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[2000] 1 C.F. 135

A-507-97

A-603-96

Gitxsan Treaty Society, représentée par la Gitxsan Health Authority (demanderesse)

c.

Hospital Employees’ Union et British Columbia Nurses’ Union (défendeurs)

Répertorié : Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union (C.A.)

Cour d’appel, juge Rothstein, J.C.A.—Vancouver, 19 et 20 juillet 1999.

Pratique Avis d’une question constitutionnelleRequête déposée par le procureur général du Canada pour empêcher la demanderesse de mettre en doute la validité, l’applicabilité ou l’effet sur le plan constitutionnel du Code canadien du travailLa demanderesse a demandé le contrôle judiciaire des décisions du CCRTElle a omis de donner un avis d’une question constitutionnelle au procureur général lors des procédures devant le CCRT, comme le requièrent les art. 57(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédéraleL’art. 57(1) s’applique aux procédures instruites devant la Cour fédérale et devant un office fédéralIl prévoit l’obligation de communiquer un avisL’argument selon lequel l’obligation de communiquer l’avis n’a pu être remplie parce que le Conseil n’avait jamais convoqué d’audition orale a été rejetéUn avis doit être communiqué même lorsqu’on ne sait pas s’il y aura une auditionLa formule 2.1 (formule d’avis) doit être adaptée aux circonstances particulièresS’il est décidé qu’aucune audition ne sera tenue, le tribunal en avisera les procureurs généraux et leur fixera une date d’échéance pour le dépôt de leurs observations écritesLa présence d’un préjudice n’est pas un facteur pertinentLes procureurs généraux ont démontré qu’ils ont subi un préjudiceÀ l’étape du contrôle judiciaire, il est permis de présenter une preuve extrinsèque au dossier soumis devant le tribunal dont la décision fait l’objet de la demande de contrôle judiciaireLa question qui se pose touche la compétence constitutionnelle du CCRT sous le régime du Code canadien du travail et, non le fait que seuls de nouveaux éléments de preuve peuvent faire apparaître le défaut de compétence du ConseilLe but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 16p).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35(1).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19), (2) (mod., idem).

Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, règle 301.1 (édictée par DORS/92-43, art. 2), formule 2.1 (édictée, idem, art. 20).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 107.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; (1997), 142 D.L.R. (4th) 385; 41 C.R.R. (2d) 240; 207 N.R. 171; 97 O.A.C. 161; Rex v. Nat Bell Liquors Limited, [1922] 2 A.C. 128 (C.P.).

DÉCISIONS CITÉES :

Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep 790; Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; (1979), 98 D.L.R. (3d) 1; 79 CLLC 14,211; 28 N.R. 107; Watt c. Liebelt, [1999] 2 C.F. 455(C.A.); Westbank First Nation v. British Columbia (Labour Relations Board), [1997] B.C.J. No. 2410 (C.S.) (QL); Kenbrent Holdings Ltd. c. Atkey, [1995] A.C.F. no 530 (1re inst.) (QL); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Toledo, [1998] A.C.F. no 284 (1re inst.) (QL); In re McEwen, [1941] R.C.S. 542.

REQUÊTE pour empêcher la demanderesse de mettre en doute la validité, l’applicabilité ou l’effet sur le plan constitutionnel du Code canadien du travail, au motif que la demanderesse a omis de communiquer au procureur général un avis d’une question constitutionnelle lors des procédures devant le Conseil canadien des relations du travail, comme le requièrent les paragraphes 57(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale. Requête accueillie.

ONT COMPARU :

Charles B. Coutts et Paul M. Pulver pour la demanderesse.

Carolyn J. Askew pour le défendeur, Hospital Employees’ Union.

Christopher G. Buchanan pour le défendeur, British Columbia Nurses’ Union.

Alan D. Louie et Rodney Yamanouchi pour l’intervenant, le procureur général du Canada.

John B. Edmond pour l’intervenant, le procureur général de la Colombie-Britannique.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Schiller, Coutts, Weiler & Gibson, Vancouver, pour la demanderesse.

Askew Fiorillo & Glavin, Vancouver, pour le défendeur, Hospital Employees’ Union.

Christopher G. Buchanan, Victory Square Law Office, Vancouver, pour le défendeur, British Columbia Nurses’ Union.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intervenant, le procureur général du Canada.

John B. Edmond, Services juridiques, Ministère du procureur général de la Colombie-Britannique, Victoria, pour l’intervenant, le procureur général de la Colombie-Britannique.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Rothstein, J.C.A. : Le procureur général du Canada a déposé une requête pour que soit prononcée une ordonnance, en application de la règle 107 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], visant à empêcher la demanderesse de mettre en doute la validité, l’applicabilité ou l’effet sur le plan constitutionnel du Code canadien du travail[1] dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire des décisions rendues par le Conseil canadien des relations du travail (CCRT)[2]. Le procureur général invoque au soutien de sa requête que la demanderesse a omis de lui donner un avis de la question constitutionnelle lors des procédures devant le CCRT, comme le requièrent les paragraphes 57(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale[3], que cette omission lui a causé préjudice et qu’il n’existe aucun fondement factuel approprié qui justifie que la question constitutionnelle soit débattue devant la Cour. Les paragraphes 57(1) et (2) prévoient :

57. (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d’application, dont la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour ou un office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés conformément au paragraphe (2).

(2) L’avis est, sauf ordonnance contraire de la Cour ou de l’office fédéral en cause, signifié au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l’objet doit être débattue.

La requête du procureur général du Canada est appuyée par les défendeurs et par le procureur général de la Colombie-Britannique.

[2]        Aux fins de la présente requête, les faits de la cause seront brièvement exposés. Par la décision no 1552 rendue le 5 juillet 1996, le CCRT a accrédité le Hospital Employees’ Union à titre d’agent négociateur d’une unité qui comprend, à l’exclusion du directeur général, des directeurs régionaux et des médecins, tous les employés de la Gitxsan Treaty Society représentée par la Gitxsan Health Authority, cette dernière se consacrant à prodiguer des services de santé communautaires dans la province de la Colombie-Britannique.

[3]        La demanderesse et le British Columbia Nurses’ Union ont cherché à faire réexaminer cette décision. Par une décision datée du 13 mars 1997, une formation du CCRT chargée de réexaminer la décision a rejeté la demande de réexamen présentée par la demanderesse. Par une décision datée du 12 juin 1997, le British Columbia Nurses’ Union a été accrédité à titre d’agent négociateur d’une unité qui comprend toutes les infirmières autorisées; ces dernières ont alors été exclues de l’unité de négociation du Hospital Employees’ Union.

[4]        Dans le dossier no A-603-96, la demanderesse conteste par voie de contrôle judiciaire la décision rendue par le Conseil en date du 5 juillet 1996; dans le dossier no A-507-97, la demanderesse conteste par voie de contrôle judiciaire la décision rendue par le Conseil en date du 12 juin 1997.

[5]        L’avocat de la demanderesse a expliqué que, selon sa cliente, les chefs héréditaires chez le peuple gitxsan possèdent un droit ancestral de surveillance de la prestation des soins de santé destinés au peuple gitxsan, que les relations de travail concernent la prestation de services de soins de santé aux Gitxsans et que la décision du CCRT d’accréditer des agents négociateurs empiète sur le droit ancestral en question de manière injustifiée, ce qui contrevient au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Le paragraphe 35(1) prévoit :

35. (1) Les droits existants—ancestraux ou issus de traités—des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

[6]        La demanderesse admet qu’aucun avis d’une question constitutionnelle n’a été signifié au procureur général du Canada ou aux procureurs généraux des provinces relativement aux procédures devant le CCRT. Elle soutient toutefois que, premièrement, elle n’était pas tenue de communiquer l’avis prévu au paragraphe 57(1) puisque aucune audition n’a été tenue devant le CCRT; deuxièmement, que les procureurs généraux n’ont pas démontré qu’ils ont subi un préjudice par suite du défaut d’avis et que, en l’absence de préjudice, ces derniers ne peuvent se fonder sur le paragraphe 57(1); troisièmement, que toute la preuve pertinente en matière constitutionnelle que les procureurs généraux auraient pu présenter devant le CCRT peut être présentée devant la Cour.

[7]        La question préliminaire consiste à savoir si le CCRT avait la compétence voulue pour examiner la question constitutionnelle soulevée par le demandeur. Les parties et les intervenants ont tous soutenu qu’il avait cette compétence, en s’appuyant sur l’alinéa 16p) du Code canadien du travail, lequel confère au Conseil le pouvoir de trancher toute question qui peut se poser dans l’instance, de même que sur les arrêts de la Cour suprême Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail)[4] et Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada[5]. Je pars donc de la prémisse que le CCRT avait compétence pour connaître la question constitutionnelle.

[8]        Quant à savoir si l’avis de la question constitutionnelle aurait dû être signifié en application du paragraphe 57(1) de la Loi sur la Cour fédérale relativement à l’instance devant le CCRT, la demanderesse fait valoir qu’il n’y a pas eu d’audition devant le Conseil. La formule 2.1 annexée aux Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663 (édicté par DORS/92-43, art. 20)] exigeait qu’un avis soit communiqué quant à la date, à l’heure et au lieu où serait « entendue » la question constitutionnelle. Comme le Conseil n’a jamais convoqué d’audition, la demanderesse ne pouvait donc se conformer aux exigences du paragraphe 57(1) puisqu’elle ne pouvait donner d’avis relativement à une date, à une heure ou à un lieu pour la tenue d’une audience. La formule 2.1 prévoyait notamment ce qui suit :

FORMULE 2.1

[…]

Vous êtes avisé par les présentes que (nom de la partie) a l’intention de contester la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel (préciser lequel) de (préciser les dispositions en cause) dans cette procédure devant être entendue le (jour), (date), à (heure), à (le lieu).

[9]        La formule 2.1 doit être adaptée aux circonstances particulières. La règle 301.1 [édicté, idem, art. 2] des Règles de la Cour fédérale prévoyait :

Règle 301.1 La forme de l’avis d’une question constitutionnelle prévu à l’article 57 de la Loi correspond essentiellement à la formule 2.1 contenue à l’annexe. [Non souligné dans l’original.]

Je mets l’accent sur le terme « essentiellement » pour souligner le fait que les Règles prévoyaient que la formule 2.1, telle qu’elle était énoncée, pouvait ne pas s’appliquer de façon systématique dans tous les cas. Le paragraphe 57(1) s’applique non seulement aux procédures instruites devant la Cour fédérale, mais également aux procédures instruites devant un office fédéral. Certains tribunaux, tel le CCRT, ne tiennent pas d’audition dans tous les cas. Lorsqu’on ne sait pas si une audition aura lieu, toute partie qui désire amorcer une contestation sur le plan constitutionnel relativement à la validité, à l’applicabilité ou à l’effet d’une loi demeure tenue d’aviser les procureurs généraux de son intention. Bien que je ne prescrive pas en l’espèce la forme que doit revêtir l’avis en question, je pense qu’il convient pour l’avocat, dans les circonstances, d’indiquer qu’une audition peut ne pas être tenue et que les procureurs généraux devraient informer le tribunal de leur intention de présenter des observations orales ou écrites. Si une audition est prévue, la communication d’un autre avis quant à la date, à l’heure et au lieu n’est plus qu’une simple question de suivi du dossier. S’il est décidé qu’aucune audition ne sera tenue, le tribunal en avisera sans doute les procureurs généraux et leur fixera une date d’échéance pour le dépôt de leurs observations écrites. Je ne suis pas convaincu par le premier argument de la demanderesse.

[10]      Quant à la prétention selon laquelle les procureurs généraux n’ont pas démontré qu’ils ont subi un préjudice, la question du caractère obligatoire du paragraphe 57(1) n’a pas été tranchée de façon décisive par la Cour suprême du Canada. Cependant, à l’exception de certaines circonstances qui ne s’appliquent pas en l’espèce, j’estime que la jurisprudence penche en faveur du caractère obligatoire de cette disposition. La question a fait l’objet d’un examen par le juge Sopinka dans l’arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant[6], dans lequel il expliquait la raison pour laquelle il était enclin à favoriser la thèse du caractère obligatoire du paragraphe 57(1) :

Compte tenu de l’objet de l’art. 109 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, je suis enclin à être d’accord avec l’opinion exprimée par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans D.N. c. New Brunswick (Minister of Health & Community Services), précité, et par le juge Arbour, dissidente, dans l’arrêt Mandelbaum, précité, selon laquelle la disposition impose une obligation, et l’omission de donner l’avis invalide une décision rendue en son absence sans que l’existence d’un préjudice ait été prouvée. Il me semble que l’absence d’avis est préjudiciable en soi à l’intérêt public. Je ne suis pas rassuré par le fait que le procureur général sera immanquablement en mesure d’expliquer après coup quelles mesures auraient pu être prises si l’avis avait été donné au moment opportun. Il y a donc un risque que, dans certains cas, une disposition législative puisse être annulée par défaut.

Il y a naturellement place à interprétation en ce qui concerne l’art. 109, et il peut se présenter des cas où l’omission de signifier un avis par écrit n’est pas fatale parce que le procureur général donne son consentement à ce que la question soit examinée ou parce qu’il y a eu un avis de facto qui équivaut à un avis par écrit. Il n’est toutefois pas nécessaire d’exprimer une opinion définitive sur ces questions, car je suis convaincu que, selon l’une ou l’autre tendance de la jurisprudence, la décision de la Cour d’appel n’est pas valide. Aucun avis ou quelque équivalent n’a été donné en l’espèce et, en fait, le procureur général et les tribunaux n’avaient aucune raison de croire que la Loi était contestée. Manifestement, l’art. 109 n’a pas été respecté et le procureur général a subi un préjudice grave en raison de l’absence d’avis[7].

J’estime que ces commentaires indiquent qu’il existe une obligation de communiquer un avis en conformité avec le paragraphe 57(1) (sauf dans certaines circonstances, soit lorsque les procureurs généraux consentent à l’examen de la question ou lorsqu’il y a eu un avis de facto) et que la présence ou l’absence de préjudice n’est pas un facteur pertinent.

[11]      Quoi qu’il en soit, les procureurs généraux ont démontré qu’ils ont subi un préjudice en l’espèce. Ils énumèrent un certain nombre d’éléments au sujet desquels la preuve en matière constitutionnelle serait pertinente relativement à la résolution de la question constitutionnelle soulevée par la demanderesse. Plus particulièrement, les considérations liées à la nature du droit ancestral revendiqué, la question de savoir si le droit ancestral a existé de façon continue, la question de savoir s’il y a empiètement sur ce droit et, dans l’affirmative, si l’empiètement peut être justifié, constituent toutes des éléments de preuve légitimes. Voir à cet égard Watt c. Liebelt[8]. Je suis convaincu que les procureurs généraux ont démontré qu’ils ont subi un préjudice. Le deuxième argument de la demanderesse doit donc être rejeté.

[12]      En ce qui concerne le troisième argument soulevé par la demanderesse, à savoir que la preuve en matière constitutionnelle peut être présentée devant la Cour, la demanderesse a cité de la jurisprudence à l’appui de la thèse selon laquelle lorsqu’il s’agit de questions relatives à la compétence, il est permis de présenter des éléments de preuve à l’étape du contrôle judiciaire. Voir à cet égard Westbank First Nation v. British Columbia (Labour Relations Board)[9]; Kenbrent Holdings Ltd. c. Atkey[10]; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Toledo[11].

[13]      Dans l’arrêt In re McEwen[12], le juge Rinfret a cité la décision qui fait autorité Rex v. Nat Bell Liquors Limited[13], dans laquelle lord Sumner, au nom du Conseil privé, a abordé directement cette question. En tenant compte des opinions incidentes exprimées par lord Sumner, je suis d’avis que la demanderesse a raison d’affirmer qu’à l’étape du contrôle judiciaire, il est permis de présenter une preuve extrinsèque au dossier soumis devant le tribunal dont la décision fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire. Cependant, la possibilité de le faire se limite aux cas où le seul moyen d’attaquer le défaut de compétence est de présenter cette nouvelle preuve devant la cour de révision. Dans l’arrêt McEwen, le juge Rinfret a cité les extraits suivants de l’arrêt Nat Bell Liquors :

[traduction] La question a été examinée en détail dans l’arrêt Rex v. Nat Bell Liquors Limited. Dans cet arrêt, lord Sumner, s’exprimant au nom du Conseil privé, a dit (à la p. 153) :

Dans l’arrêt Reg. v. Bolton, lord Denman a dit, dans un extrait bien connu : « Il faut tenir pour acquis que […] la législature a conféré aux juges d’instance inférieure la compétence en première instance, voire même la compétence finale (comme en l’espèce), relativement au fond et que la Cour n’a ni compétence en première instance ni compétence en appel quant au fond. Tout ce que nous pouvons donc faire […] est de nous assurer que l’affaire relevait de leur compétence et que la procédure qu’ils ont suivie était, à première vue, régulière et conforme à la loi […] Lorsque le juge est saisi d’une accusation qui, telle qu’elle apparaît dans la dénonciation, n’équivaut pas en droit à l’infraction pour laquelle la loi lui donne compétence, le fait qu’il déclare la partie coupable en s’appuyant sur le libellé même de la loi n’a pas pour effet de lui donner compétence; la déclaration de culpabilité résulterait d’une procédure manifestement erronée et le dossier nous serait déféré. Ou si, l’accusation étant réellement irrégulière, elle avait été énoncée de façon trompeuse dans les procédures, de sorte que celles-ci paraissaient régulières, il serait manifestement loisible au défendeur de nous démontrer par voie d’affidavits la véritable nature de l’accusation, et vu le caractère irrégulier de cette dernière, nous annulerions la déclaration de culpabilité […] Cependant, étant donné que, comme dans l’affaire susmentionnée, nous ne pouvons nous prononcer sur le défaut de compétence qu’en nous fondant sur les affidavits, nous n’avons d’autre choix que de les accepter. Il faut toutefois souligner que nous les acceptons en l’espèce non pas pour démontrer que le juge a tiré une conclusion erronée, mais bien pour démontrer qu’il n’aurait jamais dû entreprendre l’examen de l’affaire […]

À la page 154 :

Le droit établi dans l’arrêt Reg. v. Bolton n’a jamais été sérieusement contesté depuis en Angleterre.

À la page 160 :

Lorsqu’on prétend qu’il y a des motifs pour conclure qu’une décision a été rendue en l’absence de compétence, seuls de nouveaux éléments de preuve présentés ad hoc devant la cour supérieure peuvent le démontrer. Comment pourrait-on démontrer autrement, vu les limites du dossier, que les membres de la juridiction inférieure n’étaient pas qualifiés, ou étaient biaisés, ou avaient un intérêt en la matière[14]?

En l’espèce, la question qui se pose touche la compétence constitutionnelle du CCRT sous le régime du Code canadien du travail. Cependant, il ne s’agit pas d’une cause dans laquelle seuls de nouveaux éléments de preuve peuvent faire apparaître le défaut de compétence du Conseil. Il n’est pas loisible à la demanderesse de présenter de nouveaux éléments de preuve devant la cour de révision pour le simple motif qu’elle a choisi de ne pas en présenter suffisamment devant le tribunal ou ne s’est pas conformée à la procédure requise qui aurait donné l’occasion aux procureurs généraux d’en présenter.

[14]      Dans l’arrêt Eaton, le juge Sopinka a déclaré qu’il était essentiel pour la Cour suprême de disposer d’un dossier qui résulte d’un examen approfondi des questions constitutionnelles soulevées devant la cour ou le tribunal dont les jugements sont portés en appel. Il a dit :

L’objectif de l’art. 109 est évident. Dans notre démocratie constitutionnelle, ce sont les représentants élus du peuple qui adoptent les lois. Bien que les tribunaux aient reçu le pouvoir de déclarer invalides les lois qui contreviennent à la Charte et qui ne sont pas sauvegardées en vertu de l’article premier, c’est un pouvoir qui ne doit être exercé qu’après que le gouvernement a vraiment eu l’occasion d’en soutenir la validité. Annuler par défaut une disposition législative adoptée par le Parlement ou une législature causerait une injustice grave non seulement aux représentants élus qui l’ont adoptée mais également au peuple. En outre, devant notre Cour, qui a la responsabilité ultime de déterminer si une loi contestée est inconstitutionnelle, il est important que, pour rendre cette décision, nous disposions d’un dossier qui résulte d’un examen en profondeur des questions constitutionnelles soulevées devant les cours ou le tribunal dont les jugements sont portés en appel[15].

[15]      Je suis d’avis que le même principe est applicable en l’espèce. Le but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance. C’est cette dernière thèse qui est plaidée à tort par la demanderesse dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Ce n’est pas la nécessité à laquelle faisait référence lord Sumner dans l’arrêt Nat Bell Liquors, précité. La Cour n’examinera pas de nouveaux éléments de preuve dans les circonstances.

[16]      La requête présentée par le procureur général du Canada est accueillie avec dépens. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, il n’est pas permis à la demanderesse de contester la validité, l’applicabilité ou l’effet sur le plan constitutionnel du Code canadien du travail.



[1] L.R.C. (1985), ch. L-2, mod.

[2] Aujourd'hui le Conseil canadien des relations industrielles.

[3] L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19].

[4] [1991] 2 R.C.S. 5.

[5] [1980] 1 R.C.S. 115.

[6] [1997] 1 R.C.S. 241.

[7] Id., à la p. 267. Bien que le juge Sopinka renvoyait à l'art. 109 de la Loi sur les tribunaux judiciaires [L.R.O. 1990, ch. C.43], l'art. 57(1) de la Loi sur la Cour fédérale a essentiellement la même teneur.

[8] [1999] 2 C.F. 455 (C.A.), juge Strayer.

[9] [1997] B.C.J. no 2410 (C.S.) (QL), aux par. 36 et 38.

[10] [1995] A.C.F. no 530 (1re inst.) (QL), au par. 7.

[11] [1998] A.C.F. no 284 (1re inst.) (QL), aux par. 7 et 8.

[12] [1941] R.C.S. 542.

[13] [1922] 2 A.C. 128 (C.P.).

[14] À la p. 562.

[15] Supra, note 6, aux p. 264 et 265.

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