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[1995] 2 C.F. 232

A-62-94

Sa Majesté La Reine (appelante)

c.

Canderel Limited (intimée)

Répertorié : Canada c. Canderel Ltd. (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Desjardins et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 22, 23, 24 et 25 novembre 1994 et 13 février 1995.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — Appel d’une décision par laquelle la CCI a autorisé un promoteur immobilier à déduire le plein montant des paiements incitatifs versés aux locataires au cours de l’année desdits paiements — Les PCGR permettent tant l’amortissement des paiements sur la durée des baux que la déduction du plein montant pendant l’année du paiement — La méthode applicable est celle qui donne l’image la plus fidèle du revenu du contribuable, qui le représente le plus fidèlement et proprement et qui permet le meilleur rattachement des charges et des produits — Les PIL constituent-ils des « dépenses courantes »? — Les dépenses en question n’ont pas été engagées dans le but de produire un revenu uniquement en 1986, mais pendant toute la durée des baux — Les dépenses pouvaient être rattachées aux produits.

Il s’agit d’un appel d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a jugé que le total des paiements incitatifs versés aux locataires était déductible dans l’année d’imposition 1986, soit l’année du paiement. La contribuable s’occupait de gestion et de mise en valeur de propriétés commerciales. En qualité de gestionnaire d’un immeuble commercial situé à Ottawa, elle devait trouver des locataires avant ou peu après la fin du projet, faute de quoi elle risquait de subir des conséquences défavorables. La situation du marché était difficile et, à l’ouverture, seulement 2,3 % de l’immeuble était loué. Des paiements incitatifs ont été versés aux locataires à la signature des baux obtenus pour une durée de trois à dix ans. La contribuable a déduit sa part des paiements incitatifs versés aux locataires (PIL) au cours de l’année d’imposition 1986 à titre de dépense engagée en vue de tirer un revenu de son entreprise. Le ministre a refusé la déduction, mais a permis à la contribuable de déduire le montant obtenu en amortissant chacun des PIL versés aux locataires sur la durée initiale du bail visé par le paiement en question. Selon le juge de la Cour canadienne de l’impôt, la jurisprudence rejette à la fois l’exigence d’un lien de causalité entre une dépense particulière et un revenu particulier et l’idée que le revenu doit être généré dans l’année où la dépense a été engagée. Le juge de la CCI a statué que les PIL étaient des dépenses courantes et que le « rattachement » ou l’amortissement des paiements sur la durée des baux concernés n’était pas la méthode qu’il convenait d’utiliser pour calculer le bénéfice aux fins de l’impôt. En 1986, les principes comptables généralement reconnus (PCGR) permettaient l’utilisation tant de la méthode de la passation par pertes et profits que de la méthode de la prise en charge par amortissement aux fins des rapports financiers. La Cour canadienne a également conclu que la Loi n’exigeait nullement l’application de méthodes comptables uniformes pour la préparation des états financiers et le calcul des impôts sur le revenu ni n’exigeait le respect des PCGR.

L’appelante a soutenu que, lorsqu’il existe deux méthodes acceptables selon les PCGR et que ces deux méthodes sont également acceptables aux fins de l’impôt, la Cour retiendra celle qui donne une « image plus fidèle » du bénéfice du contribuable.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Le juge Stone, J.C.A. (à l’avis duquel a souscrit le juge Robertson, J.C.A.) : La méthode applicable est celle qui donne l’« image la plus fidèle » du revenu du contribuable, qui le représente le plus fidèlement et proprement et qui permet le meilleur « rattachement » des charges et des produits. En droit comme en comptabilité, il n’est pas nécessaire de rattacher les charges courantes aux éléments correspondants des produits aux fins de l’impôt, s’il s’agit de « dépenses courantes » devant être déduites dans l’année au cours de laquelle elles sont engagées. Les PIL ne correspondaient pas à la description classique des « dépenses courantes », mais pourraient constituer des dépenses de cette nature, parce qu’ils représentaient des frais liés à l’exploitation d’une entreprise au cours de l’année d’imposition 1986 et aussi parce que l’intimée aurait été nettement désavantagée sur le plan financier si elle n’avait pas versé ces paiements et qu’elle a effectivement obtenu des avantages financiers importants en les versant. Une dépense devient déductible dans l’année au cours de laquelle elle a été engagée, même si la totalité de la dépense n’a pas donné d’avantages au cours de cette même année. Dans la présente affaire, les dépenses n’ont pas été engagées dans le but de produire un revenu uniquement au cours de l’année d’imposition 1986, mais pendant toutes les années au cours desquelles les baux en question devaient être en vigueur. Les dépenses pouvaient être rattachées aux produits provenant des baux en question conformément au principe du rattachement. D’ailleurs, ce rattachement a été fait aux fins des rapports financiers.

Le juge Desjardins, J.C.A. : À première vue, le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise pour une année est le bénéfice qu’il en tire pour cette année. Le bénéfice est l’excédent des recettes tirées de l’entreprise par rapport aux dépenses nécessaires pour gagner ces recettes. Il doit être déterminé de la façon dont les gens d’affaires comprennent cette expression ou conformément aux « principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable) » ou aux « principes bien reconnus des affaires commerciales », sauf s’ils vont à l’encontre d’une disposition législative explicite.

La question qu’il faut se poser est celle de savoir quelle est la méthode qui présente le plus fidèlement le bénéfice tiré de l’exploitation pour l’année. Le « principe du rattachement » s’applique aux dépenses afférentes à certains postes de revenu, mais ne s’applique pas aux dépenses en cours de l’ensemble de l’entreprise. Il faut donc savoir si les PIL sont des dépenses liées à un poste de revenu particulier ou s’ils constituent des dépenses courantes. S’ils sont liés à un poste de revenu particulier, le « principe du rattachement » s’appliquera. Dans le cas contraire, le contribuable pourra déduire le montant en entier ou l’amortir, à son choix. Il est bien certain que les PIL sont des dépenses liées à des postes de revenu particuliers. Ils ne constituaient pas des dépenses courantes qui, fondamentalement, ressemblent à des dépenses indirectes qui ne peuvent être liées à un poste de revenu particulier. Il existe un lien contractuel direct entre les PIL et le flux de revenus gagnés au cours de la période du bail. Le rattachement des PIL était obligatoire. Dans le calcul des bénéfices imposables d’une entreprise, le prix des services rendus et des marchandises livrées qui ne sera payé que dans une année ultérieure ne peut pas être considéré comme une perte pure du contribuable pour l’année durant laquelle le prix a été déboursé et, pour l’année durant laquelle il sera payé, le prix desdites marchandises ne peut pas être considéré comme un profit pur. L’intimée œuvre dans une industrie de services, soit la location commerciale. Les PIL doivent être déduits au fur et à mesure que les services sont rendus, c’est-à-dire pendant toute la période du bail. Les PIL versés par la contribuable en 1986 doivent être amortis sur toute la durée des baux respectifs. La méthode de la prise en charge par amortissement est la seule méthode acceptable aux fins de l’impôt sur le revenu.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 9(1), 12(1)b) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 4), 18(1)a) (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126, ann. III, art. 26).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

West Kootenay Power and Light Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 732 [1992] 1 C.T.C. 15; (1991), 92 DTC 6023; 136 N.R. 146 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Oxford Shopping Centres Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 89 [1980] 1 CTC 7; (1979), 79 DTC 5458 (1re inst.); conf. par R. c. Oxford Shopping Centres Ltd., [1982] 1 C.F. 97 [1981] CTC 128; (1980), 81 DTC 5065 (C.A.); Cummings (J L) c La Reine, [1981] CTC 285; (1981), 81 DTC 5207; 37 N.R. 574 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Naval Colliery Company, Limited v. Commissioners of Inland Revenue (1928), 12 T.C. 1017 (K.B.); Duple Motor Bodies, Ltd. v. Ostime (1961), 39 T.C. 537 (H.L.); Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695; (1993), 94 DTC 6001; Maritime Telegraph and Telephone Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 753 (1992), 92 DTC 6191; 140 N.R. 284 (C.A.); conf. [1991] 1 C.T.C. 28; (1991), 91 DTC 5038 (C.F. 1re inst.); Friedberg (A.D.) c. Canada, [1992] 1 C.T.C. 1; (1991), 92 DTC 6031; 135 N.R. 61 (C.A.F.); Friedberg c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 285; [1993] 2 C.T.C. 306; (1993), 93 DTC 5507; 160 N.R. 312; Russell v. Town and Country Bank (1888), 13 App. Cas. 418 (H.L.); Ministre du Revenu national c. Canadian Glassine Co. Ltd., [1976] 2 C.F. 517 [1976] CTC 141; (1976), 76 DTC 6083; 12 N.R. 382 (C.A.); Rossmor Auto Supply Ltd. v. M.N.R., [1962] C.T.C. 123; (1962), 62 DTC 1089 (C. de l’É.); Commissioners of Inland Revenue v. Gardner Mountain & D’Ambrumenil, Ltd. (1947), 29 T.C. 69 (H.L.); La Reine c. Remington (1994), 94 DTC 6549 (C.A.F.); Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175; (1988), 53 D.L.R. (4th) 656; [1988] 2 C.T.C. 294; 87 N.R. 300; 29 O.A.C. 268; Vallambrosa Rubber Company, Limited v. Farmer (1910), 5 T.C. 529 (Ct. Sess.); Silverman, Harry v. Minister of National Revenue, [1961] R.C.É. 19; [1960] C.T.C. 262; (1960), 60 DTC 1212; Le ministre du Revenu national c. Tower Investment Inc., [1972] C.F. 454; [1972] CTC 182; (1972), 72 DTC 6161 (1re inst.); Associated Investors of Canada Ltd. v. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C.É. 96; [1967] C.T.C. 138; (1967), 67 DTC 5096.

DÉCISIONS CITÉES :

Whimster and Company v. Commissioners of Inland Revenue (1925), 12 T.C. 813 (Ct. Sess.); Macdonald & Sons Ltd. v. M.N.R., [1970] R.C.É. 230; [1970] C.T.C. 17; (1970), 70 DTC 6032; Roenisch, C. W. v. The Minister of National Revenue, [1931] R.C.É. 1; Ken Steeves Sales Ltd. v. Minister of National Revenue, [1955] R.C.É. 108; [1955] C.T.C. 47; (1955), 55 DTC 1044; Urbandale Realty Corporation Limited c. M.R.N. (1992), 93 DTC 154 (C.C.I.); Neonex International Ltd. c. La Reine (1978), 78 DTC 6339; 22 N.R. 284 (C.A.F.); Consolidated Textiles Ltd. v. Minister of National Revenue, [1947] R.C.É. 77; [1947] 2 D.L.R. 172; [1947] C.T.C. 63; (1947), 3 DTC 958.

DOCTRINE

Arnold, B. J. « The Concept of Profit » in Timing and Income Taxation : The Principles of Income Measurement for Tax Purposes , Can. Tax Paper No. 71, Toronto : Canadian Tax Foundation, 1983.

Hansen, B. G. et al. Essays on Canadian Taxation : Basic Accounting Concepts, Toronto : Richard De Boo Ltd., 1978.

Jackett, W. R. « Computation of Business Profits for Tax Purposes » in Corporate Management Tax Conference, 1981. Current Developments in Measuring Business Income for Tax Purposes, Toronto : Canadian Tax Foundation, 1982.

McDonnell, T. E. « Current Cases— More on GAAP and Profit » (1994), 42 Can. Tax J. 452.

APPEL d’une décision par laquelle la C.C.I. (Canderel Ltd. c. La Reine (1994), 94 DTC 1133) a autorisé un promoteur immobilier à déduire le plein montant des paiements incitatifs versés aux locataires dans l’année des paiements en question. Appel accueilli.

AVOCATS :

Roger E. Taylor et Alnasir Meghji pour l’appelante.

Guy Du Pont et Stephen Klar pour l’intimée.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada, pour l’appelante.

Phillips & Vineberg, Montréal, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : J’en suis également arrivé à la conclusion que l’appel devrait être accueilli, mais pour des motifs un peu différents.

À mon avis, le principe comptable du rattachement a été élevé, du moins par la Cour, au statut de principe juridique. Le juge MacGuigan, J.C.A., a très bien formulé le principe dans l’affaire West Kootenay Power and Light Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 732(C.A.), à la page 745 :

… la méthode applicable est celle qui donne l’image la plus fidèle du revenu du contribuable, qui le représente le plus fidèlement et proprement et qui permet le meilleur « rattachement » des charges et des produits.

Cette affaire portait évidemment sur un revenu gagné, mais non facturé, et la Cour a décidé que la méthode de la comptabilité d’exercice « donnait une image plus fidèle des bénéfices réalisés par l’appelante parce qu’elle rattachait les produits aux charges de façon plus juste et plus exacte » (à la page 747). Cependant, à mon avis, il n’y a aucune raison d’appliquer cette méthode uniquement pour déterminer quelle est celle des deux années pour laquelle les produits devraient être déclarés, de sorte qu’elle ne devrait pas s’appliquer lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la question à trancher est celle de savoir si un contribuable est tenu de rattacher les charges et les produits pour calculer son « bénéfice » aux fins de l’impôt conformément au paragraphe 9(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, et ses modifications[1].

Il est vrai que, comme le juge de première instance l’a dit [(1994), 94 DTC 1133 (C.C.I.)], en droit comme en comptabilité, il n’est pas nécessaire de rattacher les charges courantes aux éléments correspondants des produits aux fins de l’impôt, s’il s’agit de « dépenses courantes » devant être déduites dans l’année au cours de laquelle elles sont engagées. Cependant, il est évident que les paiements incitatifs aux locataires dont il est question en l’espèce ne correspondent pas à la description classique des « dépenses courantes » de l’extrait souvent cité du jugement qu’a rendu le juge Rowlatt dans l’affaire Naval Colliery Company, Limited v. Commissioners of Inland Revenue (1928), 12 T.C. 1017 (K.B.), à la page 1027 :

[traduction] Le point de départ est évidemment le principe qui a été répété à maintes reprises dans d’autres causes; c’est un principe tiré de l’affaire Whimster, une affaire écossaise. Selon ce principe, les profits aux fins de l’impôt sur le revenu correspondent aux recettes de l’entreprise moins les dépenses engagées pour gagner ces recettes. Il est bien vrai, comme M. Maugham le soutient, que des explications s’imposent au sujet des recettes et des dépenses. Les recettes comprennent les créances et, dans le cas d’un commerçant, les marchandises en stock. Les dépenses comprennent les dettes à payer; et les frais de réparation, les dépenses courantes d’une entreprise et ainsi de suite ne peuvent pas être imputés directement aux postes de rentrées correspondants, et leur imputation ne peut pas être limitée de manière à les faire correspondre, ou à essayer de les faire correspondre, aux rentrées réelles de l’année en question. Si des réparations courantes sont faites, si des lubrifiants sont achetés, il n’est évidemment pas question de procéder à une enquête pour déterminer si les réparations ont été en partie rendues nécessaires par l’usure normale d’une pièce de matériel qui a produit des bénéfices durant l’année qui a précédé ou si les réparations faites permettront à la pièce de matériel de contribuer aux profits durant l’année suivante, et ainsi de suite. Les dépenses de ce genre sont considérées, et doivent être considérées, comme des dépenses engagées dans l’exploitation de l’entreprise envisagée comme un tout chaque année, et les revenus sont les revenus de l’entreprise envisagée comme un tout pour l’année, sans essayer de rattacher chaque dépense à un poste donné des revenus. [Non souligné dans l’original; note en bas de page omise.]

Cependant, certains peuvent soutenir que les paiements incitatifs que l’intimée a versés aux locataires étaient des dépenses courantes, parce qu’ils représentaient des frais liés à l’exploitation d’une entreprise au cours de l’année d’imposition de 1986, et aussi parce que l’intimée aurait été nettement désavantagée sur le plan financier si elle n’avait pas versé ces paiements et qu’elle a effectivement obtenu des avantages financiers importants en les versant. Il est bien reconnu qu’une dépense devient déductible dans l’année au cours de laquelle elle a été engagée, même si la totalité de la dépense n’a pas donné d’avantages au cours de cette même année (Vallambrosa Rubber Company, Limited v. Farmer (1910), 5 T.C. 529 (Ct. Sess.). Lord Reid a expliqué ce principe dans l’affaire Duple Motor Bodies, Ltd. v. Ostime (1961), 39 T.C. 537 (H.L.), à la page 571 :

[traduction] Il importe peu que certaines dépenses se soient révélées inutiles ou qu’elles aient été faites uniquement à des fins de production et de bénéfice au cours d’une année ultérieure et n’aient aucun lien avec la production faite pendant l’année au cours de laquelle elle a été comptabilisée. Ce principe remonte à une décision rendue en 1910 dans l’affaire Vallambrosa Rubber Co., Ltd. v. Farmer, 5 T.C. 529, décision qui a été suivie à maintes reprises et qui n’a jamais été remise en question.

Dans le cas qui nous occupe, il est évident que ces dépenses n’ont pas été engagées dans le but de produire un revenu uniquement dans l’année d’imposition 1986, mais pendant toutes les années au cours desquelles les baux en question devaient être en vigueur.

Je ne puis dire non plus que ces dépenses ressemblent à celles dont la Cour était saisie dans l’affaire Oxford Shopping Centres Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 89(1re inst.). Il est évident, dans cette affaire, qu’il n’était pas possible de rattacher la dépense à des postes de revenu précis. Par ailleurs, l’affaire Cummings (J L) c La Reine, [1981] CTC 285 (C.A.F.), ne portait pas directement sur la question en litige. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les frais engagés pour assumer les obligations découlant des baux devaient être considérés comme des dépenses d’entreprise ou des dépenses en immobilisations. Il est vrai que, dans une remarque incidente, le juge Heald, J.C.A., était prêt à considérer ces dépenses comme des « dépenses courantes », mais je ne suis pas convaincu que son analyse devait s’appliquer en dehors des circonstances pour lesquelles des dépenses de cette nature avaient été ainsi classifiées jusque-là. Il s’est fondé sur ce qu’il a appelé la double justification de l’arrêt Oxford Shopping, précité, et a poursuivi en ces termes à la page 291 :

Il me semble évident que la dépense en litige est une « dépense courante » du même genre que, par exemple, une importante campagne publicitaire en vue de trouver des locataires, l’offre faite à un locataire éventuel de bénéficier d’une période à l’égard de laquelle aucun loyer n’est payable afin de l’inciter à conclure un bail à long terme, ou le paiement d’honoraires à la personne qui trouve des locataires et permet la signature de baux. Comme l’a décrit Me Vineberg, la somme de 790 000 $ a été dépensée afin de [traduction] « prévenir un manque à gagner ». Cette somme ayant servi à [traduction] « empêcher qu’il ne se produise ».

Cependant, ces opinions me semblent fondées sur la présomption selon laquelle, comme le juge Rowlatt l’a dit dans l’affaire Naval Colliery, précitée, les dépenses [traduction] « ne peuvent pas être imputées directement aux postes de rentrées correspondants », laquelle présomption, comme ma collègue le souligne, est conforme à l’opinion que le juge Thurlow (tel était alors son titre) a exprimée dans l’affaire Silverman, Harry v. Minister of National Revenue , [1961] R.C.É. 19.

Dans le présent litige, je souscris à l’opinion de ma collègue selon laquelle les dépenses en question pouvaient être rattachées aux produits provenant des baux en question conformément au principe du rattachement commenté ci-dessus. D’ailleurs, ce rattachement a été fait aux fins des rapports financiers.

Je trancherais l’appel de la façon proposée par ma collègue.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris aux motifs exprimés par le juge Stone.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Desjardins, J.C.A. : La question à trancher dans le présent appel interjeté à l’égard d’un jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt[2] est une question de nature chronologique. Il s’agit de savoir si l’intimée a le droit de déduire en entier, pour son année d’imposition 1986, le montant de 1 208 369 $[3] qu’elle a versé en 1986 à titre de paiements incitatifs aux locataires (PIL) (soit la « méthode de la passation par pertes et profits ») ou si, comme le soutient l’appelante, le montant devrait être amorti sur toute la durée des baux respectifs (méthode de la prise en charge par amortissement).

Il convient de préciser que le litige en l’espèce ne porte pas sur la question de savoir si les dépenses contestées sont des dépenses en immobilisations ou des dépenses d’entreprise. Les parties conviennent que les PIL sont des dépenses que l’intimée a engagées pour tirer un revenu de l’entreprise et que les exigences de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) sont respectées[4]. Le litige concerne la question de savoir quelle est ou quelles sont les années d’imposition au cours desquelles les paiements en question que l’intimée a versés en 1986 peuvent être déduits aux fins du calcul du bénéfice. Selon les témoignages d’experts qui ont été présentés, au cours de l’année pertinente, les principes comptables généralement reconnus (PCGR) permettaient l’utilisation tant de la méthode de la passation par pertes et profits que de la méthode de prise en charge par amortissement aux fins des rapports financiers. En outre, l’appelante admet que la première méthode appliquée par l’intimée était utilisée dans l’industrie de l’immobilier au cours de la période pertinente, selon les lignes directrices publiées par l’Institut canadien des compagnies immobilières publiques (ICCIP).

Les faits

Les faits ne sont pas contestés et sont décrits dans la décision publiée de la Cour canadienne de l’impôt. J’ai donc l’intention de revenir uniquement sur ceux qui sont essentiels à la compréhension du présent appel.

La société Canderel a appartenu exclusivement à Jonathan Wener jusqu’en 1985, année au cours de laquelle elle a été transférée à Canderel Holdings Inc., qui appartenait également en propriété exclusive à Jonathan Wener. Canderel s’occupe principalement de gestion et de mise en valeur de propriétés commerciales et, dans une moindre mesure, de propriétés industrielles.

Le 3 février 1984, elle a conclu avec Mount-Batten Properties Ltd. une entente relative à la mise en valeur d’une propriété située au 1600, avenue Carling, à Ottawa, qui a plus tard été connue sous le nom de projet Churchill Office Park (COP). Selon l’entente de gestion signée en même temps que l’entente de mise en valeur, l’intimée devait également agir comme gestionnaire de la propriété du COP. À cette fin, elle devait, notamment, négocier les baux et leurs renouvellements. Le projet devait être financé au moyen d’un prêt hypothécaire qui permettrait de minimiser les apports de capitaux et de couvrir les coûts. Il était impérieux d’obtenir le plus tôt possible un flux de trésorerie positif et le succès du projet reposait sur la rapidité avec laquelle des baux pourraient être conclus. Du financement provisoire a été obtenu essentiellement sous forme de prêt remboursable à vue. Dès que l’immeuble serait loué à raison de 75 % à 85 %, il serait possible d’obtenir du financement permanent.

La situation du marché s’est dégradée. À l’ouverture du COP en juin 1985, les coûts de l’immeuble s’élevaient à environ 25 000 000 $, mais seulement 2,3 % de l’immeuble était loué. La concurrence que l’on se livrait dans la ville pour trouver des locataires était très vive.

La Banque Toronto-Dominion avait fourni du financement provisoire au moyen d’un prêt d’exploitation de 1 500 000 $ et d’un prêt hypothécaire de 22 000 000 $. D’après la preuve présentée à l’instruction, Canderel devait trouver des locataires à la fin du projet ou peu après, faute de quoi elle risquait de subir plusieurs conséquences défavorables[5] : ainsi, a) les frais d’exploitation et de financement, qui totalisaient environ 2 900 000 $ (après amortissement), devraient être supportés en entier par les coentrepreneurs, ce qui aurait pour effet de réduire considérablement le rendement monétaire possible du COP; b) le financement permanent ne serait pas accordé, ce qui laisserait les coentrepreneurs aux prises avec un prêt à demande finançant un actif immobilisé et comportant des taux d’intérêt flottants; c) le projet pourrait devenir connu comme projet impopulaire sur le marché, ce qui réduirait les chances d’attirer des locataires stables et solvables qui assureraient en fait la viabilité financière du projet.

La direction de l’intimée a décidé d’attribuer les pertes prévues au budget aux paiements incitatifs aux locataires et de réorganiser le budget afin de faire face à ces problèmes. Afin d’obtenir du financement pour une période de dix ans, la direction devait prouver au prêteur qu’elle avait des baux à long terme correspondant à peu près à la période du prêt et produisant des revenus de 17 $ le pied carré. Elle a mis en branle une campagne de location afin d’inciter les locataires à conclure des baux qui généreraient ces revenus. Des paiements incitatifs ont été versés aux locataires à la signature des baux qui ont finalement été obtenus pour une durée variant de trois à dix ans. Voici un exemple de cette clause d’incitation à prise à bail[6] :

[traduction] 6. Incitation à prise à bail

Reconnaissant qu’il désire compter le Locataire parmi les locataires de l’immeuble, le Propriétaire a convenu de verser au Locataire, à titre de paiement incitatif, un montant d’un million quatre-vingt-un mille huit cent soixante-douze dollars (1 081 872 $) à la signature du présent bail, montant que le Locataire reconnaît avoir reçu. Si, pour une raison ou pour une autre, le Locataire ne prend pas possession de bonne foi de ses locaux à la date d’entrée en vigueur et qu’il ne remplit pas toutes les obligations à échoir aux termes du bail au cours des deux (2) premiers mois de la durée, le Locataire remettra sans délai au Propriétaire le paiement incitatif en question.

Le montant de ces paiements a été établi non pas en fonction du taux de location payé ou de la durée du bail, mais plutôt en fonction d’une kyrielle de facteurs, y compris la situation du marché, les exigences du locataire et les négociations spéciales.

À la fin de juin 1986, 59 % du COP était loué et, en juin 1987, cette proportion avait atteint 85 %.

Le 17 juin 1986, le mandataire de l’intimée a obtenu un engagement de financement permanent de la Sun Life d’une durée de dix ans selon un montant de 25 500 000 $.

Le rapport du vérificateur en date de janvier 1986 fait état d’une perte d’exploitation de 1 219 000 $ et, d’après les notes afférentes au bilan, les PIL étaient traités dans les livres de l’intimée comme des montants capitalisés. En 1986, un montant de 4 000 000 $ avait été capitalisé et amorti. Pour l’exercice de 1986, le revenu s’établissait à moins 800 000 $ (avant l’amortissement). Selon la déclaration, les PIL ont été déduits du revenu au cours de l’année du paiement. D’après l’état de rapprochement, l’intimée a remplacé la capitalisation par la radiation pour l’exercice en cours.

Dans le calcul de son revenu aux fins de l’impôt pour son année d’imposition 1986, Canderel a déduit le plein montant de 1 208 369 $, qui représentait sa part des paiements incitatifs versés aux locataires ou engagés au cours de cette année d’imposition, à titre de dépense engagée en vue de tirer un revenu de son entreprise ou de faire produire un revenu à son entreprise pour cette année d’imposition.

Dans sa nouvelle cotisation, le ministre a refusé la déduction de 1 208 369 $ et a plutôt permis à l’intimée de déduire un montant de 69 274 $, soit le montant obtenu en amortissant chacun des paiements incitatifs versés aux locataires sur la durée initiale du bail visé par le paiement en question. La décision tenait au fait que, dans le calcul de son « bénéfice », l’intimée ne pouvait déduire la totalité d’un paiement incitatif dans l’année du paiement, mais devait amortir le montant en question sur toute la durée des baux concernés. Aux fins de l’impôt sur le revenu, Canderel a déduit les commissions de 735 000 $ qu’elle avait versées à l’égard de ces baux dans l’année d’imposition au cours de laquelle lesdites commissions ont été versées. Le ministre n’a pas contesté la déduction de ces dépenses.

La Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel de l’intimée.

Le jugement de l’instance inférieure

Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que les PIL donnaient lieu à quatre avantages[7] :

(1) « éviter un trou dans le revenu » qu’occasionnerait autrement l’entretien d’un immeuble vacant;

(2) satisfaire aux exigences sous-jacentes de son financement provisoire et obtenir un financement permanent;

(3) faire face à la concurrence et préserver sa position sur le marché ainsi que sa réputation;

(4) gagner des revenus au moyen de loyers et d’honoraires de gestion et d’aménagement.

Il a d’abord rappelé que les tribunaux ont constamment statué qu’une dépense est déductible en entier dans l’année au cours de laquelle elle a été faite, même si aucun revenu découlant directement de cette dépense n’a été gagné pendant cette même année. Selon le juge, ce principe remonte à l’affaire Vallambrosa Rubber Company, Limited v. Farmer[8]. Il s’est ensuite demandé si les PIL constituaient des dépenses courantes et s’il était nécessaire de les rattacher aux produits. Il a cité la décision que la Cour suprême du Canada a récemment rendue dans l’affaire Symes c. Canada[9], où le juge Iacobucci a lui-même cité les remarques suivantes que le juge Wilson a formulées dans l’affaire Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu)[10] :

Tout ce qui importe, c’est que les dépenses aient été engagées légitimement dans le cours ordinaire des affaires et dans le but qu’il en découle ultérieurement un revenu imposable pour la compagnie.

Le juge Iacobucci a ensuite ajouté ce qui suit[11] :

En faisant cette déclaration et en procédant ensuite à l’étude du « processus de gain » (aux pp. 189 et 190) mentionné dans un bulletin d’interprétation, le juge Wilson … rejetait à la fois l’exigence d’un lien de causalité entre une dépense particulière et un revenu particulier et l’idée que le revenu devait être généré dans l’année où la dépense avait été engagée. La mention qu’elle fait du « cours ordinaire des affaires » ne fait que refléter ces autres conclusions.

Le juge de première instance a conclu des remarques du juge Wilson que l’« intention » du contribuable était un facteur pertinent. Après avoir fait un examen en profondeur de la jurisprudence, il a conclu que les dépenses déduites par l’intimée étaient des dépenses courantes, que le rattachement n’était pas, en l’espèce, la méthode qu’il convenait d’utiliser pour calculer le bénéfice aux fins de l’impôt et que l’intimée devrait être autorisée à adopter la méthode de la passation par pertes et profits. De plus, il a jugé que la loi n’exigeait nullement l’application de méthodes comptables uniformes pour la préparation des états financiers et le calcul des impôts sur le revenu ni n’exigeait le respect des PCGR.

Les arguments des parties

L’appelante soutient qu’en l’espèce, seul l’article 9 s’applique. L’erreur fondamentale du juge de première instance a été de confondre les principes que les tribunaux ont élaborés lorsqu’il s’agit d’appliquer l’alinéa 18(1)a) de la Loi avec ceux qui concernent l’article 9[12]. De l’avis de l’appelante, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a mal appliqué la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’affaire Symes, où le litige portait sur la question de savoir si les frais contestés de garde d’enfants avaient été engagés « en vue de tirer un revenu » au sens de l’alinéa 18(1)a). C’est lorsqu’il a parlé du critère de « l’objet » que le juge Iacobucci a rejeté à la fois l’exigence d’un lien de causalité entre une dépense particulière et un revenu particulier et l’idée que le revenu devait être généré dans l’année où la dépense avait été engagée. Dans le cas qui nous occupe, soutient-elle, il est admis que les paiements incitatifs versés aux locataires ont été engagés pour tirer un revenu de l’entreprise. En conséquence, aucun des arrêts relatifs à l’alinéa 18(1)a) que l’intimée invoque pour soutenir que les dépenses sont déductibles dans l’année du paiement ne peut s’appliquer.

L’appelante ajoute que, très récemment, la Cour a examiné dans trois arrêts la question de savoir quelle est la méthode à utiliser pour calculer les bénéfices aux fins de l’impôt sur le revenu lorsque plusieurs méthodes sont acceptables aux fins des rapports financiers. Les arrêts en question sont les affaires West Kootenay Power and Light Co. c. Canada[13]; Maritime Telegraph and Telephone Co. c. Canada[14]; et Friedberg (A.D.) c. Canada[15]. La règle fondamentale qui découle de ces arrêts est la suivante : s’il existe deux méthodes acceptables selon les PCGR, mais que l’une d’elles ne convient pas aux fins de l’impôt, il n’est plus question de choisir entre des méthodes acceptables, parce qu’une seule est appropriée aux fins de l’impôt. Cette conclusion ressort de la décision rendue dans l’affaire Friedberg. Cependant, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, deux méthodes comptables sont acceptables selon les PCGR aux fins des déclarations des frais de financement, soit la méthode de la passation par pertes et profits et la méthode de la prise en charge par amortissement, et que les deux méthodes conviennent par ailleurs aux fins de l’impôt, la Cour retiendra la méthode qui donne une image plus fidèle du bénéfice de l’intimée. Cette conclusion ressort de l’arrêt West Kootenay[16]. En conséquence, dans le cas qui nous concerne, la méthode de la prise en charge par amortissement présente plus fidèlement et avec plus d’exactitude les bénéfices, étant donné qu’elle permet le rapprochement des produits et des charges. Il s’agit donc de la seule méthode qui permet de déterminer le « bénéfice » de Canderel selon le sens juridique de ce mot. D’après les arrêts susmentionnés, le contribuable n’a d’autre choix que de suivre cette méthode de comptabilité. Par conséquent, selon l’appelante, le juge de première instance a commis une erreur de droit fondamentale lorsqu’il a dit ce qui suit :

Bien que le principe du rapprochement puisse avoir son utilité, surtout à des fins comptables, cela n’est pas nécessairement le cas pour le calcul de l’impôt sur le revenu[17].

Pour sa part, l’intimée fait valoir que le juge de première instance a tiré la conclusion de fait que les dépenses contestées avaient engendré quatre avantages clés. Compte tenu de ces conclusions de fait, qui étaient amplement justifiées par la preuve, le savant juge a statué que les dépenses en question étaient des dépenses courantes, de sorte qu’aucune obligation de rattachement n’existait. À moins que ces conclusions ne comportent une erreur majeure, ces dépenses sont déductibles dans l’année d’imposition pendant laquelle elles sont engagées, comme la Cour l’a décidé dans l’affaire Cummings (J L) c La Reine[18].

L’intimée a ajouté qu’il n’existe aucune règle de droit non plus qu’aucune disposition de la Loi qui obligent expressément ou implicitement Canderel à « rattacher » ou à « tenter de rattacher » ces dépenses courantes aux produits qu’elle recevra au cours des années d’imposition subséquentes et que le ministre ne peut forcer Canderel à le faire. Selon la règle générale, les dépenses courantes qui sont faites dans le but de tirer ou de faire produire un revenu sont déductibles dans l’année d’imposition au cours de laquelle elles sont engagées, qu’elles génèrent ou non des produits dans l’année d’imposition en question ou au cours des années d’imposition subséquentes ou qu’elles ne génèrent aucun produit. À l’appui de sa proposition, l’intimée invoque des arrêts comme Naval Colliery Company, Limited v. Commissioners of Inland Revenue[19] et Vallambrosa Rubber Company, Limited v. Farmer[20]. Cependant, même si Canderel était tenue, en droit, de faire le rattachement ou de tenter de le faire, ce qui est nié, la méthode de la passation par pertes et profits présente l’image fidèle du revenu de l’intimée pour l’année, pour les raisons suivantes : (i) pour une personne dans la situation de Canderel, les bénéfices véritables qu’elle a tirés au cours de son année d’imposition 1986 étaient les recettes qu’elle a générées, déduction faite des dépenses courantes qu’elle a engagées au cours de cette même année d’imposition en vue de tirer un revenu de son entreprise ou de faire produire un revenu à son entreprise; (ii) compte tenu des conclusions de fait du juge de première instance, ces montants devraient être rattachés aux nombreux avantages financiers immédiats qu’ils ont engendrés; (iii) en versant ces PIL, Canderel a évité un manque à gagner qui, en l’absence des paiements en question, aurait été créé par des frais par ailleurs déductibles au cours de l’année d’imposition en question; (iv) l’application de la méthode du « rattachement » et de la « tentative de rattachement » par l’appelante donnerait lieu à l’imposition de gains non réalisés et à la déduction de pertes engagées.

Analyse

Dans l’arrêt Symes c. Canada[21], le juge Iacobucci a décrit clairement les liens entre le paragraphe 9(1) et les alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi de l’impôt sur le revenu :

À une certaine époque, il n’était pas clair si le fondement de la déduction des dépenses d’entreprise se trouvait dans la disposition qui est maintenant le par. 9(1) ou dans celle qui est l’al. 18(1)a) actuel. Toutefois, dans une série d’arrêts ayant abouti à l’arrêt Royal Trust Co. c. Minister of National Revenue, 57 D.T.C. 1055 (C. de l’É.), le président Thorson a reconnu que la déduction des dépenses d’entreprise constitue une partie nécessaire du calcul du « bénéfice » en vertu du par. 9(1). Dans l’arrêt Daley c. Minister of National Revenue, [1950] R.C. de l’É. 516, le président Thorson disait ce qui suit au sujet de l’art. 3 (qui est à l’origine de l’art. 9) et de l’al. 6a) (qui est à l’origine de l’al. 18(1)a) de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97 (à la p. 521) :

[traduction] À mon avis, il est exact de dire que la déductibilité des débours et dépenses qui peuvent à juste titre être déduits « dans le calcul du montant des bénéfices ou gains à imposer » se rattache au concept de « bénéfice ou gain net annuel » dans la définition du revenu imposable figurant à l’article 3. La déductibilité de débours ou dépenses des recettes d’une année d’imposition découle donc de l’article 3 de la Loi et ne résulte pas du tout, même par déduction, de l’alinéa 6a).

En d’autres termes, le concept de « bénéfice » au par. 9(1) est en soi un résultat net qui présuppose des déductions de dépenses d’entreprise. Il est maintenant généralement reconnu que c’est le par. 9(1) qui autorise la déduction des dépenses d’entreprise; le par. 18(1) est limitatif seulement. Voir l’arrêt The Queen c. MerBan Capital Corp., 89 D.T.C. 5404 (C.A.F.).

Décrire ainsi le par. 9(1) et l’al. 18(1)a) ne permet toutefois pas de clarifier la méthode d’analyse qu’il convient d’utiliser en l’espèce. S’il semble que, selon l’économie de la Loi, les al. 18(1)a) et h) peuvent logiquement paraître limiter des déductions déjà autorisées par le par. 9(1), cette organisation peut être moins logique qu’on le supposerait. La raison en est que l’on ne sait généralement pas quels types de dépenses pourraient être déductibles en vertu du par. 9(1), mais interdites par les al. 18(1)a) ou h).

En vertu du par. 9(1), la déductibilité est habituellement considérée de la façon dont elle l’avait été par le président Thorson dans Royal Trust, précité (à la p. 1059) :

[traduction] … pour savoir si un débours ou une dépense était déductible aux fins d’impôt la première étape était de déterminer si la déduction était conforme aux principes ordinaires des affaires commerciales ou aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires … [Je souligne.]

En conséquence, dans l’analyse des déductions, il faut commencer par le par. 9(1), disposition qui englobe, comme l’a précisé le juge de première instance, un « critère des affaires » aux fins du calcul du bénéfice imposable.

C’est un critère qui a été formulé de bien des façons. Comme le juge de première instance l’a bien fait ressortir, la détermination du bénéfice en vertu du par. 9(1) est une question de droit : Neonex International Ltd. c. The Queen, [1978] C.T.C. 485 (C.A.F.). C’est peut-être pour ce motif (comme le laisse entendre implicitement Neonex) que les tribunaux ont hésité à énoncer, relativement au par. 9(1), un critère fondé « sur les principes comptables généralement reconnus » (P.C.G.R.) : voir aussi « Business Income and Taxable Income » (1953 Conference Report : Association canadienne d’études fiscales) cité dans B. J. Arnold et T. W. Edgar, dir., Materials on Canadian Income Tax (9e éd. 1990), à la p. 336. Toute mention des P.C.G.R. comporte l’idée d’un degré de contrôle exercé par des comptables professionnels, ce qui est incompatible avec un critère juridique du « bénéfice » en vertu du par. 9(1). Alors qu’un comptable s’interrogeant sur l’opportunité d’une déduction peut être motivé par le désir de présenter un tableau plutôt conservateur du niveau des profits courants, la Loi vise une fin différente : la perception de revenus publics. Pour ces motifs, dans l’examen du par. 9(1), il convient davantage de parler de « principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable) » ou de « principes bien reconnus des affaires commerciales ».

Si l’on adopte cette conception de la déductibilité, on se rend immédiatement compte que les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires visés au par. 9(1) auraient généralement pour effet d’interdire la déduction de dépenses qui n’ont pas pour objet de gagner un revenu ou qui sont des dépenses personnelles, de la même façon que les al. 18(1)a) et h) visent expressément à interdire de telles déductions. Pour ce motif, il est artificiel de dire qu’il faut tout d’abord examiner le par. 9(1) pour déterminer si une déduction est autorisée, et que l’on peut ensuite se fonder sur le par. 18(1) pour procéder à une autre analyse : N. Brooks, « The Principles Underlying the Deduction of Business Expenses » dans B. G. Hansen, V. Krishna et J. A. Rendall, dir., Essays on Canadian Taxation (1978), 249, aux pp. 253 et 254; V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax (4e éd. 1992), à la p. 365, renvoi 44, et à la p. 367.

En conséquence, bien que les al. 18(1)a) et h) puissent, sur le plan analytique, simplement reprendre ou confirmer les interdictions déjà comprises dans le par. 9(1), ils peuvent servir à renforcer le point déjà mentionné, savoir que le critère visé au par. 9(1) est un critère juridique plutôt qu’un critère comptable. En outre, ces alinéas résument d’une façon utile ce qui pourrait par ailleurs constituer des principes abstraits de la pratique commerciale. Comme l’ont indiqué D. Ish, J. A. Rendall et C. A. Brown (« Deductions » dans Materials on Canadian Income Tax, op. cit., aux pp. 387 et 388) :

[traduction] … la fréquence avec laquelle l’alinéa 18(1)a) apparaît dans la jurisprudence confirme qu’il est utile, sinon nécessaire, que le ministre fasse des déclarations précises auxquelles on pourra se fier. [ … ] On peut soutenir que l’alinéa 18(1)h) vient seulement préciser l’alinéa 18(1)a); en fait, on pourrait supposer que les frais personnels ou les frais de subsistance du contribuable ne seraient pas déduits selon les pratiques ordinaires en matière comptable applicables aux bénéfices d’entreprise, le critère établi par le paragraphe 9(1). Le processus que nous décrivons est une diminution progressive du champ. Bien que l’on puisse soutenir que les frais personnels ou les frais de subsistance interdits par l’alinéa 18(1)h) le seraient également en vertu de l’alinéa 18(1)a) [ … ] le ministre peut néanmoins juger utile d’attirer l’attention sur la caractérisation précise d’une dépense contestée comme dépense de consommation personnelle.

Il n’y a pas de doute que, dans certains cas, le par. 9(1) s’appliquera isolément pour l’examen de déductions conformément aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires. À cet égard, je renvoie à des arrêts, également mentionnés par le juge de première instance, dans lesquels la véritable question était de savoir si une méthode comptable particulière pouvait servir à éviter l’assujettissement à l’impôt : par exemple, Associated Investors of Canada Ltd. c. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C. de l’É. 96; Canadian General Electric Co. c. Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 3. Cependant, dans d’autres cas, comme en l’espèce, la véritable question est de savoir si une déduction est interdite par les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires au motif que la dépense en question n’a pas été engagée en vue de tirer un revenu ou au motif que la dépense constitue des frais personnels ou des frais de subsistance. Dans ces cas, l’examen de la question confondra nécessairement le par. 9(1) et les al. 18(1)a) et h).

Dans le cas qui nous occupe, il est admis que les dépenses sont des dépenses d’entreprise. Notre examen concerne donc le paragraphe 9(1) de la Loi. À cette fin, nous devons nous préoccuper, non pas de l’objet de la dépense, mais du résultat net de l’année. Lorsqu’il s’est fondé sur les commentaires que le juge Iacobucci a formulés dans l’affaire Symes (où il mentionne que le juge Wilson a rejeté « à la fois l’exigence d’un lien de causalité entre une dépense particulière et un revenu particulier et l’idée que le revenu devait être généré dans l’année où la dépense avait été engagée »[22]), le juge de première instance a commis une erreur en faisant de ces commentaires une règle applicable au présent litige. Une lecture des remarques du juge Iacobucci dans leur contexte indique clairement qu’elles ne concernent pas le moment d’une déduction. Le fait d’ignorer que ces remarques ont été formulées secundum subjectam materiam constitue une application erronée du droit. Ce que nous devons déterminer en l’espèce, c’est la façon de traiter ces PIL afin de calculer le bénéfice net de la contribuable pour l’année en question.

L’appelante invoque trois décisions de la Cour pour soutenir que, lorqu’il existe deux méthodes acceptables selon les PCGR et que ces méthodes sont également acceptables aux fins de l’impôt, la Cour s’en tiendra à celle qui présente une « image plus fidèle » du bénéfice du contribuable.

Je résumerai d’abord brièvement chacune de ces décisions et je préciserai ensuite les principes qui, à mon avis, s’en dégagent.

L’affaire West Kootenay Power and Light Co. c. Canada[23] portait sur la question de savoir si les produits d’exploitation estimatifs non encore facturés au 31 décembre, soit la fin de l’année d’imposition de la contribuable, devaient être inclus dans le revenu tiré de son entreprise pour cette année. L’appelante était une société ouverte qui produisait et distribuait de l’énergie hydro-électrique en Colombie-Britannique. La facturation des services fournis aux usagers domestiques suivait un cycle de deux mois et les compteurs étaient relevés bimestriellement. À la fin des exercices financiers en cause (1983 et 1984), l’appelante avait livré de l’électricité qu’elle n’avait pas encore facturée à ses clients. La British Columbia Utilities Commission, qui a approuvé le tarif, n’a pas autorisé l’appelante à facturer l’électricité fournie au 31 décembre avant la fin du cycle de facturation se terminant après cette date. Jusqu’en 1979, la contribuable ne tenait pas compte des produits d’exploitation non facturés aux fins comptables; cependant, en 1979, suivant les conseils de ses comptables, l’appelante a changé sa méthode et s’est mise à calculer son revenu en se fondant sur des estimations des produits d’exploitation qu’elle prévoyait recevoir, tant pour la préparation de ses états financiers que pour celle de ses déclarations de revenus. Elle a continué à appliquer la méthode de la comptabilité d’exercice jusqu’en 1982. En 1983, l’appelante a substitué la méthode des produits « facturés » à la comptabilité d’exercice aux fins de sa déclaration de revenus tout en conservant cette dernière méthode comptable pour la préparation des états financiers annuels. Elle a éliminé de son revenu les produits d’exploitation estimatifs non facturés à la fin de l’exercice et n’a déclaré que les produits facturés. Les deux méthodes de comptabilité étaient permises selon les PCGR. Le ministre a ajouté les produits non facturés au revenu de l’appelante pour l’année d’imposition. Le juge MacGuigan, J.C.A., qui s’est exprimé au nom de la Cour, a jugé qu’il n’était pas obligatoire d’appliquer la même méthode pour la préparation des états financiers et celle des déclarations de revenus. Il a ajouté ce qui suit[24] :

… la méthode applicable est celle qui donne l’image la plus fidèle du revenu du contribuable, qui le représente le plus fidèlement et proprement et qui permet le meilleur « rattachement » des charges et des produits.

Il s’est ensuite demandé si les produits d’exploitation non facturés en question étaient visés par l’alinéa 12(1)b) de la Loi[25], modifié par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 4(1), à titre de sommes à recevoir. Il a conclu que les deux montants pouvaient être déterminés avec suffisamment de certitude pour être considérés comme des sommes à recevoir, même s’ils n’avaient pas encore été facturés ni n’étaient encore exigibles, que la contribuable devait les inclure dans le calcul de son revenu pour l’année et qu’ils n’étaient pas exonérés aux termes de l’exception prévue à l’alinéa 12(1)b). En conséquence, le principe à appliquer aux fins de cette Partie de la Loi était celui de « l’image la plus fidèle » ou celui du « rattachement des charges et des produits », lequel avait pour effet d’interdire à la contribuable le recours à la méthode des factures établies.

L’affaire Maritime Telegraph and Telephone Co. c. Canada[26] portait sur le même alinéa 12(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, modifié en 1983, qui a été examiné dans l’arrêt West Kootenay Power and Light Co. Dans l’affaire Maritime Telegraph and Telephone Co., la question était celle de savoir si les produits du fragment final de l’année que la contribuable avait inclus dans son revenu de 1985 auraient dû être déclarés pour son année d’imposition 1984 (et de même pour ceux de l’année 1985 qu’elle a déclarés en 1986), comme l’intimée l’a soutenu. L’appelante, qui est une société de téléphone, a réparti ses abonnés en neuf groupes de facturation différents. Chaque groupe était facturé à différents moments du mois à l’égard des services rendus jusqu’à la date de facturation. L’abonné disposait d’un délai de 30 jours pour payer la facture avant que des frais d’intérêt ne deviennent exigibles. Il était plus que probable que le montant gagné mais non facturé au cours du fragment final de l’année d’imposition pouvait être déterminé de façon assez précise. Jusqu’en 1984, la première des deux années d’imposition en litige, l’appelante a utilisé, aux fins de l’impôt sur le revenu, la méthode du revenu gagné en calculant de façon estimative le montant des produits gagnés à la fin de l’année (son exercice financier coïncidant avec l’année civile), même si certains abonnés n’avaient pas encore été facturés à l’égard de ces montants. Ses états financiers étaient préparés de la même façon, tant pour les rapports qu’elle remettait à ses actionnaires que pour l’examen par le Nova Scotia Board of Commissioners of Public Utilities. Cependant, dès l’année d’imposition 1984, l’appelante a modifié sa méthode de comptabilité aux fins de l’impôt sur le revenu et a adopté la méthode de montant facturé pour déclarer son revenu, tout en conservant la méthode du montant « gagné » aux fins de ses états financiers. Comme le juge Reed [[1991] 1 C.T.C. 28 (C.F. 1re inst.)] l’a constaté à l’instruction, la contribuable a procédé à ce changement suivant les conseils de ses comptables, qui se sont fondés sur ce qu’ils estimaient être le sens de la modification apportée en 1983 à l’alinéa 12(1)b). Les deux méthodes étaient permises selon les PCGR. Le juge de première instance a conclu que les produits non facturés mais gagnés devaient être inclus dans le revenu conformément au paragraphe 9(1) de la Loi et que la méthode du montant gagné présentait une image plus fidèle du revenu de la contribuable pour l’année que la méthode du montant facturé. La Cour d’appel a confirmé cette conclusion.

Dans l’affaire Friedberg c. Canada[27], le contribuable a acheté, en 1978, des contrats prévoyant la livraison d’or en 1979. En 1978, il a également vendu le même nombre de contrats dont le règlement devait avoir lieu en 1979. Avant la fin de 1978, il a liquidé la position perdante de l’opération sur double option et a réalisé une perte. Il a reporté la position gagnante à l’année 1979. Dans le calcul de son revenu pour l’année 1978 (et aussi pour les années 1979, 1980 et 1981), il a déduit les pertes, mais n’a pas déclaré les gains accumulés. Le contribuable a appliqué une méthode appelée « la méthode de la valeur minimale », qui était acceptable d’après les PCGR et selon laquelle un gain lié à une opération est reconnu comme un revenu lorsque la position est liquidée et vendue, tandis qu’une perte non réalisée est comptabilisée immédiatement et déduite du revenu. Sa Majesté a contesté cette méthode parce que, d’après la « méthode de l’évaluation au marché » qui, selon elle, présentait plus fidèlement la réalité économique, la perte réalisée devait être déduite du gain accumulé en 1978 dans le calcul du revenu. La Cour suprême du Canada était d’avis que la « méthode de l’évaluation au marché » ne permettait pas de décrire le revenu aux fins de l’impôt sur le revenu[28]. Elle a reconnu que la « méthode de la valeur minimale » préconisée par le contribuable donnait à entendre que les pertes non subies selon les faits pouvaient être déduites dans le calcul du revenu, mais elle a souligné que le contribuable n’avait déduit aucune perte non subie selon les faits de cette affaire. En conséquence, il avait bien agi. La Cour suprême a refusé de formuler des commentaires au sujet des conséquences de l’application de la méthode de la « valeur minimale » dans cette affaire.

Les deux premières causes concernent des produits, tandis que la troisième concerne une perte. Dans les deux premières causes, la Cour a examiné l’année au cours de laquelle le revenu avait effectivement été gagné et a jugé que la méthode de comptabilité qui présentait le plus fidèlement la position véritable du contribuable pour l’année était celle qui devrait être acceptée aux fins de l’impôt sur le revenu. Dans l’affaire Friedberg, la Cour suprême du Canada était manifestement convaincue que la méthode que le contribuable a appliquée pour déduire sa perte réelle était, d’après les faits, celle qui convenait aux fins de l’impôt. Essentiellement, ce que les tribunaux ont recherché, ce sont les gains et pertes véritables que le contribuable a réalisés au cours de l’année d’imposition pertinente. Dans l’affaire West Kootenay Power and Light Co., il était possible de déterminer cette situation véritable en suivant la méthode de la comptabilité d’exercice, qui est une forme de rattachement[29]. Cependant, pour déterminer si le rattachement est la méthode qui convient aux fins de l’impôt en l’espèce, je me fonderai plutôt sur les décisions dans lesquelles le « principe du rattachement » a été élaboré de façon explicite.

Comme l’a dit W. R. Jackett[30], [traduction] « [l]e point de départ pour le calcul des bénéfices d’une entreprise aux fins de l’impôt sur le revenu au Canada est la règle énoncée au paragraphe 9(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu selon laquelle, à première vue, le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise pour une année est lebénéfice qu’il en tire pour cette année” ».

Le bénéfice tiré d’une entreprise est une question de droit que la Cour doit trancher. Il a été défini en ces termes par lord Herschell dans l’affaire Russell v. Town and County Bank[31] :

[traduction] Le bénéfice provenant d’une opération commerciale ou d’une entreprise est l’excédent des recettes tirées de l’opération ou de l’entreprise sur les dépenses nécessaires pour gagner ces recettes.

Il doit être déterminé de la façon dont les gens d’affaires comprennent cette expression[32] ou, pour reprendre une expression fréquemment utilisée, conformément aux « principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable) » ou aux « principes bien reconnus des affaires commerciales »[33], sauf s’ils vont à l’encontre d’une disposition législative explicite ou d’un principe du droit fiscal.

Dans l’affaire Silverman, Harry v. Minister of National Revenue[34], le juge Thurlow a dit ce qui suit :

[traduction] … Le bénéfice déclaré étant le revenu tiré de l’entreprise pour l’exercice, il faut que la méthode adoptée représente fidèlement le résultat des opérations de l’exercice; s’il existe deux méthodes distinctes, également acceptables à des fins commerciales, qui conduisent à des résultats différents, alors, aux fins de l’impôt sur le revenu, la méthode appropriée est celle qui montre le plus fidèlement possible le bénéfice tiré des opérations de l’exercice.

Ainsi, dans l’affaire Publishers Guild v. Minister of National Revenue ([1957] C.T.C. 1; 57 DTC 1017), le président Thorson a dit ce qui suit à la p. 29 :

[traduction] Ce qu’il faut essentiellement déterminer aux termes de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, c’est le montant de « bénéfice ou de gain net reçu » par le contribuable au cours de l’année. Dans l’affaire Sun Insurance Office v. Clark, [1912] A.C. 443, la Chambre des lords a décidé que « la question de savoir ce qui constitue ou non un bénéfice ou un gain est avant tout une question de fait à trancher d’après les critères appliqués aux entreprises ordinaires ». En conséquence, la question à trancher en l’espèce n’est pas celle de savoir si le ministère a accepté la méthode de la comptabilité d’exercice et rejeté la méthode des versements, mais plutôt celle de déterminer laquelle des deux méthodes présente le plus fidèlement le revenu du contribuable.

Voir également l’arrêt Minister of National Revenue v. Anaconda American Brass Ltd. ([1955] C.T.C. 311; 55 D.T.C. 1220) et l’arrêt Ken Steeves Sales Ltd. v. Minister of National Revenue ([1955] R.C.É. 108).

La question qu’il faut se poser en l’espèce est donc celle de savoir quelle est la méthode qui présente le plus fidèlement le bénéfice tiré de l’exploitation pour l’année.

Les deux parties ont cité une jurisprudence abondante. La plupart des décisions invoquées sont les mêmes, mais les parties les appliquent de façon différente. L’arrêt clé est la décision Oxford Shopping Centres Ltd. c. R.[35], où les dates de déclaration choisies ont été examinées et où une admission semblable à celle dont nous sommes saisis en l’espèce en ce qui a trait à l’alinéa 18(1)a) a été faite. En outre, en appel, la Cour a confirmé cette décision.

Deux grandes questions ont été soulevées dans l’affaire Oxford Shopping Centres Ltd. La première était celle de savoir si un montant payé par Oxford Shopping Centres Ltd. (la contribuable) à la ville de Calgary conformément à une entente écrite était une dépense en immobilisations ou une dépense déductible aux fins de l’impôt sur le revenu. La seconde visait à déterminer si, dans le cas où le montant constitue une dépense déductible, la contribuable devait l’amortir sur une période de quinze ans et en déduire uniquement une partie appropriée au cours de l’année d’imposition en cause. Les parties avaient admis que la dépense avait été faite dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien ou de faire produire un revenu à un bien ou à une entreprise.

Afin de simplifier l’accès au centre commercial pour la clientèle, la contribuable et la ville ont conclu un certain nombre d’ententes relatives à la construction d’un échangeur pour faciliter la circulation. Ces ententes constituaient une transaction à l’égard de laquelle la contribuable a versé un montant total de 490 050 $. Le juge en chef adjoint Thurlow [tel était alors son titre] a d’abord décidé que les dépenses devraient être considérées comme des dépenses d’entreprise et non comme des dépenses en immobilisations. Il a ensuite examiné la question de la répartition des dépenses. Selon une note figurant sur le bilan de la contribuable, le montant de 490 050 $, considéré comme un élément d’actif, devait être amorti sur une période de quinze ans. Toutefois, aux fins de l’impôt sur le revenu, la contribuable a déduit le montant en entier à titre de dépense au cours de l’année 1973.

Le juge en chef adjoint Thurlow[36] a souligné que, dans l’affaire Le ministre du Revenu national c. Tower Investment Inc.[37] [, le juge Collier avait conclu que, dans le cas des montants qu’elle avait dépensés en 1963, 1964 et 1965 pour annoncer ses appartements pendant quelques années, la contribuable n’était pas tenue de déduire les montants réels dans l’année au cours de laquelle ils avaient été dépensés et que, selon les principes comptables, elle pouvait reporter une partie appropriée de la déduction à une année subséquente conformément au « principe du rattachement », étant donné que la Loi ne renfermait aucune interdiction à ce sujet[38]. Le juge en chef adjoint Thurlow a ensuite cité l’opinion dissidente du juge Le Dain qui, dans l’affaire Ministre du Revenu national c. Canadian Glassine Co. Ltd.[39], a approuvé les remarques formulées par le président Jackett dans l’affaire Associated Investors of Canada Ltd. v. Minister of National Revenue[40]. Le président Jackett a alors dit que le principe exprimé dans l’affaire Rossmor Auto Supply Ltd. v. M.N.R.[41], selon lequel la déduction d’une dépense se limitait au montant engagé pendant l’année de cotisation, [traduction] « ne s’appliquait pas dans n’importe quelles circonstances » et qu’ [traduction] « il existe plusieurs genres de dépenses qui sont déductibles dans le calcul des bénéfices pour l’année « relativement » à laquelle elles ont été faites ou sont dues ». [Non souligné dans l’original.]

Dans l’affaire Oxford Shopping Centres Ltd., le juge en chef adjoint Thurlow a pris soin de citer la totalité des commentaires du président Jackett qui se trouvaient dans une note en bas de page[42]. Il a ensuite dit ce qui suit[43] :

Je pense qu’aux fins de l’impôt sur le revenu, il ressort de ce jugement que le « principe du rapprochement » s’applique aux dépenses afférentes à certains postes de revenu et, en particulier, au calcul des bénéfices tirés de l’achat et de la vente d’un stock (comparer avec Neonex International Ltd. c. La Reine, [1978] C.T.C. 485, à la page 497), mais par contre ne s’applique pas aux dépenses en cours de l’entreprise et ce, même si le fait de déduire un poste de dépenses en cours particulièrement important dans l’année où il est payé dénature le revenu de ladite année. Or, en l’espèce, il paraît indiscutable que les principes de comptabilité admettent la méthode que la demanderesse a adoptée lorsqu’elle a choisi d’amortir ledit montant pour des fins commerciales. De plus, il paraît non moins indiscutable que le fait de déduire la totalité du montant en 1973 dénaturerait les bénéfices pour cette année-là. Par conséquent, puisque ledit montant représente une dépense en cours qui n’est liée à aucun poste du revenu, le renvoi à l’affaire Associated Investors et la jurisprudence à laquelle le président Jackett se réfère (et en particulier l’affaire Vallambrosa Rubber et l’affaire Naval Colliery) indiquent que ce montant est déductible seulement dans l’année où il a été payé. Selon le sens du jugement dans l’affaire Tower Investment et celui des propos du juge de première instance et du juge Le Dain dans l’affaire Canadian Glassine, il semble que l’on ait seulement jugé qu’un contribuable restait libre d’étaler la déduction sur un certain nombre d’années. Il n’y a pas été affirmé, comme cela l’avait été dans la jurisprudence antérieure, que la dépense ne peut pas être déduite intégralement dans l’année où elle a été faite. Quant à la Loi, elle ne comporte aucune disposition particulière qui interdise la déduction du plein montant dans l’année où il a été versé. Par conséquent, je ne pense pas que le ministre ait le droit d’insister pour que la demanderesse amortisse la dépense ou l’étale sur un certain nombre d’années. [Non souligné dans l’original.]

Le juge en chef adjoint Thurlow était convaincu que le montant dépensé par la contribuable dans l’affaire Oxford Shopping Centres Ltd. était une « dépense en cours de l’entreprise » et non une « dépense afférente à certains postes de revenu ». En conséquence, le principe du rattachement ne s’appliquait pas, même si le fait de déduire le montant contesté dans l’année où il a été payé dénaturait les bénéfices pour cette année-là. Il a reconnu que, selon les arrêts Tower Investment Inc. et Canadian Glassine Co. Ltd., lorsqu’une dépense est considérée comme une dépense courante, le contribuable a la possibilité d’amortir le montant.

Dans le même arrêt Oxford Shopping Centres Ltd., le juge en chef adjoint Thurlow a ajouté un autre motif qui l’a incité à conclure que le montant devrait pouvoir être déduit au complet dans l’année du paiement. La période de quinze ans choisie par la contribuable n’était guère liée à la durée prévisible des améliorations de voirie, qui pouvait fort bien être plus longue. Cependant, a-t-il précisé, ce n’est pas la durée prévue des améliorations dont il faut tenir compte. Ce qu’il faut examiner, c’est plutôt la durée prévue des avantages qui sont censés influer sur la popularité du centre commercial, élément qui, ajouté à la mise en œuvre d’autres projets du même ordre dans une ville en pleine expansion, était à son avis un facteur impondérable.

L’extrait du jugement du juge en chef adjoint Thurlow qui m’apparaît crucial aux fins du présent litige est le suivant [à la page 107] :

Je pense qu’aux fins de l’impôt sur le revenu, il ressort de ce jugement que le « principe du rapprochement » s’applique aux dépenses afférentes à certains postes de revenu et, en particulier … ne s’applique pas aux dépenses en cours de l’entreprise et ce, même si le fait de déduire un poste de dépenses en cours particulièrement important dans l’année où il est payé dénature le revenu de ladite année. [Non souligné dans l’original.]

La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si les PIL sont des dépenses liées à un poste de revenu particulier ou s’ils constituent des dépenses courantes. S’ils sont liés à un poste de revenu particulier, le « principe du rattachement » s’appliquera. Dans le cas contraire, la contribuable pourra déduire le montant en entier ou l’amortir, à son choix.

Il ne fait aucun doute que les PIL sont des dépenses liées à des postes de revenu particuliers. Ils ne constituent pas des dépenses courantes semblables à celles que la contribuable a faites dans l’affaire Tower Investment Inc. pour annoncer ses appartements pendant un certain nombre d’années, cas où le rendement est inconnu ou, comme dans l’affaire Oxford Shopping Centres Ltd., l’application du principe du rattachement aurait été inappropriée et, à tout événement, impossible. Fondamentalement, une dépense courante ressemble à une dépense indirecte qui ne peut être liée à un poste de revenu particulier. On ne saurait cependant la comparer aux paiements semblables aux PIL dont nous sommes saisis en l’espèce et qui, comme l’indiquent les baux eux-mêmes, sont directement liés au flux de revenus gagnés au cours de la période du bail. L’effet réel et immédiat des PIL est de générer des produits. Ce sont les produits générés au titre des PIL qui bénéficient des autres avantages financiers que le juge de première instance a décrits.

Le rattachement des PIL est obligatoire.

Pour conclure que le rattachement est obligatoire lorsqu’il est lié à un poste de revenu particulier, le juge en chef adjoint Thurlow s’est fondé sur l’arrêt Commissioners of Inland Revenue v. Gardner, Mountain & D’Ambrumenil, Ltd.[44] que le président Jackett a cité dans sa désormais célèbre note. Dans cette affaire, la société a agi au nom de certains assureurs chez Lloyd’s, qui se sont constitués en consortiums dont les membres étaient appelés « Names » (noms). Les fonctions de la société consistaient à obtenir des noms et, pour le compte du groupe de noms qu’elle représentait, à accepter des risques, à délivrer des polices, à recouvrer les primes, à régler les demandes d’indemnité et à rajuster les remboursements de primes, le cas échéant. En qualité d’agent souscripteur, la société a conclu avec certains assureurs de Lloyd’s des ententes selon lesquelles elle avait le droit de recevoir des commissions sur les profits nets de la souscription de chaque année. Les ententes prévoyaient que des comptes devraient être tenus pour la période se terminant le 31 mars de chaque année. Les tâches de la société ne se limitaient pas à souscrire les risques et à recevoir les primes. Elle devait assurer le suivi de la transaction jusqu’à la fin, ce qui pouvait nécessiter des modifications de primes, la réassurance du risque ainsi que des fonctions liées au règlement d’avaries et au paiement des sinistres, questions qui pouvaient nécessiter l’attention des agents pendant une période pouvant atteindre deux ans suivant l’année de souscription du risque. Il fallait attendre au moins deux ans avant de pouvoir déterminer les bénéfices nets découlant des souscriptions d’une année. Ce n’est qu’après cette période que le montant du bénéfice pour l’année était connu et que la commission sur le bénéfice en question était calculée et payée. La question qui s’est posée était celle de savoir si la commission gagnée devait être prise en compte dans l’année de souscription ou dans l’année de réception, laquelle se situait habituellement à l’expiration de la deuxième année suivant la fin de l’année de souscription. S’exprimant au nom de la Chambre des lords, le vicomte Simon a décidé que [traduction] « même si la commission était déterminée en fonction des bénéfices découlant de la souscription faite au cours de l’année 1938-1939 et de son résultat subséquent et qu’elle était payée deux ans plus tard, c’est-à-dire en mars 1941[45] », elle constituait [traduction] « une rémunération à l’égard de tâches exécutées et terminées dans l’année qui a pris fin le 31 mars 1939 ». Il a ensuite ajouté ce qui suit[46] :

[traduction] Dans le calcul des bénéfices imposables d’une entreprise … le prix des services rendus et des marchandises livrées, lorsqu’il ne sera payé que dans une année ultérieure, ne peut pas, d’une manière générale, être considéré comme une perte pure du contribuable pour l’année durant laquelle le prix a été déboursé et, pour l’année durant laquelle le prix sera payé ou viendra à échéance, le prix desdites marchandises ne peut pas être considéré comme un profit pur. En déterminant … le montant du résultat net de l’opération, les chiffres placés du côté des recettes doivent se rapporter … au compte des profits et pertes de la même année, et cette année sera l’année durant laquelle le service a été rendu ou durant laquelle les marchandises ont été livrées. [Non souligné dans l’original.]

De l’avis de l’intimée[47], cette partie des commentaires du vicomte Simon concernant les frais se rapportaient aux frais d’inventaire à l’égard desquels des règles spéciales ont été élaborées[48].

Je ne suis pas d’accord. L’affaire Gardner, Mountain & D’Ambrumenil, Ltd. concernait une industrie de services, celle d’un agent souscripteur, et les propos du vicomte Simon portaient à la fois sur « des services rendus et sur des marchandises livrées » (non souligné dans l’original). Dans le cas qui nous occupe, l’intimée œuvre dans un autre type d’industrie de services, soit celle de la location commerciale. Les principes énoncés dans l’arrêt Gardner, Mountain & D’Ambrumenil, Ltd. s’y appliquent. Par conséquent, les PIL doivent être déduits au fur et à mesure que les services sont rendus, c’est-à-dire pendant toute la période du bail.

L’affaire Vallambrosa Rubber Company, Limited v. Farmer[49], que l’intimée a invoquée, est précisément un cas où l’application du principe du rattachement a été contestée avec raison. Le litige portait sur les profits gagnés au cours de la première année d’exploitation d’une nouvelle entreprise. La société s’occupait de cultiver et de vendre du caoutchouc et était propriétaire d’un bien-fonds à cette fin. Elle a réclamé à titre de dépense certains frais, tels les allocations, les frais de surveillance et de sarclage, etc. Il a été admis que seulement un septième des arbres à caoutchouc étaient pleinement producteurs la première année. Sa Majesté a donc soutenu que seulement un septième de ces dépenses devaient être déduites et non le reste. Cette proposition, qui a été jugée plutôt « étonnante », a été carrément rejetée. La Cour a refusé d’admettre le bien-fondé de la proposition de Sa Majesté selon laquelle[50] :

[traduction] … rien ne peut être déduit à titre de dépense que si cette dépense est strictement rattachée à un bénéfice tiré dans l’année. [Non souligné dans l’original.]

La Cour a ensuite ajouté ce qui suit[51] :

[traduction] Je crois qu’il suffit d’énoncer cette thèse pour que sa propre absurdité la réduise à néant. Que signifie-t-elle? Elle signifie que, si votre entreprise est liée à un fruit qui n’est pas toujours mûr au cours de la même année de cotisation, vous ne pourriez jamais déduire les frais nécessaires sans lesquels vous ne pourriez obtenir ce fruit. Cette situation précise, qui concerne une catégorie de produits pour laquelle il faut attendre six ans avant de pouvoir l’exploiter, est un très bon exemple, mais il ne faut pas beaucoup d’imagination pour en trouver de nombreux autres du même genre. Supposons qu’un homme exploite une entreprise laitière. Il serait vraiment absurde de prétendre qu’il ne pourrait déduire quelque montant que ce soit pour le soin de ses vaches parce qu’à un certain moment de l’année, vers la fin de l’année d’imposition, cette vache ne produisait pas de lait et que le bénéfice qu’il obtiendrait de la vache ne serait donc pas un bénéfice obtenu pendant la même année. La véritable question qui se pose est celle de savoir quels sont les bénéfices et les gains de l’entreprise? … Dans le cas qui nous occupe, lorsqu’on pense aux frais engagés pour le sarclage nécessaire pour qu’un arbre puisse produire du caoutchouc, comment peut-on soutenir qu’il ne s’agit pas d’une dépense nécessaire à la culture de l’arbre d’où un bénéfice sera tiré? Sa Majesté ne sera pas vraiment lésée de ce fait parce que, lorsque l’arbre produira ses fruits, tout le produit sera déclaré dans la colonne du crédit de l’état des résultats. Au cours de l’année de production de l’arbre, le seul montant pouvant être déduit sera le montant qui aura été dépensé pour cet arbre pendant cette même année; la contribuable n’aura pas le droit de déduire les montants qu’elle a déjà déduits.

Effectivement, à un certain moment, il n’est plus possible de lier raisonnablement des dépenses à un poste de revenu particulier.

Cependant, l’arrêt Vallambrosa Rubber Company, Limited ne s’applique pas en l’espèce.

Dans l’affaire Naval Colliery Company, Limited v. Commissioners of Inland Revenue[52], que l’intimée a également citée, une société houillère a dû faire réparer son équipement qui avait été endommagé par suite d’un arrêt à l’échelle nationale dans l’industrie de l’exploitation du charbon. La période comptable finale aux fins des droits sur les profits supplémentaires se terminait le 30 juin 1921, mais aucune dépense n’a été faite avant cette date. Cependant, la société a imputé ces frais sur l’exercice comptable. Ces montants ont été refusés, la déduction dans la période en question n’ayant pas été jugée appropriée. Pour en arriver à sa décision, le juge Rowlatt, de la Division du Banc de la Reine, a élaboré certains principes clés[53] :

[traduction] Le point de départ est évidemment le principe qui a été répété à maintes reprises dans d’autres causes; c’est un principe tiré de l’affaire Whimster, une affaire écossaise. Selon ce principe, les profits aux fins de l’impôt sur le revenu correspondent aux recettes de l’entreprise moins les dépenses engagées pour gagner ces recettes. Il est bien vrai, comme M. Maugham le soutient, que des explications s’imposent au sujet des recettes et des dépenses. Les recettes comprennent les créances et, dans le cas d’un commerçant, les marchandises en stock. Les dépenses comprennent les dettes à payer; et les frais de réparation, les dépenses courantes d’une entreprise et ainsi de suite ne peuvent pas être imputés directement aux postes de rentrées correspondants, et leur imputation ne peut pas être limitée de manière à les faire correspondre, ou à essayer de les faire correspondre, aux rentrées réelles de l’année en question. Si des réparations courantes sont faite, si des lubrifiants sont achetés, il n’est évidemment pas question de procéder à une enquête pour déterminer si les réparations ont été en partie rendues nécessaires par l’usure normale d’une pièce de matériel qui a produit des bénéfices durant l’année qui a précédé ou si les réparations faites permettront à la pièce de matériel de contribuer aux profits durant l’année suivante, et ainsi de suite. Les dépenses de ce genre sont considérées, et doivent être considérées, comme des dépenses engagées dans l’exploitation de l’entreprise envisagée comme un tout chaque année, et les revenus sont les revenus de l’entreprise envisagée comme un tout pour l’année, sans essayer de rattacher chaque dépense à un poste donné des revenus. [Non souligné dans l’original.]

L’affaire Naval Colliery Company, Limited ne nous concerne pas non plus.

L’intimée soutient[54] que la Cour a tranché la question qui se pose en l’espèce en sa faveur dans l’affaire Cummings (J L) c La Reine[55]. Cependant, à mon avis, la question des dates de déclaration n’a pas été soulevée dans cette affaire. En conséquence, la question n’a jamais été tranchée.

Cummings avait construit un édifice à bureaux de quinze étages dans la ville de Montréal. Lorsque les travaux de construction ont débuté, le marché semblait soutenu. Peu de temps après, il s’est détérioré et Cummings a éprouvé des difficultés à louer son immeuble. Elle a réussi à convaincre Domtar Ltd. de louer l’ensemble de l’immeuble pour une durée de dix ans, lequel bail comportait une option de renouvellement pour quatre autres périodes de dix ans. Dans le cadre de l’entente, Cummings a convenu « d’assumer » les obligations découlant des baux existants de Domtar à l’égard de la Place Ville-Marie et de la CIBC de Montréal. Trois paiements totalisant 790 000 $ ont été versés à l’égard de ces baux : un montant de 200 000 $ aux propriétaires de la Place Ville-Marie, un montant de 500 000 $ à la Banque canadienne impériale de commerce et à la Sun Life ainsi que des commissions de 90 000 $ au courtier Montreal Trust.

Le montant de 200 000 $ qui était dû aux propriétaires de la Place Ville-Marie pour la prise en charge des obligations découlant du bail a été payé le 31 juillet 1968. Par la suite, avant que les montants de 500 000 $ et 90 000 $ deviennent échus, l’immeuble de Cummings a été vendu à une société appelée Holstead Holding Ltd., qui a assumé l’obligation de payer ces dernières dépenses. Le montant de 500 000 $ a été payé avant le 31 octobre 1969, tandis que la commission de 90 000 $ a été payée plus tôt, en juillet de la même année.

La question en litige était celle de savoir si le montant de 790 000 $ était une dépense en immobilisations ou une dépense courante de l’entreprise. Se fondant sur l’arrêt Oxford Shopping Centres Ltd. et sur ce qu’il a appelé la double justification de cette décision, le juge Heald, J.C.A., a statué que le montant de 790 000 $ était une dépense d’entreprise, l’avantage accordé au contribuable dans l’affaire Cummings étant encore moins permanent que celui de l’affaire Oxford Shopping Centres, Ltd. Le juge Heald a ajouté qu’à son avis, il était évident que la dépense était une dépense courante appartenant à la même catégorie, par exemple, qu’une dépense faite dans le cadre d’une importante campagne publicitaire pour trouver des locataires, qu’une offre de période de location gratuite à un locataire pour l’inciter à conclure un bail à long terme ou encore que le paiement d’honoraires à la personne qui trouve des locataires et permet la signature de baux. Il a reconnu que le montant de 790 000 $ avait été dépensé pour « prévenir un manque à gagner » et conclu qu’il s’agissait d’une dépense courante[56]. Cependant, en ce qui a trait aux montants de 500 000 $ et 90 000 $, ces dettes étaient, le 31 octobre 1968, soit la fin de l’année d’imposition de 1968 de l’appelante, des dettes éventuelles et aucun montant ne pouvait donc être déduit à leur égard dans l’année d’imposition 1968 de l’appelante.

Cependant, comme la seule question soulevée était celle de savoir si le montant dépensé était une dépense en immobilisations plutôt qu’une dépense d’entreprise, les autres remarques étaient des remarques incidentes.

Conclusion

J’en arrive à la conclusion que les paiements incitatifs que l’intimée a versés aux locataires au cours de l’année d’imposition 1986 doivent être amortis sur toute la durée des baux respectifs. La méthode de la prise en charge par amortissement est la seule méthode acceptable aux fins de l’impôt sur le revenu.

Pour en arriver à ma conclusion, j’ai à l’esprit l’affaire La Reine c. Remington[57], où la Cour a statué que le montant de 1 000 000 $ que le contribuable a reçu comme incitation à la conclusion d’un bail était imposable entre ses mains comme revenu dans l’année de réception, compte tenu d’une réserve pour créance douteuse de 100 000 $ conformément au sous-alinéa 20(1)l)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais le jugement de la Cour canadienne de l’impôt et je rétablirais la nouvelle cotisation du ministre datée du 15 juin 1990 à l’égard de l’année d’imposition 1986.



[1] 9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

[2] Canderel Ltd. c. La Reine (1994), 94 DTC 1133 (C.C.I.).

[3] Même si le juge de première instance fait allusion à un montant de 1 238 369 $, le ministre renvoie dans sa nouvelle cotisation à un montant de 1 208 369 $ sous la rubrique [traduction] « Amortissement de l’allocation versée aux locataires ». Voir le dossier d’appel, vol. IV, à la p. 837.

[4] S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126, ann. III, art. 26).

[5] (1994), 94 DTC 1133 (C.C.I.), à la p. 1136.

[6] Dossier d’appel, vol. I, onglet A-6, à la p. 186, clause 6.

[7] (1994), 94 DTC 1133 (C.C.I.), à la p. 1142.

[8] (1910), 5 T.C. 529 (Ct. Sess.).

[9] [1993] 4 R.C.S. 695.

[10] [1988] 2 R.C.S. 175, à la p. 189.

[11] [1993] 4 R.C.S. 695, à la p. 733.

[12] À l’époque pertinente, le texte de l’art. 9(1) et celui de l’art. 18(1)a) étaient les suivants :

9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) Un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

[13] [1992] 1 C.F. 732(C.A.).

[14] [1992] 1 C.F. 753(C.A.).

[15] [1992] 1 C.T.C. 1 (C.A.F.); conf. par [1993] 4 R.C.S. 285.

[16] Ces propositions que l’appelante a citées sont extraites de l’article de T. E. McDonnell intitulé « Current Cases—More on GAAP and Profit » (1994), 42 Can. Tax J. 452, à la p. 454.

[17] À la p. 1141.

[18] [1981] CTC 285 (C.A.F.).

[19] (1928), 12 T.C. 1017 (K.B.).

[20] (1910), 5 T.C. 529 (Ct. Sess.).

[21] [1993] 4 R.C.S. 695, aux p. 721 à 725. L’art. 18(1)h) n’est pas pertinent dans la cause qui nous occupe.

[22] Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la p. 733.

[23] [1992] 1 C.F. 732(C.A.).

[24] West Kootenay Power and Light Co., à la p. 745.

[25] Voici le libellé de l’art. 12(1)b) de la Loi qui était en vigueur lorsque cette décision a été rendue :

12. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien, au cours d’une année d’imposition, les sommes appropriées suivantes :

b) toute somme à recevoir par le contribuable au titre de la vente de biens ou de la fourniture de services au cours de l’année, dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise, bien que la somme ou une partie de la somme puisse n’être due que dans une année postérieure, sauf dans le cas où la méthode adoptée par le contribuable pour le calcul du revenu tiré de son entreprise et acceptée aux fins de la présente Partie, ne l’oblige pas à inclure dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition toute somme à recevoir qui n’a pas été effectivement reçue dans l’année et, aux fins du présent alinéa, une somme est réputée à recevoir pour services rendus dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise à compter de celui des jours suivants à survenir le premier :

(i) le jour où a été remis le compte à l’égard des services qui ont été rendus, et

(ii) le jour où aurait été remis le compte pour ces services si la remise de ce compte n’avait pas subi un retard indu;

(2) Les dispositions des alinéas (1)a) et b) ont été édictées pour plus de précision et ne doivent pas s’interpréter comme signifiant que toute somme qui n’y est pas visée ne doit pas être incluse dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise pour une année d’imposition, qu’elle soit reçue ou à recevoir dans l’année ou non.

[26] [1992] 1 C.F. 753(C.A.).

[27] [1993] 4 R.C.S. 285.

[28] La Cour suprême du Canada a ajouté que le solde de compte sur marge ne constituait pas la façon appropriée d’évaluer le revenu réalisé aux fins de l’imposition.

[29] Le ministre du Revenu national. c. Tower Investment Inc., [1972] C.F. 454 (1re inst.), à la p. 457; B. G. Hansen et autres, Essays on Canadian Taxation : Basic Accounting Concepts (Toronto : Richard De Boo Limited, 1978), à la p. 115.

[30] W. R. Jackett, « Computation of Business Profits for Tax Purposes », dans Corporate Management Tax Conference, 1981. Current Developments in Measuring Business Income for Tax Purposes, Toronto, à la p. 285.

[31] (1888), 13 App. Cas. 418 (H.L.), à la p. 424.

[32] W. R. Jackett, « Computation of Business Profits for Tax Purposes » in Corporate Management Tax Conference, 1981. Current Developments in Measuring Business Income for Tax Purposes, Toronto, à la p. 285.

[33] Whimster and Company v. Commissioners of Inland Revenue (1925), 12 T.C. 813 (Ct. Sess.), à la p. 823; Macdonald & Sons Ltd. v. M.N.R., [1970] R.C.É. 230; Associated Investors of Canada Ltd. v. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C.É. 96, aux p. 101 et 102; Roenisch, C. W. v. The Minister of National Revenue, [1931] R.C.É. 1, aux p. 4 à 6; B. J. Arnold, « The Concept of Profit » in Timing and Income Taxation : The Principles of Income Measurement for Tax Purposes, Can. Tax Paper no 71 (Association canadienne d’études fiscales, 1983), aux p. 10 à 23; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la p. 723, où le juge Iacobucci s’exprime comme suit :

… les tribunaux ont hésité à énoncer, relativement au par. 9(1), un critère fondé « sur les principes comptables généralement reconnus » (P.C.G.R.) … Toute mention des P.C.G.R. comporte l’idée d’un degré de contrôle exercé par des comptables professionnels, ce qui est incompatible avec un critère juridique du « bénéfice » en vertu du par. 9(1). Alors qu’un comptable s’interrogeant sur l’opportunité d’une déduction peut être motivé par le désir de présenter un tableau plutôt conservateur du niveau des profits courants, la Loi vise une fin différente : la perception de revenus publics. Pour ces motifs, dans l’examen du par. 9(1), il convient davantage de parler de « principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable) » ou de « principes bien reconnus des affaires commerciales ».

[34] [1961] R.C.É. 19, aux p. 23 et 24.

[35] [1980] 2 C.F. 89(1re inst.); conf. sans motifs dans R. c. Oxford Shopping Centres Ltd., [1982] 1 C.F. 97(C.A.).

[36] [1980] 2 C.F. 89(1re inst), à la p. 104.

[37] 1972] C.F. 454 (1re inst.). Dans cette affaire, la contribuable a mené une campagne de publicité intensive au cours d’une période de trois ans, laquelle campagne a coûté au total 153 301,78 $. Elle a déduit le montant de la façon suivante : 7 351,01 $ en 1963, 63 595,87 $ en 1964 et 82 354,90 $ en 1965, année au cours de laquelle toute l’entreprise a été vendue. Les montants effectivement dépensés à des fins de publicité se sont élevés à 92 351,01 $ en 1963, 58 595,87 $ en 1964 et 2 354 $ en 1965. La méthode que la contribuable a utilisée ne coïncidait pas avec les dates réelles des dépenses et le ministre a établi une nouvelle cotisation.

[38] À la p. 457. Le juge Collier était également d’avis que les frais de publicité « ne sont pas des dépenses courantes au sens usuel de cette expression. Ils ont été engagés en vue de produire des revenus non seulement dans l’année durant laquelle ils ont été faits, mais aussi dans les années à venir » (aux p. 461 et 462).

[39] [1976] 2 C.F. 517(C.A.).

[40] [1967] 2 R.C.É., à la p. 100 (note 1). Dans cette affaire, la contribuable a versé à un employé, de 1954 à 1961, des avances dépassant sensiblement les commissions que l’employé avait effectivement gagnées. En 1960, la contribuable a conclu qu’un excédent de plus de 85 000 $ ne serait jamais recouvré. En 1960 et 1961, la contribuable a tenté de déduire ses pertes jusqu’à concurrence de 25 000 $ chaque année en imputant ce montant à des frais de promotion des ventes. Le président Jackett a conclu que la contribuable pouvait déduire, comme elle l’avait fait, les avances excédentaires en 1960 et 1961 (à la p. 105) :

[traduction] À mon avis, [la perte] doit être comptabilisée de cette façon dans le calcul du profit bénéfice de l’entreprise pendant l’année au cours de laquelle l’appelant, comme homme d’affaires, a reconnu que la perte était survenue. Elle ne peut dûment être comptabilisée dans le calcul du profit se rapportant à une année précédente. Il n’y a pas lieu non plus d’en tenir compte dans le calcul du bénéfice pour une année subséquente.

[41] [1962] C.T.C. 123 (C. de l’É.). C’était également la règle aux termes de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97. Voir aussi l’arrêt Consolidated Textiles Ltd. v. Minister of National Revenue, [1947] R.C.É. 77.

[42] Cette fameuse note, reproduite ci-après, se trouve aux p. 105 à 107 de l’arrêt Oxford Shopping Centres Ltd. :

[traduction] Il a également été plaidé que l’article 12(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui énonce :

12. (1) Dans le calcul du revenu, il n’est opéré aucune déduction à l’égard

a) d’une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la mesure où elle l’a été par le contribuable en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de biens ou d’une entreprise du contribuable,

doit être interprété comme interdisant, dans le calcul des bénéfices tirés d’une entreprise pour une année, la déduction d’une somme qui n’a pas été déboursée ou dépensée au cours de ladite année. À l’appui de cette prétention, on a invoqué le jugement du président Thorson dans l’affaire Rossmor Auto Supply Ltd. v. M.N.R., [1962] C.T.C. 123, qui déclare (p. 126) : « Selon l’interprétation que je donne à l’article 12(1)a), les débours ou les dépenses qui peuvent être déduits dans le calcul du revenu d’un contribuable pour l’année … se limitent aux sommes déboursées ou dépensées par le contribuable durant l’année sur laquelle porte la cotisation » (les italiques sont de moi). Si cette interprétation était une partie essentielle de l’argumentation sur laquelle la décision rendue dans cette affaire a été basée, je me sentirais obligé de la suivre, bien qu’elle ne soit pas, à mon avis, basée sur un principe qui s’applique dans n’importe quelles circonstances. Dans ladite affaire, toutefois, il est clair que le prêt n’a pas été consenti dans le cours ordinaire des affaires de l’appelante, et c’est ce que le président a décidé. À mon avis, bien que certains genres de dépenses doivent être déduites dans l’année durant laquelle elles ont été faites ou engagées, et dans aucune autre, (par exemple, des frais de réparations, comme dans l’affaire Naval Colliery Co. Ltd. v. C.I.R. (1928) 12 T.C. 1017, ou des frais de sarclage, comme dans l’affaire Vallambrosa Rubber Co., Ltd. v. Farmer ((1910) 5 T.C. 529), il existe plusieurs genres de dépenses qui sont déductibles dans le calcul des bénéfices pour l’année « relativement à laquelle » elles ont été faites ou sont dues. (Comparer les articles 11(1)c) et 14 de la Loi). Par exemple, la façon ordinaire de calculer les bénéfices bruts d’exploitation aboutit à un pareil résultat (produit des ventes de l’année, dont on retranche l’excédent du stock initial en début d’exercice plus les achats faits durant l’année sur le stock final en clôture d’exercice), c’est-à-dire que (hormis le cas où la valeur marchande des marchandises serait inférieure au prix payé) le coût des marchandises vendues dans l’année est déduit du produit de la vente de celles-ci, même si lesdites marchandises ont été achetées et payées au cours d’un exercice antérieur. Il s’agit là, bien sûr, de la seule façon logique de calculer le produit des ventes faites dans l’année. Comparer le jugement du vicomte Simon dans l’affaire I.R.C. v. Gardner Mountain & D’Ambrumenil, Ltd., (1947) 29 T.C. (p. 93) : « Dans le calcul des bénéfices imposables d’une entreprise … le prix des services rendus et des marchandises livrées, lorsqu’il ne sera payé que dans une année ultérieure, ne peut pas, d’une manière générale, être considéré comme une perte pure du contribuable pour l’année durant laquelle le prix a été déboursé et, pour l’année durant laquelle le prix sera payé ou viendra à échéance, le prix desdites marchandises ne peut pas être considéré comme un profit pur. En déterminant … le montant du résultat net de l’opération, les chiffres placés du côté des recettes doivent se rapporter … au compte des profits et pertes de la même année, et cette année sera l’année durant laquelle le service a été rendu ou durant laquelle les marchandises ont été livrées. » (Cette Cour a suivi ce raisonnement dans le jugement du juge Cameron dans l’affaire Ken Steeves Sales Ltd. c. Minister of National Revenu [1955] R.C.É. 108, à la p. 119). La situation est différente dans le cas des « dépenses courantes ». Voir le jugement du juge Rowlatt dans l’affaire Naval Colliery Co. Ltd. v. C.I.R. précitée (p. 1027) : « … et les frais de réparation, les dépenses courantes d’une entreprise et ainsi de suite ne peuvent pas être imputés directement aux postes de rentrées correspondants, et leur imputation ne peut pas être limitée de manière à les faire correspondre, ou à essayer de les faire correspondre, aux rentrées réelles de l’année en question. Si des réparations courantes sont faites, si des lubrifiants sont achetés, il n’est évidemment pas question de procéder à une enquête pour déterminer si les réparations ont été en partie rendues nécessaires par l’usure normale d’une pièce de matériel qui a produit des bénéfices durant l’année qui a précédé ou si les réparations faites permettront à la pièce de matériel de contribuer aux profits durant l’année suivante, et ainsi de suite. Les dépenses de ce genre sont considérées, et doivent être considérées, comme des dépenses engagées dans l’exploitation de l’entreprise envisagée comme un tout chaque année, et les revenus sont les revenus de l’entreprise envisagée comme un tout pour l’année, sans essayer de rattacher chaque dépense à un poste donné des revenus ». Voir également Riedle Brewery Ltd. v. Minister of National Revenue, [1939] R.C.S. 253. En ce qui concerne la souplesse de la méthode de calcul des revenus permise par la Loi de l’impôt sur le revenu, voir le jugement du juge Cameron dans l’affaire Ken Steeves (précitée) aux pages 113 et 114.

[43] Oxford Shopping Centres Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 89(1re inst.), aux p. 107 et 108.

[44] (1947), 29 T.C. 69 (H.L.).

[45] Commissioners of Inland Revenue v. Gardner, Mountain & D’Ambrumenil, Ltd. (1947), 29 T.C. 69 (H.L.), à la p. 92.

[46] Gardner, Mountain & D’Ambrumenil, Ltd., à la p. 93.

[47] Mémoire de l’intimée, aux p. 84 et 85, par. 139.

[48] Ken Steeves Sales Ltd. v. Minister of National Revenue, [1955] R.C.É. 108; Urbandale Realty Corporation Limited c. M.R.N. (1992), 93 DTC 154 (C.C.I.). Voir également l’arrêt Neonex International Ltd. c. La Reine (1978), 78 DTC 6339, à la p. 6348 (C.A.F.), où le principe du rattachement a été appliqué à une entreprise qui ne gardait pas d’enseignes en stock, mais les produisait uniquement sur commande.

[49] (1910), 5 T.C. 529 (Ct. Sess.), à la p. 534.

[50] Vallambrosa Rubber Company, Limited, à la p. 534.

[51] Vallambrosa Rubber Company, Limited, à la p. 535.

[52] (1928), 12 T.C. 1017 (K.B.); conf. par la C.A., à la p. 1029, et par la C.L., à la p. 1045.

[53] Ibid., à la p. 1027.

[54] Mémoire de l’intimée, par. 156, à la p. 97.

[55] [1981] CTC 285 (C.A.F.).

[56] Dans « Computation of Business Profits for Tax Purposes » in Corporate Management Tax Conference, 1981. Current Developments in Measuring Business Income for Tax Purposes , Toronto, W. R. Jackett formule les remarques suivantes à la p. 287, à la note 4 :

[traduction] Je devrais peut-être m’excuser d’utiliser les expressions « exploitation d’une entreprise » et « poursuite des activités commerciales » de façon interchangeable, comme si elles signifiaient la même chose. Je le fais parce que ces deux expressions sont ou étaient couramment utilisées et je n’ai pu trouver de différence de nuance entre les deux. Les mêmes remarques s’appliquent à l’utilisation des mots compte « d’exploitation », compte « courant » et compte « de revenu ».

[57] (1994), 94 DTC 6549 (C.A.F.).

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