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[2000] 4 C.F. 225

A-253-99

Sabina Citron, le Comité du maire de Toronto sur les relations entre races et communautés, le procureur général du Canada, la Commission canadienne des droits de la personne, la Canadian Holocaust Remembrance Association, le Simon Wiesenthal Centre, le Congrès juif canadien et la Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith (appelants)

c.

Ernst Zündel et la Canadian Association for Free Expression Inc. (intimés)

Répertorié : Zündel c. Citron (C.A.)

Cour d’appel, juges Isaac, Robertson et Sexton, J.C.A. —Toronto, 4 avril; Ottawa, 18 mai 2000.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Une formation du TCDP avait été désignée en vue d’entendre des plaintes déposées contre l’intimé Zündel à la suite de la publication d’une brochure sur un site Web — La brochure, intitulée « Did Six Million Really Die? » était celle même qui avait entraîné la publication d’un communiqué de presse par la Commission ontarienne des droits de la personne en 1988 — Mme Devins, qui était l’un des membres du TCDP, avait été membre de la Commission, qui avait accueilli favorablement le verdict lorsque Zündel avait été reconnu coupable d’avoir publié de fausses déclarations niant l’existence de l’holocauste — Zündel a sollicité le rejet des plaintes en alléguant qu’il existait des craintes raisonnables de partialité à l’égard de Mme Devins — Le TCDP a rejeté la requête — Le juge des requêtes a conclu à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité — Le communiqué de presse ne traitait pas de la même question que la plainte dont le TCDP avait été saisi — Un certain nombre d’erreurs ont été commises par le juge des requêtes — La doctrine de la « partialité collective » a été rejetée — Le juge des requêtes a en outre commis une erreur en statuant que, s’il existait une crainte raisonnable de partialité, le TCDP pouvait poursuivre l’audience.

Droits de la personne — Zündel a été reconnu coupable d’avoir volontairement publié une brochure qui était de nature à causer une atteinte ou du tort à l’intérêt public, en violation de l’art. 177 du Code criminel — La déclaration de culpabilité a été infirmée par la C.S.C. pour le motif que l’art. 177 du Code violait la Charte — Le TCDP a enquêté sur des plaintes selon lesquelles le site Web exploité par Zündel était susceptible d’exposer des gens à la haine ou au mépris en violation de l’art. 13(1) de la LCDP — L’un des membres du TCDP avait été membre de la Commission ontarienne des droits de la personne qui avait publié le communiqué de presse dans lequel elle accueillait favorablement la déclaration de culpabilité prononcée contre Zündel — Il s’agit de savoir si cela donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité — Le communiqué de presse ne traitait pas de la même question que la plainte dont le TCDP avait été saisi — Il se rapportait à une accusation fondée sur l’art. 177 du Code criminel, à laquelle un moyen de défense fondé sur la véracité pouvait être opposé — L’art. 13 de la LCDP ne prévoit aucun moyen de défense, même si la déclaration discriminatoire est exacte — La déclaration contestée ne devrait pas être attribuée au membre en question.

Il s’agissait d’un appel d’une décision par laquelle la Section de première instance avait conclu à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à l’égard d’un membre du Tribunal canadien des droits de la personne, qui entendait des plaintes fondées sur le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Au mois de mai 1988, l’intimé Ernst Zündel avait été reconnu coupable d’avoir publié une brochure intitulée : « Did Six Million Really Die? », qu’il savait être fausse et qui causait, ou était de nature à causer, une atteinte ou du tort à quelque intérêt public, en violation de l’article 177 du Code criminel. Deux jours après que le jury eut rendu son verdict, la Commission ontarienne des droits de la personne a publié un communiqué de presse dans lequel elle accueillait favorablement le verdict. La déclaration de culpabilité prononcée au criminel contre Zündel a par la suite été infirmée par la Cour suprême du Canada, qui a statué que l’article 177 du Code criminel violait l’alinéa 2b) de la Charte. En 1997, soit environ quatre ans après que cette décision eut été rendue, des plaintes avaient été déposées devant la Commission canadienne des droits de la personne, selon lesquelles un site Web de l’Internet exploité par Zündel était susceptible d’exposer des personnes à la haine ou au mépris en violation du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Tribunal canadien des droits de la personne désigné en vue d’enquêter sur les plaintes était composé de trois personnes, dont Reva E. Devins, qui était membre de la Commission ontarienne des droits de la personne lorsque cette dernière avait publié le communiqué de presse, en 1988. L’intimé a présenté une requête devant le Tribunal, en vue d’obtenir le rejet des plaintes fondées sur le paragraphe 13(1) en alléguant qu’il existait une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins. Le Tribunal a rejeté la requête de Zündel, notamment pour le motif qu’elle avait été présentée en dehors du délai imparti. Lors du contrôle judiciaire de cette décision, le juge des requêtes a conclu que, au moment où la déclaration avait été faite, les membres de la Commission ontarienne entretenaient un préjugé réel important à l’encontre de Zündel et qu’un observateur relativement bien renseigné craindrait que le « caractère tout à fait déplacé » du communiqué de presse ne donne lieu à une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins. Néanmoins, le juge des requêtes a conclu que, même s’il existait une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins, le seul membre du Tribunal qui restait pouvait continuer à entendre la plainte et la trancher. Deux questions ont été soulevées en appel, à savoir : 1) si la conclusion du juge des requêtes selon laquelle il existait une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins était déraisonnable, si elle était fondée sur des considérations erronées, si elle découlait d’un mauvais principe, ou si elle était due au fait que le juge n’avait pas accordé suffisamment d’importance aux questions pertinentes; 2) si le juge des requêtes avait eu raison de statuer que, s’il existait une crainte raisonnable de partialité, le Tribunal pouvait poursuivre l’audience.

Arrêt : l’appel doit être accueilli et l’affaire renvoyée pour que l’audience se poursuive.

1) Le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ». Il comporte un double élément objectif : la personne examinant l’allégation de partialité doit être raisonnable, et la crainte de partialité doit elle-même être raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire. Une distinction est faite, dans le communiqué de presse, entre les déclarations imputables à la Commission ontarienne des droits de la personne et celles imputables à son président. Le communiqué de presse a été publié en réponse à une accusation criminelle qui prévoyait un moyen de défense fondé sur la véracité et prévu à l’article 177 du Code criminel. Les déclarations imputées à la Commission visaient simplement à critiquer Zündel pour avoir nié l’existence de l’holocauste. La véracité de la déclaration fournirait donc un moyen de défense complet. D’autre part, la plainte dont le Tribunal canadien des droits de la personne était saisi portait essentiellement que certaines gens étaient exposés à la haine et au mépris. La véracité de la déclaration ne fournirait aucun moyen de défense. Par conséquent, la question à laquelle faisait face le jury en 1988 était différente de celle à laquelle faisait face le Tribunal. La déclaration figurant dans le communiqué de presse qui pourrait être pertinente, aux fins de la plainte fondée sur le paragraphe 13(1), a été attribuée au président de la Commission plutôt qu’à la Commission dans son ensemble. Un observateur raisonnable relativement bien renseigné ne conclurait pas que cette déclaration devrait être imputée à Mme Devins.

Le juge des requêtes a commis six autres erreurs. Premièrement, il a omis de tenir compte du principe selon lequel, en l’absence d’une preuve contraire, les membres d’un tribunal agissent d’une façon équitable et impartiale. Il existe une présomption selon laquelle le décideur agit de façon impartiale. Deuxièmement, il a omis d’examiner si le communiqué de presse démontrait l’existence d’une disposition objectivement justifiable. Troisièmement, il a omis d’établir un lien entre Mme Devins et le communiqué de presse. Il a confondu dans ses motifs le temps écoulé et l’existence de liens entre Mme Devins et le communiqué de presse. Rien ne montrait que Mme Devins ait été au courant de l’existence du communiqué de presse, et encore moins qu’elle ait consenti à sa publication, ce qui aurait pu démontrer qu’elle était réellement partiale au moment où le communiqué de presse avait été publié. Quatrièmement, le juge des requêtes a omis d’accorder l’importance appropriée au temps qui s’était écoulé entre la date de la publication du communiqué de presse et la date à laquelle on avait demandé à Mme Devins d’entendre les plaintes fondées sur le paragraphe 13(1). Le fait que neuf ans s’étaient écoulés entre ces deux dates était suffisant pour éliminer toute apparence de partialité à laquelle le communiqué de presse aurait pu donner lieu. Cinquièmement, le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que la Commission ontarienne des droits de la personne était uniquement un organisme décisionnel et qu’elle n’avait aucun motif légitime de publier le communiqué de presse. Le communiqué de presse n’était pas « tout à fait inapproprié »; il était plutôt conforme à l’obligation qui est imposée par la loi à la Commission de « favoriser la reconnaissance de la dignité et de la valeur de la personne ». Enfin, le juge des requêtes a commis une erreur en concluant à l’existence d’une doctrine de la « partialité collective », qui aurait pour effet de rendre partiaux tous les membres d’un organisme décisionnel dans certaines circonstances. On ne peut pas inférer que chacun des membres de la Commission ontarienne des droits de la personne a autorisé le communiqué de presse dans son ensemble.

2) Le juge des requêtes a également commis une erreur en concluant que, lorsque la crainte raisonnable de partialité est établie, les autres membres du Tribunal peuvent poursuivre l’audience et se prononcer sur la plainte. Au moment où la partialité a été alléguée, la formation dont Mme Devins était membre avait siégé pendant environ 40 jours et avait rendu environ 53 décisions. Lorsqu’un membre d’un tribunal administratif fait l’objet d’une crainte raisonnable de partialité et qu’un certain nombre d’ordonnances interlocutoires importantes ont été rendues au cours d’une longue audience, l’instance engagée devant le Tribunal devrait être annulée en entier.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 181.

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 177.

Code des droits de la personne, S.O. 1981, ch. 53, art. 28.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 13(1).

Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15.

Public Utilities Act (The), R.S.N. 1970, ch. 322, art. 5, 14, 15, 79, 85.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484; (1997), 161 N.S.R. (2d) 241; 151 D.L.R. (4th) 193; 1 Admin. L.R. (3d) 74; 118 C.C.C. (3d) 353; 10 C.R. (5th) 1; 218 N.R. 1; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; (1990), 75 D.L.R. (4th) 577; 13 C.H.R.R. D/435; 3 C.R.R. (2d) 116; Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2 C.F. 527 (1997), 146 D.L.R. (4th) 708; 47 Admin. L.R. (2d) 244; 212 N.R. 357 (C.A.); E.A. Manning Ltd. v. Ontario Securities Commission (1995), 23 O.R. (3d) 257; 125 D.L.R. (4th) 305; 32 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.C.L.S. 125; 80 O.A.C. 321 (C.A.); autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée,, [1995] 3 R.C.S. vi; Finch v. Assn. of Professional Engineers & Geoscientists (British Columbia), [1996] 5 W.W.R. 690; (1996), 38 Admin. L.R. (2d) 116; 73 B.C.A.C. 295; 18 B.C.L.R. (3d) 361 (C.A.C.-B.); Bennett v. British Columbia (Securities Commission) (1992), 94 D.L.R. (4th) 339; [1992] 5 W.W.R. 481; 18 B.C.A.C. 191; 69 B.C.L.R. (2d) 171; 31 W.A.C. 191; Laws v. Australian Broadcasting Tribunal (1990), 93 A.L.R. 435 (H.C.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Dulmage v. Ontario (Police Complaints Commissioner) (1994), 21 O.R. (3d) 356; 120 D.L.R. (4th) 590; 30 Admin. L.R. (2d) 203; 75 O.A.C. 305 (Cour div.); Pinochet Ugarte, Re, [1998] H.L.J. No. 52 (QL); Pinochet Ugarte, Re, [1998] H.L.J. No. 41 (QL); Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld. & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241.

DÉCISION EXAMINÉE :

R. c. Zündel, [1992] 2 R.C.S. 731; (1992), 95 D.L.R. (4th) 202; 75 C.C.C. (3d) 449; 16 C.R. (4th) 1; 140 N.R. 1; 56 O.A.C. 161.

APPEL d’une décision ([1999] 3 C.F. 409 (1999), 165 F.T.R. 113) par laquelle la Section de première instance avait conclu à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part d’un membre du Tribunal canadien des droits de la personne qui entendait des plaintes fondées sur le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Jane S. Bailey pour Sabina Citron et la Canadian Holocaust Remembrance Association, appelantes.

Andrew A. Weretelnyk pour le Comité du maire de Toronto sur les relations entre races et communautés, appelant.

Richard A. Kramer pour le procureur général du Canada, appelant.

René Duval pour la Commission canadienne des droits de la personne, appelante.

Robyn M. Bell pour le Simon Wiesenthal Centre, appelant.

Joel Richler et Judy Chan pour le Congrès juif canadien, appelant.

Marvin Kurz pour la Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith, appelante.

Douglas H. Christie et Barbara Kulaszka pour Ernst Zündel, intimé.

Gregory Rhone pour la Canadian Association for Free Expression Inc., intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys, Toronto, pour Sabina Citron et la Canadian Holocaust Remembrance Association, appelantes.

Le Contentieux de la ville de Toronto, Toronto, pour le Comité du maire de Toronto sur les relations entre races et communautés, appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada, appelant.

La Commission canadienne des droits de la personne, pour la Commission canadienne des droits de la personne, appelante.

Bennett Jones, Toronto, pour le Simon Wiesenthal Centre, appelant.

Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour le Congrès juif canadien, appelant.

Dale, Streiman & Kurz, Brampton (Ontario), pour la Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith, appelante.

Douglas H. Christie, Victoria, et Barbara Kulaszka, Brighton (Ontario), pour Ernst Zündel, intimé.

Gregory Rhone, Etobicoke (Ontario), pour la Canadian Association for Free Expression Inc., intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Sexton, J.C.A. :

INTRODUCTION

[1]        Mme Devins est membre du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), qui entend une plainte déposée contre Ernst Zündel. Il s’agit de savoir dans le présent appel s’il existe une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins, découlant d’un communiqué de presse datant maintenant d’il y a douze ans qui a été publié par la Commission ontarienne des droits de la personne (la Commission ou la Commission ontarienne des droits de la personne) lorsque Mme Devins était membre de cette commission, et dans lequel entre autres choses la Commission se disait très heureuse d’une décision judiciaire concluant que M. Zündel était coupable d’avoir publié de fausses déclarations niant que l’holocauste avait eu lieu.

LES FAITS

[2]        Le 11 mai 1988, un jury a conclu que M. Zündel était coupable d’avoir volontairement publié une brochure intitulée : « Did Six Million Really Die? », qu’il savait être fausse et qu’elle causait, ou était de nature à causer, une atteinte ou du tort à quelque intérêt public, en violation de l’article 177 du Code criminel[1].

[3]        Deux jours après que le jury eut rendu son verdict, la Commission ontarienne des droits de la personne a publié le communiqué de presse suivant :

[traduction]

HEURE/DATE :     10 h 32, heure de l’est, 13 mai 1988

SOURCE :            Commission ontarienne des droits de la personne

TITRE :                 ***LA COMMISSION ONTARIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ACCUEILLE FAVORABLEMENT LE RÉCENT JUGEMENT RENDU DANS L’AFFAIRE ZÜNDEL***

LIEU :                    TORONTO

La Commission ontarienne des droits de la personne accueille favorablement le récent jugement dans lequel Ernst Zündel a été reconnu coupable de l’accusation d’avoir publié de fausses déclarations visant à nier l’holocauste.

« Cette décision a pour effet d’enterrer, une fois pour toutes, l’argument qui reprend vie à l’occasion et selon lequel l’holocauste n’est pas survenu et constitue en fait un canular », a dit le président de la Commission, Raj Anand. « Nous sommes très heureux de la décision du jury, puisqu’elle exige à toutes fins utiles que des sanctions soient prises contre un homme qui a cherché à nier la vérité en ce qui a trait aux souffrances infligées au peuple juif uniquement du fait de sa religion et de son origine ethnique. »

M. Anand a ajouté que la décision a une grande importance dans la mesure où elle a pour effet de confirmer non seulement le droit des Juifs, mais aussi celui des autres groupes religieux et ethnoculturels de ne pas être exposés à la dissémination de renseignements erronés qui constituent une calomnie à leur endroit.

[4]        La déclaration de culpabilité prononcée au criminel contre M. Zündel a en fin de compte été infirmée par la Cour suprême du Canada [[1992] 2 R.C.S. 731], qui a statué que l’article 177 du Code criminel[2] violait la liberté d’expression garantie à l’alinéa 2b) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et que cette violation n’était pas sauvegardée par l’article premier de la Charte[3].

[5]        Environ quatre ans après que la Cour suprême eut annulé la déclaration de culpabilité prononcée contre M. Zündel, deux plaignants ont déposé des plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne. Les plaignants déclaraient croire qu’un site Web de l’Internet exploité par M. Zündel était [traduction] « susceptible d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3 », en violation du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne[4]. Une formation du Tribunal canadien des droits de la personne a été désignée en vue d’enquêter sur les plaintes. Reva E. Devins était l’une des trois personnes qui devaient se prononcer sur la plainte.

[6]        À l’enquête, qui a commencé le 26 mai 1997, la Commission canadienne des droits de la personne s’est fortement fondée sur la brochure intitulée : « Did Six Million Really Die? », qui avait été publiée sur le site Web de M. Zündel. Cette brochure était celle même qui avait donné lieu aux accusations qui avaient antérieurement été portées au criminel et au communiqué de presse publié par la Commission ontarienne des droits de la personne.

[7]        Une quarantaine de jours après le début de l’audience, M. Zündel a demandé au Tribunal de lui télécopier les biographies de ses trois membres. Environ une semaine après que les biographies lui eurent été télécopiées, l’avocat de M. Zündel a trouvé le communiqué de presse pendant qu’il effectuait des recherches dans les bases de données de Quicklaw. Le jour même, il a présenté une requête devant le Tribunal, en vue de solliciter le rejet des plaintes fondées sur le paragraphe 13(1) en alléguant qu’il existait des craintes raisonnables de partialité à l’égard de Mme Devins.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[8]        Le Tribunal a rejeté la requête de M. Zündel. Il a conclu que le communiqué de presse avait été publié par le président, à l’époque, de la Commission ontarienne des droits de la personne plutôt que par la Commission ou par Mme Devins elle-même. Le Tribunal a ajouté que l’on pouvait soutenir que les déclarations relevaient du mandat conféré par la loi au président. Le Tribunal a statué que, compte tenu de ces facteurs, il était difficile de comprendre comment l’on pouvait dire que le communiqué de presse créait une crainte raisonnable de partialité de la part du président, ou que Mme Devins puisse être accusée de partialité. Quoi qu’il en soit, le Tribunal a statué que, même si l’argument de M. Zündel était fondé, il n’était [traduction] « absolument pas approprié à ce stade tardif d’avancer cet argument »[5]. Le Tribunal a conclu qu’étant donné que la déclaration avait été faite bien avant que l’audience commence, M. Zündel aurait pu alléguer la partialité au début de l’instance. Ce faisant, le Tribunal a donné à entendre que M. Zündel avait renoncé au droit qu’il avait d’alléguer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. M. Zündel a sollicité le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal devant la Section de première instance de la Cour fédérale.

LA DÉCISION DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

[9]        Dans sa décision, le juge des requêtes a statué que le communiqué de presse était une « déclaration politique gratuite»[6] par laquelle on formulait « une déclaration accablante spécifique »[7] à l’encontre de M. Zündel, et qu’il était « tout à fait inapproprié […] de la part du président de la Commission ontarienne »[8] de faire pareille déclaration. Le juge a statué que « [c]ette condamnation publique ne repose sur aucun objectif légitime d’un organisme investi de responsabilités décisionnelles »[9].

[10]      Le juge des requêtes a conclu qu’en déclarant dans le communiqué de presse que [traduction] « la Commission ontarienne des droits de la personne accueill[ait] favorablement le récent jugement [de la Cour] »[10] et en disant : [traduction] « [N]ous sommes très heureux de la décision du jury »[11], le président entendait parler pour le compte de tous les membres de la Commission, y compris Mme Devins. Le juge des requêtes a ajouté qu’il serait « raisonnable de conclure qu’à la date à laquelle la déclaration a été faite, les membres de la Commission ontarienne entretenaient un préjugé réel important »[12] à l’encontre de M. Zündel. Néanmoins, le juge a conclu qu’au moment où le Tribunal canadien des droits de la personne s’était réuni pour examiner la plainte fondée sur le paragraphe 13(1), « la preuve ne permet[tait] pas de conclure à l’existence d’un préjugé réel »[13] de la part de Mme Devins.

[11]      Le juge des requêtes a conclu que même si la déclaration avait été publiée une dizaine d’années avant que Mme Devins ait eu à examiner la plainte déposée contre M. Zündel en vertu du paragraphe 13(1), un observateur relativement bien renseigné craindrait que le « caractère tout à fait déplacé»[14] du communiqué de presse ne donne lieu à une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins.

[12]      Le juge des requêtes a rejeté la décision du Tribunal selon laquelle M. Zündel avait renoncé à son droit de formuler une plainte de partialité du fait qu’il n’avait pas déposé pareille plainte au début de l’instance. Il a accepté le témoignage de M. Zündel, qui déclarait n’avoir été mis au courant du communiqué de presse que peu de temps avant que l’allégation de partialité eût été faite.

[13]      Même s’il a conclu à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins, le juge des requêtes a refusé d’interdire à l’autre membre du Tribunal de continuer à entendre la plainte et de se prononcer sur elle. Il a statué qu’étant donné que la Loi canadienne sur les droits de la personne autorise un membre du Tribunal à continuer à entendre une plainte dont l’audition a déjà débuté lorsque les autres membres sont incapables de continuer[15], le seul membre de la formation qui restait pouvait continuer à entendre la plainte et la trancher.

[14]      Mme Citron et les autres appelants interjettent maintenant appel contre la conclusion du juge des requêtes selon laquelle il existait une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins. Ils n’ont pas interjeté appel contre la conclusion selon laquelle M. Zündel n’avait pas renoncé au droit qu’il avait d’alléguer la partialité du fait qu’il avait omis de soulever la question au début de l’instance engagée devant le Tribunal. M. Zündel a formé un appel incident sur un point de la décision du juge des requêtes; il a soutenu que le juge aurait dû annuler au complet les procédures engagées devant le Tribunal.

LES POINTS LITIGIEUX

1. La conclusion du juge des requêtes selon laquelle il existait une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins était-elle déraisonnable, était-elle fondée sur des considérations erronées, était-elle tirée à partir d’un mauvais principe, ou parce que le juge n’avait pas accordé suffisamment d’importance aux questions pertinentes?

2. Le juge des requêtes a-t-il eu raison de statuer que, s’il existait une crainte raisonnable de partialité, le Tribunal pouvait poursuivre l’audience?

ANALYSE

1.         LE CRITÈRE RELATIF À LA CRAINTE RAISONNABLE DE PARTIALITÉ

[15]      Dans l’arrêt R. c. S. (R.D.)[16], le juge Cory a énoncé comme suit la façon dont le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité devait s’appliquer :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique… »[17]

[16]      Le juge a conclu que le critère comportait un élément objectif double : « la personne examinant l’allégation de partialité doit être raisonnable, et la crainte de partialité doit elle-même être raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire »[18].

Le communiqué de presse porte-t-il sur la même question que la plainte dont le Tribunal canadien des droits de la personne était saisi?

[17]      En appel, M. Zündel soutient qu’un observateur raisonnable conclurait que le communiqué de presse, qui impute directement certaines déclarations à la Commission ontarienne des droits de la personne plutôt qu’au président de cette commission seulement, donnerait lieu à une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins (qui était membre de la Commission ontarienne des droits de la personne lorsque le communiqué de presse a été publié). M. Zündel soutient que les accusations criminelles sur lesquelles le communiqué de presse était fondé se rapportaient directement à la publication « Did Six Million Really Die? », soit la brochure même qu’il avait reproduite sur son site Web et qui a donné lieu à la plainte fondée sur le paragraphe 13(1) dont Mme Devins et les deux autres membres du Tribunal ont été saisis.

[18]      À mon avis, une distinction est faite, dans le communiqué de presse, entre les déclarations imputables à la Commission ontarienne des droits de la personne et les déclarations imputables au président de cette commission, M. Anand. Les seules déclarations figurant dans le communiqué de presse qui sont directement imputées à la Commission ontarienne des droits de la personne sont ci-après énoncées :

[traduction]

(i)   « La Commission ontarienne des droits de la personne accueille favorablement le récent jugement dans lequel Ernst Zündel a été reconnu coupable de l’accusation d’avoir publié de fausses déclarations visant à nier l’holocauste »;

(ii)  « Nous sommes très heureux de la décision du jury, puisqu’elle exige à toutes fins utiles que des sanctions soient prises contre un homme qui a cherché à nier la vérité en ce qui a trait aux souffrances infligées au peuple juif uniquement du fait de sa religion et de son origine ethnique. »

[19]      L’accusation criminelle dont la Commission ontarienne des droits de la personne parlait dans le communiqué de presse était définie à l’article 177 du Code criminel, qui est par la suite devenu l’article 181. Cette disposition est ainsi libellée :

181. Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans quiconque, volontairement, publie une déclaration, une histoire ou une nouvelle qu’il sait fausse et qui cause, ou est de nature à causer, une atteinte ou du tort à quelque intérêt public.

[20]      Par contre, le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit ce qui suit :

13. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord, d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.

[21]      Dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor[19], le juge en chef Dickson a affirmé que « le par. 13(1) [de la Loi canadienne sur les droits de la personne] ne prévoit aucun moyen de défense à l’égard de l’acte discriminatoire visé et, surtout, il ne renferme pas d’exception pour les déclarations véridiques »[20]. Il conclut que « la Charte n’exige pas une exception pour les déclarations vraies dans le contexte du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne »[21].

[22]      Le communiqué de presse a été publié en réponse à une accusation criminelle qui prévoyait un moyen de défense fondé sur la véracité (« qu’il sait fausse »)[22]. Les déclarations imputées à la Commission ontarienne des droits de la personne visent simplement à critiquer M. Zündel pour avoir nié l’existence de l’holocauste. Par contre, dans une plainte fondée sur le paragraphe 13(1), l’exactitude ou l’inexactitude des déclarations n’a rien à voir avec la question de savoir si la plainte est fondée. Par conséquent, la question à laquelle faisait face le jury en 1988 est différente de celle à laquelle faisait face le Tribunal canadien des droits de la personne.

[23]      Bref, l’infraction prévue à l’article 177 du Code criminel était essentiellement que la déclaration était fausse et qu’elle causait, ou était de nature à causer, une atteinte ou du tort à quelque intérêt public. La véracité de la déclaration fournirait donc un moyen de défense complet. D’autre part, la plainte dont le Tribunal canadien des droits de la personne était saisi était fondamentalement que certaines gens étaient exposés à la haine ou au mépris. La véracité de la déclaration ne fournirait aucun moyen de défense.

[24]      La seule déclaration figurant dans le communiqué de presse qui pourrait se rapporter à la plainte fondée sur le paragraphe 13(1) est ci-après énoncée :

[traduction]

M. Anand a ajouté que la décision a une grande importance dans la mesure où elle a pour effet de confirmer non seulement le droit des Juifs, mais aussi celui des autres groupes religieux et ethnoculturels de ne pas être exposés à la dissémination de renseignements erronés qui constituent une calomnie à leur endroit. [Non souligné dans l’original.]

[25]      Il serait possible de soutenir que, selon la déclaration précitée, les renseignements disséminés par M. Zündel ont pour effet d’exposer les Juifs à la haine, ce qui constitue l’essence de la plainte fondée sur le paragraphe 13(1). Toutefois, à mon avis, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait qu’une distinction est faite dans le communiqué de presse entre les déclarations de la Commission ontarienne des droits de la personne (à savoir, « la Commission ontarienne des droits de la personne accueille favorablement […] » ou « nous sommes très heureux ») et les déclarations du président de la Commission, Raj Anand. La déclaration précitée est attribuée à M. Anand plutôt qu’à la Commission dans son ensemble. Je ne crois donc pas qu’un observateur relativement bien renseigné puisse conclure que la déclaration susmentionnée devrait être imputée à Mme Devins.

[26]      L’avocat de M. Zündel s’est fortement appuyé sur le jugement rendu par la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Dulmage v. Ontario (Police Complaints Commissioner)[23] en vue de démontrer que les déclarations d’un membre d’une organisation peuvent être utilisées pour démontrer qu’un autre membre de l’organisation fait naître une crainte raisonnable de partialité.

[27]      Dans la décision Dulmage, la présidente de la section de Mississauga du Congrès des femmes noires du Canada avait été nommée membre d’une commission d’enquête conformément à la Loi sur les services policiers[24] de l’Ontario. La commission avait été constituée afin d’enquêter sur la plainte selon laquelle une fouille à nu avait eu lieu en public, en violation des modalités prévues par les règlements de la Police de la communauté urbaine de Toronto. Environ un an avant que la présidente de la section de Mississauga du Congrès des femmes noires du Canada ait été nommée membre de la commission, la vice-présidente de la section de Toronto de cette organisation avait apparemment déclaré en public que l’incident en question n’était pas un [traduction] « cas isolé » et qu’il révélait [traduction] « l’humiliation et l’abus sexuel auxquels sont assujetties les femmes noires »[25]. Dans une autre déclaration, la vice-présidente avait recommandé [traduction] « la tenue d’une enquête par la GRC »[26] et avait demandé avec instance au chef de la Police de la communauté urbaine de Toronto de l’époque de se désister de ses fonctions, en affirmant que [traduction] « le chef McCormack a[vait] clairement démontré qu’il était incapable de diriger efficacement les services de police »[27].

[28]      Dans sa décision, la Cour divisionnaire a conclu à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la présidente qui avait été nommée membre de la commission d’enquête. Le juge O’Brien a déclaré :

[traduction] […] les déclarations incendiaires portant sur l’incident même en cause dans l’enquête ont été faites par une dirigeante du Congrès des femmes noires du Canada. Ces déclarations ont été faites à Toronto, tout près de la ville de Mississauga. Elles se rapportent à un incident qui a fortement attiré l’attention du public. Dans ces déclarations, on qualifiait l’incident d’« outrageant » et l’on demandait la suspension des agents en cause. Ces agents étaient les agents mêmes qui sont en cause dans la présente audience.

Mme Douglas était présidente de la section de Mississauga de ladite organisation[28].

[29]      De même, dans les motifs qu’il a prononcés en dissidence (quoique sur un point différent), le juge Moldaver a déclaré que [traduction] « les remarques elles-mêmes se rapportaient, du moins en partie, à la question cruciale que la commission devait trancher »[29].

[30]      À mon avis, la décision Dulmage peut faire l’objet d’une distinction parce que les déclarations qui étaient en cause portaient sur la question même dont la commission d’enquête était saisie, alors que les déclarations que la Commission ontarienne des droits de la personne a faites portaient sur une question qui n’a rien à voir avec la question dont le Tribunal a été saisi en vertu du paragraphe 13(1) et sur laquelle Mme Devins devait se prononcer.

[31]      Je crois qu’il est possible de faire une distinction, sur une base similaire, à l’égard de la décision rendue par la Chambre des lords dans Pinochet, Ugarte, Re[30]. Dans cet appel, la Chambre des lords a annulé l’ordonnance qu’elle avait rendue dans l’affaire Pinochet, Ugarte, Re[31] parce que l’un des membres qui avait entendu l’appel, lord Hoffman, était lié à une intervenante (Amnistie Internationale), qui avait présenté des plaidoiries lors de l’appel.

[32]      Lorsque lord Hoffman a entendu l’appel contesté dans l’instance Pinochet, il avait déjà été directeur et président d’Amnesty International Charity Limited. Cette société était responsable d’activités de bienfaisance pour Amnistie Internationale, soit l’entité qui était intervenue dans l’affaire Pinochet.

[33]      Dans Pinochet, lord Browne-Wilkinson a dit que le genre de partialité en cause se rapportait au cas [traduction] « où le juge est rendu inhabile parce qu’il est juge dans sa propre cause »[32]. Il a ensuite déclaré que [traduction] « pour garantir le maintien de l’impartialité absolue de l’appareil judiciaire, il doit y avoir une règle en vertu de laquelle on rend automatiquement inhabile le juge qui participe, personnellement ou en sa qualité d’administrateur d’une société, à l’avancement des mêmes causes au sein de la même organisation que celle qui est partie au litige »[33]. Lord Browne-Wilkinson a souligné que [traduction] « [l]es faits de l’affaire [étaient] exceptionnels »[34], affirmant que [traduction] « les éléments cruciaux [étaient] (1) qu’[Amnistie Internationale] était partie à l’appel; […] (3) que le juge était administrateur d’une oeuvre de bienfaisance étroitement liée à [Amnistie Internationale] qui partageait, à cet égard, les objectifs d’[Amnistie Internationale] »[35]. Il a conclu que ce n’est que [traduction] « dans les cas où un juge exerce activement des fonctions à titre de fiduciaire ou d’administrateur d’une œuvre de bienfaisance qui est étroitement liée à une partie au litige et qui agit avec pareille partie que le juge devrait normalement songer à se récuser ou à communiquer la situation aux parties »[36].

[34]      Par conséquent, Pinochet n’est pas analogue au présent appel. Il pourrait en être ainsi si la Commission ontarienne des droits de la personne était partie à l’instance engagée devant le Tribunal, mais puisqu’elle n’y est pas partie, je ne crois pas que Pinochet démontre qu’il existe une crainte raisonnable de partialité à l’égard de Mme Devins.

AUTRES ERREURS COMMISES PAR LE JUGE DES REQUÊTES

[35]      J’examinerai maintenant les autres erreurs que le juge des requêtes aurait commises. À mon avis, le juge a commis les erreurs suivantes, que j’examinerai ci-dessous plus à fond l’une après l’autre :

1. Il a omis d’aborder la question de la présomption d’impartialité;

2. Il a omis de déterminer si le communiqué de presse démontrait une disposition objectivement justifiable;

3. Il a omis d’établir le lien approprié entre Mme Devins et le communiqué de presse;

4. Il a omis d’accorder l’importance appropriée au temps qui s’était écoulé;

5. Il a commis une erreur en concluant que la Commission ontarienne des droits de la personne était un organisme décisionnel et qu’elle n’avait aucun motif légitime de publier le communiqué de presse;

6. Il a commis une erreur en concluant à l’existence d’une doctrine de la « partialité collective ».

Présomption d’impartialité

[36]      À mon avis, le juge des requêtes a commis une erreur en omettant de tenir compte du principe selon lequel, en l’absence d’une preuve contraire, les membres d’un tribunal agissent d’une façon équitable et impartiale. Dans l’arrêt R. c. S. (R.D.), le juge Cory a déclaré que « [l]a personne raisonnable doit de plus être une personne bien renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris [traduction] “des traditions historiques d’intégrité et d’impartialité, et consciente aussi du fait que l’impartialité est l’une des obligations que les juges ont fait le serment de respecter” »[37]. Il a ajouté qu’« [il faut faire preuve de rigueur] pour conclure à la partialité, réelle ou apparente »[38] et qu’« il faut établir une réelle probabilité de partialité car un simple soupçon est insuffisant »[39]. Le juge Cory a en outre affirmé que « [l]a charge d’établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l’existence »[40].

[37]      Dans l’arrêt Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie)[41], la Cour a statué qu’il existe une présomption selon laquelle le décideur agit de façon impartiale[42]. De même, dans l’arrêt E.A. Manning Ltd. v. Ontario Securities Commission[43], la Cour d’appel de l’Ontario a statué, dans le contexte d’une allégation de partialité qui était faite contre une commission des valeurs mobilières, qu’[traduction] « il faut présumer, en l’absence d’une preuve contraire, que les commissaires agissent d’une façon équitable et impartiale en s’acquittant de leurs responsabilités décisionnelles et qu’ils examinent les faits et circonstances propres à chaque affaire »[44]. Et dans l’arrêt Finch v. Assn. of Professional Engineers & Geoscientists (British Columbia)[45], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué qu’il faut supposer, [traduction] « à moins que le contraire ne soit démontré et tant que le contraire n’est pas démontré, que chaque membre de ce comité exerce ses fonctions d’une façon impartiale et qu’il tient uniquement compte de la preuve relative aux accusations dont la formation est saisie »[46].

Omission de déterminer si le communiqué de presse démontrait l’existence d’une disposition objectivement justifiable

[38]      Dans l’arrêt R. c. S. (R.D.), le juge Cory a donné une définition utile du mot « partialité ». Il a statué que « la partialité dénote un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions »[47]. Il a ajouté que « ce ne sont pas toutes les dispositions favorables ou défavorables qui justifieront qu’on parle de partialité ou de préjugé »[48]. Il a affirmé que lorsque des dispositions particulières défavorables sont « objectivement justifiables »[49], ces dispositions ne constituent pas une partialité inadmissible. Il a mentionné « ceux qui condamnent Hitler »[50] comme exemples de cas dans lesquels une disposition est objectivement justifiable, de sorte que les commentaires faits ne donnent pas lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part de leur auteur.

[39]      Dans le jugement par lequel la Cour suprême a annulé la déclaration de culpabilité prononcée au criminel contre M. Zündel par suite de la publication de la brochure intitulée « Did Six Million People Really Die? », le juge McLachlin (maintenant juge en chef) a qualifié les croyances de M. Zündel de croyances « reconnues offensantes »[51], alors que les juges Cory et Iacobucci ont dit que la brochure faisait partie du « genre de littérature antisémite »[52] qui « contient de nombreuses allégations de fait qui sont fausses »[53]. Compte tenu de ces remarques, comment ne serait-il pas objectivement justifiable pour la Commission ontarienne des droits de la personne et pour son président d’avoir fait dans leur communiqué de presse des commentaires similaires au sujet de cette brochure?

Omission d’établir un lien entre Mme Devins et le communiqué de presse

[40]      Le juge des requêtes a affirmé qu’il serait raisonnable de conclure qu’à la date à laquelle le communiqué de presse a été publié, le président de la Commission ontarienne des droits de la personne et les membres de la Commission entretenaient un préjugé réel important (et qu’il ne s’agissait pas simplement d’une crainte raisonnable de partialité) contre M. Zündel.

[41]      Le juge des requêtes a ensuite affirmé que « le temps écoulé ne change rien au fait qu’il est raisonnable d’imputer un préjugé réel important à Mme Devins »[54]. Toutefois, il ressort de ses motifs que le juge des requêtes a tenu compte du fait que Mme Devins niait maintenant toute partialité pour conclure qu’au moment où le Tribunal avait été constitué pour examiner la plainte qui avait été déposée en vertu du paragraphe 13(1), « la preuve ne permet[tait] pas de conclure à l’existence d’un préjugé réel de sa part à l’endroit du demandeur »[55].

[42]      À mon avis, le juge des requêtes confond dans ses motifs le temps écoulé et l’existence de liens réels entre Mme Devins et le communiqué de presse. Rien ne montrait que Mme Devins ait été au courant de l’existence du communiqué de presse, et encore moins qu’elle ait consenti ou participé à sa publication, ce qui aurait pu démontrer qu’elle était réellement partiale au moment où le communiqué de presse avait été publié. De même, rien, dans la conduite de Mme Devins, ne pouvait donner lieu par la suite à une crainte raisonnable de partialité.

Omission d’accorder l’importance appropriée au temps qui s’était écoulé

[43]      Dans l’affaire qui fait maintenant l’objet d’un appel, le juge des requêtes n’a guère attribué d’importance au temps qui s’était écoulé entre la date de la publication du communiqué de presse et la date à laquelle Mme Devins avait été chargée d’examiner la plainte qui avait été déposée contre M. Zündel. Il a affirmé que « le temps écoulé ne change rien au fait qu’il est raisonnable d’imputer un préjugé réel important à Mme Devins »[56].

[44]      Je crois que, ce faisant, le juge des requêtes a omis d’accorder l’importance appropriée au temps qui s’était écoulé entre la date de la publication du communiqué de presse et la date à laquelle on avait demandé à Mme Devins d’entendre la plainte fondée sur le paragraphe 13(1). Dans la décision Dulmage susmentionnée, le juge Moldaver a conclu que le membre de la commission qui était en cause faisait l’objet d’une crainte raisonnable de partialité en partie parce que la conférence de presse au cours de laquelle les commentaires avaient été faits avait eu lieu un an seulement avant que la commission tienne audience, soit un délai qu’il ne considérait pas comme [traduction] « suffisant pour éliminer l’apparence de partialité créée par ces remarques »[57].

[45]      Dans le présent appel, le Tribunal en cause a été constitué environ neuf ans après la publication du communiqué de presse : il s’était donc écoulé beaucoup plus de temps que dans l’affaire Dulmage; étant donné les autres facteurs dont il est ici tenu compte, je considère que ce délai est suffisant pour éliminer toute apparence de partialité à laquelle le communiqué de presse aurait pu donner lieu.

Erreur commise en ce qui concerne la conclusion à l’existence d’une doctrine de la « partialité collective »

[46]      En concluant que tous les membres de la Commission ontarienne des droits de la personne seraient partiaux en raison du communiqué de presse, le juge des requêtes semblait conclure à l’existence d’une doctrine de la « partialité collective », qui aurait apparemment pour effet de rendre partiaux tous les membres d’un organisme décisionnel dans certaines circonstances. Dans l’arrêt Bennett v. British Columbia (Securities Commission)[58], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté la doctrine de la partialité collective. Elle a statué :

[traduction] Nous aimerions faire une autre remarque; elle se rapporte à la cible visée par une allégation de partialité. La partialité est un état d’esprit particulier à une personne. Une allégation de partialité doit viser une personne particulière qui, à cause des circonstances, ne serait pas capable de faire preuve d’impartialité. Or, dans ce cas-ci, personne n’a été nommément désigné. On affirme plutôt que la conduite du personnel influe sur les membres de la commission qui ont été nommés en vertu de l’art. 4 de la Securities Act, quels qu’ils soient, à un point tel qu’aucun d’entre eux ne sera en mesure d’être un juge impartial. Les avocats n’ont pas pu nous référer à une seule décision dans laquelle un tribunal composé de membres non nommément désignés avait été rendu inhabile à exercer les fonctions qui lui étaient attribuées par la loi en raison d’un préjugé réel ou appréhendé. À notre avis, cela n’est pas surprenant. Cette thèse est si invraisemblable qu’elle ne mérite pas d’être sérieusement examinée[59].

[47]      De même, dans la décision Laws v. Australian Broadcasting Tribunal[60], la Haute Cour de l’Australie a conclu à l’inexistence de la doctrine de la partialité collective, en l’absence de circonstances permettant d’inférer que tous les membres d’un tribunal administratif avaient autorisé ou approuvé des déclarations ou une conduite donnant lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part de l’un de ses membres. Dans l’affaire Laws, trois membres du Broadcasting Tribunal australien avaient effectué une enquête préliminaire au sujet de M. Laws et avaient conclu qu’il avait violé les normes en matière de radiodiffusion. La directrice de la Division des programmes du Tribunal avait par la suite accordé une entrevue au cours de laquelle elle avait repris les conclusions tirées par les trois membres du Tribunal. M. Laws a sollicité une ordonnance interdisant au Tribunal dans son ensemble de tenir par la suite une audience officielle en vue de déterminer s’il devait exercer ses pouvoirs de réglementation contre M. Laws. La demande de M. Laws était fondée sur le fait que le préjugé manifesté par les trois membres qui avaient mené l’enquête préliminaire et les déclarations de la directrice de la Division des programmes faisaient craindre pour l’impartialité du Tribunal au complet.

[48]      La Haute Cour de l’Australie a rejeté la demande de M. Laws. Elle a statué :

[traduction] Toutefois, même s’il est peut-être exact de considérer l’entrevue comme un acte de la société, il ne s’agissait pas nécessairement d’un acte effectué pour le compte de chacun des membres individuels de la société. Les circonstances ne sont pas telles qu’elles permettent d’inférer que chacun des membres individuels du tribunal avait autorisé l’entrevue ou approuvé son contenu. Tout au plus, il pourrait être inféré, selon le point de vue de l’appelant, que les trois membres du tribunal qui ont rendu la décision du 24 novembre avaient autorisé ou approuvé l’entrevue[61].

[49]      À mon avis, ces décisions démontrent qu’il n’existe pas de doctrine de la partialité collective. Je préfère le raisonnement suivi dans ces décisions à la conclusion majoritaire dans la décision Dulmage, à savoir qu’il serait possible de dire qu’il existe pareille apparence de partialité[62].

[50]      Comme je l’ai déjà expliqué dans les présents motifs, je ne crois pas que la condition figurant dans le passage précité de la décision Laws s’applique compte tenu des circonstances du présent appel : on ne peut pas inférer que chacun des membres individuels de la Commission ontarienne des droits de la personne a autorisé dans son ensemble le communiqué de presse qui a été publié. Dans la mesure où il serait possible de dire que les membres de la Commission ont autorisé certaines déclarations figurant dans le communiqué de presse, pareilles déclarations ne se rapportent pas à la plainte sur laquelle on avait demandé à Mme Devins de se prononcer.

LE JUGEMENT RENDU PAR LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS L’ARRÊT NEWFOUNDLAND TELEPHONE CO. c. TERRE-NEUVE (BOARD OF COMMISSIONERS OF PUBLIC UTILITIES)

[51]      Les avocats des appelants se sont fondés sur le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans l’affaire Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities)[63] à l’appui de la thèse selon laquelle la Commission ontarienne des droits de la personne était chargée de l’élaboration de politiques au moment de la publication du communiqué de presse et que les déclarations figurant dans le communiqué de presse étaient donc assujetties à une norme d’impartialité beaucoup moins rigoureuse.

[52]      Dans l’affaire Newfoundland Telephone, Andy Wells avait été nommé membre d’une commission qui était responsable de la réglementation de la Newfoundland Telephone Company Limited. Après sa nomination, et après que la commission eut organisé une audience publique en vue d’examiner les frais de Newfoundland Telephone, M. Wells avait fait plusieurs déclarations attaquant énergiquement les politiques de Newfoundland Telephone en matière de rémunération de ses cadres. M. Wells était l’un des cinq membres qui avaient siégé lors de cette audience. L’avocat de Newfoundland Telephone s’était opposé à ce que M. Wells siège dans l’affaire, en affirmant que les déclarations énergiques que ce dernier avait faites justifiaient de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à son égard.

[53]      Dans l’arrêt Newfoundland Telephone, le juge Cory a reconnu que les commissions administratives étaient assujetties à diverses normes d’impartialité. Il a affirmé que « [c]elles qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles devront respecter la norme applicable aux cours de justice »[64] alors que les commissions dont les membres sont élus par le public sont assujetties à une norme « nettement moins sévère »[65]. Il a ajouté que les commissions administratives qui s’occupent de questions de principe ne devraient pas être assujetties à une application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité étant donné que cela « risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur »[66]. Par conséquent, il a conclu que « le membre d’une commission qui remplit une fonction d’élaboration des politiques ne devrait pas être exposé à une accusation de partialité du seul fait d’avoir exprimé avant l’audience des opinions bien arrêtées »[67].

[54]      Par conséquent, le juge Cory a conclu que si la déclaration suivante avait été faite avant que la date de l’audience de la Commission eût été fixée, elle ne donnerait pas lieu à une partialité inadmissible : [traduction] « Alors, je veux que la société soit traduite devant nous—tous ces richards aux grosses pensions—pour qu’ils justifient (ces dépenses) aux yeux du public […] Je crois que les abonnés ont le droit qu’on les assure de notre intention de ne pas permettre à cette société de se montrer trop prodigue. » Il a étayé cette conclusion de la façon suivante :

Elle n’est que l’expression colorée que les salaires et les prestations de retraite paraissaient déraisonnablement élevés. Elle ne révèle pas un esprit fermé. Pas même la déclaration de Wells qu’il tenait ces dépenses pour injustifiables n’est indicative d’un esprit fermé. Si toutefois un commissaire déclarait qu’aucun élément de preuve recueilli au cours de l’enquête ne lui ferait changer d’avis, ce serait là une indication d’un esprit fermé[68].

[55]      Dans l’arrêt Newfoundland Telephone, le juge Cory a affirmé que le membre d’une commission responsable de l’élaboration de politiques qui doit ensuite siéger dans une affaire « est tenu à une plus grande discrétion »[69]. Il a conclu qu’une fois que la date de l’audience avait été fixée, les membres de la commission en cause dans l’affaire devaient « se comporte[r] de façon à ne susciter aucune crainte raisonnable de partialité »[70]. En d’autres termes, une personne qui est assujettie à la norme de l’« esprit fermé » peut par la suite être tenue de se conformer à la norme plus stricte de la « crainte raisonnable de partialité ».

[56]      Les avocats des appelants se sont fondés sur ces aspects du jugement que le juge Cory avait prononcé dans l’affaire Newfoundland Telephone pour démontrer que le juge des requêtes avait commis une erreur en concluant que, lorsque la Commission ontarienne des droits de la personne avait publié le communiqué de presse, elle remplissait des fonctions juridictionnelles et qu’elle était donc tenue de se conformer à une norme rigoureuse d’impartialité. Les avocats des appelants soutiennent plutôt que la Commission ontarienne des droits de la personne remplissait une fonction d’élaboration de politiques lorsqu’elle a publié le communiqué de presse et qu’elle était donc assujettie à une norme d’impartialité beaucoup moins rigoureuse.

[57]      Je souscris à l’avis selon lequel le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que la Commission ontarienne des droits de la personne s’acquittait de responsabilités juridictionnelles lorsqu’elle avait publié le communiqué de presse, mais je ne souscris pas aux conclusions additionnelles que les appelants cherchent à tirer.

[58]      Lorsque le communiqué de presse a été publié, la Commission ontarienne des droits de la personne était responsable des fonctions suivantes :

28. La Commission exerce les fonctions suivantes :

a)   favoriser la reconnaissance de la dignité et de la valeur de la personne et assurer à tous les mêmes droits et les mêmes chances, sans discrimination contraire à la loi;

b)   promouvoir la compréhension, l’acceptation et le respect de la présente loi;

[…]

d)   élaborer et mettre en œuvre des programmes d’information et d’éducation du public, et entreprendre, diriger et encourager la recherche visant à éliminer les pratiques discriminatoires qui portent atteinte aux droits reconnus dans la présente loi;[71] […]

[59]      Les alinéas 28a), b) et d) démontrent que la Commission ontarienne des droits de la personne est chargée d’élaborer des politiques et qu’elle est tenue d’éduquer et d’informer le public. Je ne souscris donc pas à la conclusion tirée par le juge des requêtes, à savoir que le communiqué de presse publié par la Commission ontarienne des droits de la personne était « tout à fait inapproprié ». La déclaration était plutôt conforme à l’obligation qui était entre autres imposée par la loi à la Commission de « favoriser la reconnaissance de la dignité et de la valeur de la personne ».

[60]      Toutefois, je ne crois pas que l’arrêt Newfoundland Telephone soit bien utile aux appelants. À mon avis, il faut se rappeler que dans l’affaire Newfoundland Telephone, la commission remplissait expressément une double fonction, à savoir mener une enquête et exercer une compétence juridictionnelle. Parmi ses pouvoirs en matière d’enquête, la commission pouvait « procéder à tous les examens et à toutes les enquêtes nécessaires et vérifier si les entreprises de services publics respect[aient] les dispositions de la loi »[72], « faire enquête sur toute violation des lois ou des règlements en vigueur »[73], « procéder à une enquête sommaire […] si elle juge[ait] déraisonnables ou injustement discriminatoires un tarif ou des frais »[74]. En même temps, la commission était autorisée à tenir des audiences « [s]i au terme d’une enquête sommaire, elle [était] convaincue de l’existence de motifs suffisants pour justifier la tenue d’une audience en règle »[75]. Par conséquent, la loi prévoyait expressément que les membres de la commission qui avaient agi à titre d’enquêteurs pouvaient par la suite exercer des fonctions juridictionnelles. En fait, dans l’arrêt Newfoundland Telephone, le juge Cory [aux pages 644 et 645] a conclu que même lorsque la commission était tenue de se conformer à la norme de la crainte raisonnable de partialité, la norme « n’a[vait] pas à être aussi sévère dans le cas de la Commission en cause, qui traite de questions de principe, qu’[elle] le serait dans le cas d’une commission remplissant des fonctions purement juridictionnelles ».

[61]      Par contre, le Tribunal canadien des droits de la personne n’est pas investi de fonctions d’élaboration de politiques ou d’une double fonction : il est simplement chargé de statuer sur les plaintes qui sont déposées en matière de droits de la personne. Par conséquent, contrairement à ce qui se produisait dans l’affaire Newfoundland Telephone, il n’existe aucune disposition légale à l’appui de la thèse selon laquelle le législateur voulait expressément que les membres du Tribunal canadien des droits de la personne remplissent des fonctions d’élaboration de politiques à l’égard des questions mêmes sur lesquelles ils devraient par la suite statuer.

CONCLUSION RELATIVE À LA PARTIALITÉ

[62]      À mon avis, le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que Mme Devins suscitait une crainte raisonnable de partialité. J’infirmerais sa décision et je renverrais l’affaire au Tribunal canadien des droits de la personne.

2.         Le juge des requêtes a-t-il eu raison de statuer que, s’il existait une crainte raisonnable de partialité, le Tribunal pouvait poursuivre l’audience?

[63]      Au cas où je me tromperais au sujet de la première question, je dois examiner la seconde question, à savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que, même si Mme Devins suscitait une crainte raisonnable de partialité, l’autre membre du Tribunal pouvait poursuivre l’audience en vue de se prononcer sur la plainte dont le Tribunal canadien des droits de la personne avait été saisi.

[64]      À mon avis, le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que, lorsque la crainte raisonnable de partialité est établie, les autres membres du Tribunal pourraient poursuivre l’audience et se prononcer sur la plainte. Au moment où la partialité a été alléguée, la formation dont Mme Devins était membre avait siégé pendant environ 40 jours et avait rendu environ 53 décisions. L’avocat de M. Zündel a soutenu que chacune de ces décisions allait à l’encontre du résultat qu’il prônait.

[65]      Si l’affaire est considérée sous cet angle, je ne puis voir comment il serait possible de remédier à la situation du simple fait qu’il reste un autre membre du Tribunal qui pourrait se prononcer sur la plainte. Comment serait-il possible de savoir si l’une des décisions rendues par le Tribunal a influé de quelque façon sur la décision finale du Tribunal? Comment serait-il possible de savoir si le membre partial avait exprimé des opinions préliminaires sur le bien-fondé de la plainte avant qu’on lui ordonne de se récuser? Et comment serait-il possible de savoir si ces consultations ont de quelque façon influé sur les décisions interlocutoires rendues par l’autre membre? À mon avis, ces questions démontrent que lorsqu’un membre d’un tribunal administratif fait l’objet d’une crainte raisonnable de partialité et qu’un certain nombre d’ordonnances interlocutoires importantes ont été rendues au cours d’une longue audience, l’instance engagée devant le tribunal devrait être annulée en entier, même si une disposition légale autorise à première vue le tribunal à poursuivre l’affaire avec un moins grand nombre de membres lorsqu’un membre est pour une raison ou pour une autre incapable de la poursuivre.

[66]      Mes conclusions sont étayées par les motifs que le juge Cory a prononcés dans l’arrêt R. c. S. (R.D.) lorsqu’il a affirmé ce qui suit :

S’il y a crainte raisonnable de partialité, c’est l’ensemble des procédures du procès qui sont viciées et la décision subséquente aussi bien fondée soit-elle ne peut y remédier. Voir l’arrêt Newfoundland Telephone, précité, à la p. 645; voir aussi l’arrêt Curragh, précité, au par. 6. Ainsi, le simple fait que le juge paraît, sur certains points, avoir tiré des conclusions justes quant à la crédibilité ou qu’il arrive à un résultat correct ne peut dissiper les effets de la crainte raisonnable de partialité que d’autres paroles ou actes du juge ont pu susciter. Dans le contexte d’une requête en récusation du juge siégeant dans une poursuite donnée, on a statué que lorsqu’il y a crainte raisonnable de partialité, « on ne peut rendre une décision finale à partir de conclusions sur la crédibilité formulées dans de pareilles conditions »[76].

CONCLUSION

[67]      J’accueillerais l’appel avec dépens, j’infirmerais l’ordonnance que le juge des requêtes a rendue le 13 avril 1999 et je renverrais l’affaire au Tribunal pour qu’il poursuive l’audience.

Le juge Isaac, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



[1]  S.R.C. 1970, ch. C-34.

[2]  Lorsque la Cour suprême a entendu l’appel de M. Zündel, l’art. 177 du Code criminel était devenu l’art. 181 [du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46].

[3]  [1992] 2 R.C.S. 731, à la p. 778, le juge McLachlin (maintenant juge en chef).

[4]  L.R.C. (1985), ch. H-6.

[5]  Dossier d’appel, à la p. 74.

[6]  Zündel c. Citron, [1999] 3 C.F. 409 (1re inst.), à la p. 421.

[7]  Ibid.

[8]  Ibid.

[9]  Ibid.

[10]  Ibid. (souligné dans l’original).

[11]  Ibid. (souligné dans l’original).

[12]  Ibid.

[13]  Ibid., à la p. 422.

[14]  Ibid.

[15]  Le juge des requêtes n’a jamais expressément mentionné la disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne sur laquelle il s’est fondé.

[16]  [1997] 3 R.C.S. 484.

[17]  Ibid., à la p. 530.

[18]  Ibid., à la p. 531.

[19]  [1990] 3 R.C.S. 892.

[20]  Ibid., à la p. 934.

[21]  Ibid., à la p. 935.

[22]  L’art. 177 (qui est par la suite devenu l’art. 181) prévoyait qu’« [e]st coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de deux ans quiconque volontairement publie une déclaration, une histoire ou une nouvelle qu’il sait fausse et qui cause, ou est de nature à causer, une atteinte ou du tort à quelque intérêt public » (non souligné dans l’original).

[23]  (1994), 21 O.R. (3d) 356 (C. div.).

[24]  L.R.O. 1990, ch. P.15.

[25]  Dulmage, supra, note 23, à la p. 360.

[26]  Ibid.

[27]  Ibid., à la p. 361.

[28]  Ibid., à la p. 363 (non souligné dans l’original).

[29]  Ibid., à la p. 365.

[30]  [1998] H.L.J. no 52 (QL).

[31]  [1998] H.L.J. no 41 (QL).

[32]  Pinochet, Ugarte, Re, supra, note 30, au par. 30.

[33]  Ibid., au par. 37 (non souligné dans l’original).

[34]  Ibid., au par. 40.

[35]  Ibid.

[36]  Ibid. (non souligné dans l’original).

[37]  R. c. S. (R.D.), supra, note 16, à la p. 531 (souligné dans l’original).

[38]  Ibid., à la p. 532.

[39]  Ibid., à la p. 531.

[40]  Ibid., à la p. 532.

[41]  [1997] 2 C.F. 527 (C.A.).

[42]  Ibid., à la p. 542.

[43]  (1995), 23 O.R. (3d) 257 (C.A.), demande d’autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée le 17 août 1995 [[1995] 3 R.C.S. vi].

[44]  Ibid., à la p. 267.

[45]  [1996] 5 W.W.R. 690 (C.A.C.-B.).

[46]  Ibid., à la p. 704.

[47]  R. c. S. (R.D.), supra, note 16, à la p. 528.

[48]  Ibid.

[49]  Ibid.

[50]  Ibid.

[51]  R. c. Zündel, supra, note 3, à la p. 743.

[52]  Ibid., à la p. 779.

[53]  Ibid., à la p. 781.

[54]  Zündel, supra, note 6, à la p. 422.

[55]  Ibid.

[56]  Ibid.

[57]  Dulmage, supra, note 23, à la p. 365.

[58]  (1992), 94 D.L.R. (4th) 339 (C.A.C.-B.).

[59]  Ibid., à la p. 349.

[60]  (1990), 93 A.L.R. 435 (H.C. Aust.).

[61]  Ibid., à la p. 445.

[62]  Dans les motifs qu’il a prononcés en dissidence, le juge Moldaver paraît ne pas reconnaître l’existence d’une doctrine de ce genre. Il a affirmé qu’[traduction] « un membre n’a pas à se désister automatiquement simplement à cause des déclarations qui ont été faites par un représentant d’une organisation communautaire affiliée au sujet des questions dont la commission est saisie » (à la p. 364). Plus loin, dans ses motifs (à la p. 366), il a repris cette remarque, en affirmant ce qui suit:

[traduction] De peur qu’il ne subsiste un doute à ce sujet, je tiens à souligner que la simple association, présente ou passée, d’un membre d’une commission avec une organisation qui, par sa nature même, pourrait être considérée comme favorisant une partie ou l’autre, ne satisfait pas en soi au critère de la crainte raisonnable de partialité.

[63]  [1992] 1 R.C.S. 623.

[64]  Ibid., à la p. 638.

[65]  Ibid.

[66]  Ibid., aux p. 638 et 639.

[67]  Ibid., à la p. 639.

[68]  Ibid., aux p. 642 et 643.

[69]  Ibid., à la p. 643.

[70]  Ibid., à la p. 644.

[71]  Code des droits de la personne, L.O. 1981, ch. 53.

[72]  The Public Utilities Act, R.S.N. 1970, ch. 322, art. 5 (mod. par S.N. 1979, ch. 30, art. 1), 14.

[73]  Ibid., art. 15.

[74]  Ibid., art. 79.

[75]  Ibid., art. 85.

[76]  Supra, note 16, à la p. 526.

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