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[2000] 1 C.F. 123

IMM-3873-98

Hamid Nouranidoust (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Nouranidoust c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Toronto, 23 juin; Ottawa, 30 juin 1999.

Citoyenneté et immigration Pratique en matière d’immigration Il a été jugé que le demandeur n’avait aucun droit d’établissement en application des règlements sur les immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée car il n’était pas en possession d’un passeport ou d’autres documents de voyageUn passeport a plus tard été délivré au demandeur par l’ambassade d’IranLa décision originale de rejet de la demande d’établissement a été maintenueL’agent d’immigration pouvait-il réexaminer sa décision sur la base de nouvelles preuvesLa Loi sur l’immigration est muette et la jurisprudence n’est pas fixée sur l’application du principe functus officio aux décisions des agents d’immigrationLa présente décision est une nouvelle décision susceptible de contrôle judiciaireLe demandeur n’a pas essayé d’éviter l’expiration d’un délaiL’agent d’immigration avait le pouvoir de réexaminer la demande sur la base de nouvelles preuvesLe principe functus officio doit être appliqué avec souplesseLe silence du législateur ne vise pas à empêcher l’agent d’immigration de réexaminer un dossier s’il y va de l’intérêt de la justice.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 11.401 (édicté par DORS/94-681, art. 3).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; (1989), 101 A.R. 321; 62 D.L.R. (4th) 577; [1989] 6 W.W.R. 521; 70 Alta. L.R. (2d) 193; 40 Admin. L.R. 128; 36 C.L.R. 1; 99 N.R. 277; Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 3 C.F. 349 (1996), 136 D.L.R. (4th) 433; 43 Admin. L.R. (2d) 314; 114 F.T.R. 247; 34 Imm. L.R. (2d) 259 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Soimu c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 83 F.T.R. 285 (C.F. 1re inst.); Dumbrava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 101 F.T.R. 230; 31 Imm. L.R. (2d) 76 (C.F. 1re inst.); Kandasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 119 F.T.R. 262; 36 Imm. L.R. (2d) 237 (C.F. 1re inst.); Tchassovnikov et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 144 (C.F. 1re inst.); Jimenez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 147 F.T.R. 199 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 685 (1re inst.) (QL); Dhaliwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 982 (1re inst.) (QL).

DOCTRINE

Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice, Vol. 2, loose-leaf ed., Toronto : Butterworths.

DEMANDE d’annulation de la décision d’un agent d’immigration portant que le demandeur n’avait aucun droit d’établissement en application des règlements sur les immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Chantal Desloges pour le demandeur.

Michael Beggs pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Spiegal, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Reed : Le demandeur vise à obtenir une ordonnance annulant la décision d’un agent d’immigration précisant qu’il n’a aucun droit d’établissement en application des règlements sur les immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée (IMRED) [DORS/94-681]. La principale question litigieuse est de savoir si un agent d’immigration peut réexaminer une décision sur la base de nouvelles preuves.

[2]        Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui accompagne les règlements sur les immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée, explique leur but :

Cette modification réglementaire a pour objet de régulariser le statut de certains demandeurs déboutés qui, attendant d’être renvoyés, sont tombés « dans l’oubli » depuis de nombreuses années, mais que le ministère n’a pas voulu ou n’a pas pu renvoyer et dont le cas ne semble pas sur le point d’être réglé. Dans beaucoup de cas, ces personnes ont pu créer des liens avec le Canada; ainsi, le renvoi, à ce moment-ci, serait à la fois injuste pour l’intéressé et n’aurait aucun effet dissuasif.

[3]        Le document précise également que plusieurs solutions subsidiaires aux mesures de renvoi à exécution différée ont été étudiées mais que :

Le statu quo a été rejeté parce que dans certain cas la situation qui a amené le ministère à s’écarter de la politique habituelle concernant les renvois montre peu de signe d’amélioration et parce que les personnes qui se trouvent actuellement sous le coup d’une mesure de renvoi auraient toutes les chances de demeurer « dans l’oubli » pendant quelque temps encore. Dans d’autres cas, la situation relative au respect des droits de la personne s’est améliorée au point où le renvoi est maintenant possible, mais un grand nombre des personnes frappées de renvoi se trouvent au Canada depuis si longtemps qu’il serait injuste de les renvoyer dans leur pays.

[4]        Le demandeur entrait clairement dans le cadre de ce programme. Il est venu au Canada en 1990 alors qu’il était âgé de 14 ans. Il a fait une demande en vue d’obtenir le statut de réfugié mais en 1991, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a décidé qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Il est néanmoins resté au Canada mais sans statut.

[5]        Lorsque le programme relatif aux immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée a été annoncé, il a fait une demande et a été déclaré admissible à s’établir en vertu de celui-ci. Cependant, pour se voir accorder le droit d’établissement, la personne admissible devait posséder un passeport ou d’autres documents de voyage. Le paragraphe 11.401b) [édicté par DORS/94-681, art. 3] du Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, prévoyait :

11.401 Les exigences relatives à l’établissement d’un immigrant visé par une mesure de renvoi à exécution différée et des personnes à sa charge, le cas échéant, sont les suivantes :

[…]

b) lui et les personnes à sa charge qui l’accompagnent possèdent, selon le cas, l’un des documents suivants :

(i) un passeport ou un document de voyage qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant, sauf si l’immigrant en sa qualité de citoyen ou de ressortissant ne peut se procurer de tels documents du fait de la vacance de gouvernement dans le pays qui aurait dû les délivrer

[6]        Comme il avait quitté l’Iran sans passeport, le demandeur a essayé d’en obtenir un de l’ambassade iranienne. Son avocat a été informé par l’ambassade qu’elle pouvait renouveler un passeport, mais qu’elle ne pouvait pas en délivrer un nouveau, à moins que le demandeur soit en mesure de fournir un certificat de naissance délivré par le nouveau gouvernement de la République islamique d’Iran. Le demandeur avait un certificat de naissance qui lui avait été délivré par le gouvernement impérial du Shah d’Iran. Ces renseignements ont été envoyés au défendeur le 6 mai 1996.

[7]        Le défendeur a dès lors requis le demandeur, en application de la politique du ministère, d’obtenir une lettre de l’ambassade d’Iran précisant pourquoi celle-ci ne voulait pas lui délivrer un passeport. Le demandeur a apparemment été avisé que l’ambassade ne ferait rien pour lui, car il avait quitté l’Iran illégalement et il n’avait pas fait son service militaire. Ce renseignement a été communiqué au défendeur le 18 octobre 1996.

[8]        Le 5 mai 1997, le demandeur a été informé par l’agent d’immigration compétent qu’il se pouvait que sa demande soit rejetée au motif qu’il n’était pas en possession d’un passeport, de documents prouvant son identité ou de documents de voyage. Un délai de 30 jours lui a été donné pour répondre. L’avocat du demandeur a répondu, en expliquant à nouveau combien il était difficile pour le demandeur d’obtenir un passeport de l’ambassade. Il a joint à sa lettre une copie du certificat de naissance du demandeur en suggérant que celui-ci soit utilisé à la place du passeport.

[9]        Par la suite, le demandeur a reçu une lettre, datée du 3 novembre 1997, refusant sa demande d’établissement à titre d’immigrant visé par une mesure de renvoi à exécution différée, au motif qu’il ne détenait pas de passeport ni d’autres documents de voyage. Il a été informé qu’il devait quitter le Canada immédiatement. Le demandeur a dès lors engagé un nouvel avocat. Sous la vive recommandation de son avocat, il est retourné à l’ambassade d’Iran et cette fois-ci un passeport lui a été délivré. Son nouvel avocat a envoyé à l’agent compétent une copie du passeport accompagnée d’une lettre, datée du 11 février 1998, demandant que le dossier du demandeur soit réexaminé en vertu du programme sur les mesures de renvoi à exécution différée.

[10]      L’agent, dans une lettre datée du 3 juillet 1998, a répondu que le précédent rejet était maintenu. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle. La lettre du 3 juillet 1998 dit :

[traduction] Nous avons reçu votre lettre datée du 18 [sic] février 1998 accompagnée des renseignements qui y étaient joints et nous avons réexaminé votre dossier. La décision de rejeter votre demande, dont vous avez été avisé le 3 novembre 1997, est maintenue.

[11]      L’avocat du demandeur soutient que cette décision est abusive au motif que l’agent, lorsqu’il l’a prise, disposait d’une copie du passeport du demandeur. Par conséquent, en rendant sa décision du 3 juillet 1998, il a omis de tenir compte d’une preuve pertinente.

[12]      Le défendeur soutient que, malgré le fait que la lettre du 3 juillet 1998 indique qu’une décision a été prise après le réexamen de la demande faite dans le cadre de la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée, celle-ci n’était en fait qu’une lettre de politesse et non une nouvelle décision. De plus, le défendeur soutient qu’en rendant la décision du 3 novembre 1997, l’agent agissait functus officio et n’avait pas le pouvoir de réexaminer la demande.

[13]      La jurisprudence concernant le moment où le principe functus officio s’applique aux décisions administratives se trouve dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, à la page 862. Le juge Sopinka, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a précisé que l’origine du principe functus officio était liée aux ordonnances officielles d’une cour de justice pouvant faire l’objet d’un appel en bonne et due forme. Il a noté qu’il y avait des indications que le principe ne s’appliquait pas aux tribunaux administratifs dont les décisions ne pouvaient faire l’objet d’un appel. À son avis, cela n’était pas juste puisqu’il existait de bonnes raisons de principe étayant le caractère définitif des décisions prises par les tribunaux administratifs et les cours. Cependant, il a noté que le principe devrait être appliqué de manière souple aux tribunaux administratifs :

C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que les procédures administratives doivent être réouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel.

Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être réouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante.

[14]      Le juge Cullen a considéré l’application du principe functus officio à la décision d’un agent des visas dans l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 3 C.F. 349 (1re inst.). La question était de savoir si un agent des visas pouvait annuler un visa qui avait été délivré à une femme et son fils, par suite des renseignements qu’il avait reçus ultérieurement et qui indiquaient que la femme était impliquée dans une triade criminelle. Le juge Cullen a cité le passage ci-dessus tiré de l’arrêt Chandler et a fait les commentaires suivants aux pages 366 et 367 :

Si je comprends bien cet arrêt, les décisions rendues par des organismes administratifs, plus souples et moins formalistes que les décisions judiciaires, peuvent être « réouvertes » dans l’intérêt de la justice lorsque la loi habilitante envisage le réexamen d’une décision.

La Loi sur l’immigration envisage-t-elle qu’un agent des visas puisse réexaminer sa décision? Rien dans la loi ne porte sur le réexamen éventuel, par un agent des visas, de ses décisions. Je n’interprète cependant pas ce silence comme prohibant un tel réexamen. Je crois plutôt que l’agent des visas a la compétence nécessaire pour reconsidérer ses décisions, particulièrement lorsque de nouveaux renseignements sont connus. On peut fort bien imaginer une situation opposée à celle en l’espèce. Qu’en serait-il si on avait dès le départ refusé un visa à la requérante parce que l’agent avait considéré qu’elle était membre de la triade Sun Yee On? N’aurait-elle pu présenter de nouveaux renseignements, et demander à l’agent des visas de reconsidérer sa décision? Si les nouveaux renseignements étaient convaincants, je ne doute pas que l’agent des visas aurait la compétence nécessaire pour rendre une nouvelle décision qui accorderait le visa. À mon sens, la même logique s’applique à l’espèce. L’agent des visas, sur réception de renseignements l’informant que la requérante était membre d’une catégorie de personnes non admissible, était compétent à reconsidérer sa décision antérieure et à révoquer son visa. Appliquer aux décisions administratives des agents des visas les mêmes règles de perte subséquente de compétence qui régissent les décisions judiciaires ne serait pas, à mon sens, en accord avec le rôle et les fonctions des agents des visas. [Non souligné dans l’original.]

[15]      La conclusion du juge Cullen concorde avec celle de l’alinéa 13.322.1 de la publication à feuilles mobiles de M. Waldman intitulée Immigration Law and Practice, Vol. 2 (Toronto : Butterworths Canada) :

[traduction] Si une demande est rejetée, l’avocat ou le demandeur disposent de plusieurs options. Ils peuvent demander des éclaircissements quant aux motifs du rejet, soit en s’adressant à l’agent des visas, soit en faisant une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information pour obtenir le dossier de l’agent des visas. Dans chacun des cas, après avoir été informé des motifs du rejet, le demandeur peut demander un réexamen en présentant de nouveaux documents à l’appui de la demande en vue d’aborder les questions soulevées par l’agent des visas.

[16]      Il ne fait aucun doute que la jurisprudence n’est pas fixée en la matière. Un aspect qui est clair cependant, est qu’une décision comme celle qui a été prise dans la présente affaire est une nouvelle décision susceptible de contrôle judiciaire. La validité de la décision dépend de la question de savoir si celui qui a rendu la décision a le pouvoir d’entreprendre le réexamen. Le juge Rothstein dans l’arrêt Soimu c. Canada (Secrétariat d’État) (1994), 83 F.T.R. 285 (C.F. 1re inst.), et le juge Noël dans l’arrêt Dumbrava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 101 F.T.R. 230 (C.F. 1re inst.) en ont décidé ainsi.

[17]      La présente situation est différente de celles dans lesquelles le deuxième « examen » n’est pas un réexamen, mais une explication de la première décision ou encore de celles dans lesquelles une lettre de politesse est envoyée en réponse à une demande visant le réexamen de la précédente décision, voir par exemple les arrêts Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 685 (1re inst.) (QL); et Dhaliwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 982 (1re inst.) (QL). En effet, dans certains cas, la demande de réexamen n’est rien d’autre qu’une tentative de l’avocat du demandeur d’éviter l’expiration du délai dans lequel le contrôle judiciaire de la première décision doit être commencé, voir Dhaliwal (précité) et Wong (précité).

[18]      Cependant, ce qui n’est pas fixé dans la jurisprudence, ce sont les circonstances dans lesquelles une instance décisionnelle administrative sera liée ou non par le principe du functus officio et ne pourra donc réexaminer une décision qui a été rendue pour tenir compte de nouveaux éléments de preuve. Dans l’arrêt Soimu, le juge Rothstein, à la page 288, a décidé que, puisque la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] est muette sur la question de savoir si une agente des visas pouvait réviser les décisions déjà rendues, il apparaîtrait qu’elle n’agissait pas functus officio :

La révision à laquelle elle s’est livrée aurait pu l’amener à changer d’avis pour accueillir la demande du requérant. C’était en fait ce que visait la requête en révision introduite par l’avocat du requérant. Si elle avait changé d’avis, on ne pourrait certainement pas dire que la lettre informant de sa nouvelle opinion n’était pas une décision. Dans le même ordre d’idée, même si, à l’occasion de la révision, elle tirait la même conclusion qu’auparavant, cette conclusion doit également constituer une décision.

Les avocats ont convenu que rien dans la Loi sur l’immigration ne portait sur la question de savoir si un agent des visas pouvait réviser les décisions déjà prises. L’agente des visas n’était pas, semble-t-il, dessaisie de ses fonctions après qu’elle eut pris sa décision du 8 février 1994. Dans le cas contraire, elle a pris la décision du 20 avril 1994 alors qu’elle était sans compétence.

[19]      Cependant, dans l’arrêt Dumbrava, le juge Noël est arrivé à la conclusion opposée. Il a dit à la page 237 :

Je pense qu’il vaudrait mieux aborder la question dans l’autre sens, étant donné que faute d’attribution expresse de compétence, il est douteux qu’une autorité décisionnaire puisse revoir une décision antérieure sur la base de nouveaux motifs et exercer son pouvoir discrétionnaire derechef. L’agente des visas tire son pouvoir décisionnaire de la loi écrite, elle ne peut donc exercer que les pouvoirs qui y sont expressément prévus. Je ne doute pas que les lapsus, fautes de frappe et autres erreurs matérielles visibles puissent être rectifiés après coup, mais à mon avis, le pouvoir discrétionnaire de l’autorité décisionnaire est vidé, une fois qu’il a été exercé de la manière prévue par la loi. Il s’ensuit que cette autorité ne peut prononcer deux fois sur la même question.

[20]      Après les arrêts Soimu et Dumbrava, la même question s’est posée relativement aux décisions prises par des agents principaux. Dans l’arrêt Kandasamy c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 119 F.T.R. 262 (C.F. 1re inst.), un demandeur n’a pu être admis à faire juger sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention au Canada du fait qu’il était déjà un réfugié au sens de la Convention en Allemagne, ce dernier fait étant l’un de ceux que le demandeur a reconnu. Après le prononcé de cette décision, le demandeur avait appris de son père qu’il n’avait pas été admis à titre de réfugié en Allemagne. Il a demandé que son inadmissibilité soit réexaminée. L’agent principal a refusé au motif que l’information sur laquelle se fondait maintenant le demandeur « pouvait raisonnablement être disponible à l’époque » de la première décision—il ne s’agissait pas d’une information nouvelle fraîchement disponible. Le juge MacKay a statué qu’une question grave avait été soulevée par le demandeur (la question que le juge MacKay devait trancher était de savoir si la demande de sursis de l’exécution d’une mesure d’expulsion devait être accueillie). La décision de l’agent principal refusant de réexaminer l’admissibilité du demandeur a plus tard été annulée, de consentement, et renvoyée pour réexamen eu égard à la nouvelle preuve documentaire que le demandeur avait fournie selon laquelle sa demande de statut de réfugié avait été rejetée en Allemagne. (Ordonnance rendue par le juge Gibson le 3 mars 1997.)

[21]      La décision d’un agent d’immigration relativement à l’admissibilité d’un revendicateur du statut de réfugié a également été étudiée dans l’affaire Tchassovnikov et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 144. Dans cet arrêt, le juge Campbell s’est fondé sur l’arrêt Chan, à la page 145, et a décidé que le réexamen de l’admissibilité du demandeur aurait dû avoir lieu :

Le 13 novembre 1996, l’avocat des demandeurs a envoyé une lettre à Immigration Canada, dans laquelle il lui demandait de réexaminer la décision du 12 juillet 1995 qui refusait de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugié, en raison de la découverte de nouveaux éléments de preuve. Le 17 novembre 1997, cette demande de nouvel examen a été rejetée dans les termes suivants :

[traduction] Par application du principe de l’épuisement de la compétence, la décision en l’espèce ne peut être réexaminée. Indépendamment du principe susmentionné, il n’apparaît pas qu’une exception s’applique en l’espèce.

La présente demande vise cette dernière décision.

Quant à la question de savoir si la décision faisant l’objet du présent appel comporte une erreur de droit en ce qui concerne l’application du principe de l’épuisement de la compétence, je me considère lié par la décision du juge Cullen dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 3 C.F. 349 En l’espèce, le juge Cullen a statué qu’un agent des visas, particulièrement sur réception de nouveaux renseignements, est compétent à réexaminer une décision.

En l’espèce, j’estime raisonnable d’appliquer le raisonnement du juge Cullen dans Chan à la décision de l’agent principal. En conséquence, je considère que la décision de l’agent principal du 17 novembre 1997 comporte une erreur en droit.

Étant donné que la demande de nouvel examen prend appui sur une lettre des autorités espagnoles en date du 24 avril 1995, qui a pour effet de jeter sérieusement le doute sur la décision initiale du 12 juillet 1995, j’annule la décision du 17 novembre 1997 et renvoie l’affaire à un autre agent d’immigration afin qu’il statue à nouveau sur celle-ci, […]

[22]      À la même époque, le juge Muldoon, dans l’arrêt Jimenez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 147 F.T.R. 199 (C.F. 1re inst.), a statué qu’une décision rendue par l’agent d’immigration compétent que le demandeur « sembl[ait] satisfaire aux conditions d’admissibilité » relatives à la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée rendait le décideur functus officio de sorte que cette décision ne pouvait plus être réouverte afin de permettre à l’agent d’immigration de tenir compte de la preuve que le demandeur ait pu commettre des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

[23]      C’est dans ce contexte que je vais donc étudier la présente demande. Ce n’est pas une situation dans laquelle le demandeur essaie d’éviter l’expiration d’un délai. Il ne s’agit pas d’une circonstance dans laquelle l’agent d’immigration compétent a répondu en expliquant sa décision précédente, parce que c’est la seule réponse qu’il estime nécessaire. La lettre qui a été envoyée n’était pas une lettre de politesse refusant de réexaminer la demande. L’agent d’immigration a entrepris un réexamen de la demande d’établissement mais, pour une quelconque raison, il n’a pas tenu compte de la nouvelle preuve qui lui était présentée comme fondement de la demande de réexamen. En conséquence, la décision doit être annulée à moins que l’agent d’immigration n’ait pas le pouvoir d’entreprendre le réexamen.

[24]      Je ne suis pas prête, en l’absence d’une décision contraire de la Cour d’appel fédérale, à conclure que l’agent d’immigration n’avait pas un tel pouvoir. Il est clair que les agents d’immigration et les agents des visas, dans la pratique, réexaminent souvent leurs décisions sur la base de nouvelles preuves (voir Waldman, précité). En lisant la jurisprudence, je pense que le besoin de trouver un pouvoir explicite ou implicite dans la loi pertinente pour réexaminer une décision est directement relié à la nature de la décision et à l’instance décisionnelle en question. Le silence dans une loi relativement au réexamen d’une décision judiciaire rendue à la suite d’une audience en bonne et due forme et après que les faits pertinents eurent été établis peut indiquer qu’aucun réexamen n’est voulu. Le silence dans une loi relativement au réexamen d’une décision qui se trouve à l’autre extrémité du spectre, une décision rendue par un fonctionnaire en application d’une procédure très informelle, à qui aucun délai n’est imposé, doit être apprécié compte tenu de la loi prise dans son ensemble. Le silence dans de tels cas n’indique pas forcément que l’intention du législateur était de ne pas permettre le réexamen de la décision rendue par le fonctionnaire concerné. Il peut simplement vouloir dire que le pouvoir discrétionnaire d’accepter ou de refuser de le faire a été laissé au fonctionnaire.

[25]      Tel qu’indiqué, l’arrêt Chandler précise que le principe functus officio devrait être appliqué avec souplesse dans le cas de décisions administratives puisque la justice peut exiger le réexamen de ces décisions. Je suis convaincue que le silence du législateur, dans le cas de demandes d’établissement de personnes déclarées admissibles parce qu’elles relèvent de la catégorie des IMRED, ne visait pas à empêcher l’agent d’immigration de réexaminer un dossier lorsque ce dernier pense qu’il y va de l’intérêt de la justice.

[26]      Pour ces motifs, la décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée et la demande d’établissement est renvoyée pour réexamen. Aucune des parties n’a requis la certification d’une question.

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