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IMM‑8863‑04

2006 CF 197

Andrejs Tihomirovs (demandeur)

c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Mactavish—Toronto, 9 janvier; Ottawa, 14 février 2006.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente le 1er février 2002 à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés — Sa demande n’a pas été traitée avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le 28 juin 2002 — Le demandeur voulait faire convertir en action la demande visant à faire ordonner au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à examiner sa demande de résidence permanente selon l’ancienne loi, et il a demandé que l’action soit autorisée comme recours collectif — Il a soutenu que l’art. 361(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, restreignant l’évaluation des dossiers selon l’ancien Règlement aux demandes déposées avant le 1er janvier 2002, était ultra vires de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Cette disposition n’était pas ultra vires — Le critère d’autorisation du recours collectif n’a pas été rempli — La requête en conversion en action a été rejetée.

Pratique — Demandes — Requête en conversion d’une demande de contrôle judiciaire en action intentée en vertu de l’art. 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales — Cette requête devait être examinée en même temps que la requête en autorisation d’un recours collectif — L’issue de la requête dépendait de l’issue de la requête en autorisation.

Pratique — Recours collectifs — Le demandeur a présenté une requête en conversion de la demande de contrôle judiciaire en action et en autorisation de l’action comme recours collectif intenté au nom des travailleurs qualifiés, des travailleurs autonomes, des entrepreneurs ou des investisseurs ayant fait une demande de résidence permanente — Les cinq critères d’autorisation de recours collectif énoncés à la règle 299.18 des Règles des Cours fédérales sont cumulatifs — Le demandeur a soutenu que l’art. 361(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés était ultra vires de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Il a déjà été statué que ce texte d’application a été pris validement  — Les arguments supplémentaires du demandeur ne changeaient rien à cette conclusion — L’acte de procédure ne révélait donc aucune cause d’action valable — Le critère d’autorisation n’était pas rempli.

Interprétation des lois — Le demandeur a soutenu que la répartition en deux catégories des demandeurs dont les demandes de résidence permanente étaient en cours de traitement lors de l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et résultant de l’art. 361(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés était ultra vires — Le terme « catégories », qui apparaît dans la disposition transitoire en vertu de laquelle l’art. 361(3) du Règlement a été pris, ne vise pas simplement des groupes d’immigrants potentiels répartis selon des critères de sélection — L’intention du législateur était que des règlements puissent être pris en rapport avec des groupes de personnes ayant une caractéristique commune, c’est‑à‑dire la période pendant laquelle les demandes de résidence permanente ont été déposées — L’exigence temporelle prévue par l’art. 361(3) du Règlement ne constituait pas un facteur arbitraire et sans pertinence.

Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente le 1er février 2002 en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, et sa demande n’a pas été traitée avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le 28 juin 2002. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire afin que la Cour oblige le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à examiner sa demande de résidence permanente selon l’ancienne loi, et demandait maintenant que sa demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action intentée aux termes de l’article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales. Il a aussi présenté une requête en autorisation de recours collectif au nom de toutes les personnes qui ont présenté leur demande de résidence permanente entre le 1er janvier 2002 et le 28 juin 2002 dans la catégorie des travailleurs qualifiés, des travailleurs autonomes, des entrepreneurs ou des investisseurs (à l’exclusion des candidats des provinces et de ceux à destination du Québec).

Le paragraphe 361(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) était la disposition pertinente en l’espèce; selon lui, jusqu’au 31 mars 2003, les demandes présentées avant le 1er janvier 2002 devaient être évaluées selon l’ancien Règlement, en dérogation à l’article 190 de la LIPR, aux termes duquel les demandes en cours de traitement au moment de l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi étaient régies par celle‑ci.

Était aussi pertinent l’arrêt Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) rendu par la Cour d’appel fédérale et selon lequel la requête en conversion et la requête en autorisation devaient être étudiées simultanément.

Jugement  : la requête en conversion de la demande de contrôle judiciaire en action doit être rejetée.

La demande de contrôle judiciaire ne pouvait être convertie en action que si la requête en autorisation était accueillie. Pour cela, tous les cinq critères énoncés au paragraphe 299.18(1) des Règles des Cours fédérales devaient être réunis.

Le demandeur n’a pas rempli le premier critère : les actes de procédure ne révélaient aucune cause d’action valable. Dans Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), il a été statué que le paragraphe 361(3) était un texte d’application pris validement. Les actes de procédure du demandeur (c’est‑à‑dire l’avis de demande de contrôle judiciaire et le projet de déclaration) affirmaient simplement que le ministre avait excédé sa compétence ou qu’il avait agi sans compétence dans l’application des dispositions transitoires de la LIPR. À leur face même, les actes de procédure ne révélaient aucune cause d’action valable.

Le demandeur a fait valoir deux arguments qui n’avaient pas été soulevés dans l’affaire Dragan. Ceux‑ci n’ont rien changé à la conclusion qu’aucune cause d’action valable n’avait été révélée. Le premier argument a été rejeté au motif que la répartition en deux catégories des demandeurs dont les demandes de résidence permanente étaient en cours de traitement lors de l’entrée en vigueur de la LIPR résultant du paragraphe 361(3) du Règlement n’était pas ultra vires de la LIPR. Le terme «  catégories  », qui apparaît à l’article 201 de la LIPR (une disposition transitoire prévoyant que « [l]es règlements  [. . . ]  portent  notamment  sur  les  catégories  de personnes qui seront assujetties à [. . .] la présente loi ou [à ] l’ancienne loi  »), apparaît partout dans la loi et ne vise pas simplement des groupes d’immigrants potentiels répartis selon des critères de sélection. L’intention du législateur était que des règlements puissent être pris en rapport avec divers groupes de personnes ayant une caractéristique commune. La caractéristique commune en cause en l’espèce était la date à laquelle les demandes de résidence permanente ont été déposées. Puisqu’il s’agit en l’espèce d’une disposition transitoire, on ne saurait raisonnablement prétendre qu’une exigence temporelle liée à la date à laquelle la demande a été déposée soit un facteur arbitraire ou non pertinent. La date butoir du 1er janvier 2002 n’était pas non plus le produit d’un choix arbitraire. Le projet de Règlement a été publié à la mi‑décembre 2001. Il était clair que les demandeurs qui déposeraient leur demande en 2002 seraient évalués en conformité avec le nouveau régime. Il était également évident et manifeste, au regard de la formulation de l’article 201 de la LIPR, que le paragraphe 361(3) du Règlement n’était pas ultra vires. Deuxièmement, le demandeur a soutenu que le ministre avait l’obligation, en vertu de la loi, de s’assurer que son dossier était traité en temps utile, ce qu’il n’a pas fait, et il a invoqué l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général). On pouvait notamment distinguer cet arrêt au motif que le texte légal en cause en l’espèce prévoit clairement un régime transitoire qui s’applique entre l’ancien et le nouveau régime légal.

Même si la requête ne pouvait être accueillie puisque le premier critère d’autorisation n’avait pas été rempli, la Cour s’est penchée sur les autres critères. Le deuxième critère (le groupe identifiable) était éventuellement remplie, mais la catégorie proposée devait être circonscrite. Les personnes dont les demandes de résidence permanente ont été refusées et qui n’ont pas présenté une demande de contrôle judiciaire dans les 60 jours de la décision ne sauraient tenter de faire renaître leur droit de contester la décision en participant à un recours collectif. Contrairement aux régimes sur les recours collectifs en vigueur en Colombie‑Britannique et en Ontario qui prévoient que tout délai de prescription est suspendu à l’égard des membres, le régime fédéral n’a pas été institué par une loi. En l’absence d’une loi fédérale en matière de recours collectif autorisant la suspension des délais de prescription, la question ne pouvait pas être traitée par un texte d’application comme les Règles des Cours fédérales. Les dispositions des Règles relatives aux recours collectifs ne peuvent l’emporter sur le délai de prescription prévu à l’alinéa 72(2)b) de la LIPR. Le troisième critère était aussi rempli (un point de droit ou de fait collectif était soulevé). Cependant, le recours collectif n’était pas le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs (critère 4). Enfin, vu les facteurs énumérés à l’alinéa 299.18(1)e) des Règles, la Cour a conclu que le demandeur aurait été un représentant demandeur acceptable (critère 5).

Puisque deux des critères d’autorisation n’ont pas été remplis (critères 1 et 4), la requête en autorisation n’aurait pas été accueillie. Par conséquent, la requête en conversion de la demande de contrôle judiciaire en action a été rejetée.

lois et règlements cités

Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50, art. 38.1 (édicté par S.B.C. 2004, ch. 65, art. 1), 39 (mod. par S.B.C. 1995, ch. 21, art. 39).

Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, art. 28.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 18.4 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)f), 6(1), 72(2)b) (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 74d), 88(2), 190, 201.

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172, art. 8(1) (mod. par DORS/85‑1038, art. 3).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 361(3).

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 299.18 (édictée par DORS/2002‑417, art. 17), 299.2 (édictée, idem).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 531; 2005 CAF 308; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534; 2001 CSC 46; Hollick c. Toronto (Ville), [2001] 3 R.C.S. 158; 2001 CSC 68.

décision différenciée :

Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.

décisions examinées :

Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 189; 2003 CFPI 211; Borisova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 408; 2003 CF 859; Rasolzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 386; 2005 CF 919; Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 479; Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] A.C.F. no 846 (C.A.) (QL).

décisions citées :

Rumley c. Colombie‑Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184; 2001 CSC 69; Auton (Guardian ad litem of) v. British Columbia (Minister of Health) (1999), 12 Admin. L.R. (3d) 261; 32 C.P.C. (4th) 305 (C.S.C.‑B.); Sylvain c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2004 CF 1610; Le Corre c. Canada (Procureur général), 2004 CF 155; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Peppiatt et al. v. Nicol et al. (1993), 16 O.R. (3d) 133; 20 C.P.C. (3d) 272 (Div. gén.); Denis v. Bertrand & Frère Construction Co., [2000] O.J. no 5783 C.S.J. (QL); R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655 CAF 436; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460; 2001 CSC 44; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 589; 2005 CAF 56.

REQUÊTE en conversion d’une demande de contrôle judiciaire (visant à ordonner au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’évaluer la demande de résidence permanente du demandeur conformément à l’ancienne Loi sur l’immigration) en action et en autorisation de l’action comme un recours collectif. Requête rejetée.

ont comparu :

Dan Miller pour le demandeur.

Kevin Lunney pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Dan Miller, Toronto, pour le demandeur.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]La  juge Mactavish : Le 1er février 2002, Andrejs Tihomirovs a demandé la résidence permanente en vertu des dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2]. Sa demande n’a pas été traitée avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27], le 28 juin 2002.

[2]M. Tihomirovs estime que sa demande aurait été acceptée si elle avait été traitée en conformité avec les critères prévus par la Loi sur l’immigration. Il pense aussi qu’il ne satisfera pas aux exigences de la nouvelle loi. Par conséquent, M. Tihomirovs a déposé une demande de contrôle judiciaire afin que la Cour prononce une ordonnance de mandamus, ou une injonction mandatoire permanente, enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’examiner sa demande en vertu des dispositions de l’ancienne loi.

[3]M. Tihomirovs demande aujourd’hui que sa demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. En même temps, M. Tihomirovs présente une requête en autorisation de recours collectif au nom de toutes les personnes qui ont présenté leur demande de résidence permanente entre le 1er janvier 2002 et le 28 juin 2002 dans la catégorie des travailleurs qualifiés, des travailleurs autonomes, des entrepreneurs ou des investisseurs, à l’exclusion des candidats des provinces et de ceux à destination du Québec.

[4]Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que M. Tihomirovs satisfasse au critère en cinq points prévu par la règle 299.18 [édictée par DORS/2002-417, art. 17] des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/ 2004-283, art. 2)]. L’autorisation ne serait donc pas accordée. Par voie de conséquence, la requête visant à ce que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action est rejetée.

[5]Compte tenu de la conclusion que j’ai tirée concernant la conversion de l’instance, je n’ai pas à me pencher dûment sur la requête en autorisation de recours collectif.

Contexte factuel de la demande de résidence permanente de M. Tihomirovs

[6]M. Tihomirovs est un ingénieur civil résidant en Lettonie. Il souhaite venir s’installer au Canada avec sa famille. C’est ainsi qu’il a déposé une demande de résidence permanente le 1er février 2002, à titre de travailleur appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

[7]À l’époque où M. Tihomirovs a déposé sa demande de résidence permanente, il devait être évalué selon les critères énoncés dans le Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172. M. Tihomirovs croit qu’il aurait obtenu une note de 74 points en vertu de ce régime. Un candidat devait alors recueillir 70 points pour qu’on fasse droit à sa demande.

[8]M. Tihomirovs ajoute qu’en vertu des nouveaux critères de sélection définis dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, il obtiendrait seulement 65 points. La note de passage est désormais fixée à 67 points. M. Tihomirovs est donc d’avis que, alors qu’il pouvait immigrer au Canada en vertu de l’ancien régime, il ne peut plus le faire aujourd’hui.

[9]Selon M. Tihomirovs, c’est le seul obstacle à son immigration au Canada.

[10]M. Tihomirovs estime qu’environ 40 000 personnes sont dans la même situation. Si l’on tient compte des personnes à charge qui sont visées par ces demandes, il y aurait environ 100 000 personnes dans ce groupe envisagé. Il s’agit essentiellement d’individus qui résident à l’extérieur du Canada et qui viennent de tous les coins du globe.

Litiges connexes

[11]L’adoption de nouveaux critères de sélection pour les demandes de résidence permanente dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés a entraîné bon nombre de litiges engagés par des individus dont la demande de résidence permanente était en instance le 28 juin 2002.

[12]Le 27 juin 2002, la juge Heneghan a rejeté une requête en injonction préventive présentée par un groupe d’individus, notamment M. Tihomirovs, dont les demandes de résidence permanente étaient en instance, au moment où la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés était sur le point d’entrer en vigueur. La juge Heneghan a conclu que même si la requête était formulée comme s’il s’agissait d’une requête en injonction interlocutoire, en réalité, les demandeurs voulaient que la Cour se prononce sur la validité de la nouvelle loi. Les demandeurs n’ayant pas étayé le bien‑fondé de leur contestation, il n’y avait aucune raison d’accorder la réparation demandée. Par conséquent, la requête a été rejetée  : Borisova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM‑2819‑02.

[13]Le 21 février 2003 [Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 189 (1re inst.)], le juge Kelen a conclu que le ministre n’avait pas respecté son obligation implicite de prendre toutes les mesures raisonnables pour examiner en temps opportun les demandes de résidence permanente d’un groupe de 102 personnes. Ces personnes avaient déposé leur demande de résidence permanente avant le 1er janvier 2002. (Les personnes ayant déposé leur demande de résidence permanente avant le 1er janvier 2002 seront appelées les demandeurs du « groupe A » dans les présents motifs.)

[14]Les demandeurs du groupe A sont assujettis au paragraphe 361(3) du Règlement, dont les dispositions pertinentes prévoient que :

361. [. . .]

(3) Pendant la période commençant à la date d’entrée en vigueur du présent article et se terminant le 31 mars 2003, les points d’appréciation sont attribués conformément à l’ancien règlement à l’étranger qui est un immigrant qui :

[. . .]

b) d’autre part, a fait, conformément à ce même règlement, une demande de visa d’immigrant avant le 1er janvier 2002, pendante à l’entrée en vigueur du présent article, et n’a pas obtenu de points d’appréciation en vertu de ce règlement. [Non souligné dans l’original.]

[15]Ayant conclu que le ministre n’avait pas traité les demandes du groupe A en temps opportun, le juge Kelen a délivré des ordonnances de mandamus enjoignant au défendeur d’examiner ces demandes conformément aux critères de sélection établis dans la Loi sur l’immigration, et de faire en sorte que cet examen soit terminé au plus tard le 31 mars 2003; voir Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration).

[16]Le juge Kelen n’a accordé aucune réparation en ce qui concerne les demandes de résidence permanente déposées entre le 1er janvier 2002 et l’entrée en vigueur de la LIPR, le 28 juin 2002 (les demandes du « groupe B »). Selon le juge Kelen, l’interprétation qu’il convient de donner aux dispositions transitoires du paragraphe 361(3) du Règlement, lues avec l’article 190 de la LIPR, exige que les demandes de résidence permanente déposées après le 1er janvier 2002 soient examinées en vertu du nouveau régime législatif.

[17]En vertu de l’article 190 de la LIPR, la LIPR s’applique aux demandes pour lesquelles aucune décision n’avait encore été prise lors de son entrée en vigueur. L’article 201 de la LIPR permet la prise de règlements qui régissent la transition entre l’ancienne Loi sur l’immigration et la nouvelle loi. C’est en vertu de cette disposition que le paragraphe 361(3) du Règlement a été pris, disposition qui a créé une exception applicable aux demandes déposées avant le 1er janvier 2002.

[18]De nombreux autres litiges portant sur des questions connexes ont été traités dans le cadre du système de gestion des instances. La demande de contrôle judiciaire de M. Tihomirovs fait partie de ces instances. Au départ, la demande de M. Tihomirovs a été réunie à celle de 153 autres personnes désignées. Parmi elles, 133 demandeurs appartiennent au groupe A tandis que 21 autres, dont M. Tihomirovs, appartiennent au groupe B.

[19]Le 17 juin 2003, le juge Gibson a décerné une injonction enjoignant au ministre de s’abstenir de rejeter les demandes du groupe A avant qu’une décision définitive soit rendue dans le litige. Aucune réparation n’a été accordée aux parties du groupe B, y compris M. Tihomirovs. Selon le juge Gibson, le projet de Règlement publié à la mi‑décembre 2001 établissait clairement que les demandes présentées en 2002 seraient évaluées en vertu du nouveau régime. Ainsi, les personnes qui avaient présenté leur demande de résidence permanente en 2002 n’avaient aucun espoir raisonnable que leur demande soit évaluée en vertu de la Loi sur l’immigration et de son règlement d’applica-tion : Borisova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 408 (C.F.).

[20]Le 18 septembre 2003, le ministre a annoncé que le Règlement serait modifié de manière à ce que les demandes du groupe A puissent être évaluées conformément aux critères de sélection prévus par l’ancien régime.

[21]Vers la fin de 2003, le ministre a accepté de régler le litige introduit par les demandeurs du groupe A. Toutes les parties ont consenti à l’autorisation d’un recours collectif à l’égard de l’un des litiges du groupe A et l’autorisation a été accordée le 10 novembre 2004 : Rasolzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM‑2286‑03. Le règlement à l’amiable a été approuvé par la Cour le 11 avril 2005 : Rasolzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 386 (C.F.).

[22]Entre‑temps, le 15 octobre 2004, le juge Gibson a ordonné que les demandes du groupe B, y compris celle de M. Tihomirovs, soient dissociées des demandes du groupe A. La Cour a également ordonné que les demandes du groupe B soient instruites à titre de demandes de contrôle judiciaire distinctes, la date d’ouverture de l’instance à l’égard de chacune de ces demandes ayant été fixée au 19 juin 2002.

[23]M. Tihomirovs fait partie de ce groupe B et il se présente pour agir en qualité de représentant du groupe, dans l’éventualité où la Cour autoriserait le recours collectif. À cette fin, il demande d’abord à la Cour d’ordonner que sa demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. Si la Cour accueille sa requête, il demande ensuite que l’action soit autorisée comme recours collectif.

Contexte du présent litige

[24]Il est également utile de comprendre l’historique de la propre demande de contrôle judiciaire de M. Tihomirovs pour placer dans leur contexte les présentes requêtes.

[25]M. Tihomirovs a d’abord déposé une requête pour que sa demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. La requête n’était pas accompagnée d’une requête en autorisation.

[26]Dans une décision datée du 12 avril 2005 [Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 479], j’ai examiné la jurisprudence existante concernant la conversion d’une demande de contrôle judiciaire en action et j’ai conclu que le principe d’accès à la justice exigeait que la requête soit accueillie.

[27]En tirant cette conclusion, je n’ai examiné aucun des cinq facteurs du critère applicable en matière d’autorisation, puisque j’étais d’avis que ces facteurs devaient être examinés en même temps que la requête en autorisation et non avant.

[28]En appel, la Cour d’appel fédérale a décidé que les cinq facteurs du critère d’autorisation décrits à la règle 299.18 des Règles des Cours fédérales étaient en fait pertinents pour déterminer si la demande de contrôle judiciaire devait être instruite comme s’il s’agissait d’une action : Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 531 (C.A.F.).

[29]En outre, la Cour d’appel fédérale a dit que dans de telles circonstances, concrètement, la requête en conversion ne devait pas être présentée avant la requête en autorisation, mais que les deux requêtes devaient être examinées en même temps. Selon la Cour d’appel fédérale, si la preuve produite satisfait au critère relatif à l’autorisation, la conversion doit être ordonnée et être suivie immédiatement d’une ordonnance autorisant le recours collectif : Tihomirovs, au paragraphe 18.

[30]Il s’ensuit que s’il n’est pas satisfait au critère en matière d’autorisation, la requête en conversion doit être rejetée.

[31]Le contexte de la procédure et des faits en cause dans la présente requête ayant été clarifié, je vais maintenant examiner les principes généraux qui régissent les recours collectifs.

Principes généraux qui régissent les recours collectifs

[32]Les recours collectifs visent à faciliter l’accès à la justice à ceux qui autrement ne pourraient pas revendiquer leurs droits dans le cadre du processus judiciaire habituel. Les recours collectifs permettent en outre de réaliser des économies sur le plan judiciaire en donnant à la Cour la possibilité de rendre une décision dans une seule action, décision qui s’appliquera à de nombreuses autres réclamations portant sur des questions semblables. Enfin, les recours collectifs sont utiles parce qu’ils encouragent les malfaisants à modifier leur comportement : Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534; Hollick c. Toronto (Ville), [2001] 3 R.C.S. 158;  Rumley c. Colombie‑Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184.

[33]Dans la trilogie susmentionnée, la Cour suprême du Canada a également dit que les tribunaux devaient éviter d’appliquer une démarche trop restrictive en matière d’autorisation des recours collectifs pour adopter une interprétation qui donne pleinement effet aux avantages escomptés.

[34]En outre, comme a dit la Cour suprême dans Hollick (au paragraphe 16) :

L’étape de la certification intéresse la forme que revêt l’action. La question à cette étape n’est pas s’il est vraisemblable que la demande aboutisse, mais s’il convient de procéder par recours collectif. [Souligné dans l’original.]

Dispositions applicables de la Loi sur les Cours fédérales et des Règles

[35]Les Règles de la Cour fédérale ont été modifiées en 2002 pour prévoir les recours collectifs. À l’heure actuelle, les Règles ne contiennent aucune disposition concernant les contrôles judiciaires collectifs. Par conséquent, si l’affaire doit être entendue en tant que recours collectif, la Cour doit d’abord rendre une ordonnance pour que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. Pour plus de commodité, le processus sera appelé la « conversion » d’une demande de contrôle judiciaire en action.

[36]La conversion d’une demande de contrôle judiciaire en action est régie par les dispositions de l’article 18.4 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), qui prévoit :

18.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

(2) Elle peut, si elle l’estime indiqué, ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

[37]Une requête en autorisation de recours collectif est régie par la règle 299.18 qui est ainsi libellé :

299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs, qu’ils prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs;

e) un des membres du groupe peut agir comme représentant demandeur et, à ce titre :

(i) représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’action au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés du déroulement de l’instance,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait collectifs,

(iv) communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et son avocat.

[38]Soulignons que les termes du paragraphe 299.18(1) des Règles sont de nature impérative et prévoient que la Cour autorise le recours si les cinq conditions sont réunies.

[39]En outre, il faut mentionner que les conditions énumérées au paragraphe 299.18(1) des Règles sont conjonctives. Par conséquent, si le demandeur ne satisfait pas à l’une des cinq conditions, l’autorisation doit être refusée : Auton (Guardian ad litem of) v. British Columbia (Minister of Health) (1999), 12 Admin. L.R. (3d) 261 (C.S.C.-B.), au paragraphe 40.

[40]La règle 299.2 [édictée par DORS/2002-417, art. 17] des Règles est également pertinente. Elle prévoit :

299.2 Le juge ne peut refuser d’autoriser une action comme recours collectif en se fondant uniquement sur l’un ou plusieurs des motifs suivants :

a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages‑intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait collectifs tranchés, une évaluation individuelle;

b) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres de la catégorie;

c) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe;

d) le nombre de membres du groupe ou l’identité de chacun des membres est inconnu;

e) il existe au sein du groupe un sous‑groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait collectifs que ne partagent pas tous les membres du groupe. [Non souligné dans l’original.]

[41]Selon mon interprétation de la disposition, le terme « uniquement » ou « solely » veut dire que même si les facteurs énumérés sont réellement pertinents lors d’une requête en autorisation, aucun des facteurs soit seul soit combiné à d’autres facteurs énumérés ne constitue, en soi, un motif suffisant pour refuser l’autorisation.

[42]Cette conclusion est confirmée par le libellé de la règle 299.18 qui exige que le juge qui entend la requête en autorisation prenne en compte tous les facteurs pertinents, notamment, mais vraisemblablement sans y être limité, les cinq facteurs énumérés dans les Règles.

[43]Après avoir expliqué les dispositions applicables des Règles, je vais maintenant examiner la question de savoir si M. Tihomirovs a satisfait à chacune des conditions du critère d’autorisation.

Analyse

[44]En examinant cette question, il faut mentionner qu’à cause de l’introduction relativement récente de la procédure de recours collectif à la Cour, la jurisprudence de la Cour est très peu abondante pour ce qui concerne le processus d’autorisation.

[45]Les Règles des Cours fédérales concernant l’autorisation des recours collectifs sont toutefois essentiellement les mêmes que les règles correspondantes de la Colombie‑Britannique : Sylvain c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2004 CF 1610, au paragraphe 26; Rasolzadeh, au paragraphe 23. Les Règles sont également très semblables à celles qui existent en Ontario : Le Corre c. Canada (Procureur général), 2004 CF 155, au paragraphe 17. Par conséquent, la jurisprudence de ces provinces peut considérablement aider la Cour à décider s’il y a lieu, en l’espèce, d’accorder l’autorisation demandée.

[46]Cela étant, je vais maintenant examiner chacun des facteurs énumérés à la règle 299.18.

a)            Y a-t-il une cause d’action valable?

[47]Les parties conviennent que le critère qui s’applique à cette étape est de savoir s’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980. Les parties reconnaissent également qu’il s’agit d’un seuil peu élevé : Peppiatt et al. v. Nicol et al. (1993), 16 O.R. (3d) 133 (Div. gén.), aux pages 140 et 141; Denis v. Bertrand & Frère Construction Co., [2000] O.J. no 5783 C.S.J. (QL).

[48]Il convient de souligner maintenant que la Cour d’appel fédérale a mentionné que, lorsqu’il s’agit d’un recours collectif en matière d’immigration, puisqu’il faut obtenir l’autorisation de la Cour avant de procéder par voie de contrôle judiciaire, l’existence d’une « cause d’action valable » ne devrait plus être en litige lors des demandes de conversion et d’autorisation : Tihomirovs, au paragraphe 20.

[49]L’observation est exacte pour ce qui concerne les demandes postérieures au 28 juin 2002, mais en l’espèce, M. Tihomirovs n’était pas tenu d’obtenir l’autorisation de présenter sa demande de contrôle judiciaire puisque celle‑ci avait été déposée à la Cour avant l’entrée en vigueur, le 28 juin 2002, des exigences en matière d’autorisation relativement aux décisions prises à l’extérieur du Canada.

[50]Il faut également mentionner que parce que la présente procédure a été instituée comme demande de contrôle judiciaire, il n’y a aucun « acte de procédure » en l’espèce au sens conventionnel du terme. Ce dont la Cour est saisie, c’est de l’avis de demande de contrôle judiciaire de M. Tihomirovs ainsi que du projet de déclaration qu’il se propose de déposer si sa requête en conversion de sa demande de contrôle judiciaire en action est accueillie.

[51]L’avis de demande de contrôle judiciaire de M. Tihomirovs ne fait que reprendre les motifs de contrôle judiciaire prévus au paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales. Ces motifs comprennent les affirmations générales voulant que le ministre défendeur ait agi sans compétence en rapport avec l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et du Règlement et qu’il ait refusé d’exercer sa compétence.

[52]Dans son projet de déclaration, M. Tihomirovs prétend que le ministre avait l’obligation d’évaluer les demandes d’immigration des membres du groupe envisagé, conformément au régime de sélection établi en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, ainsi qu’en conformité avec le régime de sélection prévu par la LIPR. Le demandeur affirme également, dans le projet de déclaration, que le ministre a manqué à cette obligation et, en outre, il reprend les motifs qui figuraient dans l’avis de demande de contrôle judiciaire, à savoir les motifs énumérés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

[53]Pour ce qui concerne la réparation demandée, M. Tihomirovs sollicite, dans l’avis de demande de contrôle judiciaire, une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d’évaluer sa demande de résidence permanente en conformité avec les critères de sélection établis sous le régime de la Loi sur l’immigration.

[54]Dans son projet de déclaration, M. Tihomirovs élargit davantage sa demande de réparation en demandant que les demandes de résidence permanente des membres du groupe envisagé soient traitées en conformité avec les critères de sélection prévus tant par la LIPR que par la Loi sur l’immigration.

[55]Le projet de déclaration sollicite également des ordonnances de certiorari annulant toute décision défavorable qui aurait été prise au sujet de la demande de résidence permanente de M. Tihomirovs ou au regard d’une demande de l’un des membres du groupe envisagé lorsque le refus était fondé sur une évaluation effectuée uniquement en vertu des critères de la LIPR.

[56]La question est donc de savoir si les « actes de procédure » dont je dispose révèlent une cause d’action valable. Comme je l’ai dit précédemment, l’avis de demande de contrôle judiciaire de M. Tihomirovs ainsi que son projet de déclaration comportent une simple affirmation selon laquelle le ministre a excédé sa compétence ou qu’il a agi sans compétence dans l’application des dispositions transitoires de la LIPR. À cet égard, la Cour a déjà dit, dans Dragan, que le paragraphe 361(3) était un texte d’application pris validement et qu’il était intra vires de l’article 201 de la LIPR. Ainsi, à leur face même, les « actes de procédure » ne révèlent aucune cause d’action valable.

[57]M. Tihomirovs reconnaît qu’au paragraphe 37 de la décision Dragan, le juge Kelen a également décidé que les demandeurs du groupe B n’avaient pas le droit d’être évalués en vertu des critères de sélection de l’ancien régime. Toutefois, M. Tihomirovs soulève deux arguments qui, de toute évidence, n’ont pas été soulevés dans Dragan et qui, selon lui, étayent la thèse selon laquelle les demandes des membres du groupe B sont fondées.

[58]Après avoir soigneusement examiné la question, j’estime que même si je vais au‑delà du libellé de l’avis de demande de contrôle judiciaire et du projet de déclaration et même si j’examine les divers arguments juridiques proposés par M. Tihomirovs, ma conclusion reste inchangée.

[59]Le premier des nouveaux arguments de M. Tihomirovs est fondé sur certains principes d’interprétation des lois qui, selon lui, permettent de conclure que la répartition en deux groupes des demandeurs dont les demandes de résidence permanente étaient en instance lors de l’entrée en vigueur de la LIPR (les demandeurs du groupe A et ceux du groupe B), répartition résultant du paragraphe 361(3) du Règlement, était ultra vires de la LIPR.

[60]À cet égard, M. Tihomirovs mentionne l’article 201 de la LIPR qui prévoit :

201. Les règlements régissent les mesures visant la transition entre l’ancienne loi et la présente loi et portent notamment sur les catégories de personnes qui seront assujetties à tout ou partie de la présente loi ou de l’ancienne loi, ainsi que sur les mesures financières ou d’exécution. [Non souligné dans l’original.]

[61]M. Tihomirovs fait valoir que même si le terme « catégories » n’est pas défini dans la loi, il s’agit d’un terme technique au sens où l’entend la LIPR qui vise des groupes d’immigrants potentiels répartis selon des critères de sélection. Les demandeurs des groupes A et B forment ainsi une seule catégorie indivisible de demandeurs de la catégorie « immigration économi-que ».

[62]Selon M. Tihomirovs, la LIPR ne permet pas la prise de règlements qui auraient pour objet de former des groupes de demandeurs en fonction de la date de leur demande de résidence permanente. Selon M. Tihomirovs, la date à laquelle une personne présente sa demande est une question purement arbitraire et non pertinente, et une interprétation de la loi qui entraînerait des distinctions arbitraires et irrationnelles doit être évitée en faveur d’une interprétation qui ne crée pas de distinctions aussi absurdes. À cet égard, M. Tihomirovs se fonde sur quelques arrêts, notamment R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618, à la page 631.

[63]M. Tihomirovs prétend également que répartir des demandeurs de la catégorie « immigration économi-que » en deux groupes, selon la date à laquelle leur demande a été déposée, ne favorise pas la prise de normes uniformes et est donc contraire à l’alinéa 3(1)f) de la LIPR.

[64]À l’appui de son argument selon lequel la distinction temporelle visée au paragraphe 361(3) est arbitraire, M. Tihomirovs souligne que, selon le projet de règlement qui avait été prépublié dans la Gazette du Canada le 15 décembre 2001, toutes les personnes qui avaient demandé la résidence permanente avant le 28 juin 2002 étaient traitées de la même façon : c’est‑à‑dire qu’elles devaient toutes être évaluées en conformité avec le nouveau régime. Ce n’est que par suite de la pression du public, selon M. Tihomirovs, que les demandeurs du groupe A ont pu bénéficier des droits acquis en vertu des anciennes règles contrairement aux membres du groupe B.

[65]Après avoir soigneusement examiné les arguments de M. Tihomirovs, je suis convaincue qu’il est évident et manifeste qu’ils ne peuvent être retenus.

[66]Un examen de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés dans son ensemble révèle très clairement que le sens du terme « catégories » utilisé à l’article 201 ne peut être restreint comme le propose M. Tihomirovs.

[67]Le terme « catégories » apparaît partout dans la loi et ne vise pas tout simplement des groupes d’immigrants potentiels répartis selon des critères de sélection comme le laisse entendre M. Tihomirovs : voir, par exemple, le paragraphe 6(1), qui renvoie à des catégories de personnes désignées par le ministre et chargées par celui‑ci de responsabilités déléguées en application de la Loi, ainsi que le paragraphe 88(2), qui autorise la prise de règlements relativement aux catégories de bénéficiaires de prêts.

[68]Ainsi, lorsque les termes de l’article 201 sont lus dans leur contexte global et selon leur sens grammatical et ordinaire, il est évident et manifeste que le législateur voulait que des règlements puissent être pris en rapport avec divers groupes de personnes ayant une caractéristique commune.

[69]La caractéristique commune en cause en l’espèce est la date à laquelle les demandes de résidence permanente ont été déposées. Puisqu’il s’agit en l’espèce d’une disposition transitoire, on ne saurait raisonnablement prétendre qu’une exigence temporelle liée à la date à laquelle la demande a été déposée soit un facteur arbitraire ou non pertinent.

[70]En outre, il est clair que la date butoir du 1er janvier 2002 n’était pas un choix arbitraire, comme voudrait m’en convaincre M. Tihomirovs. Comme il a été mentionné dans Borisova, il y avait des motifs, fondés sur des principes, de choisir le 1er janvier 2002 comme date butoir : c’est‑à‑dire que par suite de la publication du projet de Règlement, à la mi‑décembre 2001, il était clair que les demandeurs qui déposeraient leur demande en 2002 seraient évalués en conformité avec le nouveau régime. Par conséquent, aucune personne ayant déposé sa demande après cette date ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que sa demande soit examinée en vertu des dispositions de la Loi sur l’immigration et de son règlement d’application.

[71]Le fait de conférer au terme « catégories » son sens ordinaire respecte également la mise en garde de la Cour d’appel fédérale selon laquelle, à titre de loi « cadre », la LIPR doit être interprétée de manière à permettre une réglementation souple : de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655 (C.A.F.), au para-graphe 39.

[72]Il est également évident et manifeste, selon moi, que la contestation de M. Tihomirovs de la constitutionnalité du paragraphe 361(3) du Règlement fondée sur les termes de l’article 201 de la LIPR ne peut être retenue compte tenu des termes de l’article 201 lui‑même, qui autorise la prise de règlements régissant les mesures visant la transition entre la Loi sur l’immigration et la LIPR et portant notamment sur les catégories de personnes qui seront assujetties à tout ou partie de la LIPR ou de l’ancienne loi.

[73]Si l’on donne à l’expression « notamment » son sens ordinaire, je suis convaincue qu’il est clair que la LIPR ne limite pas le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements relativement au régime transitoire comme le propose M. Tihomirovs. L’expression « notamment » implique nécessairement que le pouvoir est plus large que celui que semble conférer les termes habilitants qui suivent.

[74]Enfin, même si je retenais tous les arguments de M. Tihomirovs, pour ensuite conclure que le paragraphe 361(3) du Règlement est ultra vires de la LIPR, il faudrait ensuite annuler la disposition qui distingue entre les demandes présentées avant le 1er janvier 2002 et celles qui ont été présentées après cette date. Les demandes de résidence permanente de M. Tihomirovs et des autres membres du groupe envisagé seraient alors assujetties à l’article 190 de la LIPR qui prévoit que les demandes pour lesquelles aucune décision n’a encore été prise lors de l’entrée en vigueur de la LIPR, en juin 2002, sont régies par la nouvelle loi.

[75]Il s’agit, bien entendu, du résultat que M. Tihomirovs tente d’éviter par le présent litige.

[76]Deuxièmement, M. Tihomirovs soutient que puisque sa demande de résidence permanente était prête à être traitée avant l’entrée en vigueur du nouveau règlement, le ministre avait l’obligation, en vertu de la loi, de s’assurer que son dossier était traité en temps utile, ce qu’il n’a pas fait. En invoquant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, M. Tihomirovs prétend qu’il faudrait maintenant enjoindre au ministre d’évaluer sa demande ainsi que toutes les autres demandes de résidence permanente prêtes à être traitées avant l’entrée en vigueur de la LIPR en conformité avec la grille de sélection établie par la Loi sur l’immigration.

[77]Il m’apparaît évident et manifeste que cet argument est également voué à l’échec. La situation à laquelle devait faire face la Cour d’appel fédérale dans Apotex se distingue nettement et pour plusieurs raisons de la situation en cause en l’espèce.

[78]Contrairement à la situation dans Apotex, les dispositions législatives en cause en l’espèce prévoient clairement un régime transitoire qui s’applique entre l’ancien et le nouveau régime législatif et qui régit le traitement des demandes en instance lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Il n’y a rien dans Apotex qui permettrait à la Cour de ne pas tenir compte de l’intention claire du législateur à cet égard.

[79]En outre, il y a une importante distinction entre les faits en cause dans Apotex et les faits en cause en l’espèce. En l’espèce, M. Tihomirovs a déjà demandé à la Cour que sa demande de résidence permanente soit évaluée en conformité avec l’ancienne loi, laquelle demande a été rejetée : Borisova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration).

[80]Enfin, pour obtenir un mandamus, il faut une demande d’exécution de l’obligation et un délai raisonnable pour que le ministre puisse donner suite à la demande : Apotex, à la page 766. Ce que M. Tihomirovs demande c’est une ordonnance exigeant que chaque demande du groupe B soit évaluée en conformité avec la grille de sélection de l’ancienne Loi sur l’immigration, quelle que soit la date de la demande, pourvu qu’elle ait été déposée dans les six mois avant l’entrée en vigueur de la LIPR, le 28 juin 2002. Cela voudrait dire qu’une ordonnance de mandamus pourrait être décernée dans le cas d’une demande déposée le 27 juin 2002, soit la veille de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, sans que le ministre n’ait disposé d’un délai, et encore moins d’un délai raisonnable, pour donner suite à la demande.

[81]Pour ces motifs, M. Tihomirovs n’a pas satisfait au premier élément du critère d’autorisation. Cela étant, il n’est pas, à proprement parler, nécessaire d’examiner les autres éléments du critère d’autorisation. Toutefois, dans l’éventualité où la Cour d’appel aurait une opinion différente en la matière, je vais maintenant examiner les autres éléments du critère énoncés à la règle 299.18.

b)            Existe‑t‑il un groupe identifiable d’au moins deux personnes?

[82]La Cour suprême du Canada a dit que la définition d’un groupe « est essentielle parce qu’elle précise qui a droit aux avis, qui a droit à la réparation (si une réparation est accordée), et qui est lié par le jugement » : Western Canadian Shopping Centres Inc., au paragraphe 38.

[83]Comme l’a également dit la Cour suprême dans l’arrêt Hollick, au paragraphe 21, cette exigence n’est pas lourde. Pour satisfaire au critère, M. Tihomirovs doit démontrer qu’il existe un groupe identifiable d’au moins deux personnes, lequel groupe est circonscrit et défini par rapport à un critère objectif : Hollick, au paragraphe 17.

[84]Toutefois, M. Tihomirovs doit également être en mesure de démontrer que le groupe n’est pas trop large : c’est‑à‑dire que le groupe ne pourrait pas être restreint sans exclure de façon arbitraire des personnes qui ont un intérêt commun dans le règlement de la question collective.

[85]M. Tihomirovs propose le groupe suivant :

i) les personnes qui ont présenté une demande de résidence permanente au Canada entre le 1er janvier 2002 et le 28 juin 2002 dans la catégorie des travailleurs qualifiés, des travailleurs autonomes, des entrepreneurs ou des investisseurs (visées au paragraphe 8(1) [mod. par DORS/85-1038, art. 3] du Règlement sur l’immigration de 1978), à l’exclusion des candidats des provinces et de ceux à destination du Québec;

ii) toutes les personnes à charge des personnes mentionnées à i) ci‑dessus, au sens du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[86]M. Tihomirovs prétend que ce groupe n’est pas sans limites puisqu’il réunit environ 40 000 membres qui ont déposé une demande d’immigration pendant la période pertinente ainsi que les personnes à leur charge.

[87]En outre, M. Tihomirovs soutient que le groupe est défini au moyen d’un critère objectif, à savoir la date de réception de la demande d’immigration par un bureau des visas.

[88]Le ministre prétend que le groupe proposé par M. Tihomirovs est trop large puisqu’il comprendrait de nombreuses personnes qui n’ont pas besoin de la réparation demandée en l’espèce, plus précisément les personnes qui ont déjà obtenu un visa ou qui pourront obtenir un visa en vertu de la LIPR. M. Tihomirovs a reconnu, à l’audience, que les personnes qui avaient déjà obtenu un visa ne devaient pas faire partie du groupe. Toutefois, il maintient que les personnes susceptibles d’obtenir un visa en vertu de la LIPR dans l’avenir devraient faire partie du groupe jusqu’à ce qu’une décision soit prise au sujet de leur demande.

[89]M. Tihomirovs a également reconnu, à l’audience, que les personnes qui avaient déjà fait l’objet d’une décision défavorable et qui avaient contesté, sans succès, le règlement qui impose une nouvelle grille d’évaluation, ne pourraient pas remettre la question en litige et devraient donc être exclues du groupe.

[90]Le ministre dit que le groupe proposé par M. Tihomirovs comprendrait également des personnes dont la demande de visa avait déjà été refusée et qui n’avaient pas déposé une demande de contrôle judiciaire dans le délai de 60 jours prévu par l’alinéa 72(2)b) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] de la LIPR pour les décisions rendues à l’étranger. Selon le ministre, ces demandes seraient exclues à cause de ce délai de prescription.

[91]M. Tihomirovs fait valoir que ces personnes devraient pouvoir bénéficier de l’avantage d’un recours collectif, mais il n’a pas été en mesure de présenter une jurisprudence susceptible d’appuyer son argument. Plutôt, il a comparé la situation au droit des personnes blessées dans un accident d’avion de participer à un recours collectif intenté devant une cour provinciale, qu’elles aient ou non institué leur propre action dans le délai prescrit.

[92]Je suis d’avis que le ministre a raison et que les personnes dont les demandes de résidence permanente ont été refusées et qui n’ont pas déposé une demande de contrôle judiciaire dans les 60 jours de la décision ne peuvent maintenant tenter de faire renaître leur droit de contester la décision en participant à un recours collectif.

[93]En tirant cette conclusion, je note que bien que les Règles des Cours fédérales relatives à l’autorisation d’un recours collectif soient semblables aux règles applicables en Colombie‑Britannique et en Ontario, il existe une importante différence entre les régimes provinciaux et le régime fédéral en matière de recours collectifs. En effet, les régimes provinciaux sont prévus par une loi alors que le régime fédéral est établi en vertu des Règles des Cours fédérales.

[94]Cette distinction est essentielle puisqu’elle touche l’incidence des délais de prescription sur les personnes qui veulent participer à un recours collectif.

[95]Les lois de la Colombie‑Britannique et de l’Ontario sur les recours collectifs prévoient que tout délai de prescription est suspendu à l’égard d’un membre du groupe et reprend au moment où ce membre se retire du recours collectif ou est exclu du groupe ou au moment où il est mis fin au recours sans que la demande du membre ait elle‑même été traitée : voir les articles 38.1 [édicté par S.B.C. 2004, ch. 65, art. 1] et 39 [mod. par S.B.C. 1995, ch. 21, art. 39] de la Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50, de la Colombie‑Britannique, ainsi que l’article 28 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, de l’Ontario.

[96]Il pourrait être mis fin au recours sans que la demande d’une personne ait été traitée, par exemple, si le groupe n’a pas été autorisé ou si la demande a été réglée par d’autres moyens sans avoir été entendue sur le fond.

[97]Par contre, le régime fédéral sur les recours collectifs ne contient aucune disposition comparable concernant la suspension des délais de prescription. Cela n’est pas étonnant puisque les délais de prescription sont des questions de fond et, comme en l’espèce, sont habituellement prévus par la loi applicable. En l’absence d’une loi fédérale en matière de recours collectif autorisant la suspension des délais de prescription, la question ne pouvait pas être traitée par un texte d’application comme les Règles des Cours fédérales.

[98]Il existe également des considérations impérieu-ses d’intérêt public qui favorisent ce point de vue, en particulier, l’importance du caractère définitif des instances : voir, par exemple, Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460.

[99]Ainsi, après avoir exclu du groupe les personnes dont la demande de résidence permanente a été accueillie, de même que celles dont la demande a été rejetée et qui n’ont pas contesté la décision en temps utile et celles dont la contestation de la légalité du régime a déjà été rejetée, il ne reste plus qu’un groupe de personnes qui ont déposé une demande de résidence permanente au Canada entre le 1er janvier 2002 et le 28 juin 2002 dans la catégorie des travailleurs qualifiés, des travailleurs autonomes, des entrepreneurs ou des investisseurs (visées au paragraphe 8(1) du Règlement sur l’immigration de 1978), à l’exclusion des candidats des provinces et de ceux à destination du Québec, et qui n’ont pas encore reçu une décision en rapport avec leur demande ou qui ont reçu une décision défavorable, si le délai prévu pour déposer une demande de contrôle judiciaire n’est pas encore expiré. Je suis d’avis que ces individus beaucoup moins nombreux ainsi que les personnes à leur charge constituent un groupe circonscrit et identifiable défini par rapport à un critère objectif.

[100]Par conséquent, avec ces précisions, je suis convaincue que le deuxième élément du critère d’autorisation pourrait être respecté.

c)             Les réclamations des membres du groupe soulèvent‑elles des points de droit ou de fait collectifs?

[101]Le ministre reconnaît que les demandes des membres du groupe envisagé soulèvent au moins un point de droit ou de fait collectif qui serait, selon le ministre [traduction] « la question de savoir si les membres du groupe envisagé ont droit à ce que leur demande de résidence permanente soit évaluée en conformité avec les dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration et du Règlement sur l’immigration de 1978 ».

[102]À la lumière de cette concession, le troisième élément du critère d’autorisation a été respecté.

d)            Le recours collectif est‑il le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs?

[103]En réponse à cette question, le paragraphe 299.18(2) des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour doit prendre en compte tous les facteurs pertinents, notamment les facteurs suivants :

299.18 (2) [. . .]

a) la prédominance des points de droit ou de fait collectifs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

b) le nombre de membres du groupe qui ont véritablement intérêt à poursuivre des actions séparées;

c) la question de savoir si le recours collectif comprendrait des réclamations qui ont été ou qui sont l’objet d’autres actions;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité des autres moyens de régler les réclamations;

e) la question de savoir si la gestion du recours collectif créerait de plus grandes difficultés que l’adoption d’un autre moyen.

[104]Les observations des deux parties visaient essentiellement les deux derniers facteurs énumérés.

[105]Avant d’examiner les observations des parties sur cette question, il convient de mentionner, qu’en règle générale, le contrôle judiciaire permet le règlement expéditif et sommaire des questions de droit public : Tihomirovs, au paragraphe 14.

[106]Autrement dit, le contrôle judiciaire est habituellement un moyen relativement peu coûteux et relativement rapide de faire statuer sur la validité d’un régime législatif tout en évitant les frais considérables et les retards nécessairement rattachés à l’obligation d’aviser les membres potentiels du groupe et ceux rattachés au traitement de leur demande.

[107]Soulignons également que, eu égard à la nature des questions soulevées en l’espèce, on n’a pas prétendu qu’une enquête préalable était nécessaire ni qu’un témoignage de vive voix devait être présenté à l’instruction au soutien de la demande de M. Tihomirovs.

[108]M. Tihomirovs soutient plutôt que le caractère souhaitable d’un accès rapide à la justice milite fortement en faveur d’une autorisation en l’espèce. À cet égard, il dit que si on exige que chaque membre du groupe envisagé présente sa propre demande de contrôle judiciaire, nombreux d’entre eux ne pourront obtenir réparation puisqu’une décision défavorable a peut‑être déjà été rendue il y a quelque temps dans leur dossier et qu’il serait donc déjà trop tard pour qu’ils puissent contester le Règlement.

[109]Autrement dit, M. Tihomirovs prétend, encore une fois, que l’autorisation d’un recours collectif en l’espèce ferait renaître les droits des demandeurs du groupe B, lesquels droits sont peut‑être expirés depuis plusieurs mois.

[110]Comme je l’ai déjà dit, les dispositions relatives aux recours collectifs des Règles des Cours fédérales ne peuvent l’emporter sur le délai de prescription prévu à l’alinéa 72(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et, par conséquent, les demandeurs du groupe B dont la demande de résidence permanente a déjà été rejetée et qui n’ont pas contesté cette décision dans le délai prescrit ne peuvent régulièrement faire partie du groupe envisagé. Par conséquent, cette thèse ne peut étayer une conclusion selon laquelle un recours collectif serait le meilleur moyen en l’espèce.

[111]Certes, l’alinéa 72(2)b) de la LIPR ne constitue pas un empêchement absolu et la disposition prévoit la possibilité de demander une prorogation du délai fixé pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Toutefois, selon moi, cela n’aide aucunement M. Tihomirovs. Des arrêts, tels que Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] A.C.F. no 846 (C.A.) (QL), ont établi que pour obtenir une telle prorogation de délai, le demandeur doit avoir démontré :

1. une intention constante de poursuivre sa demande;

2. que la demande est bien fondée;

3. que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai;

4. qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[112]Ainsi, il faut évaluer la situation de chaque demandeur pour que la Cour puisse exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prévu pour la présentation des demandes. Si la Cour devait apprécier la situation de chaque membre du groupe envisagé pour déterminer s’il y a lieu d’autoriser sa participation au groupe même si plus de 60 jours se sont écoulés depuis la décision, la plupart, sinon tous les gains en efficacité du recours collectif seraient perdus. D’ailleurs, une telle exigence imposerait un fardeau supplémentaire de taille sur les maigres ressources judiciaires.

[113]Pour ce qui concerne les individus dont la demande de résidence permanente n’a pas encore fait l’objet d’une décision définitive, M. Tihomirovs fait valoir que parce que ces personnes vivent un peu partout au monde, elles doivent être avisées de la procédure pour tirer un quelconque avantage d’une décision de la Cour. En cas contraire, ces personnes pourraient ne jamais être mise au courant de la décision rendue relativement à M. Tihomirovs et elles ne seraient donc pas capables de tirer avantage d’une décision favorable rendue à son égard.

[114]M. Tihomirovs ajoute également qu’un grand nombre de membres du groupe envisagé ne disposent pas des ressources financières nécessaires pour défendre leurs droits dans une demande individuelle de contrôle judiciaire, ne parlent ni le français ni l’anglais, ne connaissent pas le processus judiciaire canadien et n’ont pas facilement accès à un avocat canadien, et que toutes ces raisons militent en faveur d’une autorisation de recours collectif.

[115]En outre, selon M. Tihomirovs, permettre que sa demande de contrôle judiciaire soit entendue comme cause type n’est pas une manière satisfaisante de procéder puisque, quand sa demande sera enfin tranchée, la demande de résidence permanente d’autres membres du groupe envisagé aura été rejetée et la période de 60 jours au cours de laquelle ils peuvent demander le contrôle judiciaire sera peut‑être expirée.

[116]Enfin, M. Tihomirovs soutient qu’il serait répétitif et inutilement onéreux d’exiger que chaque membre du groupe envisagé présente sa propre demande de contrôle judiciaire et qu’en outre, cela imposerait un fardeau indu sur le système judiciaire.

[117]La plupart des arguments de M. Tihomirovs sont fondés sur l’hypothèse qu’il faut statuer sur la légalité du Règlement dans chaque situation individuelle. Autrement dit, il semble tenir pour acquis que même s’il finissait par avoir gain de cause dans sa propre demande de contrôle judiciaire, la décision n’aurait aucune répercussion sur les demandes des autres membres du groupe envisagé.

[118]C’est tout à fait inexact. En fait, un jugement déclaratoire, qu’il soit obtenu dans une action ou dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, peut déterminer les droits d’un groupe de personnes à peu près de la même manière qu’un recours collectif : Auton, au paragraphe 47.

[119]Comme l’a souligné le défendeur, le ministre est tenu d’appliquer la loi. Par conséquent, si la Cour finit par déclarer que le règlement en cause est ultra vires et que les membres du groupe envisagé ont droit à ce que leur demande de résidence permanente soit évaluée en conformité avec les critères établis dans la Loi sur l’immigration, le ministre sera tenu d’agir en conséquence. Il en sera ainsi que les membres indivi-duels du groupe envisagé revendiquent ou non leurs droits à ce que leur demande soit traitée de cette façon.

[120]Par conséquent, il n’est pas du tout nécessaire de veiller à ce que tous les membres du groupe envisagé soient parties à un recours collectif pour qu’ils puissent tirer avantage d’une décision favorable dans le dossier de M. Tihomirovs. En outre, exiger un avis du litige et de la décision de la Cour relativement au point collectif aurait pour seul effet d’ajouter inutilement des coûts et des retards au processus.

[121]Les seuls membres du groupe envisagé, comme je l’ai défini, qui ne pourraient tirer avantage d’une décision favorable dans le dossier de M. Tihomirovs sont les personnes dont la demande de résidence permanente serait refusée entre aujourd’hui et la date à laquelle sera tranchée la demande de contrôle judiciaire de M. Tihomirovs et qui ne demanderaient pas le contrôle judiciaire de la décision en temps opportun.

[122]En soi, cela ne justifie pas, selon moi, de conclure que le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points collectifs soulevés en l’espèce. L’envoi d’un avis aux personnes sur lesquelles le Règlement pourrait avoir des effets défavorables est une considération importante. Toutefois, compte tenu de ma conclusion selon laquelle il est évident et manifeste que la demande de M. Tihomirovs est vouée à l’échec, la complexité d’un recours collectif et les frais qu’il entraîne ne l’emportent pas, selon moi, sur les gains en efficacité qui seraient réalisés si les questions soulevées par M. Tihomirovs étaient tranchées dans le contexte de sa demande de contrôle judiciaire.

[123]J’ajouterais que bien qu’il soit impossible de dire combien d’individus pourraient se trouver dans la situation décrite plus haut, si cette situation préoccupe M. Tihomirovs, il pourrait très certainement demander que sa demande de contrôle judiciaire soit tranchée par une instruction accélérée, ce qui limiterait le nombre de personnes susceptibles de subir de telles répercussions.

[124]Pour ces motifs, M. Tihomirovs ne m’a pas convaincue qu’un recours collectif serait le meilleur moyen de régler les questions soulevées en l’espèce.

e)            M. Tihomirovs est‑il un représentant demandeur acceptable?

[125]Les facteurs permettant d’établir qu’un demandeur représenterait bien les intérêts du groupe sont établis à l’alinéa 299.18(1)e) des Règles. La disposition exige qu’il soit établi que le représentant demandeur envisagé :

299.18 (1) [. . .]

(i) représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’action au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés du déroulement de l’instance,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait collectifs,

(iv) communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et son avocat.

[126]Le ministre avait au départ contesté la qualité de représentant de M. Tihomirovs en raison d’un possible conflit d’intérêts avec quelques autres membres du groupe du fait qu’il était une des parties dans la demande Borisova contrairement à d’autres.

[127]Lorsqu’on a demandé à l’avocat de clarifier cet argument à l’audience, il a dit qu’il allait évaluer s’il allait le retenir. L’argument n’a plus été mentionné et j’ai compris qu’il n’avait pas été retenu. Le ministre n’a avancé aucun autre argument remettant en cause la qualité de représentant de M. Tihomirovs.

[128]Ayant examiné les facteurs énumérés à l’alinéa 299.18(1)e) des Règles, je suis convaincue que M. Tihomirovs satisfait aux exigences de la disposition et qu’il serait un représentant demandeur acceptable.

[129]À cet égard, je constate que M. Tihomirovs s’est engagé à représenter les intérêts du groupe de façon équitable et appropriée et que rien n’indique qu’il ne le ferait pas.

[130]M. Tihomirovs a élaboré, pour le recours collectif envisagé, un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’action au nom du groupe et tenir les membres informés du déroulement de l’instance, ce qui satisfait à la deuxième exigence de la disposition.

[131]Comme je l’ai souligné précédemment, le ministre avait au départ prétendu que M. Tihomirovs pouvait avoir un conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe, mais l’argument a été abandonné à l’audience. Après avoir examiné la question, j’estime qu’il n’y a ni fait ni circonstance qui placerait M. Tihomirovs en conflit d’intérêts. Par conséquent, je suis convaincue que la troisième condition a été respectée.

[132]Enfin, M. Tihomirovs a communiqué un sommaire de l’entente relative aux honoraires et débours intervenue entre lui et son avocat, ce qui satisfait au dernier volet du critère.

[133]Je suis donc convaincue que M. Tihomirovs serait un représentant demandeur acceptable.

Conclusion

[134]Comme je l’ai dit précédemment, les conditions énoncées au paragraphe 299.18(1) des Règles sont conjonctives. Puisqu’il n’a pas été satisfait à deux des conditions du critère d’autorisation, il s’ensuit que la requête en autorisation ne serait pas accueillie. Par conséquent, la requête pour faire convertir la demande de contrôle judiciaire de M. Tihomirovs en action doit être rejetée et elle sera rejetée.

[135]Puisque j’ai refusé que la demande de contrôle judiciaire de M. Tihomirovs soit instruite comme s’il s’agissait d’une action, il ne m’est pas nécessaire d’examiner davantage la requête en autorisation.

Dépens

[136]Le ministre ne demande pas les dépens relatifs à la présente requête. M. Tihomirovs ne demande pas une ordonnance relative aux dépens en rapport avec la présente requête, mais il soutient tout simplement qu’il devrait avoir droit à ses dépens à l’issue de la cause si sa demande est accueillie.

[137]Dans les circonstances, il n’y aura aucune ordonnance relative aux dépens.

Certification d’une question

[138]Puisque les présentes requêtes sont soulevées dans le contexte d’une procédure d’immigration, les avocats se sont demandé s’il était nécessaire que la Cour certifie une question en conformité avec les dispositions de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour que la présente décision puisse être portée en appel par l’une ou l’autre des parties.

[139]Les avocats ont sollicité un délai pour prendre position sur la question. Les parties disposeront de 10 jours à compter de la date de la présente décision pour déposer leurs observations sur la question de savoir si le droit d’appel de la présente décision est subordonné à la certification d’une question. À cet égard, les avocats devraient examiner l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 589.

[140]Les parties disposeront du même délai pour proposer toute question qui leur semble appropriée aux fins de certification.

[141]Chaque partie disposera ensuite de cinq jours pour répondre aux observations de l’autre partie et je rendrai une ordonnance par la suite.

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