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[2000] 1 C.F. 555

A-569-97

Philip Douglas Backman (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Backman c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Décary et Rothstein, J.C.A.—Edmonton, 3 juin; Ottawa, 31 août 1999.

Impôt sur le revenu Sociétés de personnesUne société en commandite (Commons) a été constituée par des résidents américains en vertu des lois du TexasElle a acquis un bien-fonds et y a construit un immeuble d’habitationElle a subi des pertes représentant la différence entre le coût initial, en 1985, et la valeur marchande de l’immeuble d’appartements en 1988Afin d’obtenir les pertes, le contribuable et d’autres Canadiens ont acquis les participations des associés américains initiaux de CommonsLe MRN a refusé au contribuable la déduction des pertes de société de personnesLa CCI a conclu que le contribuable et les autres personnes ne constituaient pas une société de personnes étant donné qu’ils n’exploitaient pas une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéficeAucun bénéfice n’était envisagé et n’a été réalisé pendant les quelques minutes où l’immeuble d’appartements a appartenu aux CanadiensCommons n’a pas exploité d’entreprise après que les Canadiens en eurent obtenu la cessionIl n’existait aucun but accessoire de partager des bénéficesEn vertu de l’Alberta Partnership Act, une société en commandite peut être constituée en vue d’exploiter une entrepriseLa définition de société de personnes s’applique aux sociétés en commanditeMême si des participations sont cédées, il faut respecter la définitionL’appelant n’était pas un associé de Commons lorsque celle-ci a aliéné l’immeuble d’appartements.

Il s’agissait d’un appel d’une décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle le contribuable n’avait pas le droit de déduire des pertes de société de personnes pour le motif qu’il n’était pas associé dans une société de personnes lorsque les pertes ont été subies. En 1985, une société en commandite constituée sous le nom « Commons » par des résidents américains en vertu des lois du Texas avait acquis un bien-fonds et y avait construit un immeuble d’appartements. En 1988, l’appelant et l’un de ses associés faisant partie du même cabinet d’avocats avaient appris d’un agent immobilier que, pour la somme de 180 000 $US, ils pouvaient acquérir et réaliser les pertes représentant la différence entre le coût initial, en 1985, et la valeur marchande, au mois d’août 1988, de l’immeuble d’appartements. Afin d’obtenir les pertes, l’appelant et 34 autres Canadiens ainsi qu’une société de l’Alberta ont pris des dispositions afin de se faire céder la participation des associés américains initiaux dans Commons au moyen d’une série d’opérations. Ce faisant, les Canadiens voulaient devenir membres de la société en commandite continue Commons par suite de la cession des participations des Américains, acquérir et réaliser des pertes comptables découlant de la disposition de l’immeuble d’appartements par Commons et acquérir une participation correspondant à un pour cent dans un bien canadien relatif au pétrole et au gaz. Le ministre du Revenu national a refusé à l’appelant la déduction des pertes de société de personnes. Le juge de première instance a conclu que l’appelant et les autres personnes avec qui celui-ci entretenait des relations n’exploitaient pas une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice et qu’il n’y avait donc pas de société de personnes. Deux questions ont été soulevées en appel : 1) le partage des bénéfices était-il un but accessoire? 2) les Canadiens étaient-ils des associés en raison de la cession des participations dans Commons?

Arrêt : l’appel est rejeté.

1) Il s’agissait en premier lieu de savoir si, une fois que les Canadiens sont devenus membres de Commons, ils exploitaient une entreprise dans le but de réaliser un bénéfice, accessoirement au but visant à minimiser l’impôt. Après que les Canadiens eurent acquis leurs participations dans Commons, l’immeuble d’appartements leur a appartenu pendant quelques minutes seulement avant d’être aliéné. Aucun bénéfice que l’immeuble d’appartements aurait pu générer n’a été réalisé par les Canadiens et, par conséquent, aucun bénéfice n’a été remis à l’appelant. Aucun bénéfice n’était envisagé pendant la brève période qui devait s’écouler entre le moment où les Canadiens acquéraient leurs participations dans Commons et celui où l’immeuble d’appartements était aliéné. Les Canadiens n’exploitaient pas l’entreprise en vue de réaliser un bénéfice pendant cette période. Commons et les Canadiens ne s’occupaient pas d’opérations de change. Par conséquent, le gain sur le change réalisé par suite des opérations conclues le 29 août 1988 était accessoire à la disposition de l’immeuble d’appartements et il ne montrait pas qu’une entreprise a été exploitée en commun dans le but de réaliser un bénéfice. En ce qui concerne le bien canadien relatif au pétrole et au gaz, les Canadiens n’ont jamais réalisé de bénéfice par suite de cet investissement. Rien ne montrait que les Canadiens exploitaient une entreprise à l’égard de l’investissement relatif au pétrole et au gaz. Le simple fait d’être copropriétaire d’un bien ne prouve pas en soi qu’une entreprise est exploitée. Il est vrai que l’on a préparé une série de documents afin que, Commons continue d’être une société en commandite et que les Canadiens deviennent des commandités et des commanditaires de la société. Toutefois, Commons n’a exploité aucune entreprise après que les Canadiens en eurent obtenu la cession. En ce qui concerne la participation des Canadiens, Commons était une coquille vide qui n’exploitait pas réellement une entreprise. On ne saurait déterminer s’il existe une société de personnes en se fondant exclusivement sur les documents. Lorsqu’ils étaient membres de Commons, les Canadiens n’exploitaient ni l’immeuble d’appartements ni l’investissement relatif au pétrole et au gaz en vue de réaliser un bénéfice. Par conséquent, il n’y avait pas d’« élément véritable, bien qu’accessoire, de profit » permettant d’inférer qu’une entreprise était exploitée en vue de réaliser un bénéfice de façon à respecter la définition de société de personnes.

2) La seconde question était de savoir si, lorsque les participations dans Commons ont été cédées, les Canadiens sont devenus membres de la société. Étant donné que Commons était une société en commandite inscrite au Texas, le droit applicable était celui du Texas. Toutefois, il existait peu d’éléments de preuve au sujet de la question de savoir si la définition de la société de personnes avait été respectée et si, au Texas, cette définition doit être respectée pour qu’une personne soit considérée comme un associé. Lorsque c’est la loi étrangère qui s’applique dans une affaire, il s’agit d’une question de fait qui doit être expressément plaidée et établie à la satisfaction de la Cour. La législation concernant les sociétés de personnes est un exemple de droit législatif d’application générale; le droit dans ce domaine est à peu près le même dans les divers ressorts. Le droit canadien pertinent est celui qui s’applique en Alberta, en particulier la Partnership Act. Le législateur voulait que la définition de société de personnes figurant à l’article premier de la Loi s’applique à toutes les parties de la Loi et à toutes les sociétés de personnes. Les dispositions précises de la partie 2 permettent également de conclure que la définition s’applique aux sociétés en commandite et qu’une société en commandite peut être constituée en vue d’exploiter une entreprise. Cela étant, la définition de la société de personnes et, en particulier, l’exigence selon laquelle il doit exister une relation entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice, s’applique aux sociétés en commandite. Même si des personnes sont réputées devenir des associées au moyen de la cession de participations dans une société en commandite qui existait déjà légitimement, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas nécessaire de respecter la définition. Selon la définition, il s’agit de savoir si l’on exploite l’entreprise dans le but de réaliser un bénéfice et, tant que pareil but existe, la définition est respectée. Les dispositions de la Loi concernant les sociétés en commandite prévoyant que les participations dans la société en commandite peuvent être cédées et que des commanditaires peuvent être subrogés dans leurs droits ne devraient pas être interprétées comme écartant l’exigence selon laquelle il faut respecter la définition de la société de personnes. Les Canadiens n’entretenaient pas une relation dans le cadre de laquelle ils exploitaient une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice; par conséquent, ils ne sont pas devenus des commandités de Commons. L’appelant n’était pas membre de Commons lorsque celle-ci a aliéné l’immeuble d’appartements.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44 (mod. par L.C. 1994, ch. 24, art. 1).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-71, ch. 63, art. 13(21)b) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 6; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 5), 20(16) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 14; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 10; 1988, ch. 55, art. 12), 55(1), 96 (mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 43; 1987, ch. 46, art. 32), 245(1).

Partnership Act, R.S.A. 1980, ch. P-2, art. 1d), 48, 50(1), 51(1),(2), 63, 65, 66.

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 1102(1)c).

Texas Uniform Limited Partnership Act, Texas Rev. Civ. Stat. Art. 6132a.

Texas Uniform Partnership Act, Texas Rev. Civ. Stat. Art. 6132b, § 6.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298; (1998), 163 D.L.R. (4th) 385; [1998] 4 C.T.C. 119; 98 DTC 6505; 229 N.R. 58 (quant au sens et de la portée du mot société de personnes); Capitol Life Insurance Co. c. R., [1986] 2 C.F. 171; [1986] 1 CTC 388; (1986), 86 DTC 6164; 68 N.R. 350 (C.A.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298; (1998), 163 D.L.R. (4th) 385; [1998] 4 C.T.C. 119; 98 DTC 6505; 229 N.R. 58 (quant aux faits de l’affaire).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

LePage (A.E.) Ltd. v. Kamex Developments Ltd. et al. (1977), 16 O.R. (2d) 193; 78 D.L.R. (3d) 223; 1 R.P.R. 331 (C.A.); conf. par sub nom. LePage (A.E.) Limited c. March et autres, [1979] 2 R.C.S. 155; (1979), 105 D.L.R. (3d) 84; Spire Freezers Ltd. c. Canada, [1999] 4 C.F. 381 (1999), 99 DTC 5297 (1re inst.); Fernandez c. « Mercury Bell » (Le), [1986] 3 C.F. 454 (1986), 27 D.L.R. (4th) 641; 66 N.R. 361 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Central Supply Co. c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2320; (1995), 95 DTC 434 (C.C.I.); Canada c. Central Supply Company (1972) Ltd., [1997] 3 C.F. 674 [1997] 3 C.T.C. 102; (1997), 97 DTC 5295; 215 N.R. 46 (C.A.); Dale c. Canada, [1997] 3 C.F. 235 (1997), 97 DTC 5252; 211 N.R. 191 (C.A.).

DOCTRINE

Castel, J.-G. Canadian Conflict of Laws, 4th ed. Toronto : Butterworths, 1997.

Couzin, Robert. « The Law of Partnership and the Taxation of Partners » dans Partnership Taxation. Mississauga, Ont. : Insight Press, 1989.

Lindley & Banks on Partnership, 16th ed. London : Sweet & Maxwell, 1990.

Lindley & Banks on Partnership, 17th ed. London : Sweet & Maxwell, 1995.

APPEL d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt ((1997), 97 DTC 1468) portant que le contribuable n’avait pas le droit de déduire des pertes de société de personnes en vertu de l’article 96 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour le motif que d’autres investisseurs canadiens et lui n’exploitaient pas une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice et qu’il n’existait pas de société de personnes. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Alnasir Meghji et Gerald A. Grenon pour l’appelant.

Naomi R. Goldstein pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones, Calgary, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A. :

LA QUESTION EN LITIGE

[1]        Dans cet appel d’une décision rendue par le juge Rip, de la Cour canadienne de l’impôt [(1997), 97 DTC 1468], il s’agit principalement de savoir si l’appelant a le droit de déduire sa part proportionnelle de certaines pertes « de société de personnes » subies pendant son année d’imposition 1988. La réponse dépend de la question de savoir s’il existait une relation d’associé dans une société de personnes entre l’appelant et d’autres personnes lorsque les pertes ont été subies.

PROCÉDURES AYANT MENÉ À L’APPEL

[2]        Par un avis de nouvelle cotisation daté du 10 août 1993, le ministre du Revenu national (le ministre) a rejeté les pertes de société de personnes que l’appelant avait déduites. L’appelant a déposé un avis d’opposition, mais, le 23 novembre 1994, le ministre a confirmé la nouvelle cotisation. L’appelant a porté l’affaire en appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

[3]        Devant la Cour de l’impôt, le ministre a soutenu que l’appelant n’avait pas le droit de déduire les pertes de la société de personnes, et ce, pour cinq motifs, dont quatre ont été rejetés par le juge de la Cour de l’impôt, qui a prononcé à cet égard des motifs fort détaillés. Premièrement, le juge a conclu que les opérations que l’appelant avait conclues ne constituaient pas un trompe-l’œil. Il a également conclu que l’immeuble, dont la vente avait donné lieu à une partie des pertes que l’appelant voulait déduire, avait initialement été acquis par la société de personnes quelques années plus tôt en vue de produire un revenu et qu’il s’agissait donc d’un bien amortissable au sens de l’alinéa 13(21)b) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 6; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 5] et du paragraphe 20(16) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 14; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 10; 1988, ch. 55, art. 12] de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] ainsi que de l’alinéa 1102(1)c) du Règlement [Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945], qui autorisent la déduction d’une perte finale au moment de la disposition d’un bien amortissable. Troisièmement, le juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’argument du ministre selon lequel les opérations n’avaient pas légalement effet. Quatrièmement, il a conclu que les paragraphes 245(1) et 55(1), se rapportant à la création factice de pertes, ne s’appliquaient pas aux opérations en question.

[4]        La Loi de l’impôt sur le revenu, précitée, ne définit pas le mot « société de personnes »; de plus, il n’existe, à l’égard des sociétés de personnes, aucune loi fédérale semblable à celle applicable aux sociétés par actions, la Loi canadienne sur les sociétés par actions[2]. Le juge Rip a examiné la façon dont la société de personnes était définie dans les provinces de common law, à savoir [traduction] « la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice »[3]. Au Texas, où la société de personnes était inscrite, la société de personnes est définie comme étant [traduction] « une association composée d’au moins deux personnes qui veulent exploiter une entreprise à titre de copropriétaires en vue de réaliser un bénéfice »[4]. Le juge a conclu ce qui suit [à la page 1480] :

Il n’existe aucune différence importante entre la définition de la « société » figurant dans ces lois du Texas et celle qui figure dans les diverses lois provinciales : elles exigent toutes qu’il existe une relation entre des personnes ou une association de personnes qui exercent une activité en vue de réaliser un bénéfice.

Le juge a conclu que l’appelant et les autres personnes avec qui celui-ci entretenait des relations n’exploitaient pas une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice et qu’il n’y avait donc pas de société de personnes. Le juge a conclu que, cela étant, l’appelant n’avait pas le droit de déduire des pertes en vertu de l’article 96 [mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 43; 1987, ch. 46, art. 32] de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui traite de l’imposition des sociétés de personnes, dans le calcul de son revenu imposable de 1988. L’appel a été rejeté.

[5]        Dans la présente instance, il s’agit uniquement de savoir si l’appelant était membre d’une société de personnes. Dans l’affirmative, il peut déduire les pertes en question; dans la négative, il ne peut pas déduire les pertes en vertu de l’article 96 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le ministre n’a pas interjeté d’appel incident et il n’a plaidé aucun des moyens que le juge de la Cour de l’impôt avait rejetés.

LES FAITS

[6]        En 1985, une société en commandite a été constituée par des résidents américains, en vertu des lois du Texas, sous le nom « The Commons at Turtle Creek Ltd. » (Commons). Les commanditaires et les commandités n’étaient pas des Canadiens (les Américains). Commons a acquis un bien-fonds et y a construit un immeuble d’habitation (l’immeuble d’appartements de Dallas). Le bien-fonds avait coûté 2 027 361 $US et les frais de construction s’élevaient à 6 696 021 $US. Au mois d’août 1988, la juste valeur marchande du bien-fonds a été fixée à 1 600 000 $US et celle de l’immeuble à 3 400 000 $US.

[7]        L’appelant est membre d’un gros cabinet d’avocats, à Calgary. Pendant l’été 1988, l’appelant et l’un de ses associés ont appris d’un agent immobilier que, pour la somme de 180 000 $US, ils pouvaient acquérir et réaliser, au moyen d’une série d’opérations, les pertes représentant la différence entre le coût initial, en 1985, et la valeur marchande, en août 1988, de l’immeuble d’appartements de Dallas, qu’ils pouvaient ensuite utiliser comme déductions dans le calcul de leur revenu imposable canadien.

[8]        Afin d’obtenir les pertes, l’appelant et 34 autres Canadiens (les associés du cabinet d’avocats de l’appelant et d’autres personnes) ainsi qu’une société de l’Alberta (qui étaient tous des Canadiens) ont pris des dispositions afin de se faire céder la participation des associés américains initiaux dans Commons. Les Canadiens ont versé une somme de 140 000 $US aux associés américains en échange de leurs participations, une somme de 4 000 $US à l’égard de certains honoraires d’avocat et une somme de 36 000 $US au titre de la commission de l’agent.

[9]        Une série d’opérations a été conclue le 29 août 1988 en vue de permettre aux Canadiens d’obtenir les pertes conformément à un ordre du jour établi à l’avance :

1) 14 h 40 :

Commons a consenti une option à Commons XXII Limited (Commons XXII), une nouvelle société en commandite, composée des mêmes commanditaires américains que Commons et d’un nouveau commandité américain, aux fins de l’acquisition de l’immeuble d’appartements de Dallas.

2) 14 h 40 :

Commons XXII a consenti une option à Commons pour que cette dernière puisse acquérir l’immeuble d’appartements Dallas pour la somme de 10 600 000 $US. Cette option prenait fin le 1er décembre 1991 ou auparavant, si Commons XXII vendait l’immeuble d’appartements de Dallas à une autre personne.

3) 14 h 58 à 16 h 21 :

On a apporté une série de modifications au contrat de société de personnes Commons ainsi qu’aux cessions, de façon à prévoir le maintien de Commons à titre de société de personnes et la cession échelonnée de la participation des Américains aux Canadiens, ce qui entraînait l’admission des Canadiens dans Commons et le retrait des Américains de Commons.

4) 16 h 24 :

Commons a acheté une participation dans un bien canadien relatif au pétrole et au gaz pour la somme de 5 000 $CAN.

5) 16 h 41 :

Commons XXII a levé l’option relative à l’acquisition de l’immeuble d’appartements de Dallas de Commons.

6) 16 h 46 à

16 h 51 :

Commons a transféré l’immeuble d’appartements de Dallas et tous ses éléments d’actif (autres que le bien canadien relatif au pétrole et au gaz) à Commons XXII par un acte de garantie générale, un transfert général, un acte de vente et une cession ainsi qu’une cession de baux.

[10]      Les opérations visaient à permettre d’arriver aux résultats suivants :

1) les Canadiens devenaient membres (ils détenaient une participation de 99,97 p. 100 à titre de commandités et de 0,03 p. 100 à titre de commanditaires) de la société en commandite continue Commons par suite de la cession des participations des Américains, moyennant le paiement d’une somme s’élevant en tout à 180 000 $US.

2) la disposition de l’immeuble d’appartements de Dallas par Commons donnait lieu à l’acquisition et à la réalisation par les Canadiens de pertes comptables que ces derniers pouvaient ensuite utiliser à titre de déductions dans le calcul de leur revenu imposable canadien pour l’année 1988 en vertu de l’article 96 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

3) une participation correspondant à un pour cent dans un bien canadien relatif au pétrole et au gaz était acquise moyennant le paiement de la somme de 5 000 $CAN.

[11]      Au cours de l’année d’imposition 1988, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que chacun des Canadiens s’était vu attribuer sa part proportionnelle des montants suivants par suite de la vente de l’immeuble d’appartements de Dallas par Commons ainsi qu’à l’égard du bien canadien relatif au pétrole et au gaz. Dans le cas de l’appelant, cela correspondait à 2,60156 p. 100 des montants suivants :

(en dollars canadiens)

Société de personnes

Montant brut

Perte finale—Immeuble d’appartements

de Dallas

     5 869 631 $

Pertes d’exploitation—Immeuble

d’appartements de Dallas

         53 176

Pertes d’exploitation—Bien canadien

relatif au pétrole et au gaz

              240     

Perte d’entreprise finale

     5 923 047 $

Sommes ajoutées aux frais cumulatifs à

l’égard d’un bien relatif au pétrole

et au gaz

           4 000     

Sommes ajoutées aux biens de la catégorie 41

(non admissibles aux crédits d’impôt à

l’investissement)

           1 000     

Perte en capital se rapportant à la vente

du bien-fonds (élément de l’immeuble

d’appartements de Dallas)

       561 676     

Gain en capital sur le change se rapportant

au remboursement de la dette

        845 032 $ 

ANALYSE

1.         Le partage des bénéfices était-il un but accessoire?

(i)   Principe énoncé dans l’arrêt Continental Bank

[12]      Comme il en a été fait mention, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que, dans leurs relations entre eux, les Canadiens n’exploitaient pas une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice, de sorte qu’il n’existait pas de société de personnes à l’égard de la propriété de l’immeuble d’appartements de Dallas et que les Canadiens n’avaient pas le droit de déduire des pertes en vertu de l’article 96 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[13]      Il est certain que la série d’opérations conclues par l’appelant et par Commons visait à leur permettre d’aliéner l’immeuble d’appartements de Dallas ainsi que d’acquérir et de réaliser des pertes qui seraient déductibles aux fins de l’impôt sur le revenu canadien. Toutefois, cela ne veut pas dire que l’exploitation conjointe d’une entreprise aux fins de la réalisation d’un bénéfice ne peut pas être un but accessoire. Dans l’arrêt Continental Bank Leasing Corp. c. Canada[5], le juge Bastarache, qui exprimait l’avis unanime de la Cour sur ce point, bien qu’il fût dissident quant au résultat, a fait les remarques suivantes, aux pages 325 et 326 :

Le seul fait que l’intention première des parties était de créer une société en nom collectif pour une fin donnée n’empêche toutefois pas que la réalisation et le partage d’un bénéfice constituaient un but accessoire. Cela suffit pour respecter la définition de l’art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif dans les circonstances de l’espèce. L’observation suivante est faite aux pp. 10 et 11 de Lindley& Banks on Partnership :

[traduction] … lorsqu’une société est constituée dans quelque autre but dominant [autre qu’un but lucratif], notamment pour éviter l’impôt, mais qu’il existe aussi un élément véritable, bien qu’accessoire, de profit, il est possible d’en conclure que l’entreprise est exploitée « dans le but de réaliser un bénéfice ». Cependant, lorsqu’il peut être établi que l’unique raison pour laquelle une société est mise sur pied est de conférer à un associé l’« avantage », par exemple, d’une perte fiscale, alors que les parties n’envisagent nullement qu’un bénéfice … puisse être tiré de l’exploitation de l’entreprise en cause, la société ne peut véritablement être considérée comme ayant été créée « dans le but de réaliser un bénéfice ».

[14]      Il s’agit en premier lieu de savoir si, une fois que les Canadiens sont devenus membres de Commons, une entreprise était exploitée dans le but de réaliser un bénéfice, accessoirement au but visant à minimiser l’impôt.

(ii)        L’immeuble d’appartements de Dallas

[15]      Dans l’arrêt Continental Bank, le contribuable qui faisait l’objet d’une nouvelle cotisation avait été membre de la société de personnes pendant trois jours seulement, pendant lesquels un bénéfice avait été réalisé et une somme de 130 726 $ avait été remise à celui-ci. Comme l’a dit le juge Bastarache à la page 326 :

Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où les parties ont convenu qu’un associé n’aurait pas droit à une quote-part des bénéfices ni d’un cas où aucun bénéfice n’était envisagé pendant la durée de la participation d’un associé. Durant la période où Leasing et la Banque ont été des associés au sein de l’entreprise, la Société a tiré un bénéfice de son entreprise de crédit-bail, et ce bénéfice a été réparti à la fin de l’exercice.

En l’espèce, après que les Canadiens eurent acquis leurs participations dans Commons, l’immeuble d’appartements de Dallas leur a appartenu pendant quelques minutes seulement avant d’être aliéné conformément à l’option consentie à Commons XXII et à l’ordre du jour établi à l’avance. Aucun bénéfice généré par l’immeuble d’appartements de Dallas le 29 août 1988 ou à n’importe quel autre moment n’a été réalisé par les Canadiens et, par conséquent, aucun bénéfice n’a été remis à l’appelant. Contrairement à ce qui s’était passé dans l’affaire Continental Bank, aucun bénéfice n’était envisagé en ce qui concerne l’immeuble d’appartements de Dallas, pendant la brève période qui devait s’écouler entre le moment où les Canadiens acquéraient leurs participations dans Commons et celui où l’immeuble d’appartements de Dallas était aliéné.

[16]      Les faits de la présente espèce sont clairement différents de ceux de l’affaire Continental Bank. De fait, ils sont identiques aux faits à l’égard desquels le juge Bastarache a cherché à faire une distinction dans l’arrêt Continental Bank. Dans ce cas-ci, il avait été convenu que les Canadiens ne partageraient pas le bénéfice généré par l’immeuble d’appartements de Dallas. Aucun bénéfice n’était envisagé pendant la période où les Canadiens participaient à l’entreprise relative à l’immeuble d’appartements de Dallas. Pendant les quelques instants où les Canadiens sont devenus membres de Commons et jusqu’au moment où l’immeuble d’appartements de Dallas a été aliéné, les Canadiens n’ont pas exploité l’entreprise en vue de réaliser un bénéfice.

(iii)       L’option d’acquérir de nouveau l’immeuble d’appartements de Dallas

[17]      La preuve ne renferme aucune explication au sujet de la raison pour laquelle Commons XXII a consenti jusqu’au 1er décembre 1991 une option permettant à Commons d’acquérir l’immeuble d’appartements de Dallas pour la somme de 10 600 000 $US. Le prix représente plus du double de la juste valeur marchande au 29 août 1988 et rien n’empêchait Commons XXII de vendre l’immeuble d’appartements de Dallas à un autre acheteur à n’importe quel prix pendant que l’option était en vigueur. Dans un avis du 20 janvier 1989 du cabinet Johnson, Bromberg & Leeds, du Texas, l’hypothèse suivante est émise en ce qui concerne l’assujettissement possible des Canadiens à l’impôt sur le revenu américain :

[traduction] (2) Les seuls éléments d’actif de la société de personnes sont le bien relatif au pétrole et la deuxième option; la société de personnes ne lèvera pas, ne vendra pas et n’aliénera pas la deuxième option (si ce n’est par suite de son expiration conformément aux conditions y afférentes); elle n’exploitera pas de bureau ou quelque autre établissement permanent aux États-Unis; elle ne gérera pas activement ses biens et n’exercera pas d’autres activités aux États-Unis.

Rien ne montre que cette hypothèse soit inexacte. Il est uniquement possible d’inférer que les Canadiens n’avaient pas l’intention de lever l’option relative à l’immeuble d’appartements de Dallas.

(iv)       Le gain sur le change

[18]      Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard des Canadiens pour le gain sur le change se rapportant aux opérations du 29 août 1988. L’appelant affirme que le ministre traite les Canadiens comme des associés aux fins du gain sur le change, mais non aux fins des pertes qu’ils ont déduites[6]. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu [à la page 1482] que « rien ne montre que les Canadiens aient songé au gain sur le change lorsqu’ils se sont lancés dans cette entreprise ». Le gain sur le change ne constituait pas un bénéfice résultant de l’exploitation d’une entreprise. Il ne pouvait pas en être un puisque l’immeuble d’appartements de Dallas n’était pas en cause dans les opérations de change. Commons et les Canadiens ne s’occupaient pas d’opérations de change. Le gain sur le change était accessoire à la disposition de l’immeuble d’appartements de Dallas et il ne montre pas qu’une entreprise a été exploitée en commun dans le but de réaliser un bénéfice.

(v)        Le bien relatif au pétrole et au gaz

[19]      En ce qui concerne le bien canadien relatif au pétrole et au gaz, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’appelant ne pouvait pas se fonder sur cet investissement afin d’étayer l’argument selon lequel les autres Canadiens et lui exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Il a conclu que l’appelant et les Canadiens avaient uniquement l’intention d’obtenir une perte fiscale. Aux pages 1481 et 1482 de ses motifs, il dit ceci :

Je ne doute nullement que l’appelant et les autres Canadiens ont conclu la série d’opérations de Turtle Creek en vue d’acquérir une perte fiscale possible. C’était leur seul objectif.

Le juge a conclu que l’investissement relatif au pétrole et au gaz était uniquement un « camouflage ». À la page 1483 de ses motifs, voici ce qu’il dit :

En l’espèce également, ni l’appelant ni les Canadiens n’avaient l’intention de faire autre chose que d’obtenir une perte fiscale subie dans le cadre de l’entreprise. L’achat du bien canadien relatif au pétrole et au gaz et du condominium du Montana n’était que du camouflage. L’espoir que les Canadiens avaient de tirer un revenu de ces deux biens était minime, et ne se rapprochait même pas du montant de la perte qu’ils espéraient déduire de leur revenu. La relation existant entre les Canadiens n’était pas une relation dans le cadre de laquelle ceux-ci exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Les Canadiens n’étaient pas associés en vue d’exploiter une entreprise dans un but lucratif.

[20]      Les Canadiens ont acquis, moyennant le paiement d’une somme de 5 000 $, une participation directe correspondant à un pour cent dans certains droits relatifs au pétrole et au gaz ainsi que des biens corporels et diverses participations. Aucun autre élément de preuve ne montre que les Canadiens ont de quelque façon participé à l’investissement relatif au pétrole et au gaz. De fait, pendant l’automne 1988, le puits a été inondé et il a finalement été fermé. Les Canadiens n’ont jamais réalisé de bénéfice par suite de cet investissement. L’appelant a présenté un témoignage oral vague selon lequel les Canadiens s’attendaient à réaliser un bénéfice annuel de 1 000 $ à 1 500 $ par suite de l’investissement relatif au pétrole et au gaz :

[traduction] [L’appelant :] Eh bien, Allan Ross et moi-même avons parlé à l’un de nos autres collègues, Adrian Phillips, qui avait une compagnie s’appelant, si je ne me trompe, Hydrostatique Resources ou quelque chose comme cela. Cette compagnie possède des participations relatives au pétrole et au gaz. Nous savions d’une façon générale qu’il y avait un puits de production. Le prix des biens relatifs au pétrole et au gaz est généralement déterminé à partir du revenu tiré du puits, de sorte que le revenu annuel tiré du puits aurait probablement été d’environ 1 000 à 1 500 $ et que le prix d’achat aurait été de 5 000 $.

Q.   Et vous vous attendiez avec raison à obtenir 1 000 $?

R.   Nous allions probablement obtenir de 1 000 à 1 500 $.

Il n’y avait pas d’états financiers ou d’autres documents financiers se rapportant à l’investissement relatif au pétrole et au gaz. Étant donné qu’il estimait que les Canadiens voulaient uniquement acquérir une perte fiscale et que le bien relatif au pétrole et au gaz était du « camouflage », le juge de la Cour de l’impôt n’a de toute évidence pas reconnu que cela montrait qu’une entreprise était exploitée en commun en vue de réaliser un bénéfice.

[21]      Toutefois, même si cela peut prouver l’intention de réaliser un bénéfice, cela ne montre pas que les Canadiens exploitaient une entreprise à l’égard de l’investissement relatif au pétrole et au gaz. Il est bien établi que le simple fait d’être copropriétaire d’un bien ne prouve pas en soi qu’une entreprise est exploitée[7]. Dans ce cas-ci, la preuve montre que le bien était exploité par une compagnie. L’appelant ne se rappelait pas le nom de la compagnie. Il ne s’agissait pas d’un des Canadiens associés à l’appelant dans l’entreprise de Commons. Je crois que l’appelant aurait dû présenter des éléments de preuve additionnels à l’appui de la thèse selon laquelle les Canadiens exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice du fait qu’ils avaient investi 5 000 $ aux fins d’une participation directe d’un pour cent dans le bien relatif au pétrole et au gaz. De fait, même si la question du bien relatif au pétrole et au gaz a été soulevée dans les plaidoiries orales, l’appelant ne s’est pas fondé sur l’investissement relatif au pétrole et au gaz dans son exposé des faits et du droit pour montrer que les Canadiens formaient une « société de personnes ».

(vi)       Le condominium du Montana

[22]      Le condominium du Montana a été acquis le 29 décembre 1989, près d’un an et demi après la conclusion des opérations pertinentes. Il existe peu d’éléments de preuve à ce sujet si ce n’est que le condominium n’a jamais produit de bénéfice et qu’en 1996, sa valeur estimative excédait son coût d’acquisition. Rien ne montre que les Canadiens ont eu l’intention, en 1988, lorsqu’ils se sont joints à Commons, d’acquérir le condominium du Montana ou de l’exploiter en vue de réaliser un bénéfice. Il n’est pas évident que le condominium du Montana doive être pris en considération lorsqu’il s’agit de déterminer si, en 1988, les Canadiens étaient membres d’une société de personnes. Comme c’est le cas pour la participation relative au pétrole et au gaz, l’appelant ne se fonde pas, dans son mémoire, sur le condominium du Montana pour affirmer qu’au moment pertinent, il existait un élément accessoire de profit.

(vii)      Les documents

[23]      Il est certain que l’on a minutieusement préparé une série de documents, afin que Commons continue d’être une société en commandite et que les Canadiens deviennent des commandités et des commanditaires de la société. Si on tient uniquement compte des documents, il est possible de conclure que c’est ce que les Canadiens ont fait.

[24]      Toutefois, Commons n’a en fait exploité aucune entreprise après que les Canadiens en eurent obtenu la cession. Contrairement à ce qui s’était produit dans l’affaire Continental Bank, aucun bénéfice n’a été généré ou distribué aux Canadiens. Dans l’arrêt Continental Bank, le juge Bastarache a fait remarquer qu’il est possible de créer une société de personnes pour conclure une seule opération. Toutefois, il faut respecter la définition de la société de personnes. Aux pages 327 et 328, le juge fait les remarques suivantes :

Tant que les parties ne créent pas l’équivalent d’une coquille vide qui n’exploite dans les faits aucune entreprise, le fait que la société en nom collectif ait été créée pour une seule opération est sans conséquence.

De même, dans la mesure où la définition de l’art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif est respectée, une personne peut créer une telle société dans le but de se prévaloir du par. 97(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il est reconnu que la définition de société en nom collectif exige qu’une entreprise soit véritablement exploitée, mais que cette exigence ne s’applique pas dans le cas des corporations. Toutefois, le principe demeure qu’une personne devrait être autorisée à créer une société en nom collectif aux fins d’une opération unique.

En l’espèce, en ce qui concerne la participation des Canadiens, Commons était une coquille vide qui n’exploitait pas réellement une entreprise. Une fois les Canadiens devenus membres de Commons, il y a simplement eu une série d’opérations qui a entraîné la disposition de l’immeuble d’appartements de Dallas et l’acquisition du bien canadien relatif au pétrole et au gaz. Comme il a déjà été conclu, les Canadiens n’exploitaient pas une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice à l’égard de l’immeuble d’appartements de Dallas ou du bien relatif au pétrole et au gaz.

[25]      Dans l’arrêt Continental Bank, le juge Bastarache dit que l’existence d’une société de personnes est tributaire des faits et circonstances propres à chaque espèce. Aux pages 317 et 318, voici ce qu’il dit :

L’existence d’une société en nom collectif est tributaire des faits et circonstances propres à chaque espèce. Elle est également fonction de l’intention véritable des parties. Comme il est indiqué dans Lindley & Banks on Partnership (17e éd. 1995), à la p. 73 : (traduction) « pour déterminer l’existence d’une société en nom collectif (…) il faut tenir compte du contrat et de l’intention véritables des parties ressortant de l’ensemble des faits de l’affaire ».

Dans l’arrêt LePage (A.E.) Ltd. v. Kamex Developments Ltd. et al., précité, le juge Blair de la Cour d’appel a conclu que la question de savoir s’il existait une société de personnes [traduction] « dépend de leur intention, telle qu’elle est révélée par les faits de l’affaire »[8]. En l’espèce, on ne saurait déterminer s’il existe une société de personnes en se fondant exclusivement sur les documents. Tous les faits doivent être pris en considération et, lorsqu’ils le sont, il est évident que la définition de la société de personnes n’est pas respectée[9].

(viii)     Conclusion relative à la question de savoir si le partage d’un bénéfice était un but accessoire

[26]      Je conclus que lorsqu’ils étaient membres de Commons, les Canadiens n’exploitaient ni l’immeuble d’appartements de Dallas ni l’investissement relatif au pétrole et au gaz en vue de réaliser un bénéfice. Par conséquent, contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire Continental Bank, il n’y avait pas d’« élément véritable, bien qu’accessoire, de profit » permettant d’inférer qu’une entreprise était exploitée en vue de réaliser un bénéfice afin de respecter la définition de société de personnes.

2.         Les Canadiens étaient-ils associés par suite de la cession des participations dans Commons?

[27]      La conclusion selon laquelle il n’existait pas de but accessoire de partage des bénéfices veut-elle inévitablement dire qu’après avoir acquis leurs participations dans Commons, les Canadiens ne formaient pas une société de personnes? Les Canadiens avaient obtenu par cession des participations dans la société de personnes. L’intimée concède qu’avant que les Canadiens n’acquièrent leurs participations, Commons était une société en commandite légitime. Par suite de la cession de participations dans Commons, les Canadiens devenaient-ils membres d’une société de personnes même si leur association ne respectait pas la définition de la société de personnes?

(i)         La preuve d’expert

[28]      Devant le juge de la Cour de l’impôt, on a présenté en preuve l’opinion émise le 10 décembre 1996 par Alan R. Bromberg, professeur de droit à l’université Southern Methodist et avocat chez Jenkins & Gilchrist. Le professeur Bromberg est entre autres l’auteur d’ouvrages et d’articles sur la société de personnes; il a rédigé des parties importantes des lois du Texas sur les sociétés de personnes. Le professeur Bromberg était d’avis qu’en vertu du droit du Texas, Commons était une société de personnes légitime lorsque les Canadiens en sont devenus membres. Aux paragraphes 3.15 et 4 de son opinion, voici ce qu’il dit :

[traduction] 3.15 Une société en commandite est constituée conformément à l’article 3 de la TUPA. Après avoir été légitimement constituée, Commons a continué à exister à titre de société en commandite légitime même si ses activités, ses membres et son entreprise déclarée ont changé, et ce, tant qu’elle n’a pas été dissoute ou liquidée ou tant qu’il n’a pas été mis fin à ses activités. Article 30 de la TUPA, alinéa 25a) de la TULPA. Voir Alan R. Bromberg, Partnership Dissolution : Causes, Consequences and Cures, 43 Texas Law Review 631, aux pages 640 à 644 (1965). Commons n’a pas été dissoute par suite des événements.

4. Conclusion. Étant donné que toutes les mesures qui ont été décrites étaient autorisées et qu’aucune de ces mesures n’a eu pour effet de dissoudre la société de personnes : (1) Commons était une société de personnes légitime lorsque les résidents canadiens ont acquis leurs participations; (2) les résidents canadiens sont devenus membres de Commons. Cette conclusion est fondée sur les hypothèses et assujettie aux restrictions énoncées dans la partie V ci-dessous.

(ii)        La conclusion tirée par le juge de première instance

[29]      Le juge de première instance a rejeté l’opinion du professeur Bromberg. À la page 1483 de ses motifs, voici ce qu’il dit :

Je conclus que les Canadiens n’étaient pas des associés en ce qui concerne la propriété de l’ensemble d’habitations de Dallas. Ma conclusion ne correspond pas à l’opinion d’expert du professeur Bromberg. Toutefois, le professeur Bromberg ne s’est nullement demandé dans son opinion si les Canadiens exploitaient « une entreprise dans un but lucratif ». La Cour d’appel fédérale a statué qu’au Canada, l’exploitation d’une entreprise dans le but de réaliser un bénéfice constitue un élément important lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne peut être considérée comme un associé. En l’absence de cet élément, il n’y a pas de société pour l’application de la Loi.

[30]      Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la cession des participations dans la société de personnes n’aidait pas les Canadiens. Même si Commons était une société en commandite et même si les exigences de la loi applicable du Texas ont été observées quant à la forme, cela ne changeait rien au fait que la définition de la société de personnes n’était pas respectée. À la page 1483, le juge fait les remarques suivantes :

L’avocat de l’appelant a soutenu que, contrairement aux contribuables dans l’affaire Continental Bank, les Canadiens n’avaient pas créé la société, mais qu’ils avaient acquis des participations dans une société existante. Cette distinction n’aide pas l’appelant. Même si Commons était une société en commandite et que les Canadiens ont observé les exigences de la loi applicable en acquérant les participations dans la société, il n’y avait pas entre les Canadiens de relation dans le cadre de laquelle ils exploitaient une entreprise dans le but de réaliser un bénéfice, ce qu’est par définition une société. Cette relation doit exister entre les associés, et ce, qu’ils créent une nouvelle société ou qu’ils deviennent membres d’une société existante. Il importe peu que les associés soient des commanditaires ou qu’ils soient des commandités.

(iii)       Les opinions contradictoires

[31]      Il s’agit essentiellement de savoir si, lorsque les participations dans Commons ont été cédées, les Canadiens sont devenus membres de la société. Selon le professeur Bromberg, le fait qu’une entreprise est exploitée en vue de réaliser un bénéfice n’est pas pertinent, puisqu’il n’y a pas eu dissolution et liquidation. Le juge de première instance a estimé que les Canadiens n’étaient pas devenus des associés de Commons parce qu’ils n’exploitaient pas une entreprise en vue de réaliser un bénéfice, ce qui constitue une exigence de la définition de la société de personnes.

(iv)       Le droit applicable

[32]      Commons était une société en commandite inscrite au Texas. Le droit applicable est celui du Texas. Dans l’arrêt Spire Freezers Ltd. c. Canada, [1999] 4 C.F. 381 (C.A.), le juge Linden, J.C.A., au nom de la majorité, a dit ce qui suit, à la page 394 de ses motifs :

Comme la Loi de l’impôt sur le revenu ne définit pas ce qu’est une société de personnes, ce sont les règles de droit de la juridiction compétente qui doivent être invoquées pour justifier toute affirmation quant à l’existence d’une société de personnes. [Dans ce cas-là, l’État en cause était la Californie.]

À la page 419 des motifs qu’il a prononcés en dissidence, le juge Robertson, J.C.A. mentionne la décision analogue du juge de la Cour de l’impôt :

Le juge de la Cour de l’impôt a reconnu que la création et la dissolution de la société de personnes devaient être déterminées en fonction du droit californien.

Voir également Robert Couzin, « The Law of Partnership and the Taxation of Partners » dans Partnership Taxation (Mississauga, Ont : Insight Press, 1989), à la page 1 et Dale c. Canada, [1997] 3 C.F. 235 (C.A.), aux pages 255 et 256 (le juge Robertson, J.C.A.). Il faut donc déterminer si les Canadiens étaient des associés de Commons en vertu du droit du Texas.

(v)        Preuve du droit applicable au Texas

[33]      De l’avis du professeur Bromberg, Commons n’a pas été dissoute et, puisque toutes les exigences documentaires et procédurales ont été satisfaites, les Canadiens sont devenus des associés de Commons. Il existe peu d’éléments de preuve au sujet de la question de savoir si la définition de la société de personnes a été respectée et si, au Texas, cette définition doit être respectée pour qu’une personne soit considérée comme un associé. Dans son opinion principale, le professeur Bromberg n’aborde pas la question; il appert que ce sont les avocats qui l’ont soulevée. Dans une lettre datée du 8 janvier 1997, l’avocat de l’appelant a informé l’avocat de l’intimée de ce qui suit :

[traduction] Vous m’avez prié de demander à M. Bromberg si, en exprimant son opinion, il s’est demandé s’il y avait pour la société de personnes une attente raisonnable de profit. M. Bromberg m’informe qu’il ne s’est pas arrêté à la question parce qu’il ne s’agissait pas d’une considération pertinente.

[34]      On ne sait pas trop pourquoi le professeur Bromberg estimait que la question de savoir si l’entreprise était exploitée en vue de réaliser un bénéfice n’était pas pertinente. Il est possible qu’à son avis, il ne soit tout simplement pas nécessaire que les sociétés en commandite respectent la définition de la société de personnes figurant dans la Texas Uniform Partnership Act. Il est également possible que la société en commandite doive respecter la définition au moment de sa création, mais qu’elle ne soit pas tenue de la respecter d’une façon continue par la suite. Si c’est le cas, des personnes peuvent devenir des associés parce qu’elles ont été admises ou parce qu’elles ont obtenu par cession des participations d’anciens associés même si elles n’exploitent pas l’entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Ou encore il est possible que les faits pertinents n’aient pas été portés à la connaissance du professeur Bromberg lorsqu’il a exprimé son opinion. Il peut y avoir d’autres raisons pour lesquelles le professeur Bromberg ne considérait pas la question comme pertinente.

[35]      Toutefois, l’affaire dont la Cour est ici saisie porte précisément sur cette question. Même en droit canadien, le règlement de la question n’est pas évident. En l’espèce, le juge de première instance a conclu qu’il fallait respecter la définition. Dans la décision Central Supply Co. c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2320 (C.C.I.), le juge Bell, J.C.I. est arrivé à la conclusion contraire.

[36]      Je ne puis dire, en me fondant sur la preuve du droit applicable du Texas qui a été versée au dossier, s’il fallait respecter la définition de la société de personnes figurant dans la Texas Uniform Partnership Act [Texas Rev. Civ. Stat. Art. 6132b] lorsque les Canadiens ont obtenu par cession leurs participations dans Commons. Même si l’opinion du professeur Bromberg pouvait être interprétée comme voulant dire qu’il n’était pas nécessaire de respecter la définition en vertu du droit applicable au Texas, l’explication fournie est loin d’être suffisante pour qu’il soit possible d’accorder à cette opinion une véritable importance.

[37]      Je reconnais que, dans son opinion principale, le professeur Bromberg a mentionné les dispositions de la Texas Uniform Partnership Act et de la Texas Uniform Limited Partnership Act [Texas Rev. Civ. Stat. Art. 6132a] à l’appui de la conclusion selon laquelle, une fois constituée, la société en commandite continue à exister même si ses activités, ses membres ou son entreprise déclarée ont changé, et ce, tant qu’elle n’est pas dissoute ou liquidée ou tant qu’il n’est pas mis fin à ses activités. Toutefois, dans ce cas-ci, la situation n’a rien à voir avec pareils changements. En l’espèce, la situation est inhabituelle : nous avons affaire à des personnes qui sont censées devenir des commandités et des commanditaires, mais qui n’exploitent pas une entreprise à titre de copropriétaires en vue de réaliser un bénéfice. Par conséquent, on peut avec raison se demander si, en vertu du droit du Texas, un nouveau venu peut devenir un commandité ou un commanditaire et si une société en commandite continue à exister lorsque les nouveaux venus ne respectent pas la définition de la société de personnes. L’opinion du professeur Bromberg répond peut-être implicitement à cette question. Toutefois, pour que cette Cour reconnaisse que le droit du Texas n’exige pas que la définition de la société de personnes soit respectée eu égard aux circonstances de la présente espèce, il faut que l’expert fournisse plus de renseignements que ceux qu’il a ici fournis. Je crois que les remarques que le juge Mahoney, J.C.A. a faites dans l’arrêt Capitol Life Insurance Co. c. R.[10] sont pertinentes dans ce cas-ci :

[…] le témoin en l’espèce [Westgate v. Harris, [1929] 4 D.L.R. 643 (C.A. Ont)], au cours de son interrogatoire oral, a formulé une conclusion non motivée et dépourvue de tout fondement doctrinal ou jurisprudentiel. Dans ce contexte, la Cour n’a fait que reprendre une règle de droit bien établie : l’importance à accorder à un témoignage d’expert ressortit à l’appréciation du juge des faits et une conclusion d’expert qui n’est pas adéquatement expliquée et fondée peut à juste titre être considérée comme n’ayant aucune force probante. La simple opinion d’un avocat, si elle n’est pas fondée sur des références législatives et jurisprudentielles, n’est pas davantage susceptible de prouver le droit étranger de façon qui satisfasse la Cour que, par exemple, la simple opinion d’un évaluateur foncier, sans mention de propriétés et de transactions comparables, est susceptible de la convaincre de la valeur d’une parcelle de terrain.

Compte tenu de la preuve fournie par le professeur Bromberg à l’égard du droit applicable au Texas, je ne suis pas prêt à me prononcer sur la question de savoir si le droit du Texas reconnaît qu’une société en commandite autrefois légitime continue à exister lorsque les participations des commandités et des commanditaires ont été cédées à des personnes qui n’exploitent pas une entreprise à titre de copropriétaires en vue de réaliser un bénéfice, ou reconnaît que les cessionnaires sont devenus des associés.

(vi)       Application du droit canadien tenant lieu de preuve

[38]      Lorsque c’est la loi étrangère qui s’applique dans une affaire, il s’agit d’une question de fait qui doit être expressément plaidée et établie à la satisfaction de la Cour[11]. Le professeur J.-G. Castel a résumé les conséquences de l’omission d’une partie de faire la preuve du droit étranger :

[traduction] Si le droit étranger n’est pas plaidé et établi ou s’il est établi d’une façon insuffisante, il est présumé être le même que celui du tribunal saisi. Cela semble comprendre les lois ainsi que le droit établi au moyen de décisions judiciaires[12].

[39]      Le professeur Castel reconnaît que certains tribunaux canadiens ont hésité à appliquer la présomption selon laquelle le droit du ressort étranger est le même que celui du tribunal saisi lorsque le droit de pareil tribunal est établi par une loi[13]. Toutefois, dans l’arrêt Fernandez c. Le « Mercury Bell   »[14], le juge Marceau, J.C.A., a statué que la distinction importante ne consiste pas à savoir si le droit du tribunal saisi est établi par une loi ou par la common law :

Une constante se dégage toutefois de la lecture des différents jugements, soit la réticence des juges à trancher des litiges mettant en cause des étrangers et le droit d’un autre pays en se fondant sur des dispositions de notre législation particulières à des situations locales, liées à des conditions locales ou établissant des exigences réglementaires. Cette réticence procède d’une distinction entre les dispositions de fond à caractère général, et les autres dispositions, qui sont à caractère interne ou réglementaire; cette distinction, que je considère entérinée de façon formelle par le juge Cartwright dans les deux passages que je viens de citer, est, contrairement à la simple division opérée entre la common law et le droit écrit, tout à fait raisonnable[15]. [Non souligné dans l’original.]

Dans un avis concordant distinct, le juge Hugessen, J.C.A., a fait remarquer que, même à l’époque où le droit anglais était en général d’origine jurisprudentielle, il n’aurait probablement pas été soutenu qu’une loi d’application générale ne devait pas être visée par la règle relative à la présomption :

Ma seconde remarque concerne la suggestion de certains auteurs selon laquelle la loi du tribunal saisi vise uniquement la common law établie dans les décisions judiciaires, à l’exclusion du droit écrit. Là encore, je crois que les formulations qui ont été faites de la règle sont empreintes du contexte historique et remontent à l’époque où le droit anglais était en très grande partie d’origine jurisprudentielle; les lois parlementaires constituaient des exceptions et ne faisaient pas partie du droit ordinaire. Toutefois, je doute que, même à cette époque, il aurait été soutenu qu’une loi d’application générale telle, par exemple, le Bills of Exchange Act (Loi sur les lettres de change) n’était pas applicable et que la cour devait débusquer dans les recoins de l’histoire l’état du droit précédant son adoption. À mon avis, cette règle, formulée comme elle doit l’être, porte que la cour appliquera uniquement les éléments de la loi du tribunal saisi qui font partie du droit général du pays[16].

[40]      Je crois que la législation concernant les sociétés de personnes est un exemple de droit législatif d’application générale. Les sociétés de personnes n’ont rien d’intrinsèquement local ou de particulier, et le droit dans ce domaine est à peu près le même dans les divers ressorts.

[41]      En l’espèce, le droit canadien pertinent est celui qui s’applique en Alberta, en particulier la Partnership Act, précitée. L’Alberta est la province dans laquelle l’appelant travaille et réside et dans laquelle Commons a été inscrite à titre de société en commandite[17].

(vii)      La définition s’applique-t-elle aux sociétés en commandite?

[42]      Comme je l’ai déjà indiqué à l’égard de la question de savoir si la définition législative doit être respectée, les avis exprimés dans les décisions de la Cour de l’impôt sont partagés. En l’espèce, le juge de première instance a conclu que, pour qu’une société de personnes existe, la définition devait être respectée. Dans la décision Central Supply Co., le juge Bell, J.C.I., est arrivé à la conclusion contraire [à la page 2341] :

L’avocat de l’intimé a admis qu’en l’espèce les sociétés en commandite étaient légitimes au départ. Il n’y a aucun acte de procédure qui indique, et l’avocat n’a pas soutenu, que celles-ci avaient cessé d’exister. Pourtant, il a fait valoir que les appelantes ne pouvaient devenir des associées parce qu’il n’existait plus de chances de réaliser des bénéfices au moment où elles se sont mises de la partie. Les appelantes n’ont pas créé les sociétés en commandite. Elles ont rempli les conditions législatives requises pour en devenir des associées à une date ultérieure. Or, comment peut-on prétendre qu’une personne ne peut devenir un associé d’une société existante lorsque cette personne a satisfait à toutes les exigences de la loi même en vertu de laquelle cette société a été créée? En ce qui concerne le renvoi à Lindley, précité, j’estime que le passage cité doit être lu dans le contexte des dispositions de la Partnership Act de l’Alberta relative aux sociétés en commandite, dans le contexte de la disposition particulière de la Loi qui attribue des dépenses déductibles à un contribuable qui est un associé d’une société de personnes à la fin de l’exercice de celle-ci, et dans le contexte du recours aux sociétés de ce genre comme mécanismes de financement créés par suite de programmes gouvernementaux d’encouragement des secteurs pétrolier et gazier[18].

[43]      La partie 2 de la Partnership Act de l’Alberta est intitulée [traduction] « Sociétés en commandite ». L’article 48 est ainsi libellé :

[traduction]

48 Dans le cas des sociétés en commandite, les dispositions de la présente loi sont interprétées sous réserve de la présente partie.

J’interprète l’article 48 comme voulant dire que la Partnership Act s’applique en entier aux sociétés en commandite, mais que d’autres dispositions de la Loi sont assujetties à la partie 2. En d’autres termes, d’autres dispositions de la Partnership Act s’appliqueront aux sociétés en commandite, mais elles pourront être écartées ou modifiées par les dispositions de la partie 2.

[44]      Existe-t-il dans la partie 2 une disposition qui a pour effet d’écarter ou de modifier la définition de la société de personnes figurant à l’article premier de la Loi? Je ferai d’abord remarquer que l’article premier de la Loi précède la partie I, intitulée [traduction] « Les sociétés de personnes ordinaires »; la partie 2, intitulée [traduction] « Les sociétés en commandite »; et la partie 3 intitulée [traduction] « Dispositions générales ». J’infère que le législateur voulait que la définition s’applique à toutes les parties de la Loi et à toutes les sociétés de personnes.

[45]      Les dispositions précises de la partie 2 permettent également de conclure que la définition s’applique aux sociétés en commandite. Le paragraphe 50(1) prévoit qu’une société en commandite peut être constituée en vue d’exploiter toute entreprise qu’une société de personnes ordinaire peut exploiter.

[traduction]

50 (1) Sous réserve de la présente partie, une société en commandite peut être constituée en vue d’exploiter toute entreprise qu’une société sans commanditaires peut exploiter.

Il est donc expressément prévu qu’une société en commandite peut être constituée en vue d’exploiter une entreprise. Rien ne montre qu’une société en commandite puisse être constituée à quelque autre fin.

[46]      Le paragraphe 51(1) prévoit que la société en commandite est constituée dès qu’un certificat fondamentalement conforme au paragraphe 51(2) est déposé auprès du registrateur et enregistré par ce dernier. Les alinéas 51(2)b) et h) sont ainsi libellés :

[traduction]

51 […]

(2) Le certificat est signé par toutes les personnes qui désirent constituer une société en commandite; il contient les renseignements suivants :

[…]

b) la nature de l’entreprise;

[…]

h) la quote-part des bénéfices ou de toute autre rémunération sous forme de revenu à laquelle chaque commanditaire a droit en raison de son apport.

Ici encore, les dispositions législatives concernant le certificat prévoient que la société en commandite exploite une entreprise et qu’elle génère des bénéfices ou une autre rémunération sous forme de revenu. Ces conditions sont conformes à la définition de la société de personnes.

[47]      En vertu de l’article 63, la responsabilité du commanditaire n’est pas limitée s’il participe à la direction de l’entreprise. Dans la décision Central Supply, précitée, il a été soutenu que cette disposition laisse implicitement entendre qu’on ne s’attend pas à ce que le commanditaire exploite une entreprise au sens de la définition de la société de personnes figurant dans la Loi. Je ne suis pas d’accord. L’article 63 se lit comme suit :

[traduction]

63 Le commanditaire n’est pas responsable au même titre qu’un commandité sauf si, en plus d’exercer les droits et pouvoirs qui lui sont conférés à titre de commanditaire, il participe à la direction de l’entreprise.

Habituellement, la société en commandite est composée d’un commandité qui dirige l’entreprise et de commanditaires qui effectuent un apport de nature financière ou autre, mais qui ne participent pas activement à l’exploitation de l’entreprise. Toutefois, cela ne veut de toute évidence pas dire que la société en commandite n’exploite pas une entreprise. L’entreprise est exploitée en commun par tous les associés, mais elle est dirigée par le commandité.

[48]      Étant donné que l’article premier s’applique à la Loi dans son ensemble et compte tenu des dispositions de la partie 2 dans lesquelles il est fait mention de l’exploitation d’une entreprise et du partage des bénéfices sous forme de revenu, je conclus que la définition de la société de personnes et, en particulier, l’exigence selon laquelle il doit exister une relation entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice, s’applique aux sociétés en commandite.

(viii)     La définition doit-elle être respectée en cas de cession?

[49]      Le fait que des personnes sont réputées devenir des associés au moyen de la cession de participations dans une société en commandite qui existait déjà légitimement veut-il dire qu’il n’est pas nécessaire de respecter la définition? Je ne le crois pas. Toute autre conclusion donnerait lieu à une contradiction, à savoir qu’une société en commandite qui vient d’être constituée doit respecter la définition, alors qu’une société en commandite légitime qui existait déjà et qui n’a plus les attributs de la définition n’a pas à respecter cette définition. Je ne puis expliquer rationnellement cette contradiction. Bien sûr, l’exigence selon laquelle il faut respecter la définition ne veut pas dire qu’une société en commandite cesse d’être une société de personnes à cause de pertes périodiques ou de pertes subies à court terme. Il s’agit de savoir si l’on exploite l’entreprise dans le but de réaliser un bénéfice et, tant que pareil but existe[19], la définition est respectée.

[50]      Lindley & Banks on Partnership, 16e édition, au paragraphe 2-05 traite expressément de cette situation :

[traduction] Toutefois, il est présumé que si un « associé » est devenu membre de la société de personnes uniquement dans le but de se voir attribuer une perte fiscale (ou autrefois une déduction pour amortissement) et que s’il était au départ prévu que tant qu’il serait membre de la société, aucun bénéfice (au sens de gains nets) ne serait tiré de l’exploitation de l’entreprise, on ne peut pas dire qu’il a l’intention nécessaire de « réaliser un bénéfice » pour être admissible à titre d’associé.

Ce passage s’applique aux faits de l’affaire dont la Cour est ici saisie. Selon le juge de première instance, l’appelant est devenu membre de Commons uniquement dans le but d’acquérir une perte fiscale. Par conséquent, il ne serait pas admissible à titre d’associé.

[51]      Au paragraphe 2-05 de Lindley & Banks on Partnership, 17e édition, l’auteur a modifié le passage précité :

[traduction] Cependant, lorsqu’il peut être établi que l’unique raison pour laquelle une société de personnes est mise sur pied est de conférer à un associé l’« avantage », par exemple, d’une perte fiscale, alors que les parties n’envisagaient nullement qu’un bénéfice au sens susmentionné puisse être tiré de l’exploitation de l’entreprise en cause, la société de personnes ne peut réellement être considérée comme ayant été créée « dans le but de réaliser un bénéfice ».

L’appelant dit que le fait que le libellé a été modifié d’une édition à l’autre est important parce que la modification met l’accent sur la constitution d’une société de personnes plutôt que sur l’admission d’une personne dans une société de personnes et que l’exigence selon laquelle il faut respecter la définition se limite à la constitution des sociétés de personnes. Je crois que le libellé de la 17e édition veut dire la même chose que celui de la 16e édition. Ce passage figure dans la Partie I, sous la rubrique [traduction] « La nature de la société de personnes ». Il y est question des sociétés de personnes en général. Dans la 17e édition, il est fait mention de la constitution d’une société de personnes, mais lorsque la question des sociétés de personnes en général est examinée, l’admission de nouveaux membres et le départ des associés existants sont considérés comme entraînant la constitution d’une nouvelle société de personnes, à condition bien sûr que les éléments nécessaires de la définition de la société de personnes soient présents. Au paragraphe 3-04 de Lindley & Banks, 17e édition, voici ce que l’auteur dit :

[traduction]

Lord Lindley a énoncé la position juridique classique comme suit :

« Le droit ne tient pas compte de la société, il tient compte des associés qui la composent; tout changement survenu à leur égard a pour effet de détruire la nature de la société; ce qu’on appelle les biens de la société sont les biens des associés et ce qu’on appelle les dettes et obligations de la société sont les dettes et obligations des associés. »

Je crois que le libellé du paragraphe 2-05 de la 17e édition de Lindley & Banks doit être interprété dans ce contexte. À mon avis, l’énoncé du droit figurant dans la 16e édition n’a pas été modifié dans la 17e édition.

[52]      Les dispositions de la Loi concernant les sociétés en commandite prévoient que les participations dans la société en commandite peuvent être cédées et que des commanditaires peuvent être subrogés dans leurs droits (article 65). Toutefois, je n’interprète pas ces dispositions comme conférant à la société en commandite une existence quelconque indépendante de l’exigence selon laquelle il faut respecter la définition de la société de personnes.

[53]      Je ne vois rien dans les dispositions de la partie 2 concernant les sociétés en commandite qui ait pour effet de rendre la définition de la société de personnes inapplicable aux sociétés en commandite ou qui laisse entendre qu’il faut respecter la définition seulement lorsqu’une nouvelle société en commandite est constituée, mais non lorsque des participations dans la société de personnes sont par la suite acquises.

CONCLUSION

[54]      Les Canadiens étaient censés devenir commandités de Commons, mais ils n’entretenaient pas une relation dans laquelle ils exploitaient une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. Par conséquent, ils ne sont pas devenus des commandités de Commons. L’article 66 de la Partnership Act de l’Alberta prévoit qu’une société en commandite est dissoute lorsqu’un commandité se retire, à moins que les commandités restants ne continuent d’exploiter l’entreprise. L’article 66 prévoit que pour que l’entreprise continue à être exploitée, il doit rester des commandités. L’article 66 est ainsi libellé :

[traduction]

66 La société en commandite est dissoute par le retrait, le décès ou l’incapacité mentale d’un commandité, à moins que les commandités restants ne continuent d’exploiter l’entreprise :

a) conformément à un droit de ce faire énoncé dans le certificat;

b) par consentement unanime des associés restants.

Lorsque les Américains ont cédé aux Canadiens les participations qu’ils détenaient dans Commons et se sont retirés de Commons, il ne restait plus aucun commandité qui puisse continuer à exploiter l’entreprise de Commons. Dans ce cas-ci, Commons a été dissoute lorsque les Américains se sont retirés à titre de commandités. À ce moment-là, Commons n’était plus qu’un groupe de personnes qui étaient copropriétaires de certains biens.

[55]      Je conclus que l’appelant n’était pas membre d’une société de personnes lorsque Commons a aliéné l’immeuble d’appartements de Dallas. L’appel est rejeté avec dépens.

Le juge en chef Isaac : Je souscris à cet avis.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris à cet avis.



[1]  S.C. 1970-71-72, ch. 63.

[2]  L.R.C. (1985), ch. C-44 [mod. par L.C. 1994, ch. 24, art. 1].

[3]  Voir par ex. Partnership Act, R.S.A. 1980, ch. P-2, art. 1d).

[4]  Voir Texas Uniform Partnership Act, Texas Rev. Civ. Stat. Art. 6132b, § 6.

[5]  [1998] 2 R.C.S. 298.

[6]  La preuve et l’argumentation ne montraient pas clairement si le gain sur le change était traité différemment aux fins de l’impôt, selon que l’appelant était membre ou non d’une société de personnes. Si l’appelant ne doit pas être considéré comme un associé à l’égard des pertes, il ne devrait pas non plus l’être à l’égard du gain sur le change.

[7]  LePage (A.E.) Ltd. v. Kamex Developments Ltd. et al. (1977), 16 O.R. (2d) 193 (C.A.); conf. par la Cour suprême du Canada dans [1979] 2 R.C.S. 155.

[8]  À la p. 195.

[9]  Cela ne veut pas dire que les opérations conclues par les Canadiens constituaient un trompe-l’œil. Les Canadiens avaient l’intention de devenir membres de Commons. Étant donné que dans le cadre de leur relation, ils n’exploitaient pas une entreprise dans le but de réaliser un bénéfice, les Canadiens n’ont pas donné suite à leurs intentions. Toutefois, il n’y a pas eu tromperie en ce sens que les Canadiens auraient tenté de donner l’impression qu’il s’agissait d’opérations autres que celles qui ont réellement été conclues.

[10]  [1986] 2 C.F. 171 (C.A.), aux p. 176 et 177.

[11]  J.-G. Castel, Canadian Conflict of Laws, 4e éd. (Toronto: Butterworths, 1997), à la p. 155.

[12]  Id., à la p. 161.

[13]  Id., aux p. 161 et 162.

[14]  [1986] 3 C.F. 454 (C.A.).

[15]  Id., à la p. 466.

[16]  Id., aux p. 468 et 469.

[17]  En appliquant la Partnership Act de l’Alberta, la Cour ne dit de toute évidence pas que le droit du Texas et le droit de l’Alberta sont identiques, mais uniquement qu’en l’absence d’une preuve satisfaisante du droit existant au Texas, la Cour applique le droit du tribunal saisi.

[18]  En appel, le juge McDonald, J.C.A., qui était dissident, semble avoir reconnu que les contribuables étaient membres d’une société en commandite, mais dans ses motifs, il n’analyse pas la question. Voir Canada c. Central Supply Company (1972) Ltd., [1997] 3 C.F 674 (C.A.), à la p. 714.

[19]  Y compris, selon toute probabilité, la minimisation des pertes.

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