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[2000] 3 C.F. 82

A-121-99

AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, et l’article 108 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. C-1;

ET certaines plaintes reçues au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada concernant la communication de renseignements personnels recueillis par le ministère du Revenu national à la Commission de l’assurance-emploi du Canada;

ET une demande d’avis présentée par voie de mémoire spécial à la Section de première instance de la Cour fédérale, aux termes de l’alinéa 17(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

Répertorié : Loi sur la protection des renseignements personnels (Can.) (Re) (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Sexton et Evans, J.C.A.— Ottawa, 8 et 9 février 2000.

Protection des renseignements personnels La communication de renseignements par Revenu Canada (Douanes) à la CAEC aux termes du protocole d’entente auxiliaire pour la collecte et la communication de données extraites des renseignements recueillis par les douanes sur les voyageurs (programme visant à identifier ceux qui reçoivent des prestations d’AE alors qu’ils sont à l’extérieur du Canada) est autorisée par l’art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnel et par l’art. 108 de la Loi sur les douanesL’art. 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne limite pas la communication de renseignements personnels qu’aux fins pour lesquelles ils ont été recueillisEn vertu de l’art. 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le législateur peut conférer à tout ministre, au moyen d’une loi donnée, un large pouvoir discrétionnaire relativement à la communication de renseignements que son ministère a recueillis.

Douanes et accise Loi sur les douanes La communication de renseignements par Revenu Canada (Douanes) à la CAEC aux termes du protocole d’entente auxiliaire pour la collecte et la communication de données extraites des renseignements recueillis par les douanes sur les voyageurs (programme visant à identifier ceux qui reçoivent des prestations d’AE alors qu’ils sont à l’extérieur du Canada) est autorisée par l’art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnel et par l’art. 108 de la Loi sur les douanesEn exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 108 de la Loi sur les douanes, le ministre a dûment pris en considération les objectifs de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Assurance-emploi La communication de renseignements par Revenu Canada (Douanes) à la CAEC aux termes du protocole d’entente auxiliaire pour la collecte et la communication de données extraites des renseignements recueillis par les douanes sur les voyageurs (programme visant à identifier ceux qui reçoivent des prestations d’AE alors qu’ils sont à l’extérieur du Canada) est autorisée par l’art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnel et par l’art. 108 de la Loi sur les douanesDans un régime de déclaration volontaire comme l’AE, la commission doit pouvoir recueillir des renseignements d’une source extérieure lorsque le prestataire fait défaut de les déclarer volontairement.

Se prononçant sur une demande d’avis présentée par voie de mémoire spécial à la Section de première instance de la Cour fédérale, le juge des requêtes a conclu que la communication de renseignements personnels par le ministère du Revenu national à la Commission d’assurance-emploi du Canada (la CAEC) aux termes d’un protocole d’entente auxiliaire pour la collecte et la communication de données extraites des renseignements recueillis par les douanes sur les voyageurs n’était pas autorisée par l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et l’article 108 de la Loi sur les douanes. Il s’agit d’un appel interjeté contre cet avis.

La CAEC a utilisé ces renseignements, dont certains sont « personnels » au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels, pour savoir quels résidents se trouvaient à l’extérieur du Canada alors qu’ils recevaient des prestations d’AE, contrairement à la Loi sur l’assurance-emploi. Avec ces renseignements, les fonctionnaires ont pu obtenir le remboursement des paiements en trop et imposer des pénalités.

La question soulevée portait uniquement sur l’interprétation des dispositions législatives pertinentes, les parties ayant décidé de soulever les questions liées à la Charte dans le cadre d’une affaire connexe.

Arrêt : l’appel est accueilli et la question soulevée doit recevoir une réponse affirmative.

La Cour (le juge Décary, J.C.A.) : Le juge des requêtes a commis une erreur en répondant à la question soulevée par la négative pour le motif que l’autorisation générale donnée par le MRN en 1991 constituait un exercice non valide de son pouvoir discrétionnaire. La question dont était saisie le juge des requêtes portait sur le protocole d’entente de 1997 sur la collecte et la communication des données, qui constituait une autorisation distincte de celle donnée en 1991. La validité de l’autorisation de 1991 n’était pas en cause.

L’argument selon lequel la Loi sur la protection des renseignements personnels exige que les renseignements personnels ne soient communiqués que pour les fins pour lesquelles ils ont été recueillis ou pour un usage compatible à ces fins était mal fondé. L’exigence qu’une institution fédérale comme la Commission recueille auprès de l’individu lui-même les renseignements personnels destinés à des fins administratives le concernant (paragraphe 5(1) de la Loi) n’était pas absolue. Dans un régime de déclaration volontaire comme l’assurance-emploi, la Commission doit pouvoir recueillir des renseignements d’une source extérieure lorsque le prestataire fait défaut de les déclarer volontairement. Deuxièmement, la vaste gamme d’exceptions permises par le paragraphe 8(2) témoigne incontestablement de l’intention du législateur de permettre la communication de renseignements personnels à des personnes qui n’ont absolument aucun lien avec l’institution qui les communique et pour des fins autres que celles pour lesquelles ces renseignements ont été recueillis.

La Loi sur la protection des renseignements personnels vise manifestement la collecte de renseignements, laquelle ne peut être faite qu’aux fins liées aux activités de l’institution, — en l’espèce, la collecte directe par Douanes Canada des renseignements et la collecte indirecte par la Commission, par l’intermédiaire de Douanes Canada, des renseignements qui sont pertinents pour les activités de la Commission — et fait une distinction entre cette collecte et la communication de renseignements, laquelle vise dans la plupart des cas des fins autres que celles pour lesquelles ces renseignements ont été recueillis ainsi que des fins liées aux activités de l’institution requérante.

En vertu de l’alinéa 8(2)b), le législateur peut conférer à tout ministre, au moyen d’une loi donnée, un large pouvoir discrétionnaire relativement à la communication de renseignements que son ministère a recueillis, ce pouvoir discrétionnaire devant naturellement être exercé, comme il l’a été en l’espèce, conformément à l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En utilisant des termes très larges à l’alinéa 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, par la suite, à l’alinéa 108(1)b) de la Loi sur les douanes, le législateur s’est manifestement laissé une marge de manœuvre considérable relativement à ses propres lois, et en a profité.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 24(2)c) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 89).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 17(3)b).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 4, 5, 7, 8(1),(2)a),b),d), e),f),l),m)(i), 11, ann. (mod. par L.C. 1996, ch. 11, art. 80).

Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 37b).

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 108(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 41, art. 28) a),b),c).

Loi sur le ministère du Développement des ressources humaines, L.C. 1996, ch. 11, art. 80.

Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, art. 55.

JURISPRUDENCE

DÉCISION CITÉE :

Smith c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 174 (C.A.) (QL).

APPEL de l’avis de la Section de première instance ([1999] 2 C.F. 543 que la communication de renseignements personnels par le ministère du Revenu national à la Commission d’assurance-emploi du Canada aux termes d’un protocole d’entente auxiliaire pour la collecte et la communication de données extraites des renseignements recueillis par les douanes sur les voyageurs n’était pas autorisée par l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et par l’article 108 de la Loi sur les douanes. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Brian J. Saunders pour le Procureur général du Canada, appelant.

Brian A. Crane, c.r., pour le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour le Procureur général du Canada, appelant.

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l’audience par

[1]        Le juge Décary, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté contre l’avis de la Section de première instance, qui a été publié à [1999] 2 C.F. 543 (1re inst.). La Cour de première instance était saisie d’une demande d’avis présentée par voie de mémoire spécial en vertu de l’alinéa 17(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7]. La question soumise à la Cour était la suivante [à la page 561] :

L’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et l’article 108 de la Loi sur les douanes autorisent-ils la communication de « renseignements personnels » par le ministère du Revenu national à la Commission de l’assurance-emploi du Canada aux termes du protocole d’entente auxiliaire pour la collecte et la communication de données extraites des renseignements recueillis par les douanes sur les voyageurs?*

Le juge des requêtes a répondu par la négative.

[2]        Les « renseignements personnels » mentionnés dans la question soulevée sont les renseignements indiqués sur la Déclaration du voyageur E-311, que les personnes entrant au Canada par avion doivent remplir et remettre à leur arrivée à un agent du ministère du Revenu national. Les renseignements précis en cause sont le nom du voyageur, sa date de naissance, son code postal, le but de son voyage ainsi que la date de son départ du Canada et celle de son retour. Il n’est pas contesté qu’au moins certains de ces renseignements sont « personnels » au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels [L.R.C. (1985), ch. P-21]. Les renseignements auxquels le Ministère (Douanes Canada) permet à la Commission d’assurance-emploi du Canada (la Commission) d’avoir accès sont comparés électroniquement avec les renseignements contenus dans la banque de données de la Commission sur les prestataires d’assurance-emploi. La Commission conserve les renseignements relatifs aux résidents canadiens qui se trouvaient à l’extérieur du pays alors qu’ils recevaient des prestations d’assurance-emploi. En vertu de l’alinéa 37b) de la Loi sur l’assurance-emploi [L.C. 1996, ch. 23], les prestataires n’ont pas droit aux prestations pour toute période pendant laquelle ils ne sont pas au Canada à moins qu’ils ne soient visés par l’une des exceptions prévues par l’article 55 du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332. Le but du programme en cause est d’identifier les prestataires d’assurance-emploi qui omettent de déclarer qu’ils se trouvent hors du pays alors qu’ils reçoivent des prestations afin que les paiements en trop en résultant soient remboursés et que, dans les cas appropriés, des pénalités soient imposées.

[3]        Il est bien établi qu’au moment de remplir leur première demande de prestations, les prestataires sont informés de façon routinière de leurs droits et obligations pendant qu’ils reçoivent des prestations. Ces obligations sont notamment : être disponible pour travailler en tout temps; faire des démarches réelles pour trouver du travail en tout temps; et déclarer immédiatement toute absence du Canada. Les prestataires sont informés qu’ils peuvent se conformer à cette dernière obligation en avisant leur centre d’emploi du Canada ou en indiquant leur absence sur leur carte de déclaration de quinzaine.

[4]        Avant avril 1997, le formulaire E-311 contenait la phrase suivante : « Les réponses aux questions suivantes servent au contrôle douanier et à la compilation de statistiques ». Le formulaire a été modifié en avril 1997 et cette phrase a été remplacée par : « Les renseignements personnels déclarés sur ce formulaire sont conservés dans le fichier de renseignements personnels numéro RC PPU 043 ».

[5]        Le fichier de renseignements personnels numéro RC PPU 043 est un fichier de renseignements de Revenu Canada. Des fichiers de renseignements personnels sont tenus par les institutions fédérales en vertu de l’article 11 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les fichiers fournissent un résumé des renseignements personnels détenus par les institutions. Ils indiquent également les usages qui sont faits des renseignements. Au moins une fois par année, une liste des fichiers de renseignements personnels est publiée par le Secrétariat du Conseil du Trésor dans un document intitulé InfoSource. Le fichier PC PPU 043 indique que les renseignements inscrits sur la déclaration E-311 peuvent être utilisés par Revenu Canada ainsi que par les autres ministères et par les organismes d’enquête pour les fins de l’application des lois.

[6]        La question soulevée porte uniquement sur l’interprétation de certaines dispositions de la Loi sur les douanes [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1] et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les parties ont décidé de soulever les questions liées à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] dans le cadre de l’affaire connexe Smith c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 174 (C.A.) (QL), qui porte sur un litige concret entre une prestataire et la Commission et qui a été entendue conjointement avec le présent appel. Cette affaire est tranchée en vertu de motifs distincts prononcés en ce jour.

[7]        Les dispositions pertinentes prévoient :

Loi sur la protection des renseignements personnels [articles 4, 5(1), 7a),b), 8(1),(2)a),b),d),e),f),l), m)(i)]

4. Les seuls renseignements personnels que peut recueillir une institution fédérale sont ceux qui ont un lien direct avec ses programmes ou ses activités.

5. (1) Une institution fédérale est tenue de recueillir auprès de l’individu lui-même, chaque fois que possible, les renseignements personnels destinés à des fins administratives le concernant, sauf autorisation contraire de l’individu ou autres cas d’autorisation prévus au paragraphe 8(2).

[…]

7. À défaut du consentement de l’individu concerné, les renseignements personnels relevant d’une institution fédérale ne peuvent servir à celle-ci :

a) qu’aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l’institution de même que pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;

b) qu’aux fins auxquelles ils peuvent lui être communiqués en vertu du paragraphe 8(2).

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article.

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

a) communication aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l’institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;

b) communication aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication;

[…]

d) communication au procureur général du Canada pour usage dans des poursuites judiciaires intéressant la Couronne du chef du Canada ou le gouvernement fédéral;

e) communication à un organisme d’enquête déterminé par règlement et qui en fait la demande par écrit, en vue de faire respecter des lois fédérales ou provinciales ou pour la tenue d’enquêtes licites, pourvu que la demande précise les fins auxquelles les renseignements sont destinés et la nature des renseignements demandés;

f) communication aux termes d’accords ou d’ententes conclus d’une part entre le gouvernement du Canada ou un de ses organismes et, d’autre part, le gouvernement d’une province ou d’un État étranger, une organisation internationale d’États ou de gouvernements, ou un de leurs organismes, en vue de l’application des lois ou pour la tenue d’enquêtes licites;

[…]

l) communication à toute institution fédérale en vue de joindre un débiteur ou un créancier de Sa Majesté du chef du Canada et de recouvrer ou d’acquitter la créance;

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution :

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

Loi sur les douanes [article 108(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 41, art. 28), a),b),c)]

108. (1) L’agent peut communiquer ou laisser communiquer des renseignements obtenus en vertu de la présente loi ou du Tarif des douanes aux personnes suivantes, ou laisser celles-ci examiner les livres, dossiers, écrits ou autres documents obtenus par le ministre ou en son nom pour l’application de ces lois, ou y avoir accès :

a) les agents ou les personnes employées par le ministère du Revenu national;

b) les personnes autorisées par le ministre ou appartenant à une catégorie de personnes ainsi autorisées, sous réserve des conditions que celui-ci précise;

c) les personnes ayant, d’une façon générale, légalement qualité à cet égard.

[8]        Le juge des requêtes a répondu à la question soulevée par la négative [à la page 560] essentiellement pour le motif que l’autorisation générale donnée par le ministre du Revenu national le 26 juillet 1991 constituait [à la page 560] « un exercice non valide de son pouvoir discrétionnaire » puisqu’elle était une entrave illicite à l’exercice ultérieur de son pouvoir discrétionnaire et qu’elle était fondée sur des considérations non pertinentes. La question dont elle était saisie, toutefois, ne portait pas sur cette autorisation générale, mais bien sur le « Protocole d’entente connexe concernant la saisie de données et la divulgation de renseignements des douanes sur les voyageurs », qui a été conclu le 26 avril 1997 entre le ministère du Revenu national et la Commission d’assurance-emploi du Canada. Ce protocole d’entente connexe était complémentaire au Protocole d’entente sur la divulgation de renseignements, actuellement en vigueur, qui a été conclu par les parties le 17 février 1995, qui remplaçait l’entente modifiée de mars 1992 intervenue entre les mêmes parties et qui aurait été conclu en vertu de l’autorisation ministérielle de 1991. Le juge des requêtes n’a nullement mentionné dans ses motifs le protocole d’entente connexe de 1997.

[9]        Bien qu’il soit techniquement vrai que l’autorisation ministérielle de 1991 était la première étape du processus ayant mené au programme de comparaison des données, il n’en demeure pas moins que le protocole d’entente connexe de 1997 constitue une autorisation en soi, qui est distincte de celle donnée en 1991, comme cela ressort de son « introduction », qui indique :

Reconnaissant que l’article 108 de la Loi sur les douanes prévoit la communication de renseignements obtenus par les douanes à toute personne autorisée par le Ministre […]

[…]

En conséquence, Revenu Canada accepte par les présentes de saisir les renseignements provenant des déclarations douanières des voyageurs et de les divulguer à la Commission aux fins de l’administration et de l’application de la Loi concernant l’assurance-emploi. [D.A., vol. 2, aux p. 256 et 257.]

À notre humble avis, pour répondre à la question soulevée, il fallait ne pas tenir compte de l’autorisation ministérielle de 1991 ou l’interpréter simplement comme toile de fond du protocole d’entente de 1997. Le juge des requêtes n’a fait ni l’un ni l’autre. Nous n’exprimons aucune opinion quant à la validité de l’autorisation ministérielle de 1991.

[10]      Le Commissaire à la protection de la vie privée soulève un argument plutôt technique relativement à la validité du protocole d’entente connexe de 1997. Nous doutons que cet argument puisse être invoqué en l’espèce à la lumière de la formulation de la question soulevée, mais, de toute manière, cet argument n’est pas fondé. Selon cet argument, l’alinéa 108(1)b) de la Loi sur les douanes exige qu’une autorisation soit donnée par le ministre et, en l’espèce, le protocole d’entente connexe de 1997 est qualifié d’autorisation de « Revenu Canada » et a été signé par le sous-ministre du Revenu national « au nom du ministère du Revenu national ». Cette dernière question est résolue par l’alinéa 24(2)c) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 89], qui prévoit que : « La mention d’un ministre […] vaut mention […] de son délégué ». Concernant l’usage des mots « Revenu Canada » plutôt que du mot « ministre », le temps n’est heureusement pas encore venu pour la Cour d’accorder de la crédibilité à une interprétation si littérale dans une affaire de cette nature.

[11]      Un autre argument soulevé par le Commissaire à la protection de la vie privée veut que l’alinéa 108(1)b) de la Loi sur les douanes ne soit pas visé par l’alinéa 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels parce qu’il mentionne des « renseignements », et non pas des « renseignements personnels ». Cet argument est également sans fondement. Le paragraphe 108(1) de la Loi sur les douanes mentionne « des renseignements obtenus en vertu de la présente loi », et il n’y a vraiment aucune raison pour laquelle le mot « renseignements » ne devrait pas être interprété selon son sens ordinaire, général et large, plutôt que d’être restreint, comme l’a proposé l’avocat, au sens limité de [traduction] « renseignements commerciaux ». Une loi autorisant la communication de renseignements peut être visée par l’alinéa 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels même si elle ne qualifie pas expressément ces renseignements de « renseignements personnels ».

[12]      Un argument plus sérieux est soulevé par le Commissaire à la protection de la vie privée. Cet argument repose sur les fins pour lesquelles une institution fédérale peut communiquer des renseignements personnels en sa possession. Le commissaire prétend que, lorsqu’il est interprété dans le contexte de la Loi dans son ensemble et de l’article 7 en particulier, l’alinéa 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels exige que les renseignements personnels ne soient communiqués que pour les fins pour lesquelles ils ont été recueillis ou pour un usage compatible à ces fins. Nous n’interprétons pas la Loi de la même manière que le commissaire.

[13]      L’article 4 prévoit que « [l]es seuls renseignements personnels que peut recueillir une institution fédérale sont ceux qui ont un lien direct avec ses programmes ou ses activités ». Cette obligation porte manifestement sur la collecte des renseignements, et non pas sur leur communication.

[14]      Le paragraphe 5(1) oblige une institution fédérale comme la Commission[1] à « recueillir auprès de l’individu lui-même […] les renseignements personnels destinés à des fins administratives le concernant ». Cette exigence n’est toutefois pas absolue. Premièrement, elle est atténuée par les mots « chaque fois que possible ». Dans un régime de déclaration volontaire comme le régime d’assurance-emploi, la Commission doit naturellement pouvoir recueillir des renseignements d’une source extérieure lorsque le prestataire fait défaut de les déclarer volontairement. Deuxièmement, cette exigence est expressément assujettie aux dispositions du paragaphe 8(2), qui s’applique lui-même « sous réserve d’autres lois fédérales » et qui permet à la Commission d’avoir accès à des renseignements personnels recueillis par d’autres institutions fédérales—en l’espèce, Douanes Canada—dans un grand nombre de cas. La vaste gamme d’exceptions permises par le paragraphe 8(2) témoigne incontestablement de l’intention du législateur de permettre la communication de renseignements personnels à des personnes qui n’ont absolument aucun lien avec l’institution qui les communique et pour des fins autres que celles pour lesquelles ces renseignements ont été recueillis.

[15]      L’article 7 prévoit deux usages possibles des renseignements personnels recueillis par une institution fédérale. Le premier usage, prévu par l’alinéa a), est aux fins auxquelles les renseignements ont été recueillis de même que pour les usages compatibles avec ces fins. Le deuxième usage, prévu par l’alinéa b), est aux fins auxquelles ils peuvent être communiqués à l’institution en vertu du paragraphe 8(2). Le premier usage est lié aux fins de la collecte tandis que le deuxième usage ne l’est manifestement pas.

[16]      Le paragraphe 8(2) vise trois types de communication : celle prévue par l’alinéa a), soit aux fins mêmes de la collecte ou pour les usages compatibles avec ces fins; celle expressément prévue par les alinéas b) (« aux fins qui sont conformes ») et m) (« à toute autre fin »); ainsi que celle expressément prévue par les alinéas c), d), e), f), g), h), i), j), k) et l), pour les fins précises qui y sont énoncées, certaines d’entre elles n’étant aucunement liées aux fins pour lesquelles les renseignements ont été recueillis.

[17]      La Loi sur la protection des renseignements personnels vise donc manifestement la collecte de renseignements, laquelle ne peut être faite qu’aux fins liées aux activités de l’institution,« en l’espèce, la collecte directe par Douanes Canada des renseignements se trouvant sur le formulaire E-311 et la collecte indirecte par la Commission, par l’intermédiaire de Douanes Canada, des renseignements contenus dans ce formulaire qui sont pertinents pour les activités de la Commission—et fait une distinction entre cette collecte et la communication de renseignements, laquelle vise dans la plupart des cas des fins autres que celles pour lesquelles ces renseignements ont été recueillis ainsi que des fins liées aux activités de l’institution requérante.

[18]      Dans ce contexte, on ne peut pas faire autrement que d’interpréter l’alinéa 8(2)b) comme étant une disposition permettant au législateur de conférer à tout ministre (par exemple), au moyen d’une loi donnée, un large pouvoir discrétionnaire quant à la forme et au fond relativement à la communication de renseignements que son ministère a recueillis, ce pouvoir discrétionnaire devant naturellement être exercé conformément à l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’alinéa 8(2)b) aurait manifestement pu être formulé différemment et son interprétation aurait été plus facile s’il avait expressément prévu que des accords ou des ententes pouvaient être conclus entre deux institutions fédérales en vue de l’application des lois canadiennes, comme le prévoit l’alinéa f) relativement aux accords ou aux ententes conclus d’une part entre une institution fédérale et, d’autre part, le gouvernement d’une province ou d’un État étranger ou une organisation internationale. Mais on ne peut tout simplement pas conclure, à partir de l’omission du législateur d’être précis à l’alinéa 8(2)b) alors qu’il désirait manifestement s’exprimer en termes généraux, que cet alinéa ne permet pas à une institution fédérale de communiquer à une autre institution fédérale des renseignements personnels qu’en l’absence d’interdiction expresse, elle peut communiquer à des institutions étrangères. En utilisant des termes très larges à l’alinéa 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, par la suite, à l’alinéa 108(1)b) de la Loi sur les douanes, le législateur s’est manifestement laissé une marge de manœuvre considérable relativement à ses propres lois et en a profité.

[19]      Accepter l’interprétation proposée par le Commissaire à la protection de la vie privée reviendrait à vider presque complètement de leur sens les alinéas 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et 108(1)b) de la Loi sur les douanes. Nous ajoutons en passant que le paragraphe 108(1) de la Loi sur les douanes mentionne « pour l’application » de la Loi lorsqu’il vise la collecte et qu’il ne le fait pas lorsqu’il vise la communication.

[20]      En définitive, nous sommes d’avis que l’alinéa 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels a un sens beaucoup plus large que celui proposé par le commissaire et que l’alinéa 108(1)b) de la Loi sur les douanes donne au ministre du Revenu national le pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’entente intervenue avec la Commission d’assurance-emploi.

[21]      En exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 108(1)b) de la Loi sur les douanes, le ministre du Revenu national devait tenir compte des objectifs de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il a estimé que la communication demandée par la Commission l’était pour un usage permis et qu’aucun renseignement autre que ceux dont la Commission avait besoin ne serait communiqué. Dans le protocole d’entente connexe daté du 26 avril 1997, la Commission accepte d’utiliser les renseignements communiqués par Douanes Canada uniquement pour les fins de la Loi sur l’assurance-emploi et de ne pas les communiquer à des tiers. La Commission s’engage également à protéger les renseignements fournis conformément aux modalités prévues par le protocole d’entente de 1995. Notamment, ces modalités exigent un suivi adéquat permettant la vérification des renseignements fournis, limitent le personnel à qui les renseignements peuvent être communiqués, établissent la procédure applicable aux vérifications de sécurité demandées par Douanes Canada et prévoient la destruction éventuelle des renseignements. Vu les faits de la présente affaire, nous sommes convaincus que la façon dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire est inattaquable.

Dispositif

[22]      L’appel est donc accueilli, l’avis du juge des requêtes est annulé et la question soulevée reçoit une réponse affirmative. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.



* N.D.T. : Le titre officiel du protocole d’entente est « Protocole d’entente connexe concernant la saisie de données et la divulgation de renseignements des douanes sur les voyageurs ».

[1]  La Commission d'assurance-emploi du Canada est une « institution fédérale » aux fins de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Voir l'annexe de la Loi, telle qu'elle a été modifiée par la Loi sur le ministère du Développement des ressources humaines, L.C. 1996, ch. 11, art. 80.

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