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[2000] 4 C.F. 98

A-275-98

Procureur général du Canada (appelant)

c.

Irène Marinos (intimée)

et

Alliance de la fonction publique du Canada (intimée)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Marinos (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins, Létourneau et Rothstein, J.C.A.—Ottawa, 1er février et 10 mars 2000.

Fonction publique — Compétence — Appel interjeté à l’encontre de la décision du juge des requêtes par laquelle celui-ci a rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’arbitre selon laquelle l’intimée Mme Marinos était fonctionnaire et que l’arbitre avait compétence pour instruire un grief — Mme Marinos a été nommée à son poste en vertu de l’art. 21.2 de la LEFP, qui prévoit qu’une personne peut être nommée pour une période ne dépassant pas 90 jours et que la LEFP ne s’applique pas à ces employés — L’intimée a signé trois contrats d’emploi consécutifs de 90 jours chacun — L’intimée a déposé un grief relativement à son congédiement, survenu pour des motifs d’ordre disciplinaire — Aux termes de l’art. 92 de la LRTFP, seul le « fonctionnaire » est autorisé à renvoyer un grief à l’arbitrage — L’art. 2(1) exclut de sa définition de « fonctionnaire » les personnes employées à titre occasionnel (al. g)) — L’arbitre a jugé que l’art. 21.2 était sans pertinence et a tenu compte des circonstances factuelles pour conclure que l’intimée n’était pas employée à titre occasionnel — Étant donné que l’expression « à titre occasionnel » n’est pas définie dans la LRTFP, il faut renvoyer à l’art. 21.2 de la LEFP — La rubrique intitulée « Emploi temporaire » sert à préciser le sens de l’art. 21.2 — L’art. 21.2 crée une catégorie d’employés temporaires distincts de ceux qui existent déjà, soit les employés nommés pour une période déterminée, ceux nommés pour une période indéterminée et les employés probatoires — Étant une employée temporaire aux termes de l’art. 21.2, Mme Marinos était employée à titre occasionnel au sens de la LRTFP et, partant, n’était pas habilitée à formuler un grief — La décision de l’arbitre est annulée pour défaut de compétence.

Interprétation des lois — Quel est le sens à donner à l’expression « à titre occasionnel » à l’al. g), qui constitue l’exception à la définition de « fonctionnaire » prévue à l’art. 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique? — Doit-elle être interprétée à la lumière de l’art. 21.2 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ou compte tenu des circonstances factuelles? — L’art. 21.2 prévoit qu’une personne peut être nommée pour une période ne dépassant pas 90 jours et que la LEFP ne s’applique pas à ces employés — À l’exception de la rubrique et de la note marginale qui indiquent « Emploi temporaire » et « Personnel temporaire », rien dans l’art. 21.2 ne laisse supposer que les personnes employées en vertu de cet article sont forcément des employés temporaires — Il existe une ambiguïté relative à l’interprétation de l’art. 21.2 de la LEFP lorsqu’on le lit de concert avec sa rubrique — La Loi d’interprétation ne vise pas les rubriques, mais la C.S.C. a statué qu’elles devaient être prises en compte lors de l’analyse du sens et de l’application d’une disposition — La version française de l’art. 21.2 comporte des anomalies; elle utilise des termes différents là où la version anglaise n’a recours qu’à un seul terme — Il s’agit là d’une contravention à la règle qui veut qu’un même terme en anglais soit rendu en français par le même terme — Application du principe favorisant la version cohérente — La rubrique précise le sens de l’art. 21.2 — Lorsqu’il a adopté l’art. 21.2 de la LEFP, le législateur a créé une catégorie distincte d’employés temporaires — Étant une employée nommée en vertu de l’art. 21.2 de la LEFP, l’intimée était employée à titre occasionnel aux termes de l’art. 2(1)g) de la LRTFP.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Norme de contrôle — Appel interjeté à l’encontre de la décision du juge des requêtes par laquelle celui-ci a rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’arbitre selon laquelle l’intimée était fonctionnaire et que l’arbitre avait compétence pour instruire un grief — Le juge des requêtes a commis une erreur en recourant au critère de la décision manifestement déraisonnable — La norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte — La question de savoir si l’intimée était « fonctionnaire » au sens de l’art. 92 de la LRTFP (seul le fonctionnaire est autorisé à déposer un grief) nécessite un examen de l’al. g), qui prévoit l’exclusion des personnes employées « à titre occasionnel » de la définition de « fonctionnaire » prévue à l’art. 2(1) — La question met en cause une disposition législative qui limite les pouvoirs du tribunal — Dans un tel cas, une simple erreur fait perdre compétence au tribunal et donne ouverture à la révision judiciaire — Il ressort clairement de l’art. 2(1)g) de la LRTFP que les termes « à titre occasionnel » renvoient à l’application de normes juridiques ayant une incidence sur la compétence de l’arbitre — L’arbitre doit se référer à la LEFP, qui régit les contrats d’emploi en l’espèce — L’arbitre ne possède pas une expertise quant à l’interprétation de la LEFP ou de la LRTFP, étant donné que la LRTFP ne lui confère pas une compétence exclusive pour déterminer quelles personnes sont employées « à titre occasionnel ».

Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision du juge des requêtes par laquelle celui-ci a rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par une arbitre qui estimait avoir compétence pour instruire le grief déposé par l’intimée Mme Marinos. Irène Marinos a été nommée en vertu du paragraphe 21.2(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP) à titre d’agent de correction. Le paragraphe 21.2(1) prévoit qu’une personne peut être nommée pour une période ne dépassant pas 90 jours. Le paragraphe 21.2(2) prévoit qu’une personne nommée aux termes du paragraphe 21.2(1) ne peut travailler dans la fonction publique plus de 125 jours dans une année. Le paragraphe 21.2(3) dispose que la LEFP ne s’applique pas à ces employés. La rubrique chapeautant l’article 21.2 indique « Emploi temporaire » et la note marginale accompagnant le paragraphe 21.2(1) indique « Personnel temporaire ». Mme Marinos a signé trois contrats d’emploi consécutifs s’étalant tous trois sur une période de 90 jours qui précisaient qu’il s’agissait d’« un emploi temporaire ». Elle a été congédiée pour des motifs d’ordre disciplinaire le 17 juillet 1996. Elle a déposé un grief relativement à son congédiement, qui a d’abord été rejeté au motif que Mme Marinos n’était employée qu’à titre occasionnel et qu’elle ne pouvait formuler de grief. L’intimée a renvoyé son grief à l’arbitrage. Le paragraphe 92(1) de la LRTFP prévoit que seul le « fonctionnaire » est autorisé à renvoyer un grief à l’arbitrage. Le paragraphe 2(1) de la LRTFP exclut de sa définition de « fonctionnaire » les personnes employées « à titre occasionnel ». En déterminant si l’intimée était fonctionnaire aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP), de manière à se prononcer sur sa propre compétence pour instruire un grief, l’arbitre a jugé que l’article 21.2 de la LEFP était sans pertinence. Elle a tenu compte des circonstances factuelles entourant l’emploi de l’intimée, plus particulièrement du caractère constant et continu de son emploi. L’arbitre a statué que l’intimée n’était pas « employée […] à titre occasionnel » et qu’elle était par conséquent autorisée à déposer, aux termes de la LRTFP, un grief à l’encontre de son congédiement.

Les questions en litige sont : (1) quelle est la norme de contrôle appropriée à laquelle le juge des requêtes aurait dû recourir pour statuer sur la demande dont il était saisi?; (2) la personne employée aux termes de l’article 21.2 de la LEFP est-elle, par définition, employée à titre occasionnel au sens de la LRTFP?

Arrêt (le juge Rothstein étant dissident) : l’appel est accueilli.

Le juge Desjardins, J.C.A. (le juge Létourneau, J.C.A., souscrit à son opinion) : (1) Le juge des requêtes a commis une erreur en recourant au critère de la décision manifestement déraisonnable lorsqu’il a examiné la décision de l’arbitre. La norme de contrôle appropriée était celle de la décision correcte. Il incombait à l’arbitre de statuer si Mme Marinos était « fonctionnaire » au sens de l’article 92 et, à cette fin, elle devait se référer à la définition de « fonctionnaire ». Cette question mettait en cause une disposition législative « qui limite les pouvoirs du tribunal ». Dans un tel cas, une simple erreur fait perdre compétence au tribunal et donne ouverture à la révision judiciaire. Il ressort clairement de la lecture de l’alinéa 2(1)g) de la LRTFP que les termes « à titre occasionnel » renvoient à l’application de normes juridiques ayant une incidence sur la compétence de l’arbitre. L’arbitre est tenue de consulter des sources externes à celles qui établissent sa « compétence » et de se référer à la LEFP, qui régit les contrats de Mme Marinos. L’arbitre ne peut prétendre posséder une expertise quant à l’interprétation de la LEFP ni prétendre en avoir une quant à la LRTFP, étant donné qu’aucune disposition de la LRTFP ne lui confère une compétence exclusive pour déterminer quelles personnes sont employées « à titre occasionnel ». L’arbitre ne peut commettre d’erreur de droit à cette étape-ci; elle doit rendre une décision correcte.

(2) Étant donné que la LRTFP ne comporte aucune définition des termes « à titre occasionnel », il faut se reporter à l’article 21.2 de la LEFP, disposition en vertu de laquelle Mme Marinos a été embauchée.

Les notes marginales ne font pas partie du texte de loi, n’y figurant qu’à titre de repère ou d’information. Les rubriques ne sont pas visées par la Loi d’interprétation; cependant la Cour suprême du Canada a statué qu’elles devaient être prises en compte lors de l’analyse du sens et de l’application d’une disposition. À l’exception de la rubrique chapeautant l’article 21.2 de la LEFP intitulée « Emploi temporaire » (« Casual Employment ») et de la note marginale accompagnant le paragraphe 21.2(1) indiquant « Personnel temporaire » (« Casual employment »), rien dans le corps de l’article 21.2 de la LEFP ne laisse supposer que les personnes employées en vertu de cet article sont forcément des employés temporaires. Il existe par conséquent une ambiguïté relative à l’interprétation de l’article 21.2 de la LEFP lorsqu’on le lit de concert avec ses rubriques.

La version française de l’article 21.2 comporte en soi un certain nombre d’anomalies. La rubrique de la version française de l’article 21.2 s’intitule « Emploi temporaire » et la note marginale du paragraphe 21.2(1) indique « Personnel temporaire », alors que la version anglaise a recours à la même expression dans les deux cas : « casual employment ». On retrouve dans la version française du corps du libellé de la LRTFP l’expression « employée à titre occasionnel », là où la version anglaise a recours à l’expression « on a casual basis ». La personne qui a rédigé la version française a contrevenu à la règle qui veut qu’un même terme en anglais soit rendu par un même terme en français, compte tenu du fait que la version anglaise demeure constante. Cependant, l’application du principe favorisant la version cohérente soulève la question du poids à accorder à la rubrique dans l’interprétation de l’article même. On ne peut faire fi de la rubrique. Elle précise le sens de la disposition. Le législateur avait l’intention de ne traiter que de l’« emploi temporaire » lorsqu’il a adopté l’article 21.2 de la LEFP. Le législateur a créé une catégorie d’emploi distincte de celles qui étaient déjà prévues, soit l’emploi pour une période déterminée, pour une période indéterminée et pour une période probatoire. Cette catégorie d’emploi est l’emploi temporaire, et l’emploi de Mme Marinos relevait de cette catégorie.

La modification apportée en 1992 à la définition de « fonctionnaire », à l’alinéa 2(1)g) la LRTFP, visait à la rendre compatible avec l’article 21.2 de la LEFP.

Étant une employée temporaire aux termes de l’article 21.2 de la LEFP, Mme Marinos se trouvait à être, sous le régime de la LRTFP, employée « à titre occasionnel ». Mme Marinos possédait par conséquent le statut d’employée temporaire au moment de son embauche. Quant à savoir si ce statut a été maintenu au cours de ses trois périodes d’emploi, étant donné que l’argument subsidiaire de l’intimée selon lequel Mme Marinos était effectivement employée pour une période de plus de 90 jours et que ses trois contrats d’emploi distincts n’étaient que des fictions juridiques n’a pas été présenté à l’arbitre, la cour qui siège en appel d’une demande de contrôle judiciaire ne peut tirer une conclusion de fait que seule l’arbitre aurait pu tirer, en supposant que l’argument lui ait été présenté en temps utile.

Le juge Rothstein, J.C.A. (dissident) : (1) Le présent appel soulève une question juridique fondamentale comportant une valeur jurisprudentielle significative. La question juridique qui se pose ne met pas en cause l’expertise de l’arbitre, étant donné qu’aucune clause privative ne s’applique. On a déjà conclu que l’interprétation du terme « fonctionnaire », défini au paragraphe 2(1) de la LRTFP, soulevait une question de compétence susceptible de contrôle judiciaire. Selon la méthode fonctionnelle et pragmatique, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte.

(2) L’article 21.2 de la LEFP ne précise pas le sens de l’expression « employées à titre occasionnel » dans la LRTFP. La détermination quant à savoir si une personne est employée à titre occasionnel doit être fondée sur un examen des faits liés à l’emploi. Le fait que la personne ait été employée en vertu de l’article 21.2 n’est qu’un facteur à considérer parmi d’autres.

L’article 21.2 crée une catégorie distincte d’emploi, cette dernière étant composée des personnes qui sont nommées en vertu de cette disposition pour une période ne dépassant pas 90 jours et qui ne sont pas employées dans la fonction publique plus de 125 jours au cours d’une année. Le législateur avait l’intention de faire en sorte que le gouvernement ne soit pas tenu, à l’égard de ces employés, de se conformer aux autres dispositions de la LEFP, telles que le respect du principe du mérite en ce qui concerne les nominations, au motif qu’une telle observance des règles était considérée inutile pour des employés engagés à court terme. La disposition en tant que telle possède donc un objet, sans pour autant qualifier l’emploi d’« emploi temporaire ». Aucune raison apparente ne semble justifier la nécessité d’interpréter l’article 21.2 comme définissant l’expression « emploi temporaire » aux fins de la LEFP.

L’article 21.2 n’est pas en soi ambigu. En dépit du fait que la rubrique indique « Casual Employment », on ne retrouve pas dans le libellé de l’article 21.2 les termes « casual » (temporaire), « casual employment » (emploi temporaire) ou « casual employee » (employé temporaire). La rubrique ne peut être interprétée comme si elle faisait partie intégrale de l’article 21.2, ni pour créer une ambiguïté dans une disposition qui n’en comporte pas. L’article 21.2 ne fournit donc aucune définition relative à l’emploi temporaire dans la LEFP.

En outre, rien dans l’article 21.2 ne donne à penser que le législateur avait l’intention de rendre cette disposition applicable à la LRTFP. L’article 21.2 visait à soustraire les personnes nommées en vertu du paragraphe 21.2(1) à l’application des autres dispositions de la LEFP. Le législateur s’est résolument attardé sur la portée de l’article 21.2 et n’a fait aucune mention visant à soustraire les personnes nommées en vertu de l’article 21.2 à l’application de la LRTFP, même s’il lui aurait été relativement simple de le faire. Le fait qu’une personne soit nommée pour une période limitée aux termes de l’article 21.2 ne signifie pas qu’elle soit employée à titre occasionnel, selon le sens que les tribunaux ont donné à cette expression. L’approche qu’ont adoptée les tribunaux en vue de déterminer ce qui constitue un emploi temporaire a été d’examiner les modalités de l’emploi, et non simplement sa durée. La disposition voulant qu’une personne employée à titre occasionnel ne puisse revendiquer le statut de fonctionnaire aux fins de la LRTFP existe depuis 1967. Avant l’adoption de l’article 21.2 de la LEFP en 1992, la question de savoir si une personne était employée à titre occasionnel devait être tranchée par un conseil d’arbitrage sur la base des faits pertinents à l’emploi de la personne. Si le législateur avait eu l’intention, quant à la LEFP, de supplanter les nombreux facteurs à considérer au bénéfice d’un seul — la courte durée de l’emploi — pour la détermination de ce qui constitue une personne « employée […] à titre occasionnel » aux fins de la LRTFP, il aurait introduit l’article 21.2 sous une forme définitionnelle et aurait expressément renvoyé à la LRTFP.

Il n’existe aucun renvoi manifeste entre les deux lois. Même si les deux Lois font partie du régime législatif qui régit les relations entre les fonctionnaires et le gouvernement fédéral, il serait particulièrement inapproprié de se référer à un article d’une loi pour expliquer un terme d’une autre loi lorsque le seul lien entre les deux consiste en une similarité du libellé de la rubrique dans la première loi et des termes employés dans la seconde loi. Il serait d’autant plus inapproprié de le faire en l’espèce car si le législateur avait eu l’intention, à l’article 21.2, de définir l’expression « employées à titre occasionnel » aux fins de la LRTFP, il aurait assurément utilisé la même terminologie pour la rubrique chapeautant l’article 21.2 que celle utilisée pour la définition de l’expression « employées à titre occasionnel » contenue dans la LRTFP. Il ne l’a pas fait, même si la loi qui a introduit l’article 21.2 a également modifié l’alinéa g) de la définition de « fonctionnaire », qui exclut les employés temporaires de l’application de la LRTFP. Le législateur a examiné les deux dispositions en parallèle, mais n’a pas tenté d’uniformiser la terminologie française dans la rubrique chapeautant l’article 21.2 de la LEFP et dans les termes employés à l’alinéa g) de la définition de « fonctionnaire » contenue dans la LRTFP. Si le but du législateur n’avait été que de rendre l’alinéa g) compatible avec l’article 21.2 en modifiant l’alinéa g) de la définition de « fonctionnaire », celui-ci en aurait certainement fait état, vu qu’il procédait à la modification de la LRTFP et de la LEFP en même temps. En omettant d’inclure la durée de l’emploi dans la définition d’« emploi temporaire » à l’alinéa g), le législateur avait vraisemblablement l’intention de laisser à un arbitre le soin de décider si l’emploi était temporaire, à la suite d’une appréciation ponctuelle des circonstances de l’emploi.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12, 13, 14.

Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 2(1) « fonctionnaire », (2), 5, 8, 21.2 (édicté par L.C. 1992, ch. 54, art. 16), 24, 25, 28 (mod., idem, art. 18).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 13.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 2(1)g) « fonctionnaire » (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 32), (2) (édicté, idem), 92(1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Komo Construction Inc. et autre c. Commission des Relations du Travail du Québec et autre, [1968] R.C.S. 172; (1967), 1 D.L.R. (3d) 125; U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; (1988), 35 Admin. L.R. 153; 95 N.R. 161; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; (1984), 9 D.L.R. (4th) 161; 11 C.C.C. (3d) 481; 53 N.R. 169; 3 O.A.C. 321.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80 D.L.R. (4th) 520; 48 Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017; 123 N.R. 161; Roussy c. Ministre du Revenu national (1992), 148 N.R. 74 (C.A.F.); Miln-Bingham Printing Co. Ltd. v. The King, [1930] R.C.S. 282; [1930] 2 D.L.R. 263.

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Société canadienne des postes c. S.P.C., [1989] 1 C.F. 176 (1987), 46 D.L.R. (4th) 716; 88 CLLC 14,006; 82 N.R. 249 (C.A.); Skoke-Graham et autres c. La Reine et autre, [1985] 1 R.C.S. 106; R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759; (1999), 179 D.L.R. (4th) 385; 139 C.C.C. (3d) 193; 29 C.R. (5th) 1; 248 N.R. 44.

DOCTRINE

Beaupré, Rémi Michael. Interpreting bilingual Legislation, 2nd ed. Toronto : Carswell, 1986.

Canada. Manuel de Conseil du Trésor. Gestion du personnel : rémunération, ch. 1-1, appendice A. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1996.

APPEL interjeté à l’encontre de la décision du juge des requêtes par laquelle celui-ci a rejeté une demande de contrôle judiciaire (Canada (Procureur général) c. Marinos (1998), 150 F.T.R. 20 (C.F. 1re inst.)) de la décision de l’arbitre selon laquelle l’intimée Mme Marinos, nommée en vertu de l’article 21.2 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique pour trois périodes consécutives d’emploi de 90 jours chacune, n’était pas employée « à titre occasionnel » et ainsi exclue de la définition de « fonctionnaire » prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (Marinos et Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada — Service correctionnel), [1997] C.R.T.F.P.C. no 47 (QL)). Appel accueilli (le juge Rothstein, J.C.A., étant dissident).

ONT COMPARU :

André Garneau, c.r., et Harvey A. Newman pour l’appelant.

Andrew J. Raven pour l’intimée l’Alliance de la fonction publique du Canada.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour l’intimée l’Alliance de la fonction publique du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Desjardins, J.C.A : Le présent appel soulève la question de savoir quel sens donner aux termes « on a casual basis » (« à titre occasionnel »), que l’on trouve à l’alinéa 2g) [Note de l’arrêtiste : Par suite des modifications apportées par L.C. 1992, ch. 54, art. 32, l’article 2 est devenu le paragraphe 2(1). L’alinéa 2g) est donc l’alinéa g) de la définition de « fonctionnaire » du paragraphe 2(1)] de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[1] (ci-après la LRTFP). Plus particulièrement, il s’agit de savoir si ces termes devraient être interprétés à la lumière de l’article 21.2 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique[2] (ci-après la LEFP), ou s’ils devraient être interprétés indépendamment de cette disposition, c’est-à-dire suivant exclusivement les principes généraux du droit du travail.

[2]        Dans sa décision en date du 30 avril 1997 [[1997] C.R.T.F.P.C. no 47 (QL)], une arbitre de grief et commissaire de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (ci-après la CRTFP) a interprété ces termes en ne renvoyant qu’aux principes généraux du droit du travail. L’arbitre a également décidé d’exercer sa compétence en vertu de l’article 92 de la LRTFP pour instruire un grief. Le juge des requêtes a rejeté la demande de contrôle judiciaire [(1998), 150 F.T.R. 20].

[3]        Les dispositions législatives pertinentes prévoient :

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« fonctionnaire » Personne employée dans la fonction publique, même si elle a cessé d’y travailler par suite d’une grève ou par suite d’un licenciement contraire à la présente loi ou à une autre loi fédérale, mais à l’exclusion des personnes :

[…]

g) employées à titre occasionnel;

[…]

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief […] [Non souligné dans l’original.]

Loi sur l’emploi dans la fonction publique

2. (1) […]

[…]

« fonctionnaire » Personne employée dans la fonction publique et dont la nomination à celle-ci relève exclusivement de la Commission.

[…]

5. La Commission :

a) conformément aux dispositions et principes énoncés dans la présente loi, nomme ou fait nommer à un poste de la fonction publique des personnes qualifiées, appartenant ou non à celle-ci;

L’article 21.2 de la LEFP doit, quant à lui, être reproduit avec sa rubrique et ses notes marginales. Il prévoit :

Emploi temporaire

Personnel temporaire

21.2 (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la Commission peut nommer toute personne à la fonction publique pour une période ne dépassant pas quatre-vingt-dix jours.

Limite

(2) Les personnes visées au paragraphe (1) ne peuvent travailler dans un même ministère ou autre secteur de la fonction publique plus de cent vingt cinq jours dans une année.

Application de la loi

(3) Les dispositions de la présente loi, à l’exception du présent article, ne s’appliquent pas aux personnes visées au paragraphe (1).

Nominations à terme

(4) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir de la Commission de procéder à des nominations—internes ou externes—pour des périodes déterminées n’excédant pas quatre-vingt-dix jours.

[4]        L’intimée Irène Marinos a été nommée en vertu du paragraphe 21.2(1) de la LEFP pour combler un poste d’agent de correction de classification CX mis sur pied par le Conseil du Trésor, en vue d’une affectation au Service correctionnel du Canada, à l’établissement de Cowansville (Québec). L’intimée a signé trois contrats d’emploi consécutifs s’étalant respectivement sur une période de 90 jours, soit du 5 janvier 1996 au 3 avril 1996, du 4 avril 1996 au 3 juillet 1996, puis du 3 juillet 1996 au 30 septembre 1996. Les trois contrats d’emploi précisaient qu’il s’agissait d’« un emploi temporaire »[3].

[5]        Chaque offre d’emploi comportait les modalités suivantes[4] :

Cette nomination n’est pas assujettie aux dispositions de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique. Notamment, ceci signifie que vous ne serez pas admissible aux concours internes et vous ne pourrez formuler un grief pendant cette période d’emploi. En outre, la Loi spécifie qu’une personne peut être nommée comme employé(e) de façon temporaire pour une période ne dépassant pas quatre-vingt-dix (90) jours civils et qu’elle ne peut travailler dans le même ministère plus de cent vingt-cinq (125) jours de travail à l’intérieur d’une période de douze (12) mois. [Non souligné dans l’original.]

[6]        Mme Marinos était employée « sur appel ». Elle a travaillé, au total, 115 jours entre le 5 janvier 1996 et le 8 juillet 1996. Elle a été congédiée pour des motifs d’ordre disciplinaire le 17 juillet 1996[5]. Son dernier jour de travail a été le 18 juillet 1996. Elle a déposé un grief relativement à son congédiement, qui a d’abord été rejeté par suite d’une déclaration de son employeur portant qu’elle n’était employée qu’à titre occasionnel et qu’elle ne pouvait formuler de grief. L’intimée a renvoyé son grief à l’arbitrage. L’employeur s’y est opposé, au motif que Mme Marinos était visée par l’exception prévue à l’alinéa 2g) de la LRTFP, étant une personne « employée […] à titre occasionnel », vu que ses contrats étaient régis par les dispositions de l’article 21.2 de la LEFP. En conséquence, n’étant pas « fonctionnaire » aux termes de la LRTFP, l’intimée ne pouvait déposer de grief en vertu de la convention collective et de l’article 92 de cette Loi. Quant à elle, Mme Marinos a soutenu qu’elle a travaillé au sein de la fonction publique pendant une période de plus de trois mois et que, partant, elle était fonctionnaire aux termes de l’alinéa 2g) de la définition de « fonctionnaire » prévue dans la LRTFP. Elle a fait valoir que son statut aurait été prolongé indéfiniment si ce n’était le congédiement inéquitable dont elle a fait l’objet.

[7]        L’arbitre a accepté son point de vue et a rejeté l’opposition formulée par l’employeur au motif qui suit[6] :

Nous devons donner son sens habituel à l’expression « à titre occasionnel » qui figure à l’alinéa g) de la définition de fonctionnaire au sens de la LRTFP, en l’interprétant comme elle l’est normalement dans le contexte des relations du travail. En l’occurrence, comme la loi qui établit la compétence de l’arbitre est la LRTFP, c’est sur elle que je dois me fonder pour trancher la question. L’article 21.2 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique n’a rien à voir avec ce qui nous intéresse, à moins que cette Loi ne puisse m’aider à interpréter l’expression « à titre occasionnel » telle qu’elle est définie dans la LRTFP. J’ai bien étudié la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, et je n’y ai trouvé nulle part une définition de l’expression « à titre occasionnel ».

[…]

Je ne crois pas que le sous-titre « Emploi temporaire » et la note marginale « Personnel temporaire » de l’article 21.2 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique puissent suffire à modifier la définition d’un fonctionnaire au sens de la LRTFP et, plus particulièrement la signification de l’alinéa g) de cette définition. Je dois par conséquent déterminer sur quelle interprétation de l’expression « à titre occasionnel » figurant à l’alinéa g) de la définition de « fonctionnaire » de l’article 2 de la LRTFP nos commission des relations du travail et nos tribunaux se sont entendus.

Le Conseil canadien des relations du travail, qui se fonde sur le Code canadien du travail, a jugé que le critère déterminant de l’inclusion des employés occasionnels dans une unité de négociation n’est pas le nombre d’heures qu’ils travaillent, mais bien la régularité de leur emploi. (Voir The 1996 Annotated Canada Labour Code de Ronald M. Snyder, page 104, au sujet de l’inclusion des employés occasionnels et à temps partiel dans le paragraphe 27(2) du Code canadien du travail.) Dans l’affaire Guislaine Otis (1987, 72 di 7), le Conseil a jugé que, contrairement à l’employé à temps partiel, l’employé occasionnel est chargé d’exécuter un travail imprévu dont l’employeur a besoin. Le facteur déterminant est la régularité de ce travail […]

[…]

Dans des cas comme celui de Mme Marinos, où l’employeur allègue qu’une personne a été employée à titre occasionnel, l’arbitre doit analyser les faits pour déterminer si la preuve étaye son allégation. Mme Marinos a été embauchée à titre d’agent de correction. L’employeur l’a embauchée en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique pour occuper un poste du groupe CX dont le Conseil du Trésor est l’employeur, comme c’était le cas pour l’arrêt Canada (A.G.) v. PSAC (Econosult) [1991] R.C.S. 614.

Je dois trancher en me fondant sur les faits. La preuve confirme-t-elle l’allégation de l’employeur, à savoir que Mme Marinos était employée à titre occasionnel? Pas à mon avis. Même si MM. Mercier et Roy avaient reçu des instructions leur enjoignant de l’appeler quelques heures avant le début de son quart, et que l’employeur avait décidé de ne pas faire travailler ces employés « temporaires » plus de 125 jours dans une année, en réalité, l’Établissement Cowansville a un besoin chronique d’agents de correction. La preuve a montré qu’il lui manque régulièrement au moins sept de ces agents. L’employeur a eu régulièrement recours à Mme Marinos durant ses sept mois de service. Il savait qu’il manquait d’agents de correction, de sorte qu’il pouvait prévoir son manque de personnel. Mme Marinos et M. Mercier ont témoigné en ce sens. M. Mercier n’était pas autorisé à informer Mme Marinos de son prochain quart, même s’il savait à l’avance qu’on l’appellerait. En outre, l’employeur a fourni un uniforme à Mme Marinos et l’a obligée à être disponible 24 heures sur 24. Elle n’était pas censée refuser de se présenter au travail lorsqu’on l’appelait. Elle devait être constamment disponible. La preuve a aussi démontré que les services de Mme Marinos n’ont pas été utilisés brièvement : elle a travaillé en moyenne 18 jours par mois durant une période continue de plus de six mois. Cela prouve que l’employeur avait besoin de ses services de façon régulière. Ses trois offres d’emploi ont été automatiquement renouvelées, et son emploi a été continue. Il n’a jamais été interrompu pendant cinq jours d’affilée ou plus. Elle a même accumulé des crédits de congé de maladie durant sa période d’emploi, conformément à la convention collective applicable.

Pour ces motifs, je conclus que Mme Marinos était une fonctionnaire au sens de la LRTFP et qu’elle avait par conséquent le droit de présenter un grief et de la porter à l’arbitrage en vertu des paragraphes 91(1) et 92(1) de la LRTFP.

1.         La norme de contrôle

[8]        Il s’agit en premier lieu de déterminer la norme de contrôle appropriée à laquelle le juge des requêtes aurait dû recourir pour statuer sur la demande dont il était saisi. Avait-il raison de recourir au critère de la décision manifestement déraisonnable lorsqu’il a examiné la décision de l’arbitre? Pour les motifs qui suivent, je conclus que la norme de contrôle appropriée était celle de la décision correcte.

[9]        L’arbitre s’estimait être saisie d’une question de fait. Il ne peut en être ainsi. Puisque l’arbitre devait décider si les faits dont elle disposait satisfaisaient aux critères juridiques applicables, la question était par conséquent une question mixte de fait et de droit[7].

[10]      L’arbitre devait déterminer si l’intimée était « fonctionnaire » aux termes de l’alinéa 2g) de la LRTFP, de manière à se prononcer sur sa propre compétence pour instruire un grief en vertu de la convention collective et de l’article 92 de la LRTFP. Pour les fins de son interprétation du sens propre à donner aux termes : «« fonctionnaire »» Personne employée dans la fonction publique […], mais à l’exclusion des personnes […] employées à titre occasionnel», l’arbitre a dû recourir à des sources externes à la LRTFP et examiner la loi qui régissait le contrat qu’a signé Mme Marinos. Ce contrat a été signé sous le régime de l’article 21.2 de la LEFP, qui confère à la Commission sa compétence.

[11]      L’arbitre a examiné l’article 21.2 de la LEFP, qu’elle a cependant jugé sans pertinence, estimant qu’il ne lui était d’aucun secours dans son interprétation de l’article 2 de la LRTFP. Elle s’est par la suite attardée sur le sens à donner aux termes « à titre occasionnel » en matière de relations de travail.

[12]      Suivant la méthode pragmatique et fonctionnelle, nous sommes saisis de la question de savoir si l’article 2 de la LRTFP soulève une question de compétence et, dans l’affirmative, quel critère lui est applicable.

[13]      L’Alliance de la fonction publique du Canada (ci-après l’Alliance), également intimée dans l’instance, ne conteste pas que les termes introductifs de l’article 2 de la LRTFP, soit « [p]ersonne employée dans la fonction publique », soulèvent une question de compétence. Elle reconnaît que cette question a été tranchée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada[8]. L’Alliance soutient toutefois que cet arrêt ne vise pas les exceptions au paragraphe (2) qui impliquent essentiellement des questions de fait.

[14]      À mon avis, on ne peut interpréter l’alinéa 2g) en l’isolant de cette manière. Cet alinéa, dans son intégralité et par son libellé, [traduction] « décrit, précise et restreint » la compétence de la CRTFP. Il est « destiné à circonscrire le champ d’activité » de ce tribunal, comme l’a déclaré le juge Pigeon dans l’arrêt Komo Construction Inc. et autre c. Commission des relations du Travail du Québec et autre[9].

[15]      Il incombait à l’arbitre de statuer si Mme Marinos était « fonctionnaire » au sens de l’article 92 de la LRTFP et, à cette fin, elle devait se référer à la définition de « fonctionnaire » prévue à l’alinéa 2g) de la Loi. Suivant les principes établis par l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, il s’agit en l’espèce d’une disposition législative « qui limite les pouvoirs du tribunal »[10]. Dans un tel cas, « une simple erreur fait perdre compétence et donne ouverture à la révision judiciaire »[11]. Dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[12], le juge Bastarache, s’exprimant au nom de la Cour, a établi le critère applicable en ces termes :

Bien que la terminologie et la méthode de la question « préalable », « accessoire » ou « de compétence » aient été remplacées par cette analyse pragmatique et fonctionnelle, l’accent est tout de même mis sur la disposition particulière invoquée et interprétée par le tribunal. Certaines dispositions d’une même loi peuvent exiger plus de retenue que d’autres, selon les facteurs qui seront exposés plus en détail plus loin. Voilà pourquoi il convient toujours, et il est utile, de parler des « questions de compétence » que le tribunal doit trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence. Mais il faut bien comprendre qu’une question qui « touche la compétence » s’entend simplement d’une disposition à l’égard de laquelle la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte, en fonction du résultat de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Autrement dit, une « erreur de compétence » est simplement une erreur portant sur une question à l’égard de laquelle, selon le résultat de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, le tribunal doit arriver à une interprétation correcte et à l’égard de laquelle il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue.

[16]      Il ressort clairement de la lecture de l’alinéa 2g) de la LRTFP que les termes « à titre occasionnel » renvoient à l’application de normes juridiques ayant une incidence sur la compétence de l’arbitre. L’arbitre est tenu de consulter des sources externes à celles qui établissent sa « compétence »[13] et de se référer à la LEFP, qui régit les contrats de Mme Marinos. L’arbitre ne peut prétendre posséder une expertise quant à l’interprétation de la LEFP ni prétendre en avoir une quant à la LRTFP, étant donné qu’aucune disposition de la LRTFP ne lui confère une compétence exclusive pour déterminer quelles personnes sont employées « à titre occasionnel »[14]. L’arbitre ne peut commettre d’erreur de droit à cette étape-ci; elle doit rendre une décision correcte.

2.         Le régime législatif

[17]      La seule question dont était saisie l’arbitre consistait à savoir si Mme Marinos était une personne employée dans la fonction publique « à titre occasionnel », au sens de la définition du terme « fonctionnaire » contenue au paragraphe 2(2) de la LRTFP. L’appelant reconnaît que Mme Marinos était une personne « employée dans la fonction publique », selon les termes introductifs de l’article 2 de la Loi.

[18]      Étant donné que la LRTFP ne comporte aucune définition des termes « à titre occasionnel », il faut se reporter à la LEFP, qui établit la disposition en vertu de laquelle Mme Marinos a été embauchée.

[19]      L’emploi au sein du Service correctionnel du Canada, ce secteur de la fonction publique où l’intimée a été nommée, est régi par la LEFP L’article 8 de cette Loi prévoit que, en ce qui a trait à ce secteur de la fonction publique, la Commission de la fonction publique est exclusivement habilitée à procéder à des nominations, ou à les autoriser. La Loi établit également la durée de la période au cours de laquelle une personne sera employée. À titre d’exemple, les articles 8, 24 et 25 portent sur l’emploi de durée indéterminée ou pour une période précise (nominations pour une période déterminée). De plus, les articles 8 et 28 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 18] permettent à la Commission d’imposer des périodes probatoires. La LEFP et d’autres lois connexes, notamment la LRTFP, donnent lieu à différents droits relatifs à l’emploi, selon qu’il s’agit d’un employé en période probatoire, nommé pour une période déterminée ou nommé pour une période indéterminée. En 1993, avec l’adoption des modifications à la LEFP dans la Loi sur la réforme de la fonction publique[15], le législateur a établi une nouvelle disposition relative à l’emploi à l’article 21.2 de la LEFP, sous la rubrique « Emploi temporaire » (« Casual Employment »).

[20]      En règle générale, un employé temporaire est celui qui travaille « sur appel ». Un employé nommé pour une période déterminée est celui qui travaille à temps plein pendant une période précise.

[21]      Les Lignes directrices sur l’emploi temporaire[16] nous renseignent sur le fait que l’emploi temporaire ne sert qu’à combler des besoins de courte durée, notamment pour :

€€€€€€ répondre à des besoins inattendus,

€€€€€€ répondre à des urgences,

€€€€€€ remplacer des employés pendant de courtes périodes d’absence telles que des congés annuels, des congés de maladie, de la formation, etc.,

€€€€€€ mener des projets planifiés selon la disponibilité des fonds.

On ne recourt pas à l’emploi temporaire :

€€€€€€ au lieu de l’emploi pour une période déterminée, saisonnier ou à temps partiel,

€€€€€€ pour éviter l’enquête de sécurité ou pour imposer une période de stage supplémentaire.

[22]      Mme Marinos a signé ses contrats d’emploi sous le régime du nouvel article 21.2 de la LEFP.

[23]      L’appelant et l’Alliance interprètent cet article de manière divergente.

[24]      L’appelant soutient qu’en tout temps, les contrats d’emploi offerts à Mme Marinos étaient respectivement d’une durée de 90 jours, et qu’elle a travaillé au total 115 jours étalés sur la période de ses trois contrats d’emploi. Elle a été nommée aux termes de l’article 21.2, qui établit des limites précises à l’emploi « temporaire » et qui prescrit que les autres dispositions de la LEFP ne visent pas les employés temporaires. Étant une employée « temporaire » au sens de la LEFP, Mme Marinos n’est par conséquent pas visée par la définition de « fonctionnaire » prévue dans la LRTFP, vu qu’elle était employée « à titre occasionnel ». Selon l’appelant, il en résulte que le processus de règlement des griefs prévu à l’article 92 de la LRTFP ne s’applique pas à Mme Marinos.

[25]      L’Alliance plaide que rien dans le régime législatif en matière de relations de travail dans la fonction publique ne mène à la conclusion qu’une personne doit automatiquement être exclue de l’application de la LRTFP de par sa nomination aux termes de l’article 21.2 de la LEFP

[26]      Selon elle, la LEFP sert de fondement juridique aux mesures de dotation en personnel dans la fonction publique. Même en l’absence de l’article 21.2 de la LEFP, il était loisible à la Commission de la fonction publique de procéder à des nominations à titre occasionnel en vertu de son pouvoir général de nomination prévu à l’article 8 de la LEFP, ce pouvoir étant protégé par le paragraphe 21.2(4) de cette Loi. L’article 21.2 vise principalement à imposer des contraintes particulières quant à la durée des nominations fondées sur l’article 21.2, qu’elles soient à titre occasionnel ou autrement, et à soustraire les nominations fondées sur l’article 21.2 à l’éventail complet des garanties consenties par la LEFP en son paragraphe 21.2(3). Par contraste, poursuit l’Alliance, la LRTFP aborde la question de l’emploi temporaire d’un autre point de vue. Étant une loi en matière de relations de travail, la LRTFP ne porte pas sur le fondement juridique de l’emploi, mais bien sur le type d’employé qui peut prendre part à la négociation collective dans la fonction publique. Le législateur a sciemment abordé la question de l’emploi temporaire d’un point de vue différent dans chaque loi. Selon l’Alliance, cela est manifeste lorsqu’on compare la version française de l’article 2 de la LRTFP à la version française de l’article 21.2 de la LEFP.

[27]      Dans le cas de l’alinéa 2g) de la LRTFP, l’Alliance note que le législateur a utilisé les termes « à titre occasionnel », qui sont l’équivalent approximatif de « occasional » en anglais, pour traduire l’expression « on a casual basis ». Par contraste et sans que pour autant les rubriques aient un poids déterminant, la rubrique qui chapeaute la version française de l’article 21.2 de la LEFP comporte le terme « temporaire » (« Emploi temporaire »), qui est l’équivalent approximatif de « temporary ». Ces différences, fait valoir l’Alliance, indiquent que l’objet premier de la LEFP concerne la durée des nominations, qu’elles soient à titre occasionnel ou autrement, alors que la LRTFP traite principalement des modalités de l’emploi temporaire. Par conséquent, selon elle, alors que l’article 21.2 de la LEFP peut notamment servir de fondement au pouvoir d’effectuer des nominations temporaires, les arbitres nommés en vertu de la LRTFP sont investis d’une compétence indépendante et sont tenus de déterminer si un employé déjà nommé est effectivement un employé à titre occasionnel.

[28]      Il est bien établi en droit que, contrairement au préambule qui « fait partie du texte et en constitue l’exposé des motifs »[17], les notes marginales « ne font pas partie de celui-ci, n’y figurant qu’à titre de repère ou d’information »[18]. Les rubriques, quant à elles, ne sont pas visées par la Loi d’interprétation. La Cour suprême du Canada a cependant statué que les rubriques devaient être prises en compte lors de l’analyse du sens et de l’application d’une disposition. Les principes établis par le juge Estey dans l’arrêt Law Society of Upper Canada c. Skapinker[19], dans le contexte de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], seraient applicables aux lois[20]. Ces principes sont rédigés en ces termes :

La Cour doit, à tout le moins, […] tenir compte [des rubriques] pour déterminer le sens et l’application des dispositions de la Charte. L’influence qu’aura une rubrique sur ce processus dépendra de plusieurs facteurs dont (sans que cette énumération se veuille exhaustive) la difficulté d’interpréter l’article à cause de son ambiguïté ou de son obscurité, la longueur et la complexité de la disposition, l’homogénéité apparente de la disposition qui suit la rubrique, l’emploi de termes génériques dans la rubrique, la présence ou l’absence d’un ensemble de rubriques qui semblent séparer les divers éléments de la Charte et le rapport qui existe entre la terminologie employée dans la rubrique et le contenu de la disposition qui la suit. Des droits disparates paraîtront moins bien regroupés par une rubrique qu’un ensemble de droits homogène.

Il faut à tout le moins examiner la rubrique et, à partir de son texte, tenter de discerner l’intention des rédacteurs du document. Cela constitue tout au plus une étape dans le processus d’interprétation constitutionnelle. Il est difficile de prévoir une situation où la rubrique aura une importance déterminante. D’autre part, il est presque aussi difficile de concevoir une situation où l’on pourrait écarter rapidement la rubrique même si, dans certains cas, comme celui de la rubrique « Garanties juridiques » qui, dans la Charte, est suivie de huit articles disparates, on considérera vraisemblablement la rubrique comme une simple annonce de l’évidence même.

Pour les fins de l’analyse du sens des deux alinéas du par. 6(2) [de la Charte], je conclus qu’il faut tenter de concilier la rubrique avec l’article qu’elle précède. Si toutefois il devient évident que, dans l’ensemble, l’article est clair et ne comporte pas d’ambiguïté, la rubrique n’aura pas pour effet de modifier ce sens clair et précis. Même dans cette situation intermédiaire, une cour ne doit pas, en adoptant une règle formaliste d’interprétation, se priver de l’avantage qu’elle peut tirer, si mince soit-il, de l’analyse de la rubrique en tant que partie de l’ensemble du document constitutionnel. J’adopte cette attitude générale que j’estime conforme à l’avis exprimé dans la jurisprudence et la doctrine canadiennes, britanniques et américaines examinées plus haut. [Non souligné dans l’original.]

[29]      À l’exception de la rubrique chapeautant l’article 21.2 de la LEFP intitulée « Emploi temporaire » (« Casual Employment ») et de la note marginale accompagnant le paragraphe 21.2(1) indiquant « Personnel temporaire » (« Casual employment »), rien dans le corps de l’article 21.2 de la LEFP ne laisse supposer que les personnes employées en vertu de cet article sont forcément des employés temporaires. Si on examine les rubriques des deux versions, qui recouvrent des concepts différents, on ne peut qu’être perplexe quant à la portée de la disposition. Il existe par conséquent une ambiguïté relative à l’interprétation de l’article 21.2 de la LEFP lorsqu’on le lit de concert avec ses rubriques, soit « Casual Employment » en anglais et « Emploi temporaire » en français. Il s’agit de savoir si l’article 21.2 de la LEFP prévoit l’établissement d’une catégorie distincte d’employés, les employés temporaires, ou s’il ne fait qu’habiliter la Commission à nommer des employés temporaires ou autres, sous réserve que la LEFP ne s’applique pas à eux.

[30]      La version française de l’article 21.2 comporte en soi un certain nombre d’anomalies. La rubrique s’intitule « Emploi temporaire », alors que la note marginale du paragraphe 21.2(1) indique « Personnel temporaire ». Ces deux formulations sont manifestement interchangeables, puisque la version anglaise a recours à la même expression dans les deux cas : « casual employment ». La note marginale accompagnant le paragraphe 21.2(4) s’intitule « Nomination à terme », préservant ainsi le pouvoir de la Commission d’effectuer des nominations en vertu de l’article 25 de la LEFP. L’article 25 de la LEFP a comme note marginale « Nomination pour une période déterminée », et non « Nomination à terme ». La version anglaise, quant à elle, est cohérente. Elle utilise la même expression tant au paragraphe 21.2(4) qu’à l’article 25 de la LEFP, soit « Term appointments ».

[31]      Lorsqu’on examine les deux lois, la LEFP et la LRTFP, la question consiste à savoir si la version française, qui utilise les expressions « emploi temporaire » (rubrique), « personnel temporaire » (note marginale) et « employées à titre occasionel » (libellé de la LRTFP), a pour effet de s’écarter du sens usuel des termes employés dans la version anglaise des lois, où « casual employment » et « on a casual basis » sont repris de façon constante.

[32]      Il est manifeste que la personne qui a rédigé la version française s’est permise d’importants écarts dans sa manipulation des termes, contrevenant ainsi à la règle qui veut qu’un même terme en anglais soit rendu par un même terme en français, compte tenu du fait que la version anglaise demeure constante. J’estime utile l’extrait suivant, tiré du livre de R. M. Beaupré intitulé Interpreting Bilingual Legislation[21] :

[traduction]

1.   Erreurs de rédaction : l’emploi incohérent des termes

Le principe subsidiaire qui peut être invoqué en dernier recours pour résoudre une ambiguïté consiste, en l’absence d’indication contraire, à conférer un sens invariable à un même terme ou à une même expression tout au long de la Loi, ou dans le cadre d’une série de lois connexes.

Certes, il s’agit d’un principe interprétatif plutôt inutile dans la plupart des cas, mais ce principe revêt une importance certaine dans l’univers du bilinguisme. En effet, une version peut être réputée incohérente au vu d’une rédaction non soignée employant deux termes ou expressions pour rendre l’unique terme de l’autre version. Lorsque le contexte ne révèle aucun motif apparent justifiant l’établissement d’une distinction par l’emploi d’un synonyme, on invoque la présomption pour résoudre le doute en faveur de la version cohérente. On trouve un exemple de cette approche dans l’arrêt North Coast Air Services v. Can. Transport Comm., dans lequel le juge Martland, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a déclaré :

[traduction] Mon point de vue quant au sens de l’art. 5 est renforcé par le libellé de la version française. Dans la version anglaise, au paragraphe (1), le terme « procedure » est utilisé à un endroit et le terme « proceeding » apparaît à un autre endroit, alors que les deux termes se manifestent dans une même phrase, mais la version française n’emploie qu’un seul terme aux deux endroits, soit « procédure ». Au paragraphe (2) de la version anglaise où il est question de « proceedings », le terme « procédures » est employé dans la version française. Cet emploi souligne le fait que l’art. 5 porte sur des questions procédurales.

[33]      Il est possible que l’application du principe favorisant la version cohérente ne soit pas sans faille. Cependant, en l’espèce, les avocats ont informé la Cour que l’historique législatif ne révèle aucune piste importante quant à l’interprétation de l’objet de la disposition contestée[22].

[34]      Même en supposant que la version anglaise de l’article 21.2 reflète l’intention réelle du législateur, le problème du poids à accorder à la rubrique « Casual Employment » dans l’interprétation de l’article même se pose une fois de plus. Je suis d’avis qu’on ne peut faire fi de la rubrique comme le propose l’Alliance. Cette rubrique précise le sens de la disposition.

[35]      Je conclus que le législateur avait l’intention, en 1992, de ne traiter que de l’« emploi temporaire » lorsqu’il a adopté l’article 21.2 de la LEFP. Le législateur a créé une catégorie distincte de celles qui étaient déjà prévues dans la LEFP, soit celles que l’on trouve aux articles 24, 25 et 28. Cette catégorie distincte porte sur l’emploi temporaire. L’emploi de Mme Marinos tombait dans cette catégorie.

[36]      Le juge Rothstein fait remarquer que le législateur a adopté l’article 21.2 de la LEFP en même temps qu’il a modifié l’alinéa 2g) de la LRTFP. Avant les modifications survenues en 1992, l’alinéa 2g) était libellé de la façon suivante :

2. […]

« fonctionnaire » Personne employée dans la fonction publique, même si elle a cessé d’y travailler par suite d’une grève ou par suite d’un congédiement contraire à la présente loi ou à une autre loi fédérale, mais à l’exclusion des personnes :

[…]

g) employées à titre occasionnel ou temporaire et ayant travaillé à ce titre pendant moins de six mois; [Non souligné dans l’original.]

[37]      Depuis les modifications de 1992, l’alinéa 2g) de la LRTFP est libellé de la façon suivante :

2. (1) […]

« fonctionnaire » Personne employée dans la fonction publique, même si elle a cessé d’y travailler par suite d’une grève ou par suite d’un licenciement contraire à la présente loi ou à une autre loi fédérale, mais à l’exclusion des personnes :

[…]

g) employées à titre occasionnel; [Non souligné dans l’original.]

[38]      Je suis d’avis que cette modification visait à mettre de l’ordre dans l’alinéa 2g) de la LRTFP, de sorte que ce dernier soit compatible avec l’article 21.2 de la LEFP qui, comme je l’ai indiqué précédemment, créait une catégorie distincte d’employés temporaires et précisait, dans son libellé, les modalités d’emploi de ces personnes.

[39]      En conséquence, l’article 2 de la LRTFP exclut Mme Marinos de l’application de la Loi. Étant une employée temporaire aux termes de l’article 21.2 de la LEFP, Mme Marinos se trouvait à être, sous le régime de la LRTFP, employée « à titre occasionnel ». L’indication « offre d’emploi temporaire » qui figure sur ses trois contrats d’emploi reflète simplement la rubrique française de l’article 21.2 de la LEFP, soit « emploi temporaire » (casual employment).

[40]      Mme Marinos possédait par conséquent le statut d’employée temporaire au moment de son embauche. Reste à savoir si ce statut a été maintenu au cours de ses trois périodes d’emploi. Autrement dit, il s’agit de savoir si Mme Marinos a été nommée pour des périodes de plus de 90 jours et si elle a travaillé, dans une année donnée, plus de 125 jours au sein d’un même ministère. Les modalités d’emploi de Mme Marinos constituent des éléments clés des faits juridictionnels sur lesquels l’arbitre devait se prononcer et à l’égard desquels elle ne pouvait se tromper.

[41]      À cet égard, l’Alliance soutient que Mme Marinos était effectivement employée pour une période de plus de 90 jours et que ses trois contrats d’emploi distincts n’étaient que des fictions juridiques. Selon elle, la preuve montre que Mme Marinos était employée de façon continue pendant une période de plus de six mois.

[42]      L’Alliance s’appuie à cette fin sur le Règlement régissant les conditions d’emploi dans la fonction publique[23], qui définit « casual employee » (« employé occasionnel ») de la manière suivante :

a) toute personne nommée à titre temporaire en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique; ou

b) toute autre personne nommée en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique pour une durée déterminée de moins de trois mois ou ayant travaillé à ce titre pendant moins de trois mois sans interrruption d’emploi de plus de cinq jours ouvrables (casual employee); [Non souligné dans l’original.]

[43]      L’Alliance fait valoir que le Règlement envisage la situation où une personne nommée pour plusieurs périodes continues d’emploi peut malgré tout être considérée comme employée temporaire. Cependant, il est clair à son avis qu’il doit y avoir, entre les périodes consécutives d’emploi, une interruption d’emploi de plus de cinq jours ouvrables pour que l’employé soit considéré temporaire. L’Alliance plaide que cette mesure confirme l’intention du législateur selon laquelle il n’est pas loisible à l’employeur d’invoquer plusieurs périodes continues d’emploi pour justifier le caractère temporaire du lien d’emploi. Il n’y avait en l’espèce aucune interruption de ce genre dans l’emploi de Mme Marinos. Mme Marinos a pu initialement être nommée en vertu de l’article 21.2, étant donné que la première période d’emploi ne dépassait pas 90 jours. À cette étape-là, la LEFP s’appliquait et aurait été largement déterminante quant à la question dont était saisie l’arbitre. Dans la mesure où la durée de l’emploi a dépassé 90 jours, l’arbitre était cependant tenue d’examiner les questions conformément aux principes établis par la LRTFP.

[44]      Malheureusement pour l’intimée, cet argument subsidiaire, qui présuppose que les trois contrats d’une durée respective de 90 jours constituaient une manœuvre frauduleuse, n’a pas été présenté à l’arbitre. La cour qui siège en appel d’une demande de contrôle judiciaire ne peut tirer une conclusion de fait que seule l’arbitre aurait pu tirer, en supposant que l’argument lui ait été présenté en temps utile.

[45]      Je conclus que Mme Marinos était une employée temporaire au cours des périodes couvertes par les trois contrats.

3.         Conclusion

[46]      Je suis d’avis d’accueillir le présent appel, d’annuler la décision du juge des requêtes, d’accueillir la demande de contrôle judiciaire et d’annuler la décision de l’arbitre au motif qu’elle n’avait pas compétence pour instruire le grief déposé par l’intimée Mme Marinos.

[47]      L’appelant n’a sollicité aucuns dépens.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[48]      Le juge Rothstein, J.C.A. (dissident) : J’ai eu l’occasion de prendre connaissance des motifs rédigés par le juge Desjardins. Je fais mienne sa conclusion selon laquelle la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte. Cependant, je ne peux souscrire à l’opinion voulant que, du seul fait qu’elle ait été employée en application de l’article 21.2 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), l’intimée était alors une personne « employée […] à titre occasionnel » au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et qu’il ne lui était pas, par conséquent, loisible de déposer un grief à l’encontre de son congédiement en vertu de cette Loi.

[49]      En ce qui a trait à la norme de contrôle, bien que je sois d’accord en grande partie avec l’analyse qu’a effectuée le juge Desjardins, je préfère énoncer brièvement ma propre conclusion sur cette question, étant donné que le juge Desjardins a déclaré que l’arbitre devait se reporter à la LEFP (paragraphe 16) et que cela se rapproche de la question sur laquelle nous différons d’opinion quant au fond de l’appel. Le présent appel soulève une question juridique fondamentale comportant une valeur jurisprudentielle significative. La question juridique qui se pose ne met pas en cause l’expertise de l’arbitre. Aucune clause privative ne s’applique. On a déjà conclu que l’interprétation du terme « fonctionnaire », défini au paragraphe 2(1) de la LRTFP, soulevait une question de compétence susceptible de contrôle judiciaire. Voir Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, à la page 630. Je n’ai pas besoin d’en dire davantage. En recourant à la méthode fonctionnelle et pragmatique, à l’instar du juge Desjardins, je suis convaincu que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte.

[50]      Le paragraphe 92(1) de la LRTFP prévoit que seul le « fonctionnaire » est autorisé à renvoyer un grief à l’arbitrage. Cependant, les personnes employées à titre occasionnel ne sont pas considérées comme des fonctionnaires au sens de la LRTFP. Le paragraphe 2(1) définit le terme « fonctionnaire » de la manière suivante :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« fonctionnaire » Personne employée dans la fonction publique, même si elle a cessé d’y travailler par suite d’une grève ou par suite d’un licenciement contraire à la présente loi ou à une autre loi fédérale, mais à l’exclusion des personnes :

[…]

g) employées à titre occasionnel;

En conséquence, si l’intimée était « employée […] à titre occasionnel », il ne lui était donc pas loisible de renvoyer son grief à l’arbitrage en vertu de la LRTFP.

[51]      L’arbitre était d’avis que l’article 21.2 de la LEFP ne précisait pas le sens à donner à l’expression « employées à titre occasionnel », contenue à l’alinéa g) de la définition de « fonctionnaire » dans la LRTFP. L’arbitre a plutôt tenu compte des circonstances factuelles entourant l’emploi de l’intimée, plus particulièrement du caractère constant et continu de son emploi. À la lumière de ces faits, l’arbitre a statué que l’intimée n’était pas « employée […] à titre occasionnel » et qu’elle était par conséquent autorisée à déposer, aux termes de la LRTFP, un grief à l’encontre de son congédiement. Le juge des requêtes a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’arbitre.

[52]      Le juge Desjardins est arrivée à la conclusion opposée. Si je comprends bien ses motifs, elle est d’avis qu’une personne employée en vertu de l’article 21.2 de la LEFP est « employée […] à titre occasionnel » au sens de la LRTFP. Le juge Desjardins a noté que les termes « temporaire », « employés temporaires » ou « emploi temporaire » ne se retrouvaient pas comme tels dans le libellé de l’article 21.2 de la LEFP. Cependant, comme la rubrique qui chapeaute l’article indique « emploi temporaire », le juge Desjardins conclut à l’ambiguïté quant à l’interprétation de l’article 21.2 lorsqu’on l’examine de concert avec sa rubrique. Tenant compte de la rubrique, elle conclut que l’article 21.2 crée une catégorie distincte d’employés temporaires. Elle conclut que, parce que l’intimée était employée sous le régime de l’article 21.2, elle était « employée […] à titre occasionnel » et n’était donc pas une « fonctionnaire » autorisée à renvoyer une procédure de grief à l’arbitrage aux termes de la LRTFP.

[53]      Le fait que l’intimée ait été nommée en vertu de l’article 21.2 n’est pas contesté. La seule question qui se pose consiste à savoir si une personne employée aux termes de l’article 21.2 est, par définition, « employée […] à titre occasionnel » au sens de la LRTFP. Dans l’affirmative, aucune évaluation factuelle quant à la nature de l’emploi n’est requise. Dans la mesure où une personne est employée en vertu de l’article 21.2, elle est considérée comme « employée […] à titre occasionnel », et non pas comme « fonctionnaire », pour les fins du renvoi à l’arbitrage d’un grief aux termes de la LRTFP. Dans le cas contraire, la réponse à la question de savoir si une personne est employée à titre occasionnel est alors déterminée par un examen des circonstances factuelles entourant l’emploi, notamment—mais sans s’y restreindre—de la question de savoir si la personne était employée en vertu de l’article 21.2.

[54]      Avec égards, je suis d’avis que l’article 21.2 de la LEFP ne précise pas le sens de l’expression « employées à titre occasionnel » dans la LRTFP et que la détermination quant à savoir si une personne est employée à titre occasionnel doit être fondée sur un examen des faits pertinents liés à l’emploi. En tirant cette conclusion, je fais mienne l’analyse effectuée par l’arbitre et par le juge des requêtes, et j’ajouterais ce qui suit pour expliquer les motifs de ma dissidence d’avec les juges majoritaires.

[55]      D’après moi, l’article 21.2 investit la Commission de la fonction publique du pouvoir de nommer une personne à la fonction publique pour une période ne dépassant pas 90 jours sans que les dispositions de la LEFP, c’est-à-dire l’exigence que la nomination soit faite conformément au principe du mérite, ne soient applicables à l’égard de cette personne ou de cet emploi. Il s’agit là de l’objectif déclaré qu’énonce le paragraphe 21.2(3). L’article 21.2 dispose :

Emploi temporaire

Personnel temporaire

21.2 (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la Commission peut nommer toute personne à la fonction publique pour une période ne dépassant pas quatre-vingt-dix jours.

Limite

(2) Les personnes visées au paragraphe (1) ne peuvent travailler dans un même ministère ou autre secteur de la fonction publique plus de cent vingt cinq jours dans une année.

Application de la loi

(3) Les dispositions de la présente loi, à l’exception du présent article, ne s’appliquent pas aux personnes visées au paragraphe (1).

Nominations à terme

(4) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir de la Commission de procéder à des nominations—internes ou externes—pour des périodes déterminées n’excédant pas quatre-vingt-dix jours.

[56]      Je ne partage pas le point de vue des juges majoritaires selon lequel une personne nommée en vertu de l’article 21.2 de la LEFP est, par définition, une personne « employée […] à titre occasionnel » au sens de la LRTFP et qu’elle n’est pas, par conséquent, une « fonctionnaire » aux fins de la procédure de grief prévue aux termes de cette dernière Loi. Une telle proposition nécessite d’abord une conclusion selon laquelle l’article 21.2 définit « employées à titre occasionnel » aux fins de la LEFP, puis une conclusion selon laquelle le législateur avait l’intention de rendre cette définition applicable à la LRTFP. Avec égards, je suis d’avis qu’aucune des deux conclusions n’est justifiée compte tenu du libellé de l’article 21.2.

[57]      Quant à savoir si l’article 21.2 définit l’emploi temporaire, le juge Desjardins a déclaré que l’article 21.2 créait une catégorie d’emploi temporaire distincte de celles prévues dans les autres dispositions de la LEFP. Je suis d’accord pour dire que l’article 21.2 crée effectivement une catégorie distincte d’emploi, cette dernière étant composée des personnes qui sont nommées en vertu de cette disposition pour une période ne dépassant pas 90 jours et qui ne sont pas employées dans la fonction publique plus de 125 jours au cours d’une année. Il semble clair que le législateur avait l’intention de faire en sorte que le gouvernement ne soit pas tenu, à l’égard de ces employés, de se conformer aux autres dispositions de la LEFP, telles que le respect du principe du mérite en ce qui concerne les nominations, au motif qu’une telle observance des règles était considérée inutile pour des employés engagés à court terme. La disposition en tant que telle possède donc un objet, sans pour autant qualifier l’emploi d’« emploi temporaire ». En fait, aucune raison apparente ne semble justifier la nécessité d’interpréter l’article 21.2 comme définissant l’expression « emploi temporaire » aux fins de la LEFP.

[58]      Le juge Desjardins renvoie à la rubrique chapeautant l’article 21.2 et à la note marginale dont il est assorti, toutes deux indiquant « Casual Employment » (Emploi temporaire) (Personnel temporaire), en vue de guider l’interprétation de ce qu’elle perçoit être une disposition ambiguë. Je ne suis pas d’accord pour dire que l’article 21.2 est en soi ambigu. En dépit du fait que la rubrique indique « Casual Employment », l’article 21.2, comme tel, ne se présente pas comme une définition de ce que constitue un emploi temporaire. Les termes « casual » (temporaire), « casual employment » (emploi temporaire) ou « casual employee » (employé temporaire) ne se trouvent pas dans le libellé de l’article. Je reconnais qu’on puisse recourir au titre d’une rubrique pour guider l’interprétation législative et que, le cas échéant, on doit tenter de concilier la rubrique avec l’article qu’elle chapeaute. Voir R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759, le juge en chef Lamer, aux paragraphes 51 à 53. Cependant, une rubrique ne peut conférer de sens à une disposition que cette dernière n’a pas, de la même manière qu’elle ne peut servir à créer une ambiguïté lorsque le libellé même de l’article n’en comporte aucune. Dans l’arrêt Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, le juge Estey a déclaré à la page 377 :

[…] je conclus qu’il faut tenter de concilier la rubrique avec l’article qu’elle précède. Si toutefois il devient évident que, dans l’ensemble, l’article est clair et ne comporte pas d’ambiguïté, la rubrique n’aura pas pour effet de modifier ce sens clair et précis.

Avec égards, je suis d’avis que la rubrique ne peut être interprétée comme si elle faisait partie intégrale de l’article 21.2, ni pour créer une ambiguïté dans une disposition qui n’en comporte pas.

[59]      Pour ces motifs, je conclus que l’article 21.2 ne fournit aucune définition relative à l’emploi temporaire dans la LEFP.

[60]      En outre, rien dans l’article 21.2 ne donne à penser que le législateur avait l’intention de rendre cette disposition applicable à la LRTFP. Le législateur a clairement énoncé le sens qu’il entendait conférer à l’article 21.2. L’article visait à soustraire les personnes nommées en vertu du paragraphe 21.2(1) à l’application des autres dispositions de la LEFP. Le législateur s’est résolument attardé sur la portée de l’article 21.2 et n’a fait aucune mention visant à soustraire les personnes nommées en vertu de l’article 21.2 à l’application de la LRTFP. Si cela avait été son intention, il lui aurait été relativement simple de déclarer que les dispositions de la LRTFP ne s’appliquaient pas à l’égard des personnes nommées en vertu de l’article 21.2 de la LEFP. Or, il n’en fut rien.

[61]      Le fait qu’une personne soit nommée pour une période limitée aux termes de l’article 21.2 ne signifie pas qu’elle soit employée à titre occasionnel, selon le sens que les tribunaux ont donné à cette expression. L’approche qu’ont adoptée les tribunaux en vue de déterminer ce qui constitue un emploi temporaire a été d’examiner les modalités de l’emploi, et non simplement sa durée. Dans l’arrêt Roussy c. Ministre du Revenu national (1992), 148 N.R. 74 (C.A.F.), le juge Linden a passé en revue la jurisprudence qui porte sur le sens à donner à l’expression « emploi temporaire ». Même si l’arrêt Roussy est une cause en matière d’assurance-chômage, le juge Linden résume à mon avis de manière fort utile, aux pages 76 et 77, ce qu’il faut entendre par « emploi temporaire » :

Le temps durant lequel une personne travaille n’est donc pas concluant pour dire d’un emploi qu’il est occasionnel; la durée peut être un facteur dont il faut tenir compte, mais il y a un aspect plus important : celui de savoir si l’emploi est « éphémère » ou « transitoire » ou, si l’on veut, imprévisible et peu sûr. Il faut qu’il soit impossible d’en déterminer la régularité. Autrement dit, lorsqu’une personne est appelée de façon intermittente, une fois de temps en temps, pour effectuer quelques travaux pendant un temps indéfini, cela peut être considéré comme un emploi occasionnel. En revanche, lorsqu’une personne est engagée pour effectuer un nombre précis d’heures de travail pendant une période déterminée ou jusqu’à l’achèvement d’un projet particulier, il ne s’agit pas d’un emploi occasionnel, même si le laps de temps est court.

[62]      La disposition voulant qu’une personne employée à titre occasionnel ne puisse revendiquer le statut de fonctionnaire aux fins de la LRTFP est une disposition de longue date que comporte la Loi; elle existe en effet depuis l’adoption de la LRTFP en 1967. Avant l’adoption de l’article 21.2 de la LEFP en 1992, la question de savoir si une personne était employée à titre occasionnel devait être tranchée par un conseil d’arbitrage sur la base des faits pertinents à l’emploi de la personne. Le raisonnement du juge Desjardins a pour effet que, avec l’adoption de l’article 21.2, cette évaluation factuelle est éliminée et les personnes nommées en vertu de l’article 21.2 sont automatiquement des personnes employées à titre occasionnel aux fins de la LRTFP.

[63]      Ayant à l’esprit les motifs pour lesquels les tribunaux ont tranché la question de savoir si un emploi était temporaire, j’estime qu’il est très peu probable que le législateur ait eu l’intention, quant à la LEFP, de supplanter les nombreux facteurs à considérer au bénéfice d’un seul—la courte durée de l’emploi—pour la détermination de ce qui constitue une personne « employée […] à titre occasionnel » aux fins de la LRTFP. Ce scénario aurait représenté un changement radical. Je ne veux pas dire par là que le législateur n’aurait pas pu effectuer un tel changement. Je dis simplement que si le législateur avait souhaité un changement à ce point radical, il aurait à mon avis introduit l’article 21.2 sous une forme définitionnelle, par exemple « emploi à titre occasionnel s’entend de », et aurait expressément renvoyé à la LRTFP, par exemple « pour les fins de la présente Loi et de la LRTFP ».

[64]      Le raisonnement du juge Desjardins a pour effet de donner à l’expression « employée […] à titre occasionnel » contenue dans la LRTFP le sens qu’il s’agit d’une personne nommée aux termes de l’article 21.2 de la LEFP. Comme je l’ai indiqué précédemment, il n’existe aucun renvoi manifeste entre les deux lois. Je reconnais que le sens d’un terme dans une loi puisse être influencé par l’emploi que fait une autre loi du même terme, particulièrement lorsque les deux lois traitent d’une même matière. Je reconnais également que, malgré qu’elles visent chacune un but distinct, la LEFP et la LRTFP font toutes deux partie du régime législatif qui régit les relations entre les fonctionnaires et le gouvernement fédéral. Cependant, en l’espèce, les termes contenus dans la LRTFP ne se trouvent pas dans la LEFP. Il est vrai que la rubrique indique « Emploi temporaire ». Je ne connais aucune règle d’interprétation qui dispose qu’il est possible de recourir au titre d’une rubrique contenue dans une loi pour guider l’interprétation du sens des termes utilisés dans une autre loi. Dans l’arrêt Miln-Bingham Printing Co. Ltd. v. The King, [1930] R.C.S. 282, le juge Duff a déclaré à la page 283 :

[traduction] Nul doute que pour déterminer le sens d’un terme donné dans une loi, il est permis de se référer à l’emploi que d’autres lois font de ce terme, particulièrement lorsque ces lois se trouvent à traiter de la même matière, mais somme tout l’argument voulant qu’une disposition interprétative d’une loi puisse être transposée littéralement dans le cadre d’une autre loi, du fait que les deux lois traitent d’une même matière, est fallacieuse.

Si l’approche du juge Duff est juste, et je suis d’avis qu’elle l’est, il serait particulièrement inapproprié de se référer à un article d’une loi pour expliquer un terme d’une autre loi lorsque le seul lien entre les deux consiste en une similarité du libellé de la rubrique dans la première loi et des termes employés dans la seconde loi.

[65]      Un autre motif rend cette méthode particulièrement inappropriée. Alors que la rubrique anglaise chapeautant l’article 21.2 indique « Casual Employment », la rubrique française indique « Emploi temporaire ». Par constraste, la version française de l’expression « a person employed on a casual basis », à l’alinéa g) de la définition de « employee » (fonctionnaire) au paragraphe 2(1) de la LRTFP, est « employées à titre occasionnel ». Si le législateur avait eu l’intention, à l’article 21.2, de définir l’expression « employées à titre occasionnel » aux fins de la LRTFP, il aurait assurément utilisé la même terminologie pour la rubrique chapeautant l’article 21.2 que celle utilisée pour la définition de l’expression « employées à titre occasionnel » contenue dans la LRTFP. Il ne l’a pas fait, même si la Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54, la loi même qui a introduit l’article 21.2 de la LEFP, a également modifié l’alinéa g) de la définition de « fonctionnaire », qui exclut les employés temporaires de l’application de la LRTFP. Le législateur a examiné les deux dispositions en parallèle, mais n’a pas tenté d’uniformiser la terminologie française dans la rubrique chapeautant l’article 21.2 de la LEFP et dans les termes employés à l’alinéa g) de la définition de « fonctionnaire » contenue dans la LRTFP.

[66]      En définitive, le juge Desjardins est d’avis que, par l’entremise de la Loi sur la réforme de la fonction publique, la modification apportée à l’alinéa g) de la définition de « fonctionnaire » prévue dans la LRTFP visait à rendre l’alinéa g) compatible avec l’article 21.2 de la LEFP. Si cela avait été le but du législateur, celui-ci en aurait certainement fait état, vu qu’il procédait à la modification des deux lois en même temps. Au contraire, j’estime qu’en omettant d’inclure la durée de l’emploi dans la définition d’« emploi temporaire » à l’alinéa g) dans la LRTFP, le législateur avait vraisemblablement l’intention de laisser à un arbitre le soin de décider si l’emploi était temporaire, à la suite d’une appréciation ponctuelle des circonstances de l’emploi qui n’aurait pas à prendre en compte une durée imposée par la loi.

[67]      Pour tous ces motifs, je suis d’avis avec égards que l’article 21.2 de la LEFP ne précise pas le sens de l’expression « employées à titre occasionnel » aux fins de la LRTFP. Cela étant, j’estime que l’arbitre et le juge des requêtes ont à bon droit conclu que la question de savoir si l’intimée était employée à titre occasionnel devait être décidée à la lumière des circonstances factuelles entourant son emploi. Cette démarche pourrait comprendre, parmi les facteurs à prendre en considération, le fait qu’elle ait été employée en vertu de l’article 21.2, sans se restreindre toutefois au simple raisonnement selon lequel, étant employée en vertu de l’article 21.2 de la LEFP, l’intimée devait automatiquement être « employée […] à titre occasionnel » au regard de la LRTFP.

[68]      L’appelant dans l’instance ne conteste pas les conclusions de fait qu’a tirées l’arbitre ni les considérations de common law sur lesquelles elle s’est fondée pour statuer que l’intimée n’était pas « employée[s] à titre occasionnel ». Comme la Cour n’a pas été sollicitée pour contrôler ces conclusions et comme je suis d’accord avec l’approche juridique adoptée par l’arbitre et le juge des requêtes, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.



[1]  L.R.C. (1985), ch. P-35 [maintenant art. 2(1)] (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 32).

[2]  L.R.C. (1985), ch. P-33, [art. 21.2] édicté par la Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54, art. 16, sanctionnée le 17 décembre 1992.

[3]  D.A., aux p. 149, 150 et 151.

[4]  D.A., à la p. 8.

[5]  Dans la présentation de son grief, Mme Marinos a déclaré qu’elle a été renvoyée pour ne pas avoir dévoilé à ses supérieurs qu’elle recevait des lettres personnelles de la part de détenus. D.A., à la p. 239.

[6]  [1997] C.R.T.F.P.C. no 47 (QL), aux par. 62, 67, 68, 72, 73, 74.

[7]  Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au par. 35 [p. 766 et 767].

[8]  [1991] 1 R.C.S. 614.

[9]  [1968] R.C.S. 172, à la p. 175.

[10]  [1988] 2 R.C.S. 1048, le juge Beetz, à la p. 1086.

[11]  Ibid.

[12]  [1998] 1 R.C.S. 982, au par. 28 [p. 1005].

[13]  Société canadienne des Postes c. S.P.C., [1989] 1 C.F. 176 (C.A.), à la p. 190.

[14]  Voir l’analyse du juge Sopinka à cet égard dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, aux p. 630 et ss.

[15]  L.C. 1992, ch. 54, art. 16.

[16]  D.A., à la p. 186.

[17]  Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 13.

[18]  Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 14.

[19]  [1984] 1 R.C.S. 357, aux p. 376 et 377.

[20]  Skoke-Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106, à la p. 120.

[21]  Beaupré, Rémi Michael, Interpreting Bilingual Legislation, 2e éd., Carswell 1986, à la p. 29.

[22]  Voir l’art. 13 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, et l’art. 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

[23]  Canada. Manuel du Conseil du Trésor. Gestion du personnel : rémunération. (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, ch. 1-1, appendice A.

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