de quoi l’ordonnance de celle-ci serait sujette à modification — La Cour peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire sur les fonds, les parties — Elle détient les fonds provenant de la vente judiciaire dans l’intérêt, non seulement du créancier saisissant, mais aussi de tous les créanciers — Il est ordonné à la demanderesse, à l’intervenante de remettre les fonds prélevés.

Il s’agit d’une demande de modification d’une ordonnance portant versement à la demanderesse Textainer et à Cronos Containers Limited, qui avait déposé un caveat dans les présentes procédures, de 3 millions de dollars américains prélevés sur le produit de la vente judiciaire de deux des navires de la défenderesse. Au moment où l’ordonnance a été rendue, il ne semblait pas qu’un préjudicie en résulterait parce que le solde des fonds (8 millions de dollars américains) suffirait à désintéresser d’autres réclamants éventuels. La Cour ne savait pas qu’il existait plusieurs autres réclamants ayant d’importantes réclamations contre Baltic et ses navires. Avant l’autorisation du versement par prélèvement, aucune ordonnance n’a été rendue sous le régime de la Règle 1008 des Règles de la Cour fédérale pour exiger d’informer d’autres réclamants éventuels qu’ils devaient déposer leurs réclamations dans un délai fixe, faute de quoi une fin de non-recevoir pourrait être opposée à celles-ci.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Baltic aurait dû fournir à la Cour un tableau complet de la situation des réclamations. Il y a lieu de déroger à la Règle 1008 seulement lorsque la Cour est convaincue, compte tenu des renseignements dont elle dispose, qu’il ne sera pas, selon toute probabilité, porté atteinte aux droits in rem (contre la chose) des autres réclamants éventuels. La Règle 1008 s’accorde avec la pratique en amirauté qui a actuellement cours aux États-Unis et au Royaume-Uni. La Cour, dans certains cas où de longs retards dans le dépôt de réclamations pourraient causer des difficultés au propriétaire de la chose, pourrait ordonner que les réclamations soient déposées dans un délai relativement court, c’est-à-dire un délai plus court que celui qui serait normalement donné aux réclamants. Mais lorsque des parties désirent déroger à la Règle 1008, la partie qui fait la demande doit fournir à la Cour tous les renseignements qui pourraient être pris en considération pour le prononcé de cette ordonnance. L’omission de le faire amènerait la Cour à modifier son ordonnance à l’occasion d’une demande. Bien que la Cour ne puisse révoquer ni modifier son ordonnance une fois des prélèvements faits sur le produit de la vente, lorsqu’elle a rendu l’ordonnance sans avoir l’avantage des renseignements pertinents, elle devrait et doit modifier son ordonnance si tant est qu’il soit possible de le faire. En l’espèce, la Cour ne s’est pas départie de tous les fonds. Aucun jugement n’a été rendu en faveur de Textainer et de Cronos, de sorte que, en fait, ces créanciers ont reçu une avance sur leur part des fonds. La Cour est toujours saisie du cas des deux créanciers, ce qui fait que la Cour est en mesure d’exercer son pouvoir discrétionnaire sur ces fonds et sur ces parties qui y prétendent. En outre, les deux créanciers ont pris des engagements envers la Cour relativement aux fonds qu’ils ont reçus.

La Cour d’amirauté détient les fonds découlant de la vente d’un navire non seulement dans l’intérêt du créancier saisissant, mais aussi dans l’intérêt de tous les créanciers. Elle ne récompense pas celui qui fait preuve de diligence, sauf lorsqu’un réclamant est coupable de négligence (laches).

Comme les navires ont été achetés à l’occasion d’une vente judiciaire, ils ont été achetés libres de tous les privilèges. Il est ordonné à Textainer et à Triton de remettre au prévôt les fonds qui leur ont été versés.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1008.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Point Landing, Inc. v. Alabama Dry Dock & Shipbuilding Co., 261 F.2d 861 (5th Cir. 1958); Leoborg (No. 2), The, [1963] 2 Lloyd’s Rep. 441; Stream Fisher, The (1926), 26 Ll. L.R. 4; Africano, The, [1894] P. 141; The William F. Safford (1860), Lush. 69; The Volant, 1 Wm. Rob. 383.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Textainer Equipment Management B.V. c. Baltic Shipping Co., [1995] F.C.J. no 47 (1re inst.) (QL).

DÉCISIONS CITÉES :

Markland, The (1871), 1 Asp. M.L.C. 44; Fairport (No. 4), The, [1967] 1 Lloyd’s Rep. 602.

DEMANDE de modification d’une ordonnance portant versement, par prélèvement, d’une partie du produit de la vente judiciaire de deux des navires de la défenderesse Baltic, l’ordonnance ayant été rendue sans que le juge ait été avisé de l’existence d’autres importantes réclamations contre la défenderesse et en l’absence d’une ordonnance sous le régime de la Règle 1008. Demande accueillie.

AVOCATS

John G. O’Connor pour la demanderesse et Cronos Container Ltd., opposante.

Sean J. Harrington pour les défendeurs Baltic Shipping Company et le navire Nikolay Golovanov.

Pierre G. Côté pour Container Applications International, opposante.

Richard Tarte pour Transamerica Leasing Inc., opposante.

Vincent M. Prager pour Triton Container International Ltd., opposante.

Marc de Man pour Canadien Pacifique Limitée, Soo Line Railway Company, opposantes, Matson Leasing Company Inc., Bridgehead Container Services Ltd., Trans Ocean Container Corp., réclamantes.

Jean-François Bilodeau pour Interpool Ltd., Mitsui & Co. Ltd., et Trac Lease Inc., réclamantes.

PROCUREURS :

Langlois, Robert, Gaudreau, Québec, pour la demanderesse, et pour Cronos Container Ltd., opposante.

McMaster Meighen, Montréal, pour les défenderesses Baltic Shipping Company et le navire Nikolay Golovanov.

Ogilvy Renault, Montréal, pour Container Applications International, opposante.

McDougall, Caron, Montréal, pour Transamerica Leasing Inc, opposante.

Gottlieb & Pearson, Montréal, pour Canadien Pacifique Limitée, Soo Line Railway Company Limited, opposantes, et pour Matson Leasing Company Inc., Bridgehead Container Services Ltd., Trans Ocean Container Corp., réclamantes.

Marler, Sproule, Castonguay, Montréal, pour Interpool Ltd., Mitsui & Co. Ltd. et Trac Lease Inc., réclamantes.

Stikeman, Elliott, Montréal, pour Triton Container International Ltd., opposante.

Brisset Bishop, Montréal, pour Uniship Hellas Shipping & Trading S.A., acheteurs des navires.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Nadon : Le 22 novembre 1994, j’ai ordonné la vente des navires du défendeur particulier, le Nikolay Golovanov et le Khudozhnick Romas, pour les sommes de cinq millions trois cent cinquante mille (5 350 000) dollars américains et de cinq millions soixante-quinze mille (5 075 000) dollars américains.

Le 22 novembre 1994, j’ai également ordonné que les sommes de deux (2) millions et de un (1) million de dollars américains soient versées, par prélèvement sur le produit de la vente des deux (2) navires, à la demanderesse Textainer et à Cronos Containers Limited, qui avaient déposé un caveat dans les présentes procédures.

Le 21 décembre 1994, j’ai entendu une demande présentée par Triton Container International (Triton) en vue d’obtenir une ordonnance qui lui permettrait d’intervenir dans les présentes procédures et qui modifierait cette partie de mon ordonnance du 22 novembre en vertu de laquelle trois (3) millions de dollars américains avaient été prélevés sur le produit de la vente.

Le 23 décembre 1994, j’ai rendu l’ordonnance suivante :

1.   L’audition de la demande de modification de mon ordonnance du 22 novembre 1994 est ajournée, pour la présentation d’autres arguments, au 17 janvier 1995, à Montréal, à 10 h.

2.   Il est loisible aux parties de déposer d’autres affidavits. Au cas où un contre-interrogatoire sur les affidavits s’imposerait, les parties s’efforceront de l’achever antérieurement au 17 janvier 1995.

3.   La demanderesse Textainer et l’opposante Cronos s’engageront envers la Cour, avant 17 h le 30 décembre 1994, à retourner au prévôt les sommes de 2 millions et de 1 million de dollars américains si la Cour l’ordonne lorsqu’elle se prononcera sur la demande de modification.

4.   Si Textainer et Cronos ne donnent pas l’engagement susmentionné, elles doivent sur-le-champ transférer ces sommes de 2 millions et de 1 million de dollars américains à leur avocat du cabinet Langlois, Robert, qui détiendra ces fonds en fiducie, dans un compte productif d’intérêt, jusqu’à ce que la Cour en ait décidé autrement.

5. Baltic Shipping Company déposera, dès que possible, mais avant le 17 janvier 1995, une liste des réclamants qui prétendent ou pourraient prétendre avoir droit à une part du produit de la vente des 2 navires vendus par suite de mon ordonnance du 22 novembre 1994. La liste indiquera la nature de la réclamation et la somme réclamée.

6.   Si une partie désire obtenir des directives ou désire présenter une demande découlant de la présente ordonnance, ou désire à la fois obtenir des directives et présenter une demande, elle peut le faire. Jusqu’à ce que la demande de modification ait été tranchée, je demeurerai saisi de l’espèce.

7.   La question des dépens sera abordée et tranchée lorsque je statuerai sur la demande de modification.

Le 17 janvier 1995, j’ai entendu d’autres arguments sur la demande présentée par Triton pour faire modifier mon ordonnance du 22 novembre 1994 et, lorsque les arguments eurent été présentés, je me suis réservé de rendre mon jugement. Mon jugement et mes motifs sont les suivants :

Ainsi que je l’ai fait savoir dans les motifs que j’avais invoqués pour rendre mon ordonnance du 23 décembre 1994 [[1995] F.C.J. no 47 (1re inst.) (QL)], j’ai ordonné le versement, par prélèvement, de trois (3) millions de dollars à Textainer et à Cronos parce qu’il m’a semblé que, en rendant l’ordonnance de prélèvement, aucun préjudice n’en résulterait. Autrement dit, j’ai estimé que le solde des fonds, presque huit (8) millions de dollars américains, suffirait à désintéresser d’autres réclamants éventuels. Baltic ne m’a pas fait savoir qu’il existait plusieurs réclamants qui avaient d’importantes réclamations contre elle et ses navires.

Je voudrais préciser, comme j’espère que je l’ai fait dans les motifs que j’ai prononcés pour rendre mon ordonnance du 23 décembre 1994, que je ne critique nullement le fait pour M. Harrington de ne m’avoir pas divulgué ces renseignements. Je suis certain que M. Harrington ne croyait pas que cette obligation lui incombait, et qu’il ne croyait pas non plus que ces renseignements étaient pertinents. Malheureusement, j’estime que ces renseignements étaient d’une grande importance, et qu’ils auraient dû être divulgués au moment de la présentation de la demande de prélèvement. Je peux dire sans risque d’erreur que, selon toute probabilité, si j’avais été mis au courant de ce que je sais maintenant, cette ordonnance de prélèvement n’aurait pas été rendue.

Peut-être aurais-je dû faire preuve de plus de vigilance et demander qu’on me donne ces renseignements. Quoi qu’il en soit, j’estime toujours que Baltic aurait dû me donner un tableau complet de la situation des réclamations.

Dans ses arguments très habiles, M. Harrington a souligné à mon intention que l’application de la Règle 1008 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] n’était pas obligatoire et que, par conséquence, la Cour avait le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance de prélèvement sans publier ou donner d’instructions afin d’aviser d’autres réclamants éventuels qu’ils devraient déposer leurs réclamations dans un délai fixe, faute de quoi une fin de non-recevoir pourrait être opposée à leurs réclamations.

En l’espèce, aucune ordonnance de ce genre n’a été rendue antérieurement à l’ordonnance portant autorisation du prélèvement de trois (3) millions de dollars américains. Aucune ordonnance de ce genre n’a été rendue puisque je n’étais pas au courant de l’existence de ces réclamations qui ont maintenant été déposées par suite de mon ordonnance du 10 février 1995.

À mon avis, on devrait déroger à la procédure prévue à la Règle 1008[1] seulement dans les cas où la Cour est convaincue, compte tenu des renseignements dont elle dispose, qu’il ne sera pas, selon toute probabilité, porté atteinte aux droits in rem (contre la chose) des autres réclamants éventuels.

M. Harrington soutient que, la valeur de la flotte de Baltic ayant été estimée à une somme dépassant sept cent cinquante (750) millions de dollars, l’éventualité d’un préjudice était peu probable. Si j’examinais des droits in personam, je serais (probablement) d’accord avec M. Harrington. Toutefois, je me trouve en l’espèce devant des droits in rem sur le produit de la vente de deux (2) navires.

La Règle 1008 s’accorde avec la pratique d’amirauté qui a actuellement cours tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni. Il ne saurait y avoir beaucoup de motifs qui justifient qu’on déroge à la procédure prévue par cette Règle, puisque son but précis est de protéger les personnes qui ont des réclamations contre la chose et le produit de la vente de celle-ci.

Dans Point Landing, Inc. v. Alabama Dry Dock & Shipbuilding Co., 261 F.2d 861 (5th Cir. 1958), la Cour d’appel américaine du cinquième circuit a, à la page 866, énoncé ce principe en des termes non équivoques :

[traduction] La libéralité dans l’autorisation des interventions reflète non seulement l’idée, en amirauté, de rendre justice en ne tenant compte que dans une faible mesure de questions formelles. C’est la reconnaissance de la conséquence inéluctable de la vente d’un navire dans une procédure in rem. La vente supprime les droits de tous ceux qui ne sont pas parties. Le titre de propriété transféré par le prévôt est opposable à tous. À moins qu’on ne donne à celui qui réclame un privilège la possibilité de faire valoir son droit sur le produit de la vente qui a été effectuée ou qui est en voie d’exécution, les droits sont à jamais et irrémédiablement perdus.

Dans Leoborg (No. 2), The, [1963] 2 Lloyd’s Rep. 441, le juge Hewson a précisé que la Cour d’amirauté favorisait la flexibilité de manière à permettre à tous les réclamants éventuels à l’égard de la chose de faire valoir leurs réclamations avant la répartition du produit de la vente.

À la page 443, le juge s’exprime en ces termes :

[traduction] Suite à l’avertissement que j’ai donné en audience publique, le paragraphe suivant a figuré dans « Lloyd’s List and Shipping Gazette » du 11 octobre 1963 :

AVERTISSEMENT DU JUGE STATUANT EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

Les réclamations contre le « Leoborg »

devraient être présentées sans délai.

Le juge Hewson, siégeant mercredi à la Cour d’amirauté, a conseillé aux réclamants à l’égard du navire-citerne Leoborg de présenter leurs réclamations sans délai.

Le Leoborg portait un numéro d’immatriculation du port de Landskrona (Suède) au moment où il a été saisi à Middlesbrough en janvier 1962. Le produit de sa vente s’élevait à 98 000.

Le juge a dit qu’il avait été informé par le greffier d’amirauté que, jusqu’à maintenant, 15 mandats avaient été lancés contre le Leoborg pour des réclamations de divers genres portant notamment sur des fournitures nécessaires, hypothèques, salaires, réparations, cotisations de retraite, salaires des capitaines et des services de remorquage.

De ces 15 réclamations, seulement sept avaient jusqu’à maintenant été présentées devant la Cour.

Il ajoute :

« Je ne rendrai aucune ordonnance à cet égard, mais je me permets de souligner qu’il est possible pour une partie qui a établi sa réclamation de s’adresser à cette Cour, par voie de requête, pour se faire payer et ce, malgré la préservation existante des ordres de priorité ».

Après avoir cité le jugement dans l’Ernst, 6 Ll. L.Rep. 353, le juge a ajouté : « Certes, je ne peux fixer aucune limite, mais j’ai indiqué une ligne de conduite de la part de ceux qui ont déjà présenté leurs réclamations afin de faire agir ceux qui n’ont pris aucune mesure. »

C’était il y a de plus de six semaines. Depuis lors, aucune autre réclamation n’a été présentée. Je répète, dans des actions en défaut de paiement, j’estime que le délai dans lequel les réclamations sont présentées contre le fonds doit avoir une limite raisonnable. Aucune règle stricte ne peut être posée quant au délai dans lequel les réclamations dans ces affaires devraient être présentées et traitées. Chaque cas est un cas d’espèce. Il me semble inconcevable que, dans une affaire où le premier jugement par défaut a été rendu il y a 21 mois, un réclamant ayant un rang de priorité élevé, tel le détenteur d’un privilège maritime ou d’une hypothèque, n’ait pas présenté sa réclamation à moins qu’il n’ait singulièrement fait preuve de négligence dans la poursuite de ses propres intérêts ou dans le suivi des mouvements de ce navire contre lequel des réclamations pouvaient être présentées.

Et il s’exprime en ces termes à la page 444 :

J’estime que la Cour devrait peut-être donner, ou tenter de donner, certains conseils aux parties dans les circonstances exceptionnelles qui ont étrangement eu lieu, et que les parties désirent peut-être en tenir compte dans cet ordre d’idées. Une partie ayant une réclamation pour laquelle il a obtenu un jugement devrait introduire une requête en fixation des ordres de priorité, auquel cas, cette requête devrait, à mon avis, être signifiée à toutes les parties à une procédure intentée contre ce navire devant la Cour. Il me semble que, dans les circonstances exceptionnelles qui ont eu lieu, la présentation de cette requête ne devrait pas avoir lieu avant l’écoulement d’un délai considérable, disons pas moins de deux mois à partir de la date d’émission de cet avis de requête. Je propose un tel long délai pour permettre aux parties d’envisager les mesures interlocutoires qu’elles désirent peut-être prendre. Il pourrait y avoir lieu à communication de documents et à tenue d’interrogatoires préalables, et si les parties ne pouvaient régler ces questions à l’amiable, elles pourraient alors s’adresser à la Cour.

Cette jurisprudence me rassure dans mon point de vue selon lequel la Règle 1008 devrait être suivie sauf lorsqu’il n’existe aucun risque réel qu’il soit porté atteinte aux droits des réclamants. La Cour, dans certains cas où de longs retards dans le dépôt de réclamations peuvent causer des difficultés au propriétaire de la chose, pourrait ordonner que les réclamations soient déposées dans un délai relativement court, c’est-à-dire un délai plus court que celui qui serait normalement donné aux réclamants.

Toutefois, lorsque des parties désirent déroger à la Règle 1008, il faut absolument que la partie faisant la demande fournisse à la Cour tous les renseignements qui pourraient être pris en considération pour le prononcé de cette ordonnance. Dans les cas où il n’y a pas de contestation de la part du propriétaire des navires, il serait peut-être plus difficile d’obtenir les renseignements appropriés concernant le nombre de réclamants éventuels et l’importance des réclamations.

Par contre, lorsque le propriétaire lui-même cherche à déroger à la Règle 1008, l’affaire prend, à l’évidence, un aspect très différent puisque le propriétaire est habituellement au courant du nombre et de l’importance des réclamations.

L’omission de fournir des renseignements pertinents amènerait la Cour, dans la plupart des cas, à modifier son ordonnance à l’occasion d’une demande de modification.

Au cours de son argumentation, M. Harrington m’a renvoyé aux décisions anglaises rendues dans les affaires Markland, The (1871), 1 Asp. M.L.C. 44; Stream Fisher, The (1926), 26 L1. L.R. 4 et Fairport (No. 4), The, [1967] 1 Lloyd’s Rep. 602, pour préconiser l’idée qu’une fois des prélèvements faits sur le produit de la vente, la Cour ne saurait révoquer ni modifier son ordonnance.

Tel que mentionné dans mon ordonnance du 23 décembre 1994, en principe, je suis d’accord avec cette affirmation. Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, la Cour a rendu son ordonnance sans connaître tous les renseignements pertinents, la Cour devrait et, à mon avis, doit modifier son ordonnance si tant est qu’il soit possible de le faire.

En l’espèce, la Cour s’est départie, non pas de tous les fonds, mais seulement d’une partie de ceux-ci. Aucun jugement n’a été rendu en faveur de Textainer et de Cronos, de sorte que, en fait, ces créanciers ont en pratique reçu une avance sur leur part des fonds. La Cour est encore saisie du cas de ces deux créanciers, ce qui fait que la Cour est toujours en mesure d’exercer son pouvoir discrétionnaire à l’égard de ces fonds et de ces parties qui prétendent y avoir un intérêt. En outre, les deux créanciers ont pris devant la Cour des engagements concernant les fonds qu’ils ont reçus.

Peut-être la situation aurait-elle été différente si des jugements avaient été rendus en faveur de Textainer et de Cronos, puisque la Cour serait dessaisie de leur cas.

M. Harrington soutient également que celui qui fait preuve de diligence devrait être récompensé. Il veut dire par là, je crois, que puisque Textainer (et Cronos) avaient agi promptement en saisissant cette Cour d’une action et en faisant saisir deux (2) navires de Baltic, l’avantage de leur acte ne devrait pas être transmis à d’autres réclamants.

Les anciennes décisions étayent quelque peu l’argument de M. Harrington. Il semble toutefois que la jurisprudence plus récente aille à l’encontre de l’ancien point de vue. Dans l’affaire Stream Fisher précitée, le juge Bateson se trouvait devant des réclamations concurrentes en matière de collision où l’un des réclamants dans cette affaire de collision estimait que la priorité devait correspondre à l’ordre dans lequel les collisions avaient eu lieu.

En tranchant la question, le juge a examiné l’ordre des réclamations en général. À la page 8, il fait les commentaires suivants :

[traduction] Voici, semble-t-il, le résultat quant à l’ordre de priorité des privilèges : En premier lieu, on pouvait avoir la priorité si l’on obtenait le premier un jugement. En second lieu, on pouvait avoir la priorité au moyen d’un privilège ultérieur, comme en matière de sauvetage et de prêt à la grosse aventure et, en troisième lieu, il existait des cas où les réclamations prenaient rang concurremment.

Le premier cas n’est pas du tout contesté en l’espèce parce que tous les jugements sont maintenant rendus sous réserve de la question de la priorité qui sera tranchée après.

Dans l’affaire Africano, The, [1894] P. 141, le président de la Division des successions, sir Francis Jeune, avait à trancher une question découlant des réclamations de deux concurrents qui prétendaient aux fournitures nécessaires. Aux pages 146 et 147, le juge a posé en ces termes la question à trancher :

[traduction] En l’espèce, l’unique point réellement soulevé pour décision est peut-être un point nouveau, mais il s’agit certainement d’un point précis, savoir si, lorsqu’un navire a été vendu et que le produit en a été consigné à la Cour, les réclamations relatives aux fournitures nécessaires à l’égard desquelles des actions ont été intentées, prennent, entre elles, rang de priorité selon l’ordre d’institution des actions.

Le juge commence à analyser en ces termes la question à la page 147 :

[traduction] Un groupe de réclamants a prétendu devant le greffier que l’ordre de priorité de répartition suivait l’ordre de priorité des mandats; l’autre groupe a soutenu que l’ordre de priorité de répartition suivait l’ordre de priorité des jugements. Dans un excellent rapport, le greffier a décidé que ni l’une ni l’autre des prétentions n’était fondée, et que le fonds devrait être réparti entre ces réclamants au prorata.

Le seul appel dont je sois saisi est celui interjeté par John Fry& Co., qui a, devant le greffier, penché en faveur de l’ordre de priorité des mandats.

Il ajoute qu’il ne saurait être d’accord avec aucun de ces arguments.

Et plus loin [à la page 148], il commente cette partie d’un jugement rendu par le juge Lushington, dans l’affaire The William F. Safford (1860), Lush. 69, où ce dernier s’exprime en ces termes :

[traduction] « La Cour encourage les plaideurs à exercer activement leur voie de recours, et accorde la préférence à la partie qui est, la première, en possession d’un jugement de la Cour. »

Sir Francis Jeune fait la remarque suivante à la page 148 :

[traduction] « Il n’est peut-être pas facile de comprendre pourquoi le juge Lushington, a limité, comme il semble l’avoir fait en l’espèce, les avantages de la priorité au jugement obtenu le plus tôt; mais il est clair qu’il a envisagé l’existence d’un jugement comme le seul acte attributif de priorité.

Puis, plus loin, le juge fait mention, à la page 149, des propos tenus par le juge Lushington dans l’affaire The Volant, 1 Wm. Rob. 383, et dit :

[traduction] Cela ne veut pas du tout dire que la Cour détient le bien pour ce demandeur, ou pour ce demandeur de préférence à d’autres de la même catégorie. Le meilleur point de vue, à mon avis, est que la Cour détient le bien, non seulement pour le premier demandeur, mais également pour, à tout le moins, tous les créanciers de la même catégorie qui font valoir leurs réclamations avant qu’un jugement inconditionnel ne soit rendu.

Et, finalement, à la page 150, il se prononce en ces termes :

[traduction] Actuellement, devant la cour, le jugement dans une action en fournitures nécessaires est conditionnel en tout état de cause, ou certainement, s’il y a lieu de supposer l’existence d’autres réclamations de même rang; et, alors même que le jugement serait dans une instance rendu en des termes inconditionnels, je suis porté à croire que tant que les fonds demeuraient aux mains de la Cour, ce jugement pourrait et devrait être modifié de manière à admettre d’autres personnes qui, sans négligence, présenteraient des réclamations d’un caractère semblable.

J’estime qu’il est donc clair que, selon cette jurisprudence, la Cour d’amirauté détient les fonds résultant de la vente d’un navire non seulement dans l’intérêt du créancier saisissant, mais aussi dans l’intérêt de tous les créanciers.

Cela étant, on ne saurait dire que la Cour d’amirauté récompense celui qui fait preuve de diligence, excepté lorsqu’un réclamant est coupable de négligence.

M. Harrington fait valoir devant moi que Baltic, Textainer et Cronos auraient pu conclure une entente particulière en vertu de laquelle, en contrepartie de leur mainlevée de la saisie des navires, Textainer et Cronos auraient reçu une partie du produit des ventes privées des deux (2) navires. Toutefois, ces ventes n’auraient pas touché les réclamants détenteurs de privilèges maritimes et les réclamants qui tenaient de la loi un droit de saisie à l’égard duquel des actions avaient été intentées avant les ventes. Quoi qu’il en soit, les ventes des deux (2) navires étaient des ventes judiciaires et, en conséquence, les acquéreurs ont acquis les navires libres de tous les privilèges.

Par ces motifs, la demande présentée par Triton pour faire modifier mon ordonnance du 22 novembre 1994 sera accueillie.

Il est ordonné à Textainer et à Triton de remettre les sommes de deux (2) millions et de un (1) million de dollars américains au prévôt au plus tard le 24 mars 1995. L’intérêt couru de ces sommes depuis que le prévôt les a payées sera porté au crédit de Baltic. Autrement dit, Textainer et Cronos peuvent conserver le montant d’intérêt comme s’il avait été versé par Baltic.



[1] La Règle 1008 se lit comme suit :

Règle 1008. (1) En cas de demande de versement par prélèvement sur de l’argent consigné au tribunal en vertu de la Règle 1007(7), la Cour aura le pouvoir de déterminer les droits de tous les réclamants sur cet argent et elle pourra rendre l’ordonnance et donner les instructions qui lui permettront de statuer sur les droits que possèdent tous les réclamants sur cet argent, et elle a également le pouvoir d’ordonner le versement à une personne de tout ou partie de cet argent selon ses conclusions.

(2) Aux fins d’une demande faite en vertu de l’alinéa (1), la Cour pourra, au moment où elle rend l’ordonnance de vente des biens à tout moment par la suite, donner des instructions au sujet des avis à donner aux autres réclamants éventuels et de cet argent, et au sujet de la publicité à faire à leur intention, au sujet du délai dans lequel les réclamants sont tenus de déposer leurs demandes et, d’une façon générale, au sujet de la procédure à suivre pour permettre à la Cour de statuer équitablement sur les droits des parties, et de rendre jugement sur une ou plusieurs demandes réclamant de l’argent consigné à la Cour; une fin de non-recevoir doit être opposée à toute demande qui n’est pas faite dans le délai fixé et de la manière prescrite par une telle ordonnance de la Cour, et la Cour pourra procéder au jugement des autres demandes et répartir l’argent entre les parties qui y ont droit sans tenir compte des demandes auxquelles une fin de non-recevoir a été ainsi opposée.

(3) Sur demande de ce genre, la Cour pourra ordonner le versement immédiat, par prélèvement sur l’argent consigné, au prévôt ou à une autre personne, en vertu de la présente règle, des droits gagnés ou frais engagés par eux à l’occasion de la saisie, de la garde, de l’évaluation ou de la vente de ces biens.

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