Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T‑1232‑05

2006 CF 984

Pfizer Canada Inc. (demanderesse)

c.

Le ministre de la Santé et Apotex Inc. (défendeurs)

et

Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH (défenderesse/ titulaire du brevet)

Répertorié : Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.F.)

Cour fédérale, juge Teitelbaum—Ottawa, 27 juillet et 17 août 2006.

Pratique — Affidavits — Appel à l’encontre d’une ordonnance d’une protonotaire rejetant la requête de la demanderesse en autorisation de déposer son affidavit en réponse en vertu de la règle 312 des Règles des Cours fédérales —  Il s’agissait de savoir si la protonotaire avait incorporé à tort une quatrième condition (si la contre‑preuve qu’on veut déposer était disponible auparavant) dans le critère à trois volets applicable aux requêtes en autorisation de dépôt de contre‑preuve —  Les observations que la Cour d’appel fédérale a formulées dans Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein relativement aux règles qui régissent le dépôt d’affidavits complémentaires s’appliquent à toutes les requêtes formées sous le régime de la règle 312 —  Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une ordonnance d’une protonotaire rejetant la requête de la demanderesse (Pfizer) en autorisation de déposer son affidavit en réponse en vertu de la règle 312 des Règles des Cours fédérales. Cet affidavit devait servir de réponse à l’affidavit confidentiel du Dr Moe, que la défenderesse (Apotex) avait déposé, critiquant l’affidavit confidentiel du Dr Husain, que Pfizer avait déposé; les deux affidavits avaient été déposés dans le cadre d’une procédure d’interdiction présentée sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Pfizer a soutenu que la protonotaire a incorporé à tort une quatrième condition énoncée dans l’affaire Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein (C.A.F.), qui concerne la question de savoir si la contre‑preuve qu’on veut déposer était disponible auparavant, dans le critère à trois volets applicable aux requêtes en autorisation de dépôt de contre‑preuve formulé dans Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (C.F. 1re inst.).

Jugement : l’appel doit être rejeté.

La Cour fédérale semble dans une certaine mesure partagée sur la question de savoir si le critère utilisé pour établir s’il y a lieu d’autoriser le dépôt de contre‑preuve comprend un quatrième facteur relatif à la « disponibilité » antérieure de la preuve en question. La confusion découle des efforts déployés pour préciser la portée des paragraphes 8 et 9 de l’arrêt Atlantic Engraving. Les observations que la Cour a formulées dans cet arrêt quant aux règles qui régissent le dépôt d’affidavits complémentaires s’appliquent à toutes les requêtes formées sous le régime de la règle 312, qui ne devrait pas être utilisée pour permettre à une partie de diviser sa cause ou de différer la présentation de la meilleure preuve. La disponibilité antérieure de la preuve est donc un autre facteur qui doit être pris en considération dans le cadre du critère applicable aux requêtes en autorisation de dépôt d’affidavits complémen-taires. La règle de la disponibilité antérieure de la preuve joue un rôle important dans l’accomplissement de la volonté du législateur, que la protonotaire a défini comme étant « que les instances relatives aux AC [avis de conformité] soient de nature sommaire et expéditive ». Le juge Beaudry avait donc raison lorsqu’il a statué, dans Purdue Pharma c. Novopharm, que lorsque les quatre conditions énoncées dans Atlantic Engraving sont remplies, la Cour peut autoriser le dépôt des pièces complémentaires. La protonotaire n’a donc pas commis d’erreur ni dans l’interprétation ni dans l’application du critère auquel est subordonné l’autorisation de déposer des éléments de preuve complémentaires et son ordonnance n’était donc pas entachée d’erreur flagrante à cet égard.

lois et règlements cités

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133.

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 312.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein, 2002 CAF 503; Purdue Pharma c. Novopharm, 2006 CF 385.

décisions examinées :

Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. no 1240 (1re inst.) (QL); Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1512; AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2004 CF 1207; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 790.

décisions citées :

Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), [1994] A.C.F. no 1522 (1re inst.) (QL); Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.); Merck & Co., Inc c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459; 2003 CAF 488; Nation Wayzhushk Onigum c. Kakeway, [2000] A.C.F. no 156 (1re inst.) (QL); Deigan c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 645 (1re inst.) (QL); Wright c. Établissement de Mission, [1998] A.C.F. no 1687 (1re inst.) (QL).

APPEL à l’encontre d’une décision d’une protonotaire rejetant la requête de la demanderesse en autorisation de déposer son affidavit en réponse dans le cadre d’une procédure d’interdiction présentée sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Appel rejeté.

ont comparu :

Andrew E. Bernstein et Alisse D. Houweling pour la demanderesse.

Andrew R. Brodkin et David E. Lederman pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier :

Torys LLP, Toronto, pour la demanderesse.

Goodmans LLP, Toronto, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]Le juge Teitelbaum : La présente requête s’inscrit dans le cadre d’une demande en interdiction présentée sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133]. Apotex Inc. (Apotex) a signifié le 3 juin 2005 un avis d’allégation (AA) soutenant l’absence de contrefaçon du brevet canadien no 2023089, détenu par Pfizer Canada Inc. (Pfizer). Apotex a aussi avancé des arguments tendant à établir l’invalidité de ce brevet. Pfizer a engagé le 18 juillet 2005 une procédure en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité (AC) à l’égard de ses comprimés d’Apo‑Quinapril. Pfizer a déposé devant notre Cour le 24 novembre 2005 des éléments de preuve comprenant un affidavit confidentiel du Dr Mansoor Husain. Apotex a à son tour déposé et signifié sa preuve le 7 avril 2006, preuve qui comprenait un affidavit confidentiel du Dr Gordon W. Moe.

[2]Pfizer fait valoir que le Dr Moe critique violemment dans son affidavit le témoignage du Dr Husain. Elle a formé une requête en vue d’obtenir (entre autres choses) l’autorisation de déposer un affidavit en réponse du Dr Husain sous le régime de la règle 312 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)]. Pfizer soutient que l’affidavit en réponse consiste exclusivement en répliques aux critiques du Dr Moe. Par ordonnance en date du 16 juin 2006, la protonotaire Tabib a refusé d’accorder à Pfizer l’autorisation de déposer l’affidavit en réponse du Dr Husain. Pfizer saisit maintenant notre Cour d’une requête en annulation de l’ordonnance de la protonotaire et en autorisation de déposer l’affidavit en réponse susdit.

I. La décision de la protonotaire

[3]La protonotaire a invoqué les motifs suivants pour rejeter la requête de Pfizer en autorisation de déposer son affidavit en réponse :

[traduction] À mon sens, la décision Abbott Laboratories et al. c. Canada (Ministre de la Santé) et al., (2003) 29 C.P.R. (4th) 450; 2003 CF 1512, ne fait que confirmer que les critères jurisprudentiels de l’application de l’article 312 des Règles des Cours fédérales s’appliquent aussi aux requêtes en radiation d’éléments de preuve déposés en réponse à la réponse en vertu d’une ordonnance de la Cour. Elle ne met pas en cause l’autorité et la force obligatoire de l’arrêt Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein, (2002) 23 C.P.R. (4th) 5; 2002 CAF 503, par lequel la Cour d’appel a ajouté au critère traditionnel à trois volets la condition que la preuve qu’on demande à produire n’ait pas été disponible au moment du dépôt de la preuve principale du requérant ou n’ait pu être présentée dans ce cadre.

Je souscris à la thèse de la demanderesse selon laquelle les questions sur lesquelles elle souhaite déposer des éléments de contre‑preuve sont d’une importance appréciable, et même fondamentale, dans la présente instance. Cependant, cela ne suffit pas en soi à remplir les critères d’application de la règle 312. Qui plus est, la nature cruciale des questions met en évidence le fait que la demanderesse disposait des éléments de preuve en question et les savait pertinents au moment où elle a déposé ses affidavits principaux. L’affidavit en réponse qu’on veut déposer ne fait qu’exposer les motifs qu’a le Dr Husain de ne pas accepter les critiques formulées par le Dr Moe à l’égard de son affidavit principal. Il ne traite aucune nouvelle question soulevée par le Dr Moe ni aucune question que le Dr Husain n’ait déjà traitée dans son affidavit principal. Le contenu de l’affidavit en réponse qu’on souhaite déposer relève en grande partie de l’argumentation et pourrait probablement être dégagé dans le cadre du contre‑ interrogatoire. Dans l’ensemble, si c’était là le genre d’affidavit en réponse visé par la règle 312 et son interprétation judiciaire, on pourrait s’attendre à voir autoriser, pour chaque affidavit d’expert déposé dans une instance relative à un AC qui critiquerait les opinions des experts du demandeur, un affidavit en réponse visant à raffiner l’argumentation et à réfuter les critiques. Une telle conséquence serait contraire à l’intention du législateur voulant que les instances relatives aux AC soient de nature sommaire et expéditive.

Pour conclure, je ne suis pas convaincue qu’il serait dans l’intérêt de la justice ou utile à la Cour d’autoriser la demanderesse à déposer l’affidavit en réponse proposé, ni que cette dernière ne disposât pas des éléments de preuve y contenus au moment du dépôt de sa preuve principale ou qu’elle n’aurait pu les présenter dans ce cadre. Je tiens à préciser que ma décision ne repose en rien sur un quelconque préjudice que subirait Apotex si la preuve en question était admise. En fait, je constate que l’octroi de l’autorisation de déposer la preuve en question n’aurait causé aucun préjudice à Apotex. Il me paraît établi que, dans les procédures engagées par voie d’avis de demande, ce n’est pas en soi un préjudice pour le défendeur que de n’être pas le dernier à déposer sa preuve sur quelque question en litige que ce soit.

II. Les conclusions de la demanderesse

[4]La demanderesse Pfizer soutient que l’ordonnance de la protonotaire est entachée d’erreur flagrante au motif qu’elle aurait incorporé à tort une quatrième condition dans le critère à trois volets applicable aux requêtes en autorisation de dépôt de contre‑preuve. Pfizer fait valoir que la décision Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. no 1240 (1re inst.) (QL) (Eli Lilly), au paragraphe 26, a établi un critère à trois volets pour décider s’il y a lieu d’autoriser le dépôt de contre‑preuve dans les procédures relevant du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (RMB(AC)). La Cour a la faculté d’autoriser le requérant à déposer des éléments de contre‑preuve s’il démontre :

a. que cette mesure servirait les intérêts de la justice;

b. qu’elle aiderait la Cour à rendre une décision définitive;

c. qu’elle ne causerait pas un préjudice important ou grave à l’intimé.

[5]La demanderesse fait valoir que ce critère à trois volets a été confirmé par les décisions suivantes : Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1512 (Abbott Laboratories); AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2004 CF 1207, au paragraphe 25; (AstraZeneca); et Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), [1994] A.C.F. no 1522 (1re inst.) (QL), au paragraphe 12.

[6]Pfizer soutient que la protonotaire a commis une erreur en incorporant une quatrième condition dans le critère applicable aux requêtes en autorisation de dépôt de contre‑preuve. Cette quatrième condition, que Pfizer désigne [traduction] « condition de la disponibilité en preuve principale », concerne le point de savoir si la contre‑preuve qu’on veut déposer était disponible auparavant. Pfizer affirme que la protonotaire s’est trompée en incorporant la « condition de la disponibilité en preuve principale » (qu’établit Atlantic Engraving) [Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein, 2002 CAF 503] dans le critère applicable aux requêtes en autorisation de dépôt de contre‑preuve présentées dans le cadre de procédures relevant du RMB(AC). Pfizer fait observer que la « condition de la disponibilité en preuve principale » que prévoit Atlantic Engraving s’applique au cas où une partie demande l’autorisation de déposer des éléments de contre‑preuve après les contre‑ interrogatoires. Or les contre‑interrogatoires n’ont pas encore eu lieu dans la présente instance. Qui plus est, Atlantic Engraving portait sur un appel en matière de marques de commerce, tandis que la question qui nous occupe s’inscrit dans le cadre d’une instance qui relève du RMB(AC). Pfizer fait valoir que les instances relevant du RMB(AC) ont un caractère exceptionnel et que, souvent, les questions litigieuses n’y apparaissent clairement au demandeur qu’après le dépôt de la preuve du défendeur. Pfizer poursuit que c’est pourquoi la Cour a adopté dans les instances de cette nature une approche moins sévère de la question du dépôt de contre‑preuve, et elle cite Abbott Laboratories à l’appui de cette assertion.

[7]Pfizer soutient que, puisque la protonotaire a commis une erreur de droit, le juge des requêtes devrait reprendre l’affaire depuis le début : Canada c. Aqua‑ Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), à la page 454 (Aqua‑Gem); et Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459 (C.A.F.), au paragraphe 19 (Merck). Apotex n’ayant pas invoqué de préjudice à l’audience, les deux seules questions qui restent en litige selon Pfizer sont celles de savoir si l’autorisation de déposer la contre‑preuve en question servirait les intérêts de la justice et si elle serait utile à la Cour.

[8]La demanderesse soutient que l’affidavit du Dr Husain servirait les intérêts de la justice, étant donné que le fait d’autoriser Pfizer à déposer des éléments de contre‑preuve garantirait que les deux parties aient eu la possibilité équitable de produire des affidavits sur les questions en litige et de répondre aux questions soulevées par la partie adverse. Pfizer fait aussi valoir que les avocats doivent disposer des outils nécessaires pour exposer les moyens de leurs clients respectifs. Selon elle, l’affidavit en réponse du Dr Husain servirait les intérêts de la justice dans la mesure où il répond à la preuve d’Apotex sur des questions de fond.

[9]Pfizer soutient de plus que la contre‑preuve du Dr Husain serait utile à la Cour, étant donné qu’elle l’aiderait à rendre sa décision définitive. La demanderesse affirme qu’on devrait l’autoriser à s’expliquer sur la preuve d’Apotex et à y répondre afin que la Cour dispose bien de tous les faits et puisse se former une idée complète et équilibrée de la preuve.

[10]Enfin, concernant l’observation formulée par la protonotaire Tabib dans son exposé de motifs comme quoi Pfizer aura probablement la possibilité de répondre à l’affidavit du Dr Moe en contre‑interrogatoire, Pfizer fait valoir que la Cour a établi que la contre‑preuve écrite « ne peut pas être remplacée » par un contre‑interrogatoire : AstraZeneca, précitée, au para-graphe 31. Par conséquent, conclut Pfizer, le juge des requêtes devrait, dans le cadre d’une nouvelle instruction, lui accorder l’autorisation de déposer l’affidavit en réponse du Dr Husain.

III. Les conclusions de la défenderesse

[11]Apotex soutient que le rejet de la requête en autorisation de déposer l’affidavit du Dr Husain n’est pas entaché d’erreur flagrante et que la protonotaire Tabib n’a pas commis d’erreur de droit en rendant cette décision. La défenderesse fait valoir que le dépôt de contre‑preuve n’est pas permis en situation ordinaire et qu’il s’agit là d’une mesure de redressement extraordi-naire qui ne peut être obtenue qu’avec l’autorisation expresse de la Cour. La partie qui souhaite déposer un affidavit complémentaire, affirme Apotex, doit démontrer que son contenu est nécessaire, qu’il n’était pas disponible auparavant et qu’il n’aurait pas pu être inclus dans son affidavit principal, tout comme elle doit établir que le dépôt de cet affidavit complémentaire ne retardera pas la procédure. Apotex affirme que la Cour n’accorde pas l’autorisation de déposer un affidavit complémentaire lorsque le contenu en a été inclus, ou aurait pu l’être, dans la preuve par affidavit principale du requérant. Elle invoque les décisions suivantes à l’appui de cette thèse : Nation Wayzhushk Onigum c. Kakeway, [2000] A.C.F. no 156 (1re inst.) (QL), au paragraphe 5; Deigan c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 645 (1re inst.) (QL), au paragraphe 3; et Wright c. Établissement de Mission, [1998] A.C.F. no 1687 (1re inst.) (QL), au paragraphe 8. D’après Apotex, le requérant doit satisfaire aux trois volets du critère Eli Lilly une fois remplies les conditions susénumérées.

[12]Apotex soutient que l’arrêt Atlantic Engraving n’a pas changé le critère à trois volets applicable aux requêtes formées sous le régime de la règle 312. Selon elle, la Cour d’appel fédérale a voulu donner des lignes directrices touchant le point de savoir quels facteurs il convient de prendre en considération s’agissant d’établir si le contenu de l’affidavit en question servirait « les intérêts de la justice ». La Cour d’appel fédérale, poursuit Apotex, a prescrit aux tribunaux inférieurs de se demander si la preuve qu’on veut déposer était disponible auparavant et les a mis en garde contre l’autorisation du dépôt d’éléments qui permettraient au requérant de diviser sa cause.

[13]Apotex soutient que Pfizer n’a pas réussi à établir la distinction qu’elle postule d’avec Atlantic Engraving. Rien dans cet arrêt, fait observer la défenderesse, ne donne à penser qu’il ne devrait pas être appliqué à l’examen du point de savoir s’il y a lieu d’autoriser le dépôt de contre‑preuve dans une instance relevant du RMB(AC). S’il est vrai que les contre‑interrogatoires n’ont pas encore commencé dans le présent litige, la protonotaire, rappelle Apotex, n’en a pas moins conclu que Pfizer disposait des éléments de preuve en question auparavant et qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice d’autoriser le dépôt de ces éléments à la présente étape. Selon Apotex, la protonotaire n’a pas commis d’erreur en incorporant un quatrième facteur dans le critère à trois volets applicable à la contre‑preuve. Elle a plutôt pris ce critère en considération à la lumière des conclusions formulées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Atlantic Engraving.

[14]Apotex soutient qu’il n’est pas nécessaire que le juge des requêtes reprenne l’affaire depuis le début. Elle fait en outre valoir que Pfizer n’a pas établi, mais seulement affirmé, qu’elle remplissait le critère à trois volets applicable à la contre‑preuve.

IV. La norme de contrôle

[15]C’est une règle de droit bien connue que le juge des requêtes ne peut remettre en cause l’ordonnance rendue par un protonotaire en vertu de son pouvoir discrétionnaire qu’à l’une ou l’autre des deux conditions suivantes :

a. la ou les questions que soulève la requête ont une influence déterminante sur l’issue du principal;

b. l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, au sens où le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvaise principe ou une mauvaise appréciation des faits (Aqua‑Gem et Merck, précités).

[16]La demanderesse n’a pas allégué que l’ordon-nance ici attaquée porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal. Il est vrai que la protonotaire fait observer que certains points traités dans l’affidavit du Dr Husain qu’on voudrait déposer soulèvent des questions d’importance cruciale dans l’instance, mais il n’a pas été soutenu que la possibilité pour la demanderesse de soulever ces questions au moyen d’un affidavit en réponse ait une influence déterminante sur l’issue du principal. Il reste donc à la demanderesse la charge de prouver que l’ordonnance de la protonotaire est entachée d’erreur flagrante.

V. Analyse

[17]Pfizer soutient que la décision de la protonotaire est entachée d’erreur flagrante au motif qu’elle a incorporé à tort une quatrième condition dans le critère utilisé pour établir s’il y a lieu d’autoriser le dépôt de contre‑preuve. La Cour fédérale semble dans une certaine mesure partagée sur la question de savoir si ce critère comprend un quatrième facteur, relatif à la « disponibilité » antérieure de la preuve en question. Dans la décision Abbott Laboratories, précitée, que la protonotaire Tabib distingue de l’affaire qui nous occupe dans l’exposé des motifs de l’ordonnance attaquée, la juge Heneghan paraît d’avis que le critère applicable aux requêtes en autorisation de dépôt de contre‑preuve comprend trois facteurs, soit ceux qui sont formulés dans la décision Eli Lilly, précitée. Par contre, le juge Beaudry a récemment posé en principe que la Cour peut autoriser le dépôt de preuve complémentaire quand sont remplies les quatre conditions que prévoit Atlantic Engraving : Purdue Pharma c. Novopharm, 2006 CF 385 (Purdue), au paragraphe 13. La protonotaire Tabib fait de même observer dans l’exposé des motifs de l’ordonnance ici contestée que l’arrêt Atlantic Engraving ajoute la nécessité de prendre en considération la question de la « disponibilité » aux trois volets du critère traditionnel formulé dans Eli Lilly. Dans la récente décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) 2006 CF 790, le juge Lemieux, se référant à la fois à Eli Lilly et à Atlantic Engraving, a confirmé une décision de protonotaire autorisant le requérant à signifier et déposer un affidavit en réponse. Cependant, il l’a fait en se fondant sur la différence qui sépare les affidavits en réponse des affidavits complémentaires et n’a pas établi de manière concluante si le critère applicable aux requêtes en autorisation de dépôt de contre‑preuve comprend trois ou quatre conditions.

[18]La confusion concernant le critère applicable aux requêtes en autorisation de dépôt de contre‑preuve découle des efforts déployés pour préciser la portée des paragraphes 8 et 9 de l’arrêt Atlantic Engraving de la Cour d’appel fédérale, qui sont rédigés comme suit :

Conformément à la règle 306 des Règles de la Cour fédérale (1998), un demandeur dispose de trente jours à compter du dépôt de son avis de demande pour déposer les affidavits et les pièces qu’il entend utiliser à l’appui de sa demande (les appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce relèvent de la Partie 5 des Règles intitulée « Demandes » (règles 300 à 334) et doivent donc être introduits par voie d’avis de demande). Exceptionnellement, la règle 312 prévoit qu’une partie peut, avec l’autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires. Aux termes de cette règle, la Cour peut autoriser le dépôt d’affidavits complémentaires lorsque les conditions suivantes sont réunies :

i)             Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

ii)            Les éléments de preuve aideront la Cour;

iii)           Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse (voir Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 15 (1re inst.); Robert Mondavi Winery c. Spagnol’s Wine & Beer Making Supplies Ltd. (2001), 10 C.P.R. (4th) 331 (1re inst.)).

De plus, lorsqu’il sollicite l’autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu’il cherche à produire n’étaient pas disponibles avant le contre‑interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible (voir Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 181 F.T.R. 146, 4 C.P.R. (4th) 491 (1re inst.); Inverhuron & District Ratepayers Assn. c. Canada Ministre de l’Environnement) (2000), 180 F.T.R. 314 (1re inst.)).

[19]Pfizer avance que les observations formulées par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 9 de l’arrêt Atlantic Engraving ne s’appliquent pas aux instances relevant du RMB(AC). Cependant, rien dans l’exposé de motifs de la Cour d’appel fédérale ne donne à penser qu’il ne s’appliquerait pas tout autant aux instances relevant du RMB(AC). Bien que l’arrêt Atlantic Engraving portait sur une affaire de marques de commerce, les observations de la Cour d’appel fédérale touchant les règles qui régissent le dépôt d’affidavits complémentaires s’appliquent à mon sens à toutes les requêtes formées sous le régime de la règle 312.

[20]Pfizer essaie aussi de limiter la portée de l’arrêt Atlantic Engraving en avançant qu’il ne s’applique qu’aux cas où le contre‑interrogatoire a déjà eu lieu. S’il est vrai que les contre‑interrogatoires avaient déjà été effectués dans l’affaire Atlantic Engraving, le raisonnement de la Cour d’appel fédérale consigné au paragraphe 9 de son exposé de motifs donne à penser qu’une partie est tenue de présenter la meilleure preuve aussitôt que possible et qu’il ne doit pas lui être permis de diviser sa cause. Cela signifiait, dans le contexte d’Atlantic Engraving, que le requérant devait démontrer que la preuve qu’il voulait obtenir l’autorisation de produire n’était pas disponible avant l’étape des contre‑interrogatoires, mais il peut arriver dans d’autres affaires que le requérant doive établir que sa preuve n’était pas disponible avant une étape antérieure (par exemple, le moment du dépôt de sa preuve par affidavit principale) pour convaincre la Cour qu’il n’essaie pas de diviser sa cause ou ne manque pas autrement à son obligation de présenter la meilleure preuve aussitôt que possible. Je n’interprète pas le raisonnement de la Cour d’appel fédérale comme étant limité aux cas où le contre‑interrogatoire a déjà eu lieu. Je constate plutôt que l’arrêt Atlantic Engraving exprime le souci général que la règle 312 ne soit pas utilisé pour permettre à une partie de diviser sa cause ou de différer la présentation de la meilleure preuve.

[21]Bref, je pense que l’arrêt Atlantic Engraving pose en principe que la disponibilité antérieure de la preuve est un autre facteur qui doit être pris en considération dans le cadre du critère applicable aux requêtes en autorisation de dépôt d’affidavits complémentaires. Pfizer soutient qu’un tel facteur ne s’applique pas aux instances relevant du RMB(AC), mais il me semble que la règle de la disponibilité antérieure de la preuve joue un rôle important dans l’accomplissement de la volonté du législateur, que la protonotaire Tabib a définie avec raison comme étant [traduction] « que les instances relatives aux AC soient de nature sommaire et expéditive ».

[22]Je souscris donc aux observations formulées par le juge Beaudry dans Purdue, précitée, aux paragraphes 12 et 13, selon lesquelles il y a quatre facteurs à prendre en considération avant de pouvoir autoriser le dépôt de pièces complémentaires sous le régime de la règle 312 :

L’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’autoriser les parties à déposer des éléments de preuve complémentaires. Dans la décision Mazhero c. Canada (Conseil canadien des relations industrielles), 2002 CAF 295, [2002] A.C.F. no 1112 (C.A.F.) (QL), le juge John M. Evans a écrit que les demandes de contrôle judiciaire sont des procédures sommaires dont la décision ne devrait pas souffrir de retard injustifié et que le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels devrait être exercé avec une grande circonspection.

Dans la décision Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein, 2002 CAF 503, [2002] A.C.F. no 1782 (C.A.F.) (QL), le juge Marc Nadon a dit que la Cour peut autoriser le dépôt de preuve complémentaire lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a) Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice.

b) Les éléments de preuve aideront la Cour.

c) Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse.

d) Les éléments de preuve n’étaient pas disponibles auparavant. [Soulignement omis.]

[23]Il s’ensuit que la protonotaire a défini correctement le critère applicable aux requêtes en autorisation de dépôt de contre‑preuve et que son ordonnance n’est donc pas entachée d’erreur flagrante à cet égard.

[24]Bref, à mon sens, la protonotaire n’a commis d’erreur ni dans l’interprétation ni dans l’application du critère auquel est subordonnée l’autorisation de déposer des éléments de preuve complémentaires sous le régime de la règle 312 des Règles des Cours fédérales.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée avec dépens.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.