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[2000] 4 C.F. 211

T-32-99

The Royal Bank of Scotland plc. (demanderesse)

c.

Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Golden Trinity » et Golden Trinity Maritime Inc. (défendeurs)

T-38-99

The Royal Bank of Scotland plc. (demanderesse)

c.

Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Kimisis III » et Madonna Navigation (Malta) Limited (défendeurs)

T-119-99

The Royal Bank of Scotland plc. (demanderesse)

c.

Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Ypapadi » et Ypapadi Maritime Inc. (défendeurs)

Répertorié : Royal Bank of Scotland plc. c. Golden Trinity (Le) (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave Vancouver, 24 et 29 mai 2000.

Pratique — Affidavits — Portée du contre-interrogatoire sur les affidavits de réclamation dans le cadre d’une procédure visant à faire déterminer l’ordre de priorité pour la répartition du produit de la vente d’un navire — Étendue de l’obligation du déclarant de s’informer dans le cas d’un affidavit de société — Étendue de la production de documents sur lesquels les auteurs des affidavits peuvent être contre-interrogés.

Droit maritime — Pratique — Portée du contre-interrogatoire sur les affidavits de réclamation dans le cadre d’une procédure visant à faire déterminer l’ordre de priorité pour la répartition du produit de la vente d’un navire — Étendue de l’obligation du déclarant de s’informer dans le cas d’un affidavit de société — Étendue de la production de documents sur lesquels les auteurs des affidavits peuvent être contre-interrogés.

Tramp Oil & Marine Ltd. (Tramp Oil), un fournisseur d’approvisionnements nécessaires qui fait une réclamation à l’égard du produit de la vente du navire, plaide pour une large portée tant du contre-interrogatoire sur les affidavits de réclamation que de la production de documents; soutient que le contre-interrogatoire ne se limite pas à l’affidavit, de sorte qu’il soit possible de s’enquérir non seulement de la nature, du bien-fondé et de la priorité des demandes faites par la Royal Bank of Scotland plc. (Banque d’Écosse) en vertu de sa garantie hypothécaire, mais également de l’étendue de toute valeur nette qui pourrait exister et qui pourrait réduire les réclamations de la Banque d’Écosse, tout en augmentant le produit de la vente disponible pour Tramp Oil qui peut prendre rang après la Banque d’Écosse dans la collocation. De plus, elle a également prétendu que l’auteur de l’affidavit de réclamation doit, lorsqu’il est incapable de répondre à une question pertinente, être tenu de s’informer lui-même. La Banque d’Écosse a fait valoir qu’un contre-interrogatoire acceptable sur les affidavits de réclamation ne doit pas porter sur des conjectures mais sur les faits qui y sont allégués et sur des documents dûment accessibles. En ce qui concerne les documents, la Banque d’Écosse a prétendu qu’il faut se limiter aux documents produits au soutien de l’affidavit. Elle s’oppose également à ce que les déclarants doivent s’informer eux-mêmes lorsqu’ils ne peuvent répondre à une question en particulier.

Le protonotaire a indiqué que des principes particuliers peuvent s’appliquer au contre-interrogatoire sur les affidavits produits au soutien d’une requête pour faire déterminer l’ordre de priorité à l’égard du produit de la vente d’un navire, puisqu’une telle procédure sommaire, qui n’est pas un procès, est l’aboutissement de l’action par laquelle le navire a été saisi et vendu. Il a également tenu compte de la nature sommaire de la procédure pour faire déterminer l’ordre de priorité et du besoin de garder la paperasserie et le nombre de documents produits à l’intérieur de limites raisonnables.

Deux approches s’opposent quant à la portée du contre-interrogatoire sur un affidavit, savoir la portée large et la portée limitée, les deux étant soutenues par des autorités. Les deux ont été étudiées. Lorsque l’ordre de priorité doit être déterminé sur requête, les principes suivants s’appliquent à l’interrogatoire sur des affidavits de réclamation.

Premièrement, le contre-interrogatoire sur des affidavits doit se limiter aux questions de fait ressortant de l’affidavit du déclarant et des autres affidavits produits dans le cadre de l’instance pour faire déterminer l’ordre de priorité, des réponses qui ont suscité des questions accessoires et des documents joints aux affidavits ou autrement déposés.

Deuxièmement, dans le cas d’un affidavit de société souscrit à l’appui d’une requête pour faire déterminer l’ordre de priorité, le déclarant a la responsabilité de s’informer de manière à pouvoir répondre adéquatement aux questions auxquelles il ne peut pas répondre. Dans une instance pour faire déterminer l’ordre de priorité, le souscripteur d’un affidavit de réclamation n’est pas tant un témoin que le mandataire d’une société partie à l’instance ou d’un réclamant. L’obligation de s’informer de manière à répondre adéquatement aux questions auxquelles il ne peut pas répondre devrait toutefois être limitée au concept de pertinence juridique, c’est-à-dire la pertinence pour ce qui est de statuer sur le redressement tel que décrit dans l’affaire Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1997), 80 C.P.R. (3d) 550 (C.F. 1re inst.) et par la question de savoir si la recherche d’information serait trop onéreuse.

Troisièmement, la production de documents lors d’un contre-interrogatoire sur affidavit est soumise à la règle 87, à l’alinéa 91(2)c) et à la règle 94. Elle a une portée relativement large lorsqu’il s’agit d’une demande d’assignation à comparaître en vertu de l’alinéa 91(2)c) pour la production de documents précis. En vertu de l’alinéa 91(2)c), les documents doivent être pertinents et être en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la personne qui est contre-interrogée. En vertu du paragraphe 94(2), la production de documents lors d’un contre-interrogatoire est limitée par le concept de la pertinence, le nombre de documents demandés et la question de savoir s’il pourrait être trop onéreux d’en exiger la production.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 223.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1998), 80 C.P.R. (3d) 550 (C.F. 1re inst.); conf. par (2000), 249 N.R. 15 (C.A.F.); Merck & Co. c. Apotex Inc. (1996), 67 C.P.R. (3d) 147; 110 F.T.R. 155 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Bland c. Commission de la capitale nationale (1989), 29 F.T.R. 232 (C.F. 1re inst.); Swing Paints Ltd. c. Minwax Company, Inc., [1984] 2 C.F. 521 (1984), 79 C.P.R. (2d) 59 (1re inst.); Thomson v. Thomson and Elliot, [1948] O.W.N. 137 (H.C. Ont.); Laflamme Fourrures (Trois-Rivières) Inc. et al. c. Laflamme Fourrures Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 315; 3 F.T.R. 48 (C.F. 1re inst.); Bank of Scotland c. Nel (Le), [1998] A.C.F. no 1499 (1re inst.) (QL); Bally-Midway Mfg. Co. c. M.J.Z. Electronics Ltd. et al. (1984), 75 C.P.R. (2d) 160 (C.F. 1re inst.); Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances) et al. (1999), 163 F.T.R. 109 (C.F. 1re inst.); Stella-Jones Inc. c. Hawknet Ltd., [2000] A.C.F. no 94 (1re inst.) (QL).

ORDONNANCE sur des affidavits de réclamation dans le cadre d’une procédure visant à faire déterminer l’ordre de priorité pour la répartition du produit de la vente d’un navire. Principes applicables.

ONT COMPARU :

Peter G. Bernard pour la demanderesse.

R. Glenn Morgan pour le réclamant Tramp Oil & Marine Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campney & Murphy, Vancouver, pour la demanderesse.

Davis & Co., Vancouver, pour le réclamant Tramp Oil & Marine Ltd.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le protonotaire Hargrave : Les présents motifs traitent en termes généraux de la portée du contre-interrogatoire sur les affidavits de réclamation dans le cadre d’une procédure visant à faire déterminer l’ordre de priorité pour la répartition du produit de la vente d’un navire. Il s’agit également de déterminer l’étendue de l’obligation de produire des documents sur lesquels les auteurs des affidavits peuvent être contre-interrogés.

PRÉTENTIONS

[2]        L’avocat de Tramp Oil & Marine Ltd. (Tramp Oil), un fournisseur d’approvisionnements nécessaires qui fait une réclamation à l’égard du produit de la vente du navire, plaide pour une large portée tant du contre-interrogatoire sur les affidavits de réclamation que de la production de documents. Tramps Oil soutient que le contre-interrogatoire ne se limite pas à l’affidavit, de sorte qu’il est possible de s’enquérir non seulement de la nature, du bien-fondé de la priorité des demandes faites par la Royal Bank of Scotland plc. (Banque d’Écosse) en vertu de sa garantie hypothécaire, mais également de l’étendue de toute valeur nette qui pourrait exister et qui pourrait réduire les réclamations de la Banque d’Écosse tout en augmentant le produit de la vente disponible pour Tramp Oil qui peut prendre rang après la Banque d’Écosse dans la collocation. De plus, selon Tramp Oil, l’auteur de l’affidavit de réclamation doit, lorsqu’il est incapable de répondre à une question pertinente, être tenu de s’informer lui-même.

[3]        L’avocat de la Banque d’Écosse fait valoir qu’un contre-interrogatoire acceptable sur les affidavits de réclamation ne doit pas porter sur des conjonctures mais sur les faits qui y sont allégués et sur des documents dûment accessibles. En ce qui concerne les documents, la Banque d’Écosse prétend qu’il faut se limiter aux documents produits au soutien de l’affidavit. À ce jour, la Banque d’Écosse a également déposé les documents pertinents auxquels les documents joints à l’affidavit font référence : cela est légitime, car parmi ceux-ci on retrouve un certain nombre de documents de garantie interreliés. Bien qu’elle croie avoir fait des efforts diligents pour que ses déclarants soient raisonnablement bien informés au sujet des événements survenus au cours des ans et soient ainsi à même de souscrire les affidavits de réclamation, la Banque d’Écosse s’oppose à ce qu’ils doivent s’informer eux-mêmes lorsqu’ils ne peuvent répondre à une question en particulier.

ANALYSE

[4]        Tramp Oil et la Banque d’Écosse se fondent toutes deux sur ce qui semble être deux courants jurisprudentiels séparés ou tout au moins sur une interprétation différente de la jurisprudence. Je noterai que des décisions qui peuvent sembler contradictoires peuvent n’être en réalité, jusqu’à un certain point, que des cas d’espèce ou le reflet de différences entre une procédure de contrôle judiciaire et une procédure prenant la forme d’une action. À cette fin, j’ai aussi gardé présent à l’esprit le fait qu’il peut être nécessaire d’appliquer des principes particuliers au contre-interrogatoire sur des affidavits produits au soutien d’une requête pour faire déterminer l’ordre de priorité à l’égard du produit de la vente d’un navire, puisqu’une telle procédure sommaire, qui n’est pas un procès, est l’aboutissement de l’action par laquelle le navire a été saisi et vendu. J’ai également tenu compte de la nature censée être sommaire de la procédure pour faire déterminer l’ordre de priorité. Au cours des dernières années, le contre-interrogatoire sur les réclamations fondées sur des garanties et hypothèques semble souvent avoir pris beaucoup d’expansion. La paperasserie et le nombre de documents produits ont de temps à autre dépassé les limites raisonnables.

Thèse de la large portée de l’interrogatoire sur un affidavit

[5]        Plaidant pour une portée plus large du contre-interrogatoire, Tramp Oil mentionne diverses autorités, dont l’affaire Bland c. Commission de la capitale nationale (1989), 29 F.T.R. 232 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Martin cite plusieurs des précédents habituels, qui s’échelonnent sur quelque 50 ans, dont plusieurs sont tirés d’un long passage de l’affaire Swing Paints Ltd. c. Minwax Company, Inc., [1984] 2 C.F. 521 (1re inst.), aux pages 529 à 531.

[6]        Tout en faisant preuve d’une certaine prudence à l’égard des décisions antérieures à février 1992, puisque le contrôle judiciaire pouvait alors s’exercer au moyen d’une action, ce qui réduisait peut-être la démarcation entre l’interrogatoire préalable et le contre-interrogatoire sur affidavit, je retiens de ce courant jurisprudentiel les principes suivants :

1. Le contre-interrogatoire sur affidavit n’est pas un interrogatoire préalable (Swing Paints Ltd. c. Minwax Company (précité), à la page 529).

2. Le contre-interrogatoire peut aller au-delà du cadre de l’affidavit, et porter sur toute question qui permette de trancher la question à l’égard de laquelle l’affidavit a été produit (Thomson v. Thomson and Elliott, [1948] O.W.N. 137 (H.C. Ont.)).

3 Le contre-interrogatoire porte également sur les questions accessoires qui découlent des réponses (Swing Paints Ltd. c. Minwax (précité), à la page 531).

4. Même s’il n’a pas à faire d’aussi longues recherches que s’il se préparait à un interrogatoire préalable, le déclarant qui, lors d’un contre-interrogatoire, ne connaît pas la réponse à une question ne peut pas se satisfaire du fait qu’il ne connaît pas la réponse à la question (Bland (précitée), à la page 235); toutefois, dans l’affaire Bland, le juge Martin reconnaît que le juge Walsh a émis une opinion contraire dans l’affaire Laflamme Fourrures (Trois-Rivières) Inc. et al. c. Laflamme Fourrures Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 315 (C.F. 1re inst.), à la page 318.

Au sujet de l’obligation de s’informer, le juge Nadon a, dans l’affaire Merck& Co. c. Apotex Inc. (1996), 67 C.P.R. (3d) 147 (C.F. 1re inst.), à la page 149, exprimé l’opinion que « le déposant est tenu de s’informer des questions en litige qu’il connaît ou qu’il est en mesure de connaître ».

[7]        Je me suis prononcé sur la portée du contre-interrogatoire sur des affidavits de réclamation dans l’affaire Bank of Scotland c. Nel (Le), [1998] A.C.F. no 1499 (1re inst.) (QL), estimant qu’ [au paragraphe 6] le « contre-interrogatoire peut déborder le cadre de l’affidavit, et porter sur toute question pertinente qui permette de trancher la question à l’égard de laquelle l’affidavit a été déposé ». J’ai aussi souligné [au paragraphe 6] que « le déposant est tenu de s’informer des questions en litige qu’il connaît ou qu’il est en mesure de connaître ». Je me suis également référé à la décision Bally-Midway Mfg. Co. c. M.J.Z. Electronics Ltd. et al. (1984), 75 C.P.R. (2d) 160 (C.F. 1re inst.) qui permet d’affirmer que le déclarant peut être contraint à produire, lors de son contre-interrogatoire, des documents en sus de ceux qui sont mentionnés dans son affidavit sauf que « le contre-interrogatoire sur un affidavit ne doit pas avoir une portée aussi large qu’un interrogatoire préalable et qu’on ne peut s’en servir comme un moyen d’obtenir tous les renseignements et tous les documents qui pourraient être utiles à l’instruction » [au paragraphe 7]. J’ai conclu [au paragraphe 8] que la nature de l’instance exige une production légèrement plus complète de documents, ou de séries de documents, que ce que j’aurais normalement fait, mais que je n’étais toutefois pas disposé à exiger une communication intégrale de documents comme si c’était un procès :

L’avocat d’Atkina S.A. reconnaît que la production d’éléments dans le cadre d’un contre-interrogatoire n’est pas illimitée, contrairement à ce qui se produit lors de l’interrogatoire préalable, mais il souligne également que la question de la détermination de l’ordre de priorité est parfois examinée dans le cadre d’un procès plutôt que dans le cadre d’une requête et que cette situation devrait avoir des incidences sur la production de documents, en obligent tous les créanciers à procéder à une divulgation complète et franche. J’ai tenu compte de ces considérations jusqu’à un certain point tant à l’occasion de la présente requête que lorsque j’ai examiné d’autres requêtes présentées dans le présent dossier. J’ai en effet exigé une production légèrement plus complète de documents individuels ou de séries de documents que ce que j’aurais normalement fait. Je ne suis toutefois pas disposé à exiger une communication intégrale de documents dans le cadre d’une procédure sommaire comme s’il s’agissait d’une procédure conduisant à un procès, surtout lorsque la demande ne vise pas des éléments individuels ou des groupes d’éléments distincts, mais bien des dossiers complets. Un interrogatoire à l’aveuglette effectué à l’occasion du contre-interrogatoire sur un affidavit n’est pas un procédé acceptable.

J’en suis venu à cette conclusion en me prononçant sur la question même qui est soulevée en l’instance; toutefois, étant donné les opinions opposées des avocats au dossier et plus particulièrement la décision du juge Hugessen dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1997), 80 C.P.R. (3d) 550 (C.F. 1re inst.), confirmé par la Cour d’appel (2000), 249 N.R. 15, une analyse plus approfondie s’impose peut-être.

[8]        De façon générale, en ce qui concerne la production de documents, j’ai indiqué dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances) et al. (1999), 163 F.T.R. 109 (C.F. 1re inst.), que, lors d’un contre-interrogatoire sur un affidavit, la production de documents a une portée passablement large. Cela s’explique par le fait que, dans le cadre des règles 88 à 100 [des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106], la règle 87 définit un interrogatoire comme comprenant un contre-interrogatoire sur un affidavit. L’alinéa 91(2)c) prévoit que dans le cas d’un contre-interrogatoire sur affidavit, l’assignation à comparaître peut exiger de la personne à interroger qu’elle produise à cette occasion tous « les documents ou éléments matériels qui […] sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde et qui sont pertinents à la requête ou la demande ». Le paragraphe 94(1) oblige la personne qui est interrogée à produire des documents pour examen, à moins que, en vertu du paragraphe 94(2), la Cour soit d’opinion que le document n’est pas pertinent ou qu’il serait trop onéreux de le produire.

Thèse de la portée limitée de l’interrogatoire sur affidavit

[9]        L’avocat de la Banque d’Écosse se reporte à la décision Merck Frosst (précitée), une affaire de contrôle judiciaire, où le juge Hugessen, à la page 555 expose tout d’abord certaines notions élémentaires :

Il convient tout d’abord de rappeler certaines notions élémentaires. Le contre-interrogatoire n’est pas un interrogatoire préalable et il diffère de celui-ci sous plusieurs rapports importants. Plus particulièrement,

a)   la personne interrogée est un témoin, et non une partie;

b)   les réponses données sont des éléments de preuve, et non des aveux;

c)   le témoin peut légitimement répondre qu’il ignore quelque chose; il n’est pas tenu de se renseigner;

d)   on ne peut exiger d’un témoin qu’il produise un document que s’il en a la garde ou la possession, les mêmes règles s’appliquant à tous les témoins;

e)   les règles relatives à la pertinence sont plus restreintes.

[10]      Dans l’affaire Merck Frosst, la question principale était la pertinence. Il s’agit également d’un aspect de la présente instance. Par conséquent, il est utile de prendre en considération ce que le juge Hugessen avait à dire [aux pages 555 et 556] :

Aux fins de la présente instance, j’estime utile de scinder la pertinence en deux catégories, soit la pertinence formelle et la pertinence juridique.

La pertinence formelle est liée aux questions de fait qui opposent les parties. Dans le cas d’une action, ces questions sont délimitées par les actes de procédure, mais dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire, où aucun acte de procédure n’est déposé (l’avis de requête lui-même ne devant faire état que du fondement juridique, et non factuel, de la demande de contrôle), elles sont circonscrites par les affidavits que déposent les parties. Le contre-interrogatoire de l’auteur d’un affidavit ne peut donc porter que sur les faits énoncés dans celui-ci ou dans un autre affidavit produit dans le cadre de l’instance.

Toutefois, outre la pertinence formelle, les questions posées en contre-interrogatoire doivent avant tout satisfaire à l’exigence de la pertinence juridique. Même le fait énoncé dans un affidavit produit dans le cadre de l’instance n’est pertinent sur le plan juridique que lorsque son existence ou son inexistence peut contribuer à déterminer si le redressement demandé peut ou non être accordé.

Quelques principes importants se dégagent de ces extraits. Premièrement, il est question de la pertinence formelle fondée sur les questions de fait, délimitées par les actes de procédure dans le cas d’une action, mais par les affidavits dans le cas d’un contrôle judiciaire, puisqu’il n’y a aucun acte de procédure comme tel. Deuxièmement, on observera que le contre-interrogatoire sur affidavit « ne peut donc porter que sur les faits énoncés dans celui-ci ou dans un autre affidavit produit dans le cadre de l’instance ». Troisièmement, en ce qui a trait à la pertinence juridique, le critère est de savoir si une question peut aider à déterminer si le redressement demandé peut ou non être accordé.

[11]      Je voudrais maintenant faire deux observations. Premièrement, la détermination sommaire de l’ordre de priorité dans la répartition du produit de la vente du navire par voie de requête dans une action ne tombe de façon précise dans aucune catégorie de la pertinence formelle. Cela est dû au fait que les actes de procédure qui permettent d’obtenir la vente d’un navire sont habituellement d’une pertinence négligeable, tout au plus dans la définition des questions liées à l’ordre de priorité. Les affidavits ne sont guère d’un plus grand secours dans la définition des questions, particulièrement lorsqu’un demandeur, bien au courant des faiblesses de ses réclamations, évite de mentionner dans son affidavit ce qui peut être un vice fondamental mais caché, laissant aux autres réclamants opposés le fardeau de peut-être en découvrir la faiblesse factuelle s’ils peuvent en deviner la nature et s’ils sont autorisés à faire porter le contre-interrogatoire sur autre chose que le contenu de l’affidavit du déclarant. Deuxièmement, je crois que les commentaires du juge Hugessen posent en principe que le contre-interrogatoire doit être fondé sur des faits, mais que ce fondement peut se trouver non seulement dans l’affidavit du déclarant qui est interrogé mais dans tout « autre affidavit produit dans le cadre de l’instance ».

[12]      La décision du juge Hugessen dans l’affaire Merck Frosst a été maintenue par la Cour d’appel, qui a donné de très courts motifs. Cette dernière semble avoir souscrit à l’analyse de la pertinence, ou du moins à la conclusion qui en a découlé. Toutefois, même si la Cour d’appel n’a fait aucun commentaire sur les notions élémentaires ou l’analyse de la pertinence faite par le juge Hugessen, on doit accorder un poids considérable à ce qu’il avait à dire.

[13]      L’avocat de la Banque d’Écosse a également invoqué l’affaire Stella-Jones Inc. c. Hawknet Ltd., [2000] A.C.F. no 94 (1re inst.) (QL) une décision qui a été rendue par le juge Blais, le 21 janvier 2000, dans le dossier T-1942-98. Dans cette affaire, celui-ci a adopté une approche encore plus restrictive qui semble limiter le contre-interrogatoire aux sujets qui émanent de l’affidavit lui-même. De plus, s’autorisant d’un concept énoncé dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le juge Blais est d’avis que les documents qui ne sont pas joints à l’affidavit ne peuvent pas être obtenus pour les fins du contre-interrogatoire.

Commentaire sur les deux thèses

[14]      Les analyses des juges Hugessen et Blais dans Merck Frosst et Stella-Jones sont utiles en ce qu’elles limitent la portée du contre-interrogatoire et de la production de documents dans une mesure compatible avec la nature sommaire du processus de contrôle judiciaire. Ce qu’une telle approche est censée accomplir, c’est fixer des limites raisonnables aux témoignages et à la production de documents. Le problème c’est qu’un interrogatoire aussi limité peut fort bien rendre insignifiante une audition sur la détermination de l’ordre de priorité, puisque l’audition pourrait se limiter aux preuves de réclamation intéressées et laisser de côté d’autres questions valides et pertinentes telles que la régularité des preuves de réclamation, les valeurs nettes, l’ordre de priorité et la répartition appropriée des fonds. J’hésite pourtant à accepter intégralement la thèse de la portée large défendue par Tramp Oil, laquelle a eu, dans le cadre de la détermination de l’ordre de priorité, pour conséquence la production d’une grande quantité de documents, bien des recherches à l’aveuglette qui donnent habituellement très peu de résultats et de longues transcriptions de contre-interrogatoires non pertinents.

CONCLUSIONS

[15]      Je tire de ce qui précède quelques conclusions applicables à l’interrogatoire sur affidavit de réclamation lorsque l’ordre de priorité doit être déterminé sur requête. Premièrement, le contre-interrogatoire sur affidavit doit être fondé sur des faits. Lorsque l’ordre de priorité est déterminé au moyen d’une requête, il n’y a habituellement aucun acte de procédure qui aurait pu être utile pour définir les questions en litige et fournir un fondement au contre-interrogatoire. Les fondements factuels doivent donc être trouvés ailleurs, plus précisément dans l’affidavit du déclarant et les autres affidavits produits dans le cadre de l’instance, dans les réponses qui ont suscité des questions accessoires et dans les documents joints aux affidavits ou autrement déposés. C’est ce qui se dégage de l’opinion exprimée par le juge Nadon au sujet de l’affaire Bland (précitée), à la page 148 de l’affaire Merck & Co. c. Apotex Inc. (précitée). S’agissant d’une audition pour fixer l’ordre de priorité, je n’irais pas jusqu’à autoriser un contre-interrogatoire sur tout sujet qui, après une recherche à l’aveuglette, pourrait être pertinent à la détermination de la question relativement à laquelle l’affidavit a été déposé, car, le contre-interrogatoire doit être fondé sur des faits. Ce principe est conforme à l’opinion apparemment favorable à la portée plus limitée que le juge Hugessen a exprimée dans l’affaire Merck Frosst (précitée), puisque le contre-interrogatoire sur les documents produits en vertu de la règle 87, de l’alinéa 91(2)c) et de la règle 94 n’y a pas été envisagé.

[16]      Deuxièmement, dans une procédure pour fixer l’ordre de priorité, le souscripteur d’un affidavit de réclamation n’est pas tant un témoin que le mandataire d’une partie ou d’un réclamant qui souscrit un affidavit au nom de celui-ci. En effet, le déclarant souscrit un affidavit sur lequel la société demanderesse fonde sa réclamation, la réclamation étant vérifiée au moyen du contre-interrogatoire. Ainsi, l’opinion du juge Hugessen dans l’affaire Merck Frosst, selon laquelle le déclarant n’a pas l’obligation de s’informer parce qu’il est un témoin, ne s’applique pas. Néanmoins, l’obligation de s’informer doit elle-même avoir des limites raisonnables, sa portée étant plus limitée dans le cas de l’interrogatoire préalable : ce principe a été énoncé dans plusieurs décisions, y compris par le juge Nadon dans l’affaire Merck & Co. c. Apotex Inc. (précitée), à la page 149. Le juge Nadon a pu résoudre le problème en reconnaissant la division en sections de la société Merck et en obligeant ainsi le témoin à trouver des réponses uniquement dans sa section, non pas dans toute l’entreprise. Toutefois, comme je l’ai indiqué, un affidavit de réclamation dans une instance pour fixer l’ordre de priorité est l’affidavit d’une société. Par conséquent, je lierais la nécessité de s’informer au concept de pertinence juridique, c’est-à-dire la pertinence pour ce qui est de statuer sur le redressement tel que décrit par le juge Hugessen dans l’affaire Merck Frosst et par la question de savoir si la recherche d’information serait trop onéreuse. Les concepts de la pertinence et de la recherche trop onéreuse nous permettent de tirer une conclusion sur la production de documents lors d’un contre-interrogatoire.

[17]      Troisièmement, la production de documents lors d’un contre-interrogatoire est soumise à la règle 87, à l’alinéa 91(2)c) et à la règle 94. Les limites établies par l’alinéa 91(2)c) sont que les documents doivent être pertinents et être en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la personne qui est contre-interrogée. Dans le cas d’un déclarant qui occupe un poste élevé dans la hiérarchie d’une société, cette obligation de produire des documents peut être passablement large, mais sans aller aussi loin que la communication de documents prévue à la règle 223. De plus, le paragraphe 94(2) limite clairement la production de documents lors d’un contre-interrogatoire selon les critères de la pertinence, du nombre de documents et de la question de savoir s’il pourrait être trop onéreux d’en exiger la production.

[18]      En l’instance, je suggérerais que toutes les parties concernées se souviennent que la Banque d’Écosse a produit une nombre imposant de documents. La production de ces documents peut fort bien se butter aux dispositions des Règles limitant la production. De plus, lorsqu’on invoque la production de documents, au moyen d’une assignation à comparaître en vertu du paragraphe 91(2), il faut, en vue à la fois de simplifier la tâche de la sélection des documents et de garder à un niveau raisonnable le volume des documents, donner une description claire et précise des documents requis, et non pas s’en tenir à une catégorie générale.

RÉSUMÉ

[19]      Afin de résumé, mais sans vouloir limiter mes conclusions, qui portent sur la détermination sommaire de l’ordre de priorité sur une requête, le contre-interrogatoire sur affidavit doit se restreindre aux questions de fait ressortant de l’affidavit du déclarant, des autres affidavits déposés dans les procédures de détermination de l’ordre de priorité, des questions connexes découlant des réponses et des documents joints aux affidavits ou autrement déposés.

[20]      Deuxièmement, dans le cas de l’affidavit d’une société, souscrit dans le cadre d’une requête pour détermination de l’ordre de priorité, le déclarant a l’obligation de chercher l’information afin de répondre aux questions acceptables auxquelles il ne peut pas répondre.

[21]      Troisièmement, lors d’un contre-interrogatoire sur affidavit, la portée de la production de documents est passablement large lorsqu’on requiert la production de documents spécifiés dans une assignation à comparaître en vertu du paragraphe 91(2).

[22]      Je remercie les avocats pour leurs observations fouillées.

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