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[2000] 2 C.F. 528

IMM-480-99

Abdelkrim Nemouchi (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Nemouchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Dubé—Vancouver, 4 et 6 janvier 2000.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Renvoi de réfugiés Un réfugié au sens de la Convention a été déclaré coupable d’infractions criminelles, à l’égard desquelles une peine lui a été infligéeContrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre de rejeter la demande de réexamen de l’avis de danger parce qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour justifier un tel réexamenLa Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté la demande initiale parce qu’elle n’avait pas été mise en étatLe demandeur a changé d’avocat et a produit de nouveaux documents n’ayant pas été soumis au représentant du ministre quand celui-ci a rendu sa décision initiale et indiquant qu’il y avait peu ou pas de risque de récidiveEn réalité, il s’agit de la première demande de contrôle judiciaire de l’avis de danger du ministreIl est manifestement contraire à l’équité de rejeter sommairement ces nouveaux renseignements et d’envoyer une lettre de politesseLes nouveaux documents sont d’une extrême importance pour le demandeur et sa familleIl incombe au représentant du ministre d’accorder une grande attention à ces documents; il doit au moins expliquer pourquoi ces documents étaient insuffisants pour justifier le réexamen de la décision.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Obligation d’équitéUn réfugié au sens de la Convention a été déclaré coupable d’infractions criminelles, à l’égard desquelles une peine lui a été infligéeLe représentant du ministre a rejeté la demande de réexamen de l’avis de dangerTrois documents qui n’existaient pas au moment de l’opinion initiale et qui ont été soumis au représentant du ministre dans le cadre de la demande de réexamen indiquent qu’il y a peu ou pas de risque de récidiveCes documents sont d’une extrême importance pour le demandeurIl incombe au représentant du ministre de leur accorder la plus grande attention et d’expliquer pourquoi ils ne constituent pas des motifs suffisants pour justifier le réexamen de la décision.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre de rejeter une demande de réexamen, fondée sur de nouveaux éléments de preuve, d’une décision selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Le demandeur a été jugé être un réfugié au sens de la Convention en 1991. En 1996, il a été déclaré coupable de plusieurs infractions criminelles, à l’égard desquelles il a été condamné à quatre ans d’emprisonnement. En 1997, il a été jugé constituer un danger pour le public au Canada. Il a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision, que la Section de première instance a rejetée parce qu’il n’avait pas mis la demande en état. Un an après, le demandeur, représenté par un nouvel avocat, a demandé un réexamen de cette décision en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve documentaires, à savoir une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles selon laquelle la probabilité de récidive avec violence du demandeur est de près de 0%, une évaluation psychologique où on affirme sans équivoque qu’il n’y a aucun risque que le demandeur commette des infractions violentes et une décision dans laquelle un arbitre de l’immigration libère le demandeur et affirme qu’il n’est pas susceptible de constituer un risque pour le public. Le représentant du ministre a refusé de réexaminer l’avis de danger parce qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour justifier un tel réexamen.

Les questions litigieuses sont les suivantes : 1) le refus de la demande de réexamen est-elle une nouvelle décision qui est susceptible de contrôle judiciaire? 2) le représentant du ministre a-t-il commis une erreur de droit ou de fait en décidant qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour justifier le réexamen de l’avis de danger du ministre?

Jugement : la demande est accueillie.

1) Bien que le processus doive revêtir un certain caractère définitif, la demande de réexamen n’est pas une « deuxième tentative », mais elle est, en réalité, la première demande véritable de contrôle judiciaire de l’avis de danger du ministre. La première demande a été rejetée parce qu’elle n’avait pas été mise en état. Par la suite, le demandeur a changé d’avocat et de nouveaux renseignements indispensables ont été obtenus. Il est manifestement contraire à l’équité de rejeter d’entrée de jeu ces nouveaux renseignements au moyen d’une lettre de politesse.

Les trois documents soumis au représentant du ministre dans le cadre de la demande de réexamen sont d’une extrême importance pour le demandeur et sa famille. Il est contraire à l’équité de passer outre à ceux-ci d’une manière si cavalière. Les documents en question n’existaient pas au moment de l’opinion initiale et il incombe au représentant du ministre de leur accorder la plus grande attention et, au moins, d’expliquer pourquoi ils ne constituent pas des motifs suffisants pour justifier le réexamen de sa décision.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 53(1)a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43), 70(5) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Dumbrava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 101 F.T.R. 230; 31 Imm. L.R. (2d) 76 (C.F. 1re inst.); Soimu c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 83 F.T.R. 285 (C.F. 1re inst.); Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 1 C.F. 619; [1999] A.C.F. no 1905 (1re inst.) (QL); Maikantis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-5105-99, juge McGillis, ordonnance en date du 26-10-99, C.F. 1re inst., inédit.

DÉCISION CITÉE :

Independent Contractors & Business Assn. c. Canada (Ministre du Travail) (1998), 6 Admin. L.R. (3d) 92; 39 C.L.R. (2d) 121; 225 N.R. 19 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre de rejeter une demande de réexamen d’une opinion de danger parce que les nouveaux éléments de preuve étaient insuffisants pour justifier un tel réexamen. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Shane Molyneaux pour le demandeur.

Kimberly G. Shane pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McPherson, Elgin & Cannon, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Dubé : Dans la présente affaire, il s’agit de déterminer si le représentant du ministre a commis une erreur de droit ou de fait en décidant qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour justifier le réexamen de l’opinion du ministre selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada aux termes de l’alinéa 53(1)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43] et du paragraphe 70(5) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2].

FAITS

[2]        Le demandeur, qui est né en Algérie, est arrivé au Canada en mars 1989 et, le 22 février 1991, la section du statut de réfugié a jugé qu’il était un réfugié au sens de la Convention.

[3]        Le 8 mai 1996, il a été déclaré coupable de plusieurs infractions criminelles, notamment de tentative de vol et de possession d’une arme prohibée, à l’égard desquelles il a été condamné à quatre ans d’emprisonnement.

[4]        Le 7 octobre 1997, le représentant du ministre a jugé que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision, que la Cour a rejetée le 19 décembre 1997 parce qu’il n’avait pas mis sa demande en état.

[5]        Le 17 décembre 1998, le demandeur, représenté par un nouvel avocat, a demandé un réexamen de la décision du 7 octobre 1997 en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve. Les nouveaux éléments de preuve consistaient en trois documents, à savoir une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles en date du 10 novembre 1998, une évaluation psychologique datée du 7 décembre 1998 et une décision que l’arbitre de l’immigration Mackie a rendue le 20 novembre 1998. Le 14 janvier 1999, le représentant du ministre a répondu qu’il rejetait la demande du demandeur visant à obtenir le réexamen de la décision selon laquelle il constitue un danger pour le public au Canada parce qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour justifier un tel réexamen. Le représentant a également dit ce qui suit :

[traduction] Veuillez prendre note que cette lettre ne constitue pas une nouvelle décision quant à savoir si votre client constitue ou non un danger pour le public au Canada; elle indique plutôt que j’ai refusé, après avoir examiné votre demande, de réexaminer ma décision.

LES ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[6]        Le demandeur prétend que la lettre de refus du représentant constitue en fait une nouvelle décision qui peut être contestée au moyen d’un contrôle judiciaire. Aux fins de la lettre de refus, le représentant du ministre a reçu une note de service, y compris les pièces justificatives qu’a soumises l’avocat du demandeur, dans laquelle l’agente d’examen des cas lui demande de répondre à la demande en inscrivant ses initiales à la ligne appropriée. Il y avait deux lignes, intitulées respectivement comme suit : « Opinion maintenue » et « Opinion annulée ». Le représentant a apposé ses initiales à la première ligne. S’il avait apposé ses initiales à la deuxième ligne, « Opinion annulée », cette décision aurait sans aucun doute constitué une décision extrêmement importante en faveur du demandeur. En conséquence, prétend le demandeur, une décision, qu’elle soit positive ou négative, est une décision.

[7]        Dans la décision Dumbrava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 101 F.T.R. 230, le juge Noël, qui était alors juge à la Section de première instance de la Cour, s’est prononcé sur une demande qui invitait un agent des visas à réexaminer sa décision de refuser l’admission pour insuffisance de qualifications. Il s’est exprimé comme suit [à la page 236] :

Je trouve ce raisonnement irrésistible. Chaque fois qu’une autorité décisionnaire qui y est habilitée accepte de revoir une décision à la lumière de faits nouveaux, il en résultera une nouvelle décision, que la décision initiale soit changée, modifiée ou maintenue. La question qui se pose est de savoir s’il y a nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, et il en sera toujours ainsi lorsque l’autorité décisionnaire accepte de revoir sa décision à la lumière de faits et d’arguments dont elle n’avait pas été saisie au moment de la décision initiale.

Ce que le juge a trouvé irrésistible c’est le raisonnement suivi dans la décision Soimu c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 83 F.T.R. 285 (C.F. 1re inst.), où le juge Rothstein a dit ce qui suit [à la page 288] :

La révision à laquelle elle s’est livrée aurait pu l’amener à changer d’avis pour accueillir la demande du requérant. C’était en fait ce que visait la requête en révision introduite par l’avocat du requérant. Si elle avait changé d’avis, on ne pourrait certainement pas dire que la lettre informant de sa nouvelle opinion n’était pas une décision. Dans le même ordre d’idée, même si, à l’occasion de la révision, elle tirait la même conclusion qu’auparavant, cette conclusion doit également constituer une décision.

[8]        Le juge Stone de la Cour d’appel fédérale a approuvé la décision Dumbrava dans l’arrêt Independent Contractors & Business Assn. c. Canada (Ministre du Travail) (1998), 6 Admin. L.R. (3d) 92, aux pages 99 et 100.

[9]        Le demandeur soutient que la norme applicable au réexamen de l’opinion du ministre conformément à sa compétence en « equity » devrait correspondre à celle qui s’applique au contrôle des décisions de la section d’appel de l’immigration. S’il existe une possibilité raisonnable que les nouveaux éléments de preuve amènent le représentant du ministre à modifier sa décision initiale, il devrait l’exercer.

[10]      D’après la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, le demandeur a fait un progrès considérable pour se défaire de ses tendances criminogènes. Les mesures statistiques établissant la probabilité de récidive avec violence du demandeur dans les deux à cinq prochaines années situent ce risque à près de 0%. Dans son évaluation psychologique, le Dr Wydra, une psychologue clinicienne ayant 19 ans d’expérience, affirme sans équivoque qu’il n’y a aucun risque que le demandeur commette des infractions violentes. À son avis, l’établissement du demandeur au Canada, sa famille et son aperçu des conséquences de l’infraction militent tous contre une récidive du demandeur. L’arbitre de l’immigration, dans sa décision en date du 20 novembre 1998, a libéré le demandeur qui était sous la garde de Citoyenneté et Immigration, et a affirmé qu’il n’est pas susceptible de constituer un risque pour le public et que c’est pour cette raison qu’on lui a offert une libération conditionnelle totale.

[11]      En outre, les conséquences d’un refus de réexaminer ces nouveaux éléments de preuve sont extrêmement préjudiciables au demandeur. Dans son état actuel, la décision du représentant prive le demandeur de son droit d’appel à la section d’appel et permet au ministre de le renvoyer dans son pays d’origine, même s’il a été jugé être un réfugié au sens de la Convention. Comme l’a mentionné le juge Gibson de la Cour dans la décision Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (1re inst.), [à la page 641], « [u]n avis, fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l’immigration, selon lequel la personne visée constitue un danger pour le public représente une importante décision qui a une incidence fondamentale sur l’avenir d’un individu ». Saisi d’une demande de contrôle judiciaire d’un avis de danger, le juge a conclu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[12]      Le défendeur prétend que la réponse du représentant constitue simplement une lettre de politesse et n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. Il soutient qu’il y a un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire uniquement après que le décideur a accepté de réexaminer sa décision eu égard à des faits et à des arguments qui n’étaient pas au dossier quand la décision initiale a été prise.

[13]      Dans sa lettre du 14 janvier 1999, le représentant du ministre ne s’est pas référé expressément à de nouveaux faits et arguments du demandeur, mais il a plutôt indiqué qu’il avait examiné la demande et qu’il n’estimait pas qu’il y avait dans celle-ci des motifs suffisants pour justifier le réexamen de la décision actuelle.

[14]      Le défendeur prétend également que le demandeur essaie, au moyen de la présente demande, de contester à nouveau la décision initiale selon laquelle il constitue un danger. Le demandeur a déjà déposé un avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision initiale selon laquelle il constitue un danger. Toutefois, la demande n’a jamais été mise en état et la Cour l’a rejetée. Le demandeur ne peut maintenant contester à nouveau cette décision sous le couvert d’une nouvelle décision du représentant du ministre.

[15]      Le défendeur renonce maintenant à son argument selon lequel le ministre n’a pas la compétence pour réexaminer son opinion. Si une personne soumet des arguments au ministre, l’équité exige qu’il les examine. En conséquence, le ministre a simplement donné une réponse de politesse. Le processus doit avoir un certain caractère définitif.

[16]      Dans Maikantis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-5105-99, Mme le juge McGillis de cette Cour a, en date du 26 octobre 1999, rendu une ordonnance dans laquelle elle rejette une demande de sursis d’exécution. Son ordonnance précise et concise mérite d’être reproduite au complet :

[traduction] Après avoir entendu les arguments des avocats par téléconférence, j’ai décidé que la requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi doit être rejetée pour le motif que la demande ne soulève pas de question sérieuse à juger. Le 16 novembre 1998, j’ai conclu que la demanderesse n’avait pas établi l’existence d’une cause défendable en ce qui concerne l’avis de danger fondé sur le paragraphe 70 (5) de la Loi sur l’immigration. En juillet 1999, l’avocate de la demanderesse a demandé que le représentant du ministre réexamine sa décision. Le 15 octobre 1999, il a indiqué que sa décision antérieure « est maintenue ». À mon avis, le fait que le représentant du ministre a indiqué que sa décision antérieure ne serait pas modifiée ne constitue pas une décision qui peut être contestée au moyen d’une demande. Le contrôle judiciaire ne peut viser que la décision qui a effectivement été prise en application du paragraphe 70(5). Comme j’ai décidé le 16 novembre 1998 qu’il n’y avait aucune cause défendable relativement à cette décision, il n’y a, en ce moment, aucune décision susceptible de contestation par la demanderesse.

[17]      Le défendeur soutient que, dans l’affaire Dumbrava, à laquelle s’est référé le demandeur précédemment, un agent d’immigration, qui est habilité à le faire, a accepté de réexaminer sa décision, alors qu’en l’espèce, le représentant n’a pas accepté de se livrer à un tel exercice. Dans l’affaire Soimu, à laquelle s’est référé le juge Noël, l’agent des visas a également accepté d’examiner de nouveaux arguments présentés par l’avocat du demandeur. En conséquence, compte tenu des faits particuliers de ces affaires, les lettres des agents des visas constituaient de nouvelles décisions.

ANALYSE

[18]      À mon avis, la lettre du représentant du ministre datée du 14 janvier 1999 est plus qu’une lettre de politesse. Selon ce qu’il affirme, le représentant a examiné la demande du demandeur. Dans sa note de service en date du 12 janvier 1999, l’agente d’examen des cas décrit la demande en question comme étant [traduction] « une demande en date du 17 décembre 1998 accompagnée de pièces justificatives qu’a soumises l’avocat de la personne concernée, M. Shane Molyneaux ». Les pièces justificatives en question comportaient les trois documents sur lesquels le demandeur a fondé sa demande. Ces trois documents n’avaient pas, bien entendu, été soumis au représentant quand celui-ci a rendu sa décision initiale. Ils ont été établis par la suite.

[19]      Bien que le processus doive revêtir un certain caractère définitif, la demande n’est pas une « deuxième tentative », mais elle est, en réalité, la première demande véritable de contrôle judiciaire de l’avis de danger du ministre. La première demande a été rejetée parce qu’elle n’avait pas été mise en état. Par la suite, le demandeur a changé d’avocat et de nouveaux renseignements indispensables ont été obtenus. À titre d’exemple, dans sa décision de libérer le demandeur, l’arbitre de l’immigration Mackie s’est exprimée comme suit :

[traduction] Absolument rien ne me prouve pourquoi les représentants du ministre ont émis ces avis de danger il y a plus d’un an, la Commission nationale des libérations conditionnelles m’a soumis amplement d’éléments de preuve indiquant pourquoi elle croit que M. Nemouchi ne constituera pas un danger pour le public et j’estime que ces éléments de preuve sont de loin les plus convaincants.

[20]      Ces renseignements n’avaient pas été soumis au représentant du ministre quand il a pris sa décision initiale. Ils le sont maintenant. À mon avis, il est manifestement contraire à l’équité de les rejeter d’entrée de jeu au moyen d’une lettre de politesse.

[21]      La Cour suprême du Canada, dans un arrêt de principe, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, s’est prononcée sur l’obligation d’équité applicable dans le traitement des causes en matière d’immigration. Le juge L’Heureux-Dubé a dit que, bien que l’obligation d’équité soit souple et variable, elle doit être examinée en tenant compte de plusieurs critères, à savoir la nature de la décision, le régime législatif en vertu duquel agit le tribunal en question, l’importance de la décision pour les personnes visées, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision et les choix de procédure que l’organisme fait lui-même pour soupeser ces facteurs. Elle a conclu que l’obligation d’équité dans ces circonstances est plus que « minimale ». Elle a dit [à la page 843] :

Au contraire, les circonstances nécessitent un examen complet et équitable des questions litigieuses, et le demandeur et les personnes dont les intérêts sont profondément touchés par la décision doivent avoir une possibilité valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à leur affaire et de les voir évaluer de façon complète et équitable.

[22]      En l’espèce, comme je l’ai mentionné précédemment, les trois documents soumis au représentant du ministre sont d’une extrême importance pour le demandeur et sa famille. Il est contraire à l’équité de passer outre à ceux-ci d’une manière si cavalière. Les documents en question n’existaient pas au moment de l’opinion initiale et il incombe au représentant du ministre de leur accorder la plus grande attention. Le moins que l’on puisse s’attendre de lui dans les circonstances particulières de l’espèce est qu’il explique pourquoi ces documents ne constituent pas des motifs suffisants pour justifier le réexamen de sa décision.

[23]      En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[24]      À l’issue de l’audience, les deux parties ont considéré qu’aucune question ne devrait être certifiée en l’espèce.

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