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[2000] 3 C.F. 398

A-308-99

Thyssen Canada Limited, Securitas Bremer Allgemeine Vers. A.G. (appelantes)

c.

Mariana Maritime S.A. (intimée)

Répertorié : Thyssen Canada Ltd. c. Mariana (Le) (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Robertson et Sexton, J.C.A.—Ottawa, 22 février et 22 mars 2000.

Droit maritime Pratique Appel d’une décision suspendant une action relative aux avaries subies par la cargaison d’un navire en faveur de la tenue d’un arbitrage à LondresConnaissements portant sur deux cargaisons de rouleaux d’acier et incorporant toutes les modalités d’une charte-partie, y compris la clause concernant le droit applicable et la clause compromissoireLes deux contrats d’affrètement, à temps et au voyage, prévoyaient le renvoi de tout différend à l’arbitrage à Londres et précisaient que le droit applicable était le droit anglais1) Il n’est pas nécessaire que la clause compromissoire étende expressément sa portée aux différends découlant des connaissementsLa clause compromissoire est réputée avoir été incorporée dans le connaissement parce que trois conditions préalables sont réunies : (i) le connaissement incorpore expressément par renvoi la clause compromissoire stipulée à la charte-partie; (ii) la clause compromissoire est libellée de telle manière qu’elle s’applique logiquement au connaissement; (iii) la clause compromissoire ne contredit pas les modalités expresses du connaissement2) Le fait que le propriétaire du navire intimé ne soit pas partie au contrat d’affrètement au voyage ne rend pas celui-ci inexécutable(3) Une fois incorporée par renvoi au connaissement, la clause compromissoire contenue dans un autre contrat lie le destinataireComme les clauses compromissoires sont essentiellement les mêmes, il n’est pas nécessaire de décider si quel contrat d’affrètement constitue le document applicableLes clauses compromissoires ne sont pas inexécutables pour cause d’imprécision parce que les connaissements ne précisent pas la charte-partie qui s’appliqueL’appelante est liée par ces dispositions du contrat d’affrètement même si elle en ignorait l’existence au moment où elle a accepté les connaissementsParties expérimentées connaissant bien les exigences de ce domaine particulierL’appelante a omis de s’informer des modalités du contratLes Règles de Hambourg, qui ont force de loi en Roumanie, n’ont pas pour effet de conférer à l’appelante le droit de choisir le lieu de l’arbitrage parce que cet argument contredit les dispositions relatives au choix du droit applicable qui sont stipulées dans les deux contrats d’affrètement et n’a aucun rapport avec la question de l’opportunité de suspendre l’instanceSuivant le Code d’arbitrage commercial, lorsqu’elle conclut que la clause compromissoire a effectivement été incorporée aux connaissements et qu’elle est exécutable, la Cour doit accorder la suspension demandée en faveur de la tenue d’un arbitrage.

Appel d’une ordonnance suspendant l’instance introduite contre l’intimée en faveur de la tenue d’un arbitrage à Londres. L’appelante, Thyssen Canada Limited, avait pris des dispositions pour faire transporter 18 000 tonnes métriques de rouleaux laminés à chaud à bord du Mariana entre la Roumanie et Windsor (Ontario). Deux connaissements correspondant aux deux cargaisons ont été établis. Les parties figurant sur les deux connaissements étaient le chargeur, Metalexportimport S.A., un fournisseur roumain d’acier, et l’appelante, qui y était désignée comme destinataire. Il était précisé dans les deux connaissements que ceux-ci devaient être accompagnés de contrats d’affrètement par charte-partie, sans que la charte-partie applicable soit toutefois précisée. Les connaissements contenaient une clause stipulant que toutes les modalités de la charte-partie, y compris la clause concernant le droit applicable et la clause compromissoire, étaient incorporées aux connaissements. Il y avait deux chartes-parties pertinentes : un contrat d’affrètement à temps de 60 à 65 jours entre le propriétaire du navire intimé et Hawknet Ltd., et un contrat d’affrètement au voyage entre Hawknet Ltd. et Metalexportimport. Les deux contrats d’affrètement prévoyaient le renvoi de tout différend à l’arbitrage à Londres et précisaient que c’était le droit anglais qui s’appliquait. Après qu’un incendie déclaré dans la cale eut endommagé les rouleaux d’acier, l’appelante a introduit une action réelle en matière d’amirauté par laquelle elle réclamait 1,2 millions de dollars (U.S.) en dommages-intérêts généraux. Avant que la Cour ne commence l’instruction de l’affaire, l’instance a été suspendue et le différend a été renvoyé à l’arbitrage à Londres. Le juge des requêtes a conclu que les connaissements incorporaient par renvoi la clause compromissoire contenue dans le contrat d’affrètement au voyage et qu’en tant que porteur du connaissement, l’appelante était liée par la clause compromissoire en question.

Les questions en litige sont les suivantes : 1) les clauses compromissoires s’appliquent-elles, étant donné qu’aucune ne parle expressément de litiges pouvant découler d’un connaissement? 2) le contrat d’affrètement est-il inexécutable, étant donné que le propriétaire du navire intimé n’est pas partie à ce contrat? 3) le défaut de préciser dans les connaissements la charte-partie qui s’applique donne-t-il lieu à une « imprécision » qui rend la clause inexécutable? 4) l’article 22 des Règles de Hambourg, qui ont force de loi en Roumanie, a-t-il pour effet de conférer à l’appelante le droit de choisir le lieu de l’arbitrage?

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

1) Il n’est pas nécessaire que la clause compromissoire stipulée dans un contrat d’affrètement par charte-partie étende expressément sa portée aux différends découlant des connaissements. La clause compromissoire stipulée dans un contrat d’affrètement par charte-partie est réputée avoir été incorporée dans un connaissement lorsque les trois conditions préalables suivantes sont réunies : (i) le connaissement incorpore expressément par renvoi la clause compromissoire stipulée à la charte-partie; (ii) la clause compromissoire est libellée de telle manière qu’elle s’applique logiquement au connaissement; (iii) la clause compromissoire ne contredit pas les modalités expresses du connaissement. Les faits de la présente espèce entrent dans cette catégorie. Il a été jugé qu’un connaissement qui incorpore expressément par renvoi la clause compromissoire stipulée dans un autre acte constitue une preuve suffisante de l’intention des parties d’être liées par cette clause pour qu’on puisse « manipuler » la phraséologie de la clause de façon à donner effet à cette volonté.

2) Il n’est pas nécessaire, par exemple, que le propriétaire du navire intimé soit partie au contrat d’affrètement au voyage, car il ne cherche pas à intenter une action en responsabilité contractuelle contre Metalexportimport ou Hawknet qui, pour leur part, ne le poursuivent pas. Il s’agit de savoir si l’intimée a le droit d’invoquer la clause compromissoire qui a été incorporée par renvoi au connaissement. S’il existe entre le chargeur et le propriétaire du navire un contrat qui a été constaté par un connaissement, la seule question à résoudre est celle de savoir si ce contrat incorpore effectivement par renvoi la clause compromissoire stipulée dans un autre document. Une fois incorporée au connaissement, cette disposition lie le destinataire au même titre que l’expéditeur et le propriétaire du navire.

3) Le contrat d’affrètement se trouve dans la charte-partie au voyage. La charte-partie applicable est le contrat d’affrètement au voyage. Le fait que les deux connaissements portent la mention suivante : [traduction] « Fret payable en conformité avec le contrat d’affrètement en date du […] » est tout aussi éclairant. Une fois de plus, la conclusion logique est que le contrat d’affrètement applicable est le contrat d’affrètement au voyage, parce qu’il s’agit du contrat aux termes duquel les marchandises ont été transportées et en vertu duquel le fret était payable. Mais comme les clauses compromissoires en litige exigent toutes les deux que les différends soient renvoyés à l’arbitrage à Londres, il n’est pas nécessaire de décider si c’est le contrat d’affrètement au voyage qui constitue le document applicable. On ne peut prétendre que les dispositions de ces contrats ne sont pas suffisamment précises.

Le moyen subsidiaire suivant lequel l’appelante ne pouvait être liée par une disposition d’un contrat d’affrètement dont elle ignorait l’existence au moment où elle a accepté les connaissements n’est pas convaincant. Bien que le connaissement ne soit guère compatible avec la notion classique de contrat négocié, il s’agit par ailleurs de parties expérimentées qui connaissent bien les exigences de ce domaine particulier et qui étaient parfaitement conscientes du fait que l’efficacité commerciale exigeait qu’elles utilisent des contrats dont, logiquement, elles devaient avoir pris connaissance avant la survenance d’une perte. L’appelante a tout simplement omis de s’informer des modalités par lesquelles elle avait convenu de faire transporter ses marchandises. Elle ne peut invoquer des principes juridiques conçus pour protéger le faible contre le fort.

4) L’appelante fait valoir que l’article 22 des Règles de Hambourg, qui ont force de loi en Roumanie, a pour effet de lui conférer le droit de choisir le lieu de l’arbitrage. Elle affirme qu’elle désire introduire une procédure d’arbitrage au Canada. Ce moyen est mal fondé parce qu’en plus de contredire les dispositions relatives au choix du droit applicable qui sont stipulées dans les deux contrats d’affrètement, il n’a aucun rapport avec la question de l’opportunité de suspendre l’instance. Il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande introduite en vertu de la Loi sur l’arbitrage commercial, de se prononcer sur le droit qui régit un contrat déterminé. Elle est uniquement appelée à décider s’il existe toujours une clause compromissoire exécutoire. Il ressort des dispositions du Code d’arbitrage commercial, qui a force de loi au Canada, que la Cour doit répondre à deux questions fondamentales : (i) celle de savoir si la clause compromissoire a effectivement été incorporée aux connaissements (article 7(2)); (ii) celle de savoir si la clause compromissoire est « caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » (article 8(1)). Les clauses compromissoires ont été valablement incorporées aux deux connaissements et elles sont exécutables. La Cour se voit dans l’obligation d’accorder la suspension demandée et d’ordonner que l’affaire soit renvoyée à l’arbitrage à Londres. C’est au tribunal arbitral de Londres qu’il appartiendra de se prononcer sur le droit applicable au(x) contrat(s).

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 7, 8.

Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978 (« Règles de Hambourg »), qui constituent l’annexe II de la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21, art. 22.

Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch 1, art. 8), 5 (mod., idem, art. 9; L.C. 1997, ch. 14, art. 32).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.

Règles de La Haye-Visby, qui constituent l’annexe I de la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21.

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

San Nicholas, The, [1976] 1 Lloyd’s Rep. 8 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Nanisivik Mines Ltd. c. F.C.R.S. Shipping Ltd., [1994] 2 C.F. 662; (1994), 113 D.L.R. (4th) 536; 167 N.R. 294 (C.A.).

DOCTRINE

Castel, Jean-Gabriel. Canadian Conflict of Laws, 4th ed. Toronto : Butterworths, 1997.

Mustill, Sir Michael J. and Stewart C. Boyd. The Law and Practice of Commercial Arbitration in England, 2nd ed. London : Butterworths, 1989.

Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 20th ed. by Stewart C. Boyd et al. London : Sweet & Maxwell, 1996.

Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 18th ed. by Sir Alan Abraham Mocatta et al. London : Sweet & Maxwell, 1974.

Tetley, William. International Conflict of Laws : Common, Civil and Maritime. Montréal : Blais, 1994.

APPEL d’une ordonnance par laquelle le juge des requêtes a suspendu l’instance introduite contre l’intimée en faveur de la tenue d’un arbitrage à Londres (Thyssen Canada Ltd. c. Mariana Maritime S.A. et al. (1999), 167 F.T.R. 105 (C.F. 1re inst.)). Appel rejeté.

ONT COMPARU :

A. Barry Oland pour les appelantes.

Sean J. Harrington pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. B. Oland, Vancouver, pour les appelantes.

McMaster Gervais, Montréal, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Robertson, J.C.A. : La Cour statue sur l’appel interjeté d’une ordonnance par laquelle un juge des requêtes a suspendu l’instance introduite contre l’intimée Mariana Maritime S.A., propriétaire du M.V. Mariana, en faveur de la tenue d’un arbitrage à Londres (cette décision est maintenant publiée à (1999), 167 F.T.R. 105 (C.F. 1re inst.)).

[2]        L’appelante Thyssen Canada Limited avait pris des dispositions avec une compagnie allemande, Ferrostaal AG, en vue de faire transporter 18 000 tonnes métriques de rouleaux laminés à chaud provenant d’une aciérie roumaine à bord du Mariana de Constanţa, en Roumanie, à Windsor (Ontario). Deux connaissements correspondant aux deux cargaisons qui ont finalement été chargées à bord du Mariana ont été établis. Le premier, en date du 31 mai 1998, constatait la réception en bon état à bord du Mariana de 513 bobines de rouleaux en acier laminés à chaud et portait la signature du capitaine Nikolaos Prinias. Le second, daté du 8 juin 1998, était signé par le capitaine Prinias et accusait réception de 298 bobines de rouleaux en acier. Les parties figurant sur les deux connaissements étaient le chargeur, Metalexportimport S.A., un fournisseur roumain d’acier qui avait affrété le Mariana au voyage dans le but de transporter l’acier de la Roumanie à Windsor, et l’appelante, qui y était désignée comme destinataire. Les deux connaissements étaient consignés sur un formulaire « “Congenbill”, édition 1994 ». Il était également précisé au recto de ce formulaire que les connaissements devaient être accompagnés de contrats d’affrètement par charte-partie. Aucun des connaissements ne contient, au recto ou au verso, de mention manuscrite ou dactylographiée permettant d’identifier la charte-partie applicable. On trouve toutefois la mention suivante, qui est imprimée au coin inférieur gauche au recto de deux connaissements :

[traduction]

« Fret payable conformément aux conditions de la

CHARTE-PARTIE DATÉE DU

AVANCE SUR FRET

reçu en acompte du fret

Temps consacré au chargement ___ jours ___ heures.

[3]        Au verso des connaissements se trouve l’article 1, qui dispose :

[traduction] Toutes les conditions, facultés et exceptions prévues à la charte-partie portant la date indiquée au verso, y compris la clause concernant le droit applicable et la clause compromissoire, sont incorporées aux présentes ». [Mots non soulignés dans l’original.]

[4]        En ce qui concerne l’expédition des marchandises de l’appelante, deux chartes-parties nous intéressent. La première est un contrat d’affrètement à temps aux termes duquel la société Hawknet Ltd., de Londres, a affrété le Mariana pour une période de 60 à 65 jours à l’aide d’un formulaire du New York Produce Exchange daté du 25 mars 1998. C’est ce qu’on a appelé à juste titre le contrat d’affrètement principal, puisque qu’il s’agit du contrat d’affrètement par charte-partie auquel le propriétaire du navire est partie. La société Hawknet a à son tour conclu un contrat d’affrètement au voyage avec Metalexportimport S.A. de Bucarest, en Roumanie pour la traversée jusqu’à la région des Grands Lacs et de Windsor. Ce contrat d’affrètement portait la date du 31 mai 1998. L’article 35 du contrat d’affrètement au voyage concerne le renvoi à l’arbitrage et le droit choisi par les parties. En voici le texte :

[traduction] Tout différend découlant de l’exécution ou de l’interprétation du présent contrat sera renvoyé à l’arbitrage à Londres. Un arbitre sera désigné par les propriétaires et un autre par les affréteurs. En cas de désaccord entre les arbitres, le différend sera renvoyé à un juge-arbitre, qui sera désigné par eux. La sentence des arbitres et du juge-arbitre est définitive et exécutoire. Les arbitres doivent œuvrer dans le domaine de la navigation commerciale, être membres de la LMAA et posséder une expérience pratique dans le domaine de l’affrètement. Le droit applicable est le droit anglais.

[5]        Le contrat d’affrètement principal conclu entre Mariana Maritime, en tant que propriétaire du navire, et Hawknet, en tant qu’affréteur, prévoit lui aussi, à son article 65, que tout arbitrage aura lieu à Londres. L’article 66 du contrat d’affrètement à temps porte sur le choix du droit applicable et sur les créances sur facultés. Voici le texte de ces deux articles :

[traduction]

65. Tout différend découlant de l’exécution ou de l’interprétation du présent contrat sera renvoyé à l’arbitrage à Londres en conformité avec le droit anglais et la procédure anglaise. Si une réclamation est formulée et qu’elle ne peut être réglée à l’amiable par les parties, celles-ci doivent s’entendre sur le choix d’un arbitre après s’être réciproquement proposé trois noms. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur le choix de l’arbitre, chacune en désigne un. En cas de désaccord entre les arbitres, ceux-ci désignent un juge-arbitre, dont la décision est définitive et obligatoire pour les deux parties. Si l’une des parties néglige ou refuse de désigner un arbitre sept jours après y avoir été invité par écrit par l’autre partie, l’arbitre désigné par cette dernière partie tranche le litige en tant qu’arbitre unique et sa décision est définitive et exécutoire. La clause relative à l’arbitrage accéléré s’applique aux différends mettant en jeu des sommes inférieures à 50 000 $ US (F.A.L.C.U./ L.M.A.A.).

66. Le présent contrat d’affrètement par charte-partie et tout différend découlant de son exécution ou de son interprétation sont régis par le droit anglais, tant sur le plan du fond que sur celui de la procédure, et sont interprétés conformément au droit anglais.

Les créances sur facultés découlant du présent contrat d’affrètement par charte-partie seront réglées conformément à l’accord NYPE Interclub dans sa version modifiée en 1984. En cas de présentation d’une créance sur facultés, la mutuelle de protection et d’indemnisation des propriétaires se chargera de la question.

[6]        L’appelante a finalement présenté les connaissements à des agents du Mariana en vue d’obtenir la livraison de la cargaison à Windsor, en Ontario. Or, avant que la cargaison ne parvienne à destination, un incendie s’est déclaré dans la cale no 3 du Mariana le 9 juin 1998, endommageant les rouleaux d’acier laminés à chaud qui y étaient arrimés. L’appelante réclame notamment 1,2 millions de dollars (U.S.) en dommages-intérêts généraux.

[7]        Pour obtenir les dommages-intérêts en question, l’appelante a introduit en octobre 1998 devant la Section de première instance de la Cour fédérale une action réelle en matière d’amirauté contre le Mariana. Toutefois, avant que la Cour ne commence l’instruction de l’affaire, l’intimée a présenté une demande en vue de soumettre la question à l’arbitrage à Londres et en vue d’obtenir la suspension de l’instance au motif que les deux connaissements incorporaient par renvoi les clauses compromissoires stipulées dans chacun des contrats d’affrètement. Ces clauses prévoient que tout différend doit être renvoyé à l’arbitrage à Londres. L’appelante a contesté cette prétention en affirmant que ni elle ni l’intimée n’étaient partie au contrat d’affrètement au voyage. L’appelante a également soutenu que les connaissements ne faisaient état d’aucune clause compromissoire.

[8]        Le juge des requêtes a rejeté les arguments de l’appelante et a conclu que les connaissements incorporaient effectivement par renvoi la clause compromissoire contenue dans les modalités du contrat d’affrètement au voyage aux termes duquel les rouleaux d’acier étaient transportés. Il a également conclu qu’en tant que porteur du connaissement, l’appelante était liée par la clause compromissoire en question. En conséquence, le juge des requêtes a ordonné la suspension de l’instance en vertu de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] et des articles 2 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 1, art. 8] et 5 [mod., idem, art. 9; L.C. 1997, ch. 14, art. 32] de la Loi sur l’arbitrage commercial [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17], et il a ordonné le renvoi du différend à l’arbitrage à Londres. L’appelante interjette appel de cette ordonnance. À mon humble avis, le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en accordant la suspension demandée et en ordonnant le renvoi du différend à l’arbitrage à Londres.

[9]        L’appelante fait valoir plusieurs moyens pour affirmer qu’elle ne pouvait être liée par la disposition du connaissement qui était censée incorporer la clause compromissoire (et qui comprend également la disposition relative au choix du droit applicable) dans le contrat qu’elle avait conclu avec le Mariana. Tout d’abord, elle affirme qu’aucune des deux clauses compromissoires qui étaient susceptibles de s’appliquer—en l’occurrence la clause compromissoire stipulée dans le contrat d’affrètement principal intervenu entre le Mariana et l’affréteur à temps Hawknet et la clause compromissoire contenue dans le contrat d’affrètement au voyage conclu entre Hawknet et Metalexportimport—ne pouvait s’appliquer, parce qu’aucune ne parle expressément de litiges pouvant découler d’un connaissement. L’appelante soutient deuxièmement que le défaut de préciser dans les connaissements en question la charte-partie dans laquelle on peut trouver la clause compromissoire, soit par une date ou par tout autre moyen, donne lieu à une « imprécision » qui rend inexécutable toute convention d’arbitrage. En troisième lieu, l’appelante affirme que l’article 22 des Règles de Hambourg [Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978 (« Règles de Hambourg »), qui constituent l’annexe II de la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21], qui ont force de loi en Roumanie, a pour effet de conférer à l’appelante le droit de choisir le lieu de l’arbitrage. L’appelante affirme que les Règles de Hambourg ne tolèrent aucune dérogation aux droits qu’elles garantissent et qui, à son avis, lui sont plus favorables. Je me propose d’examiner chacun de ces moyens à tour de rôle.

[10]      Pour ce qui est de son argument qu’aucune des clauses compromissoires que l’on trouve dans l’un ou l’autre des contrats d’affrètement ne parle explicitement des litiges pouvant découler des connaissements, l’appelant ne cite aucun précédent pour appuyer la proposition suivant laquelle la clause compromissoire stipulée dans un contrat d’affrètement par charte-partie doit contenir des dispositions qui en étendent expressément la portée aux différends découlant des connaissements. Les règles de droit applicables prévoient de fait le contraire. La clause compromissoire stipulée dans un contrat d’affrètement par charte-partie est réputée avoir été incorporée dans un connaissement dans deux cas bien précis.

[11]      La première catégorie englobe les cas qui remplissent les trois conditions préalables suivantes : 1) le connaissement incorpore expressément par renvoi la clause compromissoire stipulée à la charte-partie; 2) la clause compromissoire est libellée de telle manière qu’elle s’applique logiquement au connaissement; 3) la clause compromissoire ne contredit pas les modalités expresses du connaissement. Les faits de la présente espèce entrent dans cette catégorie. La seconde catégorie concerne les cas dans lesquels le connaissement incorpore les stipulations du contrat d’affrètement en termes généraux sans renvoyer expressément à la clause compromissoire, mais en précisant bien dans la clause compromissoire ou dans une autre disposition du contrat que la clause compromissoire régit les différends découlant tant du connaissement que du contrat d’affrètement par charte-partie. C’est cette interprétation que notre Cour a retenue dans l’arrêt Nanisivik Mines Ltd. c. F.C.R.S. Shipping Ltd., [1994] 2 C.F. 662 (C.A.); voir également Scrutton On Charterparties and Bills of Lading, 20e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1996), aux pages 79 et 80.

[12]      Dans l’arrêt Nanisivik Mines, la Cour a notamment jugé qu’un connaissement qui incorpore expressément par renvoi la clause compromissoire stipulée dans un autre acte constitue une preuve suffisante de l’intention des parties d’être liées par cette clause pour qu’on puisse « manipuler » la phraséologie de la clause de façon à donner effet à cette volonté. Aux pages 677 et 678, le juge Mahoney, qui écrivait au nom de la Cour, a résumé le droit sur ce point :

Pour résumer, trois cas possibles ont été considérés dans Rena K, The : (1) présence dans la charte-partie d’une clause compromissoire qui ne dit rien des différends relatifs aux connaissements délivrés dans le cadre de cette charte-partie, et dans le connaissement d’une clause y incorporant en termes généraux les stipulations de la charte-partie sans aucune référence expresse à la clause compromissoire; (2) présence dans la charte-partie d’une clause compromissoire expressément applicable aux différends relatifs aux connaissements délivrés dans le cadre de la charte-partie, et dans ces connaissements d’une clause y incorporant en termes généraux les stipulations de la charte-partie, sans référence expresse à la clause compromissoire; et (3) présence dans le connaissement d’une clause y incorporant les stipulations de la charte-partie, y compris, par référence expresse, la clause compromissoire.

Dans le premier cas, la clause compromissoire n’engage pas les parties au connaissement parce que, bien qu’elle y soit incorporée, elle ne s’applique pas, par interprétation simple de la phraséologie, aux différends relatifs au connaissement; elle ne vise que les différends survenus dans le cadre de la charte-partie. Dans les deux autres cas, elle engage effectivement les parties au connaissement; dans le deuxième cas parce que, une fois incorporée dans le connaissement, il n’est pas nécessaire de recourir à une interprétation compliquée pour constater qu’elle les engage expressément, et dans le troisième cas, parce que la volonté de l’appliquer aux différends survenus dans le cadre du connaissement et de l’incorporer à ce dernier est suffisamment claire pour qu’on puisse manipuler la phraséologie de la clause de façon à donner effet à cette volonté. [Mots non soulignés dans l’original.]

[13]      Le second moyen qu’invoque l’appelante est que le défaut des deux connaissements de préciser lequel des deux contrats d’affrètement devait s’appliquer en ce qui concerne l’incorporation de la clause compromissoire rend cette clause inexécutable. L’appelante soutient également que, si le contrat d’affrètement au voyage était réputé être le document applicable, la clause compromissoire qui y est stipulée serait inexécutable, parce que le propriétaire du navire intimé n’est pas partie à ce contrat. Seules Metalexportimport et Hawknet sont parties à ce contrat. Dans ces conditions, il est nécessaire de statuer d’abord sur le dernier moyen.

[14]      Aucun précédent n’a été cité à la Cour pour appuyer la proposition qu’une personne ne peut invoquer une disposition contractuelle qui a été incorporée par renvoi que si cette personne était également partie au contrat auquel on renvoie. À mon avis, cet argument est mal fondé. La véritable question qui se pose est celle de savoir si les parties au connaissement avaient l’intention et ont convenu d’être liées par la clause compromissoire stipulée dans un autre document. Il n’est pas nécessaire, par exemple, que le propriétaire du navire intimé soit partie au contrat d’affrètement au voyage. En l’espèce, le propriétaire de navire intimé ne cherche pas à intenter une action en responsabilité contractuelle contre Metalexportimport ou Hawknet qui, pour leur part, ne le poursuivent pas. Il ne s’agit pas de savoir si l’intimée est partie au contrat d’affrètement, mais bien si elle a le droit d’invoquer la clause compromissoire qui a été incorporée par renvoi au connaissement. S’il existe entre le chargeur et le propriétaire du navire un contrat qui a été constaté par un connaissement, la seule question à résoudre est celle de savoir si ce contrat incorpore effectivement par renvoi la clause compromissoire stipulée dans un autre document. Une fois incorporée au connaissement, cette disposition lie le destinataire au même titre que l’expéditeur et le propriétaire du navire.

[15]      Je reviens à l’argument suivant lequel le fait qu’aucun des deux connaissements ne précise lequel des deux contrats d’affrètement devait s’appliquer constitue un obstacle insurmontable à l’application de la clause compromissoire, étant donné qu’il y a ainsi eu violation de la disposition contractuelle qui exigeait que les clauses du contrat soient suffisamment précises. Le juge des requêtes a statué que le contrat d’affrètement au voyage intervenu entre Metalexportimport et Hawknet constitue le contrat applicable. En revanche, dans l’arrêt San Nicholas, The, [1976] 1 Lloyd’s Rep. 8 (C.A.), la Cour d’appel d’Angleterre en est venue à une conclusion différente après avoir fait siens les propos formulés à cet égard dans Scrutton On Charterparties and Bills of Lading, 18e éd., (1974), à la page 63 :

[traduction] […] un renvoi formulé dans des termes généraux sera normalement interprété comme un renvoi au contrat d’affrètement principal, étant donné que c’est le contrat auquel le propriétaire du navire, qui a délivré le connaissement, est partie.

[16]      Si besoin est, il serait possible d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire San Nicholas au motif que le contrat d’affrètement au voyage dont il était question dans cette dernière affaire était stipulé dans un seul document. Mais avant tout et par-dessus tout, les auteurs de l’ouvrage Scrutton On Charterparties and Bills of Lading 20e éd., (Londres : Sweet & Maxwell, 1996) affirment, à la page 76, que, si le contrat d’affrètement applicable n’est pas précisé dans la clause d’incorporation, le tribunal présumera que c’est celui aux termes duquel les marchandises ont été transportées, c’est-à-dire, dans le cas qui nous occupe, le contrat d’affrètement au voyage. À mon avis, il existe des motifs impérieux de retenir l’énoncé du droit le plus récent. Suivant un des préceptes fondamentaux du droit maritime, en plus de servir d’accusé de réception des marchandises et de titre documentaire, le connaissement a pour objet de constater l’existence d’un contrat d’affrètement. Par ailleurs, un contrat d’affrètement est une convention aux termes de laquelle le propriétaire d’un navire, ou la personne dûment autorisée pour conclure une telle entente, convient de transporter les marchandises du chargeur/affréteur ou de mettre un navire à la disposition de ce dernier à cette fin (voir Scrutton On Charterparties and Bills of Lading, 20e éd. à la page 1). Dans le cas qui nous occupe, le contrat d’affrètement se trouve dans la charte-partie au voyage conclue entre Metalexportimport, en sa qualité de chargeur/affréteur, et Hawknet, en tant qu’affréteur à temps du Mariana. Il s’ensuit que la charte-partie applicable est le contrat d’affrètement au voyage et non le contrat d’affrètement principal. Le fait que les deux connaissements portent la mention suivante : [traduction] « Fret payable en conformité avec le contrat d’affrètement en date du » est tout aussi éclairant. Une fois de plus, la conclusion logique est que le contrat d’affrètement applicable est le contrat d’affrètement au voyage, parce qu’il s’agit du contrat aux termes duquel les marchandises ont été transportées et en vertu duquel le fret est payable.

[17]      À vrai dire, il n’est pas nécessaire de trancher définitivement la question de savoir lequel des deux contrats d’affrètement s’applique, étant donné que les parties conviennent qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre la clause compromissoire que l’on trouve dans chacun d’entre eux. Incidemment, je constate qu’en plus de préciser que c’est le droit anglais qui régit le renvoi à l’arbitrage à Londres, le contrat d’affrètement principal stipule que le droit anglais doit régir les questions de fond en litige (voir les articles 65 et 66 du contrat d’affrètement principal et les comparer avec l’article 35 du contrat d’affrètement au voyage). La question de l’existence d’une disposition portant sur le choix du droit applicable se pose une fois de plus lorsqu’on examine le troisième moyen invoqué par l’appelante.

[18]      Si, ainsi que je suis tenu de le faire, j’accepte que les deux clauses compromissoires en litige ne sont pas différentes l’une de l’autre, du moins dans la mesure où elles prévoient toutes les deux que les différends doivent être renvoyés à l’arbitrage à Londres, il n’est pas nécessaire de décider si c’est le contrat d’affrètement au voyage qui constitue le document applicable, par opposition au contrat d’affrètement principal. Certes, on ne saurait prétendre que les dispositions de ces contrats ne sont pas suffisamment précises. Même si les clauses avaient été différentes et que, par exemple, l’une aurait prévu l’arbitrage à Londres et l’autre, à Bucarest, le débat aurait néanmoins porté sur la question de savoir lequel des deux contrats d’affrètement s’applique et non sur la question de savoir si les clauses en question n’étaient pas exécutables en raison de leur manque de précision.

[19]      L’appelante fait valoir un moyen subsidiaire. Elle affirme qu’elle ne peut être liée par une disposition d’un contrat d’affrètement dont elle ignorait l’existence au moment où elle a accepté les connaissements. À mon humble avis, cet argument n’est pas convaincant. Si l’obligation de renvoyer la réclamation à Londres ou dans toute autre ville revêtait une importance critique aux yeux de l’appelante, celle-ci aurait pu en théorie soulever la question au moment où elle a conclu le contrat d’achat des rouleaux d’acier et insister pour que tout connaissement soit conforme à ce contrat. Si l’appelante ne l’a pas fait, elle a vraisemblablement fait le nécessaire pour se protéger contre les pertes financières causées par les avaries que pouvait subir la marchandise en utilisant la méthode commerciale habituelle, c’est-à-dire en souscrivant une police d’assurance adéquate. Certes, un connaissement peut être considéré comme un contrat d’adhésion (ce qu’on est convenu d’appeler un « contrat-type »), lequel n’est guère compatible avec la notion classique de contrat négocié. Mais il est également vrai que nous sommes en présence de parties expérimentées qui connaissent bien les exigences de ce domaine particulier et qui étaient parfaitement conscientes du fait que l’efficacité commerciale exigeait qu’elles utilisent des contrats dont, logiquement, elles devaient avoir pris connaissance avant la survenance d’une perte. L’appelante ne saurait donc prétendre qu’il n’y a pas eu de « convention d’arbitrage », alors qu’en réalité, elle a tout simplement omis de s’informer des modalités par lesquelles elle avait convenu de faire transporter ses marchandises. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle l’appelante peut invoquer des principes juridiques conçus pour protéger le faible contre le fort.

[20]      Le dernier moyen que fait valoir l’appelante est que l’article 22 des Règles de Hambourg, qui ont force de loi en Roumanie, a pour effet de conférer à l’appelante le droit de choisir le lieu de l’arbitrage. L’appelante affirme qu’elle désire introduire une procédure d’arbitrage au Canada en vertu de cette disposition (voir l’annexe des présents motifs, où est reproduit le texte intégral de ces dispositions). L’article 22, paragraphe 1 prévoit qu’une personne peut accepter de soumettre tout différend à l’arbitrage. L’article 22, paragraphe 2 exige que le connaissement renferme une « clause expresse » prévoyant que la clause compromissoire est opposable au porteur du connaissement, à défaut de quoi le transporteur n’a pas le droit d’invoquer la clause. L’article 22, paragraphe 3 prévoit que le « demandeur » a le droit de choisir le lieu d’introduction de la procédure d’arbitrage à partir de la liste de lieux proposée dans ce paragraphe, dont le port de déchargement (en l’occurrence, le Canada). L’article 22, paragraphe 4 dispose que le tribunal d’arbitrage doit appliquer les Règles de Hambourg au différend dont il est saisi. Il est précisé, à l’article 22, paragraphe 5 que les deux paragraphes qui précèdent sont réputés inclus dans toute clause compromissoire.

[21]      Suivant l’appelante, les Règles de Hambourg sont plus favorables aux propriétaires de marchandises que ne le sont les Règles de La Haye-Visby [qui constituent l’annexe I de la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21], qui sont en vigueur en Angleterre. En résumé, l’appelante désire renvoyer le différend à l’arbitrage au Canada en conformité avec le droit de la Roumanie, qui a adopté les Règles de Hambourg et ce, malgré le fait que les deux connaissements prévoient que les différends doivent être renvoyés à l’arbitrage à Londres en conformité avec le droit anglais, et non avec le droit roumain. Il vaut la peine de souligner que la question du droit régissant les différends qui sont soumis à l’arbitrage se pose à pas moins de trois niveaux distincts.

[22]      Il y a tout d’abord la question du droit applicable à la clause compromissoire, c’est-à-dire la question du droit régissant l’obligation faite aux parties de soumettre tout litige à l’arbitrage et de respecter toute sentence arbitrale. Deuxièmement, il y a la question des « règles judiciaires » qui régissent la façon dont les parties et l’arbitre doivent procéder au renvoi d’un différend déterminé. Troisièmement, il est nécessaire de déterminer quel droit s’applique au contrat, c’est-à-dire quel droit régit le contrat qui crée les droits substantiels qui ont donné naissance au litige (voir, de façon générale, Mustill & Boyd, The Law and Practice of Commercial Arbitration in England, 2e éd. (Londres : Butterworths, 1989), aux pages 60 et suivantes). Pour ce qui est du droit applicable à la clause compromissoire, il est nécessaire de se demander si les parties ont expressément choisi le droit applicable. Dans l’affirmative, ce choix s’applique, même si le droit retenu diffère du droit du contrat sous-jacent ou des règles judiciaires applicables : voir Mustill & Boyd, à la page 62; Tetley, International Conflict of Laws : Common, Civil and Maritime, (Montréal : Blais, 1994), à la page 230; et J.-G. Castel, Canadian Conflict of Laws, 4e éd., (Toronto : Butterworths, 1997), aux pages 593 et 594. Toutefois, l’autonomie ou la liberté de choix ne sont pas absolues, du moins au Canada : voir Castel, aux pages 594 et 595.

[23]      À mon humble avis, le troisième moyen invoqué par l’appelante est mal fondé. Elle soutient en fait que le droit qui s’applique à la clause compromissoire et au différend qui s’y rapporte est le droit roumain. En plus de contredire directement les dispositions relatives au choix du droit applicable qui sont stipulées dans les deux contrats d’affrètement, cet argument n’a aucun rapport avec la question de l’opportunité de suspendre l’instance. Il n’appartient pas à notre Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande introduite en vertu de la Loi sur l’arbitrage commercial, de se prononcer sur le droit qui régit un contrat déterminé. Tout ce qu’on nous demande de décider, c’est s’il existe toujours une clause compromissoire exécutoire. On se souviendra que l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire et qu’aux termes de l’article 5 de la Loi sur l’arbitrage commercial, le Code d’arbitrage commercial [qui constitue l’annexe de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17] a force de loi au Canada (voir l’annexe jointe aux présents motifs). L’article 8 du Code prévoit effectivement que, si une convention d’arbitrage est toujours exécutoire, le tribunal renvoie l’affaire à l’arbitrage, à moins qu’il ne constate que la convention n’est pas susceptible d’être exécutée en ce sens qu’elle est « caduque » ou « inopérante ».

[24]      Il ressort à l’évidence des dispositions du Code d’arbitrage commercial que notre Cour doit répondre à deux questions fondamentales. En premier lieu, elle doit, conformément à l’article 7(2), déterminer si la clause compromissoire a effectivement été incorporée aux connaissements. En second lieu, elle doit décider si la clause compromissoire est « caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » au sens de l’article 8(1). J’ai déjà rejeté l’argument de l’appelante suivant lequel les clauses compromissoires n’ont pas été valablement incorporées aux deux connaissements, ainsi que son argument que les clauses en question ne sont pas exécutables pour les motifs déjà exposés. Les avocats ont débattu ces deux questions en fonction du droit canadien qui, dans les affaires ressortissant au droit maritime, correspond en grande partie au droit anglais. (Nul n’a soutenu que l’on devait tenir compte du droit roumain dans le seul but de déterminer le sens de l’expression « caduque » que l’on trouve à l’article 8 du Code d’arbitrage commercial. Ainsi, l’article 22, paragraphe (2) des Règles de Hambourg exige que le connaissement renferme une « clause expresse », à défaut de quoi la clause compromissoire n’est pas opposable au porteur du connaissement. Il s’ensuit donc que la Cour se voit dans l’obligation d’accorder la suspension demandée et d’ordonner que l’affaire soit renvoyée à l’arbitrage à Londres. C’est au tribunal arbitral de Londres qu’il appartiendra de se prononcer sur le droit applicable au(x) contrat(s). Il voudra sans doute examiner pour ce faire les dispositions relatives au choix du droit applicables qui sont stipulées dans les connaissements.

[25]      Par ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Le juge Décary, J.C.A. : Je suis du même avis.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je suis du même avis.

ANNEXE

Règles de Hambourg

L’article 22 dispose :

Article 22

Arbitrage

1. Sous réserve des dispositions du présent article, les parties peuvent prévoir, par un accord constaté par écrit, que tout litige relatif au transport de marchandises en vertu de la présente Convention sera soumis à l’arbitrage.

2. Lorsqu’un contrat d’affrètement contient une disposition prévoyant que les litiges découlant de son exécution seront soumis à l’arbitrage et qu’un connaissement émis conformément à ce contrat d’affrètement ne spécifie pas par une clause expresse que cette disposition lie le porteur du connaissement, le transporteur ne peut pas opposer cette disposition à un détenteur de bonne foi du connaissement.

3. La procédure d’arbitrage est engagée, au choix du demandeur :

a) soit en un lieu sur le territoire d’un État dans lequel est situé :

(i) l’établissement principal du défendeur, ou, à défaut, sa résidence habituelle, ou

(ii) le lieu où le contrat a été conclu, à condition que le défendeur y ait un établissement, une succursale ou une agence par l’intermédiaire duquel le contrat a été conclu, ou

(iii) le port de chargement ou le port de déchargement;

b) soit en tout autre lieu désigné à cette fin dans la clause ou le pacte compromissoire.

4. L’arbitre ou le tribunal arbitral applique les règles de la présente Convention.

5. Les dispositions des paragraphes 3 et 4 du présent article sont réputées incluses dans toute clause ou pacte compromissoire, et toute disposition de la clause ou du pacte qui y serait contraire est nulle.

6. Aucune disposition du présent article n’affecte la validité d’un accord relatif à l’arbitrage conclu par les parties après qu’un litige est né du contrat de transport par mer.

Code d’arbitrage commercial

Voici le texte de l’article 8 et des définitions pertinentes de l’article 7 :

Article 7

[…]

1. Une « convention d’arbitrage » est une convention par laquelle les parties décident de soumettre à l’arbitrage tous les différends ou certains des différends qui se sont élevés ou pourraient s’élever entre elles au sujet d’un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel. Une convention d’arbitrage peut prendre la forme d’une clause compromissoire dans un contrat ou d’une convention séparée.

2. La convention d’arbitrage doit se présenter sous forme écrite. Une convention est sous forme écrite si elle est consignée dans un document signé par les parties ou dans un échange de lettres, de communications télex, de télégrammes ou de tout autre moyen de télécommunications qui en atteste l’existence, ou encore dans l’échange d’une conclusion en demande et d’une conclusion en réponse dans lequel l’existence d’une telle convention est alléguée par une partie et n’est pas contestée par l’autre. La référence dans un contrat à un document contenant une clause compromissoire vaut convention d’arbitrage, à condition que le contrat soit sous forme écrite et que la référence soit telle qu’elle fasse de la clause une partie du contrat.

Article 8

[…]

1. Le tribunal saisi d’un différend sur une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage renverra les parties à l’arbitrage si l’une d’entre elles le demande au plus tard lorsqu’elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu’il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

2. Lorsque le tribunal est saisi d’une action visée au paragraphe l du présent article, la procédure arbitrale peut néanmoins être engagée ou poursuivie et une sentence peut être rendue en attendant que le tribunal ait statué.

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