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[2000] 1 C.F. 3

A-317-95 (T-2479-90)

Janine Bailey (appelante) (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la Commission de la fonction publique (intimées) (défenderesses)

A-318-95 (T-1686-90)

Elisabeth Lavoie, Jeanne To Thanh Hien (appelantes) (demanderesses)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la Commission de la fonction publique (intimées) (défenderesses)

Répertorié : Lavoie c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Desjardins et Linden, J.C.A.—Ottawa, 13, 14 janvier et 19 mai 1999.

Fonction publique Procédure de sélection Concours Les appelantes étaient résidentes permanentesElles s’étaient vu refuser, sur le fondement de l’art. 16(4)c) de la LEFP, le droit de se présenter à un concours public au sein de la fonction publiqueLes candidats qualifiés qui n’ont pas la citoyenneté canadienne font face, lorsqu’ils postulent à des postes dotés par concours public, à la préférence accordée aux citoyensLa distinction que l’art. 16(4)c) de la Loi établit au titre de la citoyenneté n’est pas une discrimination au sens de l’art. 15(1) de la CharteLes citoyens canadiens et les résidents permanents ne se trouvent pas dans une « situation analogue » — La préférence accordée aux citoyens canadiens lors de concours publics n’est pas contraire au principe du mérite.

Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l’égalité Les appelantes faisaient valoir que la préférence accordée aux citoyens en matière d’emploi dans la fonction publique porte atteinte au principe d’égalité énoncé à l’art. 15 de la Charte, et que cette atteinte ne se justifie pas au regard de l’article premierLors de concours publics, la candidature des non-citoyens n’est présentée qu’après épuisement du répertoire de candidats canadiens qualifiésL’art. 16(4)c) de la LEFP ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux garantis aux appelantes par l’art. 15 de la CharteLe principe d’égalité ne s’applique pas en l’espèceLa préférence accordée aux citoyens n’entraîne aucune discrimination au regard de l’art. 15 de la CharteLe critère dégagé dans l’arrêt Oakes s’applique en l’occurrenceLa disposition en cause ne constitue ni un déguisement ni un abus de pouvoirL’importance des objectifs visés par la législation l’emporte sur le désavantage qu’elle entraîne.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Citoyens La préférence que l’art. 16(4)c) de la LEFP accorde aux citoyens canadiens en matière d’emploi est-elle contraire à l’art. 15(1) de la Charte?Selon l’art. 16(4)c), l’application de la préférence est discrétionnaire à l’étape de la présentation des canditatsLa préférence n’empêche pas les non-Canadiens de participer aux concours publics mais les citoyens qualifiés ont prioritéLa citoyenneté exige un attachement aux lois et aux institutions canadiennes, ainsi que l’engagement de s’acquitter des obligations incombant aux citoyensLa disposition législative contestée est le fruit d’un exercice raisonnable, par le législateur, des compétences qu’il a en matière de citoyennetéLe désavantage qu’entraîne la disposition en cause n’a pas de rapport avec la dignité humaine des résidents permanentsLes citoyens canadiens et les résidents permanents ne sont pas dans unesituation analogue.

Il s’agissait d’appels interjetés d’une décision de la Section de première instance rejetant les demandes en jugement déclaratoire et en dommages-intérêts présentées par les appelantes, pour des motifs d’ordre constitutionnel, en ce qui a trait à l’application de l’alinéa 16(4)c) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. À l’époque en cause, les trois appelantes résidaient au Canada mais n’en étaient pas des citoyennes. Ce sont des femmes instruites qui avaient toutes obtenu un emploi dans la fonction publique fédérale, mais à qui on avait refusé, sur le fondement de ladite disposition, la « présentation à un concours public » en vue de certaines fonctions auxquelles elles avaient postulé. Deux d’entre elles, citoyennes de l’Autriche et des Pays-Bas, avaient décidé de ne pas se faire naturaliser car cela les aurait obligées à renoncer à leur citoyenneté d’origine, et aurait réduit par là même leurs chances d’obtenir éventuellement un emploi au sein de la fonction publique de leur pays d’origine. Elles estimaient que la préférence accordée aux citoyens canadiens est contraire au principe d’égalité affirmé à l’article 15 de la Charte et que la disposition législative en cause ne saurait être validée par l’article premier. La préférence accordée aux citoyens peut s’appliquer à deux étapes d’un concours en vue d’un poste dans la fonction publique : l’étape de présentation des candidats (alinéa 16(4)c)) et l’étape de la liste d’admissibilité (alinéa 17(4)c)). À l’étape de la présentation, l’application de la préférence est discrétionnaire; à l’étape de la liste d’admissibilité, elle est obligatoire. Les intimées ont exercé le pouvoir discrétionnaire qu’elles tiennent de l’alinéa 16(4)c). La préférence accordée aux citoyens n’interdit pas aux non-Canadiens de prendre part à des concours publics mais les non-citoyens ne sont présentés en tant que candidats qu’après épuisement de la liste d’admissibilité de candidats canadiens qualifiés. Selon le juge de première instance, l’objet de la préférence instituée par la loi en faveur des citoyens est double : a) rehausser le sens, la valeur et l’importance de la citoyenneté canadienne et b) inciter les résidents permanents à se faire naturaliser. Procédant à une analyse fondée sur l’article premier de la Charte, il a statué que le double objectif de la disposition contestée en l’espèce répondait à une préoccupation suffisamment urgente et réelle pour justifier une restriction imposée aux droits à l’égalité que l’article 15 de la Charte garantit aux appelantes. Il a conclu que, si l’alinéa 16(4)c) de la Loi est contraire à l’article 15 de la Charte, cette disposition se justifie au regard de l’article premier, en tant que limite raisonnable. Il s’agissait de savoir si la préférence en matière d’emploi accordée aux citoyens canadiens par l’alinéa 16(4)c) de la Loi porte atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte dans la mesure où les résidents permanents ne bénéficient pas de cette préférence.

Arrêt (le juge Linden, J.C.A. dissident) : les appels sont rejetés.

Le juge Marceau, J.C.A. : Le juge de première instance a eu tort de conclure que la disposition contestée portait atteinte aux droits fondamentaux reconnus aux appelantes par l’article 15 de la Charte. L’immigrant qui arrive au Canada ne peut revendiquer le droit inhérent de participer, au même titre que les citoyens canadiens, à l’ensemble des avantages et attributions institués par la loi canadienne. L’idée de reconnaître aussi bien aux citoyens qu’aux non-citoyens des droits à l’égalité en ce qui concerne non pas la condition humaine qui leur est commune, mais leur statut respectif sur le sol canadien, évacuerait complètement le concept de citoyenneté. La définition du statut des étrangers au Canada relève entièrement du pouvoir politique et toute loi contestable en ce domaine doit donc être attaquée non pas devant les tribunaux mais devant les responsables politiques. Le principe d’égalité ne saurait s’appliquer en l’espèce. La distinction établie par l’alinéa 16(4)c) de la LEFP entre les citoyens et les autres ne constitue pas une discrimination au sens de la disposition de la Charte. L’accès exclusif ou préférentiel aux emplois de la fonction publique est, depuis longtemps, un des privilèges de la citoyenneté, non seulement ici mais dans presque tous les pays. La volonté de rehausser la valeur de la citoyenneté n’a nullement pour effet de rabaisser les immigrants reçus en fonction d’une caractéristique qui leur serait personnelle. On ne saurait dire que la préférence fondée sur la citoyenneté porte objectivement atteinte à la dignité humaine des appelantes ou, plus généralement, à celle des non-citoyens.

Le juge Desjardins, J.C.A. (souscrivant au résultat) : Un résident permanent est une personne qui s’est vu accorder le droit d’établissement, alors que le citoyen est une personne qui a la citoyenneté canadienne au sens de la Loi sur la citoyenneté. Le résident permanent qui décide de ne pas devenir citoyen du Canada ne prête aucun serment d’allégeance et n’assume aucune des obligations d’un citoyen canadien. La Charte énonce plusieurs droits constitutionnels importants réservés aux seuls citoyens. Les lois régissant les forces de l’ordre établissent, elles aussi, des préférences. Non seulement les citoyens se voient-ils accorder des privilèges spéciaux, mais, en raison des liens plus étroits qu’ils entretiennent avec l’État, ils jouissent aussi d’une protection plus grande que celle qui est accordée aux résidents permanents. La citoyenneté exige un attachement aux lois et aux institutions canadiennes, ainsi que l’engagement de s’acquitter des obligations incombant aux citoyens canadiens. Le juge de première instance a pu se fonder sur des preuves abondantes pour conclure qu’en adoptant l’alinéa 16(4)c), le législateur a voulu rehausser la valeur de la citoyenneté canadienne et inciter les non-Canadiens à se faire naturaliser. Cela dit, la disposition législative contestée désavantage sérieusement les membres d’une minorité discrète et isolée, et pèse sur leur recherche d’un emploi. Si la disposition est discriminatoire, il incombe à la Cour de se livrer à une analyse du problème au regard de l’article premier de la Charte. Si la disposition législative contestée concerne la citoyenneté, la Cour doit également faire une analyse au regard de l’article premier de la Charte.

À plusieurs reprises récemment, la Cour suprême du Canada a rappelé que la démarche retenue dans l’arrêt La Reine c. Oakes est celle qui s’impose lorsqu’il s’agit de dire si une disposition législative constitue, au regard de l’article premier, une limite raisonnable à un droit garanti par la Charte. Cette analyse dépend beaucoup des faits de chaque affaire. C’est à la partie qui défend la validité de la disposition contestée qu’il appartient de rapporter la preuve d’une « justification [qui peut] se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». La première étape de l’analyse fondée sur l’article premier consiste à se demander si la disposition contestée vise un objectif urgent et réel. La citoyenneté, statut commun aux nouveaux immigrants et aux résidents de longue date, trouve logiquement sa place parmi les symboles dans lesquels les Canadiens de toutes origines pourraient se reconnaître, et l’on comprend que le législateur ait cherché à rehausser la valeur et l’importance de la citoyenneté au sein de la société canadienne, afin de promouvoir la cohésion de la nation. La préférence accordée aux citoyens en matière d’emploi dans la fonction publique peut être considérée comme un moyen de parvenir à cela. Pour satisfaire au premier critère, il suffit de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la disposition contestée vise un objectif raisonnable. L’objectif visé par la disposition contestée se défend compte tenu de l’histoire du Canada, pays qui s’est développé, aussi bien socialement qu’économiquement, en accueillant des immigrants provenant d’autres horizons et d’autres cultures. La seconde étape du critère Oakes consiste à se demander si les moyens choisis sont raisonnables et si leur justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Les sociétés libres et démocratiques qui ont instauré une préférence fondée sur la citoyenneté l’ont fait pour des raisons à la fois diverses et complexes, liées à leurs particularités historiques et en rapport direct avec leurs traditions respectives. Il semble difficile de fonder sur cette comparaison une conclusion nette à cet égard, si ce n’est pour dire que les liens spéciaux noués entre les citoyens et l’État ont une très longue histoire. Quant au critère de la proportionnalité, il s’agit surtout de savoir si la disposition contestée a été soigneusement conçue afin de nuire le moins possible aux chances d’emploi des résidents permanents. La disposition contestée est la manifestation d’une politique gouvernementale de valorisation et d’incitation au moyen d’un statut combinant droits et obligations. En déclarant inopérant l’alinéa 16(4)c) de la Loi, la Cour s’introduirait dans un domaine où les droits et les obligations doivent être équilibrés. Dans un tel domaine, il y a lieu de reconnaître au législateur une « marge d’appréciation ». Un tribunal peut intervenir en cas de violation des droits reconnus par la Charte. Mais la préférence en matière d’emploi, à l’inverse d’une exclusion radicale des postes de la fonction publique, n’entre pas dans cette catégorie. Il en est particulièrement ainsi parce que le Canada admet la double nationalité, ce qui réduit les difficultés qu’entraîne pour les résidents permanents l’instauration d’une préférence en faveur des citoyens. L’importance des objectifs visés par la législation l’emporte sur le désavantage qu’elle entraîne. La disposition contestée en l’espèce est le fruit d’un exercice raisonnable, par le législateur, des compétences qu’il a en matière de citoyenneté. Il ne s’agit ni d’un déguisement ni d’un abus de pouvoir. Le désavantage qu’entraîne la disposition en cause n’a pas de rapport avec la dignité humaine des résidents permanents. La citoyenneté et la résidence permanente supposent, par leur nature même, des différences de caractéristiques. Le citoyen assume un certain nombre de devoirs, ce qui n’est pas le cas du résident permanent. Par conséquent, les citoyens canadiens et les résidents permanents ne sont pas dans une « situation analogue ». La préférence accordée aux citoyens canadiens lors de concours publics organisés en vue de postes dans la fonction publique n’est pas contraire au principe du mérite inscrit à l’article 10 de la Loi.

Le juge Linden, J.C.A. (dissident) : La citoyenneté est vue comme un but que tous les néo-Canadiens peuvent atteindre. C’est un instrument d’égalité et non pas d’exclusion. Les non-citoyens jouissent de presque tous les droits reconnus aux citoyens. En vertu de la Charte, la plupart des droits énoncés sont reconnus à toutes les personnes assujetties à la loi canadienne. Seuls certains droits précis—les droits démocratiques, la liberté de circulation et d’établissement et les droits se rattachant à la langue de la minorité« sont réservés aux citoyens. En matière d’égalité, l’approche retenue par le Canada a toujours favorisé une interprétation large et libérale de la législation antidiscrimination.

Les différences de point de vue, entre les juges de la Cour suprême du Canada, touchant l’approche du paragraphe 15(1) de la Charte, sont choses du passé depuis le récent arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), qui est le point de départ, en matière d’égalité, de toute analyse de mesures discriminatoires au regard de la Charte. Il y a trois questions auxquelles doit répondre la partie qui plaide une violation du paragraphe 15(1) de la Charte. D’abord, le plaignant doit démontrer que la disposition contestée ou la mesure prise par l’État établit une distinction entre lui-même et d’autres personnes. Ensuite, il doit démontrer que la distinction est fondée sur un des motifs énumérés ou sur un motif analogue. Troisièmement, il doit démontrer qu’une telle distinction est de nature discriminatoire. L’alinéa 16(4)c) de la LEFP n’accorde pas les mêmes avantages à tous les individus étant donné qu’il refuse aux non-citoyens le bénéfice égal de la loi par rapport aux citoyens. La question est maintenant réglée : la distinction établie en l’occurrence est fondée sur un motif analogue, à savoir la non-citoyenneté. La troisième question, celle de savoir si une telle distinction est discriminatoire au regard du paragraphe 15(1) de la Charte, est plus complexe. Lorsqu’une distinction est établie exclusivement sur le fondement d’un motif énuméré ou d’un motif analogue, cela suffit, en général, à établir l’existence d’une discrimination. La dignité humaine est maintenant solidement ancrée au cœur même de l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte. Tout tribunal appelé à se pencher sur ce paragraphe doit étudier avec attention le lien qui existe entre la loi ou la mesure étatique contestée et la dignité humaine du plaignant. Toute conclusion qu’une loi ou une mesure étatique a des effets néfastes sur la dignité du demandeur doit être tirée à partir du contexte congru. Dans l’arrêt Law, la Cour suprême a défini des facteurs contextuels importants susceptibles de dire si, dans l’optique d’une personne raisonnable se trouvant à la place du demandeur, la différence de traitement imposée par la législation a pour effet de porter atteinte à sa dignité humaine. Le juge de première instance a décidé à bon droit que la préférence accordée aux citoyens est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte. Cette distinction établie par la loi refuse aux non-citoyens la possibilité d’un emploi du seul fait qu’ils ne sont pas citoyens. Quatre raisons expliquent pourquoi ce texte de loi porte atteinte à la dignité humaine des non-citoyens se trouvant à la place des demanderesses. D’abord, un des principaux modes de discrimination, au Canada, à l’encontre des non-citoyens et des immigrants, est le refus de les employer, notamment dans la fonction publique. En adoptant l’alinéa 16(4)c) de la LEFP, le législateur exacerbe des désavantages historiques, actuels et préexistants, qu’ont dû subir les non-citoyens de notre société. Deuxièmement, le fait de refuser à certaines personnes la possibilité d’obtenir un emploi est beaucoup plus grave que le refus de leur accorder un avantage monétaire ou un droit procédural. Lorsqu’un gouvernement prend des mesures qui ferment l’emploi aux membres d’un groupe énuméré ou d’un groupe analogue, il y a toujours atteinte à la dignité humaine et à l’amour-propre des membres de ce groupe. Dans le contexte de la présente affaire, la disposition contestée a, sur les appelantes, une incidence grave et localisée. Troisièmement, la question de savoir dans quelle mesure le gouvernement peut« rehausser » la citoyenneté en portant atteinte aux droits de non-citoyens est problématique. On ne saurait rehausser la valeur du concept de citoyenneté en le définissant par rapport aux droits que l’on retire aux non-citoyens. Utiliser la citoyenneté comme outil d’exclusion, c’est porter atteinte à la dignité de ceux qui sont exclus et c’est contraire à ce à quoi les Canadiens sont particulièrement attachés. Quatrièmement, la disposition en cause est une disposition de portée générale qui ne mentionne ni les besoins ni les capacités du groupe visé (les non-citoyens). Cette disposition refuse la possibilité de postuler un emploi aux personnes se trouvant déjà dans une situation désavantagée lorsqu’elles recherchent un emploi. D’ailleurs, la disposition en cause ne tient aucunement compte des besoins ou de la situation des non-citoyens. C’est de la discrimination que de permettre à des gens de s’installer en permanence dans notre pays tout en leur fermant, du seul fait de leur citoyenneté, des emplois pour lesquels ils sont qualifiés. La disposition en cause porte atteinte à sa dignité humaine des non-citoyens puisqu’elle leur refuse la possibilité de concourir dans un marché du travail libre et équitable.

Pour savoir si l’alinéa 16(4)c) de la Loi se justifie au regard de l’article premier de la Charte, il faut établir que l’objectif auquel la restriction est censée contribuer est « suffisamment important pour justifier que l’on passe outre à une liberté ou à un droit protégé par la Constitution ». Au minimum, l’objectif doit correspondre à des préoccupations « urgentes et réelles dans une société libre et démocratique » pour être considéré comme suffisamment important. Seules les atteintes qui sont raisonnables et dont la justification puisse être démontrée seront admises. Le juge de première instance n’a pas tenu compte de certaines preuves produites devant lui et il a par conséquent commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’il a omis de conclure que la disposition législative en cause avait été adoptée, non seulement pour rehausser la valeur de la citoyenneté et encourager la naturalisation, mais également en raison d’inquiétudes que suscite, pour des raisons d’engagement et de loyauté, l’idée d’engager des non-citoyens dans la fonction publique du Canada. De nombreux éléments de preuve établissent que la préférence accordée aux citoyens visait un autre objectif, à savoir des préoccupations se rattachant à la loyauté et à l’engagement des non-citoyens. La volonté de rehausser la citoyenneté canadienne et d’inciter les résidents permanents à se faire naturaliser est suffisamment importante pour justifier une atteinte à l’égalité entre les citoyens et les non-citoyens. Il y aura un lien rationnel avec l’objet visé par le texte législatif si ce texte est conçu en vue d’atteindre cet objectif, s’il n’est pas arbitraire, et se fonde sur des hypothèses qui doivent logiquement favoriser la réalisation de l’objectif visé. Il était logique en l’espèce d’inférer que le traitement préférentiel accordé aux citoyens en matière d’emploi dans la fonction publique contribuera à des objectifs importants en rehaussant la valeur de la citoyenneté et en incitant les gens à se faire naturaliser, et qu’il existe un lien rationnel entre les objectifs visés par ce texte de loi et ceux du législateur. Le gouvernement n’a cependant pas démontré que le législateur, en réponse à un problème ou à la poursuite d’un objectif urgent et réel, a adopté un texte soigneusement conçu afin de porter le moins possible atteinte à un droit garanti par la Charte, ou qu’il a envisagé des solutions autres que l’abrogation de la préférence fondée sur la citoyenneté. C’est à tort que le juge de première instance a estimé que l’atteinte au droit à l’égalité n’était pas grave. Les effets de la disposition en cause sont disproportionnés par rapport à son objet car cette disposition a notamment pour effet de miner le principe du mérite, qui est le fondement même de la loi. Si le législateur a pour objet d’encourager en matière d’emploi le mérite et la non-discrimination, il semble disproportionné d’exclure de la plupart des concours publics les non-citoyens, alors que ce pourrait être les candidats les plus qualifiés. La préférence fondée sur la citoyenneté porte atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte et ne se justifie pas au regard de l’article premier.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Act of Settlement (The), 1700 (R.-U.), 12 & 13 Will. III, ch. 2, art. 3.

Acte canadien de 1881 sur la naturalisation, S.C. 1881, ch. 13, art. 10.

Aliens’ Employment Act, 1955 (R.-U.), 4 Eliz. 2, ch. 18, art. 1.

Aliens Restriction (Amendment) Act, 1919 (R.-U.), 9 & 10 Geo. 5, ch. 92, art. 6.

British Nationality Act 1981, (R.-U.), 1981, ch. 61.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 3, 6(1), 15, 23, 24.

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 9.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 7(3.1) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 4), 46, 279.1 (édicté, idem, art. 40; L.C. 1995, ch. 39, art. 148), 290(1)b).

Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AG NU, 10 décembre 1948, art. 21.

Juries Act, R.S.N.S. 1989, ch. 242, art. 4(a).

Jury Act, R.S.B.C. 1996, ch. 242, art. 3(1)(a).

Jury Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. J-5, art. 4.

Jury Act, R.S.Y. 1986, ch. 97, art. 4(b).

Jury Act, S.A. 1982, ch. J-2.1, art. 3(b).

Jury Act, S.S. 1980-81, ch. J-4.1, art. 3.

Jury Act, 1991, S.N. 1991, ch. 16, art. 4.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 23(2), 31(2), 91(25).

Loi de 1908 modifiant la Loi du service civil, S.C. 1908, ch. 15, art. 14.

Loi du service civil, S.R.C. 1927, ch. 22, art. 33(1) (mod. par S.C. 1932, ch. 40, at. 6).

Loi du Service civil, S.C. 1918, ch. 12, ss. 38, 41(1).

Loi électorale du Canada, L.R.C. (1985), ch. E-2, art. 50.

Loi modifiant la Loi de naturalisation, S.C. 1931, ch. 39, art. 4.

Loi sur la Banque du Canada, L.R.C. (1985), ch. B-2, art. 10(4).

Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 6, 24, ann.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 9.1(2) (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 4).

Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 36, 38.

Loi sur la Société canadienne d’hypothèques et de logement, L.R.C. (1985), ch. C-7, art. 8.

Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-3, art. 6.

Loi sur l’Association canadienne des paiements, L.R.C. (1985), ch. C-21, art. 14.

Loi sur le Centre de recherches pour le développement international, L.R.C. (1985), ch. I-19, art. 3, 10, 11.

Loi sur le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 54, art. 13(1).

Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-22, art. 5(1).

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, S.C. 1966-67, ch. 71.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 10 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 10), 12(1) (mod., idem, art. 11), (3) (mod., idem), (4) (mod., idem), 16(1),(4)a),b) (mod., idem, art 13), c), 17(4)c).

Loi sur le jury, L.R.T.N.-O. 1988, ch. J-2, art. 4b).

Loi sur le service civil, S.C. 1960-61, ch. 57, art. 38(3), 40(1).

Loi sur le transfèrement des délinquants, L.R.C. (1985), ch. T-15, art. 3.

Loi sur les jurés, L.R.M. 1987, ch. J30, art. 3.

Loi sur les jurés, L.R.N.-B. 1973, ch. J-3.1, art. 2.

Loi sur les jurés, L.R.Q., ch. J-2, art. 3a).

Loi sur les jurys, L.R.O. 1990, ch. J. 3, art. 2b).

Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. (1985), ch. Y1.

Loi sur les musées, L.C. 1990, ch. 3, art. 18.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 2 « fonction publique », 13(1), ann. I.

Loi sur les secrets officiels, L.R.C. (1985), ch. O-5, art. 13.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), c. I-2, s. 2.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, art. 25.

Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act of 1996, Pub. L. No. 104-193, 110 Stat. 2105 (1996).

Projet de loi C-63, Loi concernant la citoyenneté canadienne, 1re sess., 36e lég., 1998 (Première lecture le 7 décembre 1998).

Public Service Act, S.B.C. 1985, ch. 15, art. 12.

Public Service Legislation (Streamlining) Act 1986, No. 153, 1986 (Aust.), art. 25.

Public Service Reform Act 1984, No. 63, 1984 (Aust.), art. 26.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8.

Règlements de 1940 sur les services nationaux de guerre (Recrues), art. 4(1)i).

Traité instituant la Communauté économique européenne, 25 mars 1957, 294 R.T.N.U. 11, art. 48.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; (1999), 170 D.L.R. (4th) 1; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; (1995), 127 D.L.R. (4th) 1; 100 C.C.C. (3d) 449; 62 C.P.R. (3d) 417; 31 C.R.R. (2d) 189; 187 N.R. 1; Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493; (1998), 212 A.R. 237; 156 D.L.R. (4th) 385; 224 N.R. 1; Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569; (1997), 151 D.L.R. (4th) 385; 218 N.R. 241.

Hampton v. Mow Sun Wong, 426 U.S. 88 (1976); Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; (1995), 124 D.L.R. (4th) 693; 29 C.R.R. (2d) 189; [1995] I.L.R. 1-3185; 10 M.V.R. (3d) 151; 181 N.R. 253; 81 O.A.C. 253; 13 R.F.L. (4th) 1; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; (1995), 124 D.L.R. (4th) 609; 95 CLLC 210-025; 29 C.R.R. (2d) 79; 182 N.R. 161; 12 R.F.L. (4th) 201; Winner v. S.M.T., [1951] R.C.S. 887; [1951] 4 D.L.R. 529; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 299 (1990), 67 D.L.R. (4th) 697; 42 Admin. L.R. 189; 10 Imm. L.R. (2d) 137; 107 N.R. 107 (C.A.); Pearkes c. Canada (1993), 72 F.T.R. 90 (C.F. 1re inst.); Austin v. British Columbia (Ministry of Municipal Affairs, Recreation & Culture) (1996), 66 D.L.R. (4th) 33, 42 B.C.L.R. (2d) 288; 47 C.R.R. 264 (C.S.); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; Larbi-Odam and Others v. Member of the Executive Council for Education, CCT 2-97 (South Africa Const’l Court); Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877; (1998), 38 O.R. (3d) 735; 159 D.L.R. (4th) 385; 226 N.R. 1; 109 O.A.C. 201; Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211; (1991), 3 O.R. (3d) 511; 81 D.L.R. (4th) 545; 91 CLLC 14,029; 4 C.R.R. (2d) 193; 126 N.R. 161; 48 O.A.C. 241.

décisions citées :

Lem Moon Sing v. United States, 158 U.S. 538 (1895); Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; (1997), 31 O.R. (3d) 574; 142 D.L.R. (4th) 385; 207 N.R. 171; Benner c. Canada (Secrétariat d’État), [1997] 1 R.C.S. 358; (1997), 143 D.L.R. (4th) 577; 42 C.R.R. (2d) 1; 37 Imm. L.R. (2d) 195; 208 N.R. 81; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; (1997), 151 D.L.R. (4th) 577; 96 B.C.A.C. 81; 218 N.R. 161; Mathews v. Diaz, 426 U.S. 67 (1976); Mow Sun Wong v. Hampton, 435 F.Supp. 37 (Dist. Ct. Cal. 1977); Sugarman v. Dougall, 413 U.S. 634 (1973); Re Public Employees : E.C. Commission v. Belgium (Case 149/79), [1981] 2 C.M.L.R. 413 (E.C.J.); Re Public Employees (No. 2) : E.C. Commission v. Belgium (Case 149/79), [1982] 3 C.M.L.R. 539 (E.C.J.); Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto v. S.(T.) (1989), 69 O.R. (2d) 189 (C.A.); Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; Glynos c. Canada, [1992] 3 C.F. 691 (1992), 96 D.L.R. (4th) 95; 148 N.R. 66 (C.A.); Benmansour c. Québec (Directeur de l’État civil), [1994] A.Q. no 1259 (C.S.) (QL); Steward c. Law Society of New Brunswick (1990), 108 R.N.-B. (2e) 178 (B.R.); Bande indienne de Batchewana (membres non-résident) c. Bande indienne de Batchewana, [1997] 1 C.F. 689 (1996), 142 D.L.R. (4th) 122; [1997] 3 C.N.L.R. 21; 206 N.R. 85 (C.A.); R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 39 C.R.R. 306; 96 N.R. 115; 34 O.A.C. 115; Schachtschneider c. Canada, [1994] 1 C.F. 40 (1993), 105 D.L.R. (4th) 162; [1993] 2 C.T.C. 178; 93 DTC 5298; 154 N.R. 321 (C.A.); R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; 87 CLLC 14,001; 55 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 1; 71 N.R. 161; 19 O.A.C. 239; R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731; (1992), 95 D.L.R. (4th) 202; 75 C.C.C. (3d) 449; 16 C.R. (4th) 1; 140 N.R. 1; 56 O.A.C. 161; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452; (1992), 89 D.L.R. (4th) 449; [1992] 2 W.W.R. 577; 70 C.C.C. (3d) 129; 11 C.R. (4th) 137; 8 C.R.R. (2d) 1; 78 Man. R. (2d) 1; 134 N.R. 81; 16 W.A.C. 1; Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] 1 C.F. 250 (1993), 105 D.L.R. (4th) 21; 21 Imm. L.R. (2d) 164; 155 N.R. 321 (C.A.); Graham v. Richardson, 403 U.S. 365 (1971); Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; (1994), 120 D.L.R. (4th) 12; 94 C.C.C. (3d) 289; 34 C.R. (4th) 269; 25 C.R.R. (2d) 1; 175 N.R. 1; 76 O.A.C. 81; Kask v. Shimizu, Doe, Bloggs and Charles Camsell Hospital (1986), 69 A.R. 343; 28 D.L.R. (4th) 64; 44 Alta. L.R. (2d) 293; [1986] 4 W.W.R. 154; 34 C.R.R. 362 (B.R.).

DOCTRINE

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APPELS d’une décision de la Section de première instance ([1995] 2 C.F. 623 (1995), 125 D.L.R. (4th) 80; 95 F.T.R. 1) rejetant les actions en jugement déclaratoire et en dommages-intérêts au motif que si l’alinéa 16(4)c) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique est attentatoire à l’article 15 de la Charte, il constitue une limite raisonnable et se justifie au regard de l’article premier de la Charte. Appels rejetés.

ONT COMPARU :

Andrew J. Raven et David Yazbeck pour les appelantes.

Edward Sojonky, c.r., et Yvonne Milosevic pour les intimées.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour les appelantes.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimées.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Marceau, J.C.A. : De toutes les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], aucune n’a suscité, dans la jurisprudence ou dans la doctrine, d’analyses plus détaillées et de commentaires plus réfléchis, que l’article 15. Et malgré cela, le sens exact, le véritable objet et le champ précis du principe d’égalité qu’énonce cette disposition demeurent controversés. Alors que le présent arrêt était en délibéré, la Cour suprême a, le 25 mars, rendu publique sa décision dans l’affaire Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[1]. Les parties ont, par conséquent, obtenu la possibilité de déposer des observations écrites touchant la pertinence que ce jugement pourrait avoir à l’égard de la question nous concernant en l’espèce. Voilà ce qui explique le long délai entre l’audition du présent appel et la date du jugement.

[2]        L’affaire a son origine dans des plaintes analogues déposées par les trois demanderesses dans le cadre de deux actions distinctes. À l’époque pertinente, les trois demanderesses, qui quelques années plus tôt avaient été admises au Canada comme immigrantes reçues, résidaient au Canada mais n’en étaient pas des citoyennes. Ce sont des femmes instruites qui avaient toutes obtenu un emploi dans la fonction publique fédérale, mais elles ont démontré qu’on leur avait refusé, sur le fondement de l’alinéa 16(4)c) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-33] (LEFP), la « présentation à un concours public » en vue de certaines fonctions auxquelles elles avaient postulé. Voici ce que prévoit le texte en question :

16. […]

(4) Dans le cadre d’un concours public et en vue de l’établissement, conformément à la présente loi, d’une liste d’admissibilité, la Commission apprécie s’il y a suffisamment de postulants qualifiés qui sont :

[…]

Elle peut, lorsqu’elle estime leur nombre suffisant, limiter la sélection prévue au paragraphe (1) soit aux postulants mentionnés à l’alinéa a), soit ceux mentionnés aux alinéas a) et b), soit à ceux mentionnés aux alinéas a), b) et c).

[3]        Les demanderesses sont toutes trois citoyennes de pays européens, et au moins deux d’entre elles, respectivement citoyennes de l’Autriche et des Pays-Bas—où la double nationalité n’est pas reconnue—ont admis dans leur témoignage que, si elles n’avaient pas voulu se faire naturaliser au Canada, c’est en partie à cause des avantages que leur procure leur citoyenneté d’origine, un de ces avantages étant la préférence qui leur serait accordée en matière d’emploi dans les pays de l’Union européenne ainsi que dans la fonction publique de leurs pays d’origine. Elles estimaient cependant que la préférence accordée aux citoyens canadiens est contraire au principe d’égalité affirmé à l’article 15 de la Charte, et que la disposition législative en cause ne saurait être validée au regard de l’article premier. Elles sollicitaient un jugement déclaratoire en ce sens et demandaient, en vertu de l’article 24 de la Charte, réparation sous forme de dommages-intérêts.

[4]        Il a fallu plusieurs jours d’audience, d’abord pour établir les faits de l’affaire, notamment les circonstances entourant les plaintes individuelles. Il a fallu aussi retracer la genèse et montrer le fonctionnement de la préférence que la législation fédérale accorde aux citoyens canadiens. Il a fallu ensuite recueillir l’avis de deux témoins experts en matière de citoyenneté sur le rôle que cette notion joue à l’époque contemporaine. Après avoir examiné ces divers éléments, ainsi que le raisonnement exposé par la Cour suprême dans l’affaire Andrews c. Law Society of British Columbia[2], le juge de première instance (dans le cadre de motifs abondants mais clairs) [[1995] 2 C.F. 623 (1re inst.)] n’a, semble-t-il, pas hésité à conclure qu’en instaurant une préférence fondée sur la citoyenneté, le paragraphe 16(4) de la LEFP violait le paragraphe 15(1) de la Charte. C’est ainsi qu’aux pages 647 et 648 de ses motifs, il estime :

Dans l’arrêt Andrews, précité, à la page 183, le juge McIntyre a affirmé très clairement que les non-citoyens, qui sont des résidents permanents légitimes du Canada, sont un bon exemple de « minorité discrète et isolée » que protège le paragraphe 15(1). En outre, il est pratiquement certain, vu les faits en l’espèce, que les trois demanderesses, d’une manière ou d’une autre, se sont vu imposer des désavantages ou des fardeaux par la préférence fondée sur la citoyenneté. Il n’est pas nécessaire que l’alinéa 16(4)c) pose une interdiction absolue pour qu’il aboutisse à un désavantage ou à un fardeau pour les résidents permanents. Il cause néanmoins un désavantage pendant au moins quatre ans, environ (soit le délai d’attente de trois ans, plus un délai administratif d’un an) avant l’obtention de la citoyenneté. L’application de l’alinéa 16(4)c) a pratiquement pour effet d’empêcher un résident permanent d’être présenté à un concours public, tant à l’intérieur ou à l’extérieur de la fonction publique. Manifestement, la différence de traitement est intimement liée à la caractéristique personnelle de la personne ou du groupe de personnes, soit la citoyenneté. Ce n’est que parce que les demanderesses ne sont pas citoyennes que des désavantages ou des fardeaux leur ont été imposés. De l’avis de la Cour, la distinction est donc indéniablement fondée sur cette caractéristique personnelle visée par le paragraphe 15(1) de la Charte. Par conséquent, la Cour est d’avis que l’alinéa 16(4)c) de la LEFP viole le droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte.

[5]        Pour le juge de première instance, le véritable problème était de dire si cette violation de l’article 15 pouvait se justifier au regard de l’article premier selon le critère dégagé dans l’affaire Oakes[3]. Reconnaissant que ce critère exige que l’on identifie l’objet de la disposition législative en cause, il estima que la préférence accordée aux citoyens avait un double but : a) renforcer la valeur de la citoyenneté et b) inciter les résidents permanents à se faire naturaliser. Il se fondait surtout en cela sur la genèse de la disposition—qui, même si elle était de promulgation relativement récente[4] , ne faisait que reprendre les conditions de résidence imposées depuis 1908[5]« ainsi que sur des discours prononcés à plusieurs occasions à la Chambre des communes par des membres du gouvernement. Après avoir cerné l’intention du législateur, le juge de première instance a estimé que la restriction qu’apporte la disposition en cause visait un objectif urgent et réel, que la disposition pouvait raisonnablement contribuer à cet objectif, et qu’en l’occurrence, la restriction était si minime que cela assurait la proportionnalité des effets salutaires et des effets néfastes de la mesure en question. Les conditions du critère énoncé dans l’arrêt Oakes ayant été observées, les demanderesses ne pouvaient prétendre qu’il avait été porté atteinte à leurs droits constitutionnels et elles ne pouvaient par conséquent obtenir gain de cause.

[6]        Les appelantes contestent en l’espèce la conclusion du juge de première instance quant à l’intention du législateur. Elles font valoir que le véritable objet de la loi visait à répondre à un souci de sécurité et de loyauté que faisait naître l’idée d’employer, dans la fonction publique nationale, des non-citoyens. Elles font par ailleurs valoir que même si l’objet de la loi avait été correctement décelé par le juge de première instance, il ne s’agissait pas d’un objet urgent et réel, que rien n’indiquait qu’un tel objet serait servi par une préférence fondée sur la citoyenneté et qu’en tout état de cause, la gravité de l’atteinte imposée aux personnes qui faisaient les frais de cette préférence dépassait de loin les avantages qui pouvaient en être espérés.

[7]        Les intimées défendent avec vigueur la conclusion du juge de première instance sur l’objet des dispositions en cause et soutiennent manifestement sa démarche quant à l’application du critère Oakes. Leur principal argument est, cependant, qu’il n’a pas été porté atteinte à l’article 15 si les principes dégagés par la Cour suprême dans les arrêts postérieurs à l’affaire Andrews sont respectés.

[8]        Intellectuellement, je me sens toujours mal à l’aise devant une affaire faisant appel à l’article 15 de la Charte et j’admets éprouver toujours de la difficulté à maîtriser les préceptes de la Cour suprême. La décision rendue dans l’affaire Law entame sans doute un nouveau chapitre dans l’évolution des droits à l’égalité, mais pour l’instant, sa signification profonde ne m’apparaît pas entièrement et la confusion que j’éprouvais avant subsiste toujours. Cela étant, les conclusions auxquelles je suis enfin parvenu dans le présent appel demeurent dans une certaine mesure inéprouvées. Il est néanmoins clair que je ne puis éviter de fonder sur elles mon jugement.

[9]        Comme les intimées, j’estime que le juge de première instance a eu tort de conclure que la disposition contestée portait atteinte aux droits fondamentaux reconnus aux appelantes par l’article 15 de la Charte. Mais la critique que j’ai à formuler est plus élémentaire encore que cela. Non seulement je pense, comme les intimées, que la distinction établie par le texte de loi n’entraîne pas le type de discrimination prohibé par l’article 15, mais j’estime qu’on ne saurait évoquer la possibilité même d’une atteinte au principe d’égalité en comparant les privilèges de la citoyenneté avec les droits reconnus aux immigrants. J’aborderai d’abord cette proposition avant d’expliquer, comme conclusion subsidiaire, mon adhésion à la thèse des intimées.

1. Je ne conçois pas que la préférence fondée sur la citoyenneté puisse porter atteinte au principe d’égalité.

[10]      On comprend, à prendre le critère dans son sens intégral, qu’ait été écarté par le juge McIntyre, dans l’affaire Andrews, le concept de situation analogue lorsqu’il s’agit de confirmer l’existence d’une inégalité entre des individus ou des groupes. Je dirais même qu’à la limite, si l’on considère que le mot « analogue » a le même sens que le mot « identique », on peut conclure que la distinction contestée repose, justement, sur les dissimilitudes entre groupes, ce qui, d’emblée, retire au critère toute signification. Il me semble cependant qu’écarter ce concept, ce n’est pas contester que les deux groupes faisant l’objet de la comparaison doivent nécessairement, en raison d’un dénominateur commun suffisamment important, être considérés d’emblée comme formant une seule entité. Pour pouvoir confirmer l’existence d’inégalités de traitement discriminatoires entre individus ou entre groupes, il faut au départ postuler l’existence indiscutable d’une similitude suffisante de traits caractéristiques pertinents et de situations entre les individus ou membres des deux groupes en question. Autrement, la comparaison est viciée au départ et la démonstration ne peut même pas être tentée. Un plaignant doit pouvoir affirmer que les membres de son groupe et les membres du groupe bénéficiant d’un traitement plus favorable méritent d’être tous traités de la même manière car ils se trouvent tous dans la même situation pour ce qui est de l’existence et de l’exercice du droit en cause ou du droit à un avantage instauré. Une telle situation portera à conclure que la raison invoquée à l’appui du traitement inégal ainsi prévu serait, du moins à première vue, purement artificielle. Avant que l’on puisse conclure qu’une inégalité de traitement introduite a posteriori est discriminatoire, il faut pouvoir ranger les deux groupes, en quelque sorte, sous un « même chapiteau »[6].

[11]      En ce qui concerne les conditions dans lesquelles les immigrants sont autorisés à entrer au Canada et à y demeurer, j’estime qu’on ne peut pas, justement, trouver ce « chapiteau commun » sous lequel trouveraient place aussi bien les citoyens que les immigrants, mais sans lequel on ne saurait plaider pourtant le principe d’égalité et démontrer l’existence d’une discrimination. Le statut des immigrants qui a été défini par le législateur au paragraphe 91(25) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 [maintenant Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], relève d’une prérogative politique qui découle de la souveraineté du pays. L’immigrant qui arrive au Canada ne peut revendiquer, au titre de ses qualités personnelles, le droit inhérent de participer, au même titre que les citoyens canadiens, à l’ensemble des avantages et attributions institués par la loi canadienne. Pour comparer un immigrant à un citoyen, le principe d’égalité ne peut rationnellement être invoqué au-delà de ce qui concerne la condition humaine qui est la caractéristique commune de l’un et de l’autre. Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit en l’occurrence de la Charte canadienne (et non pas d’une charte mondiale), texte qui, dans le cadre de la Constitution canadienne, reconnaît que le concept de citoyenneté est un des fondements mêmes de la communauté politique du pays[7]. L’idée de reconnaître aussi bien aux citoyens qu’aux non-citoyens des droits à l’égalité en ce qui concerne, je le répète, non pas la condition humaine qui leur est commune, mais leur statut respectif sur le sol canadien, me semble évacuer entièrement le concept de citoyenneté.

[12]      En parvenant à une telle conclusion, ne vais-je pas à l’encontre de la décision rendue dans l’affaire Andrews? Je ne le pense pas. L’affaire Andrews ne portait pas sur les conditions dans lesquelles les immigrants sont admis au Canada et autorisés à y vivre par l’autorité compétente, à savoir le Parlement du Canada. Elle portait plutôt sur des dispositions d’une loi provinciale. Les lois provinciales s’appliquent à toutes les personnes résidant dans le ressort de la province concernée et la législation provinciale concerne à la fois les citoyens et les immigrants reçus. Le statut d’immigrant reçu, tel que défini par le législateur, ne comporte aucune restriction du droit de gagner sa vie ou d’exercer une profession dans n’importe quel ressort territorial du Canada. Lorsqu’une législature provinciale interdit aux immigrants reçus d’exercer leur profession, elle impose à un groupe relevant de sa juridiction une restriction qui n’existe pas d’ordinaire, et elle empêche les membres de ce groupe d’exercer un droit qu’ils pourraient autrement exercer. Dans un tel cas, l’article 15 est directement en jeu. C’est à juste titre que, dans l’arrêt Andrews, les juges parlent des immigrants reçus comme d’une « minorité discrète et isolée », « un groupe dépourvu de pouvoir politique et [dont les membres] sont, à ce titre, susceptibles de voir leurs intérêts négligés et leur droit d’être considéré et respecté également violé ». Le principe de l’égalité entre les divers groupes de résidents d’une province devant les lois de cette province doit recevoir sa pleine application. Mais là encore, dans cette autre affaire, il ne s’agissait pas de dispositions législatives affectant le statut de l’ensemble des immigrants vivant sur le sol canadien.

[13]      Je note la situation aux États-Unis, où les lois des États concernant les étrangers sont susceptibles d’examen judiciaire en vertu des clauses de la Constitution américaine garantissant à tous une égale protection de la loi. Ce contrôle judiciaire ne s’applique toutefois pas aux lois votées par le Congrès des États-Unis. Le juge Rehnquist (actuellement juge en chef) s’est prononcé formellement en ce sens dans l’affaire Hampton v. Mow Sun Wong[8] où, au début de ses motifs, il dit :

[traduction] Il convient d’emblée de reconnaître que le pouvoir des tribunaux fédéraux est fortement limité dans les domaines de l’immigration et du contrôle des étrangers. Ainsi que nous l’avons récemment rappelé dans l’affaire Kleindienst v. Mandel, 408 U. S. 753, 766 (1972) :

« Le pouvoir qu’a le Congrès d’interdire entièrement aux étrangers l’entrée aux États-Unis, ou de fixer les conditions auxquelles est subordonnée leur arrivée dans ce pays, ainsi que le pouvoir de voir sa politique officielle appliquée exclusivement par des agents du pouvoir exécutif, sans intervention des tribunaux, ont déjà été reconnus par la Cour dans le cadre d’arrêts antérieurs ». Citant Lem Moon Sing v. United States, 158 U. S. 538, 547 (1895).

Il est également évident que le pouvoir exclusif qu’a le Congrès de fixer les conditions d’entrée comprend le pouvoir d’imposer aux étrangers diverses formes de contrôle une fois qu’ils sont arrivés ici. Voir, par exemple, Hines v. Davidowitz. 312 U. S. 52, aux pp. 69-70 (1941). En estimant que le règlement en cause aurait vraisemblablement été considéré comme valide si « il avait été expressément prescrit par le Congrès, » ante, à la p. 103, la Cour reconnaît le pouvoir qu’a le Congrès d’exclure entièrement les étrangers des emplois de la fonction publique si bon lui semble ou de limiter leur participation à de tels emplois[9].

[14]      Il me semble un peu artificiel de vouloir écarter tout renvoi utile à la jurisprudence américaine pertinente du simple fait que, comme le fait remarquer le juge de première instance[10] :

Il est clair que l’application du droit constitutionnel américain en matière d’égalité est problématique dans le contexte canadien. Le fédéralisme n’a pas les mêmes conséquences sur l’exercice des droits garantis par la Charte au Canada qu’aux États-Unis. Au Canada, des normes constitutionnelles semblables s’appliquent, tant aux lois fédérales qu’aux lois provinciales, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, alors qu’aux États-Unis, pour ce qui est de l’extranéité, la Cour suprême a appliqué des normes d’examen différentes aux lois fédérales et aux lois des États.

Je crois pouvoir dire que l’explication donnée sur ce point par le juge de première instance ne me paraît guère convaincante[11].

[15]      Mon raisonnement veut-il dire qu’aucune restriction imposée par le législateur au statut des immigrants reçus ne peut être contestée au regard de l’article 15? D’après moi, une telle restriction pourrait très bien porter atteinte à des droits fondamentaux et être attaquée en vertu d’autres dispositions de la Charte, mais pas uniquement en raison de l’inégalité qu’elle instaure par rapport aux citoyens. La définition du statut des étrangers au Canada relève entièrement du pouvoir politique et toute loi contestable en ce domaine doit donc être attaquée non pas devant les tribunaux mais devant les responsables politiques. Encore une fois, il s’agit là du statut des immigrants reçus pris dans leur ensemble, c’est-à-dire des conditions élémentaires imposées sans distinction à l’ensemble des immigrants. Toute loi qui, par son objet ou son effet, opérerait une distinction entre immigrants, relèverait incontestablement de l’article 15, ce qui ne serait pas vrai toutefois d’une loi d’application générale.

[16]      Dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[12], le juge Sopinka a écarté sans tarder tout argument invoqué, sur le fondement de l’article 15, à l’encontre d’une disposition qui prévoyait, en plus des peines ordinaires, l’expulsion de tout non-citoyen jugé coupable d’un acte criminel passible d’une peine minimum de cinq ans d’emprisonnement. Évoquant les dispositions de la Constitution, il a tranché en déclarant sans ambages [à la page 736] : « Ne constitue donc pas une discrimination interdite par l’art. 15 un régime d’expulsion qui s’applique aux résidents permanents, mais non aux citoyens ».

[17]      J’estime donc que le principe d’égalité ne saurait s’appliquer en l’espèce et que, s’agissant de la préférence fondée sur la citoyenneté, on ne saurait parler de discrimination.

2. Si j’ai tort sur ce point, et que le principe d’égalité s’applique effectivement, j’estime alors que la préférence fondée sur la citoyenneté n’entraîne aucune discrimination au sens de l’article 15 de la Charte.

[18]      La seule manière de vérifier une telle affirmation est d’appliquer, comme les intimées le proposent, les préceptes posés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Andrews[13] et développés dans beaucoup d’autres arrêts qui, comme les arrêts Miron[14], Egan[15], Eaton[16], Benner[17], Eldridge[18] et, enfin, Law[19], ont suscité d’abondants commentaires, ce dernier arrêt étant considéré comme une synthèse des principes applicables, sur lesquels se sont entendus tous les juges de la Cour. Mais avant de nous pencher sur ces préceptes, il convient d’en savoir davantage sur les effets concrets du texte en question, et plus particulièrement sur son objet.

[19]      Le paragraphe 16(4) de la LEFP instaure un régime de préférences applicable à la dotation de postes par concours public. La préférence va d’abord aux pensionnés de guerre (anciens combattants faisant état d’une incapacité), puis aux anciens combattants valides et aux veuves d’anciens combattants et, enfin, aux citoyens canadiens. La préférence fondée sur la citoyenneté, comme celle reconnue aux anciens combattants, s’applique à deux étapes du concours public : l’étape de présentation des candidats (alinéa 16(4)c)) et l’étape de la liste d’admissibilité (alinéa 17(4)c)). À l’étape de la présentation, l’application de la préférence est discrétionnaire; à l’étape de la liste d’admissibilité, elle est obligatoire. En ce qui concerne les appelantes, la Commission de la fonction publique intimée (CFP) a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 16(4)c) de la LEFP conformément aux directives en vigueur au cours de la période en cause (1988-1990). Selon ces directives, la préférence fondée sur la citoyenneté n’empêche pas les non-Canadiens de participer aux concours publics ou d’être inscrits aux répertoires de candidats. Cependant, les non-citoyens ne peuvent être présentés que lorsque le répertoire de citoyens qualifiés est épuisé. Quant aux objets de ces dispositions, je n’hésite pas, malgré les arguments invoqués par les appelantes, à admettre les conclusions du juge de première instance auxquelles j’ai déjà renvoyé. Il se peut que la classification de ces objectifs soit un genre de « fait législatif » et que, comme le juge La Forest le suggère dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général)[20], on soit tenu dans ce cas à faire preuve de moins de retenue envers les conclusions adoptées en première instance. Mais en l’espèce, je le répète, la conclusion en question est fondée sur une analyse détaillée de la preuve et je considère que la conclusion à laquelle tendait cette analyse a été correctement exposée par le juge de première instance. Il y a donc lieu de convenir que les objectifs visés par la disposition de la LEFP instaurant une préférence fondée sur la citoyenneté sont doubles : a) d’abord, rehausser le sens, la valeur et l’importance de la citoyenneté canadienne en accordant aux citoyens l’accès préférentiel à un emploi dans la fonction publique et, ce faisant, b) inciter les résidents permanents à se faire naturaliser.

[20]      Ces questions préliminaires concernant les objectifs et les effets des dispositions en cause me paraissant réglées, penchons-nous à nouveau sur le paragraphe 15(1) de la Charte :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[21]      La simple lecture de cette disposition nous apprend qu’une personne invoquant le paragraphe 15(1) de la Charte doit établir non seulement qu’en raison d’une distinction établie par la loi entre elle et une ou plusieurs autres personnes, elle se voit refuser la « même protection » ou le « même bénéfice » de la loi, mais également que ce déni constitue une discrimination fondée sur un des motifs énumérés ou un motif analogue, puisque l’énumération est précédée du mot « notamment ». Mais voilà tout le problème : comment aborder cette question cruciale qui consiste à savoir dans quelles circonstances une distinction établie par la loi constituera une discrimination au sens de l’article 15?

[22]      Avant l’arrêt Law, les juges de la Cour suprême ne paraissaient pas unanimes quant à la manière d’aborder la question. Certains juges estimaient qu’il y avait surtout lieu d’insister sur la pertinence, relevant que, pour qu’il y ait atteinte au paragraphe 15(1), il ne suffisait pas qu’une distinction soit fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue, puisque le même motif pouvait être discriminatoire dans certains cas mais pas dans d’autres, selon le contexte de l’affaire. Il n’y aurait donc atteinte au paragraphe 15(1) que si les traits caractéristiques personnels étaient sans pertinence au regard de l’objet même de la disposition législative en cause ou des valeurs fonctionnelles à la base du texte contesté, dans la mesure, bien sûr, où l’objet du texte de loi, ou les valeurs sur lesquelles il était fondé n’étaient pas eux-mêmes discriminatoires. D’autres juges préféraient voir la question de la pertinence et du contexte tranchée au regard de l’exception prévue à l’article premier. D’après eux, le caractère discriminatoire d’une distinction préjudiciable se confirmerait surtout si l’on pouvait dire que cette distinction était fondée sur le recours stéréotypé à de prétendus traits caractéristiques personnels ou de groupe.

[23]      D’après moi, l’arrêt Law n’a pas remis en cause la validité de ces deux raisonnements. Il les admet tous les deux mais en bornant, en quelque sorte, leur rôle et leur portée. Il conviendrait ainsi de ne pas y voir des critères inflexibles applicables dans le cadre de l’analyse fondée sur l’égalité, mais plutôt des repères nous permettant de dire s’il a été porté atteinte à l’objet même du paragraphe 15(1), c’est-à-dire la sauvegarde de la dignité humaine.

[24]      J’étais entièrement d’accord avec la thèse des intimées, à savoir que selon l’une ou l’autre des deux approches ébauchées par la jurisprudence de la Cour suprême avant l’arrêt Law, compte tenu des objectifs du texte en question et de la portée limitée de ce texte, la distinction établie par l’alinéa 16(4)c) de la LEFP entre les citoyens et les autres ne constitue pas une discrimination au sens de cette disposition de la Charte.

[25]      D’une part, en ce qui concerne la pertinence de la préférence ainsi instaurée, il faut reconnaître que le concept de citoyenneté appliqué en l’occurrence est inscrit dans notre Constitution, et, dans les pays démocratiques, universellement considéré comme important aussi bien pour le citoyen que pour l’État. C’est un concept tout à fait distinctif puisqu’il repose sur l’idée que certains droits, privilèges et obligations seront exclusivement reconnus aux citoyens en tant qu’attributs de leur statut. L’accès exclusif ou préférentiel aux emplois de la fonction publique est, depuis longtemps, un des privilèges de la citoyenneté, non seulement ici mais dans presque tous les pays. D’autre part, et sans oublier, encore une fois, l’objet de cette préférence tel que défini par le juge de première instance, il n’est pas logique d’invoquer en l’espèce une « application stéréotypée de prétendues caractéristiques personnelles ou de groupe ». La volonté de rehausser la valeur de la citoyenneté n’a nullement pour effet de rabaisser les immigrants reçus en fonction d’une caractéristique qui leur serait personnelle.

[26]      L’arrêt Law était-il de nature à saper ma conviction que la préférence fondée sur la citoyenneté ne saurait être considérée comme discriminatoire? Au contraire, cet arrêt a conforté ma position sur ce point. Je n’étais pas certain que les directives de la Cour suprême avaient été bien comprises et suivies lorsque les deux soi-disant approches ont été présentées, et appliquées, comme si chacune formait une démarche complète en elle-même et excluant l’autre. Il me semblait que la première approche, fondée essentiellement sur la notion de pertinence, était un peu un retour au concept de situation analogue mais appliquée, cette fois, à rebours avec, au départ, une analyse du motif de distinction d’abord examiné séparément et seulement ensuite replacé dans son contexte. On courait alors le risque, évoqué par le juge McIntyre, d’examiner la question de la pertinence seulement de façon superficielle. Quant à l’autre approche, c’est-à-dire l’évocation d’une « application stéréotypée de prétendues caractéristiques personnelles », elle restreignait indûment, à mon avis, la portée de la garantie constitutionnelle. Pourquoi faut-il que ce soit un groupe? Pourquoi faut-il que ce groupe soit discret et isolé et pourquoi faut-il que le groupe n’ait pas assez d’influence pour se prémunir contre le désavantage en question? Mais la synthèse opérée par l’arrêt Law a complètement dissipé mes inquiétudes à cet égard puisque, dans cet arrêt, les approches antérieures sont prises pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire de simples manières d’aborder le problème afin d’apporter une réponse à la question essentielle, savoir si l’individu ou le groupe est atteint dans sa dignité humaine. En toute déférence pour les avis contraires, et compte tenu du champ d’application de la préférence fondée sur la citoyenneté et des circonstances de la présente affaire, je ne saurais dire que cette préférence porte objectivement atteinte à la dignité humaine des appelantes ou, plus généralement, à celle des non-citoyens.

[27]      Que je me fonde ou non sur ma conviction que le principe d’égalité ne saurait s’appliquer en l’espèce, ce qui est effectivement mon motif principal, ou que je considère, comme motif subsidiaire si l’on envisage, au contraire, d’appliquer ce principe, que la distinction établie n’est pas discriminatoire car elle ne porte pas atteinte à la dignité humaine, j’en conclus que c’est en définitive avec raison que le juge de première instance a estimé que les actions n’étaient pas en l’occurrence fondées.

[28]      Je conclus donc au rejet des appels. En ce qui concerne les dépens, puisqu’il s’agit d’un appel, je ne vois aucune raison de ne pas appliquer la règle ordinaire, mais en n’accordant qu’un seul mémoire de dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Desjardins, J.C.A. :

I—Introduction

[29]      La préférence en faveur de citoyens canadiens qu’instaure en matière d’emploi l’alinéa 16(4)c) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique[21] (la Loi) porte-t-elle atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) dans la mesure où les résidents permanents ne bénéficient pas de cette préférence?

[30]      Les trois appelantes, Janine Bailey, Elisabeth Lavoie et Jeanne To Thanh Hien prétendent que oui.

[31]      Janine Bailey est une citoyenne des Pays-Bas qui a acquis la résidence permanente au Canada en novembre 1986. Elle avait, dès novembre 1989, la possibilité de devenir citoyenne canadienne. Elle décida de ne pas se faire naturaliser car cela l’aurait obligée à renoncer à sa citoyenneté hollandaise. Or, elle ne voulait pas faire cela vu les liens sentimentaux qu’elle entretient avec les Pays-Bas. Elle pensait devoir peut-être rentrer dans son pays d’origine pour s’occuper de ses parents âgés. Elisabeth Lavoie, de citoyenneté autrichienne, est devenue résidente permanente en juin 1988. Il lui devint possible de solliciter la citoyenneté canadienne en juin 1991, mais elle ne le fit pas car cela aurait automatiquement entraîné la perte de sa citoyenneté autrichienne, ce qui aurait réduit ses chances d’obtenir éventuellement un emploi au sein de la fonction publique autrichienne. Jeanne To Thanh Hien est de citoyenneté française. Elle est devenue résidente permanente du Canada en 1987. Elle a eu de la peine à trouver un emploi au sein de la fonction publique en raison de son statut de résidente permanente, et ce, jusqu’à ce qu’elle acquière la citoyenneté canadienne en 1991. Ni la loi française, ni la loi canadienne n’interdisant la double nationalité, elle a pu conserver sa citoyenneté française. Les appelantes sont toutes trois citoyennes de l’Union européenne. En tant que citoyennes d’un pays européen et de l’Union européenne, elles bénéficient d’un certain nombre de privilèges et avantages, y compris le droit de travailler dans tout État membre de l’Union européenne.

[32]      Mme Bailey est diplômée en droit d’une université hollandaise. Mme Lavoie est secrétaire de direction et administratrice de bureau. Mme To Thanh Hien est rédactrice en langue française. Mme Bailey a commencé à travailler dans la fonction publique en juin 1987, alors qu’elle était nommée à un poste de courte durée à la Commission canadienne de l’emploi et de l’immigration. Entre cette époque et 1992, elle se porte candidate à plusieurs postes de conseillère en immigration, mais elle a du mal à se faire nommer à un de ces postes car, en raison de sa citoyenneté, il lui est pratiquement impossible de passer un concours public. De la même façon, après avoir travaillé 22 semaines pour le ministère des Approvisionnements et Services dans le cadre de toute une série de contrats de brève durée, Mme Lavoie a sollicité un poste permanent au sein du Ministère. Sa demande est rejetée par la Commission de la fonction publique au motif qu’il y avait un citoyen canadien qualifié. Mme To Thanh Hien s’est heurtée au même genre de situation. Pour son premier emploi, elle obtint un poste à temps partiel de rédactrice en langue française à la Chambre des communes. Puis, elle occupa toute une série de postes de brève durée, incapable pourtant d’obtenir un poste conforme à ses aptitudes puisqu’à l’époque elle n’était pas citoyenne du Canada. Toutes trois ont demandé à la Cour un jugement déclaratoire ainsi que des dommages-intérêts en invoquant des motifs constitutionnels en application de l’alinéa 16(4)c) de la Loi.

[33]      La préférence accordée aux citoyens, comme celle qui favorise les anciens combattants, peut s’appliquer à deux étapes d’un concours en vue d’un poste dans la fonction publique : l’étape de présentation des candidats (alinéa 16(4)c)), et l’étape de la liste d’admissibilité (alinéa 17(4)c)). À l’étape de la présentation, l’application de la préférence est discrétionnaire; à l’étape de la liste d’admissibilité, par contre, la préférence est obligatoire. Étant donné que les appelantes n’ont été affectées par cette préférence qu’à l’étape de la présentation, la constitutionnalité de l’alinéa 17(4)c) n’est pas ici en cause. Le paragraphe 16(1) et l’alinéa 16(4)c) prévoient [alinéa 16(4)b) (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 13)] :

16. (1) La Commission étudie toutes les candidatures qui lui parviennent dans le délai fixé à cet égard. Après avoir pris connaissance des autres documents qu’elle juge utiles à leur égard, et après avoir tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu’elle estime souhaitables, elle sélectionne les candidats qualifiés pour le ou les postes faisant l’objet du concours.

[…]

(4) Dans le cadre d’un concours public et en vue de l’établissement, conformément à la présente loi, d’une liste d’admissibilité, la Commission apprécie s’il y a suffisamment de postulants qualifiés qui sont :

a) des pensionnés de guerre selon la définition de l’annexe II;

b) des anciens combattants, selon la définition de l’annexe II, ne tombant pas dans la catégorie définie par l’alinéa a), ou des veufs ou veuves d’anciens combattants selon la définition de cette annexe II;

c) des citoyens canadiens autres que ceux visés par les alinéas a) ou b).

Elle peut, lorsqu’elle estime leur nombre suffisant, limiter la sélection prévue au paragraphe (1) soit aux postulants mentionnés à l’alinéa a), soit à ceux mentionnés aux alinéas a) et b), soit à ceux mentionnés aux alinéas a), b) et c). [Non souligné dans l’original.]

[34]      L’intimée a exercé le pouvoir discrétionnaire qu’elle tient de l’alinéa 16(4)c) de la Loi conformément aux lignes directrices en vigueur à l’époque en question (1988-1990). Selon ces lignes directrices, la préférence accordée aux citoyens n’interdit pas aux non-Canadiens de prendre part à des concours publics ni de faire partie d’un répertoire de candidats. Les concours publics sont ouverts à la fois aux fonctionnaires et aux personnes de l’extérieur. Cela dit, les non-citoyens ne sont présentés en tant que candidats qu’après épuisement de la liste d’admissibilité de candidats canadiens. Conformément à cette politique, la pratique en vigueur au sein de la fonction publique est de ne pas présenter la candidature de non-citoyens aux concours publics lorsqu’on estime qu’il y a un nombre suffisant de citoyens canadiens qualifiés. Lorsque le nombre de candidats qualifiés est insuffisant, ou lorsqu’il n’y a pas de citoyens qualifiés, la fonction publique peut présenter des candidats non-canadiens qualifiés, soit seuls, soit avec des candidats canadiens, comme cela a été le cas de Mme Bailey et Mme To Thanh Hien. Les candidats non-canadiens qui obtiennent un poste dans la fonction publique deviennent immédiatement admissibles à d’autres postes, pourvus soit par concours interne, soit sans concours, indépendamment de leur citoyenneté. Cependant, ils continuent à se voir opposer la préférence fondée sur la citoyenneté chaque fois qu’ils se portent candidats à des postes pourvus par voie de concours public. Il n’y a pas de statistique sur cela, mais il est clair que le nombre de non-Canadiens présentés comme candidats à des concours publics est faible[22].

II —Le jugement faisant l’objet du présent appel[23]

[35]      Selon le juge de première instance, il n’est pas nécessaire, pour désavantager les résidents permanents, que l’alinéa 16(4)c) de la Loi constitue, pour eux, un obstacle absolu à l’emploi. Cette disposition les désavantage pendant au moins quatre ans étant donné que l’obtention de la citoyenneté est subordonnée à un délai de trois ans, plus un an pour les formalités administratives. Les appelantes auraient donc été l’objet d’un traitement discriminatoire fondé sur une caractéristique personnelle, en l’occurrence la citoyenneté. Le juge s’attacha alors à examiner si, au regard de l’article premier de la Charte, l’alinéa 16(4)c) de la Loi était justifié en tant que limite raisonnable du droit à l’égalité. Il a estimé que l’objet de la préférence instituée par la Loi en faveur des citoyens était double : a) rehausser le sens, la valeur et l’importance de la citoyenneté canadienne et b) inciter les résidents permanents à se faire naturaliser. Selon lui[24] :

Il ressort clairement de mon examen de la preuve, particulièrement en faisant la comparaison avec des États européens comme l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, que dans un pays d’immigration comme le Canada, il a toujours été relativement facile d’obtenir la citoyenneté. La preuve des professeurs Shuck et Carens démontre amplement que la citoyenneté est un statut essentiellement politique et social, lequel est clairement une importante question d’ordre public. La citoyenneté est également l’objet d’un débat croissant, particulièrement dans une économie mondiale. Il ne s’agit pas simplement d’une question de droit de vote ou du droit d’être détenteur d’un passeport canadien, ou d’être nommé ou élu à certains postes. Il s’agit plutôt de définir qui nous sommes, à titre individuel et comme pays. Une société libre et démocratique comme le Canada répugne invariablement à mettre en évidence les différences qui existent au sein de son peuple. Cependant, toute loi sur la citoyenneté ne peut éviter d’établir certaines distinctions entre les membres de l’État-nation et, bien qu’elle ne puisse jamais résoudre les problèmes fondamentaux—sociaux ou politiques—d’un pays, elle est d’une nécessité indéniable. [Non souligné dans l’original.]

[36]      Poursuivant son analyse fondée sur l’article premier de la Charte, il a conclu que le double objectif de la disposition contestée en l’espèce répondait à une préoccupation suffisamment urgente et réelle pour justifier une restriction imposée au droit à l’égalité que l’article 15 de la Charte garantit aux appelantes. Il a relevé qu’à l’exception de la Suède et de la Nouvelle-Zélande, presque toutes les sociétés libérales et démocratiques imposent en matière d’emploi dans la fonction publique nationale, sous une forme ou une autre, des restrictions fondées sur la citoyenneté[25]. Il a conclu que les moyens choisis pour atteindre l’objectif répondaient au critère de l’arrêt Oakes[26]. La Cour a ainsi confirmé la validité de la disposition en cause.

III —Analyse

A—La résidence permanente et la citoyenneté

[37]      Selon la Loi sur l’immigration[27], un résident permanent est une personne qui s’est vu accorder le droit d’établissement. Le citoyen est, lui, une personne qui a la citoyenneté canadienne au sens de la Loi sur la citoyenneté[28]. Le statut de « citoyen canadien » a été instauré par la Loi sur la citoyenneté canadienne en 1947 [S.C. 1946, ch. 15]. Avant 1947, les ressortissants du Canada étaient simplement des sujets britanniques résidant au Canada. Dans l’arrêt Winner v. S.M.T.[29], le juge Rand a vu, dans le paragraphe 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867 et les compétences résiduelles, le fondement du pouvoir constitutionnel qu’a le Parlement en matière de citoyenneté. D’après lui[30] :

[traduction] La première réalisation fondamentale de la Loi constitutionnelle a été la création d’une organisation politique unifiée de sujets de Sa Majesté dans les limites géographiques du Dominion, dont le postulat fondamental était l’institution de la citoyenneté canadienne. La citoyenneté est l’appartenance à un État, et en le citoyen s’incarnent les droits et obligations, corollaires de l’allégeance et de la protection, qui constituent le fondement de ce statut. [Non souligné dans l’original.]

[38]      La Loi sur la citoyenneté n’énumère pas ces droits et ces obligations, corrélatifs à l’allégeance et à la protection, et inhérents au statut de citoyen. Elle reconnaît, cependant, leur existence, en son article 6 ainsi qu’à l’annexe de l’article 24. Il ressort clairement de l’annexe de l’article 24 que le résident permanent qui décide de ne pas devenir citoyen du Canada ne prête aucun serment d’allégeance et n’assume aucune des obligations d’un citoyen canadien.

[39]      À l’inverse, la personne qui désire acquérir la citoyenneté canadienne, fait serment ou affirmation de citoyenneté, en les termes suivants[31] :

Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs et je jure d’observer fidèlement les lois du Canada et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien. [Non souligné dans l’original.]

[40]      Les droits et obligations du citoyen canadien, corrélatifs à l’allégeance et à la protection, n’ont pas été regroupés dans un texte de loi. Il faut, pour les trouver, les chercher dans plusieurs textes. Voici quelques-uns des droits et devoirs institués par des lois fédérales.

1.         Les droits

[41]      La Charte énonce elle-même plusieurs droits constitutionnels importants réservés aux seuls citoyens. L’article 3 prévoit que seul le citoyen a un « droit de vote et [est] éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales ». Cette distinction fondamentale se retrouve à l’article 50 de la Loi électorale du Canada[32], qui précise que, pour être électeur, il faut être citoyen canadien. L’article 6 de la Charte reconnaît aux seuls citoyens canadiens le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir. Cette même disposition reconnaît cependant, aussi bien aux citoyens qu’aux résidents permanents, le droit de se déplacer dans tout le pays et de gagner leur vie dans toute province. Seuls les citoyens possèdent le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité en vertu de l’article 23 de la Charte. Seuls les « sujets de la Reine » peuvent être nommés sénateurs, selon les articles 23 et 31 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[42]      La plupart des textes législatifs portant création d’organismes publics fédéraux prévoient que seuls des citoyens canadiens peuvent en être nommés administrateurs ou dirigeants[33]. Des restrictions analogues s’appliquent à de nombreux postes élevés dans certaines organisations fédérales[34]. De plus, la loi prévoit que pour exercer nombre de ces fonctions, il faut être « citoyen canadien résidant habituellement au Canada »[35].

[43]      Cette préférence en faveur des citoyens n’est pas absolue cependant. Certaines organisations fédérales peuvent être dirigées par des résidents permanents. Cela est vrai, par exemple, du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. Son président du conseil, vice-président du conseil, président et les administrateurs peuvent tous être des résidents permanents[36].

[44]      D’autres organisations fédérales ont adopté une stratégie mixte qui permet de nommer à certains postes de direction des personnes qui ne sont pas des citoyens. C’est ainsi, par exemple, que le Centre de recherches pour le développement international a une direction composée d’un président du conseil, d’une présidente et d’un conseil d’administration de 19 membres. Seuls le président du conseil, le président et neuf gouverneurs sont tenus d’être citoyens canadiens[37]. En outre, les règles concernant le vote au sein de l’organisation prévoient qu’il n’y a quorum que lorsque la majorité des gouverneurs présents sont eux-mêmes citoyens[38]. La Loi sur les jeunes contrevenants[39] donne aux procureurs généraux des provinces la possibilité d’établir des « comités de justice pour la jeunesse » afin d’aider à mettre en œuvre les programmes destinés aux jeunes contrevenants. Les postes au sein de ces comités ne peuvent être occupés que par des citoyens.

[45]      Les lois régissant sur les forces de l’ordre établissent, elles aussi, des préférences. Ainsi, le paragraphe 9.1(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada[40] précise que les non-citoyens peuvent être nommés membres de cette force policière (y compris les agents de police) lorsqu’aucun citoyen canadien ne répond aux conditions requises pour le poste en question.

2.         Les mesures de protection

[46]      Non seulement les citoyens se voient-ils accorder des privilèges spéciaux, mais, en raison des liens plus étroits qu’ils entretiennent avec l’État, ils jouissent aussi d’une protection plus grande que celle qui est accordée aux résidents permanents. La Loi sur le transfèrement des délinquants[41] prévoit que les citoyens canadiens jugés coupables d’une infraction et emprisonnés dans un pays étranger peuvent demander leur transfèrement afin de purger le reste de leur peine au Canada[42]. Aucun privilège analogue n’existe pour les résidents permanents se trouvant dans la même situation. La loi canadienne, de plus, érige en infraction le fait de prendre en otage un citoyen canadien même si cette prise d’otage a lieu à l’étranger[43]. Il n’en va pas de même si la personne prise en otage est un résident permanent.

3.         Les obligations

[47]      Au Canada, le droit pénal s’applique d’une manière égale aux citoyens et aux résidents permanents. Cela dit, lorsque des membres de ces deux groupes se trouvent hors du Canada, il leur incombe des obligations différentes, et le Code criminel[44] prévoit un certain nombre d’infractions qui ne peuvent être commises à l’étranger que par des citoyens canadiens. Selon l’article 46, seuls des citoyens (et non pas des résidents permanents) commettront une trahison si, alors qu’ils se trouvent hors du Canada, ils commettent un certain nombre d’actes de trahison. De la même façon, seul un citoyen canadien commet une infraction s’il contracte, à l’extérieur du Canada, un mariage bigame[45]. La Loi sur les secrets officiels[46] érige en infraction le fait, pour un citoyen canadien ou autre personne devant allégeance à la Couronne, de divulguer, alors qu’il se trouve hors du pays, un renseignement secret[47]. Cette disposition ne s’applique pas aux résidents permanents.

[48]      Historiquement, l’allégeance est liée au devoir militaire. Il est intéressant de noter à cet égard que les Règlements de 1940 sur les services nationaux de guerre (Recrues)[48] astreignaient à l’entraînement militaire « tout sujet britannique du sexe masculin qui réside ou a résidé ordinairement au Canada, en tout temps après le premier jour de septembre 1939 ».

[49]      Je ne me suis pas penchée sur d’autres lois provinciales pour savoir si elles créent des obligations pour les citoyens, mais chacun sait que seuls les citoyens sont appelés dans les provinces à servir comme jurés[49]. Dans les Territoires du Nord-Ouest, ce sont à la fois les citoyens et les résidents permanents qui sont appelés à siéger au sein de jurys[50]. Au Yukon, ce devoir s’impose à la fois aux citoyens et aux sujets britanniques[51].

4.         Conclusion

[50]      Je conclus de tout cela que la citoyenneté, dont témoigne le serment ou l’affirmation d’allégeance, exige un attachement aux lois et aux institutions canadiennes, ainsi que l’engagement de s’acquitter des obligations incombant aux citoyens canadiens. Plusieurs lois, destinées à promouvoir des liens précis entre l’État et ses ressortissants, illustrent les droits, les privilèges et les devoirs des citoyens canadiens.

B—La préférence accordée aux citoyens par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

[51]      Il y a d’abord lieu de caractériser la disposition législative contestée en l’espèce.

[52]      Dans son analyse des objectifs visés par l’alinéa 16(4)c) de la Loi, et dans ses efforts en vue de déceler si cette disposition, découle d’une préoccupation suffisamment urgente et réelle pour l’emporter, dans une société libre et démocratique, sur un droit constitutionnellement protégé, le juge de première instance a conclu qu’en adoptant cette disposition, le législateur a voulu rehausser la valeur de la citoyenneté canadienne et inciter les non-citoyens à se faire naturaliser. Il a pu se fonder sur des preuves abondantes.

[53]      En 1985, par exemple, l’année où l’article 15 de la Charte est entré en vigueur, le ministre de la Justice a publié un document intitulé Les droits à l’égalité et la législation fédérale : un document de travail[52]. Le ministre fit observer que rares seraient ceux qui doutent de la nécessité de distinguer les citoyens des résidents permanents et des étrangers. Le ministre a pu citer tout un ensemble de lois fédérales et provinciales qui subordonnent à la citoyenneté l’obtention de tel statut ou avantage. De manière plus générale, il expliqua que[53] :

Il est raisonnable d’exiger la citoyenneté des personnes à qui on accorde le droit de voter ou d’occuper une charge publique. Il est sans doute aussi raisonnable d’exiger cette preuve de fidélité que constitue la citoyenneté de ceux qui occupent certains postes de confiance dans le domaine de l’application de la loi ou dans la Fonction publique. Il peut enfin être justifié de laisser au législateur une certaine latitude dans le choix des circonstances où il exige la citoyenneté, ne serait-ce que pour encourager les résidents du Canada à obtenir ce statut et à participer plus activement à la vie politique du pays.

[54]      Il aborda ensuite la question de l’emploi dans la fonction publique. Selon lui[54] :

On donne trois raisons pour justifier cette situation [la préférence fondée sur la citoyenneté]. La première est que l’un des avantages de la citoyenneté canadienne est précisément la possibilité d’obtenir un emploi dans la Fonction publique fédérale, même si cela comporte certaines obligations.

La deuxième raison invoquée est que les employés doivent admettre l’autorité de l’employeur et le servir loyalement. Or dans la Fonction publique, c’est la Couronne qui est l’employeur. Et le fait d’avoir la citoyenneté implique que l’on est loyal à la Couronne. Pour leur part, les non-Canadiens, même s’ils résident en permanence au Canada ont une obligation de loyauté envers un autre État.

Cette raison n’est toutefois pas totalement convaincante, puisque des non-citoyens peuvent aussi, dans certains cas, accéder à des postes dans la Fonction publique. Cette priorité accordée aux citoyens ne signifie donc pas que l’on considère que les non-citoyens manquent de loyauté ou ne sont pas dignes de confiance. Le fait d’exiger la citoyenneté n’indique qu’une préférence, même s’il a pour conséquence que très peu de postes au sein de la Fonction publique fédérale sont occupés par des non-citoyens. Le même problème se pose en ce qui a trait à la troisième raison. Il est en effet soutenu, en troisième lieu, que l’octroi de postes à des non-Canadiens serait de nature à compromettre la sécurité nationale.

La question fondamentale est de savoir si le fait d’accorder la priorité aux citoyens lorsqu’il s’agit de combler des postes dans la Fonction publique fédérale doit être considéré comme une conséquence acceptable de la possession de la citoyenneté. Étant donné qu’il est normal que le citoyen ait certains privilèges, le problème est de décider quels privilèges sont justifiés.

[55]      Le sous-comité sur les droits à l’égalité s’est à son tour dit préoccupé par ce qui lui semblait être une forme de discrimination inscrite dans l’alinéa 16(4)c) de la Loi. Il recommandait l’abrogation de cette disposition[55].

[56]      Le ministre répondit en ces termes[56] :

Le gouvernement ne souscrit pas à cette recommandation. Il estime que la préférence actuellement accordée aux citoyens canadiens est une restriction raisonnable et justifiée, permise par la Charte et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Cette opinion est fondée sur une étude de la nature de la citoyenneté et de son lien avec le rôle de la Fonction publique. Dans leur travail, les fonctionnaires servent et représentent la communauté canadienne lui en garantissant la sécurité, en contribuant à son bien-être physique et économique, et en représentant ses intérêts, au Canada et à l’étranger.

La citoyenneté entraîne tant des privilèges que des responsabilités. Les privilèges comprennent le droit de vote. Une des responsabilités est de promouvoir le bien-être et la sécurité du pays et d’en protéger son mode de vie. Le gouvernement estime que l’un des avantages légitimes de la citoyenneté canadienne devrait être le droit de postuler et d’obtenir de façon préférentielle un emploi dans la Fonction publique fédérale. Ce droit est assujetti à certaines obligations comme la restriction des activités politiques, mais il demeure l’un des avantages de la citoyenneté et une reconnaissance de la valeur que lui accorde la société canadienne.

Soulignons que cette opinion semble prévaloir dans d’autres démocraties occidentales, certaines (par exemple, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, et l’Australie) allant jusqu’à faire de la citoyenneté une condition d’entrée dans la fonction publique plutôt qu’une préférence.

Dans le cadre du système actuel, les non-Canadiens peuvent être recrutés dans la Fonction publique fédérale si aucun citoyen canadien ne se qualifie pour l’emploi.

[57]      Le Rapport du Sous-comité sur les droits à l’égalité du Comité permanent de la justice et des questions juridiques fut débattu à la Chambre des communes au mois de mars 1986. Une motion tendant à faire approuver le Rapport par la Chambre n’obtint pas le nombre de voix nécessaires. S’agissant de la préférence accordée aux citoyens, l’honorable Pierre H. Cadieux (ministre de la Main-d’œuvre) déclara[57] :

Le gouvernement a indiqué clairement qu’il estimait que la préférence présentement accordée aux citoyens canadiens constitue une restriction raisonnable et justifiée en vertu de la Charte et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le but principal de cette mesure consiste à reconnaître ce que nous chérissons et apprécions tous, vous, moi et tous les autres Canadiens, soit que notre citoyenneté en démocratie comporte certains devoirs comme celui de promouvoir le bien-être de la collectivité. Elle comprend aussi, monsieur le Président, certains droits comme le droit de vote. Et l’un des avantages légitimes de la citoyenneté canadienne doit être l’accès prioritaire aux emplois offerts dans la Fonction publique fédérale. Il n’est que raisonnable que nous reconnaissions la valeur et l’importance particulière de la citoyenneté canadienne.

Si les résidants permanents désirent les mêmes droits et obligations, ils ont la possibilité, monsieur le Président, de présenter une demande de citoyenneté canadienne. Après tout, nous leur demandons seulement d’attendre trois ans avant de pouvoir dire, eux aussi, oui je suis Canadien et fier de l’être. Tout citoyen canadien a droit à certains des avantages découlant de la citoyenneté du fait de la valeur que la citoyenneté canadienne attribue au fait d’être citoyen. En outre, le Canada n’est pas le seul pays à estimer que sa Fonction publique doit se composer de ses citoyens. En fait, des pays comme les États-Unis, la France, la Grande- Bretagne et l’Australie vont même plus loin que le Canada, faisant de la citoyenneté une condition d’entrée dans la Fonction publique et non seulement un critère de préférence comme chez nous. Il me faut signaler que, par convention internationale, quiconque sert dans le service étranger ou le corps diplomatique d’un pays doit être citoyen de ce pays.

[58]      À première vue, étant donné les conclusions du juge de première instance, la préférence en matière d’emplois dans la fonction publique semble n’être qu’un des aspects des droits et privilèges reconnus aux citoyens canadiens afin de renforcer les liens entre le citoyen et l’État.

[59]      Les appelantes font cependant valoir que l’arrêt Andrews, récemment confirmé par un jugement unanime de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[58], étaye les conclusions du juge de première instance selon lesquelles les appelantes ont été l’objet d’une discrimination contraire à l’article 15 de la Charte.

[60]      L’arrêt Andrews portait sur la validité constitutionnelle d’une disposition législative provinciale, alors qu’en l’espèce la disposition contestée se trouve dans une loi fédérale. Cela permet de penser que la législation fédérale n’établit peut-être pas une discrimination, ne faisant que répondre à une distinction parfaitement défendable entre le citoyen et les autres.

[61]      L’affaire Law, par contre, concerne le refus d’accorder, dans le cadre du Régime de pensions du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-8], les prestations du survivant aux personnes qui, comme Nancy Law, n’ont pas d’enfant à charge, ne souffrent d’aucune incapacité, et ont moins de trente-cinq ans. L’arrêt est une brillante synthèse des directives devant permettre aux tribunaux de mieux cerner, en matière d’action en discrimination, les facteurs contextuels pertinents. Au nom de la Cour, le juge Iacobucci a déclaré, au paragraphe 51 [page 529] de l’arrêt, que le paragraphe 15(1) de la Charte avait pour principal objet :

[…] d’empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l’imposition de désavantages, de stéréotypes ou de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l’existence d’une société où tous sont reconnus dans la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect et la même considération. [Non souligné dans l’original.]

[62]      Au paragraphe 53 [page 530] des motifs de l’arrêt, la notion de « dignité humaine » est définie en ces termes :

En quoi consiste la dignité humaine? Il peut y avoir différentes conceptions de ce que la dignité humaine signifie. Pour les fins de l’analyse relative au par. 15(1) de la Charte, toutefois, la jurisprudence de notre Cour fait ressortir une définition précise, quoique non exhaustive. Comme le juge en chef Lamer l’a fait remarquer dans Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, à la p. 554, la garantie d’égalité prévue au par. 15(1) vise la réalisation de l’autonomie personnelle et de l’autodétermination. La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous-jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne. Au sens de la garantie d’égalité, la dignité humaine n’a rien à voir avec le statut ou la position d’une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu’une personne se sente face à une loi donnée. La loi traite-t-elle la personne injustement, si on tient compte de l’ensemble des circonstances concernant les personnes touchées et exclues par la loi?

[63]      Il fut jugé, en dernière analyse, que la disposition en question du Régime de pensions du Canada n’était pas discriminatoire. Cette disposition rendait simplement compte du fait que les personnes jeunes, telle Nancy Law, sont mieux à même de subvenir à leurs besoins à long terme que les autres personnes visées par les dispositions de la loi. La disposition contestée ne portait atteinte, ni par son objet ni par ses effets, à la dignité des personnes qu’elle permettait d’exclure[59].

[64]      En l’espèce, la disposition législative contestée désavantage sérieusement les membres d’une minorité discrète et isolée, et pèse sur leur recherche d’un emploi. Si la disposition est discriminatoire, il incombe à la Cour de se livrer à une analyse du problème au regard de l’article premier de la Charte.

[65]      Si la disposition législative contestée concerne la citoyenneté, la Cour doit également faire une analyse au regard de l’article premier de la Charte. Permettez-moi de m’expliquer sur ce point.

[66]      Le statut juridique des étrangers, y compris des résidents permanents, a longtemps été la source de maints abus[60]. Avant de dire, donc, qu’une disposition telle que celle qui est en cause ici est valide, il faut bien réfléchir. Cela nous rappelle les propos du juge La Forest dans l’arrêt Andrews, la Cour ayant jugé discriminatoire une loi de Colombie-Britannique qui subordonnait l’admission au barreau à la citoyenneté. Voici les principes d’analyse dégagés par le juge La Forest[61] :

Il ne fait aucun doute que la citoyenneté peut, dans certains cas, servir à bon droit de caractéristique distinctive relativement à certains types d’objectifs légitimes du gouvernement. Je suis sensible au fait que la citoyenneté confère un statut très particulier qui ne comporte pas seulement des droits et des obligations, mais qui remplit la fonction très importante de symbole identifiant les gens comme membres de l’État canadien. Néanmoins, la citoyenneté n’a généralement rien à voir avec les activités légitimes d’un gouvernement, si ce n’est dans un nombre restreint de domaines. Dans l’ensemble, l’emploi dans une mesure législative de la citoyenneté comme motif de distinction entre individus, en l’espèce pour conditionner l’accès à l’exercice d’une profession, comporte le risque de miner les valeurs essentielles ou fondamentales d’une société libre et démocratique qui sont enchâssées à l’art. 15. Tout au long de son histoire, notre pays a tiré sa force des gens qui sont venus l’habiter. Les décisions fondées injustement sur la citoyenneté seraient susceptibles de [traduction] « laisser croire à ceux qui sont victimes de discrimination que la société canadienne n’est pas libre et démocratique en ce qui les concerne et […] ces personnes risquent de ne pas avoir confiance dans les institutions politiques et sociales qui favorisent la participation des individus et des groupes dans la société et de ne pas croire qu’elles peuvent librement et sans entrave de la part de l’État poursuivre la réalisation de leurs aspirations et attentes, ainsi que de celles de leur famille, en matière de carrière et d’épanouissement personnel ».

[67]      Un peu plus loin, il ajoutait[62] :

Cela signifie non pas qu’aucune loi qui (par exemple) conditionne un avantage à l’obtention de la citoyenneté n’est acceptable dans la société libre et démocratique qu’est le Canada, mais simplement que la loi qui paraît le faire devrait être soupesée en fonction de la pierre de touche de notre Constitution. Elle doit être justifiée. [Non souligné dans l’original.]

[68]      Dans un même ordre d’idée, dans l’arrêt Miron c. Trudel[63], le juge McLachlin déclarait :

Le mariage et la citoyenneté peuvent être utilisés comme motifs pour exclure des personnes de la protection et du bénéfice de la loi, pourvu que l’État puisse, dans le cadre de l’article premier, démontrer que ces motifs sont vraiment pertinents par rapport à l’objet et aux valeurs qui sous-tendent la disposition législative en question. [Non souligné dans l’original.]

Elle ajoutait, un peu plus loin[64] :

Si le défenseur de la loi peut démontrer que le motif de la négation d’une mesure de protection ou d’un avantage est pertinent relativement à l’objectif de la loi, la discrimination perd de sa force. [traduction] « [S]i les distinctions entre des personnes différentes sont pertinentes relativement à l’objectif en question, il s’agira alors d’une distinction autorisée … » : Boronovsky c. Chief Rabbis of Israel, [P.D. CH [25] (1), 7]. [Non souligné dans l’original.]

[69]      Je n’entends pas, à ce stade-ci, dire si cette loi vise un objectif légitime, en l’occurrence la citoyenneté, ou si elle impose une distinction non valide qui constitue une discrimination. Dans les deux cas, un examen de la disposition contestée s’impose. Je vais donc maintenant passer à l’étape de l’analyse.

C—L’article premier de la Charte

[70]      Voici le libellé de l’article premier de la Charte :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. [Non souligné dans l’original.]

1.         Le cadre de l’analyse au regard de l’article premier

[71]      Récemment, et à plusieurs reprises, la Cour suprême du Canada a rappelé que la démarche retenue dans l’arrêt La Reine c. Oakes[65] est celle qui s’impose lorsqu’il s’agit de dire si une disposition législative constitue, au regard de l’article premier, une limite raisonnable à un droit garanti par la Charte. Dans l’arrêt Vriend c. Alberta[66], sept juges de la Cour ont souscrit au résumé du juge Iacobucci concernant les étapes à suivre selon le critère dégagé dans l’arrêt Oakes[67] :

L’atteinte à une garantie constitutionnelle sera valide à deux conditions. Dans un premier temps, l’objectif de la loi doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles. Dans un deuxième temps, le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif doit être raisonnable et doit pouvoir se justifier dans une société libre et démocratique. Cette seconde condition appelle trois critères : (1) la violation des droits doit avoir un lien rationnel avec l’objectif législatif; (2) la disposition contestée doit porter le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte, et (3) il doit y avoir proportionnalité entre l’effet de la mesure et son objectif de sorte que l’atteinte au droit garanti ne l’emporte pas sur la réalisation de l’objectif législatif. Dans le contexte de l’article premier, il incombe toujours au gouvernement de prouver selon la prépondérance des probabilités que la violation peut se justifier. [Non souligné dans l’original.]

[72]      Plus tôt, dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général)[68], les juges majoritaires de la Cour avaient convenu que cette analyse devait tenir compte du contexte et, par conséquent, être faite avec souplesse afin de tenir compte des droits revendiqués dans chaque cas précis ainsi que de la sphère d’activités dans le cadre de laquelle ils sont revendiqués. Il ne s’agit donc pas d’un critère formaliste pouvant être appliqué de façon abstraite aux faits d’une affaire. Comme le juge La Forest l’expliquait au nom des juges dissidents[69] :

Le « critère » approprié applicable à une analyse fondée sur l’article premier se trouve dans la disposition même, laquelle établit clairement que le rôle du tribunal lorsqu’il l’applique est de déterminer si la limite est raisonnable et peut se démontrer dans le cadre d’une « société libre et démocratique ». Dans l’arrêt Oakes, notre Cour a établi une série de principes ou directives destinés à servir de cadre analytique à cette fin. Toutefois, ces directives ne devraient pas être interprétées comme si elles remplaçaient l’article premier. Le libellé de l’article premier indique implicitement que les tribunaux doivent, chaque fois qu’ils l’appliquent, établir un équilibre délicat entre les droits individuels et les besoins de la collectivité. Un tel équilibre ne peut être établi dans l’abstrait, à partir seulement d’un « critère » formaliste qui s’appliquerait de façon uniforme dans toutes les circonstances. L’examen fondé sur l’article premier est un examen inévitablement normatif qui exige des tribunaux qu’ils tiennent compte de la nature du droit violé ainsi que des valeurs et des principes spécifiques à partir desquels le ministère public tente de justifier la violation.

[73]      Plus loin, dans ce même arrêt, le juge McLachlin, écrivant en son nom propre et au nom de deux autres juges de la Cour, a défendu une position très proche de celle-ci, même si elle a préféré insister davantage sur les questions précises auxquelles doit répondre un tribunal pour s’assurer que l’analyse à laquelle il se livre tienne compte du contexte[70] :

Il n’est pas vraiment étonnant que l’analyse fondée sur l’article premier tienne compte du contexte dans lequel se situe la loi en question. L’examen fondé sur l’article premier est, de par sa nature même, un examen spécifique des faits. Pour déterminer si l’objectif de la loi est suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit garanti, le tribunal doit examiner le véritable objectif de la loi. Dans l’examen de la proportionnalité, le tribunal doit déterminer quel est le lien qui existe entre l’objectif de la loi et ce que cette loi réussira effectivement à accomplir, dans quelle mesure la loi restreint le droit en question et, enfin, si l’avantage que la loi vise l’emporte sur la gravité de la restriction du droit. Bref, l’évaluation en vertu de l’article premier est un exercice fondé sur les faits de la loi en cause et sur la preuve de sa justification, et non sur des abstractions.

[74]      Comme le font entendre les juges La Forest et McLachlin, cette analyse dépend beaucoup des faits de chaque affaire. Le partage des avis au sein de la Cour suprême dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. en témoigne d’ailleurs. Dans cette affaire, le juge La Forest et trois de ses collègues estimèrent que le contexte de l’affaire, qui portait sur certaines dispositions législatives visant à soustraire les Canadiens à l’influence des publicités pour le tabac, justifiait l’application d’un critère de justification moins exigeant et plus déférent envers le jugement des tribunaux d’instance inférieure. Le juge La Forest a été particulièrement influencé par la difficulté qu’il y a à démontrer des théories sociologiques invoquées à l’appui de mesures législatives fixant les grandes orientations de la politique sociale. Cette thèse fut en gros rejetée par le juge McLachlin qui, écrivant en son nom et au nom de deux autres juges de la Cour, expliqua que la formule « dont la justification puisse se démontrer » de l’article premier impose aux tribunaux de veiller à ce que l’État, avant de restreindre un droit garanti par la Constitution, démontre, arguments à l’appui, les avantages que la disposition législative en cause procurera par comparaison aux droits qui pourraient être touchés.

[75]      Il est convenu que c’est à la partie qui défend la validité de la disposition contestée qu’il appartient de rapporter la preuve d’une « justification [qui peut] se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». La norme de preuve est celle qui est normale en matière civile, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités[71]. Dans l’arrêt RJR-MacDonald, les divers juges de la Cour suprême ont expliqué que, dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article premier, les cours d’appel font preuve de moins de retenue envers certaines des conclusions de fait du juge de première instance. Le degré de retenue habituel ne s’applique qu’aux pures conclusions de fait. Un degré de retenue beaucoup plus faible s’impose à l’égard des conclusions du juge de première instance touchant l’interprétation de preuves s’appuyant sur les sciences sociales ou sur d’autres considérations d’ordre général invoquées à l’appui d’une disposition. S’il en est ainsi, c’est parce que le juge de première instance est moins bien placé que les cours d’appel pour apprécier et juger les faits « sociaux » ou « de caractère public »[72].

[76]      Il convient maintenant d’examiner individuellement chacune des étapes de l’analyse fondée sur l’article premier.

a)         La disposition contestée doit viser un objectif urgent et réel

[77]      Depuis sa fondation, le Canada s’est développé, aussi bien socialement qu’économiquement, en accueillant des immigrants provenant d’autres horizons et d’autres cultures. Cela veut dire qu’un des plus grands défis que le Canada ait eu à relever au cours de son histoire a été celui de forger des liens entre peuples d’origines différentes. Un des moyens les plus puissants pour cela a été la création de symboles dans lesquels les Canadiens de toutes origines pourraient se reconnaître. La citoyenneté, statut commun à la fois aux nouveaux immigrants et aux résidents de longue date, trouve logiquement sa place parmi ces symboles. On comprend donc bien que le législateur ait cherché à rehausser la valeur et l’importance de la citoyenneté au sein de la société canadienne, afin de promouvoir la cohésion de la nation. La préférence accordée aux citoyens en matière d’emploi dans la fonction publique peut être considérée comme un moyen de parvenir à cela.

[78]      Selon les appelantes, on pourrait s’attendre des intimées qu’elles invoquent, pour démontrer l’existence d’une préoccupation urgente et réelle, l’augmentation du nombre de résidents permanents au Canada, le fait que les résidents permanents ne sont pas assez nombreux à demander leur naturalisation, qu’on perçoit une certaine animosité ou tension entre les résidents permanents et les citoyens en raison de la présence de résidents permanents au Canada, et que cette animosité ou cette tension crée pour la société canadienne dans son ensemble des problèmes réels[73].

[79]      Je ne suis pas de cet avis.

[80]      D’après moi, il n’est pas nécessaire, pour appliquer ce critère, de pouvoir invoquer une crise ou des chiffres satisfaisants, mais, plutôt, d’apprécier la réalité qui sous-tend cette disposition. Le Canada, qui a tout intérêt à encourager les résidents à se faire naturaliser, a trouvé une manière d’inciter les résidents permanents à devenir membres à part entière de la société canadienne. Le Canada facilite cette adhésion sociale en reconnaissant la double nationalité, ce qui permet aux résidents permanents de maintenir leurs liens avec leur pays d’origine. En l’espèce, les pays d’origine de Mme Bailey (Pays-Bas) et de Mme Lavoie (Autriche) ne reconnaissent pas la double nationalité. C’est surtout pour cela, semble-t-il, qu’elles ont décidé de ne pas demander la citoyenneté canadienne. Pour Mme To Thanh Hien, la double nationalité ne crée aucun obstacle. Lorsqu’elle a appris cela, elle a demandé et obtenu la citoyenneté canadienne.

[81]      D’après moi, pour satisfaire au premier critère, il suffit de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la disposition contestée vise un objectif raisonnable. Je conclus que l’objectif visé par la disposition contestée se défend compte tenu de l’histoire du Canada, histoire que, dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia[74], le juge La Forest a résumé en ces termes :

Tout au long de son histoire, notre pays a tiré sa force des gens qui sont venus l’habiter.

b) Les moyens choisis sont-ils raisonnables et leur justification peut-elle se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique?

[82]      Il convient d’abord d’examiner l’état du droit dans d’autres pays démocratiques et aussi l’état du droit international. D’après moi, cette analyse ne permet pas, à elle seule, de trancher la présente affaire, mais elle illustre les tendances qui se manifestent dans les autres pays libres et démocratiques.

[83]      D’abord, les instruments internationaux. La Déclaration universelle des droits de l’homme[75] reconnaît l’égalité des citoyens en matière d’emploi dans la fonction publique de leurs pays respectifs. C’est ainsi qu’elle prévoit, à son article 21 :

Article 21

1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis.

2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. [Non souligné dans l’original.]

[84]      Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[76] reconnaît lui aussi le droit qu’ont les citoyens d’accéder en toute égalité aux fonctions publiques de leurs pays respectifs. Selon l’alinéa 25c) :

Article 25

Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables :

[…]

c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. [Non souligné dans l’original.]

[85]      Ces instruments internationaux, parce qu’ils sont le fruit d’un consensus entre pays se trouvant dans des situations très différentes, ne font peut-être, dans une certaine mesure, que refléter un dénominateur commun. Ils reconnaissent. Ils ne condamnent pas.

[86]      Selon le juge de première instance, à l’exception de la Suède et de la Nouvelle-Zélande, à peu près toutes les sociétés libérales et démocratiques imposent, sous une forme ou sous une autre, à l’entrée dans la fonction publique, une restriction fondée sur la citoyenneté des candidats. Il en va de même en Suisse, où seuls les citoyens suisses peuvent être nommés à des emplois publics, hormis des cas exceptionnels où le Conseil fédéral peut autoriser la nomination d’un non-citoyen[77].

[87]      Depuis de nombreuses années, les États-Unis restreignent l’emploi de non-citoyens au sein de la fonction publique fédérale. La validité de ces restrictions a été confirmée par les tribunaux, après avoir été contestée sur le fondement des droits à l’égalité garantis par la Constitution américaine. Par contre, des restrictions analogues, instaurées par les divers États de ce pays, ont presque toujours été infirmées par la Cour suprême des États-Unis, qui les a considérées comme contraires aux droits à l’égalité. La distinction semble fondée sur la répartition des compétences législatives entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des divers États. Étant donné que la situation des étrangers et la citoyenneté relèvent des compétences législatives fédérales, les lois fédérales imposant une restriction fondée sur la citoyenneté sont soumises, en matière d’examen judiciaire, à des critères beaucoup moins rigoureux que les dispositions analogues adoptées par les États[78]. En ce domaine, en effet, la législation des divers États paraît, aux yeux des tribunaux américains, intrinsèquement suspecte[79]. Les tribunaux américains se montrent déférents envers les distinctions que la loi fédérale établit au regard de la citoyenneté car ils estiment que le statut des étrangers et la citoyenneté constituent un domaine relevant en propre du pouvoir politique. En raison du principe de la séparation des pouvoirs, les tribunaux ne doivent pas s’ingérer dans ce qui relève du pouvoir politique et donc, dans ce domaine, les tribunaux n’exercent que des pouvoirs de contrôle extrêmement restreints[80]. La seule restriction imposée par la législation d’un État à avoir résisté à l’examen judiciaire au regard des droits constitutionnels à l’égalité était une restriction interdisant aux non-citoyens l’exercice de « fonctions politiques » au sein de la fonction publique d’un État. Il s’agit d’une exception étroitement circonscrite qui ne permet d’exclure les non-citoyens que des postes pour lesquels un État peut « exiger, comme condition d’emploi, la citoyenneté »[81]. Il convient donc d’examiner chaque poste que l’on veut réserver à des citoyens afin de savoir si la citoyenneté peut vraiment être considérée comme une condition essentielle de la fonction.

[88]      L’Australie, en ce domaine, se distingue des autres nations. Jusqu’en 1984, sauf dispense, seuls les sujets britanniques pouvaient obtenir un emploi permanent au sein de la fonction publique australienne[82]. Une commission royale recommanda que l’on abolisse la condition de citoyenneté[83], mais le gouvernement en décida autrement. Selon de nouvelles dispositions, la citoyenneté australienne resterait nécessaire à l’obtention d’un emploi dans la fonction publique, mais cette condition s’accompagnerait d’une réserve importante[84]. Ainsi, un résident permanent peut être nommé à un poste dans la fonction publique pour une période de mise à l’épreuve pouvant aller jusqu’à deux ans. Les personnes effectuant un tel stage ne peuvent toutefois être titularisées que si elles obtiennent la citoyenneté au cours de cette période de deux ans. Celles qui ne se font pas naturaliser perdent leur poste.

[89]      D’après moi, le système australien est plus radical que le système de préférence en vigueur au Canada car, à la fin de la période de stage, l’intéressé perd toute possibilité d’emploi dans la fonction publique.

[90]      La situation est plus complexe dans les pays membres de l’Union européenne. La plupart de ces pays se sont dotés de constitutions ou ont promulgué des statuts qui réservent à leurs citoyens les emplois dans leurs fonctions publiques respectives. La Constitution allemande, par exemple, prévoit que seuls des Allemands peuvent occuper des emplois dans la fonction publique, sauf si la nécessité porte à engager un non-citoyen[85]. La loi a institué le même système au Royaume-Uni, où les étrangers ne peuvent être engagés que pour des périodes limitées et seulement sur autorisation spéciale et en cas de pénurie de sujets britanniques aptes à la fonction[86]. Mais de telles restrictions se limitent, en raison de l’article 48 du Traité de Rome[87], aux postes dans l’ « administration publique » des divers pays, ce traité exigeant, de manière générale, que les travailleurs de l’Union européenne soient libres d’aller travailler dans tout pays de l’Union sans discrimination fondée sur la nationalité. Dans l’affaire intéressant des fonctionnaires publics : Re Public Employees : E.C. Commission v. Belgium[88] , la Cour européenne a défini la notion d’ « administration publique » et estimé que les États membres ne pouvaient instituer de restrictions fondées sur la citoyenneté que pour les postes qui « exigent une participation directe ou indirecte à l’exercice de pouvoirs conférés par une loi publique et dont les fonctions sont destinées à la sauvegarde des intérêts généraux de l’État »[89]. La Cour a expliqué que si elle retenait dans cette affaire une définition fonctionnelle si ajustée, c’était que[90] :

[traduction] De tels postes supposent en fait de la part de ceux qui les occupent l’existence d’un rapport spécial d’allégeance avec l’État et la réciprocité des droits et des devoirs qui sont à la base du lien que constitue la nationalité.

[91]      Cette décision encourage, certes, le libre mouvement des travailleurs au sein de l’Union européenne, mais elle n’offre aucun recours aux citoyens de pays extérieurs à ce marché commun. Pour eux, les restrictions absolues inscrites dans le droit national de chaque pays continuent à s’appliquer.

[92]      Je conviens avec les appelantes que toutes les sociétés libres et démocratiques qui ont instauré une préférence fondée sur la citoyenneté l’ont fait pour des raisons à la fois diverses et complexes liées à leurs particularités historiques et en rapport direct avec leurs traditions respectives[91]. Il me semble difficile de fonder sur cette comparaison une conclusion nette à cet égard, si ce n’est pour dire que les liens spéciaux noués entre les citoyens et l’État ont une très longue histoire.

c)         Le critère de la proportionnalité

[93]      Il y a lieu maintenant, selon le critère dégagé dans l’arrêt Oakes, de dire si les moyens choisis pour réaliser l’objectif sont proportionnés à celui-ci. Il s’agit d’une analyse tripartite où l’on doit a) se demander s’il existe, entre les moyens choisis et l’objectif, un lien rationnel, b) dans l’affirmative, si ces moyens portent au droit en question l’atteinte la plus faible possible, et c) s’il existe entre l’effet de la restriction imposée et l’objectif fixé par le législateur un équilibre satisfaisant.

[94]      Je m’arrêterai principalement à ce critère en trois volets de proportionnalité. Non pas tellement en ce qui concerne le lien rationnel puisque, selon la prépondérance des probabilités, il est logique que le Parlement cherche à encourager les résidents permanents à obtenir leur naturalisation et à participer plus pleinement aux affaires de l’État en leur offrant cette incitation supplémentaire qu’est un accès plus large aux postes de la fonction publique.

[95]      Il s’agit surtout de savoir si la disposition contestée a été soigneusement conçue afin de nuire le moins possible aux chances d’emploi des résidents permanents. Le législateur aurait-il pu réaliser son objectif en instaurant une préférence moins restrictive? En limitant, par exemple, la préférence aux postes les plus sensibles où l’on pourrait considérer que la citoyenneté est effectivement nécessaire pour des raisons de sécurité? Ou aux postes où l’allégeance peut paraître essentielle? Les appelantes auraient-elles dû attirer l’attention de la Cour sur des mesures moins draconiennes? Convenait-il de préférer le modèle australien, qui exclut totalement les non-citoyens après une période de mise à l’épreuve de deux ans?

[96]      Il n’est pas facile d’appliquer le critère de l’atteinte minimale. Dans l’arrêt Libman c. Québec (Procureur général)[92], qui portait sur la liberté d’expression, la Cour suprême du Canada a réitéré certains des principes essentiels applicables en ce domaine. La Cour rappela, en effet que :

Dans l’arrêt RJR-MacDonald, précité, le juge McLachlin explique en ces termes l’application du critère de l’atteinte minimale, aux pp. 342 et 343 :

[L]e gouvernement doit établir que les mesures en cause restreignent le droit à la liberté d’expression aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l’objectif législatif. La restriction doit être « minimale », c’est-à-dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d’adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation …

Notre Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que, dans les domaines sociaux, économiques ou politiques où le législateur doit concilier des intérêts différents afin de choisir une politique parmi plusieurs qui pourraient être acceptables, les tribunaux doivent faire preuve d’une grande retenue face aux choix du législateur en raison de sa position privilégiée pour faire ces choix. À l’opposé, les tribunaux seront plus sévères face aux choix du législateur dans les domaines où l’État joue le rôle d’« adversaire singulier de l’individu »—principalement en matière criminelle—en raison de leur expertise dans ces domaines (Irwin Toy , précité, aux pp. 993 et 994; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, aux pp. 304 et 305; Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483, à la p. 521; RJR-MacDonald, précité, aux pp. 279, 331 et 332). À ce sujet, le commentaire du juge La Forest, dans l’arrêt RJR-MacDonald, précité, est tout à fait à propos, à la p. 277 :

Les tribunaux sont des spécialistes de la protection de la liberté et de l’interprétation des lois et sont, en conséquence, bien placés pour faire un examen approfondi des lois en matière de justice criminelle. Cependant, ils ne sont pas des spécialistes de l’élaboration des politiques et ils ne devraient pas l’être. Ce rôle est celui des représentants élus de la population, qui disposent des ressources institutionnelles nécessaires pour recueillir et examiner la documentation en matière de sciences humaines, arbitrer entre des intérêts sociaux opposés et assurer la protection des groupes vulnérables.

[97]      Ces propos sont en l’espèce d’une pertinence essentielle.

[98]      Je me range, en dernière analyse, au point de vue suivant. La disposition contestée est la manifestation d’une politique gouvernementale de valorisation et d’incitation au moyen d’un statut combinant droits et obligations. En déclarant inopérant l’alinéa 16(4)c) de la Loi, la Cour s’introduirait dans un domaine où les droits et les obligations doivent être équilibrés. Or, dans un tel domaine, il y a lieu de reconnaître au législateur une « marge d’appréciation »[93].

[99]      Des concepts tels que l’allégeance envers la nation et la citoyenneté peuvent paraître dépassés à une époque où l’on parle de village planétaire. On peut souhaiter qu’un jour nous soyons tous citoyens du monde. À l’heure actuelle, de tels concepts, y compris les droits et obligations s’y rattachant, relèvent de la sphère politique. Ce ne sont pas des concepts définis par les tribunaux. Ainsi, les limites aux restrictions à l’emploi dans la fonction publique ne peuvent pas entièrement faire fi de considérations d’ordre politique. Un tribunal peut intervenir en cas de violation de droits reconnus par la Charte. Mais la préférence en matière d’emploi, à l’inverse d’une exclusion radicale des postes de la fonction publique, n’entre pas dans cette catégorie. Il en est particulièrement ainsi parce que le Canada admet la double nationalité, ce qui réduit les difficultés qu’entraîne pour les résidents permanents l’instauration d’une préférence en faveur des citoyens[94].

[100]   Le dernier élément à considérer selon le critère dégagé dans l’arrêt Oakes est l’équilibre entre les restrictions apportées à un droit fondamental et l’objectif invoqué par l’État pour justifier ces restrictions. Il s’agit de jauger la gravité de l’atteinte à un droit et l’importance des objectifs censés la justifier. Ayant, sur ces deux points, tranché en faveur de la disposition en cause, je ne peux que conclure que l’importance des objectifs visés par la législation l’emporte sur le désavantage qu’elle entraîne[95].

IV —Conclusion

[101]   Je suis convaincue que la disposition contestée en l’espèce est le fruit d’un exercice raisonnable, par le législateur, des compétences qu’il a en matière de citoyenneté. Il ne s’agit ni d’un déguisement, ni d’un abus de pouvoir.

[102]   Le désavantage qu’entraîne la disposition en cause n’a pas de rapport avec la dignité humaine des résidents permanents. Ceux-ci ne sont ni privés de travail, ni empêchés d’exercer leur profession dans d’autres secteurs de l’administration publique (par opposition à la fonction publique). On leur refuse un traitement préférentiel dans un secteur de l’économie canadienne où l’on accorde de la valeur au statut de citoyen. Cela dit, la citoyenneté leur reste entièrement accessible. La politique qui a inspiré l’alinéa 16(4)c) de la Loi peut avoir une fonction d’intégration et d’égalisation plutôt qu’une fonction d’exclusion.

[103]   La citoyenneté et la résidence permanente supposent, par leur nature même, des différences de caractéristiques. On ne saurait donc les comparer. Le citoyen assume un certain nombre de devoirs, ce qui n’est pas le cas du résident permanent. Par conséquent, les citoyens canadiens et les résidents permanents ne sont pas dans une « situation analogue »[96]. Il n’est pas possible de se livrer à une comparaison valable au regard du paragraphe 15(1) de la Charte. Le contexte est tel que la citoyenneté ne saurait en l’espèce être l’élément de comparaison[97].

[104]   Dans un tel contexte, la préférence accordée aux citoyens canadiens lors de concours publics en vue de postes dans la fonction publique n’est pas contraire au principe du mérite inscrit à l’article 10 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 10] de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Le principe du mérite s’applique aux personnes admissibles aux termes de la Loi.

[105]   Je suis d’avis de rejeter les présents appels en accordant un seul mémoire de dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[106]   Le juge Linden, J.C.A. (dissident) : Je suis en désaccord avec mes deux collègues.

I.          Introduction

[107]   Il s’agit de savoir, en l’espèce, si la politique « les Canadiens d’abord » inscrite dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique[98] est contraire à la disposition de la Charte canadienne des droits et libertés en matière d’égalité, qui prévoit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

II.         Les faits

[108]   L’affaire a son origine dans la plainte déposée par les trois demanderesses : Janine Bailey, Elisabeth Lavoie et Jeanne To Thanh Hien, qui étaient, à l’époque en cause, résidentes permanentes, mais non citoyennes du Canada. Elles avaient toutes trois postulé un emploi dans la fonction publique, et toutes trois ont rapporté la preuve[99] qu’on avait refusé de les présenter à un concours public pour des postes de la fonction publique, sur le fondement de l’alinéa 16(4)c) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, qui prévoit :

16. […]

(4) Dans le cadre d’un concours public et en vue de l’établissement, conformément à la présente loi, d’une liste d’admissibilité, la Commission apprécie s’il y a suffisamment de postulants qualifiés qui sont :

a) des pensionnés de guerre selon la définition de l’annexe II;

b) des anciens combattants, selon la définition de l’annexe II, ne tombant pas dans la catégorie définie par l’alinéa a), ou des veufs ou veuves d’anciens combattants selon la définition de cette annexe II;

c) des citoyens canadiens autres que ceux visés par les alinéas a) ou b).

Elle peut, lorsqu’elle estime leur nombre suffisant, limiter la sélection prévue au paragraphe (1) soit aux postulants mentionnés à l’alinéa a), soit à ceux mentionnés aux alinéas a) et b), soit à ceux mentionnés aux alinéas a), b) et c).

[109]   Les appelantes sont toutes trois citoyennes de pays européens. Mme Bailey est Hollandaise, Mme Lavoie est Autrichienne, et Mme Hien est Française. Toutes sont instruites et toutes ont un métier : Mme Bailey a un diplôme de droit décerné par une université hollandaise, Mme Lavoie est administratrice de bureau, et Mme Hien est rédactrice en langue française, titulaire d’une maîtrise en langues modernes de l’Université Paris X. Elles avaient toutes trois postulé des emplois dans leurs domaines respectifs de compétence.

[110]   Dans leur témoignage, Mme Bailey et Mme Lavoie, qui, en obtenant leur naturalisation, auraient automatiquement perdu leur citoyenneté d’origine, ont évoqué les motifs personnels qui les avaient poussées à ne pas se faire naturaliser au Canada. Janine Bailey, par exemple, a témoigné qu’elle devait conserver le droit d’entrer librement et de demeurer en Hollande afin d’aller voir ses parents âgés et de s’occuper d’eux. Mme Hien a acquis la citoyenneté canadienne en 1991 et a maintenant la double nationalité.

[111]   Les trois demanderesses ont toutes occupé, au sein de la fonction publique fédérale, des postes temporaires ou à contrat. Mme Bailey avait été engagée, pour une durée déterminée, en tant que réceptionniste (niveau CR-03), et, dans le cadre d’un concours interne, avait été nommée à un poste à durée déterminée de conseillère en immigration (niveau PM-02). Depuis le 31 mars 1992, elle occupait un poste intérimaire d’agent de présentation des cas de niveau PM-03. Elisabeth Lavoie a travaillé pour le ministère des Approvisionnements et Services dans le cadre de toute une série de contrats à court terme, puis elle y a travaillé comme secrétaire par l’intermédiaire d’une agence d’intérim. Le 25 novembre 1988, le contrat entre l’agence d’intérim et le ministère des Approvisionnements et Services, dans le cadre duquel Mme Lavoie travaillait, n’a pas été renouvelé. C’est alors que Mme Lavoie se chercha un emploi hors de la fonction publique fédérale. Jeanne To Thanh Hien avait, elle aussi, été engagée pour des tâches de secrétariat dans divers organismes gouvernementaux, par l’intermédiaire d’une agence d’intérim. En mars 1989, elle fut nommée, pour une durée déterminée, à un poste de secrétaire au Secrétariat d’État. À cette époque, le Ministère la muta au Bureau des traductions afin de tirer meilleur profit de ses aptitudes. Mais, en mai 1989, elle fut nommée à un poste de secrétaire. Elle quitta la fonction publique fédérale en septembre 1989 et, depuis lors, travaille comme traductrice contractuelle à la Chambre des communes.

[112]   Les appelantes désirent simplement avoir la possibilité de concourir pour des postes sur la base du seul mérite. Elles ne demandent aucun traitement de faveur. Le gouvernement a pour sa part reconnu que le nombre de non-citoyens présentés lors de concours publics pour des emplois dans la fonction publique est très faible. Dans leurs témoignages, les trois demanderesses ont reconnu que le fait d’avoir conservé leur citoyenneté d’origine leur permettait de bénéficier d’un traitement préférentiel en matière d’emploi dans les pays de l’Union européenne et au sein de la fonction publique de leurs pays d’origine respectifs.

III.        LA LEFP

[113]   L’avocat des appelantes a fait remarquer que la LEFP a pour objet d’assurer que la fonction publique du Canada engage les meilleurs candidats possibles, dans les conditions les plus équitables possibles[100], et sans discrimination. L’article 10 de la Loi exige que les nominations se fassent au mérite :

10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l’administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique. [Non souligné dans l’original.]

[114]   Le paragraphe 12(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 11] de la Loi explique ce que le législateur a voulu en prévoyant que les nominations aient lieu au mérite :

12. (1) Pour déterminer, conformément à l’article 10, les principes de la sélection au mérite, la Commission peut fixer des normes de sélection et d’évaluation touchant à l’instruction, aux connaissances, à l’expérience, à la langue, au lieu de résidence ou à tout autre titre ou qualité nécessaire ou souhaitable à son avis du fait de la nature des fonctions à exécuter et des besoins, actuels et futurs, de la fonction publique.

[115]   Les paragraphes 12(3) [mod., idem] et 12(4) [mod., idem] de la Loi imposent à la Commission de ne pas faire intervenir de distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles non pertinentes—y compris l’origine nationale—à moins que ces caractéristiques ne correspondent à des exigences justifiées par la nature des fonctions.

12. […]

(3) Dans la formulation ou l’application de telles normes, la Commission ne peut faire intervenir de distinctions fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

(4) Le paragraphe (3) ne s’applique pas à la formulation ou à l’application de normes dont les exigences sont justifiées par la nature des fonctions d’un poste.

[116]   Il convient de noter que la LEFP ne s’applique qu’à cette partie de la fonction publique fédérale que la Loi définit [à l’article 2] comme étant la « fonction publique ». Cette définition comprend les ministères figurant à la partie I de l’annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique , ainsi que certains des employeurs figurant à la partie II de cette annexe, y compris quelque 90 ministères et organismes, notamment les postes pourvus par la Commission de la fonction publique, les employés civils de la GRC, le Conseil national des relations de travail, la Commission canadienne des droits de la personne et la Cour fédérale. Citons, parmi les employeurs auxquels le LEFP ne s’applique pas, le personnel militaire, les membres de la GRC qui portent l’uniforme et les employés des sociétés d’État.

[117]   La LEFP régit la dotation d’environ la moitié des postes de la fonction publique, au sens large du terme, c’est-à-dire à peu près 250 000 emplois. Seuls les concours pourvus en vertu de la LEFP sont visés par la préférence accordée aux citoyens en vertu de l’alinéa 16(4)c). En outre, seuls les concours publics sont régis par l’alinéa 16(4)c) de la LEFP. Les concours publics sont les concours ouverts à la fois à des membres de la fonction publique et à des gens de l’extérieur. Les concours internes sont ceux qui ne sont ouverts qu’aux personnes occupant déjà un emploi dans la fonction publique. La plupart des postes spécialisés sont dotés par concours interne et non par concours public.

IV.       Conception évolutive de la citoyenneté canadienne

[118]   Comme le pays lui-même, les conceptions qu’on a de la citoyenneté canadienne ont évolué petit à petit à partir du concept de sujet britannique. Ce développement n’a pas été sans controverse. Les spécialistes canadiens de la question, contrairement à leurs homologues américains, considèrent que la citoyenneté est un concept à géométrie variable, en partie du fait de l’absence d’un point de référence commun. Des graves controverses concernant la conscription aux débats sur la composition de la société canadienne, la citoyenneté n’a jamais, au cours de notre histoire, eu un sens net et univoque[101]. Si, aux États-Unis, les spécialistes débattent du sens que revêt, à l’époque moderne, la citoyenneté dans ce pays[102], le concept de citoyenneté américaine est solidement ancré dans la constitution des États-Unis d’Amérique et dans l’optique des constituants.

[119]   Au Canada, il existe plusieurs manières de concevoir la chose et la notion de citoyenneté est difficile à cerner. Cairns, par exemple, invoque le concept d’un Canada à « trois nations », dans le cadre duquel le Québec, les Canadiens autochtones et le « reste du Canada » apportent à la citoyenneté et à la communauté des points de vue distincts qui inspirent et influencent nos efforts en vue d’une cohésion ou d’une unité nationale toujours plus grande[103]. Sigurdson compare la notion libérale-individualiste de la citoyenneté avec une manière plurielle et universaliste d’aborder la question, estimant que les deux approches, considérées isolément, manquent de certains éléments susceptibles de déboucher sur une conception satisfaisante de ce que constitue la citoyenneté canadienne[104]. Il pense que la citoyenneté canadienne tourne autour d’un noyau d’idées inspirées de l’individualisme, les citoyens étant à même de choisir leur propre identité et ayant tous des chances égales de s’exprimer et de manifester leur pluralisme, les divers groupes étant différemment traités afin d’assurer une égalité véritable. Sigurdson conclut en disant qu’aucun de ces idéaux abstraits ne fournit une base suffisamment solide au concept de citoyenneté canadienne. Colom-González distingue quatre « modèles » de citoyenneté« le modèle républicain, le modèle libéral, le modèle ethnoculturel et le modèle multiculturel »à partir desquels les Canadiens, par un délicat jeu d’équilibre, ont façonné une identité nationale. Pour Colom-González, chacun de ces modèles de citoyenneté est compatible avec l’idéal démocratique et chacun rend compte d’une expérience historique différente. D’après lui, le Canada a créé, par l’équilibre de ces idéaux, un concept de citoyenneté qui lui est particulier[105].

[120]   Comme toute catégorie distinctive, la citoyenneté a souvent servi à exclure. Une conception nationaliste de la citoyenneté, fondée sur la loi du sang, a été invoquée dans des pays qui entendaient protéger contre les immigrants une communauté nationale « pure » fondée sur la race. Le Reich allemand est à cet égard un exemple notoire. D’autres pays ont élaboré des concepts très divers de la citoyenneté. Au Royaume-Uni, par exemple, le concept de citoyenneté est lié à celui de Commonwealth britannique. Les citoyens du Commonwealth et les citoyens britanniques forment deux catégories distinctes, mais tout citoyen du Commonwealth, tel que défini par le British Nationality Act 1981 [(R.-U.), 1981, ch. 61], peut voter en Angleterre[106]. L’Union européenne est l’exemple même d’un ensemble supranational qui accorde largement aux citoyens des pays membres des droits politiques et juridiques réciproques, sans instituer pour cela de liens interpersonnels entre ses citoyens[107]. Contrairement à cette tendance européenne à l’inclusion, les États-Unis ont récemment adopté des mesures ayant pour effet de renforcer la ligne qui sépare les citoyens des résidents permanents. Le Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act of 1996 [Pub. L. No. 104-193, 110 Stat. 2105 (1996)] exclut les étrangers, y compris les résidents permanents, de [traduction] « tout contrat, subvention, prêt, licence professionnelle ou commerciale fournie par une agence du gouvernement des États-Unis » et [traduction] « toute prestation de retraite, de bien-être social, de santé, d’incapacité, de logement public ou subventionné, d’enseignement post-secondaire, d’aide alimentaire ou d’assurance-chômage ou tout autre avantage de cet ordre »[108].

[121]   Si, par le passé, le Canada n’a pas toujours accordé respect et dignité aux immigrants et aux néo-Canadiens[109], la situation récente du Canada, qui est celle d’une société multiculturelle, a redéfini, et à certains égards battu en brèche, une conception plus traditionnelle et plus exclusive de la citoyenneté[110]. Cette conception plus large et plus inclusive qui s’est développée au Canada s’accompagne de retombées importantes sur le plan juridique. La citoyenneté est vue comme un but que tous les néo-Canadiens peuvent atteindre. C’est un instrument d’égalité et non pas d’exclusion.

[122]   C’est pour cela que, par notre loi suprême, nous avons fixé des limites aux modes de différenciation que le gouvernement peut prescrire entre les citoyens et les non-citoyens. Plus précisément, nous avons limité les genres de droit se rattachant à la citoyenneté. En effet, les non-citoyens jouissent de presque tous les droits reconnus aux citoyens. Robert Sharpe, doyen à l’époque, a écrit que l’une des valeurs essentielles du Canada nous empêche, du fait de la Charte, de préférer nos concitoyens au détriment des étrangers :

[traduction] Vu la garantie d’égalité énoncée à l’article 15 et la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Andrews c. Law Society of British Columbia, la Charte limite sensiblement la possibilité que les gouvernements ont d’accorder des avantages ou d’imposer des restrictions en fonction de la citoyenneté. Autrement dit, non seulement la citoyenneté n’a-t-elle pas été retenue en tant que condition préalable à l’invocation de la plupart des droits reconnus dans la Charte : la citoyenneté devient elle-même une distinction juridique hautement suspecte[111].

V.        La citoyenneté et la Charte canadienne des droits et libertés

[123]   En vertu de notre Charte, la plupart des droits énoncés sont reconnus à toutes les personnes assujetties à la loi canadienne. Seuls certains droits précis—les droits démocratiques, la liberté de circulation et d’établissement et les droits se rattachant à la langue de la minorité« sont, selon la Charte, réservés aux citoyens. Il s’agit des droits énoncés à l’article 3, au paragraphe 6(1) et à l’article 23 de la Charte, qui prévoient :

3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

[…]

6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

[…]

23. (1) Les citoyens canadiens :

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,

ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

(2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

(3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province :

a) s’exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité;

b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

[124]   La nomination au Sénat fait, elle aussi, l’objet d’une réserve constitutionnelle [dans la Loi constitutionnelle de 1867] :

23. Les qualifications d’un sénateur seront comme suit :

[…]

(2) Il devra être sujet-né de la Reine, ou sujet de la Reine naturalisé par loi du parlement de la Grande-Bretagne, ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, ou de la législature de l’une des provinces du Haut-Canada, du Bas-Canada, du Canada, de la Nouvelle-Écosse, ou du Nouveau-Brunswick, avant l’union, ou du parlement du Canada, après l’union;

[125]   Mon collègue le juge Décary, J.C.A. a, dans un autre contexte, écrit que « [l]a citoyenneté canadienne de naissance est un privilège hautement estimé »[112]. Il conviendrait, d’après moi, que ce sentiment englobe la citoyenneté canadienne quelle que soit la manière dont elle a été acquise. La citoyenneté canadienne est un privilège précieux, non pas en raison des avantages économiques qu’elle procure à ceux qui la possèdent, mais pour les liens qu’elle crée. Or, ces liens ne sont pas fondés sur l’exclusion.

[126]   La Charte et la jurisprudence à laquelle elle a donné lieu permettent de faire certaines distinctions entre les citoyens et les non-citoyens. Dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), le juge Sopinka a écrit au nom de la Cour :

J’estime, pour les motifs exposés par le juge Pratte en Cour d’appel fédérale, qu’il n’y a pas eu violation de l’art. 15. Comme je l’ai déjà indiqué, l’art. 6 de la Charte prévoit expressément un traitement différent à cet égard pour les citoyens et les résidents permanents. Si les résidents permanents jouissent aux termes du par. 6(2) de certains droits à la liberté de circulation, seuls les citoyens se voient conférer au par. 6(1) le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir. Ne constitue donc pas une discrimination interdite par l’art. 15 un régime d’expulsion qui s’applique aux résidents permanents, mais non aux citoyens[113].

[127]   Dans l’arrêt Chiarelli, qui portait sur la constitutionnalité des dispositions de la Loi sur l’immigration concernant l’expulsion de certains non-citoyens, la Cour a estimé que ces dispositions étaient valides au plan constitutionnel. Le fait que le droit de demeurer au Canada ou d’y entrer soit inscrit dans la Charte a permis de trancher la question. Il ne fait aucun doute que certains des droits des citoyens sont protégés par la Charte. Cela dit, ces mêmes droits sont également limités par la Charte. Ayant à se prononcer, au nom de la Cour, sur l’appel interjeté dans l’affaire Chiarelli, le juge Pratte, J.C.A. a écrit :

L’appelant a […] soutenu que le paragraphe 32(2) viole le droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte. Il a présenté deux arguments sur ce point. Voici le premier. Le paragraphe 32(2) contrevient à l’article 15 parce qu’il exerce une discrimination contre des résidents permanents en exigeant d’eux qu’ils soient déportés alors que dans des circonstances semblables, les citoyens canadiens peuvent demeurer au pays. Cet argument n’est pas fondé. S’il était accepté, cela signifierait que la Charte garantit aux résidents permanents un droit égal à celui des citoyens canadiens de demeurer au pays. Ce n’est pas le cas. La Charte elle-même, aux paragraphes 6.1 et 6.2, établit une distinction entre les droits des citoyens canadiens et des résidents permanents à cet égard. Il est clair que, sous réserve de l’article 1, la Charte garantit aux citoyens canadiens le droit de demeurer au Canada. Il est tout aussi clair que la Charte ne garantit pas ce même droit aux résidents permanents. La Charte reconnaît donc implicitement le pouvoir du Parlement d’établir une distinction entre les citoyens canadiens et les résidents permanents en imposant des limites aux droits des résidents permanents de résider au Canada. La situation serait différente si le Parlement ou une assemblée législative provinciale voulait établir une distinction entre les résidents permanents et les citoyens à un autre niveau qu’à celui de la détermination des limites des droits des résidents à demeurer au pays. C’était notamment le cas dans l’affaire Andrews c. Law Society of British Columbia, dans laquelle la Cour suprême du Canada a statué qu’une loi interdisant aux résidents permanents le droit de pratiquer le droit était discriminatoire et contraire aux dispositions de l’article 15 de la Charte[114]. [Non souligné dans l’original; les notes en bas de page n’ont pas été reprises.]

[128]   Dans les cas où les distinctions fondées sur la citoyenneté ne découlent pas de droits reconnus dans la Charte, la Cour suprême a estimé que ces distinctions peuvent constituer des formes de discrimination. Dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, le juge La Forest a pris soin de noter que la citoyenneté comporte certaines limites quant aux distinctions auxquelles elle peut donner lieu :

Il ne fait aucun doute que la citoyenneté peut, dans certains cas, servir à bon droit de caractéristique distinctive relativement à certains types d’objectifs légitimes du gouvernement. Je suis sensible au fait que la citoyenneté confère un statut très particulier qui ne comporte pas seulement des droits et des obligations, mais qui remplit la fonction très importante de symbole identifiant les gens comme membres de l’État canadien. Néanmoins, la citoyenneté n’a généralement rien à voir avec les activités légitimes d’un gouvernement, si ce n’est dans un nombre restreint de domaines. Dans l’ensemble, l’emploi dans une mesure législative de la citoyenneté comme motif de distinction entre individus, en l’espèce pour conditionner l’accès à l’exercice d’une profession, comporte le risque de miner les valeurs essentielles ou fondamentales d’une société libre et démocratique qui sont enchâssées à l’art. 15[115]. [Non souligné dans l’original.]

[129]   Dans ses motifs concordants, le juge Wilson a expliqué pourquoi il en allait ainsi :

Comparativement aux citoyens, les personnes qui n’ont pas la citoyenneté constituent un groupe dépourvu de pouvoir politique et sont, à ce titre, susceptibles de voir leurs intérêts négligés et leur droit d’être considéré et respecté également violé. Ils font partie de [traduction] « ces groupes de la société dont les besoins et les aspirations ne suscitent apparemment pas l’intérêt des représentants élus » […] Pour ne citer que l’exemple le plus évident, ceux qui n’ont pas la citoyenneté n’ont pas le droit de vote[116].

[130]   Depuis l’arrêt Andrews, les commentateurs[117] ont expressément relevé que la citoyenneté était un motif constitutionnellement suspect pour établir des distinctions entre des personnes. Les tribunaux l’ont eux-mêmes reconnu. Dans l’affaire Pearkes c. Canada, la Cour fédérale (Section de première instance) a estimé que certaines subventions du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, dont ne pouvaient pas bénéficier à l’étranger des résidents permanents du Canada, étaient contraires à l’article 15 de la Charte et ne se justifiaient pas au regard de l’article premier. Dans cette affaire, le juge Pinard a écrit que :

[…] l’application par le CRSH de la règle attaquée ne peut qu’être discriminatoire à l’égard des résidents permanents qui n’enseignent pas dans une université et qui désirent faire une demande de bourse pour étudier à l’étranger. Ces personnes ont droit à un traitement reposant sur le mérite de leur dossier. On ne peut rejeter sommairement leur candidature à cause de stéréotypes et de motifs discriminatoires découlant de leur statut de non-citoyens[118].

[131]   Dans l’affaire Austin v. British Columbia (Ministry of Municipal Affairs, Recreation & Culture)[119], la Cour suprême de la Colombie-Britannique a eu à se pencher sur l’article 12 de la Public Service Act [S.B.C. 1985, ch. 15] de la Colombie-Britannique, selon lequel le gouvernement de la Colombie-Britannique ne devait engager que des citoyens canadiens, à moins qu’aucun citoyen qualifié ne postule l’emploi. Dans cette affaire, le gouvernement de la Colombie-Britannique a reconnu que la disposition contestée était contraire au paragraphe 15(1) de la Charte. Avant de conclure que la disposition en question ne respectait aucun aspect du critère dégagé dans l’affaire Oakes, le juge Maczko a écrit que :

[traduction] La discrimination qu’établit indiscutablement cette loi est de la pire sorte. Elle accorde ou non les occasions d’emploi en fonction du statut et non pas du mérite, ou des réalisations. Ce genre de discrimination est foncièrement incompatible avec une société qui attache la plus haute importance à la valeur personnelle, fruit du travail et de l’esprit d’entreprise. J’estime que le droit de faire carrière dans un domaine que l’on choisit l’emporte largement sur l’objectif visé par le gouvernement en l’occurrence[120].

[132]   La conclusion[121] est donc que les tribunaux doivent examiner avec scepticisme toute disposition législative qui établit une distinction entre des personnes en raison de leur statut respectif de citoyen ou de non-citoyen. Permettre des distinctions fondées sur la citoyenneté sans exiger que l’on justifie les motifs invoqués à l’appui de ce genre de mesure est, d’une manière générale, non seulement contraire à la loi suprême du pays, mais également aux principes d’inclusion et de diversité qu’incorpore cette loi.

VI.       Bref historique de la préférence accordée aux citoyens

[133]   Comme le concept même de citoyenneté, la préférence reconnue aux citoyens par l’actuel alinéa 16(4)c) de la LEFP s’est développée à partir d’une disposition antérieure. L’exigence voulant que toutes les personnes passant un examen de la fonction publique soient des sujets britanniques résidant au Canada depuis au moins trois ans était inscrite à l’article 14 de la Loi de 1908 modifiant la Loi du service civil[122]. À l’époque, l’honorable Sydney Fisher déclara, au cours de l’examen du projet de loi en deuxième lecture :

Notre intention était d’admettre dans le service les personnes vraiment domiciliées au Canada. Sans cette disposition, une personne pourrait venir au Canada « courir le risque » d’être admise à l’épreuve du concours[123] .

La condition de résidence de trois ans correspondait aux conditions de résidence fixées dans l’Acte canadien de 1881 sur la naturalisation[124].

[134]   En 1918, la Loi du Service civil, 1918[125] instaurait une exception permettant au gouverneur en conseil d’autoriser ceux qui ne répondaient pas aux conditions fixées dans la Loi de 1908 modifiant la Loi du service civil de prendre part aux examens de la fonction publique. En 1932, la préférence en faveur des citoyens[126] fut à nouveau modifiée, la condition de résidence étant portée de trois à cinq ans [S.C. 1932, ch. 40, art. 6]. Cela allait de pair avec la Loi de naturalisation qui, elle aussi, avait été modifiée, les conditions de résidence étant, en ce qui concerne la naturalisation, portées à cinq ans [S.C. 1931, ch. 38, art. 4]. À l’époque, l’honorable O. Boulanger a soutenu, au nom du gouvernement :

Le bill propose de changer la période de résidence de trois ans en une période de cinq ans. Ce changement, je crois, s’accorde avec tout notre système d’après lequel nous accordons aux étrangers la nationalité canadienne. D’après la loi actuelle, un étranger doit demeurer au pays pendant au moins cinq ans avant d’obtenir cette nationalité. Durant les premières cinq années de résidence au Canada, un étranger peut être renvoyé dans son pays. Un homme ne peut être naturalisé au Canada avant d’avoir accompli ses cinq années de résidence au pays et il ne peut exercer le droit de suffrage avant d’avoir fait un séjour similaire ici. Je le soumets respectueusement, on devrait établir les mêmes conditions pour ceux qui cherchent à entrer dans le service civil. S’il est convenable d’exiger un séjour de cinq années au pays avant d’accorder le droit de suffrage à un étranger, avant de lui permettre d’être sujet britannique, on devrait exiger de lui la même période de résidence avant de lui accorder un poste dans le service de l’État. C’est là le but du deuxième amendement[127].

[135]   Après avoir rappelé l’émoi suscité dans les milieux de la presse lorsque, en 1930 « une feuille insignifiante de Montréal » publia une liste des exceptions faites aux conditions de résidence en vue de l’emploi dans la fonction publique, M. Boulanger résuma les objectifs visés par cette disposition, expliquant que :

On peut certainement trouver au Canada des hommes qui rempliront les emplois de gardiens de prison et de chefs de service. On ne devrait pas laisser les questions de ce genre à la discrétion des membres de la Commission du service civil […]

Il est conforme, je crois, à la politique « du Canada d’abord » du présent Gouvernement et je suis certain que le ministère approuvera ce projet de loi et l’appuiera. J’ai donc confiance que la loi du service civil sera modifiée comme le demande ce projet de loi. Nous sommes non seulement en faveur de cette politique du Canada d’abord, mais encore de celles des Canadiens avant tout, politique qui devrait être tout particulièrement appliquée lorsqu’il s’agit de remplir les positions du service civil. C’est certainement ici que les Canadiens devraient avoir la première place[128].

[136]   En 1946, le législateur adopta la Loi sur la citoyenneté canadienne qui créait officiellement le statut de citoyen canadien. Ce faisant, le législateur a, à dessein, repris la condition voulant que les examens de la fonction publique soient réservés à des sujets britanniques (y compris les citoyens canadiens) ayant résidé au Canada depuis cinq ans[129]. En 1961, la préférence accordée aux citoyens fut instaurée grosso modo sous la forme qu’elle a aujourd’hui, privant de traitement préférentiel les sujets britanniques qui n’étaient pas citoyens canadiens.

[137]   En 1979, le Comité spécial sur l’examen de la gestion du personnel et le principe du mérite dans la fonction publique remit son rapport final connu sous le nom de Rapport D’Avignon. Le Rapport examinait la préférence accordée aux citoyens, concluant que :

Dans tous les cas, sauf dans des circonstances exceptionnelles, l’emploi dans la Fonction publique est limité aux citoyens canadiens. Les immigrants reçus et les fonctionnaires ont tour à tour critiqué la nature discriminatoire de cette disposition de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique. Étant donné que le gouvernement fédéral encourage les employeurs du secteur privé à engager des néo-Canadiens, il semblerait logique que les concours publics soient ouverts aux immigrants reçus. En conséquence, nous recommandons

que les personnes ayant le statut de résidents permanents du Canada soient admises à concourir sur la même base que les citoyens canadiens[130].

Le gouvernement ne donna aucune suite à cette recommandation.

[138]   En 1985, le Comité permanent de la justice et des questions juridiques, Sous-comité sur les droits à l’égalité, examina la préférence accordée aux citoyens au regard de la nouvelle Charte canadienne des droits et libertés. Le premier rapport du sous-comité concluait que :

En vertu de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, la préférence doit être accordée d’abord aux anciens combattants, puis aux autres citoyens canadiens, et ce, dans tous les concours publics pour la dotation de postes de fonctionnaires. Par conséquent, les résidents permanents n’ont pas autant de chances que les citoyens canadiens d’entrer dans la Fonction publique.

Nous pensons que cette pratique constitue une forme de discrimination fondée sur l’origine nationale, ce qui contrevient aux dispositions de l’article 15 de la Charte. Certes, cette priorité peut encourager certains résidents permanents à demander leur citoyenneté canadienne dès qu’ils le peuvent, ce qui est évidemment souhaitable, mais ce n’est pas parce qu’une personne tarde à demander la citoyenneté canadienne qu’elle n’est pas pour autant attachée à son pays d’adoption. Comme nous l’avons déjà souligné, certaines personnes hésitent à se faire naturaliser parce que leurs droits en seraient gravement compromis à cause des lois en vigueur dans leur pays d’origine. Par conséquent, il nous semble injuste d’accorder la préférence aux citoyens canadiens par rapport aux résidents permanents qui remplissent les conditions pour l’obtention de la citoyenneté, mais qui n’en ont pas encore fait la demande pour des raisons qui leur sont propres.

Nous sommes incapables de justifier la préférence accordée à un citoyen canadien plutôt qu’à un résident permanent avec au moins trois ans de résidence lorsqu’il s’agit de combler des postes dans la Fonction publique. La citoyenneté canadienne n’est pas un critère d’embauche dans la Fonction publique. Par conséquent, la citoyenneté canadienne ne peut pas être un critère véritable de qualification pour l’emploi au titre de la Loi canadienne des droits de la personne. Nous ne croyons pas non plus qu’on puisse démontrer qu’elle constitue une limite raisonnable, au sens de l’article 1 de la Charte, en tant que liberté découlant d’une discrimination fondée sur l’origine nationale.

38. Nous recommandons que la préférence généralement accordée aux citoyens canadiens lors de concours dans la Fonction publique, en vertu de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, soit éliminée afin que les résidents permanents puissent poser leur candidature pour ces mêmes concours sur un pied d’égalité avec les citoyens canadiens[131].

[139]   Le gouvernement Mulroney répondit par un rapport intitulé Cap sur l’égalité : Réponse au Rapport du Comité parlementaire sur les droits à l’égalité. Dans ce rapport, le gouvernement contestait la recommandation formulée par le Sous-comité, déclarant que :

Le gouvernement ne souscrit pas à cette recommandation. Il estime que la préférence actuellement accordée aux citoyens canadiens est une restriction raisonnable et justifiée, permise par la Charte et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Cette opinion est fondée sur une étude de la nature de la citoyenneté et de son lien avec le rôle de la Fonction publique. Dans leur travail, les fonctionnaires servent et représentent la communauté canadienne en lui garantissant la sécurité, en contribuant à son bien-être physique et économique, et en représentant ses intérêts, au Canada et à l’étranger.

La citoyenneté entraîne tant des privilèges que des responsabilités. Les privilèges comprennent le droit de vote. Une des responsabilités est de promouvoir le bien-être et la sécurité du pays et d’en protéger son mode de vie. Le gouvernement estime que l’un des avantages légitimes de la citoyenneté canadienne devrait être le droit de postuler et d’obtenir de façon préférentielle un emploi dans la Fonction publique fédérale. Ce droit est assujetti à certaines obligations comme la restriction des activités politiques, mais il demeure l’un des avantages de la citoyenneté et une reconnaissance de la valeur que lui accorde la société canadienne.

Soulignons que cette opinion semble prévaloir dans d’autres démocraties occidentales, certaines (par exemple, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, et l’Australie) allant jusqu’à faire de la citoyenneté une condition d’entrée dans la fonction publique plutôt qu’une préférence.

Dans le cadre du système actuel, les non-Canadiens peuvent être recrutés dans la fonction publique fédérale si aucun citoyen canadien ne se qualifie pour l’emploi[132].

[140]   En 1986 le Rapport du Sous-comité sur les droits à l’égalité fut discuté à la Chambre des communes. Défendant la réponse apportée par le gouvernement, l’honorable Pierre Cadieux déclara :

Le but principal de cette mesure consiste à reconnaître ce que nous chérissons et apprécions tous, vous, moi et tous les autres Canadiens, soit que notre citoyenneté en démocratie comporte certains devoirs comme celui de promouvoir le bien-être de la collectivité. Elle comprend aussi, monsieur le Président, certains droits comme le droit de vote. Et l’un des avantages légitimes de la citoyenneté canadienne doit être l’accès prioritaire aux emplois offerts dans la fonction publique fédérale. Il n’est que raisonnable que nous reconnaissions la valeur et l’importance particulière de la citoyenneté canadienne.

Si les résidants [sic] permanents désirent les mêmes droits et obligations, ils ont la possibilité, monsieur le Président, de présenter une demande de citoyenneté canadienne. Après tout, nous leur demandons seulement d’attendre trois ans avant de pouvoir dire, eux aussi, oui je suis Canadien et fier de l’être. Tout citoyen canadien a droit à certains des avantages découlant de la citoyenneté du fait de la valeur que la citoyenneté canadienne attribue au fait d’être citoyen. En outre, le Canada n’est pas le seul pays à estimer que sa fonction publique doit se composer de ses citoyens. En fait, des pays comme les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’Australie vont même plus loin que le Canada, faisant de la citoyenneté une condition d’entrée dans la fonction publique et non seulement un critère de préférence comme chez nous. Il me faut signaler que, par convention internationale, quiconque sert dans le service étranger ou le corps diplomatique d’un pays doit être citoyen de ce pays[133].

[141]   Depuis 1986, la préférence fondée sur la citoyenneté n’a plus guère retenu l’attention du législateur, malgré l’arrêt Andrews, précité, rendu en 1989.

VII.      L’approche canadienne en matière d’égalité

[142]   En matière d’égalité, l’approche retenue par le Canada a toujours favorisé une interprétation large et libérale de la législation antidiscrimination. S’exprimant à l’unanimité sur ce point, la Cour suprême a récemment eu l’occasion de résumer les idéaux qui sont à la base de l’approche canadienne en ce domaine :

Les droits garantis par le par. 15(1) de la Charte sont fondamentaux pour le Canada. Ils reflètent les rêves les plus chers, les espérances les plus élevées et les aspirations les plus nobles de la société canadienne. L’adoption du suffrage universel a eu pour effet de reconnaître, jusqu’à un certain point, l’importance de l’individu. En adoptant le par. 15(1), dont les dispositions ont une large portée et se caractérisent par un grand souci de justice fondamentale, le Canada a franchi une autre étape dans la reconnaissance de l’importance fondamentale et de la dignité inhérente de chacun. Cette démarche est non seulement louable, mais essentielle à la réalisation d’un objectif admirable : le droit de chacun à la dignité. C’est le moyen d’inspirer aux Canadiens un sentiment de fierté. Pour qu’il y ait égalité, la valeur et l’importance intrinsèques de chaque individu doivent être reconnues sans égard à l’âge, au sexe, à la couleur, aux origines ou à d’autres caractéristiques de la personne. Cette reconnaissance devrait alors susciter chez tous les Canadiens un sentiment de dignité et de valorisation tout en leur inspirant la plus grande fierté et la satisfaction d’appartenir à une grande nation.

Presque intuitivement, tous comprennent la notion et le principe de l’égalité et y sont attachés. Il est facile de louer l’égalité comme le fondement d’une société juste qui permet à chacun de vivre dans la dignité et l’harmonie au sein de la collectivité. La difficulté consiste à la réaliser concrètement. Si difficile soit-il, cet objectif mérite qu’on livre une rude bataille pour l’atteindre. Ce n’est que dans un contexte d’égalité réelle que la fraternité et l’harmonie peuvent exister. C’est alors que chacun peut véritablement vivre dans la dignité[134].

[143]   Lorsqu’une action en revendication d’égalité est intentée sur le fondement du paragraphe 15(1) de la Charte, les tribunaux canadiens examinent l’affaire à la lumière de l’approche large et libérale fondée sur l’objet, qui forme la pierre angulaire en matière d’interprétation de la Charte. Dans l’affaire Hunter et autres c. Southam Inc., le juge Dickson (plus tard juge en chef) a écrit :

Je commence par ce qui est évident. La Charte canadienne des droits et libertés est un document qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu’elle enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d’agir à l’encontre de ces droits et libertés; elle n’autorise pas en soi le gouvernement à agir[135].

Et dans l’affaire R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, le juge Dickson a explicité la thèse selon laquelle l’interprétation de la Charte doit se fonder sur les objets mêmes du texte :

Cette Cour a déjà, dans une certaine mesure, énoncé la façon fondamentale d’aborder l’interprétation de la Charte. Dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc. […], la Cour a exprimé l’avis que la façon d’aborder la définition des droits et des libertés garantis par la Charte consiste à examiner l’objet visé. Le sens d’un droit ou d’une liberté garantis par la Charte doit être vérifié au moyen d’une analyse de l’objet d’une telle garantie; en d’autres termes, ils doivent s’interpréter en fonction des intérêts qu’ils visent à protéger[136]. [Renvois omis.]

C’est de ce point de vue là que nous envisageons la question de la constitutionnalité de l’alinéa 16(4)c) de la LEFP.

VIII.     L’alinéa 16(4)c) de la LEFP est-il contraire au paragraphe 15(1) de la Charte?

L’approche à suivre pour ce qui est du paragraphe 15(1) de la Charte

[144]   Alors qu’on a pu relever par le passé, entre les juges de la Cour suprême, certaines différences de point de vue touchant l’approche du paragraphe 15(1) de la Charte, ces différences d’opinion se sont amenuisées avec le passage du temps[137] et sont choses du passé depuis le récent arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[138]. Dans l’arrêt Law, le juge Iacobucci se livre à une synthèse magistrale des divergences de point de vue concernant la manière dont il convient d’appliquer le paragraphe 15(1) de la Charte, parvenant à une nouvelle approche, acceptée unanimement par ses collègues. L’arrêt Law est maintenant le point de départ de toute analyse de mesures discriminatoires au regard de la Charte.

[145]   C’est en ces termes qu’au paragraphe 39 [pages 523 et 524] de ses motifs, le juge Iacobucci résume, s’agissant du paragraphe 15(1), la démarche à suivre :

À mon avis, pour analyser une allégation de discrimination fondée sur le par. 15(1) de la Charte, il convient de faire une synthèse de ces différentes démarches. Appliquant l’analyse énoncée dans Andrews, précité, et l’analyse en deux étapes décrite notamment dans Egan et Miron, précités, le tribunal appelé à décider s’il y a eu discrimination au sens du par. 15(1) devrait se poser les trois grandes questions suivantes. Premièrement, la loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? Si tel est le cas, il y a différence de traitement aux fins du par. 15(1). Deuxièmement, le demandeur a-t-il subi un traitement différent en raison d’un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement était-elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l’objet du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique? Les deuxième et troisième questions servent à déterminer si la différence de traitement constitue de la discrimination réelle au sens du par. 15(1).

[146]   Il y a ainsi, un peu comme avant l’affaire Law, trois questions auxquelles doit répondre la partie qui plaide une violation du paragraphe 15(1) de la Charte. D’abord, le plaignant doit démontrer que la disposition contestée ou la mesure prise par l’État—ou la conséquence de celle-ci —établit une distinction entre lui-même et d’autres personnes. Ensuite, le plaignant doit démontrer que la distinction est fondée sur un des motifs énumérés ou sur un motif analogue[139]. Troisièmement, le plaignant doit démontrer que la distinction fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue est de nature discriminatoire. Les deux premiers aspects de cette analyse ne s’écartent pas de la position antérieure; c’est dans la manière d’aborder le troisième aspect qu’il a fallu modifier la démarche et y incorporer de nouveaux éléments. Nous verrons cela plus en détail ultérieurement.

La disposition législative en cause nie-t-elle un des quatre droits à l’égalité?

[147]   Il s’agit d’abord de savoir si la disposition législative contestée en l’espèce nie l’un des quatre droits à l’égalité. Dans l’arrêt Egan, précité, j’ai noté qu’à cette étape du raisonnement, l’analyse est relativement simple puisqu’il s’agit de savoir si les plaignants sollicitent, comme réparation, des mesures individuelles ou des mesures systémiques, sans chercher pour l’instant à savoir si la distinction contestée est déraisonnable, vexatoire ou irrationnelle[140].

[148]   Il est clair, comme l’a constaté le juge de première instance, que l’alinéa 16(4)c) de la LEFP n’accorde pas les mêmes avantages à tous les individus. Cette disposition est formulée de manière à atteindre le résultat contraire, car elle refuse aux non-citoyens le bénéfice égal de la loi par rapport aux citoyens.

Cette disposition législative nie-t-elle un des quatre droits à l’égalité en raison d’un motif énuméré ou d’un motif analogue?

[149]   Il s’agit, en deuxième lieu, de savoir si la distinction est fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue. L’interrogation sur ce point est parfois malaisée[141], mais, en l’espèce, elle est simple.

[150]   Au Canada, les préjudices traditionnels à l’encontre des non-citoyens, et en particulier à l’encontre des immigrants[142], sont tels que c’est à juste titre que les non-citoyens sont protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte. Dans l’arrêt Andrews, la Cour suprême a estimé que les non-citoyens constituent un groupe analogue à ceux qui sont expressément protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte. Comme nous l’avons vu plus haut, les spécialistes canadiens de la question, et la jurisprudence des tribunaux depuis l’arrêt Andrews, sont d’avis que la non-citoyenneté constitue, aux fins de l’article 15 de la Charte, un motif analogue. Dans l’arrêt Law, précité, la Cour suprême a expressément confirmé la conclusion de l’arrêt Andrews selon laquelle les non-citoyens constituent un groupe analogue auquel s’appliquent les garanties inscrites au paragraphe 15(1) de la Charte[143]. La question est donc réglée : la distinction établie en l’occurrence est fondée sur un motif analogue, à savoir la non-citoyenneté.

La différence entre les distinctions discriminatoires et celles qui ne le sont pas.

[151]   C’est sur la question de savoir si une distinction fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue constitue une discrimination illicite au regard du paragraphe 15(1) de la Charte que l’arrêt Law, précité, innove. Cette nouvelle approche est importante parce qu’elle intègre l’ancienne jurisprudence en y ajoutant de nouveaux éléments. Deux remarques préalables s’imposent ici. D’abord, il n’existe aucune formule ou critère fixé une fois pour toutes permettant de savoir si une distinction fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue est discriminatoire[144]. Deuxièmement, comme nous l’avons vu plus haut, l’analyse en matière de discrimination au Canada est centrée sur l’objet de la loi. Il est explicitement affirmé, dans l’arrêt Law, précité, qu’à chaque étape de l’analyse, on doit insister sur l’objet du texte de loi[145]. Il est bon qu’il en soit ainsi, car il est exclu dans le contexte canadien que l’on donne au paragraphe 15(1) une interprétation qui ait pour effet d’amenuiser ou de dévaloriser le caractère particulier du droit à l’égalité garanti par notre loi fondamentale. Le législateur et la Cour suprême sont à l’unisson sur ce point—la garantie du droit à l’égalité doit être prise au sérieux.

[152]   Malgré les motifs unanimes de la Cour suprême dans l’arrêt Law, précité, différencier les distinctions discriminatoires et celles qui ne le sont pas demeure un exercice complexe. S’agissant de savoir s’il y a eu, aux fins du paragraphe 15(1) de la Charte, une discrimination illicite, une bonne part de ce qui est dit dans l’arrêt Andrews, précité, au sujet de l’égalité, demeure pertinent. Les préceptes formulés dans l’arrêt Andrews, c’est-à-dire que la discrimination n’existe pas dans l’abstrait et que la question impose une analyse comparative[146], que l’analyse de la question au regard de l’article 15(1) doit tendre à une égalité réelle et non pas à une égalité purement formelle[147], et qu’un texte de loi peut établir une discrimination non seulement dans sa formulation même mais aussi dans ses effets[148], sont autant d’éléments qui demeurent importants en matière d’analyse de la question de l’égalité. La Cour suprême a également affirmé de nouveau que, lorsqu’une distinction est établie exclusivement sur le fondement d’un motif énuméré ou d’un motif analogue, cela suffit, en général, à établir l’existence d’une discrimination[149]. Cela ne veut bien sûr pas dire que les distinctions établies sur le fondement de motifs énumérés ou de motifs analogues sont toujours discriminatoires. À cet égard, le juge Iacobucci nous a également rappelé qu’il sera rare de considérer comme discriminatoires des textes de loi ou des mesures étatiques ayant pour objet de tenir compte du mérite ou des capacités particulières de chacun :

Pour l’instant, il suffit de mentionner que, dans Andrews, notre Cour a conclu que le fait qu’une distinction soit fondée sur un motif expressément énuméré au par. 15(1) ou sur un motif analogue, bien qu’il soit suffisant de façon générale pour établir la discrimination, n’entraîne pas automatiquement cette conclusion. Dans certaines circonstances, une distinction fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue ne sera pas discriminatoire. Comme je l’ai mentionné, dans Andrews, le juge McIntyre a indiqué un genre de distinction permise, soit une distinction qui tient compte des différences réelles dans les caractéristiques ou la situation de certaines personnes d’une manière qui respecte et valorise leur dignité et leur différence[150].

[153]   Aucun de ces points, établis dans l’arrêt Andrews, n’innove par rapport à la nouvelle analyse du paragraphe 15(1) retenue dans l’arrêt Law; ils ont été intégrés dans cette nouvelle approche.

[154]   L’arrêt Law, cependant, apporte de nouvelles lumières sur la manière d’établir s’il y a réellement eu discrimination. Au paragraphe 41 [page 525] de ses motifs, le juge Iacobucci souligne que, pour dire qu’une loi ou une autre mesure étatique porte atteinte au paragraphe 15(1), la Cour doit conclure que la mesure étatique en cause est contraire à l’objet même du paragraphe 15(1)[151] :

Depuis ses tout premiers arrêts portant sur le par. 15(1), notre Cour a reconnu qu’il fallait absolument qu’il y ait conflit entre la loi contestée et l’objet du par. 15(1) pour fonder une allégation de discrimination. Ce principe demeure vrai à l’égard de tous les éléments d’une allégation de discrimination. C’est en fonction de l’objet et du contexte qu’il faut déterminer si les dispositions législatives omettent de tenir compte d’un désavantage existant, si un demandeur peut se réclamer de l’un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues, ou si on peut dire que la différence de traitement constitue de la discrimination au sens du par. 15(1). [Non souligné dans l’original.]

[155]   Mais, chose plus importante encore, l’arrêt Law, précité, affirme catégoriquement que « la préservation de la dignité humaine constituait l’objectif fondamental du paragraphe 15(1) »[152]. Cela va dans le sens de bon nombre de propos antérieurs concernant l’égalité (voir la note 134) tenus par la Cour suprême, unanime, dans l’arrêt Vriend c. Alberta, dans lequel les motifs des juges majoritaires et les motifs concordants précisent bien que l’atteinte à la dignité est inhérente en cas d’atteinte au paragraphe 15(1). Dans cette affaire, le juge L’Heureux-Dubé écrivait, dans ses motifs concordants :

Dans l’arrêt Egan c. Canada, […] j’ai exposé de façon similaire la façon dont il convient d’aborder l’égalité :

[A]u cœur de l’art. 15 se situe la promotion d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît en tant qu’êtres humains égaux, tous aussi capables et méritants les uns que les autres. Une personne ou un groupe de personnes est victime de discrimination au sens de l’art. 15 de la Charte si, du fait de la distinction législative contestée, les membres de ce groupe ont l’impression d’être moins capables ou de moins mériter d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne qui méritent le même intérêt, le même respect et la même considération. Ce sont là les éléments essentiels de la définition de la « discrimination »—une définition qui insiste davantage sur l’impact (c’est-à-dire l’effet discriminatoire) que sur les éléments constitutifs (c’est-à-dire les motifs de la distinction). [Souligné dans l’original.]

L’un des éléments essentiels de l’examen permettant de déterminer si une distinction législative est, de fait, discriminatoire au sens du par. 15(1), porte tant sur la vulnérabilité sociale de l’individu ou du groupe concerné que sur la nature du droit auquel il est porté atteinte quant à son importance pour la dignité humaine et la personnalité[153].

[156]   La dignité humaine est donc maintenant solidement ancrée au cœur même de l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte. Tout tribunal appelé à se pencher sur le paragraphe 15(1) de la Charte doit étudier avec attention le lien qui existe entre la loi ou la mesure étatique contestée et la dignité humaine du plaignant. Au paragraphe 51 [page 529] de ses motifs [dans Law], le juge Iacobucci a écrit :

On pourrait affirmer que le par. 15(1) a pour objet d’empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l’imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l’existence d’une société où tous sont reconnus par la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération. Une disposition législative qui produit une différence de traitement entre des personnes ou des groupes est contraire à cet objectif fondamental si ceux qui font l’objet de la différence de traitement sont visés par un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues et si la différence de traitement traduit une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou que, par ailleurs, elle perpétue ou favorise l’opinion que l’individu concerné est moins capable, ou moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne. Subsidiairement, une différence de traitement ne constituera vraisemblablement pas de la discrimination au sens du par. 15(1) si elle ne viole pas la dignité humaine ou la liberté d’une personne ou d’un groupe de cette façon, surtout si la différence de traitement contribue à l’amélioration de la situation des défavorisés au sein de la société canadienne. [Non souligné dans l’original.]

[157]   L’arrêt Law, précité, tente de définir ce qu’est la dignité humaine dans le contexte du paragraphe 15(1). Le juge Iacobucci relève que la dignité est liée à des considérations d’autonomie personnelle, à l’autodétermination, au sentiment d’amour-propre et d’appréciation de sa propre valeur, à l’intégrité physique et psychologique et à la prévention de tout ce qui pourrait marginaliser et dévaluer les personnes et les groupes au sein de la société canadienne. Il écrit [au paragraphe 53, page 530] :

En quoi consiste la dignité humaine? Il peut y avoir différentes conceptions de ce que la dignité humaine signifie. Pour les fins de l’analyse relative au par. 15(1) de la Charte, toutefois, la jurisprudence de notre Cour fait ressortir une définition précise, quoique non exhaustive. Comme le juge en chef Lamer l’a fait remarquer dans Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général) […] la garantie d’égalité prévue au par. 15(1) vise la réalisation de l’autonomie personnelle et de l’autodétermination. La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous-jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne. Au sens de la garantie d’égalité, la dignité humaine n’a rien à voir avec le statut ou la position d’une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu’une personne se sente face à une loi donnée. La loi traite-t-elle la personne injustement, si on tient compte de l’ensemble des circonstances concernant les personnes touchées et exclues par la loi? [Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[158]   L’arrêt Law, précité, définit également le point de vue qu’il convient d’adopter pour apprécier toute action invoquant une violation du paragraphe 15(1). Afin de démontrer qu’il y a eu violation du paragraphe 15(1), le plaignant ne peut pas, de toute évidence, simplement affirmer que sa dignité a été atteinte par une loi. Le point de vue qui s’impose en ce domaine est à la fois subjectif et objectif. Il faut examiner la situation dans l’optique d’une personne raisonnable et relativement bien informée qui se trouverait à la place du plaignant[154]. Le juge Iacobucci prend soin, cependant, de nous mettre en garde contre le recours à ce critère hybride subjectif-objectif pour subvertir le droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1). Au paragraphe 61 [pages 533 et 534] de son jugement, il écrit :

Je me dois d’insister sur le fait que je n’appuie ni n’envisage, de quelque façon que ce soit, une application de la perspective susmentionnée d’une manière qui aurait pour effet de détourner l’objet du par. 15(1). Je suis conscient de la controverse qui existe au sujet du parti pris inhérent à certaines applications de la norme de la « personne raisonnable ». Il est primordial de souligner que la perspective appropriée n’est pas seulement celle de la « personne raisonnable »—une perspective qui, mal appliquée, pourrait servir à véhiculer les préjugés de la collectivité. La perspective appropriée est subjective-objective. L’analyse relative à l’égalité selon la Charte tient compte de la perspective d’une personne qui se trouve dans une situation semblable à celle du demandeur, qui est informée et qui prend en considération de façon rationnelle les divers facteurs contextuels servant à déterminer si la loi contestée porte atteinte à la dignité humaine, au sens où ce concept est interprété aux fins du par. 15(1). [Non souligné dans l’original.]

[159]   L’arrêt Law examine également l’importance du contexte dans le cadre de l’analyse des questions liées à l’égalité. Toute conclusion qu’une loi ou une mesure étatique a des effets néfastes sur la dignité du demandeur doit être tirée à partir du contexte congru. L’arrêt Law définit quatre facteurs contextuels importants susceptibles de contribuer à l’analyse devant permettre de dire si, en raison de la mesure étatique en question, le plaignant a été atteint dans sa dignité : a) un désavantage ou une vulnérabilité préexistante, b) la correspondance entre le motif invoqué à l’appui de la demande et les besoins et capacités effectives du plaignant, c) l’objet ou l’effet d’amélioration possible de la loi sur les groupes désavantagés, et d) la nature et la portée de l’intérêt atteint par la mesure étatique contestée. Notons qu’aucun de ces quatre facteurs ne permet à lui seul de trancher et qu’il peut y avoir d’autres facteurs dont il convient de tenir compte, les facteurs énoncés plus haut n’étant pas nécessairement pertinents dans chaque cas[155]. Il s’agit de savoir, dans un cas donné, si, dans l’optique d’une personne raisonnable se trouvant à la place du demandeur, la différence de traitement imposée par la législation a pour effet de porter atteinte à sa dignité humaine[156]. Le juge Iacobucci a résumé, au paragraphe 88 [pages 550 à 552] de ses motifs, ces quatre facteurs contextuels qu’il est utile de prendre en compte :

(A)  La préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité subis par la personne ou le groupe en cause. Les effets d’une loi par rapport à l’objectif important du par. 15(1) pour ce qui est de la protection des personnes et des groupes qui sont vulnérables, défavorisés ou qui sont membres de « minorités distinctes et isolées », doivent toujours constituer une considération majeure. Bien que l’appartenance du demandeur à un ou plusieurs groupes historiquement favorisés ou défavorisés ne signifie pas, en soi, qu’il y a ait eu atteinte à un droit, la présence de ces facteurs préexistants portera à conclure qu’il y a eu violation du par. 15(1).

(B)  La correspondance, ou l’absence de correspondance, entre le ou les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur ou à d’autres personnes. Bien que le simple fait que les dispositions législatives contestées tiennent compte des caractéristiques et de la situation personnelles du demandeur ne suffira pas nécessairement pour faire rejeter une allégation fondée sur le par. 15(1), il sera généralement plus difficile de démontrer l’existence de discrimination lorsque la loi prend en considération la situation véritable du demandeur d’une manière qui respecte sa valeur en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, et il sera moins difficile de le faire lorsque la loi fait abstraction de la situation véritable du demandeur.

(C) L’objet ou l’effet d’amélioration de la loi contestée eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société. Un objet ou un effet d’amélioration conforme à l’objet du par. 15(1) de la Charte ne portera vraisemblablement pas atteinte à la dignité humaine de personnes favorisées lorsque l’exclusion de ces dernières correspond en grande partie aux besoins plus grands ou à la situation différente propres au groupe défavorisé visé par les dispositions législatives. Ce facteur a une plus grande pertinence lorsque l’allégation fondée sur le par. 15(1) est faite par un membre favorisé de la société.

et

(D) La nature et l’étendue du droit touché par la loi contestée. Plus les effets des dispositions législatives sont graves et localisés pour le groupe touché, plus il est probable que la différence de traitement à la source de ces effets soit discriminatoire au sens du par. 15(1).

[160]   Les motifs exposés par la Cour suprême dans l’arrêt Law établissent explicitement trois choses concernant le fardeau qui incombe au plaignant qui cherche à établir qu’il y a eu violation du paragraphe 15(1) de la Charte. D’abord, il n’est pas tenu de rapporter la preuve concluante d’une atteinte à sa dignité. La connaissance d’office et le raisonnement logique peuvent à eux seuls permettre de conclure que la mesure étatique contestée est contraire au paragraphe 15(1)[157]. Deuxièmement, le plaignant n’est pas tenu d’établir quoi que ce soit dont il ne peut avoir raisonnablement connaissance. Il n’a pas à établir que, lors de l’adoption des mesures législatives contestées, le législateur avait une intention discriminatoire—il est simplement tenu d’établir que, par son objet ou ses effets, la disposition législative en cause porte atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte. Troisièmement, en pratique, il s’agira, dans certaines affaires, de dire si la discrimination établie par la mesure gouvernementale contestée porte atteinte à la dignité. Au paragraphe 82 [page 545] de ses motifs, le juge Iacobucci écrit :

Par exemple, dans les cas où il est clair qu’une loi établit une distinction formelle fondée sur des motifs énumérés ou sur des motifs analogues déjà reconnus, la question en litige se résumera en grande partie à celle de savoir si la loi établit une discrimination d’une manière qui porte atteinte à la dignité du demandeur. De même, dans le cadre de la présentation de sa preuve selon laquelle l’effet négatif d’une loi est de produire une inégalité réelle au moyen d’un traitement formellement identique, le demandeur fera souvent ressortir le fait que la loi porte atteinte à la dignité humaine des personnes touchées, répondant ainsi à deux éléments de l’analyse relative au par. 15(1).

La distinction établie par la loi est-elle contraire au paragraphe 15(1) de la Charte?

[161]   À mon avis, le juge de première instance a décidé à bon droit que la préférence accordée aux citoyens est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte. En un mot, cette distinction établie par la loi refuse aux non-citoyens la possibilité d’un emploi du seul fait qu’ils ne sont pas citoyens. Comme le rappelle l’arrêt Law, il est rare qu’un texte de loi qui nie l’égalité des chances sur le simple fondement d’une caractéristique personnelle ne porte pas atteinte au paragraphe 15(1). Il en est ainsi parce que la démarche fondée sur les motifs énumérés et les motifs analogues vise justement à empêcher l’État d’établir des distinctions sur le fondement de caractéristiques qui, souvent, sont à la base des stéréotypes et de la discrimination[158]. L’arrêt Law reconnaît également que, dans certains cas, des mesures étatiques peuvent établir des distinctions sur l’unique fondement d’un motif énuméré ou d’un motif analogue sans pour cela porter atteinte à la dignité du plaignant. Les tribunaux doivent donc examiner la manière dont les dispositions législatives ou mesures étatiques en cause portent atteinte à la dignité du plaignant. J’ai cité quatre raisons qui expliquent pourquoi ce texte de loi porte atteinte à la dignité humaine des non-citoyens se trouvant à la place des demanderesses. Suivant la démarche proposée par le juge Iacobucci, j’ai eu recours aux facteurs contextuels qu’il avait retenus et à d’autres facteurs encore, mais je n’en ai pas fait une formule fixée une fois pour toutes.

[162]   D’abord, comme l’avait fait remarquer feu le juge Tarnopolsky, historiquement, un des principaux modes de discrimination, au Canada, à l’encontre des non-citoyens (et des immigrants), est le refus de les employer, notamment dans la fonction publique[159]. Ainsi, en adoptant l’alinéa 16(4)c) de la LEFP, le législateur a fait du tort aux membres d’un groupe minoritaire contre lesquels le Canada a, peut-on dire, toujours fait de la discrimination en refusant de les employer et, leur a en outre fait du tort en leur refusant la possibilité même de se trouver un emploi. Alors que le refus d’employer ces personnes dans la fonction publique ne constitue pas nécessairement un affront aux membres d’autres groupes, cela en est très certainement un pour les non-citoyens pour lesquels le refus d’emploi n’est que le prolongement d’odieuses discriminations d’un autre âge. Ainsi, l’alinéa 16(4)c) de la LEFP exacerbe des désavantages historiques, actuels et préexistants, qu’ont dû subir les non-citoyens de notre société. Un tel désavantage préexistant est un des facteurs contextuels énumérés par le juge Iacobucci dans l’arrêt Law (A). Lorsque des textes de loi manifestent aujourd’hui encore l’attitude qui a été la source d’antécédents honteux de discrimination à l’encontre des immigrants et des non-citoyens, le ministère public devrait être tenu de justifier ces mesures à la lumière de la Charte. On continuerait, en décidant autrement, à se laisser régir par les erreurs du passé. Comme le juge Iacobucci l’a écrit au paragraphe 63 [pages 534 et 535] des motifs qu’il a exposés dans l’arrêt Law, une vulnérabilité ou un désavantage préexistant chez un individu ou un groupe est « probablement le plus concluant » des facteurs fondant une conclusion selon laquelle la différence de traitement imposée par le texte législatif en question est « vraiment discriminatoire » :

Comme la jurisprudence de notre Cour l’a reconnu de façon constante, le facteur qui sera probablement le plus concluant pour démontrer qu’une différence de traitement imposée par une disposition législative est vraiment discriminatoire sera, le cas échéant, la préexistence d’un désavantage, de vulnérabilité, de stéréotypes ou de préjugés subis par la personne ou par le groupe : voir p. ex., Andrews […] aux pp. 151 à 153, le juge Wilson, à la p. 183, le juge McIntyre, aux pp. 195 à 197, le juge La Forest; Turpin […] aux pp. 1331 à 1333; Swain […] à la p. 992, le juge en chef Lamer; Miron […] aux par. 147 et 148, le juge McLachlin; Eaton […] au par. 66. Ces facteurs sont pertinents parce que, dans la mesure où le demandeur se trouve déjà dans une situation injuste ou fait déjà l’objet d’un traitement inéquitable dans la société du fait de caractéristiques ou d’une situation qui lui sont propres, il est arrivé souvent que des personnes dans la même situation n’aient pas fait l’objet du même intérêt, du même respect et de la même considération. Il s’ensuit logiquement que, dans la plupart des cas, une différence de traitement additionnelle contribuera à la perpétuation ou à l’accentuation de leur caractérisation sociale injuste et aura sur elles un effet plus grave puisqu’elles sont déjà vulnérables. [Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[163]   Deuxièmement, le fait de refuser à certaines personnes la possibilité d’obtenir un emploi est beaucoup plus grave que le refus de leur accorder un avantage monétaire ou un droit procédural. Avec la famille, le travail est l’élément central de notre identité sociale. L’idée que nous avons de nous-mêmes et de notre propre valeur dépend en grande partie de notre travail. Au Canada, c’est le professeur David Beatty qui a peut-être le mieux exprimé cette notion dans un article de fond intitulé « Labour is not a Commodity ». Selon lui :

[traduction] Ainsi, les institutions sociales qui sont à la source de ce que produit la société ont toujours été considérées comme ayant une influence profonde et, dans certains cas, absolue sur l’identité des participants, conférant une signification à leur existence même au sein de la société. Toutes les sociétés semblent avoir reconnu que l’activité professionnelle d’un individu a une signification qui dépasse de beaucoup le résultat produit; le fait de participer, quarante heures par semaine, a une importance, une existence et un but qui n’a pas grand chose à voir avec la production[160]. […]

[…]

Selon la manière traditionnelle de concevoir les relations de travail, cette Charte du travail [le Traité de Versailles] confirmait l’existence d’une signification autonome et discrète de l’emploi, qu’il convenait de définir autrement que par rapport à sa finalité sociale, c’est-à-dire la production. Au niveau le plus élémentaire, cette finalité autonome de la relation est liée à la subsistance, à la survie. Comme nous l’avons fait remarquer, on peut dire que, pour la plupart des individus vivant au sein de notre société, leurs besoins physiques ne peuvent être satisfaits qu’au sein de cette institution. Pourtant, en poussant plus à fond l’analyse, et en tenant compte du fait que les êtres humains sont, pour la plupart, des « faiseurs », l’identité qui ressort de l’emploi est de plus en plus considérée comme répondant à de très profonds besoins psychologiques. C’est dire combien il est important de fournir aux membres de la société la possibilité de se réaliser sur le plan de l’identité et de la signification, d’atteindre, au sein de la communauté, cette estime de soi qui va bien au delà des résultats productifs proprement dits. En tant que véhicule du statut de membre productif de la société, de personne contribuant à l’ensemble de la communauté, l’emploi est porteur d’une reconnaissance que l’individu participe à quelque chose de valable. L’emploi donne à l’individu un sentiment de signification. En mettant nos aptitudes à l’œuvre et en contribuant d’une manière que la société estime utile, l’emploi finit par représenter le moyen qui permet à la plupart des membres de notre communauté de prétendre au respect et à l’intérêt des autres. C’est de cette institution que la plupart d’entre nous tirons notre amour-propre. L’importance qu’on attache ainsi à une contribution sociale, permet d’éviter la démoralisation qui est le fruit inévitable du désœuvrement et de la marginalisation, même lorsque les effets en sont tempérés par l’aide sociale. C’est le travail qui permet à l’individu de maîtriser les moyens de sa survie. Cet aspect de l’emploi répond donc à un des impératifs psychologiques de notre existence, qui est de développer nos talents et, en conséquence, c’est le travail qui est la défense de la dignité et de l’intégrité de nos identités[161]. [Non souligné dans l’original; notes en bas de page omises.]

[164]   Lorsqu’un gouvernement prend des mesures qui ferment l’emploi aux membres d’un groupe énuméré ou d’un groupe analogue, il y a toujours atteinte à la dignité humaine et à l’amour-propre des membres de ce groupe. Le simple fait de refuser à quelqu’un jusqu’à la possibilité de concourir pour un emploi, c’est lui refuser la possibilité de participer à la société sur le plan économique. Pour beaucoup, cela est plus grave que de leur refuser d’autres droits, tel le droit de vote. Cela veut dire, pour replacer ce point dans le contexte de l’affaire, que la disposition contestée a, sur les appelantes, une incidence « grave […] et localisée »[162], pour reprendre un autre des facteurs contextuels définis par le juge Iacobucci (D). Les personnes se définissent en grande partie par ce qu’elles font. Si l’État exclut de l’emploi les membres d’un groupe énuméré ou d’un groupe analogue sur le seul fondement de cette appartenance, il est tenu de justifier cette décision.

[165]   Troisièmement, depuis l’arrêt Andrews, la question de savoir dans quelle mesure le gouvernement peut « rehausser » la citoyenneté en portant atteinte aux droits de non-citoyens est problématique. La citoyenneté est inexorablement liée à la communauté. Le concept de citoyenneté évoque celui d’ « initié », ce qui, par définition, crée une catégorie de « profanes ». Les arrêts tels que Andrews, Pearkes et Austin, précités, insistent sur le fait qu’on ne tolérera généralement pas au Canada qu’un groupe d’ « initiés » se définisse au détriment d’un groupe de « profanes ». Nous ne rehaussons aucunement la valeur du concept de citoyenneté lorsque nous le définissons en dépouillant les non-citoyens de leurs droits. Utiliser la citoyenneté comme outil d’exclusion, c’est porter atteinte à la dignité de ceux qui sont exclus et c’est contraire à quelque chose à laquelle les Canadiens sont particulièrement attachés. Si l’État est porté à dénigrer les autres pour mieux affirmer notre identité, il devra justifier ce choix.

[166]   Quatrièmement, la disposition en cause est une disposition de portée générale qui ne mentionne ni les besoins ni les capacités du groupe visé (en l’occurrence les non-citoyens). La correspondance entre le motif invoqué pour revendiquer un droit à l’égalité et les besoins et capacités des plaignants et d’autres personnes invoquant un motif analogue est un autre des facteurs contextuels énumérés par le juge Iacobucci dans l’arrêt Law (B). La disposition en cause refuse la possibilité de concourir pour un emploi aux personnes se trouvant déjà dans une situation désavantagée du point de vue de la recherche d’un emploi. En raison d’accents étrangers, d’une couleur de peau différente, de diplômes étrangers, d’une expérience professionnelle qui s’est déroulée dans un autre pays, de l’absence de réseaux au Canada et d’une insupportable discrimination, les immigrants sont souvent désavantagés au Canada lors de la recherche d’un emploi. Le sentiment des non-citoyens qui estiment que leur dignité humaine est atteinte lorsque l’État vient restreindre leurs possibilités d’emploi, en particulier au sein de la fonction publique, doit être pris au sérieux compte tenu du contexte dans lequel ils vivent.

[167]   D’ailleurs, la disposition en cause ne tient aucunement compte des besoins ou de la situation des non-citoyens. La dignité de la personne humaine est faite de valeurs telles l’estime de soi et le sentiment de sa propre valeur. Cela exige notamment que chacun soit jugé en fonction de son mérite et de son talent et non pas en raison de caractéristiques personnelles qui échappent à sa volonté. Lorsqu’on s’entend dire que les « gens comme vous » n’ont pas le droit de postuler un emploi, on éprouve une grave atteinte à sa dignité humaine. Si le gouvernement entend tenir ce genre de propos, il doit être prêt à démontrer en quoi cela est raisonnable et en quoi cela peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[168]   L’intimée a fait valoir, en invoquant un autre des facteurs contextuels (C) énumérés par le juge Iacobucci, que la disposition en cause tend à une amélioration de la situation puisqu’elle cherche à inciter les non-citoyens à se faire naturaliser. Je ne vois pas comment on pourrait améliorer la position défavorable des non-citoyens au Canada en leur fermant l’accès à un quart de million d’emplois. Quoi qu’il en soit, l’argument me paraît trompeur. On entend par objectif d’amélioration une mesure étatique qui a pour effet d’exclure un groupe pour répondre aux besoins plus pressants d’un groupe plus désavantagé. Il a été décidé, dans l’arrêt Law, que les dispositions législatives refusant aux jeunes veuves les prestations du survivant avaient principalement pour but d’aider les personnes plus âgées, qui ont plus de mal à obtenir un emploi, et ce, au détriment de personnes plus jeunes, qui ont moins de mal à trouver un emploi. On ne pouvait pas dire, dans cette affaire, que le fait de refuser des prestations à certaines personnes portait atteinte à leur dignité. Le juge Iacobucci émet, en outre, au paragraphe 71 [pages 538 et 539] de ses motifs, une mise en garde, estimant que les dispositions qui excluent les membres d’un groupe historiquement désavantagé, même si elles visent l’amélioration d’une situation, « seront presque toujours taxées de discrimination ».

[169]   L’idée de mettre la dignité humaine au centre même de toute analyse de la problématique de l’égalité n’a rien de nouveau pour les juridictions du Commonwealth. On en trouve un bon exemple en Afrique du Sud où, a-t-on dit, la dignité est une « considération fondamentale » lorsqu’il s’agit de dire si une loi est injustement discriminatoire. Dans ce pays-là, la dignité se trouve donc au cœur même de toute analyse de la question de l’égalité. Dans l’arrêt Larbi-Odam[163] de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, le juge Mokgoro, écrivant au nom d’une cour unanime, a déclaré :

[traduction] Une fois que l’on a établi la discrimination, il faut se demander si celle-ci est injuste. L’examen de son caractère injuste vise à cerner l’incidence des mesures contestées sur les plaignants. Ainsi qu’il en a été décidé dans l’affaire Hugo,

« Pour déterminer si cette incidence était injuste, il faut se pencher non seulement sur le groupe qui a été désavantagé, mais sur la nature du pouvoir établissant la discrimination et aussi sur la nature des intérêts touchés par celle-ci ». Dans l’affaire Harksen, la démarche à suivre pour cerner l’injustice éventuelle fut explicitée de la façon suivante :

« Dans l’arrêt [Hugo] la dignité a été considérée comme la considération fondamentale lorsqu’il s’agit de déceler une injustice. L’interdiction, aux termes de la Constitution, de toute discrimination injuste, constitue un rempart contre les empiètements susceptibles de porter atteinte à la dignité humaine ou susceptibles d’avoir sur les personnes un effet gravement négatif. Cependant, comme le juge L’Heureux-Dubé l’a reconnu dans l’affaire Egan c. Canada, “La dignité étant cependant un concept notoirement vague, il est évident que cette définition ne saurait, en soi, porter sur ses épaules le poids de la tâche qui relève de l’art. 15. Elle doit être précisée et approfondie”. Il ressort clairement de l’arrêt Hugo que cette étape de la démarche s’attache principalement à l’expérience vécue par la « victime » de la discrimination. En dernière analyse, le facteur déterminant pour dire si la discrimination est ou non injuste sera l’impact que la discrimination a eu sur le plaignant ». [Non souligné dans l’original; notes en bas de page omises.]

[170]   Dans l’affaire Larbi-Odam, les plaignants étaient des non-citoyens qui ne pouvaient occuper un poste permanent d’enseignant vu la préférence qui était accordée aux citoyens. Comme en l’espèce, le gouvernement soutenait qu’il y allait de l’intérêt de l’État d’accorder la préférence aux citoyens, que les dispositions contestées ne visaient que certains postes, et que les effets de la disposition en cause étaient provisoires étant donné que les résidents permanents pouvaient demander leur naturalisation. La Cour constitutionnelle a décidé qu’une pareille discrimination était contraire au principe d’égalité reconnu dans la Constitution d’Afrique du Sud. La Cour releva que les considérations en matière d’emploi constituaient [traduction] « sans aucun doute un intérêt de la plus grande importance »[164] et que la permanence était un élément essentiel de l’autonomie. La Cour a estimé que [traduction] « il n’est guère logique d’autoriser les gens à s’installer en permanence dans un pays, si c’est pour les exclure d’un emploi pour lequel ils ont toutes les qualités requises »[165]. La Cour a ainsi conclu :

[traduction] Je considère que le paragraphe 2(2) constitue une discrimination injuste à l’encontre des résidents permanents parce qu’il les exclut de certains emplois bien qu’ils soient autorisés à s’installer dans le pays de façon permanente. Le gouvernement a pris un engagement envers les résidents permanents en les autorisant à s’installer ici et la discrimination ainsi établie à leur égard est contraire à cet engagement. La mesure consistant à refuser aux résidents permanents la sécurité que procure la permanence dans l’emploi, malgré leurs qualifications professionnelles, leurs compétences, et dévouement, est excessive[166]. [Non souligné dans l’original.]

[171]   Le raisonnement adopté par la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud m’a convaincu que c’est de la discrimination que de permettre à des gens de s’installer en permanence dans notre pays tout en leur fermant, du seul fait de leur citoyenneté, des emplois pour lesquels ils sont qualifiés. Cette pratique discriminatoire enlève au groupe exclu non seulement la dignité qui va de pair avec l’emploi, mais également la dignité qui va de pair avec l’autonomie personnelle au plein sens du terme.

[172]   J’estime donc que la disposition en cause porte atteinte à la dignité humaine des non-citoyens puisqu’elle leur refuse la possibilité de concourir dans un marché du travail libre et équitable. Le texte en cause est un peu comme un panneau d’interdiction qui proclamerait, de manière assez troublante, « Le Canada veut que sa fonction publique soit composée, sans discrimination, des personnes les plus qualifiées. Les non-citoyens sont priés de s’abstenir ».

IX. L’alinéa 16(4)c) de la LEFP peut-il être sauvegardé par l’application de l’article premier de la Charte?

L’approche fondée sur l’article premier de la Charte.

[173]   Toute approche fondée sur l’article premier de la Charte commence par le texte même de cet article :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[174]   En matière d’analyse fondée sur l’article premier, le cadre fondamental défini par l’arrêt La Reine c. Oakes reste valable, même s’il a été nuancé par des décisions postérieures. Ce cadre d’analyse a été récemment formulé de nouveau dans l’arrêt Egan c. Canada, et cité avec approbation dans les arrêts Eldridge et Vriend :

L’atteinte à une garantie constitutionnelle sera validée à deux conditions. Dans un premier temps, l’objectif de la loi doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles. Dans un deuxième temps, le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif doit être raisonnable et doit pouvoir se justifier dans une société libre et démocratique. Cette seconde condition appelle trois critères : (1) la violation des droits doit avoir un lien rationnel avec l’objectif législatif; (2) la disposition contestée doit porter le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte, et (3) il doit y avoir proportionnalité entre l’effet de la mesure et son objectif de sorte que l’atteinte au droit garanti ne l’emporte pas sur la réalisation de l’objectif législatif. Dans le contexte de l’article premier, il incombe toujours au gouvernement de prouver selon la prépondérance des probabilités que la violation peut se justifier[167].

[175]   Il faut donc établir que l’objectif auquel la restriction est censée contribuer est « suffisamment important pour justifier que l’on passe outre à une liberté ou un droit protégé par la Constitution ». Au minimum, l’objectif doit correspondre à des préoccupations « urgentes et réelles dans une société libre et démocratique » pour être considéré comme suffisamment important.

[176]   Si cette condition est remplie, on passe à une deuxième condition, qui a trait à la proportionnalité. Le critère de la proportionnalité comprend trois éléments. D’abord, la mesure venant restreindre un droit garanti par la Charte doit entretenir avec l’objectif visé un lien rationnel. Autrement dit, la mesure en question doit être soigneusement conçue pour atteindre son objectif sans être arbitraire ou injuste et sans se fonder sur des considérations irrationnelles. Deuxièmement, les mesures restrictives doivent porter le moins possible atteinte aux droits garantis par la Charte. Cette condition a été modifiée par des décisions postérieures à l’arrêt Oakes, précité. Troisièmement, les effets des mesures en question doivent être proportionnels à l’importance de l’objectif visé. Un objectif qui est simplement urgent et réel ne peut pas l’emporter sur un droit garanti par la Charte si les moyens utilisés pour l’atteindre compromettent gravement les droits d’un individu ou d’un groupe. Toute disposition restreignant un droit garanti par la Charte qui ne répondrait pas à l’un de ces critères ne saurait être sauvegardé par l’article premier.

[177]   Les décisions qui ont été rendues depuis le jugement de la Section de première instance dans la présente affaire ont affiné notre manière de concevoir le critère dégagé dans l’arrêt Oakes. D’abord, la Cour suprême nous a rappelé qu’il ne faut pas perdre de vue le texte même de l’article premier. Seules les atteintes qui sont raisonnables et dont la justification puisse être démontrée seront admises. Dans l’arrêt RJR-MacDonald, le juge McLachlin a écrit :

[…] pour s’acquitter du fardeau que lui impose l’article premier de la Charte, l’État doit établir que la violation comprise dans une loi se situe à l’intérieur de limites « dont la justification puisse se démontrer ». Le choix de l’expression « puisse se démontrer » est important. Il ne s’agit pas de procéder par simple intuition, ou d’affirmer qu’il faut avoir de l’égard pour le choix du Parlement. Il s’agit d’un processus de démonstration. Cela renforce la notion propre au terme « raisonnable » selon laquelle il faut tirer une inférence rationnelle de la preuve ou des faits établis.

La démarche fondamentale est la suivante. Bien qu’ils doivent demeurer conscients du contexte socio-politique de la loi attaquée et reconnaître les difficultés qui y sont propres en matière de preuve, les tribunaux doivent néanmoins insister pour que, avant qu’il ne supprime un droit protégé par la Constitution, l’État fasse une démonstration raisonnée du bien visé par la loi par rapport à la gravité de la violation. Les tribunaux doivent respecter cette démarche fondamentale pour que les droits garantis par notre constitution soient opérants. Ce n’est pas une tâche facile, et les tribunaux devront peut-être affronter le courant d’opinion publique. Cependant, c’est depuis toujours le prix du maintien des droits constitutionnels. Si important que puisse sembler l’objectif du Parlement, si l’État n’a pas démontré que les moyens qu’il utilise pour atteindre son objectif sont raisonnables et proportionnels à la violation des droits, la loi doit alors par nécessité être déclarée non valide[168]. [Souligné dans l’original.]

[178]   Deuxièmement, la Cour suprême a insisté sur le fait que, dans le cadre de toute analyse fondée sur l’article premier, il faut tenir compte du contexte. La Cour suprême rappelle un point d’évidence : pour apprécier l’objet visé par la loi, il faut se livrer à « un examen approfondi de la nature du problème social en cause »[169]. La Cour suprême a en outre souligné le fait que la proportionnalité ne peut être évaluée qu’en prêtant une étroite attention aux détails et aux faits de la cause.

[179]   La Cour suprême note également que ce n’est que dans le contexte de l’affaire que peut être établie la norme de preuve applicable. Dans plusieurs cas, il est impossible de démontrer, de manière scientifique et concluante, les effets de la disposition législative en cause. Bien qu’il incombe toujours au gouvernement de justifier, selon la prépondérance des probabilités, une atteinte à la Charte, les tribunaux doivent accepter de recourir à la raison, à la déduction ou à l’inférence, pour déceler le lien de causalité entre le texte en cause et les avantages qu’il est censé procurer[170].

Le but visé par la disposition législative est-il suffisamment urgent et réel pour justifier l’atteinte à un droit garanti par la Charte?

[180]   Les juges de notre Cour hésitent à infirmer des conclusions touchant les faits en litige. Tout juge de la Cour d’appel—et il en sera particulièrement ainsi d’un juge qui a autrefois siégé en première instance—est conscient du fait que c’est le juge de première instance qui entend les témoignages de vive voix et qui est donc le mieux à même de les évaluer, et que c’est devant le juge de première instance que les faits sont présentés de la manière la plus complète. Bien que les conclusions concernant un fait législatif n’appellent pas un aussi grand degré de retenue que les conclusions concernant un fait en litige, de telles conclusions méritent tout de même le respect. En l’espèce, bien que je convienne avec le juge de première instance que la disposition en cause a été adoptée afin de rehausser la valeur de la citoyenneté et d’encourager la naturalisation, je conclus, pour les motifs qui vont suivre, que le juge de première instance n’a pas tenu compte de certaines preuves produites devant lui, et qu’il a par conséquent commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’il a omis de conclure que la disposition législative en cause avait également été adoptée en raison d’inquiétudes que suscite, pour des raisons d’engagement et de loyauté, l’idée d’engager des non-citoyens dans la fonction publique du Canada.

[181]   Il n’est pas facile d’évaluer, en appel, les objectifs du législateur. Les intimées ont reconnu dans leurs plaidoiries qu’il s’agissait d’une conclusion portant sur un fait législatif, conclusion qui appelait donc moins de retenue qu’une conclusion portant sur un fait en litige[171]. Les intimées font à juste titre remarquer, cependant, que les cours d’appel doivent tenir compte du fait que le juge de première instance a eu l’avantage d’entendre le témoignage des experts, et qu’une affaire telle que celle-ci comporte invariablement une vaste documentation et des témoignages oraux que, de par sa nature même, une cour d’appel n’est pas en mesure d’examiner de manière exhaustive.

[182]   D’ailleurs, dans une affaire telle que celle-ci, il est difficile de dire à quelle époque l’objectif en cause a été formulé. Comme nous l’avons vu plus haut, la préférence accordée, à l’époque moderne, aux citoyens, semble être plus ou moins apparue sous sa forme actuelle en 1961, mais elle a été, semble-t-il, adoptée sans débat ni publicité. Il est, par conséquent, extrêmement difficile de dire quel était, à l’époque, l’objectif visé par ce texte législatif[172]. Par conséquent, les deux parties ont semblé recourir à toute l’histoire législative de cette disposition, y compris les débats qui ont eu lieu des années précédant et des années suivant son adoption—pour en inférer l’objectif visé par le législateur.

[183]   Le juge de première instance a estimé que la préférence accordée aux citoyens avait un double objet : rehausser la valeur de la citoyenneté et inciter à la naturalisation. Je suis d’accord avec sa conclusion quant à l’existence de ces deux objets.

[184]   Cela dit, il existe d’après moi de nombreux éléments de preuve établissant que la préférence accordée aux citoyens visait aussi un autre objectif, à savoir des préoccupations se rattachant à la loyauté et à l’engagement des non-citoyens. Les motifs de jugement exposés plus loin citent au moins deux exemples à l’appui de cet argument.

[185]   D’abord, le juge de première instance cite un extrait de l’allocution de l’honorable Sydney Fisher qui, dans un discours prononcé à la Chambre des communes, semble nettement soupçonner que des personnes qui ne sont pas « vraiment domiciliées » pourraient s’insinuer dans la fonction publique :

Notre intention était d’admettre dans le service les personnes vraiment domiciliées au Canada. Sans cette disposition, une personne pourrait venir au Canada « courir le risque » d’être admise à l’épreuve du concours[173]. [Non souligné dans l’original.]

[186]   Deuxièmement, le juge de première instance a cité Les droits à l’égalité et la législation fédérale : un document de travail, aux pages 62 et 63, une étude sur l’égalité diffusée en 1985 par le ministre de la Justice. Il ressort très nettement de ce rapport que des considérations de loyauté et d’engagement sont en partie à l’origine de la préférence accordée aux citoyens :

On donne trois raisons pour justifier cette situation [la préférence fondée sur la citoyenneté]. La première est que l’un des avantages de la citoyenneté canadienne est précisément la possibilité d’obtenir un emploi dans la Fonction publique fédéral […]

La deuxième raison invoquée est que les employés doivent admettre l’autorité de l’employeur et le servir loyalement. Or dans la fonction publique, c’est la Couronne qui est l’employeur. Et le fait d’avoir la citoyenneté implique que l’on est loyal à la Couronne. Pour leur part, les non-Canadiens, même s’ils résident en permanence au Canada ont une obligation de loyauté envers un autre État.

Cette raison n’est toutefois pas totalement convaincante, puisque des non-citoyens peuvent aussi, dans certains cas, accéder à des postes dans la Fonction publique. Cette priorité accordée aux citoyens ne signifie donc pas que l’on considère que les non-citoyens manquent de loyauté ou ne sont pas dignes de confiance. Le fait d’exiger la citoyenneté n’indique qu’une préférence, même s’il a pour conséquence que très peu de postes au sein de la Fonction publique fédérale sont occupés par des non-citoyens. Le même problème se pose en ce qui a trait à la troisième raison. Il est en effet soutenu, en troisième lieu, que l’octroi de postes à des non-Canadiens serait de nature à compromettre la sécurité nationale[174]. [Non souligné dans l’original.]

[187]   Je conclus par conséquent que la préférence accordée aux citoyens vise un triple objet :

1. rehausser la valeur de la citoyenneté;

2. inciter les résidents permanents à se faire naturaliser; et,

3. tenir compte de considérations de loyauté et d’engagement qui peuvent se poser lorsque des non-citoyens entrent dans la fonction publique canadienne.

[188]   La plaidoirie de l’intimée confirme ma conclusion puisque, devant la Cour, celle-ci n’a pas hésité à reconnaître que, même s’il lui paraît inexact de dire que la disposition en cause avait pour objectif d’assurer l’engagement et la loyauté envers le gouvernement en tant qu’employeur, elle convient que le rehaussement de la valeur de la citoyenneté peut avoir pour objectif d’assurer la loyauté et l’engagement envers le Canada. Plus précisément, faisant valoir que la préférence en question a toujours été motivée par des considérations de citoyenneté, la Couronne fait remarquer que la citoyenneté est en général porteuse d’un engagement envers le Canada. Si, sur ce point, les appelantes et l’intimée ne sont pas parvenues à se rapprocher entièrement, on peut inférer du dossier et des arguments développés par les parties que, parmi les objets visés par la disposition législative en cause, figurait la question de l’engagement et de la loyauté qui peut se poser lorsque des non-citoyens sont employés au service du public canadien.

[189]   Le juge de première instance a eu raison de dire que les deux objets de la disposition en cause étaient d’inciter les résidents permanents à se faire naturaliser et de rehausser la valeur de la citoyenneté. J’estime, cependant, qu’un troisième objet ressort clairement de l’histoire législative de cette disposition—les préoccupations concernant l’engagement et la loyauté des futurs fonctionnaires. La Cour suprême a, à maintes reprises, rejeté l’idée que les objets d’un texte législatif peuvent se modifier et varier dans le temps, préférant rechercher et analyser quel était, à l’époque de son adoption, l’objet d’une disposition donnée[175]. Je conviens avec les parties que, s’agissant de dispositions législatives dont l’adoption est presque passée inaperçue, le bon sens veut que les tribunaux aient recours aux éléments de preuve dont ils disposent pour déterminer quel était l’objet du texte de loi lors de son adoption. En l’espèce, les comptes rendus de l’époque montrent bien que le texte avait effectivement un troisième objet fondé sur des considérations d’engagement et de loyauté, mais le juge de première instance n’a pas tenu compte des éléments de preuve à cet égard, écartant en cela ce troisième objet, plus archaïque.

[190]   Il y a lieu de noter à ce stade-ci que l’objet de l’alinéa 16(4)c) est en fait en contradiction avec l’objet général de la Loi. Bien que cela ne suffise aucunement à trancher l’affaire, c’est tout de même utile à l’analyse contextuelle suivante.

[191]   Considérant les faits de la présente affaire, il y a d’abord lieu de déterminer si les objectifs visés par la disposition en cause sont urgents et réels dans le contexte d’une société libre et démocratique. Les objectifs visés par la disposition en cause sont-ils d’une telle importance qu’ils justifient une atteinte aux droits à l’égalité des non-citoyens? En l’espèce, la disposition avait un triple objet : a) rehausser la valeur de la citoyenneté, b) inciter les résidents permanents à se faire naturaliser et c) répondre aux considérations de sécurité et de loyauté qui se manifestent lorsque des non-citoyens sont engagés au service de la population canadienne.

[192]   Sur ce point, les parties ne parviennent pas à s’entendre. Les intimées font valoir que puisque la citoyenneté est un statut qui est par sa nature même distinctif, la volonté de rehausser la valeur de la citoyenneté et d’inciter les résidents permanents à se faire naturaliser entraîne nécessairement des distinctions entre les citoyens et les non-citoyens. Les appelantes répliquent que le texte en cause visait simplement à assurer la loyauté des fonctionnaires et que cela est un objet invalide fondé sur une discrimination répréhensible que la Charte vise justement à éliminer.

[193]   Je conviens avec le juge de première instance que, à tout prendre, la volonté de rehausser la citoyenneté canadienne et d’inciter les résidents permanents à se faire naturaliser est suffisamment importante pour justifier une atteinte à l’égalité entre les citoyens et les non-citoyens. Si le concept de citoyenneté est, à maints égards, incompatible avec le village planétaire que l’on voit se développer, la citoyenneté demeure un statut important et pertinent et constitue un élément indispensable de notre vie nationale. La Cour suprême a, à maintes occasions, confirmé les distinctions fondées sur la citoyenneté lorsque ces distinctions ont leur origine dans le statut de citoyenneté que la Charte elle-même décrit. Tout effort en vue de valoriser—de façon tangible ou non—notre citoyenneté fait partie des mesures que notre gouvernement est en droit de prendre ou qu’on s’attend à ce qu’il prenne, et qu’il est fondé à prendre.

[194]   La loyauté des résidents permanents du Canada soulève une préoccupation qui cause davantage de difficulté et qui, d’après les éléments de preuve produits, pourrait ne pas, en soi, être considérée, hormis certaines circonstances précises, comme un objet urgent et réel. Malgré tout, les deux autres objets sont des objets urgents et réels qui peuvent justifier que l’on porte quelque peu atteinte aux droits à l’égalité.

La législation en cause entretient-elle un lien rationnel avec les objectifs qu’elle tente de promouvoir?

[195]   Malgré une certaine confusion quant à la manière d’aborder le critère du « lien rationnel », j’estime qu’un lien rationnel, c’est précisément cela. Le critère n’est pas celui du « lien démontré » ou du « lien établi », mais bien le critère du « lien rationnel ». Par conséquent, tout examen des effets du texte en question relève plutôt du critère de la proportionnalité examiné plus loin. Il y aura un lien rationnel avec l’objet visé par le texte législatif si ce texte (i) est conçu en vue d’atteindre cet objectif; (ii) n’est pas arbitraire; et (iii) est fondé sur des hypothèses qui doivent logiquement favoriser la réalisation de l’objectif visé.

[196]   À l’appui de cette idée, le juge Wilson a résumé, dans l’arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, la norme de justification au regard du critère du lien rationnel :

L’examen, proposé dans Oakes, du” lien rationnel » entre les objectifs et les moyens choisis pour les atteindre n’exige rien de plus que la démonstration que les moyens retenus par le gouvernement favorisent logiquement la réalisation des objectifs légitimes et importants du législateur[176].

[197]   Il convient, à ce stade-ci, de rejeter tout appel à des éléments de preuve scientifiques et concluants concernant les effets du texte en question. Bien qu’il incombe toujours au gouvernement de justifier, selon la prépondérance des probabilités, une atteinte à la Charte, une cour doit accepter, le cas échéant, de rechercher par la raison, la déduction ou l’inférence, un lien de causalité suffisant entre le texte législatif en question et les avantages qu’il est censé procurer.

[198]   Il est logique en l’espèce d’inférer que le traitement préférentiel accordé aux citoyens en matière d’emploi dans la fonction publique contribuera à des objectifs importants en rehaussant la valeur de la citoyenneté et en incitant les gens à se faire naturaliser. J’estime, en accord avec les conclusions du juge de première instance, qu’il existe un lien rationnel entre les objectifs visés par ce texte de loi et ceux du législateur.

Le texte législatif porte-t-il le moins possible atteinte au droit à l’égalité?

[199]   Les parties sont loin de s’entendre sur la question de savoir si s’impose en l’espèce une modification du critère de l’atteinte minimale. Les intimées estiment que, dans la présente affaire, le gouvernement n’agit pas en tant qu’ « adversaire singulier » d’un groupe et qu’il ne tente pas de répartir des ressources limitées ni d’arbitrer entre les droits de groupes qui se feraient concurrence. Les appelantes font valoir le contraire.

[200]   N’est pas complètement réglée la question de savoir dans quelles circonstances il y a lieu d’appliquer une version modifiée du volet « atteinte minimale » du critère de la proportionnalité, et dans quels cas il convient, au contraire, de retenir la version traditionnelle de ce critère telle que dégagée dans l’arrêt Oakes. Tout le monde s’entend pour dire, cependant, que la conception modifiée de l’atteinte minimale peut être retenue lorsque les droits de divers groupes sont en conflit et doivent, en quelque sorte, être conciliés. Selon cette approche du problème, la condition relative à l’atteinte minimale va dépendre de la question de savoir si le législateur aurait pu « raisonnablement choisir un autre moyen qui aurait permis d’atteindre l’objectif de façon tout aussi efficace ». Dans l’arrêt Benner, j’ai décrit de la manière suivante cette conception modifiée :

Là où il faut mettre dans la balance des droits contradictoires, la juridiction saisie peut s’en remettre à la norme moins rigoureuse de la version révisée de l’atteinte minimum. Dans cette approche modifiée, il s’agit de demander si le législateur aurait pu raisonnablement choisir un autre moyen qui porterait moins atteinte au droit en question ou n’y porterait pas atteinte du tout, mais qui aurait permis d’atteindre l’objectif de façon tout aussi efficace[177].

[201]   Dans l’arrêt Thomson Newspapers, précité, le juge Bastarache a écrit au nom de la Cour que du contexte de chaque affaire va dépendre le degré de retenue que les tribunaux accorderont à l’atteinte que le législateur peut porter à un droit garanti par la Charte[178]. Dans cet arrêt, il a écrit que parmi les facteurs qui déterminent le degré de retenue, il faut compter la vulnérabilité du groupe que l’on cherche à protéger[179], la possibilité de conclure logiquement à l’absence de tort ou de problème social[180], l’opposition entre les intérêts des divers groupes en présence[181] et la question de savoir si le tort que le texte législatif en question est censé pallier, est réel ou seulement éventuel[182].

[202]   On pourrait soutenir, en l’espèce, qu’il y a un effort en vue d’équilibrer les droits de deux groupes et qu’un choix a été fait à cet égard. Cela ressort clairement du fait que, en 1979 et en 1985, des comités parlementaires ont conclu que le Parlement était parvenu à un mauvais équilibre[183]. Il y eut alors débat quant au bien-fondé du choix effectué par le législateur, puis le Cabinet décida de ne pas modifier la disposition en question[184]. Étant donné que le Parlement avait examiné l’équilibre des droits ici en cause, on pourrait faire valoir qu’il n’appartient pas à la Cour d’appliquer un critère trop sévère.

[203]   Compte tenu du contexte de l’affaire, cependant, il ne convient peut-être pas de retenir la conception modifiée du critère. D’abord, la Cour a entendu des témoignages incontestés selon lesquels cette disposition pourrait avoir pour effet d’exclure 600 000 candidats de quelque 250 000 emplois. Ce sont là des chiffres importants. Deuxièmement, le groupe qui a profité de cette disposition, en l’occurrence les citoyens, n’est pas un groupe historiquement désavantagé. Le groupe désavantagé par cette disposition est, par contre, le groupe qui a dû subir la pernicieuse discrimination que lui infligeaient les personnes mêmes que la disposition en question cherche à avantager. Je serais en général d’avis que toute loi qui avantage les privilégiés en faisant expressément et systématiquement du tort aux personnes défavorisées est une loi qui doit être soumise à un examen extrêmement attentif. Troisièmement, les torts que la préférence accordée aux citoyens cherche à corriger, c’est-à-dire une citoyenneté sous-évaluée, des problèmes au plan de la naturalisation, et des non-citoyens dont l’engagement envers le pays ne serait pas démontré, sont, au plus, des torts éventuels. Le gouvernement n’a pas produit la moindre parcelle de preuve tendant à démontrer que ces problèmes se posent actuellement au pays. La Cour, par contre, a entendu des témoins faisant valoir que la citoyenneté canadienne correspond à un statut très prisé et que le Canada a un taux de naturalisation parmi les plus élevés du monde. Cela semble conforme à la logique.

[204]   J’estime donc qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de faire preuve de retenue pour ce qui est du critère de l’atteinte minimale. Mais même au regard d’un critère modifié, je doute que la disposition en cause soit valide sur le plan constitutionnel.

[205]   D’une part, la préférence accordée aux citoyens semble avoir été conçue de façon à porter atteinte au droit en n’atteignant pas le seuil de gravité. D’abord, on n’interdit pas absolument aux non- citoyens l’entrée dans la fonction publique du Canada. En effet, les trois appelantes ont occupé, au sein de la fonction publique, des emplois à durée déterminée ou des fonctions contractuelles. Ensuite, la préférence fondée sur la citoyenneté ne joue que lorsqu’il y a suffisamment de citoyens canadiens pour former le bassin de candidats nécessaires. Troisièmement, même en présence d’un nombre suffisant de candidats canadiens, la Commission tient de l’alinéa 16(4)c) le pouvoir discrétionnaire de limiter sa sélection—la loi ne lui impose aucunement de le faire. Et enfin, cette préférence ne s’applique pas aux concours internes.

[206]   Il existe, par contre, beaucoup de moyens de conserver la préférence accordée aux citoyens en portant moins atteinte au droit à l’égalité. D’abord, la loi pourrait prévoir que la préférence ne s’appliquerait que lorsqu’une analyse fonctionnelle révélerait que le poste vacant pourrait très bien être confié à des non-citoyens. Cela ressemble un peu à la préférence qui est accordée aux citoyens dans les 50 États des États-Unis[185]. De même, des éléments de preuve ont été produits en l’espèce pour expliquer que la Nouvelle-Zélande exige la citoyenneté de toute personne occupant un poste en rapport avec la sécurité. Deuxièmement, la loi pourrait prévoir que la préférence ne s’applique qu’aux personnes qui choisissent de ne pas se faire naturaliser alors qu’elles en ont la possibilité. C’est sous cette forme-là que se présente en Australie la préférence accordée aux citoyens. D’après moi, c’est une chose de dire à quelqu’un que, quelles que soient ses qualités, il ne pourra pas occuper un emploi en raison de son statut d’immigrant, et tout à fait autre chose que de dire aux personnes ayant postulé avec succès un emploi, qu’elles ne pourront le garder que si elles se font naturaliser. Troisièmement, la préférence fondée sur la citoyenneté pourrait être abolie pour les résidents permanents et conservée pour les étrangers détenteurs d’un visa mais ne possédant pas le droit d’établissement. La Couronne n’a pas présenté à la Cour d’élément de preuve ni d’argument concernant les inconvénients d’une telle mesure. Quatrièmement, la préférence accordée aux citoyens pourrait être considérée comme un véritable programme d’action positive« à mérite égal, la préférence serait accordée aux citoyens. Enfin, la préférence en question pourrait être abolie entièrement, après quoi la Commission pourrait avoir recours au paragraphe 12(3) de la LEFP, afin de fixer, pour tel ou tel poste, une exigence professionnelle réelle et, par exemple, imposer une condition de résidence permettant d’assurer que le candidat connaît bien le pays, ou exiger un certain degré d’engagement et de loyauté pour les postes où cela s’impose.

[207]   Cela étant, il convient de rappeler que, depuis que cette affaire a été tranchée en première instance, la Cour suprême a rappelé, par la voix du juge McLachlin, l’importance de bien avoir à l’esprit qu’en ce qui concerne le critère de l’atteinte minimale, c’est au gouvernement que la preuve incombe au regard de l’article premier :

Même dans le cas de problèmes sociaux difficiles qui présentent des enjeux élevés, le Parlement n’a pas le droit de déterminer unilatéralement les limites qu’il peut imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. C’est la Constitution, selon l’interprétation que lui donnent les tribunaux, qui détermine ces limites. L’article premier édicte expressément que la violation ne peut aller au-delà de limites qui soient « raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique », critère qui englobe l’exigence de l’atteinte minimale et impose au gouvernement le fardeau d’établir que le Parlement a respecté cette limite[186]. [Non souligné dans l’original.]

[208]   Dans la présente affaire, le gouvernement a fait valoir que le texte en question n’est pas aussi préjudiciable qu’il pourrait l’être. J’en conviens. Le gouvernement n’a cependant pas démontré que le législateur, en réponse à un problème ou à la poursuite d’un objectif urgent et réel, a adopté un texte soigneusement conçu afin de porter le moins possible atteinte à un droit garanti par la Charte. Bien que l’historique législatif montre bien que le Parlement a défendu le texte, il n’indique pas que le législateur aurait envisagé des solutions autres que l’abrogation de la préférence fondée sur la citoyenneté telle qu’elle est prévue dans la disposition en cause. La Couronne a d’ailleurs reconnu que le gouvernement n’exerce presque jamais son pouvoir discrétionnaire d’ouvrir un concours public à des non-citoyens. Le pouvoir discrétionnaire dont est investie la Commission est donc en grande partie illusoire, ce qui aggrave sensiblement l’atteinte au droit à l’égalité. Enfin, si les intimées font valoir que le législateur a choisi le moyen le moins attentatoire aux droits à l’égalité en remplaçant l’ancienne condition de citoyenneté par une simple préférence accordée aux citoyens, l’historique législatif du texte ne permet pas d’affirmer que cela était effectivement une préoccupation en 1961, ou à toute autre époque d’ailleurs. À tout prendre, j’estime que la Couronne n’a pas établi que le texte législatif en question ne porte pas atteinte à un droit garanti par la Charte, au delà de ce que peut tolérer une société libre et démocratique.

Les effets de la disposition législative en cause sont-ils proportionnels à l’objet visé par celle-ci?

[209]   Le troisième volet du critère de la proportionnalité consiste à savoir si les effets des mesures en question sont proportionnels à l’objectif visé. L’appréciation de l’importance que revêt un objectif législatif par rapport à l’atteinte portée aux droits d’un individu ou d’un groupe est un exercice invariablement difficile et imprécis.

[210]   Dans sa jurisprudence récente, la Cour suprême a précisé la portée et la fonction de l’analyse de proportionnalité. Un tribunal à qui l’on demande d’apprécier la proportionnalité entre les mesures législatives et l’objectif urgent et réel visé par ce texte doit tenir compte d’un certain nombre de facteurs, tels :

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ l’importance des objectifs visés;

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ les éléments de preuve quant à l’efficacité de ces objectifs;

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ les avantages des dispositions législatives;

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ la mesure de l’atteinte portée à un droit garanti par la Charte; et

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ la manière, directe ou indirecte, dont il a été porté atteinte au droit garanti par la Charte[187].

[211]   Dans l’arrêt Dagenais, le juge en chef Lamer a résumé en ces termes la manière dont doit être, selon lui, reformulée l’analyse de la proportionnalité :

Je reprendrais donc la troisième partie du critère Oakes comme suit : il doit y avoir proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures restreignant un droit ou une liberté et l’objectif, et il doit y avoir proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures et leurs effets bénéfiques[188]. [Souligné dans l’original.]

[212]   Dans l’arrêt Thomson Newspapers, le juge Bastarache a développé l’analyse de la proportionnalité entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques, dans le contexte général du critère dégagé dans l’arrêt Oakes. Selon lui :

Les première et deuxième étapes de l’analyse de la proportionnalité ne portent pas sur le rapport entre les mesures et le droit en question garanti par la Charte, mais plutôt sur le rapport entre les objectifs de la loi et les moyens employés. Même si l’étape de l’atteinte minimale du critère de la proportionnalité tient nécessairement compte de la mesure dans laquelle il est porté atteinte à une valeur prévue par la Charte, la norme qui doit être appliquée en bout de ligne consiste à se demander s’il est porté atteinte le moins possible au droit garanti par la Charte compte tenu de la validité de l’objectif législatif. La troisième étape de l’analyse de la proportionnalité donne l’occasion d’apprécier, à la lumière des détails d’ordre pratique et contextuel qui ont été dégagés aux première et deuxième étapes, si les avantages découlant de la limitation sont proportionnels aux effets préjudiciables, mesurés au regard des valeurs consacrées par la Charte[189].

[213]   Dans la présente affaire, qui a été tranchée avant que ne soit rendu l’arrêt Thomson Newspapers, le juge de première instance a estimé que l’atteinte au droit à l’égalité n’était pas particulièrement grave vu que a) plus de la moitié de la fonction publique, au sens large, n’est pas assujettie à la préférence fondée sur la citoyenneté, b) la restriction peut être provisoire, et elle disparaît par l’effet de la naturalisation et c) les objectifs qui sont à l’origine de cette préférence sont à la fois importants et légitimes.

[214]   Je dois dire que je ne partage pas son avis. Il y a pour cela cinq raisons. La première est que le fardeau qui est imposé à certaines personnes est important, et ce, à quelque niveau de l’analyse que l’on se situe. Sur le plan systémique, il s’agit de plus de 600 000 personnes qui peuvent être exclues de presque 250 000 emplois. Ce sont des chiffres importants. Le gouvernement fédéral a récemment mis fin au gel du recrutement, qui a duré presque dix ans. Les actions telle l’affaire dont est saisie la Cour en l’espèce sont donc appelées à se multiplier et à prendre une importance croissante. Les emplois actuellement ouverts aux résidents permanents sont des emplois temporaires ou des postes contractuels, cela les obligeant à se trouver un autre travail relativement peu de temps après, ce qui les empêche de planifier leur carrière à moyen et à long terme.

[215]   Sur le plan individuel, la disposition en cause freine le développement de l’individu et les possibilités de réalisation personnelle, pour faire en sorte que les cuisiniers, les matelots et les conservateurs de musée, voire les interprètes, les gardiens de prison et les secrétaires, soient tous citoyens canadiens. Dans l’arrêt Austin, précité, le juge Maczko expose de manière concise l’argument sur ce point :

[traduction] Je dois également examiner si le symbolisme que le gouvernement cherche à instaurer est plus important que le droit de postuler à un emploi. Je ne vois guère la valeur symbolique qu’il y a à exiger d’un cuisinier, d’un matelot ou même d’un conservateur de musée qu’il soit citoyen. Le peu de valeur symbolique que l’on peut ainsi engendrer ne l’emporte pas sur l’atteinte à un droit fondamental.

La discrimination qu’établit indiscutablement cette loi est de la pire sorte. Elle accorde ou non les occasions d’emploi en fonction du statut et non pas du mérite, ou des réalisations. Ce genre de discrimination est foncièrement incompatible avec une société qui attache la plus haute importance à la valeur personnelle, fruit du travail et de l’esprit d’entreprise. J’estime que le droit de faire carrière dans un domaine que l’on choisit l’emporte largement sur l’objectif visé par le gouvernement en l’occurrence[190].

[216]   Deuxièmement, le Canada permet la naturalisation, mais ne l’exige pas. Depuis longtemps, le gouvernement du Canada reconnaît que les gens ont maintes et maintes raisons de ne pas se faire naturaliser. Le Canada reconnaît en outre—par divers mécanismes telle la reconnaissance de la double nationalité« que les personnes peuvent avoir des raisons parfaitement légitimes de conserver leurs liens avec leur pays d’origine. Cela ne réduit en rien ce que les non-citoyens peuvent contribuer au Canada, et ne réduit en rien l’obligation qu’a le Canada de traiter les non-citoyens de manière équitable. Dans l’arrêt Andrews, précité, le juge La Forest a fait remarquer que :

Tout au long de son histoire, notre pays a tiré sa force des gens qui sont venus l’habiter. Les décisions fondées injustement sur la citoyenneté seraient susceptibles de [traduction] « laisser croire à ceux qui sont victimes de discrimination que la société canadienne n’est pas libre et démocratique en ce qui les concerne et […] ces personnes risquent de ne pas avoir confiance dans les institutions politiques et sociales qui favorisent la participation des individus et des groupes dans la société et de ne pas croire qu’elles peuvent librement et sans entrave de la part de l’État poursuivre la réalisation de leurs aspirations et attentes, ainsi que de celles de leur famille, en matière de carrière et d’épanouissement personnel »[191].

[217]   Et pourtant, le texte de loi en question va complètement à l’encontre de ce sentiment. Il explique aux résidents permanents que, si on les encourage effectivement à s’installer au Canada, à travailler et à payer des impôts ici, on ne leur permet pas, tant qu’ils n’auront pas la citoyenneté, de servir le pays dans le cadre de la fonction publique. L’idée que le juge La Forest se fait du Canada est préférable à celle dont témoigne l’alinéa 16(4)c) de la LEFP.

[218]   Troisièmement, bien que les objectifs visant à rehausser la valeur de la citoyenneté et inciter les résidents permanents à se faire naturaliser soient importants, le souci de s’assurer du degré d’engagement et de loyauté des fonctionnaires, qui ne se justifie que dans de rares cas, est le vestige d’une époque révolue. Il y a peut-être des postes qui, pour des raisons de sécurité, ne devraient être confiés qu’à des citoyens. Il est, cependant, disproportionné d’exclure des concours publics la quasi-totalité des non-citoyens simplement parce que certains postes pourraient légitimement être réservés à des citoyens. Le Canada peut en outre rehausser la valeur de sa citoyenneté autrement qu’en excluant les non-citoyens des emplois de la fonction publique. Le ministre de la Citoyenneté a, par exemple, récemment déposé devant la Chambre des communes un projet de loi[192] tendant à « renforcer la valeur de la citoyenneté en modernisant la Loi »[193]. La nouvelle Loi contient plusieurs dispositions qui visent principalement à rehausser la valeur de la citoyenneté canadienne. Aucune de ces mesures n’évoque ou ne modifie la préférence accordée aux Canadiens, ni ne cherche à rehausser la valeur de la citoyenneté en diminuant les droits ou privilèges des non-citoyens.

[219]   Quatrièmement, les avantages que procure cette préférence sont particulièrement minces. La Cour n’a entendu aucun témoignage indiquant que la préférence en question a pour effet de rehausser la valeur de la citoyenneté. L’avocat des appelantes a plutôt produit des éléments de preuve établissant que le taux de naturalisation au Canada est parmi les plus élevés du monde. Les avantages sont difficiles à percevoir. Les fardeaux qui sont imposés sont, par contre, importants. Je m’explique.

[220]   La citoyenneté ne s’obtient pas aussi facilement que la Couronne nous le porterait à croire. La demande de citoyenneté[194] comprend quelque 17 pages et toute une série de conditions de demande et de prédemande. À supposer qu’il a déjà passé les étapes, nécessaires et compliquées, pour obtenir les visa et statut de résident permanent requis[195], l’heureux candidat à la citoyenneté aura ainsi dû :

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ verser 100 $ sous forme de « Droit exigé pour la citoyenneté » et 100 $ pour l’ « Octroi de la citoyenneté »;

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ envoyer des photocopies de son dossier d’immigration et fournir la preuve de son identité;

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ fournir deux photographies;

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ calculer et communiquer le nombre de jours de résidence qu’il a accumulés au Canada au cours des quatre dernières années, y compris le décompte du temps passé au Canada au cours des deux années précédant immédiatement l’octroi du statut d’immigrant reçu;

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ préparer et passer avec succès un test de citoyenneté en anglais ou en français;

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ prêter serment de loyauté envers le Canada;

€€€€€€€€€€€€€€€€€€€€ fournir des rudiments biographiques ainsi que la liste de tous ses domiciles au Canada et de ses absences du Canada au cours des quatre dernières années.

[221]   Comme nous l’avons déjà vu, le Canada reconnaît que les gens peuvent légitimement rester attachés à leur pays d’origine. Souvent, dans d’autres pays, les lois sur la citoyenneté prévoient que la naturalisation au Canada entraînera la perte de la citoyenneté d’origine. Le Canada n’a pas imposé de telles règles, reconnaissant que pour être de bons Canadiens, les gens n’ont pas à faire un choix entre pays et entre objets de leur allégeance. En l’espèce, une des demanderesses, Mme Bailey, a témoigné qu’il lui faut conserver le droit d’entrer et de rester en Hollande pour qu’elle puisse s’occuper de ses parents âgés qui se trouvent là-bas. Il serait, à mon avis, injuste d’instaurer des règles ayant pour effet d’obliger nos résidents permanents à choisir entre une restriction de leurs possibilités d’emploi ici et une restriction de l’accès à leur ancien pays.

[222]   En l’espèce, l’intimée fait valoir que, puisque certaines conventions internationales évoquent ou admettent la préférence accordée aux citoyens en matière d’emploi dans la fonction publique, la Cour, en estimant que l’alinéa 16(4)c) de la LEFP enfreint de manière non justifiée le paragraphe 15(1), dénoncerait le caractère discriminatoire de traités internationaux, et notamment de traités sur les droits de la personne. Cet argument peut être contré en quelques mots : les lois canadiennes doivent résister à l’analyse au regard de la Charte du Canada. C’est une chose d’affirmer que les traités ont pu être négociés de façon à retenir certaines exceptions qui autorisent la préférence accordée aux citoyens en matière d’emploi dans la fonction publique. Mais c’est tout à fait autre chose que de soutenir que de telles exceptions obligent les tribunaux canadiens, qui sont chargés de faire respecter notre Charte, à accorder la même considération à la préférence fondée sur la citoyenneté.

[223]   Cinquièmement, je suis d’autant plus porté à conclure que les effets de la disposition en cause sont disproportionnés par rapport à son objet que cette disposition a notamment pour effet de miner le principe du mérite, qui est le fondement même de la Loi. Bien que le critère dégagé dans l’arrêt Oakes ne concerne pas principalement les objectifs du texte législatif en cause, ces objectifs font partie du contexte dans le cadre duquel le critère Oakes doit être appliqué. J’ai longuement examiné plus haut le rôle qui revient au contexte dans la démarche qu’a définie l’arrêt Oakes. Si le législateur a pour objet d’encourager en matière d’emploi le mérite et la non-discrimination, il me semble disproportionné d’exclure de la plupart des concours publics les non-citoyens, alors que ce pourrait être les candidats les plus qualifiés.

X.        Dispositif

[224]   Pour l’ensemble des motifs exposés ci-dessus, j’estime que la préférence fondée sur la citoyenneté porte une atteinte inadmissible au paragraphe 15(1) de la Charte et ne se justifie pas au regard de l’article premier de la Charte. Il y a donc lieu de déclarer l’alinéa 16(4)c) de la LEFP inopérant, et de renvoyer l’affaire devant la Cour fédérale (Section de première instance) pour détermination des dommages-intérêts. Les appelantes devraient se voir adjuger les dépens en totalité.



[1] [1999] 1 R.C.S. 497.

[2] [1989] 1 R.C.S. 143.

[3] La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

[4] Aux termes de la Loi sur le service civil, S.C. 1960-61, ch. 57, la préférence accordée aux citoyens devait être appliquée de manière discrétionnaire pour la sélection des candidats qualifiés pouvant être présentés en vue d’un concours (art. 38(3)) et, de façon obligatoire, pour l’inscription des candidats sur les listes d’admissibilité à des concours publics (art. 40(1)). Suite à la promulgation de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, S.C. 1966-67, ch. 71, la préférence accordée aux citoyens ne s’appliquait plus qu’aux concours publics.

[5] L’art. 14 de la Loi de 1908 modifiant la Loi du service civil, S.C. 1908, ch. 15, interdisait l’admission à l’épreuve d’un concours pour faire partie du service civil à toute personne qui n’était pas sujet britannique de naissance ou par naturalisation et résident du Canada depuis au moins trois ans.

[6] Dans l’arrêt Andrews, le juge McIntyre était parfaitement conscient de cette réalité, comme en témoignent certaines des ses observations, y compris celle-ci, dans laquelle il aborde, à la p. 164, le concept d’égalité :

C’est un concept comparatif dont la matérialisation ne peut être atteinte ou perçue que par comparaison avec la situation des autres dans le contexte socio-politique où la question est soulevée.

[7] Le concept de citoyenneté fait au Canada l’objet d’une reconnaissance constitutionnelle. Les art. 23(2) et 31(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoient que seuls des sujets britanniques peuvent être nommés au Sénat. (Ainsi que le juge McIntyre l’a relevé dans l’arrêt Andrews, dans les premiers temps de l’histoire du Canada, le concept de citoyenneté s’exprimait par la formule « sujet britannique ».) D’ailleurs, les art. 3, 6(1) et 23 de la Charte ne reconnaissent certains droits qu’aux citoyens.

[8] 426 U.S. 88 (1976).

[9] Ces motifs du juge Rehnquist, auxquels d’autres juges avaient souscrit, étaient des motifs dissidents, mais l’opinion dissidente, voire l’opinion des juges majoritaires, portait exclusivement sur la question des pouvoirs délégués au Commissaire de la fonction publique américaine, et non pas sur le pouvoir absolu du Congrès.

Voici deux autres extraits de l’arrêt Lem Moon Sing [Lem Moon Sing v. United States, 158 U.S. 538 (1895)] dont était tirée la citation reproduite plus haut, deux extraits qui semblent eux aussi très clairs sur ce point [aux p. 541 et 542] :

[traduction] Dans l’affaire de l’exclusion d’un ressortissant chinois, 130 U.S. 581, 603, la cour a estimé que : « Le gouvernement des États-Unis, par le truchement du pouvoir législatif, peut exclure les étrangers de son territoire et cette idée ne saurait, d’après nous, être mise en question. Une pareille compétence à l’égard de son territoire est l’apanage de toute nation indépendante. Cela fait partie de son indépendance ».

puis, plus loin [à la p. 543] :

La Cour, relevant que, conformément aux maximes du droit international, tout État souverain a le pouvoir, inhérent à sa souveraineté et essentiel à sa conservation, d’interdire l’entrée de son territoire aux étrangers, ou de les y admettre seulement dans les cas et aux conditions qui lui semblent bons de fixer, a déclaré : « Aux États-Unis, ce pouvoir appartient au gouvernement national ».

[10] [1995] 2 C.F. 623 (1re inst.), aux p. 646 et 647.

[11] Pour le non-spécialiste, la situation qui prévaut aux États-Unis est d’autant plus difficile à saisir que deux amendements à la Constitution, le 5e et le 14e, pouvaient être invoqués et qu’une différence est toujours faite entre les conditions d’entrée et de résidence et les conditions régissant la protection des individus, telles que garanties par la clause d’application régulière de la loi, en ce qui concerne les procédures de déportation, par exemple, ou d’une libération pour un motif déterminé, etc. Mais, en tout état de cause, et pour autant que je sache, jamais l’exercice des pouvoirs qu’a le Congrès envers les étrangers, n’a été soumis au contrôle des tribunaux.

[12] [1992] 1 R.C.S. 711.

[13] Supra, note 2.

[14] Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418.

[15] Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513.

[16] Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241.

[17] Benner c. Canada (Secrétariat d’État), [1997] 1 R.C.S. 358.

[18] Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624.

[19] Supra, note 1.

[20] [1995] 3 R.C.S. 199.

[21] L.R.C. (1985), ch. P-33. La Loi sur l’emploi dans la fonction publique ne s’applique qu’à la partie de la fonction publique fédérale définie par la loi comme constituant la « fonction publique ». Cela comprend tous les ministères et organismes gouvernementaux figurant à la partie I de l’annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, plus certains autres employeurs figurant à la partie II de l’annexe. Selon le juge de première instance, au 31 décembre 1989, la fonction publique comprenait, au total, 227 545 personnes, soit 42,6 p. 100 du total des effectifs de la fonction publique toute entière, soit 534 343 personnes. La fonction publique ne comprend que les emplois civils, du commis au sous-ministre adjoint, et comprend toute une gamme de catégories professionnelles. Voir Lavoie c. Canada, [1995] 2 C.F. 623 (1re inst.), à la p. 636.

[22] Lavoie c. Canada, [1995] 2 C.F. 623 (1re inst.), à la p. 637.

[23] Lavoie c. Canada, [1995] 2 C.F. 623 (1re inst.).

[24] Ibid, aux p. 657 et 658.

[25] Ibid, à la p. 661.

[26] La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

[27] L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2.

[28] L.R.C. (1985), ch. C-29.

[29] [1951] R.C.S. 887.

[30] Ibid., à la p. 918.

[31] Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

[32] L.R.C. (1985), ch. E-2.

[33] Voir, par exemple, l’art. 14 de la Loi sur l’Association canadienne des paiements, L.R.C. (1985), ch. C-21 qui précise que « Les administrateurs de l’Association doivent être citoyens canadiens ».

[34] Les membres du Conseil d’administration de la Banque du Canada, Loi sur la Banque du Canada, L.R.C. (1985), ch. B-2, art. 10(4); les administrateurs de la Société Radio-Canada, Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 36 et 38; le président de la Société d’assurance-dépôts du Canada, Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-3, art. 6; membre du Conseil canadien des relations de travail, Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 9; administrateur ou président de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, Loi sur la Société canadienne d’hypothèques et de logement, L.R.C. (1985), ch. C-7, art. 8; membre du Conseil d’administration d’un musée, Loi sur les musées, L.C. 1990, ch. 3, art. 18; membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 13(1).

[35] Voir, par exemple, l’art. 5(1) de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-22 qui prévoit que « Nul ne peut être nommé conseiller ni continuer à occuper cette charge s’il n’est pas un citoyen canadien résidant habituellement au Canada ».

[36] Loi sur le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 54, art. 13(1).

[37] Loi sur le Centre de recherches pour le développement international, L.R.C. (1985), ch. I-19, art. 3, 10.

[38] L.R.C. (1985), ch. I-19, art. 11.

[39] L.R.C. (1985), ch. Y-1.

[40] L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 9.1(2) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 4].

[41] L.R.C. (1985), ch. T-15.

[42] L.R.C. (1985), ch. T-15, art. 3.

[43] Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 279.1 [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 40; L.C. 1995, ch. 39, art. 148] et l’art. 7(3.1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 4].

[44] L.R.C. (1985), ch. C-46.

[45] Art. 290(1)b).

[46] L.R.C. (1985), ch. O-5.

[47] L.R.C. (1985), ch. O-5, art. 13.

[48] Art. 4(1)i).

[49] Juries Act, R.S.N.S. 1989, ch. 242, art. 4a); Jury Act, S.A. 1982, ch. J-2.1, art. 3b); Jury Act, R.S.B.C. 1996, ch. 242, art. 3(1)a); Loi sur les jurés, L.R.N.-B. 1973, ch. J-3.1, art. 2; Loi sur les jurés, L.R.Q., ch. J-2, art. 3a); Loi sur les jurys, L.R.O. 1990, ch. J-3, art. 2b); Jury Act, 1991, S.N. 1991, ch. 16, art. 4; Jury Act, S.S. 1980-81, ch. J-4.1, art. 3; Jury Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. J-5, art. 4; Loi sur les jurés, L.R.M. 1987, ch. J30, art. 3.

[50] Loi sur le jury, L.R.T.N.-O. 1988, ch. J-2, art. 4b).

[51] Jury Act, R.S.Y. 1986, ch. 97, art. 4b).

[52] Ministère de la Justice Canada, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1985.

[53] Les droits à l’égalité et la législation fédérale : un document de travail, à la p. 61.

[54] Ibid., aux p. 62 et 63.

[55] L’égalité pour tous : rapport du sous-comité sur les droits à l’égalité. Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1985, dossier d’appel, annexe commune I, vol. V, à la p. 763.

[56] Cap sur l’égalité : réponse au Rapport du Comité parlementaire sur les droits à l’égalité. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1986, [à la p. 35] dossier d’appel, annexe commune I, vol. V, à la p. 780.

[57] Débats de la Chambre des communes, vol. VIII, 1re sess., 33e lég. (26 mars 1986), à la p. 11916.

[58] [1999] 1 R.C.S. 497.

[59] Voir le par. 104, p. 560.

[60] Ivan L. Head, « The Stranger in our Midst : A sketch of the Legal Status of the Alien in Canada » (1964), 2 A.C.D.I., à la p. 107.

[61] [1989] 1 R.C.S. 143, aux p. 196 et 197.

[62] Ibid., à la p. 197.

[63] [1995] 2 R.C.S. 418, à la p. 502.

[64] Ibid., à la p. 504.

[65] [1986] 1 R.C.S. 103.

[66] [1998] 1 R.C.S. 493.

[67] Vriend, au par. 108, p. 554. Ce même résumé était formulé dans l’affaire Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, au par. 182, p. 605, et cité avec approbation dans l’arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, au par. 84, p. 684 et 685.

[68] [1995] 3 R.C.S. 199.

[69] Ibid., au par. 62, p. 270.

[70] Ibid., au par. 133, p. 330 et 331.

[71] Ibid., au par. 137, p. 333. Notons, cependant, que, dans sa dissidence, le juge La Forest fait entendre, au par. 82, p. 290, que la norme de preuve normalement applicable en matière civile ne s’applique plus lorsqu’il s’agit de conclure à l’existence d’un lien rationnel.

[72] Ibid., aux par. 139 à 141, p. 333 à 335.

[73] Mémoire du droit et des faits déposé au nom des appelantes, aux p. 30 et 31, par. 78.

[74] [1989] 1 R.C.S. 143, à la p. 197.

[75] Résolution de l’Assemblée générale 217 A (III), Doc. off. AGNU, 10 décembre 1948.

[76] 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47. Ratifié par le Canada en 1976.

[77] Statut des fonctionnaires, 172.221.10, juin 1927, art. 2. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV à la p. 666 (français) et à la p. 667 (anglais); Règlement des employés, 172.221104, novembre 1959, art.6. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV à la p. 668 (français) et à la p. 669 (anglais); Règlement des fonctionnaires, 172.221.103, 24 juin 1987, par. 4(4) et (6). Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV à la p. 671 (français) et à la p. 673 (anglais).

[78] Mathews v. Diaz, 426 U.S. 67 (1976), aux p. 78 à 80; Mow Sun Wong v. Hampton, 435 F. Supp. 37 (Dist. Ct. Cal. 1977), aux p. 42 à 44.

[79] Sugarman v. Dougall, 413 U.S. 634 (1973).

[80] Mathews v. Diaz, 426 U.S. 67 (1976), aux p. 81 et 82.

[81] Sugarman v. Dougall, 413 U.S. 634 (1973), à la p. 647.

[82] Public Service Act 1922-1973, art. 34 et 82(1A). Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV, aux p. 710 à 712.

[83] Report of the Royal Commission on Australian Government Administration (Canberra : Australian Government Publishing Service, 1974), à la p. 173. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV, aux p. 723 et 724.

[84] Public Service Reform Act 1984, no 63, 1984, art. 26. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV, à la p. 734; Public Service Legislation (Streamlining) Act 1986, no 153, 1986, art. 25. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV, à la p. 747.

[85] Les art. 33 et 116 de la Loi fondamentale allemande. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV, aux p. 634 et 635 (en allemand) et aux p. 636 et 637 (en anglais); Loi cadre sur la fonction publique fédérale (1977) (Beamtenrechtsrahmengesetz), art. 4. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV, à la p. 638 (en allemand) et à la p. 642 (en anglais); Loi (modification) sur les fonctionnaires de l’État (1993) (Zehntes Gesetz zur Aenderung dienrechtlicher Vorschriften), art. 1. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV, à la p. 646 (en allemand) et à la p. 649 (en anglais). Voir également : France : Loi no 83-634, juillet 1983, par. 5(1) modifiée par la Loi no. 91-715, 26 juillet 1991, art. 2. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol IV, aux p. 600 et 624.

[86] The Act of Settlement 1700, (R.-U.), 12 & 13 Will, ch. 2, art. III.; Aliens Restriction (Amendment) Act, 1919 (R.-U.), 9 & 10 Geo. 5. ch. 92, art. 6. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV, à la p. 680; Aliens’ Employment Act, 1955 (R.-U.), 4 Eliz. 2, ch. 18, art. 1. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. IV, à la p. 687. Il convient également de noter que le Civil Service Commission General Regulations 1983 prévoit que, pour les fonctions les plus importantes et les postes sensibles de la fonction publique, les candidats doivent entretenir, avec le pays, des liens plus étroits.

[87] [Traité instituant la Communauté économique euro-péenne, 25 mars 1957] 294 R.T.N.U. 17.

[88] Affaire 149/79, [1981] 2 C.M.L.R. 413 (C.E.J.) et [Re Public Employees (No. 2) : E.C. Commission v. Belgium], [1982] 3 C.M.L.R. 539. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. III, à la p. 544.

[89] [1981] 2 C.M.L.R. 413, à la p. 433. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. III, à la p. 564.

[90] [1981] 2 C.M.L.R. 413, à la p. 433. Voir le dossier d’appel, annexe commune I, vol. III, à la p. 564.

[91] Mémoire des faits et du droit déposé au nom des appelantes, à la p. 27, par. 69.

[92] [1997] 3 R.C.S. 569, aux p. 605 et 606, pars. 58 et 59.

[93] P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada, édition en feuillets mobiles, vol. 2, (Toronto : Carswell, 1992) par. 35.11b), aux p. 35-36, note 160, où l’auteur explique que :

[traduction] La Cour européenne des droits de l’homme, interprétant les clauses restrictives de la Convention européenne des droits de l’homme, a laissé aux États membres « une marge d’appréciation » [en français dans l’original], qu’en général on traduit automatiquement en anglais par « margin of appreciation », même s’il serait préférable de dire « measure of discretion ». Ce concept a permis à la Cour de tolérer plusieurs niveaux de dérogation aux droits garantis dans la Convention par déférence envers les différences de valeurs et de situations des États européens ayant ratifié la Convention.

Voir également Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 à la p. 999; D. Pannick, Comment, « Principles of Interpretation of Convention Rights under the Human Rights Act and the Discretionary Area of Judgment », [1998] P.L. 545.

[94] Voir La citoyenneté canadienne : Un sentiment d’appartenance : Rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, juin 1994, à la p. 15; dossier d’appel, annexe commune I, vol. II, 253, à la p. 269.

[95] P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada, édition en feuillets mobiles, vol. 2 (Toronto : Carswell, 1992) par. 35.12, aux p. 35 et 36.

[96] Voir D. Gibson, The Law of the Charter : Equality Rights (Toronto : Carswell, 1990), dans lequel l’auteur [à la p. 74], après avoir analysé l’arrêt Andrews, écrit :

[traduction] […] aucun tribunal saisi d’une question ayant trait à l’égalité peut éviter de dire d’une manière ou d’une autre si la situation de la personne ou du groupe invoquant l’article 15 est suffisamment similaire à celle d’autres personnes ou d’autres groupes, par des aspects pertinents, pour mériter un traitement égal.

Pour une solide analyse du critère de la « similitude de situation », voir Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto v. S (T.) (1989), 69 O.R. (2d) 189 (C.A.), aux p. 205 et 206, le juge Tarnopolsky de la Cour d’appel, écrivant après l’arrêt Andrews.

[97] Voir Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, aux pars. 56 à 58 incl., p. 531 et 532.

[98] L.R.C. (1985), ch. P-33, ci-après la « LEFP ».

[99] Les intimées contestent le fait que l’appelante Jeanne To Thanh Hien ait démontré qu’on lui avait refusé la possibilité de concourir pour un poste de la fonction publique en raison de l’art. 16(4)c). Un exposé complet du récit fait par les trois demanderesses se trouve dans le jugement du juge Wetston, dont le compte rendu se trouve dans [1995] 2 C.F. 623 (1re inst.).

[100] Le principe du mérite a été l’objectif central de la Loi de 1908 modifiant la Loi du service civil : voir l’allocution de l’honorable Sydney Fisher, Compte rendu officiel des Débats de la Chambre des communes, 4e session, 10e Parlement (25 juin 1908), aux p. 11318 à 11321.

[101] Voir, p. ex., Alan C. Cairns, « The Fragmentation of Canadian Citizenship » dans Douglas E. Williams (ouvrage collectif) Reconfigurations : Canadian Citizenship and Constitutional Change : Selected Essays by Alan C. Cairns (Toronto : McClelland & Stewart, 1995), à la p. 157; voir également Richard Sigurdson, « First Peoples, New Peoples, and Citizenship in Canada » (1996), 14 RIÉC 53; Jane Jenson et Susan Phillips, « Regime Shift : New Citizenship Practices in Canada » (1996), 14 RIÉC 111.

[102] Voir, p. ex., Peter J. Spiro, « Dual Nationality and the Meaning of Citizenship » (1997), 46 Emory L.J. 1411; Peter H. Schuck, « The Re-evaluation of American Citizenship » (1997), 12 Georgetown Immigration L. J. 1; Douglas G. Smith, « Citizenship and the Fourteenth Amendment » (1997), 34 San Diego L. Rev. 681; Note, « The Functionality of Citizenship » (1997), 110 Harv. L. Rev. 1814; Katherine A. Trisolini, Book Note « Rights Across Borders : Immigration and the Decline of Citizenship » (1997), 33 Stanford J. of Int’l L. 165.

[103] Cairns, supra, note 101.

[104] Sigurdson, supra, note 101.

[105] Francisco Colom-González, « Dimensions of Citizen-ship : Canada in Comparative Perspective » (1996), 14 RIÉC 95.

[106] Voir, p. ex., Heather Lardy, « Citizenship and the Right to Vote » (1997), 17 Oxford J. of L. Studies 75, à la p. 78.

[107] Voir, p. ex., Note, « The Functionality of Citizenship » (1997), 110 Harv. L. Rev. 1814, à la p. 1818.

[108] Ibid., à la p. 1814; voir également Peter Schuck, « The Re-evaluation of American Citizenship » (1997), 12 Georgetown Immigration L. J. 1, à la p. 13.

[109] Voir, p. ex., Irving Abella and Harold Troper, None is Too Many : Canada and the Jews of Europe, 1933-1948 (Toronto : Lester& Orpen Dennys, 1982). Voir également W. S. Tarnopolsky, « Discrimination and the Law in Canada » (1992), 41 R.D.U.N.-B. 215, aux p. 215 à 224.

[110] Voir, en particulier, William Kymlicka, Multicultural Citizenship : A Liberal Theory of Minority Rights. (Oxford : Clarendon Press, 1995).

[111] Robert J. Sharpe, « Citizenship, the Constitution Act, 1867, and the Charter » dans William Kaplan (ouvrage collectif) Belonging : The Meaning and Future of Canadian Citizenship (Montréal et Kingston : McGill-Queen’s University Press, 1993) 221, à la p. 236.

[112] Glynos c. Canada, [1992] 3 C.F. 691 (C.A.), à la p. 701.

[113] [1992] 1 R.C.S. 711, à la p. 736.

[114] [1990] 2 C.F. 299 (C.A.), aux p. 310 et 311.

[115] [1989] 1 R.C.S. 143, aux p. 196 et 197 (ci-après Andrews). Voir également, le jugement du juge McIntyre aux p. 182 et 183.

[116] Ibid., à la p. 152.

[117] Voir, p. ex., Sharpe, supra, note 111; voir également Desmond Morton, « Divided Loyalties? Divided Country? » dans William Kaplan (ouvrage collectif) Belonging : The Meaning and Future of Canadian Citizenship (Montréal et Kingston : McGill-Queen’s University Press, 1993) 50, à la p. 60 ([traduction] « La Charte des droits et libertés a, de propos délibéré, laissé aux citoyens peu d’avantages par rapport aux autres résidents du Canada ».)

[118] Pearkes c. Canada, (1993) 72 F.T.R. 90 (C.F. 1re inst.), à la p. 95.

[119] (1990), 66 D.L.R. (4th) 33 (C.S.C.-B.).

[120] Ibid., à la p. 41.

[121] Voir également Steward c. Law Society of New Brunswick (1990), 108 R.N.-B. (2d) 178 (B.R.), à la p. 180 « la Loi sur le Barreau du Nouveau-Brunswick autorise le résident permanent qui n’est pas citoyen canadien, mais qui déclare sous serment qu’il a l’intention de demander la citoyenneté, à demander l’admission au barreau du Nouveau-Brunswick. Cependant, je ne vois pas comment cette disposition pourrait sauver les articles incriminés étant donné les directives claires qu’a données la Cour suprême dans l’arrêt Andrews ». Mais voir Benmansour c. Québec (Directeur de l’État civil), [1994] A.Q. no 1259 (C.S.) (QL) [au par. 29 et 30] « De plus, il serait contraire au principe de stabilité du nom qu’un résident permanent puisse utiliser deux noms, celui qui figure sur son passeport et l’autre, dont il demande l’usage dans le présent dossier. Certes, le résident permanent qui se voit privé du droit de changer son nom subit un désavantage mais, il n’est pas prépondérant aux objectifs de stabilité, de contrôle et éventuellement, de sécurité qui en découlent. »

[122] S.C. 1908, ch. 15.

[123] Allocution de l’honorable Sydney Fisher, Débats de la Chambre des communes, 4e sess., 10e Parl. (25 juin 1908), à la p. 11968.

[124] S.C. 1881, ch. 13, art. 10.

[125] S.C. 1918, ch. 12, art. 38 et 41(1).

[126] Édictée dans le cadre de la Loi du service civil, S.R.C. 1927, ch. 22 [art. 33(1) (mod. par S.C. 1932, ch. 40, art. 6)].

[127] Discours de l’honorable O. Boulanger, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 17e Lég. (1er mai 1931), à la p. 1188.

[128] Ibid., à la p. 1189.

[129] Discours de l’honorable Paul Martin, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 20e Lég. (29 avril 1946), aux p. 1015 et 1016.

[130] Rapport du Comité spécial sur la gestion du personnel et le principe du mérite, 30 septembre 1979, à la p. 99.

[131] Parlement du Canada, Sous-comité sur les droits à l’égalité du Comité permanent de la justice et des questions juridiques. Premier rapport, 25 octobre 1985, à la p. 73.

[132] Cap sur l’égalité : Réponse au Rapport du Comité parlementaire sur les droits à l’égalité, 1985, à la p. 35.

[133] Débats de la Chambre des communes, Vol. VIII, 1re sess., 33e Lég. (26 mars 1986), à la p. 11916.

[134] Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, le juge Cory, aux pars. 67 et 68, p. 535 et 536.

[135] [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 156.

[136] [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344.

[137] Comparer les décisions de la Cour suprême dans l’affaire Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, et Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, avec les arrêts Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, et Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.

[138] [1999] 1 R.C.S. 497 (ci-après l’arrêt Law).

[139] Le plaignant peut, subsidiairement, démontrer que la mesure prise par l’État établit une distinction à l’encontre d’un groupe sur le fondement d’un faisceau de motifs énumérés ou de motifs analogues. Ainsi, l’État ne peut adopter de dispositions législatives établissant une discrimination fondée sur deux motifs, disons la race et le sexe, puis prétendre qu’il n’est pas satisfait au deuxième critère vu que la disposition n’est pas fondée pas sur un seul et unique motif. La manière dont le faisceau de plusieurs motifs est susceptible d’affecter l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1) ne peut guère être abordée en l’occurrence. Bande indienne de Batchewana (membres non-résidents) c. Bande indienne de Batchewana, [1997] 1 C.F. 689 (C.A.), aux p. 727 et 728; voir également l’arrêt Law, supra, note 138, au par. 37, p. 523.

[140] Egan c. Canada, [1993] 3 C.F. 401 (C.A), à la p. 430; voir également R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, à la p. 1328, le juge Wilson.

[141] Voir Egan, supra, note 140, aux p. 424 et suivantes; Schachtschneider c. Canada, [1994] 1 C.F. 40 (C.A.), aux p. 68 et suivantes; Bande indienne Batchewana (membres non-résidents) c. Bande indienne de Batchewana, [1997] 1 C.F. 689 (C.A.), aux p. 719 et suivantes.

[142] Dans toute affaire de discrimination, il est utile de revoir ce qu’en a écrit feu le juge Walter Tarnopolsky, un des héros canadiens de la longue marche vers l’égalité. L’article du juge Tarnopolsky « Discrimination and the Law in Canada » (1992), 41 R.D.U.N.-B. 215, aux p. 215 à 224, retrace de manière concise et vivante les antécédents canadiens en matière de discrimination à l’encontre des immigrants. Son intelligence, sa sagesse et son courage nous seraient fort utiles aujourd’hui.

[143] Law, supra, note 138, au par. 78, p. 542 et 543.

[144] Law, supra, note 138, au par. 3, p. 508.

[145] Law, supra, note 138, au par. 7, p. 509.

[146] Law, supra, note 138, au par. 24, p. 517.

[147] Law, supra, note 138, aux pars. 25 et 38, p. 517 et 518 et 523.

[148] Law, supra, note 138, aux pars. 25 et 36, p. 517 et 518 et 522 et 523.

[149] Law, supra, note 138, aux pars. 28 et 82, p. 519 et 544 et 545.

[150] Law, supra, note 138, au par. 28, p. 519.

[151] Notons que la Cour suprême n’exige pas que l’objet de la mesure étatique en cause soit contraire à l’objet du paragraphe 15(1); l’arrêt Law, supra, n’a pas modifié l’idée, depuis longtemps en vigueur au Canada, que les effets d’une mesure étatique peuvent entraîner une violation du paragraphe 15(1).

[152] Law, supra, note 138, au par. 48, p. 528.

[153] Vriend, supra, note 134, au par. 183, p. 580.

[154] Arrêt Law, supra, note 138, aux par. 59 et 60, p. 532 et 533.

[155] Arrêt Law, supra, note 138, aux par. 62 et 75, p. 534 et 540 et 541.

[156] Arrêt Law, supra, note 138, au pars. 75, p. 540 et 541.

[157] Arrêt Law, supra, note 138, aux pars. 77 à 79, p. 541 à 543.

[158] Arrêt Law, supra, note 138, au pars. 29, p. 519 et 520.

[159] Tarnopolsky, supra, notes 109 et 142, aux p. 218 et 222 et 223.

[160] David Beatty, « Labour is not a Commodity » dans Reiter et Swan, (ouvrage collectif) Studies in Contract Law (Toronto : Butterworths, 1980), à la p. 320.

[161] Ibid. à la p. 324.

[162] Voir l’arrêt Law, supra, note 138, au par. 74, p. 540.

[163] Larbi-Odam and Others v. Member of the Executive Council for Education, CCT 2-97, au par. 17.

[164] Ibid., au par. 23.

[165] Ibid., au par. 24.

[166] Ibid., au par. 25.

[167] Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, au par. 182, p. 605, le juge Iacobucci; l’arrêt Eldridge, supra, note 137, au par. 84, p. 684 et 685, le juge La Forest; l’arrêt Vriend, supra, note 134, au par. 108, p. 554, le juge Iacobucci.

[168] [1995] 3 R.C.S. 199 aux pars. 128 et 129; p. 328 et 329.

[169] Voir Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, au par. 87, p. 939.

[170] RJR-MacDonald Inc., supra, note 168, au par. 88, p. 295.

[171] Ibid., aux pars. 79 à 81, p. 285 à 289, le juge La Forest (« je conclus qu’une cour d’appel peut modifier une conclusion d’un juge de première instance concernant un fait législatif ou social en cause dans une détermination de la constitutionnalité lorsqu’elle décide que le juge de première instance a commis une erreur dans son examen ou son évaluation de la question. »

[172] Voir R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 335, le juge Dickson.

[173] [1995] 2 C.F. 623 (1re inst.), à la p. 651, citant les Débats de la Chambre des communes, 4e sess., 10e Parl., Vol. LXXXVII, 25 juin 1908, à la p. 11968.

[174] [1995] 2 C.F. 623 (1re inst.), à la p. 653.

[175] Voir, p. ex., R. c. Big M. Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 334; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, aux p. 754 et 755; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 973; R. c. Zundel, [1992] 2 S.C.R. 731, aux p. 760 et 761; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, à la p. 494.

[176] [1991] 2 R.C.S. 211, à la p. 291; adopté par le juge La Forest dans l’arrêt RJR-MacDonald, supra, note 168, au par. 82, p. 290.

[177] Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] 1 C.F. 250 (C.A.), à la p. 283. Voir également l’arrêt Egan, supra, note 140.

[178] Voir l’arrêt Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), supra, note 169, aux pars. 111 à 117, p. 955 à 962.

[179] Ibid., au par. 111, p. 955.

[180] Ibid., au par. 113, p. 956 et 957.

[181] Ibid., au par. 114, p. 957 et 958.

[182] Ibid., au par 116, p. 960 et 961.

[183] [1995] 2 C.F. 623 (1re inst.).

[184] Ibid.

[185] Le professeur Peter Schuck, un des témoins experts cités dans la présente affaire par le gouvernement, a brièvement expliqué la jurisprudence américaine concernant la préférence accordée aux citoyens pour les emplois de la fonction publique, dans son article de 1997 intitulé :« The Re-evaluation of American Citizenship » (1997), 12 Georgetown Immigration L. J. 1, à la p. 14 :

[traduction] Aux États-Unis, la politique qui exclut des emplois de la fonction publique fédérale les étrangers, comparable à la pratique actuellement en vigueur dans la plupart des pays, a sans doute plus d’incidence sur les étrangers que le fait de ne pas pouvoir servir au sein d’un jury. Rares seront les résidents permanents en situation régulière qui, avant de se faire naturaliser, brigueront une charge publique. Nombreux, par contre, sont ceux qui pourraient vouloir travailler dans les fonctions publiques fédérale, étatique ou locale. Dans deux arrêts remontant au milieu des années 70, la Cour suprême appliqua les principes constitutionnels en matière de discrimination à l’encontre des étrangers voulant accéder à la fonction publique. La Cour estima que la Constitution permettait au Congrès et au Président d’exclure les non-citoyens des emplois dans la fonction publique fédérale (ce qui a effectivement lieu depuis les années 1880), précisant, cependant, que les États ne pouvaient pas subordonner à la citoyenneté l’emploi dans leur propre fonction publique. La Cour a insisté sur l’existence d’un intérêt fédéral exclusif portant à réglementer l’immigration, principe examiné plus à fond plus loin. La Cour a reconnu aux États, cependant, le pouvoir d’exclure des résidents permanents de certaines catégories d’emploi correspondant à la « fonction politique » de l’État, tels les emplois d’enseignant ou d’agent de police. Cette distinction entre les emplois participant de la fonction politique de l’État et les autres s’est avérée extrêmement difficile à appliquer même si la Cour continue d’y recourir.

Il convient de noter que le cadre constitutionnel dans lequel s’élabore le droit de la citoyenneté aux États-Unis diffère grandement du cadre constitutionnel canadien : voir Note, « The Functionality of Citizenship » supra , note 107, à la p. 1821 [traduction] « L’invalidation par la Cour suprême des distinctions établies dans les États en matière d’extranéité est directement fondée sur la clause du quatorzième amendement de la Constitution garantissant l’égalité de protection de la loi, qui ne s’applique pas au gouvernement fédéral. Le contrôle judiciaire des distinctions établies par le gouvernement fédéral en matière d’extranéité repose plutôt sur la clause du cinquième amendement de la Constitution garantissant l’équité procédurale et n’a de contrôle que le nom. » Voir également Graham v. Richardson, 403 U.S. 365 (1971), à la p. 372 « les classifications établies par les États en fonction de l’extranéité sont considérées comme étant fondamentalement suspectes et font l’objet d’un examen rigoureux. » À partir de 1977, les seuls droits que les États pouvaient manifestement refuser aux étrangers étaient le droit de vote, le droit d’occuper un mandat électif et celui de servir au sein d’un jury : voir Note, « The Functionality of Citizenship » supra, note 107, à la note en bas de page 41.

[186] RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), supra, note 168, au par. 168, p. 346, le juge McLachlin. Voir également l’arrêt Vriend, supra, note 134, aux pars. 126 et 127, p. 561-562, le juge Iacobucci.

[187] Voir Thomson Newspapers, supra, note 169, aux par. 123 à 127, p. 967 à 971; voir également Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, aux p. 888 et 889.

[188] Dagenais, supra, à la p. 889.

[189] Thomson Newspapers, supra, note 169, au par. 125, p. 969.

[190] Austin, supra, note 119, à la p. 41.

[191] Andrews, supra, note 115, à la p. 197, citant Kask v. Shimizu, Doe, Bloggs and Charles Camsell Hospital (1986), 69 A.R. 343 (Q.B.), à la p. 349.

[192] Loi concernant la citoyenneté canadienne, projet de loi C-63, 1re sess., 36e Lég. (première lecture, 7 décembre 1998).

[193] Voir Citoyenneté et l’Immigration Canada, Loi sur la citoyenneté au Canada disponible sur le Web à l’adresse <http ://cicnet.ci.gc.ca/french/about/policy/citact_f.html>.

[194] [Trousses et formulaires de demande] disponible sur le Web à l’adresse< http ://cicnet.ci.gc.ca/french/coming/index.html> et< http ://cicnet.ci.gc.ca/french/fmain.html>.

[195] La procédure prévue pour l’obtention du statut de résident au Canada comprend, mais ce n’est pas tout, des « frais de droit d’établissement » de 975 $; la somme de 500 $ qui doit accompagner toute « Demande de Résidence Permanente » des frais de 275 $ pour le « Décret-A38(1) droit d’établissement »; et une somme dont le montant n’est pas précisé pour la « constitution du dossier ». Pour une liste complète de ces frais, voir Citoyenneté et Immigration Canada. « Barème des droits exigés pour les services de Citoyenneté et Immigration » qui peut être obtenue à < http ://cicnet.ci.gc.ca/french/info/fees-f.html>.

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