Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2000] 3 C.F. 563

A-456-99

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant) (demandeur)

c.

Walter Gonzales Toledo (intimé) (défendeur)

Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Toledo (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Rothstein et Malone, J.C.A.—Winnipeg, 27 mars; Ottawa, 5 avril 2000.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de résidents permanents — Appel du rejet de la demande de contrôle judiciaire de la décision de la section d’appel de la CISR de rouvrir l’appel d’une mesure d’expulsion après que l’intimé eut été expulsé, après le dépôt de la requête en réouverture, mais avant que la section d’appel n’ait accueilli la requête — Le ratio decidendi de l’arrêt Grillas (C.S.C.) ne peut étayer la proposition selon laquelle un appel ne peut être rouvert lorsque l’appelant n’ayant pas eu gain de cause a été expulsé du Canada avant qu’on ait entendu sa requête en réouverture et statué à cet égard — Les dispositions de la version actuelle de la Loi sur l’immigration reconnaissent à la section d’appel l’attribution d’une compétence qui se prolonge dans le temps pour rouvrir un appel dans les cas où cette même compétence a déjà été engagée au moment de l’expulsion du Canada — Le dépôt d’une requête en réouverture d’appel n’empêche pas le ministre de procéder à l’exécution de la mesure d’expulsion « dès que les circonstances le permettent » — La mesure d’expulsion demeure valide même lorsqu’on a ordonné de surseoir à son exécution — Vu les méthodes de communication modernes, une personne expulsée a rarement besoin de revenir au pays pour la tenue d’une nouvelle audience.

Le présent appel porte sur la question certifiée suivante : la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a rejeté l’appel d’une mesure d’expulsion a-t-elle compétence pour rouvrir l’appel si la mesure d’expulsion est exécutée après le dépôt de la requête en réouverture, mais avant que la section d’appel n’ait accueilli la requête? Le juge de première instance a répondu par l’affirmative à cette question.

Une mesure d’expulsion a été prise contre l’intimé, qui a interjeté appel de cette mesure auprès de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, ce qui a donné lieu à un sursis prévu par la loi à l’exécution de la mesure d’expulsion. La section d’appel a rejeté l’appel présenté par l’intimé. L’intimé a alors déposé une demande d’autorisation d’engager une procédure de contrôle judiciaire, ce que la Cour a refusé, mettant ainsi fin au sursis prévu par la loi. À cette étape-là, le ministre était tenu en vertu de l’article 48 de la Loi sur l’immigration de procéder à l’exécution de la mesure d’expulsion « dès que les circonstances le permettent ». L’intimé a déposé une requête en réouverture d’appel de la mesure d’expulsion, citant de nouveaux éléments de preuve. L’intimé a été expulsé avant que la section d’appel ait pu statuer sur la demande. La section d’appel a subséquemment accueilli la requête et a rendu une ordonnance pour permettre à l’intimé de revenir au Canada en vue d’assister à l’audition de son appel rouvert. La section d’appel a rejeté l’argument portant qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur l’appel rouvert du fait que le demandeur a été expulsé avant que la décision de rouvrir l’appel n’ait été rendue et a ordonné un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure d’expulsion. La demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre a été rejetée.

Arrêt : l’appel doit être rejeté et la question certifiée doit être répondue par l’affirmative.

La Cour suprême du Canada n’a pas déterminé dans l’arrêt Grillas qu’un appel ne peut être rouvert lorsque l’appelant n’ayant pas eu gain de cause a été expulsé du Canada avant qu’on ait entendu sa requête en réouverture et statué à cet égard. L’affirmation faite par le juge Abbott dans Grillas c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, selon laquelle il est loisible à la Commission d’appel (aujourd’hui la section d’appel) de rouvrir un appel « jusqu’à l’exécution effective de l’ordonnance d’expulsion », ne peut servir de fondement à l’argumentation car elle ne constituait qu’un obiter dictum et imputait au juge Martland des mots qu’il n’a jamais employés. Le juge Martland a simplement dit que la Commission d’appel possédait une compétence d’« équité » (equity) qui se prolongeait dans le temps, sans toutefois se prononcer sur le moment où cette compétence cessait de s’appliquer. Par conséquent, les termes « jusqu’à l’exécution effective de l’ordonnance d’expulsion » ne reflètent pas le point de vue des trois autres membres de la formation de cinq juges. Finalement, le juge Abbott n’a cité que l’article 15 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration. Il n’a pas fait référence à l’article 16, ni à l’article 35 de la Loi sur l’immigration qui, lus de concert avec le paragraphe 15(2) (accordant à la Commission d’appel le pouvoir de permettre à une personne « de venir » au Canada une fois qu’elle a ordonné de surseoir à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion), envisagent clairement la possibilité que la Commission d’appel puisse exercer sa compétence après l’exécution de la mesure d’expulsion. Lorsqu’on accepte que la Commission d’appel est investie d’une compétence d’« équité » qui se prolonge dans le temps, on ne peut en principe avancer que la Commission d’appel, lorsqu’elle est saisie à bon droit d’une requête pour faire exercer cette compétence qui se prolonge dans le temps, n’est pas habilitée à accueillir une requête en réouverture du fait que l’appelant n’ayant pas eu gain de cause a subséquemment été expulsé du Canada.

Les dispositions de la version actuelle de la Loi sur l’immigration reconnaissent à la section d’appel l’attribution d’une compétence qui se prolonge dans le temps pour rouvrir un appel dans les cas où cette même compétence a déjà été engagée au moment où l’appelant n’ayant pas eu gain de cause est expulsé du Canada. Le paragraphe 15(2) et l’article 16 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration ont été repris aux articles 74 et 75 de la Loi sur l’Immigration, et les articles 55 et 56 ont élargi la portée de l’article 35. La conclusion de l’arrêt Grillas relative à une compétence d’« équité » qui se prolonge dans le temps n’a pas à être réexaminée à la lumière de la nouvelle loi, qui permet encore à la section d’appel de rouvrir un appel lorsqu’elle est saisie d’une requête déposée par un appelant n’ayant pas eu gain de cause avant son expulsion du Canada. Le dépôt d’une requête en réouverture d’appel n’empêche pas le ministre de procéder à l’exécution de la mesure d’expulsion « dès que les circonstances le permettent ». Ce retour n’a aucune incidence sur l’existence continue et la validité présumée de la mesure d’expulsion. La mesure d’expulsion demeure valide même lorsqu’on a ordonné de surseoir à son exécution. De plus, avec les méthodes de communication modernes, seules des circonstances particulières exigeront que la personne expulsée retourne au pays pour la tenue d’une nouvelle audience d’un appel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, S.C. 1966-67, ch. 90, art. 15, 16.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16, 123), 32(2), 48, 49(1)b) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41), c) (mod., idem), 50, 55(1), 56 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 33), 70(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), (5) (mod., idem), 74(2) (mod., idem), 75 (mod., idem), 83 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

Loi sur l’immigration, S.R.C. 1970, ch. I-2, art. 35.

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 128.

JURISPRUDENCE

DÉCISION EXAMINÉE :

Grillas c. Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration, [1972] R.C.S. 577; (1971), 23 D.L.R. (3d) 1.

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Harrison, [1998] 4 C.F. 557 (1998), 155 F.T.R. 251; 47 Imm. L.R. (2d) 173 (1re inst.); Ramkissoon c. Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration, [1978] 2 C.F. 290 (1977), 82 D.L.R. (3d) 406; 20 N.R. 361 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Clancy (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 171; 86 N.R. 301 (C.A.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Binns (1996), 122 F.T.R. 56 (C.F. 1re inst.).

APPEL du rejet de la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de rouvrir l’appel d’une mesure d’expulsion après que la mesure d’expulsion eut été exécutée (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Can.) et al. (1999), 171 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.)) et question certifiée quant à la compétence de la Commission pour rouvrir l’appel dans de telles circonstances. Appel rejeté et question certifiée répondue par l’affirmative.

ONT COMPARU :

Sharlene Telles-Langdon pour l’appelant (demandeur).

David Matas pour l’intimé (défendeur).

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant (demandeur).

David Matas, Winnipeg, pour l’intimé (défendeur).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Décary, J.C.A. : Le présent appel porte sur la question suivante que le juge Sharlow, alors juge à la Section de première instance, avait certifiée aux termes de l’article 83 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration (la Loi) (L.R.C. (1985), ch. I-2) :

La section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a entendu et rejeté l’appel d’une mesure d’expulsion a-t-elle compétence pour rouvrir l’appel si la mesure d’expulsion est exécutée après le dépôt de la requête en réouverture, mais avant que la section d’appel n’ait accueilli la requête?

[2]        Dans un jugement rapporté dans (1999), 171 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.), Mme le juge Sharlow a répondu par l’affirmative à cette question. Ce faisant, elle s’est essentiellement fondée sur la décision rendue par Mme le juge Reed dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Harrison, [1998] 4 C.F. 557 (1re inst.).

[3]        Le contexte factuel en l’espèce est relativement simple. L’intimé (M. Toledo) est arrivé au Canada à titre de résident permanent en 1990. En janvier 1994, il a été déclaré coupable d’une infraction criminelle, ce qui a donné lieu à la tenue d’une enquête prévue à l’article 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16, 123] de la Loi et à une décision statuant qu’il était une personne visée à l’alinéa 27(1)d), c’est-à-dire une personne qui a été déclarée coupable d’une infraction pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois a été imposé, ou pouvant être punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans. L’enquête a entraîné à son tour, en juin 1994, la prise d’une mesure d’expulsion aux termes du paragraphe 32(2) de la Loi. Étant donné que le ministre n’a pas émis d’avis selon lequel M. Toledo constituait un danger pour le public, en application du paragraphe 70(5) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi, il était loisible à M. Toledo d’interjeter appel de la mesure d’expulsion auprès de la section d’appel aux termes du paragraphe 70(1) [mod., idem], ce qu’il a fait. Le dépôt de cet appel a donné lieu à un sursis prévu par la loi à l’exécution de la mesure d’expulsion, conformément à l’alinéa 49(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41] de la Loi.

[4]        En octobre 1996, la section d’appel a rejeté l’appel présenté par M. Toledo. Ce dernier a alors déposé une demande d’autorisation d’engager une procédure de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. Le dépôt de cette demande a permis le maintien du sursis à l’exécution prévu par la loi (sous-alinéa 49(1)c)(i) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41] de la Loi).

[5]        La Cour a rejeté la demande d’autorisation d’engager une procédure de contrôle judiciaire en juin 1997. Cette décision a mis fin au sursis prévu par la loi. À cette étape-là, le ministre était tenu en vertu de l’article 48 de la Loi de procéder à l’exécution de la mesure d’expulsion « dès que les circonstances le permettent ».

[6]        À un certain moment au mois d’août 1997 ou avant, les autorités de l’immigration ont commencé les procédures nécessaires pour exécuter la mesure d’expulsion. Entre temps, le 8 août 1997, M. Toledo a déposé auprès de la section d’appel une requête en réouverture d’appel de la mesure d’expulsion, citant de nouveaux éléments de preuve. Il n’est pas contesté qu’à cette date il était loisible à M. Toledo de déposer une telle requête. En outre, le ministre ne plaide pas que la requête de M. Toledo constituait une procédure de toute dernière minute dont le dépôt devait servir à retarder son expulsion.

[7]        Le 22 septembre 1997, on a informé M. Toledo qu’il serait expulsé du Canada le 26 septembre 1997. M. Toledo soutient qu’il avait télécopié à la section d’appel une lettre en date du 22 septembre 1997 pour lui demander de statuer sur la demande de réouverture d’appel avant la date effective de l’expulsion, mais sans succès. Le 29 septembre 1997, M. Toledo a été expulsé vers le Guatemala.

[8]        Par une ordonnance datée du 30 septembre 1997 et signée le 16 octobre 1997, la section d’appel a accueilli la requête en réouverture d’appel de M. Toledo. Elle ignorait à ce moment-là que la mesure d’expulsion avait été exécutée.

[9]        L’audition de l’appel rouvert a été fixée au mois de mars 1998, et en janvier 1998 la section d’appel a rendu une ordonnance en vertu de l’article 75 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi pour permettre à M. Toledo de revenir au Canada en vue d’assister à l’audition de son appel rouvert.

[10]      L’audition de l’appel rouvert s’est déroulée en mars et en avril 1998. M. Toledo a assisté à la nouvelle audience. L’avocate du ministre a soutenu devant la section d’appel que celle-ci n’avait pas compétence pour statuer sur l’appel rouvert puisque l’appelant a été expulsé avant que la décision de rouvrir l’appel n’ait été rendue. La section d’appel a rejeté cet argument. Dans sa décision datée du 30 juin 1998 et signée le 2 juillet 1998, la section d’appel a tranché en faveur de l’appelant et a ordonné un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure d’expulsion, qu’elle a assorti de certaines modalités.

[11]      Le ministre a cherché à engager un contrôle judiciaire auprès de la Section de première instance de la Cour, au motif que la section d’appel avait agi hors de son champ de compétence en rendant une telle décision. Le juge Sharlow a rejeté la demande, maintenu la décision de la section d’appel et certifié la question énoncée au premier paragraphe des présents motifs.

[12]      La Cour est saisie dans le présent appel de la question de la compétence de la section d’appel pour rouvrir un appel lorsque l’appelant n’ayant pas eu gain de cause a été expulsé du Canada après le dépôt de la requête en réouverture, mais avant que la section d’appel n’y fasse droit. La Cour n’est pas saisie de la question de la compétence de la section d’appel pour rouvrir un appel lorsque l’appelant n’ayant pas eu gain de cause a été expulsé avant le dépôt de la requête en réouverture, c’est-à-dire avant que ne soit engagée la compétence qui se prolonge dans le temps attribuable à la section d’appel.

[13]      Il n’est pas question non plus de la légalité de l’expulsion. L’expulsion s’est déroulée de façon conforme à la loi. La loi oblige le ministre à expulser un appelant n’ayant pas eu gain de cause « dès que les circonstances le permettent » (article 48 de la Loi), à moins qu’une ordonnance de sursis prévu par la loi à l’exécution de la mesure d’expulsion ne soit en vigueur conformément aux articles 49 et 50 de la Loi, et le législateur n’a pas prévu la possibilité d’un sursis prévu par la loi à l’étape de la demande de réouverture d’appel au cours des procédures entamées devant la section d’appel.

[14]      On a également informé la Cour de la politique du ministre qui consiste à ne pas exécuter une mesure d’expulsion une fois que la section d’appel a fait droit à une requête en réouverture. Il appert que le ministre est d’avis que la réouverture effective d’un appel équivaut à un appel pour les fins du sursis prévu par la loi. Ce point de vue se fonde sur la reconnaissance, par le ministre, que la section d’appel possède une compétence d’« équité » (equity) qui se prolonge dans le temps pour rouvrir un appel, comme l’a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Grillas c. Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration, [1972] R.C.S. 577.

[15]      Le ministre s’appuie en grande partie sur l’affirmation faite par le juge Abbott dans l’arrêt Grillas (précité, à la page 582) selon laquelle il est loisible à la Commission d’appel (aujourd’hui la section d’appel) de rouvrir un appel « jusqu’à l’exécution effective de l’ordonnance d’expulsion ». Cette proposition a subséquemment été citée par la Cour dans les arrêts Ramkissoon c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1978] 2 C.F. 290 (C.A.), et Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Clancy (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 171 (C.A.F.), puis par le juge Rouleau dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Binns (1996), 122 F.T.R. 56 (C.F. 1re inst.). La version intégrale de cette proposition suit :

Pour les mêmes motifs que ceux qu’énonce mon collègue le Juge Martland, je suis d’avis que jusqu’à l’exécution effective de l’ordonnance d’expulsion, la Commission a le pouvoir, comme elle l’a fait dans ce cas-ci, de reprendre un appel, d’entendre une nouvelle preuve, et, si elle le juge à propos, de réviser la décision qu’elle a déjà rendue et d’exercer le pouvoir discrétionnaire qu’elle possède en vertu de l’art. 15 d’autoriser un appelant à demeurer au Canada. [Non souligné dans l’original.]

[16]      Avec égards, je suis d’avis que les commentaires formulés par le juge Abbott ne peuvent servir de fondement à l’argumentation du ministre, et ce, pour les motifs qui suivent.

[17]      En premier lieu, ces commentaires constituaient, tout au plus, un obiter dictum, puisque M. Grillas n’a jamais été expulsé du Canada.

[18]      En second lieu, ces commentaires imputent au juge Martland des mots qu’il n’a jamais employés. Ce dernier a simplement dit que la Commission d’appel possédait une compétence d’« équité » qui se prolongeait dans le temps, sans toutefois se prononcer sur le moment où cette compétence cessait de s’appliquer. Pour reprendre ses propres termes, à la page 590 : « cette compétence « d’équité » que la Commission possède […] est une compétence qui se prolonge dans le temps et non une compétence qu’elle exerce une fois pour toutes ». Par conséquent, les termes « jusqu’à l’exécution effective de l’ordonnance d’expulsion » ne représentent que le point de vue du juge Abbott et du juge Judson qui a souscrit à son opinion; ils ne reflètent pas le point de vue des trois autres membres de la formation de cinq juges.

[19]      Il existe un troisième motif convaincant pour lequel ces commentaires ne devraient pas être retenus. Le juge Abbott n’a cité que l’article 15 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, S.C. 1966-67, ch. 90, qui dispose :

15. (1) Lorsque la Commission rejette un appel d’une ordonnance d’expulsion ou rend une ordonnance d’expulsion en conformité de l’alinéa c) de l’article 14, elle doit ordonner que l’ordonnance soit exécutée le plus tôt possible, sauf que

a) dans le cas d’une personne qui était un résident permanent à l’époque où a été rendue l’ordonnance d’expulsion, compte tenu de toutes les circonstances du cas, ou

[…]

la Commission peut ordonner de surseoir à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion ou peut annuler l’ordonnance et ordonner qu’il soit accordé à la personne contre qui l’ordonnance avait été rendue le droit d’entrée ou de débarquement.

(2) Lorsque, en conformité du paragraphe (1), la Commission ordonne de surseoir à l’exécution d’une ordonnance d’expulsion, elle doit permettre à la personne intéressée de venir ou de demeurer au Canada aux conditions qu’elle peut prescrire et doit examiner de nouveau l’affaire, à l’occasion, selon qu’elle l’estime nécessaire ou opportun.

(3) La Commission peut, en tout temps,

a) modifier les conditions prescrites aux termes du paragraphe (2) ou imposer de nouvelles conditions; ou

Il a cependant omis de se reporter à l’article 16 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, qui prévoit :

16. Lorsqu’une personne, dont l’expulsion a été ordonnée et qui a été renvoyée au lieu d’où elle est venue au Canada comme l’exige le paragraphe (1) de l’article 24 de la Loi sur l’immigration, avise la Commission par écrit de son désir de comparaître en personne devant la Commission lors de l’audition de son appel de l’ordonnance d’expulsion, la Commission peut autoriser cette personne à revenir au Canada, à cette fin, aux conditions qu’elle peut prescrire.

Il a en outre omis de renvoyer à l’article 35 de la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1970, ch. I-2, ainsi rédigé :

35. Sauf lorsqu’un appel d’une telle ordonnance est admis, une personne contre qui une ordonnance d’expulsion a été rendue et qui est expulsée ou quitte le Canada, ne doit pas subséquemment être admise dans ce pays, ou il ne doit pas lui être permis d’y demeurer, sans le consentement du Ministre.

[20]      Lus de concert avec le paragraphe 15(2) de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration qui accordait à la Commission d’appel le pouvoir de permettre à une personne « de venir » au Canada une fois qu’elle a ordonné de surseoir à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion, ces deux articles renvoient clairement à la possibilité que la Commission d’appel puisse exercer sa compétence après l’exécution de la mesure d’expulsion. Lorsqu’on accepte que la Commission d’appel est investie d’une compétence d’« équité » qui se prolonge dans le temps, on ne peut en principe avancer que la Commission d’appel, lorsqu’elle est saisie à bon droit d’une requête pour faire exercer cette compétence qui se prolonge dans le temps, n’est pas habilitée à accueillir une requête en réouverture du fait que l’appelant n’ayant pas eu gain de cause a subséquemment été expulsé du Canada.

[21]      La Loi sur la Commission d’appel de l’immigration a été abrogée par l’article 128 de la Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52. Les fonctions auparavant attribuées à la Commission d’appel de l’immigration ont été modifiées par la législation subséquente. Elles incombent aujourd’hui à la section d’appel de l’immigration, dont la compétence et les pouvoirs sont définis aux articles 69.4 à 80 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, sous sa forme modifiée.

[22]      Le ministre n’a pas plaidé que la conclusion tirée dans l’arrêt Grillas relative à une compétence d’« équité » qui se prolonge dans le temps devrait être révisée à la lumière de la nouvelle législation. Quant à savoir si la nouvelle législation permet encore à la section d’appel de rouvrir un appel lorsqu’une requête est déposée par un appelant n’ayant pas eu gain de cause avant son expulsion du Canada, la réponse est clairement affirmative.

[23]      L’article 16 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration a été repris sous une forme légèrement différente à l’article 75 de la Loi, qui prévoit :

75. La section d’appel peut, sur demande écrite en ce sens, autoriser les personnes ayant quitté le Canada par suite d’une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel à y revenir pour l’audition de l’appel qu’elles ont interjeté contre la mesure et fixer les conditions de retour.

[24]      Le paragraphe 15(2) de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration a également été repris par le paragraphe 74(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi, qui dispose :

74. […]

(2) En cas de sursis d’exécution de la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l’appelant est autorisé à entrer ou à demeurer au Canada aux éventuelles conditions fixées par la section d’appel. Celle-ci réexamine le cas en tant que de besoin.

[25]      Le paragraphe 55(1) et l’article 56 de la Loi ont élargi la portée de l’ancien article 35 de la manière suivante :

55. (1) Sous réserve de l’article 56, quiconque fait l’objet d’une mesure d’expulsion ne peut plus revenir au Canada sans l’autorisation écrite du ministre, sauf si la mesure est annulée en appel.

[…]

56. (1) La personne autorisée par la section d’appel, en vertu de l’article 75, à revenir au Canada pour l’audition de son appel peut entrer au Canada à cette fin, sans une autorisation écrite du ministre.

(2) Dans le cas où la section d’appel, conformément au paragraphe 73(1), ordonne de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi, la personne qui en fait l’objet peut entrer au Canada sans l’autorisation écrite du ministre pendant la durée du sursis.

[26]      Je conclus par conséquent que la Cour suprême du Canada n’a pas déterminé dans l’arrêt Grillas, précité, qu’un appel ne peut être rouvert lorsque l’appelant n’ayant pas eu gain de cause a été expulsé du Canada avant qu’on ait entendu sa requête en réouverture et statué à cet égard. Les dispositions de la version actuelle de la Loi sur l’immigration reconnaissent à la section d’appel l’attribution d’une compétence qui se prolonge dans le temps pour rouvrir un appel dans les cas où cette même compétence a déjà été engagée au moment où l’appelant n’ayant pas eu gain de cause est expulsé du Canada.

[27]      Il n’a pas été plaidé, et je ne serais certainement pas prêt à statuer en ce sens, que le dépôt d’une requête en réouverture d’appel empêche le ministre de procéder à l’exécution de la mesure d’expulsion « dès que les circonstances le permettent », tel que le prévoit l’article 48 de la Loi. Le dépôt de la requête ne constitue pas un événement qui déclenche l’application des dispositions relatives au sursis à l’exécution que l’on retrouve aux articles 49 et 50 et il est impossible, à cette étape-là, d’empêcher le ministre d’exécuter la mesure d’expulsion. Je dois m’empresser d’ajouter que la personne dont l’expulsion a été ordonnée ne peut être autorisée à revenir au Canada que pour les « fin[s]» d’une nouvelle audience et que son retour peut être assujetti «aux conditions » que la section d’appel peut prescrire. À proprement parler, on ne peut affirmer que l’appelant a le droit de revenir au Canada; il n’a que le droit de demander l’autorisation d’y revenir et, même lorsqu’il est fait droit à cette demande, il n’est autorisé à revenir que pour les fins exclusives de la tenue d’une nouvelle audience. Ce retour n’a aucune incidence sur l’existence continue et la validité présumée de la mesure d’expulsion.

[28]      Il est intéressant de noter que lors de l’audience, l’avocate du ministre a renoncé à son argument suivant lequel on ne peut surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion après que la mesure a été exécutée. En règle générale, l’argument portant qu’on ne peut désormais empêcher ce qui a déjà été effectué dans les faits (en l’espèce, l’expulsion du Canada) est parfaitement logique. Dans le contexte de la Loi sur l’immigration, cependant, comme nous l’avons vu précédemment, certaines dispositions prévoient qu’une personne qui a fait l’objet d’une mesure d’expulsion peut être autorisée à revenir au Canada avec le consentement du ministre ou l’approbation de la section d’appel; l’existence de ces dispositions implique forcément qu’il est loisible à la section d’appel d’accorder un sursis même lorsqu’une mesure d’expulsion a été exécutée. Il importe de se rappeler, cependant, que la mesure d’expulsion demeure valide même lorsqu’on a ordonné de surseoir à son exécution. En l’espèce, par exemple, la section d’appel n’a pas annulé la mesure d’expulsion au terme de la nouvelle audience, ordonnant plutôt qu’il soit sursis à son exécution pendant trois années.

[29]      Finalement, je ne peux présumer que, lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 75 de la Loi pour permettre à un appelant de revenir au Canada pour les fins de la réouverture de son appel, la section d’appel cherchera systématiquement à entraver l’exercice par le ministre de son obligation prévue par la loi d’expulser du Canada les appelants n’ayant pas eu gain de cause et ce, « dès que les circonstances le permettent ». La Cour a été informée au cours de l’audience que la section d’appel ne permettait que rarement le retour au Canada, pour les fins d’une nouvelle audience relative à l’appel, d’une personne qui a fait l’objet d’une mesure d’expulsion. Les méthodes de communication modernes sont telles que la présence physique de l’appelant lors de la tenue de la nouvelle audience ne serait requise que dans des circonstances particulières.

[30]      Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le présent appel, d’adjuger les dépens à l’intimé et de répondre par l’affirmative à la question certifiée.

Le juge Rothstein, J.C.A. : Je souscris aux motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.