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[2000] 3 C.F. 145

A-428-98

John Labatt Limitée et La Brasserie Labatt Limitée (appelantes)

c.

Les Brasseries Molson, Société en nom collectif (intimée)

Répertorié : Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (C.A.)

Cour d’appel, juges Isaac, Létourneau et Rothstein, J.C.A.—Ottawa, 28 octobre 1999 et 3 février 2000.

Droit administratif Appels prévus par la loi Appel d’un jugement de la Section de première instance accueillant, principalement en raison de la preuve additionnelle soumise en appel (chiffres de vente et de publicité, demande d’enregistrement du mot « Export » comme marque de commerce présentée par une filiale de Labatt), l’appel du refus du registraire d’enregistrer la marque de commerce « Export » en liaison avec des boissons alcoolisées obtenues par brassageL’art. 56 de la Loi sur les marques de commerce prévoit l’appel à la Cour fédérale de toute décision du registraireL’art. 56(5) autorise la présentation d’éléments de preuve additionnels, lors de ces appels, et permet à la Cour fédérale d’exercer toute discrétion dont le registraire est investiL’appel prévu à l’art. 56 implique, en partie, la révision des conclusions du registraireEn l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, les décisions du registraire, de fait, de droit ou résultant de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciterLorsqu’une preuve additionnelle pouvant influer sur les conclusions de fait ou l’exercice du pouvoir discrétionnaire est déposée devant la Section de première instance, le juge doit tirer ses propres conclusions quant à l’exactitude de la décision du registraireL’application du critère de contrôle de la décision raisonnable simpliciter à la décision du registraire et le fait que la preuve supplémentaire déposée devant la Section de première instance n’aurait pas influé de façon significative sur ses conclusions de fait ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire auraient dû entraîner le maintien de la décision du registraire.

Marques de commerce Enregistrement Appel d’un jugement de la Section de première instance accueillant, principalement en raison de la preuve additionnelle soumise en appel (chiffres de vente et de publicité, demande d’enregistrement du mot « Export » comme marque de commerce présentée par une filiale de Labatt), l’appel du refus du registraire d’enregistrer la marque de commerce « Export » en liaison avec des boissons alcoolisées obtenues par brassageL’opposition avait pour motif que le mot « Export » était descriptif de la qualité de la bière et qu’il n’était pas distinctif du produit en liaison avec lequel il était employéLe registraire a conclu que même si le mot « Export » avait acquis un caractère distinctif en Ontario et au Québec, rien ne prouvait que c’était le cas pour le reste du paysLe juge de la Section de première instance a déterminé que la demande soumise par la filiale était un aveuElle a conclu que la marque « Export » était distinctive du produit de Molson en Ontario et au Québec et que Molson avait droit à l’enregistrement en vertu de l’art. 12(2)Appel accueilliSous le régime de l’art. 12(2), le requérant doit prouver que la marque de commerce qu’il veut enregistrer, même si elle est descriptive, a acquis une signification seconde et distinctive, prépondérante en liaison avec ses marchandises ou ses servicesL’art. 32 permet de restreindre l’enregistrement à la région où la marque de commerce est, d’après la preuve, devenue distinctiveLa date à laquelle il faut établir le caractère distinctif de la marque en raison de son emploi prolongé au Canada est la date du dépôt de la demande d’enregistrementLe mécanisme de l’art. 32 indique que l’octroi d’une marque de commerce à portée territoriale restreinte est limité aux affaires relevant des art. 12(2) et 13Suivant l’art. 32(2) et la décision Great Lakes Hotels Ltd. v. The Noshery Ltd., si Molson établit le caractère distinctif de sa marque « Export » en Ontario et au Québec, elle aura droit à l’enregistrement en vertu de l’art. 12(2)La question de savoir si l’exclusivité est essentielle à l’établissement du caractère distinctif est sans objetL’exclusivité n’est pas essentielle au caractère distinctifQuant à la reconnaissance du terme « Export » par le public en liaison avec le produit Molson, le témoignage intéressé de deux cadres supérieurs de Molson et un sondage faussé n’ont pas de valeur probante significativeLa preuve relative aux chiffres des ventes et aux dépenses publicitaires n’établit pas que le mot « Export » seul est distinctif de la bière MolsonLa demande de la filiale n’aurait pas dû être considérée comme un aveuSi l’on applique le critère de contrôle de la décision raisonnable simpliciter à la décision, comme la preuve supplémentaire déposée devant la Section de première instance n’aurait pas influé de façon significative sur les conclusions de fait ou sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire, le juge aurait dû maintenir la décision du registraireLorsque la preuve n’établit pas de façon prépondérante, à la satisfaction du registraire, que le terme descriptif a acquis un caractère distinctif conformément à l’art. 12(2), la demande ne peut être accueillie.

Il s’agit de l’appel, fondé sur l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, de la décision de la Section de première instance d’accueillir, en s’appuyant principalement sur la preuve additionnelle qui lui a été soumise, l’appel formé contre le refus du registraire d’enregistrer la marque de commerce « Export » en liaison avec des boissons alcoolisées obtenues par brassage. Le paragraphe 56(1) prévoit un droit d’appel à la Cour fédérale de toute décision du registraire. Le paragraphe 56(5) autorise la présentation d’éléments de preuve additionnels, lors de ces appels, et permet à la Cour fédérale d’exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

Aux termes de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, une marque qui est clairement descriptive d’un bien n’est pas enregistrable. Toutefois, en vertu du paragraphe 12(2), si, par un emploi prolongé de la marque en liaison avec un bien, celle-ci est devenu distinctive des marchandises du requérant à la date de la demande d’enregistrement, de telle sorte que la connotation clairement descriptive de la marque de commerce est subordonnée à son caractère distinctif, la marque de commerce peut être enregistrée. La demande d’enregistrement de Molson visant la marque « Export », pour utilisation en liaison avec des boissons alcoolisées obtenues par brassage ne renvoyait pas à l’article 12. Labatt s’est opposée à la demande au motif que le mot « Export » était, suivant l’alinéa 12(1)b), clairement descriptif de la qualité de la bière et qu’il n’était pas, suivant l’alinéa 38(2)d), distinctif de la bière de Molson. En 1988, Molson a modifié sa demande pour se prévaloir du paragraphe 12(2). Un affidavit, accompagné d’un sondage mené à quatre endroits en Ontario, a été déposé devant le registraire, lequel a conclu que même si l’affidavit prouvait que le mot « Export » avait acquis un caractère distinctif en Ontario, aucune preuve ne permettait d’en arriver à la même conclusion pour le reste du pays. La Section de première instance disposait d’un état des chiffres de ventes et des dépenses publicitaires de Molson ainsi que d’une demande faite par Labatt, au nom de sa filiale en propriété exclusive, Oland Breweries Limitée (Oland), en vue d’enregistrer le mot « Export » comme marque de commerce qui n’avaient pas été déposés devant le registraire. Le juge a estimé que la tentative de Labatt d’enregistrer « Export » comme marque de commerce pour le compte d’une filiale était un aveu que Labatt ne devait pas être autorisé à retirer pour les fins de la demande de Molson. Elle a conclu 1) que la marque « Export » de Molson était distinctive en Ontario et au Québec à la date du dépôt de la demande d’enregistrement et 2) que même si la date de l’opposition était pertinente pour les fins de l’opposition sous le régime de l’alinéa 38(2)d), la question était sans objet du fait qu’il n’y a eu aucun changement dans les conditions du marché entre la date de la demande et la date de l’opposition. Elle a donc statué que Molson avait droit à l’enregistrement de la marque en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi sur les marques de commerce.

Voici les questions en litige : 1) la nature de l’appel sous le régime de l’article 56 et la norme de contrôle; 2) la norme de preuve requise par le paragraphe 12(2); 3) la date pertinente pour la détermination du caractère distinctif sous le régime du paragraphe 12(2); 4) la question de savoir si le caractère distinctif doit être établi pour tout le Canada; 5) la question de savoir si le caractère exclusif est essentiel à la preuve du caractère distinctif; 6) l’appréciation de la décision du juge de première instance.

Arrêt (le juge Isaac, J.C.A., est dissident) : l’appel est accueilli.

Le juge Rothstein, J.C.A. : 1) Un appel sous le régime de l’article 56 implique, du moins en partie, une révision des conclusions du registraire. Même si la Loi sur les marques de commerce prévoit expressément le droit d’appel devant la Cour fédérale, il a été reconnu que les connaissances spécialisées du registraire méritent une certaine déférence. En l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

2) Relativement au paragraphe 12(2), la jurisprudence parle souvent de « charge lourde ». Le terme « charge lourde » paraît tenir au caractère exceptionnel du paragraphe 12(2). Parce que le paragraphe 12(2) est une exception au principe de la non-enregistrabilité des termes clairement descriptifs, il doit être prouvé que l’emploi prolongé a fait qu’un mot descriptif est devenu distinctif du produit du requérant. Si une telle preuve est soumise, elle doit être évaluée suivant la probabilité la plus forte. Le paragraphe 12(2) ne requiert pas la démonstration de l’élimination du caractère descriptif de la marque. Le requérant doit prouver que la marque de commerce qu’il veut enregistrer, bien qu’elle puisse être descriptive, a acquis une signification seconde et distinctive, prépondérante en liaison avec ses marchandises ou ses services.

3) La date à laquelle il faut établir le caractère distinctif de la marque en raison de son emploi prolongé au Canada est la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant. Une fois la demande annoncée, les demandes visées au paragraphe 12(2) ne donnent pas lieu à la démarche en deux étapes. L’opposition déposée en vertu de l’alinéa 38(2)d) et la question de savoir si une marque a acquis un caractère distinctif suivant le paragraphe 12(2) impliquent la même décision. En réalité, la question de l’enregistrabilité fait également partie de la même décision parce que si la marque est jugée enregistrable en application du paragraphe 12(2), cette conclusion aura pour effet de supplanter l’interdiction d’enregistrement prévue aux alinéas 12(1)a) ou b). Pendant tout le processus, c’est au requérant qu’il incombe de prouver le caractère distinctif.

Aux termes de l’alinéa 18(1)b), l’enregistrement d’une marque de commerce n’est pas valide si elle n’est pas distinctive à l’époque où les procédures soulevant la validité de l’enregistrement ont commencé. L’alinéa 18(1)b) reçoit application dans les cas où on a fait droit à l’enregistrement et que, subséquemment, des procédures sont prises pour faire invalider cet enregistrement. L’alinéa 38(2)d) prévoit le dépôt d’une opposition fondée sur le caractère non distinctif. Le dépôt d’un opposition en vertu de l’alinéa 38(2)d) n’est pas une instance soulevant la question de la validité d’une marque de commerce déjà enregistrée comme le prévoit l’alinéa 18(1)b). Par conséquent, le dépôt d’une opposition en l’espèce n’a pas eu pour effet de créer une seconde date pour la détermination du caractère distinctif.

4) L’article 19 prévoit que l’enregistrement confère au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de la marque « dans tout le Canada ». Suivant le paragraphe 32(1), le requérant qui prétend que sa marque est enregistrable en vertu du paragraphe 12(2) ou en vertu de l’article 13 doit fournir au registraire une preuve établissant dans quelle mesure et pendant quelle période la marque a été employée au Canada. Le paragraphe 32(2) permet au registraire de restreindre l’enregistrement à la région où la marque de commerce est, d’après la preuve, devenue distinctive. La Loi semble donc envisager un enregistrement général dans tout le Canada bien que, dans certaines circonstances, il puisse être restreint par le registraire à certaines régions définies lorsque la preuve établit que le caractère distinctif n’est acquis que dans ces régions. Dans l’affaire Great Lakes Hotels Ltd. v. Noshery Ltd., le juge Cattanach a statué qu’une marque est distinctive si elle fait réellement une distinction entre les marchandises et services de son propriétaire et ceux d’une autre personne dans une région définie au Canada sans faire une distinction dans tout le Canada. Des décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce ont rejeté cette conclusion ou lui ont apporté des distinctions. La décision Great Lakes ne devrait s’appliquer qu’aux demandes faites en vertu du paragraphe 12(2) ou de l’article 13. Le mécanisme de l’article 32 dans son ensemble paraît étayer l’interprétation selon laquelle l’octroi d’une marque de commerce à portée territoriale restreinte est limité aux affaires relevant de ces dispositions. Le paragraphe 32(2) ne semble pas être une disposition autonome applicable à toutes les demandes d’enregistrement de marque de commerce; il s’applique plutôt aux demandes visées par le paragraphe 32(1), savoir les demandes présentées sous le régime du paragraphe 12(2) ou de l’article 13. Par conséquent, le paragraphe 32(2) et la décision Great Lakes peuvent s’appliquer en l’espèce, de sorte que, si Molson peut établir le caractère distinctif de sa marque « Export » en Ontario et au Québec, elle aura droit à l’enregistrement en vertu du paragraphe 12(2).

5) Vu la conclusion voulant que la date pertinente pour déterminer le caractère distinctif soit celle du dépôt de la demande d’enregistrement et que l’enregistrement puisse être restreint à une région définie, la question de savoir si l’exclusivité est essentielle à l’établissement du caractère distinctif devient sans objet. À la date du dépôt de la demande, il n’y avait, en Ontario et au Québec, aucun autre emploi du terme « Export » en liaison avec des boissons alcoolisées obtenues par brassage. Bien que l’emploi par d’autres de la même marque en liaison avec des marchandises similaires soit pertinent pour établir si une marque est en fait distinctive, l’exclusivité n’est pas essentielle à cette démonstration.

6) La Cour d’appel est en aussi bonne position que le juge de première instance pour déterminer quelles conclusions il faut tirer de la preuve. Le mot « Export » n’est jamais employé seul, il l’est toujours en relation avec le mot « Molson » ou « Molson’s » sur les bouteilles ou les cartons porte-bouteilles. En conséquence, l’importance des chiffres de vente et des dépenses publicitaires ne prouve pas que le mot « Export » seul est distinctif de la bière Molson. L’expression « Molson Export » est distinctive, mais la preuve n’établit pas que le mot « Export » seul l’est.

Quant à la reconnaissance du terme « Export » par le public en liaison avec le produit Molson, le témoignage intéressé de deux cadres supérieurs de Molson et le sondage, qui était faussé selon le juge de première instance, n’ont pas de valeur probante significative.

Le fait que la filiale de Labatt a cherché à obtenir la même forme de reconnaissance du terme « Export » pour un de ses produits ne prouve pas que ce terme a acquis un caractère distinctif en liaison avec un produit de Molson. Le caractère distinctif s’établit du point de vue de l’utilisateur régulier, et la marque de commerce doit être considérée de façon globale et sous l’angle de la première impression. La demande de la filiale n’a aucune pertinence, et elle ne porte pas ombrage à l’opposition de Labatt. La conclusion évidente est que la filiale a demandé l’enregistrement du mot « Export » en réaction à la demande de Molson. Elle cherchait à protéger l’utilisation qu’elle faisait de ce mot, face à la demande de Molson. Le juge de première instance n’aurait pas dû conclure que cette demande constituait un aveu à l’encontre des intérêts de Labatt. Si l’on applique le critère de contrôle de la décision raisonnable simpliciter à la décision du registraire, et considérant que la preuve supplémentaire déposée devant la Section de première instance n’aurait pas influé de façon significative sur ses conclusions de fait ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge aurait dû maintenir la décision du registraire. En raison du paragraphe 32(1), une décision rendue sous le régime du paragraphe 12(2) doit être fondée sur une preuve qui satisfait le registraire. Lorsque la preuve n’établit pas selon la probabilité la plus forte et à la satisfaction du registraire, que le terme descriptif a acquis un caractère distinctif conformément au paragraphe 12(2), la demande ne peut être accueillie.

Le juge Isaac, J.C.A. (dissident) : La question cruciale est de déterminer si Molson s’est acquittée du fardeau, imposé par le paragraphe 12(2), d’établir qu’à la date du dépôt de la demande d’enregistrement, la marque de commerce avait été « employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive ».

La conclusion du registraire était une conclusion de fait. La Section de première instance pouvait donc réviser cette décision et y substituer ses propres conclusions. Qui plus est, la Section de première instance avait une preuve additionnelle qui n’avait pas été présentée au registraire.

La Section de première instance ne s’est pas fondée sur la demande d’enregistrement présentée par la filiale pour conclure que Molson avait établi le caractère distinctif de sa marque. Elle a plutôt correctement conclu que cette demande était un aveu tendant à diminuer la crédibilité de l’opposition de l’appelante à la demande de l’intimée. Après avoir examiné la preuve, la Cour s’est déclarée convaincue que Molson avait établi le caractère distinctif de la marque de commerce « Export » en Ontario et au Québec. La Section de première instance pouvait arriver à cette conclusion. Comme il n’y a pas d’erreur manifeste et dominante dans son appréciation des faits, je ne vois pas de motifs de modifier cette conclusion.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 2 « distinctive », « marque de commerce », 12(1)a),b) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 59), (2), 13, 18(1)b), 19 (mod., idem, art. 60), 32, 38(2)b),d), 56.

Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, ch. T-10, art. 37(2)b).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

McDonald’s Corp c. Silcorp Ltd. (1989), 24 C.P.R. (3d) 207; 25 F.T.R. 151 (C.F. 1er inst.); conf. par (1992), 41 C.P.R. (3d) 67; 139 N.R. 319 (C.A.F.); Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation, [1969] R.C.S. 192; (1968), 1 D.L.R. (3d) 462; 57 C.P.R. 1; 39 Fox Pat. C. 207; E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., [1976] 2 C.F. 3 (1975), 25 C.P.R. (2d) 126; 11 N.R. 560 (C.A.); Kellogg Company of Canada Ltd. v. Registrar of Trade Marks, [1940] R.C.É. 163; [1939] 3 D.L.R. 65; Corsfield (Joseph) & Sons Ld.In the Matter of an Application to Register a Trade Mark (« Perfection ») by (1909), 26 R.P.C. 837 (C.A.); Great Lakes Hotels Ltd. v. The Noshery Ltd., [1968] 2 R.C.É. 622; (1968), 56 C.P.R. 165; Battle Pharmaceuticals v. The British Drug Houses Ltd., [1946] R.C.S. 50; [1946] 1 D.L.R. 289; (1945), 5 C.P.R. 71.

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Standard Coil Products Can. Ltd. c. Standard Radio Corp., [1971] C.F. 106; (1971), 1 C.P.R. (2d) 155 (1re inst.); conf. par [1976] 2 C.F. iv; (1976), 26 C.P.R. (2d) 288 n (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Carling Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd., [1984] 2 C.F. 920 (1984), 1 C.P.R. (3d) 191 (1re inst.); Brasseries Carling Ltée. c. Cies Molson Ltée (1988), 16 C.I.P.R. 157; 19 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.); Robinson’s Camera Centre Ltd. c. Black Photo Corp. (1990), 34 C.P.R. (3d) 439 (C.O.M.C.); Morris et al. trading as Happy Cooker Catering v. Lisko (1982), 70 C.P.R. (2d) 254 (C.O.M.C.); DeCaria Hair Studio Ltd. v. Massimo De Berardinis et al. trading as De Berardinis (1984), 2 C.P.R. (3d) 309 (C.O.M.C.).

DÉCISIONS CITÉES :

Brasseries Molson, société en nom collectif c. Swan Brewery Co. (1994), 58 C.P.R. (3d) 303 (C.O.M.C.); Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (no 1) (1987), 17 C.P.R. 289 (C.A.F.); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; conf. (1995), 127 D.L.R. (4th) 329; 21 B.L.R. (2d) 68; 63 C.P.R. (3d) 67; 185 N.R. 291 (C.A.); Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.); Muffin Houses Inc. c. Muffin House Bakery Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 272 (C.O.M.C.); Imperial Group plc and Another v Philip Morris Limited and Another, [1984] R.P.C. 293 (Ch.D.); Moore Dry Kiln Co. of Canada c. U.S. National Resources Inc. (1976), 30 C.P.R. (2d) 40; 12 N.R. 361 (C.A.F.); Johnson (S.C.) and Son, Ltd. et autre c. Marketing International Ltd., [1980] 1 R.C.S. 99; (1979), 105 D.L.R. (3d) 423; 9 B.L.R. 327; 44 C.P.R. (2d) 16; 29 N.R. 515; Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd. c. Tune Masters (1984), 82 C.P.R. (2d) 128 (C.F. 1re inst.); All Canada Vac Ltd. c. Lindsay Manufacturing Inc. (1990), 28 C.P.R. (3d) 385; 32 F.T.R. 259 (C.F. 1er inst.).

DOCTRINE

Black’s Law Dictionary, 7th ed. St. Paul (Minn.) : West Group, 1999 « trial de novo ».

Clark, Joan. « The Distinctiveness Required for the Validity of a Trade Mark » (1971), 2 C.P.R. (2d) 239.

Fox, H. G. Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3rd ed., Toronto; Carswell, 1972.

APPEL d’un jugement de la Section de première instance (Brasseries Molson, société en nom collectif c. John Labatt Ltée (1998), 82 C.P.R. (3d) 1; 148 F.T.R. 281 (C.F. 1re inst.)) accueillant, principalement en raison de la preuve additionnelle soumise à la Cour, l’appel du refus du registraire d’enregistrer la marque de commerce « Export » (John Labatt Ltée c. Brasseries Molson, société en nom collectif, [1995] C.O.M.C. no 223 (QL)). Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Nicholas H. Fyfe, c.r. et Kohji Suzuki pour les appelantes.

Elizabeth G. Elliott et John S. Macera pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar, Ottawa, pour les appelantes.

Macera & Jarzyna, Ottawa, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Isaac, J.C.A. (dissident) : J’ai eu le privilège de lire le projet de jugement du juge Rothstein en l’espèce. Je regrette de ne pouvoir souscrire à ses motifs ni à la façon dont il entend disposer de l’appel.

[2]        Les motifs de mes conclusions suivent.

[3]        Je ne trouve pas qu’il soit nécessaire d’exprimer une opinion sur les cinq premiers points traités par le juge Rothstein à savoir : la nature de l’appel sous le régime de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi) et la norme de contrôle, la norme de preuve requise par le paragraphe 12(2) de la Loi, la date pertinente pour la détermination du caractère distinctif sous le régime du paragraphe 12(2) de la Loi, la question de savoir si le caractère distinctif doit être établi dans tout le Canada et la question de savoir si le caractère exclusif est essentiel pour établir le caractère distinctif; ces sujets ont en effet été traités dans la jurisprudence existante ou dans la loi.

[4]        Selon moi, la question cruciale soulevée par le présent appel est de déterminer si la Cour en première instance pouvait à bon droit conclure, d’après les faits qui lui ont été présentés, que l’intimée, Les Brasseries Molson, société en nom collectif (Molson), s’était acquittée du fardeau, imposé par le paragraphe 12(2) de la Loi, d’établir que, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement, la marque de commerce avait été « employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive » [(1998), 82 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.)].

[5]        Les extraits pertinents de l’article 12 de la Loi se lisent comme suit :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer ou […]

[…]

(2) Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant. [Soulignements ajoutés.]

[6]        La présente affaire a commencé devant la Section de première instance de cette Cour alors que l’intimée interjetait, en vertu de l’article 56 de la Loi, appel d’une décision du registraire des marques de commerce (le registraire), en date du 22 novembre 1995 [[1995] T.M.O.B. no 223 (QL)], rejetant la demande d’enregistrement de la marque « Export » pour une utilisation en liaison avec « des boissons alcoolisées brassées ».

[7]        Devant le registraire, l’intimée a déposé l’affidavit de David J. Pye, expert en méthodologie de recherche, auquel était annexé un sondage mené pour l’intimée à quatre endroits en Ontario. Le registraire a estimé que la preuve ne satisfaisait pas au fardeau que le paragraphe 12(2) de la Loi impose à l’intimée. Il en a conclu que, même si l’affidavit de Pye établit que le mot « Export » a acquis un caractère distinctif en Ontario, cette preuve n’indique pas qu’il a acquis un tel caractère dans le reste du pays. À son avis, une telle preuve était requise par les dispositions de la Loi. En conséquence, il a rejeté la demande de l’intimée.

[8]        Comme je l’ai déjà dit, l’intimée a interjeté appel de ce refus à la Section de première instance en vertu de l’article 56 de la Loi, dont les extraits pertinents se lisent comme suit :

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

[…]

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

[9]        Alléguant le paragraphe 56(5) de la Loi, l’intimée a déposé devant la Section de premier instance de la Cour les affidavits de deux de ses cadres supérieurs avec une copie certifiée du dossier du Bureau des marques de commerce concernant une demande présentée par Olan Breweries Ltd. (Oland), filiale en part entière de l’appelante, John Labatt Limitée et La Brasserie Labatt Compagnie Limitée (Labatt), en vue de l’enregistrement du mot « Export » comme marque de commerce. Cette nouvelle preuve n’avait pas été soumise à la considération du registraire.

[10]      Il faut souligner que Labatt s’est opposée à la demande de l’intimée devant le registraire en alléguant les alinéas 38(2)b) et d) de la Loi. Conséquemment, le registraire a entendu la preuve et présidé aux procédures d’opposition tel que requis par cet article de la Loi. L’intimée en a appelé du rejet de sa demande devant la Section de première instance, en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi.

[11]      Dans l’affaire McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd.[1] (McDonald’s Corp.), le juge Strayer (alors juge puiné) s’est prononcé sur le rôle du tribunal qui entend l’appel d’une décision du registraire rendue dans des procédures d’opposition. Il a entre autre dit :

Il semble clair qu’en matière d’opposition, lorsque le litige porte essentiellement sur des faits relatifs […] au caractère distinctif, la décision du registraire ou de la Commission constitue une conclusion de fait et non l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas réviser cette décision avec autant de retenue que s’il s’agissait de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. La Cour est donc libre d’examiner les faits afin d’établir si la décision du registraire ou de la Commission était exacte; cependant cette décision ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles; voir Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp. (1968), 57 C.P.R. 1 à la p. 8, 1 D.L.R. (3d) 462, [1969] R.C.S. 192, aux p. 199 et 200 (C.S.C.). Bien qu’à diverses reprises, la Cour d’appel fédérale ait jugé qu’en appel, la Cour avait l’obligation d’établir si le registraire avait ou non rendu une décision « manifestement erronée » ou s’il avait simplement « eu tort », il semble que le juge saisi d’un appel semblable à l’espèce soit tenu de tirer ses propres conclusions quant à l’exactitude de la décision du registraire. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de l’expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire ou la Commission et surtout prendre en considération, le cas échéant, le fait que de nouvelles preuves, dont ne disposait pas la Commission, ont été déposées devant lui. Les parties admettent qu’en l’espèce, je ne disposais d’aucune preuve que celle dont bénéficiait la Commission des oppositions […][2]. [Soulignement ajouté.]

[12]      En l’espèce, la conclusion du registraire est fondée sur les faits. Par conséquent, la Section de première instance pouvait réviser cette décision et y substituer ses propres conclusions. De façon encore plus significative, contrairement à l’affaire McDonald’s Corp., la Section de première instance avait devant elle, comme je l’ai déjà souligné, une preuve additionnelle qui n’avait pas été présentée au registraire.

[13]      Le juge de la Section de première instance a examiné cette nouvelle preuve ainsi que le dossier du registraire et a conclu que l’intimée s’était acquittée du fardeau, imposé par le paragraphe 12(2) de la Loi, de prouver, selon la norme requise, que le mot « Export » avait, au cours des ans, établi une distinction véritable entre les bières Molson et les bières des autres marques et, pour reprendre le texte de ce paragraphe, qu’il avait été « employ[é] au Canada par [Molson] […] de façon à être devenu distincti[f] à la date de la production d’une demande d’enregistrement l[e] concernant ».

[14]      La preuve de l’intimée devant la Section de première instance était la seule nouvelle preuve pertinente à prendre en compte. Cette preuve n’a pas été contredite. Devant la Section de première instance, l’appelante, Labatt, n’a contre-interrogé sur leurs affidavits ni Moran ni Shier, ni n’a présenté de contre-preuve applicable à la période pertinente. Labatt a produit les affidavits de Bernard Beasely et de John Tilden, lesquels font référence à des ventes postérieures au 28 juin 1995 et ont été rejetés par la Cour comme non pertinents.

[15]      Pour arriver à ses conclusions, la Section de première instance a accordé beaucoup d’importance à la décision de cette Cour Standard Coil Products Can. Ltd. c. Standard Radio Corp.[3] (Standard Coil). Dans cette affaire, le juge Cattanach a jugé que la marque de commerce « Standard » était distinctive des sélecteurs de canaux de télévision de l’appelante et pouvait être enregistrée en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi. À son avis, l’affaire portait sur la question de savoir s’il y avait une preuve suffisante pour établir que la marque de commerce de l’appelante permettait véritablement de différencier ses marchandises. Comme dans la présente affaire, on lui avait soumis une nouvelle preuve qui n’avait pas été présentée devant le registraire. Il a conclu que la preuve de ventes et de dépenses de publicité considérables était significative.

[16]      En conformité avec les principes énoncés dans l’affaire Standard Coil, la Section de première instance a conclu que les affidavits de Shier et Moran avaient fait la preuve de ventes et de publicité importantes sur une longue période de temps et de la présentation dominante de « Export » sur l’emballage. Les affidavits ont apporté les informations suivantes :

a) la ale de marque EXPORT est vendue par Molson à la fois en Ontario et au Québec depuis 1955, sans interruption;

b) de 1976 à 1985, Molson a vendu au-delà de 19.4 millions d’hectolitres de sa ale EXPORT en Ontario et au Québec;

c) de 1976 à 1985, Molson a dépensé au-delà de 25 millions de dollars pour faire de la publicité de sa ale EXPORT dans les médias, à la télévision, à la radio et dans les publications imprimées;

d) la marque de commerce EXPORT a été mise en relief sur les étiquettes apposées sur les bouteilles et sur les emballages de carton dans lesquels les bouteilles de ale EXPORT sont conditionnées et vendues[4].

[17]      Ces deux cadres supérieurs ont témoigné de leur longue expérience dans l’industrie de la bière. Shier était président, région de l’Ouest, chez Molson jusqu’en décembre 1995. Il travaillait pour la compagnie depuis 1989 et auparavant il était directeur, Gestion de marque, des Brasseries Carling O’Keefe. Il a été à l’emploi de Carling de 1979 à 1989. Harold Moran était vice-président sénior, Divison du Centre, chez Molson depuis 1989. Son expérience chez Molson était dans le marketing et auparavant il avait travaillé plusieurs années pour une agence de publicité.

[18]      Du fait de son expérience et du poste qu’il occupe, Shier a pu témoigner comme suit :

[traduction] Du fait de mes longues années d’expérience dans l’industrie de la bière au Canada, incluant ma révision des registres de la corporation, qui a comporté, au cours des ans, de nombreuses études et recherches, je suis d’opinion que, dans une large proportion, le public, à travers le Canada, lie le mot EXPORT à une marque de bière des Brasseries Molson à l’exclusion des produits des autres fabricants[5].

De même et pour la même raison, Moran a pu témoigner comme suit :

[traduction] Il ressort du sondage de M. Pye que les consommateurs de boissons alcoolisées brassées en Ontario reconnaissent le mot « EXPORT » comme désignant une marque de bière du groupe des Brasseries Molson. Cela concorde avec les ventes et la publicité importantes de bière EXPORT en Ontario et au Québec depuis nombre d’années, qui ont produit une telle notoriété auprès du public[6].

[19]      La Section de première instance a conclu que le sondage de Pye était insatisfaisant à plusieurs égards et, par conséquent, lui a accordé « peu de poids ». La Cour a dit que le sondage Pye n’était pas « à lui seul » suffisant pour établir le caractère distinctif. Toutefois, du fait que le sondage rejoignait les opinions exprimées dans les affidavits de Shier et de Moran, lesquels attestent du caractère distinctif de la marque « Export », la Cour a conclu que le sondage de Pye renforçait ou « étayait »[7] les affirmations des déposants.

[20]      Je suis d’accord avec le juge Rothstein que la demande d’enregistrement de marque de commerce présentée par Oland pour le mot « Export » est entièrement imputable à l’appelante, Labatt. Selon moi, les motifs de la Section de première instance ne se fondent pas sur cette demande d’enregistrement pour établir la preuve du caractère distinctif de la marque de commerce de Molson. À mon humble opinion, la Cour a plutôt correctement conclu que la demande d’Oland était un aveu qui tendait à diminuer la crédibilité de l’opposition de l’appelante à la demande de l’intimée. Après avoir examiné la preuve, la Cour s’est déclarée convaincue que l’intimée, Molson, avait établi le caractère distinctif de la marque de commerce « Export » en Ontario et au Québec.

[21]      À mon humble avis, en tenant compte de la preuve qui lui a été soumise, la Section de première instance pouvait arriver à cette conclusion. Comme il n’y a pas d’erreur manifeste et dominante dans son appréciation des faits, je ne vois pas de motifs de modifier cette conclusion.

[22]      En conséquence, je suis d’avis de rejeter l’appel.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A. :

INTRODUCTION

[23]      Le 28 juin 1985, un prédécesseur en titre de Les Brasseries Molson, société en nom collectif (Molson), a demandé au registraire des marques de commerce d’enregistrer à titre de marque de commerce le mot « Export » en liaison avec ses boissons alcoolisées obtenues par brassage.

[24]      Le 18 juillet 1986, John Labatt Limitée et La Brasserie Labatt Limitée (Labatt) se sont opposées à l’enregistrement au motif que le mot « Export » donne soit une description claire soit une description fausse et trompeuse de la nature et de la qualité des boissons alcoolisées obtenues par brassage et qu’il n’était pas un terme distinctif.

[25]      Le 22 novembre 1995, David J. Martin, membre du Bureau des oppositions des marques de commerce (registraire), a refusé la demande de Molson visant l’enregistrement de la marque de commerce « Export ». Molson en a appelé de la décision du registraire à la Section de première instance de la Cour fédérale en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce[8]. Une preuve additionnelle a été déposée dans le cadre de l’appel. Le 25 juin 1998, le juge de la Section de première instance, en se fondant principalement sur la preuve additionnelle soumise, a fait droit à l’appel et décidé que Molson avait le droit d’obtenir l’enregistrement du mot « Export » comme marque de commerce restreinte aux provinces d’Ontario et du Québec[9] . Il s’agit de l’appel de la décision rendue par la Section de première instance.

CADRE LÉGISLATIF

[26]      En vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, une marque qui est clairement descriptive d’un bien n’est pas enregistrable. Toutefois, en vertu du paragraphe 12(2), si, par un emploi prolongé de la marque en liaison avec un bien, celle-ci est devenu distinctive des marchandises du requérant à la date de la demande d’enregistrement de la marque, de telle façon que la connotation clairement descriptive de la marque de commerce est subordonnée à son caractère distinctif, la marque de commerce peut être enregistrée. L’alinéa 12(1)b) et le paragraphe 12(2) prévoient ce qui suit :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

[…]

(2) Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.

[27]      Dans la présente affaire, la demande d’enregistrement de Molson, en date du 28 juin 1985, ne renvoyait pas à l’article 12. Labatt s’est opposée à la demande d’enregistrement de Molson au motif que le mot « Export » était, suivant l’alinéa 12(1)b), clairement descriptif de la qualité de la bière et que le mot « Export » n’était pas, suivant l’alinéa 38(2)d), distinctif de la bière de Molson en liaison avec laquelle il était utilisé. L’alinéa 38(2)d) prévoit ce qui suit :

38. (1) […]

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

[…]

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

[28]      Le 30 mai 1988, Molson a modifié sa demande pour se prévaloir du paragraphe 12(2) de la Loi.

LA DÉCISION DU REGISTRAIRE

[29]      Le registraire a examiné la demande de Molson en tenant compte des deux motifs d’opposition soulevés par Labatt, savoir que la marque de commerce « Export » n’était pas enregistrable en raison de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce et que la marque n’était pas distinctive suivant l’alinéa 38(2)d) de cette Loi.

[30]      En ce qui concerne le premier motif d’opposition, il a conclu que la période pertinente pour examiner les circonstances relevant de l’alinéa 12(1)b) était la date de sa décision, soit le 22 novembre 1995, que la question en litige devait être tranchée du point de vue de l’utilisateur régulier de ces marchandises et que la marque de commerce en question devait être examinée de façon globale et sous l’angle de la première impression.

[31]      Invoquant une décision précédente[10] du registraire dans laquelle le terme « Export » a été considéré comme étant « courant dans le commerce en général » et dans laquelle étaient également citées diverses définitions de dictionnaires portant que « Export » était un mot [traduction] « désignant un article d’une qualité convenant à l’exportation », le registraire a jugé que Labatt avait satisfait au fardeau de preuve requis dans une instance en opposition. Il a ensuite écarté l’affidavit de David J. Pye, qui avait fait, pour Molson, un sondage en quatre endroits en Ontario. Le registraire a estimé que les résultats ne pouvaient de manière raisonnable être étendus à l’ensemble du Canada. Il a conclu [à la page 5 (QL)] :

[traduction] Ainsi, la preuve du requérant ne devrait pas, de toute façon, être suffisante pour établir que cette marque n’est pas clairement descriptive ou donne une description fausse ou trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises du requérant partout au Canada. De ce fait, le premier motif d’opposition est maintenu.

[32]      Le registraire s’est alors appliqué à déterminer si, eu égard au paragraphe 12(2) de la Loi, le mot « Export » avait acquis un caractère distinctif à la date du dépôt de la demande. Devant le registraire, l’affidavit de Pye constituait à nouveau la preuve pertinente. Le registraire a alors souligné que le sondage de Pye, mené seulement en Ontario, ne satisfaisait pas au « lourd fardeau de preuve » imposé aux requérants par le paragraphe 12(2). Il a estimé que l’affidavit de Pye était ambigu et qu’il n’était pas suffisamment clair pour établir que le terme « Export » était connu comme une marque de commerce distincte de la marque maison Molson ou Molson’s. Il en a alors conclu que Molson ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve requis par le paragraphe 12(2).

[33]      Il s’est ensuite penché sur le deuxième motif d’opposition, soit la question de savoir si Molson s’était acquittée du fardeau d’établir que cette marque différenciait ses marchandises de celles des autres dans tout le Canada. Selon lui, l’étude de cette question devait se faire à la date du dépôt de l’opposition. Le registraire a rappelé que le mot « Export » était clairement descriptif de la nature ou de la qualité d’une bière. De plus, il a trouvé des éléments mineurs de preuve établissant l’existence, dans des régions du Canada situées à l’extérieur de l’Ontario, de ventes de bière dont la marque de commerce comprenait le mot « Export ». Il a conclu que, même si l’affidavit de Pye prouvait que le mot « Export » avait acquis un caractère distinctif en Ontario, aucune preuve ne permettait d’en arriver à la même conclusion dans le reste du pays.

[34]      Il a conclu en refusant la demande de Molson d’enregistrer le mot « Export » comme marque de commerce.

DÉCISION DU JUGE DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

[35]      Deux documents qui n’avaient pas été déposés devant le registraire ont été soumis au juge de la Section de première instance, à savoir : un état des chiffres de ventes et des dépenses publicitaires de Molson et une demande, en date du 24 août 1990, faite par Labatt, au nom de sa filiale en propriété exclusive, Oland Breweries Limitée (Oland), en vue d’enregistrer le mot « Export » comme marque de commerce. Sur la base de cette nouvelle preuve, le juge a considéré l’appel comme un procès de novo.

[36]      Elle a alors examiné la demande de Molson à la lumière du paragraphe 12(2). Elle a convenu que le mot « Export » est habituellement descriptif d’un type de bière et que Molson « [devait] s’acquitter d’un très lourd fardeau avant de pouvoir établir que sa marque de commerce est distinctive ».

[37]      Le juge a rejeté les prétentions de Labatt portant que Molson doit démontrer une utilisation exclusive de la marque de commerce pour satisfaire aux exigences du paragraphe 12(2). Elle a conclu qu’il était suffisant que la marque ait un caractère distinctif pour une portion substantielle du public concerné. Dans son argumentation, Molson avait indiqué qu’elle demandait un enregistrement limité à Ontario et au Québec seulement. Le juge a conclu qu’une marque de commerce était enregistrable dans la mesure où elle différenciait les marchandises dans la région restreinte pour laquelle l’enregistrement était demandé. En conséquence, elle a rejeté la preuve d’utilisation du mot « Export » par d’autres à l’extérieur de l’Ontario et du Québec. Elle a aussi rejeté la preuve de l’emploi de ce mot par d’autres en Ontario et au Québec après la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque de commerce par Molson, soit le 28 juin 1985. Il en est résulté qu’il n’y avait aucune preuve de l’emploi de la marque « Export » par d’autres en Ontario et au Québec à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque de commerce par Molson.

[38]      Elle a ensuite examiné la preuve devant elle. Concernant l’affidavit de Pye, qui était également en preuve devant le registraire, elle est venue à la conclusion que celui-ci ne pouvait soutenir la revendication de Molson en vertu du paragraphe 12(2). Elle a souligné de nombreuses lacunes dans la méthodologie du sondage. En conséquence, tout comme le registraire, elle a accordé peu d’importance au sondage.

[39]      Le juge a alors souligné la preuve des fortes ventes de bières « Export » de Molson, ainsi que des dépenses publicitaires significatives pour ce produit. En se fondant sur les affidavits des deux cadres supérieurs, Shier et Moran, elle a conclu que le mot « Export » jouissait d’une reconnaissance publique en liaison avec une marque de bière produite par Molson. Elle a estimé que les affidavits de Shier et Moran rejoignaient le sondage de Pye. Elle a accepté le témoignage de Shier et Moran portant que Molson, est effectivement une « marque maison » et que « Export » est une marque de bière vendue par Molson. À cet égard, elle a observé [à la page 12, paragraphe 40] que « toutes les étiquettes de la famille Molson portent la marque maison « Molson » conjuguée avec des noms de marques : CANADIAN, GOLDEN ou EXPORT ».

[40]      Le juge a estimé que la tentative de Labatt d’enregistrer « Export » comme marque de commerce liée à une bière d’Oland était un aveu que Labatt ne devait pas être autorisé à retirer pour les fins de la demande de Molson.

[41]      Considérant la preuve et l’analyse faite dans la décision Standard Coil Products Can. Ltd. c. Standard Radio Corp.[11], le juge a conclu que la marque de commerce « Export » était distinctive des produits Molson en Ontario et au Québec. Plus particulièrement, elle a souligné que la preuve déposée dans l’affaire Standard Coil était semblable à celle déposée en l’espèce.

[42]      Elle a ensuite examiné la question du caractère distinctif suivant l’alinéa 38(2)d). Selon elle, l’époque pertinente pour la détermination du caractère distinctif était la date du dépôt de l’opposition. Toutefois, elle n’a trouvé aucune preuve d’un changement dans les conditions du marché entre le date du dépôt de la demande d’enregistrement par Molson et la date du dépôt de l’opposition de Labatt qui aurait pu avoir un effet défavorable sur le caractère distinctif de la marque « Export ». En conséquence, la recherche du caractère distinctif sous le régime de l’alinéa 38(2)d) devenait sans objet.

[43]      En conséquence, le juge a fait droit à l’appel et a conclu que Molson avait droit à l’enregistrement de la marque en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi sur les marques de commerce.

ANALYSE

[44]      Le présent appel soulève plusieurs questions :

1) la nature de l’appel sous le régime de l’article 56 et la norme de contrôle;

2) la norme de preuve requise par le paragraphe 12(2);

3) la date pertinente pour la détermination du caractère distinctif sous le régime du paragraphe 12(2);

4) la question de savoir si le caractère distinctif doit être établi pour tout le Canada;

5) la question de savoir si le caractère exclusif est essentiel à la preuve du caractère distinctif;

6) l’appréciation de la décision du juge de première instance.

1. Nature de l’appel sous le régime de l’article 56 et norme de contrôle

[45]      Les paragraphes 56(1) et (5) disposent :

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

[…]

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

[46]      Du fait qu’il offre l’opportunité de produire une nouvelle preuve, l’appel prévu à l’article 56 n’est pas une disposition d’appel habituelle par laquelle la cour saisie rend sa décision sur la base du dossier de la cour dont la décision fait l’objet de l’appel. Un appel régulier n’est pas interdit si aucune preuve additionnelle n’est produite, mais il n’y a aucune obligation de procéder ainsi. L’appel prévu n’est pas non plus un « procès de novo » au sens strict du terme. Ce terme renvoie habituellement à un procès qui requiert la création d’un tout nouveau dossier, comme s’il n’y avait pas eu de procès en première instance[12]. Ainsi, dans un procès de novo, la cause doit être jugée uniquement sur la base du nouveau dossier et sans égard à la preuve présentée dans les procédures antérieures[13].

[47]      Lors de l’appel sous le régime de l’article 56, le dossier constitué devant le registraire forme la base de la preuve devant le juge de la Section de première instance qui est saisi de l’appel; les parties peuvent ajouter à cette preuve. Bien que le terme procès de novo soit devenu d’utilisation courante pour décrire l’appel de l’article 56, il n’est pas tout à fait approprié pour décrire la nature de cet appel. Le fait que l’appel de l’article 56 n’est pas un procès de novo au sens strict a déjà été signalé par le juge McNair dans la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (no. 1)[14].

[48]      Un appel sous le régime l’article 56 implique, du moins en partie, une révision des conclusions du registraire. Du fait que les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues, ses décisions méritent une certaine déférence. Dans l’affaire Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation[15], le juge Ritchie a déclaré ceci à la page 200 :

[traduction] À mon avis la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion doit être considérée comme étant d’un grand poids et la conclusion d’un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien, doit rendre des décisions sur ce point et sur d’autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais comme l’a déclaré le juge Thorson, alors président de la Cour de l’Échiquier, dans l’affaire Freed and Freed Limited c. The Registrar of Trade Marks et al :

[…] le fait de se fonder sur la décision du registraire portant que deux marques se ressemblent au point de créer de la confusion ne doit pas aller jusqu’à décharger le juge qui entend l’appel de cette décision de l’obligation de trancher la question en tenant compte des circonstances de l’espèce.

[49]      Dans l’affaire McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd.[16], le juge Strayer (alors juge puiné), commentant cette citation du juge Ritchie, a expliqué que, bien que la Cour doive demeurer libre de revoir la décision du registraire, cette décision ne doit pas être rejetée à la légère.

Il semble clair qu’en matière d’oppositions, lorsque le litige porte essentiellement sur des faits relatifs à la confusion ou au caractère distinctif, la décision du registraire ou de la Commission constitue une conclusion de fait et non l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas réviser cette décision avec autant de retenue que s’il s’agissait de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. La Cour est donc libre d’examiner les faits afin d’établir si la décision du registraire ou de la Commission était exacte; cependant cette décision ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionelles : voir Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp. (1968), 57 C.P.R. 1 à la p. 8, 1 D.L.R. (3e) 462, [1969] R.C.S. 192, aux p. 199 et 200 (C.S.C.). Bien qu’à diverses reprises, la Cour d’appel fédérale ait jugé qu’en appel, la Cour avait l’obligation d’établir si le registraire avait ou non rendu une décision « manifestement erronée » ou s’il avait simplement « eu tort », il semble que le juge saisi d’un appel semblable à l’espèce soit tenu de tirer ses propres conclusions quant à l’exactitude de la décision du registraire. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de l’expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire ou la Commission et surtout prendre en considération, le cas échéant, le fait que de nouvelles preuves, dont ne disposait pas la Commission, ont été déposées devant lui[17].

[50]      La décision McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd., rendue en 1989, est bien antérieure à la jurisprudence récente de la Cour suprême établissant le continuum moderne des critères de contrôle, à savoir la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable; voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.[18]. Du fait que le juge Strayer était disposé à faire preuve d’une certaine déférence à l’égard du registraire, je ne considère pas que l’utilisation qu’il fait du terme « correct » reflète la norme de contrôle sans retenue et rigoureuse qui est de nos jours associée aux termes « correct » ou « décision correcte ».

[51]      Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald’s Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

2. Fardeau de preuve sous le régime du paragraphe 12(2)

[52]      La jurisprudence relative aux demandes fondées sur le paragraphe 12(2) parle souvent de « charge lourde ». Par exemple, dans l’affaire Carling Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd.[19], le juge Strayer (alors juge puiné) a dit aux pages 928 et 929 :

Non seulement j’estime qu’il appartient plutôt à la requérante d’établir le caractère distinctif au sens du paragraphe 12(2), mais je crois également qu’il s’agissait d’une charge très lourde étant donné la nature de la marque « Canadian ». Il existe de nombreux arrêts selon lesquels lorsqu’il faut démonter qu’un terme habituellement descriptif a acquis une seconde signification de sorte qu’il décrit un produit particulier, la charge est en vérité très lourde : voir, par exemple, The Canadian Shredded Wheat Co., Ld. v. Kellogg Co. of Canada Ld. et al. (1938), 55 R.P.C. 125, à la page 142 (P.C.); J.H. Munro Limited v. Neaman Fur Company Limited, [1946] R.C.É. 1, aux pages 14 et 15; 5 Fox Pat. C. 194, à la page 208. À mon avis, c’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’un mot tel que « Canadian » qui, d’abord et avant tout, tant au point de vue légal qu’un point de vue réel, est un adjectif décrivant tout citoyen de ce pays et, plus particulièrement pour les fins de l’espèce, toute sorte de produit y ayant son lieu d’origine. Joint au mot « bière », il peut décrire toute bière produite au Canada par n’importe lequel brasseur. Comme je l’ai fait remarquer plus haut, il appartient à la requérante de l’enregistrement d’une telle marque de démontrer clairement que le mot est devenu si distinctif de son produit qu’il a acquis une signification secondaire que le public concerné ne confondrait habituellement pas avec son sens premier.

La Cour d’appel fédérale a jugé que le juge Strayer avait « tout à fait raison » dans cet extrait[20].

[53]      Bien qu’aucune décision ne suggère le contraire, je pense qu’il est salutaire de confirmer que la norme de preuve requise par le paragraphe 12(2) est la preuve prépondérante, comme dans les autres instances civiles. Le terme « charge lourde » paraît tenir au caractère exceptionnel du paragraphe 12(2). Le paragraphe 12(2) est une exception au principe de la non-enregistrabilité d’une marque de commerce suivant les alinéas 12(1)a) ou b). En l’espèce, Molson a admis que le terme « Export » était clairement descriptif d’une qualité de bière. Toutefois, du fait de son emploi prolongé au Canada par Molson—depuis 1903 », on fait valoir que le mot a acquis un caractère distinctif, et que sa connotation descriptive initiale est alors devenue secondaire dans l’esprit du public par rapport au produit brassé « Export » de Molson, à un point tel que sa signification seconde distinctive est devenue prépondérante[21]. Le paragraphe 12(2) étant une exception à la non-enregistrabilité des termes clairement descriptifs, le requérant doit soumettre une preuve qui n’est pas requise lorsqu’une marque de commerce n’est pas un terme clairement descriptif. En l’espèce, il faut prouver que l’emploi prolongé a fait qu’un mot descriptif en liaison avec la bière est devenu distinctif du produit brassé de Molson. Si une telle preuve est soumise, elle doit être évaluée suivant la prépondérance des probabilités. Il n’y a pas d’autre fardeau que celui de satisfaire aux exigences du paragraphe 12(2).

[54]      J’ajouterai que, contrairement aux prétentions de Labatt, le paragraphe 12(2) ne requiert pas la démonstration de l’élimination du caractère descriptif de la marque. Comme l’a dit le juge Angers dans l’affaire Kellogg Company of Canada Ltd. v. Registrar of Trade Marks[22], il ne faut pas prendre pour acquis que quelque chose de descriptif ne peut pas être également distinctif. Le juge Angers a cité le passage suivant du lord juge Fletcher Moulton de la Cour d’appel dans l’affaire anglaise Perfection[23] :

[traduction] Presque toute l’argumentation qui nous est soumise par l’opposant et la Chambre de commerce est fondée sur la prétention qu’il y a une contradiction naturelle et innée entre distinctif et descriptif s’agissant des mots et que si l’on peut prouver qu’un mot est descriptif il ne pourra pas être distinctif. Selon moi, il s’agit d’une erreur. Un nom descriptif peut être distinctif et vice versa.

En conséquence, sous le régime du paragraphe 12(2), le requérant doit prouver que la marque de commerce qu’il veut enregistrer, bien qu’elle puisse être descriptive, a acquis une signification seconde et distinctive prépondérante en liaison avec ses marchandises ou ses services.

3. La date pertinente pour la détermination du caractère distinctif sous le régime du paragraphe 12(2)

[55]      Cette question est importante parce que selon que la date pertinente est la date de la demande d’enregistrement, la date du dépôt de l’opposition ou la date de la décision du registraire, nous serons en présence soit d’une absence de preuve, soit d’une preuve minimale ou soit d’une preuve plus évidente de l’emploi, en Ontario et au Québec, du terme « Export » en liaison avec des bières qui ne sont pas de marque Molson.

[56]      Le paragraphe 12(2) est clair. Pour que la marque puisse être enregistrée, la date à laquelle il faut établir le caractère distinctif de cette marque en raison de son emploi prolongé au Canada est « la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant ». D’autres dates sont mentionnées dans la Loi et la jurisprudence—la date à laquelle la validité d’un enregistrement est contestée (alinéa 18(1)b)) ou la date de la décision du registraire[24]. Je suis néanmoins d’avis que la seule date pertinente, s’agissant d’une requête soulevant l’application du paragraphe 12(2), est la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque de commerce.

[57]      Je suis tout à fait d’accord avec le juge Strayer (alors juge puiné) dans l’affaire Carling Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd.[25], lorsqu’il a dit aux pages 926 et 927 :

Je sais que dans l’arrêt E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines, [1976] 2 C.F. 3 (C.A.) à la page 7. 25 C.P.R. (2d) 126, à la page 130, le juge Thurlow (alors juge puiné) a déclaré au nom de la Cour d’appel que l’époque pertinente pour les fins d’une opposition fondée sur l’alinéa 37(2)d) portant que la « marque de commerce n’est pas distinctive » est la date du dépôt de l’opposition. Il semble qu’il s’agissait cependant d’une opinion incidente puisqu’il a ajouté que, dans ce cas, peu importait la date choisie. En outre, étant donné que cette opinion se rapportait à l’alinéa 37(2)d) et non à l’alinéa 37(2)b), je ne crois pas qu’elle soit déterminante en l’espèce. Lorsque la possibilité d’enregistrer une marque dépend du critère prévu au paragraphe 12(2) voulant que la marque soit « distinctive à la date de la production de la demande d’enregistrement la concernant », je ne vois pas comment son caractère distinctif à la date de la production d’une déclaration d’opposition pourrait être déterminante s’il existait, en fait, une différence dans son caractère distinctif à ces deux dates.

Je voudrais seulement ajouter que même si l’arrêt Andres Wines [E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., [1976] 2 C.F. 3 (C.A.)] portait sur l’application de l’alinéa 37(2)b) [de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, ch. T-10] (maintenant 38(2)b)) et non sur l’alinéa 38(2)d), le fondement de l’opposition en l’espèce, je conviens avec le juge Strayer que les remarques du juge Thurlow paraissent être incidentes en ce sens qu’il a jugé qu’il importait peu dans cette affaire que la date déterminante soit la date de la demande ou la date de l’opposition.

[58]      Dans la présente affaire, le juge de première instance semble avoir tiré deux conclusions; premièrement, que la marque « Export » de Molson était distinctive à la date du dépôt de la demande d’enregistrement et, deuxièmement, que même si la date de l’opposition était pertinente pour les fins de l’opposition sous le régime de l’alinéa 38(2)d), la question était sans objet du fait qu’il n’y a eu aucun changement dans les conditions du marché entre la date de la demande et la date de l’opposition. Le registraire semble avoir adopté la même approche en deux étapes.

[59]      Je suis d’opinion qu’une fois la demande annoncée, une telle approche en deux étapes n’est pas possible dans le cadre du paragraphe 12(2). L’opposition déposée en vertu de l’alinéa 38(2)d) et la question de savoir si une marque a acquis un caractère distinctif suivant le paragraphe 12(2) impliquent la même décision. En réalité, la question de l’enregistrabilité fait également partie de la même décision parce que si la marque est jugée enregistrable en application du paragraphe 12(2), cette conclusion aura pour effet de supplanter l’interdiction d’enregistrement prévue aux alinéas 12(1)a) ou b). Dans tous les cas, il incombe au requérant d’établir le caractère distinctif. Lorsqu’une requête est fondée sur le paragraphe 12(2), la date qu’il faut prendre en considération pour décider de la question de savoir si la marque est devenue distinctive des marchandises du requérant est la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque.

[60]      Aux termes de l’alinéa 18(1)b), l’enregistrement d’une marque de commerce n’est pas valide si elle n’est pas distinctive à l’époque où les procédures soulevant la validité de l’enregistrement ont commencé. L’alinéa 18(1)b) prévoit :

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

[…]

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

Selon moi, l’alinéa 18(1)b) reçoit application dans les cas où on a fait droit à l’enregistrement et que, subséquemment, des procédures sont prises pour faire invalider cet enregistrement. L’alinéa 38(2)d) prévoit le dépôt d’une opposition fondée sur le caractère non distinctif. Selon mon interprétation, le dépôt d’une opposition en vertu de l’alinéa 38(2)d) n’est pas une instance soulevant la question de la validité d’une marque de commerce déjà enregistrée comme le prévoit l’alinéa 18(1)b). Par conséquent, le dépôt d’une opposition en l’espèce n’a pas eu pour effet de créer une seconde date pour la détermination du caractère distinctif.

4. La question de savoir si le caractère distinctif doit être établi dans tout le Canada

[61]      Cette question est soulevée parce qu’on a amené en preuve qu’avant la demande d’enregistrement de Molson il y avait, au Canada mais à l’extérieur de l’Ontario et du Québec, emploi du terme « Export » en liaison avec des bières, ce qui aurait pour conséquence d’empêcher Molson de prétendre que « Export » était une marque distinctive de ses produits brassés.

[62]      Le registraire paraît avoir estimé que, du fait que la preuve n’établissait pas que le mot « Export » était distinctif dans tout le Canada, Molson ne satisfaisait pas, aux fins de l’enregistrement, au critère du paragraphe 12(2). En exigeant la preuve du caractère distinctif dans tout le Canada, le registraire fait référence à l’affaire Muffin Houses Inc. v. Muffin House Bakery Ltd.[26].

[63]      L’article 19 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60] de la Loi sur les marques de commerce dispose :

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

L’article 19, soutient-on, est subordonné à l’article 32, lequel dispose :

32. (1) Un requérant, qui prétend que sa marque de commerce est enregistrable en vertu du paragraphe 12(2) ou en vertu de l’article 13, fournit au registraire, par voie d’affidavit ou de déclaration solennelle, une preuve établissant dans quelle mesure et pendant quelle période de temps la marque de commerce a été employée au Canada, ainsi que toute autre preuve que le registraire peut exiger à l’appui de cette prétention.

(2) Le registraire restreint, eu égard à la preuve fournie, l’enregistrement aux marchandises ou services en liaison avec lesquels il est démontré que la marque de commerce a été utilisée au point d’être devenue distinctive, et à la région territoriale définie au Canada où, d’après ce qui est démontré, la marque de commerce est ainsi devenue distinctive.

[64]      La Loi semble envisager un enregistrement général dans tout le Canada bien que, dans certaines circonstances, il puisse être restreint par le registraire à certaines régions territoriales définies lorsque la preuve établit que le caractère distinctif n’est acquis que dans ces régions. Dans l’affaire Great Lakes Hotels Ltd. c. The Noshery Ltd.[27], le juge Cattanach s’est penché sur la question en ces termes :

[traduction] Je suis d’avis qu’une marque de commerce est distinctive au sens de la définition de l’alinéa 2f) si la marque fait réellement une distinction entre les marchandises et les services de leur propriétaire et les marchandises et les services d’autres personnes dans une région territoriale définie au Canada.

Pour en arriver à cette conclusion, j’ai pris en compte le paragraphe 31(2) de la Loi sur les marques de commerce qui autorise le registraire des marques de commerce à restreindre l’enregistrement d’une marque de commerce pour des marchandises ou des services en liaison avec lesquels il est établi, au moyen d’une preuve présentée devant le registraire en application du paragraphe 32(1), que la marque a été utilisée au point d’être devenue distinctive et qui autorise également le registraire à restreindre, au Canada, l’enregistrement à une région territoriale définie à l’intérieur de laquelle il est établi que la marque est devenue distinctive.

Il en découle irréfutablement qu’une marque de commerce est distinctive si elle fait réellement une distinction entre les marchandises et les services de son propriétaire de ceux d’une autre personne dans une région territoriale définie au Canada sans faire une distinction, dans tout le Canada, entre ces marchandises et celles de toute autre personne au Canada.

[65]      L’expression « dans tout le Canada » a été examinée dans diverses décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce dans lesquelles les conclusions du juge Cattanach dans l’affaire Great Lakes ont été rejetées ou ont fait l’objet d’une distinction. Dans l’affaire Robinson’s Camera Centre Ltd. c. Black Photo Corp.[28], le président Partington a dit ceci :

[traduction] Je ne suis pas d’accord avec les prétentions du requérant qui, selon moi, sont contraires à l’économie de la Loi sur les marques de commerce voulant que l’enregistrement soit accordé aux inscrivants qui ont une portée nationale, le propriétaire de la marque ayant ainsi, dans tout le Canada, le droit d’usage exclusif de la marque de commerce enregistrée en liaison avec les marchandises et les services visés par l’enregistrement. En général, une marque de commerce doit différencier ou être adaptée de façon à différencier les marchandises et les services de son propriétaire dans toutes les régions du pays de manière à être distinctive dans l’optique de la définition de ce terme à l’art. 2 de la Loi.

[66]      Dans l’affaire Morris et al. trading as Happy Cooker Catering v. Lisko[29], le président a dit :

[traduction] La politique à la base de la Loi sur les marques de commerce envisage l’octroi d’enregistrement ayant une portée nationale donnant ainsi à son propriétaire l’usage exclusif de la marque, dans tout le Canada, en liaison avec les marchandises et les services couverts par l’enregistrement (art. 19 de la Loi). De plus, le fait que l’art. 31(2) permet spécifiquement au registraire d’octroyer dans certaines circonstances un enregistrement limité à une région territoriale constitue un fondement à la conclusion que la philosophie de base et l’intention de la Loi sur les marques de commerce est l’octroi d’enregistrements ayant une portée nationale par opposition aux enregistrements limités territorialement.

Dans l’affaire DeCaria Hair Studio Ltd. v. Massimo De Berardinis et al. trading as De Berardinis[30], le président de l’enquête a indiqué qu’il lui fallait faire une distinction d’avec l’affaire Great Lakes au motif qu’elle s’applique seulement aux affaires relevant du paragraphe 12(2).

[67]      Je conviens que le registraire et la Commission des oppositions des marques de commerce ont des connaissances spécialisées et que leurs opinions sur l’interprétation de la Loi méritent une certaine déférence. Le mécanisme de l’article 32 dans son ensemble paraît étayer l’interprétation selon laquelle l’octroi d’une marque de commerce à portée territoriale restreinte est limité aux affaires relevant du paragraphe 12(2) et de l’article 13. Le paragraphe 32(2) ne semble pas être une disposition autonome applicable à toutes les demandes d’enregistrement de marque de commerce, mais plutôt seulement à celles qui relèvent du paragraphe 32(1), à savoir les demandes présentées sous le régime du paragraphe 12(2) ou de l’article 13. Le juge de la Section de première instance [à la page 8] avait raison lorsqu’elle a décidé qu’« une marque de commerce est enregistrable dans la mesure où elle distingue ces marchandises dans le territoire restreint que vise la demande d’enregistrement », mais je limiterai l’énoncé et l’application de l’affaire Great Lakes sur cette question aux demandes d’enregistrement faites en vertu du paragraphe 12(2) ou de l’article 13 de la Loi sur les marques de commerce. En conséquence, je n’ai pas de difficulté à appliquer le paragraphe 32(2) et l’approche retenue dans l’affaire Great Lakes en l’espèce de sorte que, si Molson peut établir, en Ontario et au Québec, le caractère distinctif de sa marque « Export », il aura droit à l’enregistrement en vertu du paragraphe 12(2).

5. La question de savoir si l’exclusivité est essentielle pour établir le caractère distinctif

[68]      Ayant conclu que la date pertinente pour déterminer le caractère distinctif est la date du dépôt de la demande d’enregistrement et que l’enregistrement peut être restreint à une région définie—l’Ontario et le Québec en l’espèce, cette question devient sans objet. Labatt a admis qu’à la date du dépôt de la demande, il n’y avait aucun autre emploi du terme « Export » en liaison avec des boissons alcoolisées obtenues par brassage en Ontario et au Québec.

[69]      J’ajouterai tout de même que, bien qu’en l’espèce Molson ait fait un emploi exclusif du mot « Export » en Ontario et au Québec à l’époque pertinente, je ne suis pas d’accord avec l’avocat de Labatt qu’un requérant doit établir qu’il est le seul utilisateur pour établir le caractère distinctif. J’ai lu la jurisprudence soumise par l’appelante au soutien de cette prétention[31] et je n’y ai trouvé aucun énoncé clair portant que la preuve de l’emploi exclusif d’une marque de commerce est requise pour démontrer son caractère distinctif aux fins de son enregistrement. Bien que l’emploi, par d’autres, de la même marque en liaison avec des marchandises similaires soit pertinente pour établir si une marque est en fait distinctive, je conviens avec l’avocat de Molson que l’exclusivité n’est pas essentielle pour établir le caractère distinctif.

[70]      Les définitions de « distinctive » et de « marque de commerce » dans la Loi sur les marques de commerce se lisent comme suit :

2. […]

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

[…]

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

b) marque de certification;

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

Aucune de ces définitions ne fait mention de l’emploi exclusif. Dans H. G. Fox, Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition (3e éd., 1972) Toronto : Carswell, l’auteur écrit à la page 36 :

[traduction] Le degré d’importance que le tribunal attache à l’affirmation du caractère distinctif dépend de l’ensemble des circonstances, notamment le territoire et la période pour lesquels ce caractère distinctif de fait peut être attribué à la marque en cause.

Je conviens avec M. Fox que le caractère distinctif d’une marque dépend de l’ensemble des circonstances. Bien que l’emploi exclusif d’une marque puisse constituer une preuve convaincante de son caractère distinctif, je suis d’opinion que l’emploi exclusif n’est pas une exigence pour établir le caractère distinctif.

6. Appréciation de la décision du juge de la Section de première instance

[71]      Le juge de la Section de première instance a tiré un certain nombre de conclusions de droit. Elle a jugé [à la page 7], que sous le régime du paragraphe 12(2), le fardeau de la preuve incombait au requérant. Considérant que le mot « Export » décrivait normalement un type de bière, elle a estimé que le requérant « doit s’acquitter d’un très lourd fardeau avant de pouvoir établir que sa marque de commerce est distinctive ». J’interprète sa référence au « très lourd fardeau » comme étant le fardeau d’établir, par une preuve prépondérante, le caractère distinctif de la marque descriptive. Ces conclusions ne comportent, selon moi, aucune erreur.

[72]      Elle a ensuite conclu qu’il n’était pas nécessaire pour le requérant de démontrer l’emploi exclusif pour établir le caractère distinctif. À nouveau, Molson était la seule société, en Ontario et au Québec, à employer le terme « Export » en liaison avec la bière jusqu’à la date de sa demande d’enregistrement. Pour cette raison, il n’était pas strictement nécessaire de se prononcer sur cette question. Toutefois, je suis d’accord avec la façon dont le juge en a disposé.

[73]      Elle a poursuivi qu’une marque de commerce est enregistrable si elle est distinctive sur le territoire géographique restreint pour lequel l’enregistrement est demandé. À nouveau, comme il n’y avait pas d’autre utilisation du terme « Export » en liaison avec la bière en Ontario et au Québec, je suis d’accord avec ses conclusions concernant une demande en vertu du paragraphe 12(2), puisque c’en était une.

[74]      Elle a ensuite examiné la preuve qui lui avait été présentée. Elle a accordé peu de poids au sondage de Pye. À vrai dire, elle a conclu que cette preuve ne pouvait pas à elle seule établir le droit de Molson à l’enregistrement sous le régime du paragraphe 12(2). Le fait d’accorder peu de poids au sondage de Pye était conforme au traitement que le registraire lui avait également réservé.

[75]      Le juge de la Section de première instance a fondé sa décision de faire droit à l’appel sur :

1) la preuve des ventes et des dépenses de publicité qui n’avait pas été faite devant le registraire; et

2) la position prise par Labatt devant le registraire relativement à la demande d’enregistrement de la marque « Export » par Oland en liaison avec ses produits.

[76]      Pour arriver à sa décision, elle a conclu en fonction de cette preuve. Je pense que cette Cour est en aussi bonne position qu’elle l’était pour déterminer ce qu’il faut conclure de la preuve. Dans l’affaire E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., précitée, le juge Thurlow a dit à la page 6 :

Étant donné l’absence de tout contre-interrogatoire, il me semble que, sauf dans les cas où le bien-fondé de l’objection a été établi, ils sont recevables et font foi de leur contenu, y compris ce qui peut normalement en être déduit, et que, comme ils ne sont aucunement contredits, cette cour peut tout aussi bien que le savant juge de première instance décider quelles conclusions il y a lieu de tirer tant des affidavits que du défaut de l’appelante d’apporter d’autres éléments à l’appui de ses motifs d’opposition.

[77]      Il ne fait aucun doute que Molson a vendu un volume important de son produit « Export » en Ontario et au Québec. De même, il ne fait aucun doute que des sommes considérables ont été dépensées en publicité pour ce produit.

[78]      Dans l’affaire Standard Coil Products Can. Ltd. c. Standard Radio Corp., précitée, on a conclu que la preuve du montant des ventes et des dépenses en publicité était significative. Toutefois, dans cette affaire, la preuve a été analysée en relation avec des dépositions de consommateurs, lesquels ont tous témoigné que le mot « Standard » était utilisé comme une marque de commerce identifiant le sélecteur de canaux de télévision de Standard Coil Products Can. Ltd.. On avait également fait la preuve que le mot « Standard » était prédominant sur les emballages, sur les boîtes d’expédition et dans la publicité ainsi que dans les publications commerciales où il apparaissait en liaison avec les sélecteurs de canaux de Standard Coil.

[79]      En comparaison, dans la présente affaire, la preuve établit que le mot « Export » n’apparaissait jamais seul sur les bouteilles et les cartons porte-bouteilles mais toujours en relation avec le mot « Molson » ou « Molson’s »[32]. Sur les bouteilles, les mots « Molson » ou « Molson’s » et « Export » sont de la même grandeur et ont la même présentation. En conséquence, je ne vois pas comment des chiffres de ventes et des dépenses publicitaires importants prouvent que le mot « Export » seul est distinctif de la bière Molson. Il ne fait aucun doute que le terme « Molson Export » est distinctif mais Molson tente de séparer les deux mots en appelant Molson une « marque maison » et « Export » une « marque de commerce ». Je vois mal l’importance de cette distinction. Dans toute la publicité mise en preuve, l’effort est mis sur la présentation des mots « Molson Export » et non pas « Export » seulement.

[80]      Le juge de la Section de première instance a conclu que le témoignage des deux cadres supérieurs de Molson portant que le public reconnaissait le terme « Export » en liaison avec le produit Molson concordait avec le sondage de Pye. Je ne vois pas comment le témoignage intéressé des cadres de Molson ou le sondage de Pye, qui, selon le juge de la Section de première instance, n’était pas sans faille, peuvent avoir une valeur probante significative. Elle a d’ailleurs trouvé plusieurs lacunes dans le sondage de Pye :

a) absence de preuve sur la procédure utilisée pour remplir le questionnaire;

b) nombre limité d’endroits où le sondage a été mené, ce qui n’a donné aucune indication sur le caractère distinctif ailleurs en Ontario ou encore au Québec;

c) absence de questions de contrôle;

d) faiblesse des sondages qui portent sur des associations de mots et qui sont composés de stimuli artificiels incorporés aux questions pour obtenir les réponses recherchées par Molson;

e) ambiguïté dans l’interprétation du sondage.

Les opinions émises par les cadres de Molson sur la perception, dans l’esprit du public cible, du terme « Export » en liaison avec la bière constituent une preuve peu probante. La faible valeur probante accordée à cette preuve est conforme à l’opinion exprimée par la Cour suprême dans l’arrêt Battle Pharmaceuticals v. The British Drug Houses Ltd.[33] :

[traduction] Nous sommes d’accord qu’un témoin ne peut pas donner son opinion sur l’effet que l’emploi d’une marque pourrait avoir, ou aurait éventuellement, sur quelqu’un d’autre parce que, tel qu’il est établi dans l’affaire (1) Proctor and Gamble, c’est la question même qui doit être tranchée en l’instance; mais il peut témoigner sur l’effet que l’emploi de la marque contestée aurait sur lui. Il s’agit d’une circonstance dont le tribunal doit tenir compte.

[81]      Comme je l’ai dit, je conviens aisément que les mots « Molson Export » sont distinctifs d’un produit Molson. Toutefois, la preuve ne permet pas de conclure que le terme « Export » est en lui-même distinctif du produit.

[82]      Le juge de la Section de première instance a considéré la demande d’enregistrement d’Oland comme un aveu à l’encontre des intérêts de Labatt. Cette dernière a essayé de prendre ses distances à l’égard de sa propre position au sujet de la demande d’Oland. Toutefois, toute la correspondance avec le Bureau des marques de commerce était rédigée sur du papier à entête de Labatt et était signée par ses employés. Les affidavits déposés devant le registraire à l’appui de la demande d’enregistrement d’Oland étaient ceux d’employés de Labatt. La demande d’Oland est clairement attribuable à Labatt.

[83]      Toutefois, telle n’est pas la question en litige. Il s’agit plutôt de savoir si la position apparemment contradictoire de Labatt peut être retenue contre elle pour établir, en faveur de Molson, un fait que Labatt essaie maintenant de nier. En d’autres mots, est-ce que le fait qu’Oland cherche à obtenir la même forme de reconnaissance du terme « Export » pour un de ses produits prouve que le terme « Export » en liaison avec un produit de Molson a acquis un caractère distinctif? À mon avis, la réponse est non. Comme l’a souligné le registraire, le caractère distinctif doit être établi du point de vue de l’utilisateur régulier des marchandises en question et la marque de commerce doit être considérée de façon globale et sous l’angle de la première impression. Dans les circonstances, le fait qu’Oland ait déposé une demande d’enregistrement de marque de commerce pour le mot « Export » n’est aucunement pertinent quant à la demande de Molson.

[84]      La demande d’Oland soulève également la question de la crédibilité de l’opposition de Labatt à la demande de Molson alors qu’elle a présenté le même type de demande. Vu les faits en l’espèce, je ne pense pas que la demande d’Oland porte ombrage à l’opposition de Labatt dans les procédures de Molson. La conclusion évidente est que la demande d’Oland de 1990 visant l’enregistrement du mot « Export » a été faite en réaction à une précédente demande de Molson. À l’évidence, Oland ne cherchait qu’à protéger l’utilisation qu’elle faisait du terme « Export » devant la demande de Molson. Cela ressort clairement des demandes répétées que Labatt a adressées par lettre au registraire pour obtenir l’ajournement des procédures sur sa demande dans l’attente d’une décision sur la demande de Molson.

[85]      Étant donné qu’on ne peut accorder qu’une faible valeur probante au sondage de Pye et au témoignage des cadres de Molson portant sur la reconnaissance publique du terme « Export » en relation avec un produit Molson, que la preuve du montant des ventes et de la publicité n’établit pas que le terme « Export » employé seul est distinctif du produit Molson et que la demande d’Oland n’aurait pas dû être considérée par le juge de première instance comme un aveu à l’encontre des intérêts de Labatt, je dois conclure que la preuve supplémentaire qui lui a été soumise n’était pas telle qu’elle l’autorisait à modifier la décision initiale du registraire. Si on applique le critère de contrôle de la décision raisonnable simpliciter à la décision du registraire et considérant le fait que la preuve supplémentaire déposée devant la Section de première instance n’aurait pas influé de façon significative sur ses conclusions de fait ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge aurait dû maintenir sa décision.

[86]      En arrivant à cette conclusion, je ne dis pas que « Export » ne peut pas être véritablement un terme bien connu et célèbre en liaison avec un produit brassé de Molson. Toutefois, en raison du paragraphe 32(1), une décision rendue sous le régime du paragraphe 12(2) doit être fondée sur une preuve qui satisfait le registraire. Lorsque la preuve, qui doit être prépondérante, n’établit pas, à la satisfaction du registraire, que le terme descriptif a acquis, conformément au paragraphe 12(2), un caractère distinctif, la demande ne peut être accueillie.

[87]      L’appel est accueilli avec dépens devant cette Cour et devant la Section de première instance.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1]  (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.); conf. par (1992), 41 C.P.R. (3d) 67 (C.A.F.).

[2]  Ibid., aux p. 210 et 211.

[3]  [1971] C.F. 106 (1re inst.), aux p. 122 et 123; conf. par [1976] 2 C.F. iv (C.A.).

[4]  (1998), 82 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.), à la p. 9, par. 25.

[5]  Affidavit de Shier, mémoire d’appel, vol. I, à la p. 56, par. 16.

[6]  Affidavit de Moran, mémoire d’appel, vol. I, à la p. 65, par. 24.

[7]  Supra, note 4, à la p. 11, par. 37.

[8]  L.R.C. (1985), ch. T-13.

[9]  Même si sa conclusion ne limite pas l’enregistrement à l’Ontario et au Québec, ses motifs établissent clairement que telle était son intention et, dans son mémoire à la Cour, Molson accepte cette restriction.

[10]  Brasseries Molson, société en nom collectif c. Swan Brewing Co. (1994), 58 C.P.R. (3d) 303 (C.O.M.C.), à la p. 310.

[11]  [1971] C.F. 106 (1re inst.).

[12]  Le Black’s Law Dictionary, 7e éd. (St-Paul, Minn.: West Group, 1999) définit un « procès de novo » comme: [traduction] Un nouveau procès portant sur toute la cause—c’est-à-dire, sur les questions de fait et de droit—mené comme s’il n’y avait pas eu de procès en première instance.

[13]  À moins, bien sûr, que les parties conviennent que le dossier devant l’instance inférieure constituera la preuve devant le tribunal qui entend le « procès de novo ».

[14]  (1987), 17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), à la p. 298.

[15]  [1969] R.C.S. 192.

[16]  (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.), à la p. 210.

[17]  Conf. par (1992), 41 C.P.R. (3d) 67 (C.A.F.).

[18]  [1997] 1 R.C.S. 748, aux p. 776 et 777.

[19]  [1984] 2 C.F. 920 (1re inst.).

[20]  Voir Brasseries Carling Ltée c. Cies Molson Ltée (1988), 16 C.I.P.R. 157 (C.A.F.), à la p. 159.

[21]  Paraphrase du « Manuel d’examen sur les marques de commerce » Bureau du registraire, November 1984, à la p. 84.

[22]  [1940] R.C.É. 163, à la p. 169.

[23]  Crosfield (Joseph) & Sons Ltd.In the Matter of an Application to Register a Trade Mark (« Perfection ») by (1909), 26 R.P.C. 837 (C.A.), à la p. 857.

[24]  Voir Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.).

[25]  Supra, note 19. Conf. par (1988), 19 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.).

[26]  (1985), 4 C.P.R. (3d) 272 (C.O.M.C.).

[27]  [1968] 2 R.C.É. 622, à la p. 636.

[28]  (1990), 3 C.P.R. (3d) 439 (C.O.M.C.), à la p. 443.

[29]  (1982), 70 C.P.R. (2d) 254 (C.O.M.C.), aux p. 261 et 262.

[30]  (1984), 2 C.P.R. (3d) 309 (C.O.M.C.).

[31]  Imperial Group plc and Another v. Philip Morris Limited and Another, [1984] R.P.C. 293 (Ch. D.), aux p. 298, 300, 309 et 310; E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., [1976] 2 C.F. 3 (C.A.), à la p. 7; Moore Dry Kiln Co. of Canada c. U.S. National Resources Inc. (1976), 30 C.P.R. (2d) 40 (C.A.F.), aux p. 46 à 49; Johnson (S.C.) and Son, Ltd. et autre c. Marketing International Ltd., [1980] 1 R.C.S. 99, aux p. 110 à 112; Great Lakes Hotels Ltd. c. The Noshery Ltd., [1968] 2 R.C.É. 622, aux p. 635 et 636; Clarke, « The Distinctiveness Required for the Validity of a Trade-Mark » (1971), 2 C.P.R. (2d) 239, aux p. 245 à 247; Robinson’s Camera Centre Ltd. c. Black Photo Corp. (1990), 34 C.P.R. (3d) 439 (C.O.M.C.), aux p. 443 à 445; Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd. c. Tune Masters (1984), 82 C.P.R. (2d) 128 (C.F. 1re inst.), à la p. 144; All Canada Vac Ltd. c. Lindsay Manufacturing Inc. (1990), 28 C.P.R. (3d) 385 (C.F. 1re inst.), aux p. 394 et 395.

[32]  La preuve n’établit qu’un seul exemple d’une affiche publicitaire composée d’un image et d’un texte d’accompagnement où le mot « Export » apparaît seul dans ce texte, mais l’image laisse voir un carton porte-bouteilles de bières sur lequel apparaissent les mots « Molson Export ». Dans aucun autre exemple amené en preuve, le mot « Export » apparaît seul.

[33]  [1946] R.C.S. 50, à la p. 53.

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