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[2000] 4 C.F. 390

A-294-99

San Tong Chan (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Isaac, Robertson et Sharlow, J.C.A.—Vancouver, 15 juin; Ottawa, 24 juillet 2000.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes non admissibles — La demande de statut de réfugié de l’appelant a été refusée en application de l’art. 1Fb) de la Convention — L’art. 1Fb) de la Convention ne s’applique pas aux revendicateurs du statut de réfugié qui ont été déclarés coupables d’avoir commis un crime à l’étranger et ont purgé leur peine avant de venir au Canada — Les personnes se trouvant dans la situation de l’appelant ont le droit de revendiquer le statut de réfugié, à moins qu’on déclare qu’elles constituent un danger pour le public au Canada.

En 1992, alors qu’il résidait illégalement aux États-Unis, l’appelant a été déclaré coupable d’avoir illégalement utilisé un dispositif de communication, une infraction liée à des infractions relatives au trafic de stupéfiants. Il a été condamné à 14 mois d’emprisonnement, la période passée en détention étant prise en considération, et à une période de probation de trois ans. Il a été expulsé vers son pays d’origine, soit la Chine. En 1996, il est arrivé au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié. La SSR a rejeté sa demande en application de la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés au motif qu’il avait commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil. Il s’agit en l’espèce d’un appel de la décision du juge des requêtes qui a maintenu cette décision.

Arrêt : l’appel est accueilli.

La section Fb) de l’article premier ne s’applique pas aux revendicateurs du statut de réfugié qui ont été déclarés coupables d’avoir commis un crime à l’étranger et ont purgé leur peine avant de venir au Canada.

Le juge Bastarache (s’exprimant au nom des juges majoritaires) a fait des remarques incidentes dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), déclarant que la section Fb) de l’article premier de la Convention est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d’extradition en vertu d’un traité puissent revendiquer le statut de réfugié. Le professeur Hathaway, dans son ouvrage The Law of Refugee Status, et le juge La Forest, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, étaient du même avis.

Toute autre interprétation irait à l’encontre du régime législatif qu’établit la Loi sur l’immigration (les articles 19, 46 et 53 fournissent déjà un moyen de traiter les personnes qui, comme l’appelant, ont été déclarées coupables d’une infraction grave avant de venir au Canada). En particulier, interpréter la section Fb) de l’article premier de sorte qu’elle vise une personne se trouvant dans la situation de l’appelant va carrément à l’encontre du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi en éliminant le besoin que le ministre émette un avis de danger. Les personnes se trouvant dans la situation de l’appelant ont le droit de revendiquer le statut de réfugié, à moins que le ministre déclare qu’elles constituent un danger pour le public au Canada. En outre, même la personne qui a obtenu ce statut sans divulguer le fait qu’elle avait déjà été déclarée coupable d’une infraction criminelle a le droit de demeurer au Canada jusqu’à ce que le ministre se dise d’avis qu’elle constitue un danger.

L’interprétation large que le ministre souhaite donner à la section Fb) de l’article premier a pour effet de retirer cette protection, qui se fonde sur la réalité selon laquelle il se peut que la revendication du statut de réfugié de la personne soit valable, même si cette dernière a un casier judiciaire dans un autre ressort. Cette interprétation de la section Fb) de l’article premier que propose le ministre ferait en sorte que la personne qui a déjà été déclarée coupable d’avoir commis un crime grave de droit commun serait automatiquement privée de son droit de revendiquer le statut de réfugiée, quand bien même elle aurait tenté de se réadapter, et peu importe qu’elle constitue ou non un danger pour le public au Canada. Il aurait été préférable que la SSR statue sur le bien-fondé de la revendication du statut de réfugié de l’appelant de façon subsidiaire : Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration).

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fb),c).

Food and Drugs Act, 21 U.S.C. § 843(b) (1988).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 19 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83), 46 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35), 46.01(1)e)(i) (mod., idem, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 53 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; modification aux motifs [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 20 Imm. L.R. (2d) 85; 153 N.R. 321.

DÉCISION CITÉE :

Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.).

DOCTRINE

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status. Toronto : Butterworths, 1991.

APPEL d’une décision de la Section de première instance (Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 166 F.T.R. 271; 49 Imm. L.R. (2d) 11) qui a maintenu la décision de la section du statut de réfugié, laquelle a statué que l’appelant n’était pas un réfugié au sens de la Convention aux termes de la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Alexandar Stojicevic pour l’appelant.

Helen C. H. Park pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCrea & Associates, Vancouver, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Robertson, J.C.A. : L’appelant résidait illégalement aux États-Unis lorsqu’il a été arrêté à San Francisco par suite d’une opération d’infiltration qui a donné lieu à la vente d’une quantité importante d’héroïne à des agents banalisés. Aux termes d’une transaction pénale, l’appelant a plaidé coupable et il a été condamné à 14 mois d’emprisonnement, en 1992, pour avoir illégalement utilisé un dispositif de communication (un téléavertisseur), une infraction prévue à l’article 843b) du Food and Drugs Act, 21 U.S.C. (1998), qui est liée à des infractions relatives au trafic de stupéfiants. En vertu de la transaction, la période pendant laquelle l’appelant avait déjà été détenu était prise en considération, et une période de probation de trois ans lui était imposée. L’appelant a également accepté d’être expulsé vers son pays d’origine, soit la Chine, après sa libération. L’appelant a éventuellement été expulsé vers ce pays. En 1996, il est arrivé au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié. La présente instance fait suite à cette revendication.

[2]        Le 27 mai 1998, la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que l’appelant n’était pas un réfugié au sens de la Convention, en application de la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6]. Cet article fait partie de notre droit interne en vertu de l’article 2 de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1)], qui exclut de la définition de réfugié les individus visés par la section Fb) de l’article premier. La section Fb) prévoit que les dispositions de la Convention ne sont pas applicables aux personnes qui « ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil » :

Article premier

Définition du Terme « Réfugié »

[…]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[…]

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

[3]        Vu les circonstances de la déclaration de culpabilité dont l’appelant a fait l’objet aux États-Unis, la Commission a invoqué la disposition d’exclusion, privant ainsi ce dernier du droit de revendiquer le statut de réfugié. En bref, la Commission a rejeté l’argument de l’appelant selon lequel on doit, en appréciant la gravité d’un crime de droit commun, tenir compte de l’infraction que le revendicateur du statut de réfugié a été déclaré coupable d’avoir commise, et non d’une quelconque infraction qu’il aurait pu avoir été accusé d’avoir commise et pour laquelle il aurait pu avoir été déclaré coupable. Le juge des requêtes [(1999), 166 F.T.R. 271 (C.F. 1re inst.)] a maintenu la décision de la Commission et rejeté l’argument subsidiaire de l’appelant selon lequel la section Fb) de l’article premier ne s’applique pas dans les cas où le revendicateur a été déclaré coupable d’une infraction en dehors du pays d’accueil et a purgé sa peine avant de venir au Canada. L’appelant a fait valoir que cette section vise seulement à empêcher des criminels ordinaires, qui autrement feraient l’objet d’une extradition, de chercher à obtenir le statut de réfugiés afin d’éviter ce processus judiciaire. Il s’ensuit nécessairement que les personnes qui ont été déclarées coupables d’une infraction et qui ont déjà purgé leur peine n’ont pas à éviter le processus d’extradition. Pour cette raison, l’appelant a soutenu, en vain, que la section Fb) de l’article premier ne pouvait être invoquée pour fonder un refus d’examiner sa revendication du statut de réfugié.

[4]        Avec égards, je suis d’avis qu’il convient d’accueillir l’appel. Si l’on présume, sans toutefois trancher la question, que l’infraction dont l’appelant a été déclaré coupable constitue un crime grave de droit commun, il est clair selon moi que la section Fb) de l’article premier ne saurait être invoquée dans les cas où le revendicateur a été déclaré coupable d’un crime et a purgé sa peine ailleurs qu’au Canada, avant d’arriver au pays. Je fonde cette conclusion sur deux motifs. Premièrement, des remarques incidentes que le juge Bastarache (s’exprimant au nom des juges majoritaires) a faites dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et que le juge La Forest a faites dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, étayent une telle interprétation de la section Fb) de l’article premier, à l’instar de la doctrine. Deuxièmement, toute autre interprétation de cette section irait à l’encontre du régime législatif qu’établit la Loi sur l’immigration. Le ministre refuse de reconnaître que les articles 19 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83], 46 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35] et 53 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12] de la Loi fournissent déjà un moyen de traiter les personnes qui, comme l’appelant, ont été déclarées coupables d’une infraction grave avant de venir au Canada. En particulier, interpréter la section Fb) de l’article premier de sorte qu’elle vise une personne se trouvant dans la situation de l’appelant va carrément à l’encontre du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9] de la Loi. Comme je l’expliquerai plus loin, les personnes se trouvant dans la situation de l’appelant ont le droit de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, à moins que le ministre déclare qu’elles constituent un danger pour le public au Canada. En outre, même la personne qui a obtenu ce statut sans divulguer le fait qu’elle avait déjà été déclarée coupable d’une infraction criminelle a le droit de demeurer au Canada jusqu’à ce que le ministre se dise d’avis qu’elle constitue un danger. Mon analyse en bonne et due forme commence par une étude des remarques incidentes convaincantes que le juge Bastarache a faites dans l’arrêt Pushpanathan, précité, qui a été rendu après que la Commission a tranché l’affaire.

[5]        La question litigieuse dans l’affaire Pushpanathan, précitée, était de savoir s’il était interdit à une personne qui avait plaidé coupable de trafic de stupéfiants au Canada de revendiquer le statut de réfugiée, vu la section Fc) de l’article premier de la Convention. Cette section prévoit que la Convention n’est pas applicable aux personnes qui « se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ». La Cour suprême a conclu qu’il ressort de l’interprétation et de l’historique de la Convention que les signataires de celle-ci n’avaient pas l’intention de faire en sorte que le trafic de stupéfiants soit visé par la section Fc) de l’article premier. Le juge Bastarache considère notamment que comme la section Fb) de cet article traite de crimes graves de droit commun, tel le trafic de stupéfiants, les signataires de la Convention ne voulaient pas faire en sorte que ces crimes soient visés par le libellé général et sans réserve de la section Fc). En fait, il estime que le trafic de stupéfiants constitue un crime grave de droit commun. Dans le cadre de son analyse, le juge Bastarache renvoie à l’objectif que vise la section Fb) et il fait remarquer, au paragraphe 73 [pages 1033 et 1034] :

Il est nécessaire de prendre aussi en considération le chevauchement possible des sections Fc) et Fb) de l’article premier en ce qui concerne le trafic des drogues. De toute évidence, la section Fb) est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d’extradition en vertu d’un traité puissent revendiquer le statut de réfugié, mais cette exclusion est limitée aux crimes graves commis avant l’entrée dans le pays d’accueil. Goodwin-Gill, op. cit., à la p. 107, dit ceci :

[traduction] En vue de favoriser l’uniformité des décisions, le HCNUR a proposé que, lorsqu’aucun facteur politique ne joue, une présomption de crime grave puisse découler de la preuve de la perpétration de l’une ou l’autre des infractions suivantes : l’homicide, l’agression sexuelle, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic des drogues et le vol qualifié.

Les parties ont voulu s’assurer que les criminels de droit commun ne puissent pas se soustraire à l’extradition et aux poursuites en demandant le statut de réfugié. Vu la portée bien définie de la section Fb) de l’article premier, celle-ci étant limitée aux « crimes graves de droit commun » commis en dehors du pays d’accueil, on doit inévitablement en inférer que les crimes graves de droit commun ne sont pas visés par le libellé général et catégorique de la section Fc) de l’article premier. La section Fb) de l’article premier vise des crimes de droit commun commis en dehors du pays d’accueil, alors que le par. 33(2) traite des crimes ou délits de droit commun perpétrés dans le pays d’accueil. La section Fb) de l’article premier renferme un mécanisme de pondération dans la mesure où il faut que soient remplies les conditions exprimées par les termes « grave » et « de droit commun », tandis que le par. 33(2), mis en œuvre par les art. 53 et 19 de la Loi, oblige à peser la gravité du danger pour la société canadienne par rapport au danger de persécution en cas de refoulement. Cette approche reflète l’intention des États signataires de réaliser un équilibre des considérations humanitaires entre, d’une part, la personne qui craint la persécution et, d’autre part, l’intérêt légitime des États dans la répression de la criminalité. L’existence de la section Fb) de l’article premier semble indiquer que même un crime grave de droit commun tel le trafic des drogues ne doit pas être inclus à la section Fc) de l’article premier. Cette affirmation est conforme aux avis émis par les délégués tels qu’ils ressortent des Collected Travaux Préparatoires of the 1951 Geneva Convention Relating to the Status of Refugees (1989), vol. III, à la p. 89.

[6]        Outre les exégètes auxquels le juge Bastarache a renvoyé, l’appelant cite le professeur Hathaway pour étayer la proposition selon laquelle l’objectif restreint de la section Fb) de l’article premier vise à empêcher les criminels d’éviter l’extradition en revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention. Voici ce que le professeur Hathaway dit, aux pages 221 et 222 de son ouvrage (The Law of Refugee Status) :

[traduction] L’exclusion relative aux crimes de droit commun [l’article 1Fb)] prévoit le rejet de la revendication de personnes susceptibles de se voir imposer une sanction dans un autre État pour avoir commis un véritable crime grave, qui cherchent à éviter une responsabilité criminelle légitime en revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention. Cette disposition d’exclusion ne constitue ni un moyen de contourner le processus criminel habituel à l’égard d’actes commis dans un État d’accueil, ni un prétexte permettant de négliger de tenir compte des besoins en matière de protection de personnes qui ont commis à l’étranger des délits de peu d’importance, par comparaison. Elle fournit plutôt un moyen de rendre le droit des réfugiés conforme aux principes fondamentaux du droit de l’extradition en veillant à ce que les fugitifs qui ont commis des crimes graves ne soient pas en mesure d’éviter d’être expulsés vers le ressort où ils sont légalement susceptibles d’encourir une peine […]

Deuxièmement, le fondement de la disposition d’exclusion relatif à l’extradition exige que l’infraction criminelle soit justiciable dans le pays où elle a été commise. Dans la mesure où la revendicatrice a purgé sa peine, été acquittée, été amnistiée ou a autrement rempli les obligations qui lui incombaient en vertu du droit criminel, elle ne risque pas d’être extradée, et elle ne doit pas être exclue du statut de réfugiée […]

[7]        Je m’arrête un instant pour souligner que le juge La Forest souscrit, dans l’arrêt Ward, précité, au point de vue du professeur Hathaway, dans une remarque incidente qu’il fait à la page 743 :

La formulation de cette exclusion pour la « perpétration » d’un crime peut être mise en contraste avec l’art. 19 de la Loi, qui parle de « déclarations de culpabilité » relatives à des crimes. Hathaway, op. cit., à la p. 221, interprète cette exclusion comme visant [traduction] « les personnes qui sont passibles de peines, dans un autre État, pour avoir commis un véritable crime grave, et qui cherchent à se soustraire à leur responsabilité criminelle légitime en revendiquant le statut de réfugié ». En d’autres termes, Hathaway semblerait limiter l’application de l’al. b) aux personnes accusées qui cherchent à échapper à des poursuites. La question de l’interprétation de cette modification n’a pas été débattue devant nous. Toutefois, je remarque que l’interprétation du professeur Hathaway semble être compatible avec le point de vue exprimé dans les Travaux préparatoires, au sujet du besoin de conformité entre la Convention et le droit en matière d’extradition; voir la déclaration du délégué Henkin des États-Unis, doc. des Nations Unies E/AC.32/SR.5 (30 janvier 1950), à la p. 5. À ce sujet, Ward ne serait toujours pas exclu pour ce motif, puisqu’il a déjà été déclaré coupable des crimes qu’il a commis et qu’il a déjà purgé sa peine.

[8]        Il est indéniable que la jurisprudence et la doctrine étayent la proposition selon laquelle la section Fb) de l’article premier ne s’applique pas aux personnes qui ont déjà été déclarées coupables d’un crime à l’étranger et qui ont déjà purgé leur peine avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada. Cela dit, j’accepte que le libellé de cette section est extrêmement large. En effet, il renvoie expressément aux personnes qui ont commis un crime grave de droit commun à l’étranger, ce qui logiquement vise les personnes déjà condamnées qui ont purgé leur peine. On doit se demander, sur le plan de l’interprétation législative, pourquoi une disposition dont le libellé est si large doit être interprétée de façon étroite. La réponse à cette question est que l’interprétation large que propose le ministre va à l’encontre du régime général que la Loi établit en ce qui concerne les revendicateurs du statut de réfugié qui ont été déclarés coupables d’un crime grave avant leur arrivée au Canada.

[9]        Je suppose d’abord, dans cette partie de mon analyse, que l’appelant a été déclaré coupable d’un crime grave de droit commun aux États-Unis au sens de la section Fb) de l’article premier. Bien que cette supposition soit contraire à l’intérêt de l’appelant, elle est compatible avec la position de la Commission, que le juge des requêtes a adoptée. À cet égard, le juge des requêtes a estimé que la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle avait conclu que l’appelant avait été déclaré coupable d’une infraction relative au trafic de stupéfiants et que cette infraction constituait un crime grave de droit commun, et ce malgré le fait que l’appelant n’avait pas été déclaré coupable de trafic de stupéfiants en tant que tel, mais plutôt d’avoir illégalement utilisé un dispositif de communication, une infraction que ne prévoit pas le droit canadien. En outre, je supposerai que si l’appelant avait mené des activités similaires au Canada, il aurait été déclaré coupable d’une infraction telle le trafic de stupéfiants, à l’égard de laquelle une peine d’emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans aurait pu lui être infligée. En d’autres termes, je supposerai aux fins de la présente affaire, sans toutefois trancher la question, qu’un crime grave de droit commun est assimilable à un crime qui, s’il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l’imposition d’une peine d’emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans. Comme il ressortira des présents motifs, ces suppositions m’aideront à démontrer l’incohérence de l’interprétation de la section Fb) que propose le ministre, à la lumière d’autres dispositions pertinentes de la Loi.

[10]      L’article 19 de la Loi sur l’immigration constitue la disposition fondamentale qui permet de comprendre comment la loi traite les personnes déclarées coupables d’un crime dans un autre pays avant de venir au Canada. Cet article définit les catégories de personnes réputées « non admissibles ». Il importe de préciser que l’article 19 est une disposition générale qui ne vise pas expressément les revendicateurs du statut de réfugié. Par ailleurs, le sous-alinéa 19(1)c.1)(i), qui prévoit que les personnes qui ont été déclarées coupables d’une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans (par. ex. le trafic de stupéfiants) ne sont pas admissibles, revêt une pertinence cruciale en ce qui concerne le présent appel :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[…]

c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles ont, à l’étranger :

(i) soit été déclarées coupables d’une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d’une loi fédérale, d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu’au moins cinq ans se sont écoulés depuis l’expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l’infraction;

[11]      Comme je l’ai déjà mentionné, je suppose, pour les fins du présent appel, que cette disposition est assimilable au concept de crime grave de droit commun auquel renvoie la section Fb) de l’article premier. Cependant, le sous-alinéa 19(1)c.1)(i) prévoit une exception, selon laquelle la personne qui a été déclarée coupable d’une infraction visée par cette disposition est tout de même admissible si elle peut justifier auprès du ministre de sa réadaptation et du fait qu’au moins cinq ans se sont écoulés depuis l’expiration de toute peine lui ayant été infligée pour l’infraction. L’aspect pertinent de ce sous-alinéa, pour les fins du présent appel, est le fait qu’il reconnaisse que la personne n’est pas automatiquement exclue du Canada pour la seule raison qu’elle a déjà purgé une peine qui lui avait été infligée pour une infraction grave, avant de chercher à être admise au pays. Je fais remarquer, à titre de comparaison, que l’interprétation de la section Fb) que propose le ministre aurait pour effet d’empêcher une telle personne, automatiquement et à tout jamais, de revendiquer le statut de réfugié, et ce même si sa revendication était valable ou si elle pouvait justifier auprès du ministre de sa réadaptation. En outre, une telle interprétation irait à l’encontre des remarques incidentes que le juge La Forest a faites aux pages 741 et 742 de l’arrêt Ward, précité :

Le demandeur du statut de réfugié au Canada qui a établi qu’il est visé par la définition de l’expression «réfugié au sens de la Convention » doit en outre surmonter l’obstacle de l’art. 19 pour que l’autorisation de séjour lui soit accordée. Ces exclusions fondées sur la criminalité ont été rédigées avec soin de telle façon que les demandeurs qui peuvent constituer une menace pour le gouvernement canadien ou pour la vie ou les biens des résidents du Canada ne soient pas admis. Toutefois, les dispositions donnent expressément au ministre de l’Emploi et de l’Immigration suffisamment de latitude pour réexaminer l’opportunité d’accorder l’autorisation de séjour au demandeur qui a un casier judiciaire, lorsque le Ministre est convaincu que celui-ci s’est réhabilité. De cette façon, le Parlement a choisi de ne pas considérer les antécédents criminels d’une personne comme une fin de non-recevoir à l’obtention du statut de réfugié.

[12]      Mettant de côté le sous-alinéa 19(1)c.1)(i) pour le moment, j’estime qu’il faut reconnaître que la Loi sur l’immigration traite expressément des revendicateurs du statut de réfugié qui ont été déclarés coupables d’avoir commis un crime grave à l’étranger ainsi que des personnes qui ont obtenu le statut de réfugié mais omis de déclarer, à l’audition de leur revendication de ce statut, qu’elles avaient déjà été déclarées coupables d’une telle infraction. J’aborde chaque cas successivement.

[13]      Le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi prévoit que la revendication du statut de réfugié de l’intéressé n’est pas recevable par la section du statut si un arbitre a conclu que ce dernier appartient à la catégorie non admissible visée au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada. L’avis du ministre selon lequel l’intéressé constitue un danger pour le public prive donc ce dernier du droit de revendiquer le statut de réfugié dans le cas où il a été déclaré coupable d’un crime grave au sens du sous-alinéa 19(1)c.1)(i). Voici le libellé du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) :

46.01 (1) La revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si l’intéressé se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

[…]

e) l’arbitre a décidé, selon le cas :

(i) qu’il appartient à l’une des catégories non admissibles visées à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

[14]      En outre, la Loi traite plus loin des situations dans lesquelles les responsables de l’immigration sont mis au courant, seulement après que l’intéressé a obtenu le statut de réfugié, que ce dernier a déjà été déclaré coupable d’une infraction à l’étranger. L’alinéa 53(1)a) prévoit que la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie serait menacée, sauf si elle appartient à la catégorie non admissible visée au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada. Voici le libellé de l’alinéa 53(1)a) :

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l’alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas :

a) elle appartient à l’une des catégories non admissible visées à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;

[15]      En résumé, il est clair que l’interprétation large que le ministre souhaite donner à la section Fb) de l’article premier va à l’encontre de l’objectif que vise cette disposition, tel que le décrit l’arrêt Pushpanathan, précité, et le confirme la doctrine. En outre, une telle interprétation ne reconnaît pas que la Loi sur l’immigration prévoit déjà un régime qui traite des personnes qui ont été déclarées coupables de crimes graves qu’elles ont commis à l’étranger. Les dispositions pertinentes ont en commun le fait qu’un individu qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou à qui ce statut a déjà été reconnu ne peut être renvoyé du Canada pour la seule raison qu’il a été déclaré coupable d’avoir commis un crime grave dans un autre pays. Dans les deux cas, le ministre doit se dire d’avis que la personne constitue un danger pour le public avant que des mesures puissent être prises en vue de la renvoyer du Canada. Par contraste, l’interprétation large que propose le ministre a pour effet de retirer à la personne en cause cette protection, qui se fonde sur la réalité selon laquelle il se peut que la revendication du statut de réfugié de la personne soit valable, même si cette dernière a un casier judiciaire dans un autre ressort. Cette interprétation que propose le ministre ferait en sorte que la personne qui a déjà été déclarée coupable d’avoir commis un crime grave de droit commun serait automatiquement privée de son droit de revendiquer le statut de réfugiée, quand bien même elle aurait tenté de se réadapter, et peu importe qu’elle constitue ou non un danger pour le public au Canada. L’interprétation que propose le ministre aurait pour effet, à proprement parler, d’abroger pour ainsi dire le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l’immigration en éliminant l’exigence selon laquelle le ministre doit se dire d’avis que la personne constitue un danger pour le public. La seule façon de résoudre, sur le plan de l’interprétation législative, ce conflit apparent est d’interpréter la section Fb) de l’article premier d’une façon compatible avec son objectif établi.

[16]      Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler l’ordonnance du juge des requêtes datée du 23 avril 1999, d’accueillir la demande de contrôle judiciaire, d’annuler la décision de la Commission datée du 27 mai 1998, et de renvoyer l’affaire à la Commission pour qu’elle l’examine de nouveau sur le fondement que la section Fb) de l’article premier ne s’applique pas aux revendicateurs du statut de réfugié au sens de la Convention qui ont été déclarés coupables d’avoir commis un crime à l’étranger et ont purgé leur peine avant de venir au Canada. Les dépens sont adjugés à l’appelant pour ce qui est du présent appel de même que de la requête. Pour terminer, j’aimerais ajouter qu’il aurait été préférable que la Commission eût statué sur le bien-fondé de la revendication du statut de réfugié de l’appelant de façon subsidiaire. J’ai longuement traité de cette question dans Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), aux pages 326 et 327. Il se pourrait bien que la Commission tire profit des remarques que j’ai faites dans cette affaire.

Le juge Isaac, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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