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[2000] 4 C.F. 479

A-364-97

Ron Archibald, Edwin Cawkwell, William Cooper, Rick Dobranski, Darrel Enger, Tim Harvie, Mike Jackson, Conrad Johnson, Gordon Keller, Wayne A. Kriz, Doug Miller, Art McElroy, Brian Olsen, Paul S. Orsak, Brian Otto, James M. Pallister, Kelly S. Patrick, Douglas Robertson, Greg Rockafellow, Buck Spencer, Wayne Tuck, The Alberta Barley Commission, et The Western Barley Growers Association (appelants) (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la Commission canadienne du blé (intimées) (défenderesses)

Répertorié : Archibald c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Rothstein et Sharlow, J.C.A.—Calgary, 1er et 2 mai; Ottawa, 12 juin 2000.

Agriculture — Loi sur la Commission canadienne du blé — Régime de mise en commun obligatoire en vertu du monopole de la Commission du blé dans la région désignée des provinces de l’Ouest dont le but déclaré est d’organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l’exportation, la commercialisation du grain cultivé au Canada — La Loi ne viole pas les droits et libertés garantis aux appelants par la Charte — De toute façon, sa justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Régime de mise en commun obligatoire en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé — Aucune discrimination sur la base de la géographie (lieu de résidence et de production de grain à l’intérieur de la région désignée) car il ne s’agit pas d’un motif analogue.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Liberté d’association — Régime de mise en commun obligatoire en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé — Quoique la liberté de ne pas s’associer soit, dans certaines circonstances, protégée par l’art. 2d) de la Charte, l’activité en cause (la commercialisation des grains) n’est pas protégée par la Constitution — En outre, puisque l’activité n’est pas protégée constitutionnellement, il n’y a aucune base constitutionnelle pour prétendre que les appelants devraient pouvoir vendre leurs grains dans le cadre d’une association volontaire avec d’autres.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté de circulation et d’établissement — Régime de mise en commun obligatoire en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé — La loi est une loi d’application générale en vigueur dans l’ensemble des provinces de l’Ouest (mais dans une partie seulement de la Colombie-Britannique) — Le fait que la Loi crée un régime de commercialisation des grains produits dans la région désignée qui diffère du régime applicable à l’extérieur de cette région, n’établit pas une distinction qui constitue une distinction fondée principalement sur la province de résidence actuelle ou antérieure.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limitative — Application du critère de l’arrêt Oakes — Objectif urgent et réel : organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l’exportation, la commercialisation du grain cultivé au Canada — Lien rationnel — Atteinte minimale : aucune solution de rechange viable au monopole de la Commission du blé pour réaliser les objectifs de la Loi — Le critère de la proportionnalité des effets est rempli : les effets négatifs sur les droits des appelants ne l’emportaient pas sur les avantages favorables de la commercialisation méthodique des grains par la Commission du blé — Appréciation d’intérêts opposés — S’il y a eu violation par des dispositions de la Loi d’un droit quelconque des appelants garanti par la Charte, elles constituent des limites raisonnables dans une société libre et démocratique.

Les appelants sont des propriétaires et exploitants agricoles d’une région désignée englobant le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et des parties de la Colombie-Britannique qui cultivent le blé ou l’orge (ou les deux). En vertu de l’alinéa 32(1)a) de la Loi sur la Commission canadienne du blé, la Commission canadienne du blé (la Commission) est tenue d’acheter tout le blé et l’orge produits dans la région désignée et que les producteurs offrent de lui vendre et de lui livrer à un silo ou à un wagon. La Commission est tenue de commercialiser ce blé et cette orge sur les marchés interprovincial et de l’exportation. Dans la région désignée, les producteurs ne peuvent personnellement vendre leur blé ou leur orge dans une autre province ou à l’étranger.

Les appelants disent que ce régime viole leur droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte; leur droit à la liberté d’association et leur droit de ne pas s’associer garantis par l’alinéa 2d) de la Charte; leur droit garanti par les alinéas 6(2)b) et 6(3)a) de la Charte de gagner leur vie dans une province en imposant des obstacles à l’administration efficace d’une exploitation agricole.

L’appel portait sur la décision de la Section de première instance selon laquelle les allégations de violation de la Charte n’étaient pas fondées et selon laquelle, de toute façon, les violations seraient justifiées au regard de l’article premier de la Charte.

Le point crucial de l’appel des appelants est le caractère obligatoire du régime de mise en commun établi par la Commission, lequel serait désavantageux économiquement pour eux et, en leur enlevant le droit de commercialiser leur blé et leur orge et en les reléguant au statut de simples producteurs, affecterait leur dignité, leur estime de soi et leur autonomie personnelle.

Arrêt : l’appel est rejeté.

Droits à l’égalité

Les appelants ont soutenu que la Loi établit une discrimination contre eux sur la base de la géographie, c’est-à-dire de leur lieu de résidence et de production de blé et d’orge à l’intérieur de la région désignée.

Les appelants n’ont pas démontré un motif analogue qui peut être reconnu (analogue aux caractéristiques personnelles immuables ou considérées comme immuables énumérées à l’article 15 de la Charte). La résidence et la localisation d’une exploitation agricole à l’intérieur de la région désignée ne sont pas des caractéristiques immuables ou considérées comme immuables. L’incidence que peut avoir sur une personne le fait que son exploitation agricole soit située à l’intérieur ou à l’extérieur de la région désignée, c’est-à-dire qu’elle soit ou non tenue de vendre son blé et son orge à la Commission canadienne du blé, n’est pas liée aux aspects essentiels de la dignité ou de l’identité de la personne que le paragraphe 15(1) veut protéger. Il n’y a aucune preuve non plus que les producteurs qui résident et exploitent une entreprise agricole dans la région désignée sont, du fait de leur localisation, des membres d’une minorité distincte ou isolée ou ont historiquement fait l’objet de discrimination ou de préjugés.

Liberté d’association

Les appelants disent que la commercialisation commune viole leur droit à la liberté d’association en ce qu’ils doivent s’associer à la Commission canadienne du blé; qu’ils doivent s’associer à tous les autres producteurs de blé et d’orge dans la région désignée; qu’ils ne peuvent volontairement s’associer à d’autres producteurs de leur choix.

Les deux premiers motifs ne mettent pas en cause la liberté d’association mais la liberté de ne pas s’associer, laquelle, suivant le raisonnement des juges La Forest et McLachlin dans l’arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, peut, dans certaines circonstances, être protégée par l’alinéa 2d). Toutefois, la liberté d’association protège uniquement les aspects collectifs de l’activité et non l’activité elle-même. Si l’activité doit être protégée par la Constitution, cette protection doit se trouver ailleurs qu’à l’alinéa 2d) : Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157 (OCCO). En l’espèce, l’interdiction de commercialiser le blé et l’orge produits dans la région désignée en dehors du régime réglementaire de la Commission canadienne du blé ne peut pas servir de tremplin à la constitutionnalisation de l’activité elle-même, c’est-à-dire la commercialisation du blé et de l’orge, par le biais de l’alinéa 2d). Le fait que des individus se sont associés pour exercer des activités n’étend pas à ces activités la protection constitutionnelle si celles-ci ne sont pas protégées par la Constitution, lorsqu’elles sont exercées par des individus.

Quant à la troisième plainte, la seule réponse est que les appelants ne peuvent faire dans une association volontaire ce qu’ils ne peuvent faire individuellement. Puisque l’activité individuelle, la commercialisation du blé et de l’orge, n’est pas protégée constitutionnellement, il n’y a aucune base constitutionnelle pour prétendre qu’ils devraient pouvoir vendre leur blé et orge dans le cadre d’une association volontaire avec d’autres.

Liberté de circulation et d’établissement

Les appelants disent que l’obligation de vendre le blé et l’orge à la Commission viole leur droit de gagner leur vie dans les provinces où ils résident et produisent du blé et de l’orge; que la Loi sur la Commission canadienne du blé n’est pas une loi d’application générale dans une province; qu’en tout état de cause, la Loi crée une discrimination sur la base de la province de résidence actuelle.

La liberté de circulation et d’établissement décrite à l’alinéa 6(2)b) doit être interprétée en fonction de la disposition en matière de discrimination contenue à l’alinéa 6(3)a). L’ampleur du désavantage économique n’est pas une question qu’il faut examiner dans le cadre de l’analyse de l’article 6 mais plutôt dans le cadre de l’article premier. Cependant, l’appréciation de l’incidence de la distinction légale contestée joue un rôle important lorsqu’il s’agit de déterminer si les objets apparents de la mesure législative sont valides au regard de l’alinéa 6(3)a).

C’est la différence de traitement eu égard à la vente de blé et d’orge entre les producteurs de l’intérieur ou de l’extérieur de la région désignée qui déclenche le facteur de mobilité pour gagner sa vie.

La Loi sur la Commission canadienne du blé est une loi d’application générale en vigueur dans une province. Le fait que la région désignée ne corresponde pas exactement à des frontières provinciales, et que la région soit caractérisée par la présence de vastes cultures céréalières qui la distinguent des autres régions du Canada, démontre également que les frontières des provinces ne servent que d’indicateurs raisonnablement précis d’une réalité économique qui existe de façon générale dans ces provinces : OCCO. Bien que la Loi crée un régime de commercialisation du blé et de l’orge produits dans la région désignée qui diffère du régime applicable à l’extérieur de cette région, une telle distinction ne constitue pas une distinction fondée principalement sur la province de résidence actuelle. Le fait que la région désignée se caractérise par de vastes régions de production céréalière qui se distinguent des autres régions du Canada démontre que la limitation du mandat et des activités de la Commission à cette région correspond à une réalité économique. Il existe donc des motifs objectifs pour restreindre à la région désignée les opérations liées au régime de commercialisation de la Commission.

Clause limitative

Bien que la Loi sur la Commission canadienne du blé ne violât pas la Charte pour l’un quelconque des motifs allégués par les appelants, une analyse détaillée a été faite au regard de l’article premier, afin de fournir une analyse complète des questions de droit qui ont été débattues en appel.

La loi réalisait un objectif urgent et réel : organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l’exportation, la commercialisation du grain cultivé au Canada. Il existait un lien rationnel entre l’objectif d’organiser la commercialisation du grain et les mesures formulées dans la Loi sur la Commission canadienne du blé pour atteindre cet objectif. Le monopole de la Commission dans la région désignée était essentiel et il n’existait aucune solution de rechange viable qui permettrait à des producteurs de la région désignée de commercialiser le blé et l’orge à l’extérieur du régime de commercialisation de la Commission. En dernier lieu, les effets négatifs de cette situation sur les droits des appelants ne l’emportaient pas sur les avantages favorables de la commercialisation méthodique du blé et de l’orge par la Commission. Il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue à l’égard du législateur en ce qui concerne le critère de la proportionnalité des effets. Pour terminer, s’il y a eu violation d’un droit quelconque des appelants garanti par la Charte par l’une quelconque des dispositions contestées de la Loi sur la Commission canadienne du blé, l’intimée a fait la preuve qu’elles constituent des limites raisonnables dans une société libre et démocratique.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2, 6(2)b), (3)a), 7, 15(1), 32.

Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 5.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91, 92, 121.

Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé et d’autres lois en conséquence, L.C. 1998, ch. 17, art. 1, 9.

Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C-24, art. 2(1) « carnet de livraison », « contingent », « ordonnance », « région désignée » (mod. par L.C. 1998, ch. 17, art. 1), (3), (4), 17(3)b), 20, 21, 23, 24 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 38, art. 6), 25 (mod., idem, art. 7), 26, 27, 28, 30, 31, 32 (mod. par L.C. 1995, ch. 31, art. 2; 1998, ch. 17, art. 18, 28), 33 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 38, art. 8; L.C. 1991, ch. 33, art. 2; 1994, ch. 39, art. 1; 1995, ch. 31, art. 3), 33.1 à 33.5 (édicté par L.C. 1994, ch. 39, art. 2), 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 37, art. 32), 44, 45 (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 48; 1998, ch. 17, art. 28), 46c) (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 49), d) (mod., idem), e), 47, 48(2), 55, 57, 60(1), 64, 65, 66(1), (2), 67, 68(2)b), 72(2)c), 75.

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 88.

Loi sur les offices des produits agricoles, L.R.C. (1985), ch. F-4.

Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des œufs, C.R.C., ch. 646.

Règlement de 1986 de l’Office canadien de commercialisation des œufs sur le contingentement, DORS/86-8.

Règlement de 1987 sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada, DORS/87-242.

Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C., ch. 397, art. 2 « acres cessibles » (mod. par DORS/93-390, art. 1), « demande » (mod. par DORS/89-365, art. 3), « requérant », 3 (mod., idem, art. 2, 3, 4), 4 (mod., idem, art. 3), 5, 6 (mod., idem, art. 2), 7 (mod., idem, art. 3), 8 (mod. par DORS/84-408, art. 1; 89-365, art. 2, 3), 9 (mod. par DORS/89-282, art. 1), 14 (mod. par DORS/95-338, art. 1), 14.1 (édicté par DORS/93-360, art. 2; 93-486, art. 2), 16(2) (mod., idem, art. 3), 21 (mod. par DORS/88-385, art. 1; 89-365, art. 1), 22, 23 (mod., idem, art. 2, 3), 24 (mod., idem, art. 3; 93-390, art. 8), 25.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; (1999), 173 D.L.R. (4th) 1; [1999] 3 C.N.L.R. 19; 239 N.R. 1; Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211; (1991), 3 O.R. (3d) 511; 81 D.L.R. (4th) 545; 91 CLLC 14,029; 4 C.R.R. (2d) 193; 126 N.R. 161; 48 O.A.C. 241; Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157; (1998), 223 A.R. 201; 166 D.L.R. (4th) 1; 231 N.R. 201; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; (1987), 78 A.R. 1; 38 D.L.R. (4th) 161; [1987] 3 W.W.R. 577; 51 Alta. L.R. (2d) 97; 87 CLLC 14,021; 28 C.R.R. 305; 74 N.R. 99; Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (Commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367; [1990] N.W.T.R. 289; (1990), 72 D.L.R. (4th) 1; [1990] 5 W.W.R. 385; 49 C.R.R. 193; 90 CLLC 14,031; 112 N.R. 269; MacKinnon c. Canada (Pêches et Océans), [1987] 1 C.F. 490(1986), 26 C.R.R. 233; 6 F.T.R. 203 (1re inst.); La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; (1995), 127 D.L.R. (4th) 1; 100 C.C.C. (3d) 449; 62 C.P.R. (3d) 417; 31 C.R.R. (2d) 189; 187 N.R. 1.

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Kruger et autre c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 104; (1977), 75 D.L.R. (3d) 434; [1977] 4 W.W.R. 300; 34 C.C.C. (2d) 377; 9 C.N.L.C. 624; 15 N.R. 495.

DÉCISION EXAMINÉE :

Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844; (1997), 152 D.L.R. (4th) 577; 43 M.P.L.R. (2d) 1; 219 N.R. 1.

DÉCISIONS CITÉES :

R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Wong c. Canada, [1997] 1 C.F. 193(1996), 119 F.T.R. 306 (1re inst.); Murphy c. Canadian Pacific Railway Company and The Attorney General of Canada, [1958] R.C.S. 626; (1958), 15 D.L.R. (2d) 145; 77 C.R.T.C. 322; Skapinker, Re (1983), 40 O.R. (2d) 481; 145 D.L.R. (3d) 502; 3 C.C.C. (3d) 213; 3 C.R.R. 211 (C.A.), inf. par Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; (1984), 9 D.L.R. (4th) 161; 11 C.C.C. (3d) 481; 53 N.R. 169; 3 O.A.C. 321; Mia and Medical Services Commission of British Columbia, Re (1985), 17 D.L.R. (4th) 385; 61 B.C.L.R. 273; 15 Admin. L.R. 265; 16 C.R.R. 233 (C.S.); Demaere c. La Reine (Canada), [1983] 2 C.F. 755(1984), 11 D.L.R. (4th) 193; 20 Admin. L.R. 40; 52 N.R. 288 (C.A.); M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3; (1999), 171 D.L.R. (4th) 577; 238 N.R. 179; 121 O.A.C. 1; 46 R.F.L. (4th) 32; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 39 C.R.R. 306; 96 N.R. 115; 34 O.A.C. 115.

APPEL interjeté contre une décision de la Section de première instance ([1997] 3 C.F. 335(1997), 146 D.L.R. (4th) 499; 129 F.T.R. 81) rejetant l’action des appelants qui sollicitaient une mesure de redressement déclaratoire portant que la Loi sur la Commission canadienne du blé violent leurs droits et libertés garantis par les alinéas 2d), 6(2)b) et (3)a) et par le paragraphe 15(1) de la Charte. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Loran V. Halyn pour les appelants.

R. Dale Gibson, Keith F. Groves et James N. Shaw pour les intimées.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sugimoto & Company, Calgary, pour les appelants.

Gibson, Dale Associates, Edmonton, Keith F. Groves, Calgary, le sous-procureur général du Canada pour les intimées.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A. :

RÉSUMÉ DE LA DEMANDE DES APPELANTS

[1]        Il s’agit de l’appel d’un jugement[1] rendu par le juge Muldoon de la Section de première instance de la Cour fédérale en date du 11 avril 1997 rejetant l’action des appelants qui sollicitaient une mesure de redressement déclaratoire portant que des parties de la Loi sur la Commission canadienne du blé[2] violent leurs droits et libertés garantis par l’alinéa 2d), l’article 6 et le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[3]. La liste des dispositions contestées de la Loi et du Règlement est reproduite à l’annexe A.

[2]        Les appelants sont 21 propriétaires et exploitants agricoles du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta qui cultivent le blé ou l’orge (ou les deux) et deux sociétés qui exercent des activités liées à l’orge. En vertu de l’alinéa 32(1)a) de la Loi sur la Commission canadienne du blé, la Commission est tenue d’acheter tout le blé et l’orge produits dans la « région désignée » (la définition du paragraphe 2(1) indique qu’il s’agit du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et des parties de la Colombie-Britannique connues sous les noms de district de Peace River et de régions Creston-Wynndel[4]) et que les producteurs offrent de lui vendre et de lui livrer à un silo ou à un wagon[5]. La Commission est tenue de commercialiser ce blé et cette orge sur les marchés interprovincial et de l’exportation. En vertu de l’alinéa 45c) de la Loi, dans la région désignée, les producteurs ne peuvent personnellement vendre leur blé ou leur orge dans une autre province ou à l’étranger[6] [7] [8] [9] [10].

[3]        Les appelants disent que l’obligation de vendre leur blé ou leur orge à la Commission canadienne du blé et l’interdiction qui leur est faite de les vendre eux-mêmes à des consommateurs sur les marchés canadien et de l’exportation :

a) violent leur droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte en les obligeant à vendre leur blé et leur orge à la Commission canadienne du blé alors que les producteurs de blé et d’orge de l’extérieur de la région désignée sont libres de vendre leur blé et leur orge sur les marchés canadien et de l’exportation;

b) violent leur droit à la liberté d’association et leur droit de ne pas s’associer garantis par l’alinéa 2d) de la Charte parce qu’ils sont forcés de s’associer contre leur gré à la Commission canadienne du blé et à tous les autres producteurs de blé et d’orge de la région désignée et qu’interdiction leur est faite de vendre individuellement leur blé et leur orge ou de s’associer volontairement à d’autres producteurs de leur choix pour commercialiser leur blé et leur orge;

c) violent leur droit garanti par les alinéas 6(2)b) et 6(3)a) de la Charte de gagner leur vie dans une province en imposant des obstacles à l’administration efficace d’une exploitation agricole.

[4]        Le juge Muldoon a décidé que les allégations de violation de la Charte n’étaient pas fondées. De plus, il a conclu que même si la Loi sur la Commission canadienne du blé violait la Charte, de telles violations seraient justifiées au regard de l’article premier de la Charte. Par conséquent, il a rejeté l’action des appelants.

[5]        En appel devant cette Cour, les appelants disent qu’ils ne s’opposent pas à l’existence ou au maintien de la Commission canadienne du blé ni, en général, à la Loi sur la Commission canadienne du blé. Le point crucial de leur demande est le caractère obligatoire du régime de mise en commun établi par la Commission canadienne du blé.

[6]        Les appelants décrivent la mise en commun obligatoire comme étant l’obligation de vendre leur blé et leur orge uniquement à la Commission canadienne du blé et de recevoir de celle-ci un prix de mise en commun défalqué des dépenses encourues par la Commission. Dans leur avis de question constitutionnelle, ils décrivent la mise en commun obligatoire comme suit :

[traduction] En vertu du régime établi par la Loi, les producteurs, dont la livraison du blé est acceptée par la Commission, reçoivent au moment de la livraison un « paiement initial » dont le montant est déterminé par le gouvernement général en conseil ou, avec son approbation, par la Commission. Par la suite, les producteurs peuvent recevoir un « paiement final » si, ultérieurement, la Commission génère un revenu supplémentaire des montants reçus de la vente de tout le blé de ce type, de ce grade ou de cette qualité, déduction faite des « dépenses » liées à ses opérations.

En vertu du régime établi par la Loi, le blé livré à la Commission est considéré comme ayant été mis en commun selon leur type, grade et qualité, de telle sorte que deux producteurs ou plus qui livrent du blé considéré par la Commission comme étant de même type, grade ou qualité, et par conséquent traité dans le même « syndicat », recevront au prorota les mêmes paiements de la Commission, le cas échéant.

[7]        Voici certains des problèmes que les appelants lient au système de mise en commun obligatoire :

1. Ils doivent assumer les dépenses d’administration de la Commission canadienne du blé qui sont déduites des paiements effectués aux producteurs;

2. Ils doivent assumer les coûts d’entreposage, d’ensilage et de transport de la Commission canadienne du blé qu’ils prétendent pouvoir réduire s’il leur était permis de faire eux-mêmes ces opérations;

3. Ils ne peuvent pas maximiser le revenu qu’ils tirent du blé ou de l’orge de qualité supérieure parce que la Commission canadienne du blé ne reconnaît pas tous les grades les plus élevés et que leur blé et leur orge sont mis en commun selon les grades inférieurs reconnus par la Commission;

4. Ils ne peuvent participer entièrement à l’exploitation de l’entreprise agricole du fait qu’il leur est interdit de participer à la fonction de commercialisation de leur blé et de leur orge.

[8]        Les appelants disent que bien que leur plainte comporte un aspect économique, leurs préoccupations sont plus larges. Ils disent que le fait de leur enlever le droit de commercialiser leur blé et leur orge et de les reléguer au statut de simples producteurs affecte leur dignité, leur estime de soi et leur autonomie personnelle.

[9]        Bien que ce bref résumé de la position des appelants ne prétende pas refléter de façon exhaustive la preuve soumise à l’instruction, il donne un aperçu des raisons pour lesquels les appelants ont institué leur action et en appellent maintenant de son rejet par le juge de première instance.

LES QUESTIONS « ÉCONOMIQUES » ET LES QUESTIONS « DU TRAFIC ET DU COMMERCE »

[10]      Avant d’analyser au fond les demandes des appelants liées à la Charte, il convient de traiter des arguments des appelants qui portent sur deux aspects secondaires du jugement porté en appel.

[11]      Les appelants soutiennent que le juge de première instance a erré en concluant que la Charte ne reconnaît pas les demandes de nature économique. Ils attirent l’attention sur l’analyse apparaissant à ses motifs sous le titre « Droits économiques ou relatifs à la propriété non garantis » [pages 383 et suivantes] et sur une de ses remarques finales [à la page 439] portant que :

[…] l’interprétation première et encore courante de la Charte, (une interprétation qui est exacte de l’avis de la Cour), est la suivante : la Charte ne protège pas les aspirations économiques et commerciales des individus.

Dans la mesure où les commentaires du juge de première instance peuvent être interprétés comme rendant irrecevable toute demande faite en vertu de la Charte qui comporte un aspect économique ou commercial, je ne puis y souscrire. La demande fondée sur la Charte ne sera pas rejetée pour la seule raison qu’elle comporte un aspect économique. Comme l’avocat des appelants l’a signalé, bon nombre de causes fondées sur la Charte avaient une composante ou une implication économique[11]. Par contre, je pense qu’une demande liée à la Charte et fondée uniquement sur un motif économique ne serait vraisemblablement pas accueillie[12].

[12]      Les appelants contestent également la conclusion apparente du juge de première instance portant que, nonobstant la Charte, la Loi sur la Commission canadienne du blé est valide en droit parce qu’elle est permise en vertu de la compétence constitutionnelle du gouvernement fédéral de réglementer le trafic et le commerce prévue à l’article 91, catégorie 2, de la Loi constitutionnelle de 1867[13]. À titre d’exemple, les appelants attirent l’attention sur sa conclusion [aux paragraphes 191 et 192, pages 439 et 440] portant que :

[…] abstraction faite de l’article premier [de la Charte], la Loi sur la CCB et le monopole de la Commission sont valides en droit et, malgré la Charte, compte tenu du jugement qu’a rendu la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renvoi relatif aux écoles séparées de l’Ontario, [1987] 1 R.C.S. 1148, relativement à la compétence législative du Parlement en vertu de l’article 91, catégorie 2, de la Loi constitutionnelle de 1867.

Dans la société libre et démocratique du Canada, le Parlement, qui jouit de l’indubitable pouvoir de faire des lois dans le domaine du trafic et du commerce, doit demeurer libre de régler ce qui constitue essentiellement un problème de nature politique, en libérant ou en réglementant le marché, pratiquement comme le Parlement et le gouvernement élu le juge bon […] De telles décisions relèvent du Parlement et non de la Cour, dans la mesure où le Parlement ne porte atteinte à aucun droit conféré par la Charte, ou si c’est le cas, dans la mesure où la justification de cette violation peut se démontrer, ou si un impératif de nature constitutionnelle exige l’intégrité absolue d’un champ de compétence législative. [Non souligné dans l’original.]

[13]      Les intimées n’ont pas tenté de justifier cet aspect des motifs du juge de première instance.

[14]      Pour interpréter des dispositions de la Charte, on peut recourir à d’autres parties de la Constitution[14]. Toutefois, si les propos du juge de première instance laissent l’impression qu’un texte législatif peut être à l’abri de tout examen au regard de la Charte au motif qu’il relève d’une compétence conférée par l’article 91 ou 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, il s’agit là d’une opinion à laquelle je ne peux souscrire. L’article 32 de la Charte dispose :

32. (1) La présente charte s’applique :

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

Ainsi, bien que la Loi sur la Commission canadienne du blé soit une loi fédérale valide dans le cadre du partage des compétences entre les gouvernements fédéral et provincial[15], elle doit également répondre aux exigences de la Charte.

[15]      Les appelants font valoir que les erreurs commises par le juge de première instance sur ces deux points l’ont conduit à rejeter erronément leurs demandes fondées sur la Charte. Je ne suis pas d’accord. Les conclusions du juge de première instance sont fondées sur un raisonnement qui est séparé et indépendant de ces deux opinions. Pour les motifs qui suivent, je souscris au résultat auquel le juge de première instance est arrivé, savoir que la Loi sur la Commission canadienne du blé ne viole pas les droits revendiqués par les appelants au regard de la Charte et, subsidiairement, que si on concluait à une violation, on pourrait en démontrer la justification au sens de l’article premier.

LA DEMANDE FONDÉE SUR LE PARAGRAPHE 15(1)

[16]      Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[17]      Les appelants prétendent que le système de mise en commun obligatoire viole le paragraphe 15(1) parce qu’il crée une distinction entre :

[traduction] […] les exploitants agricoles dans la région désignée qui sont soumis au monopole de la CCB, étant des exploitants agricoles qui produisent du blé et de l’orge pour :

a) le commerce d’exportation,

b) la consommation humaine au Canada, ou

c) le commerce interprovincial du fourrage à l’extérieur de la région désignée

et les exploitants agricoles situés à l’extérieur de la région désignée qui ne sont pas soumis au monopole de la CCB.

[18]      Ils disent que, pour les fins du paragraphe 15(1), leur motif de discrimination analogue est la géographie; que le système de mise en commun obligatoire prévu à la Loi sur la Commission canadienne du blé établit une discrimination contre eux sur la base de la géographie, c’est-à-dire de leur lieu de résidence et de production de blé et d’orge à l’intérieur de la région désignée.

[19]      Il n’est pas nécessaire en l’instance de faire une analyse détaillée du paragraphe 15(1) parce que, selon moi, les appelants n’ont pas démontré un motif analogue qui peut être reconnu.

[20]      Dans l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)[16], les juges McLachlin (tel était alors son titre) et Bastarache ont résumé l’approche qu’il faut suivre dans l’identification des motifs analogues. Au paragraphe 13 [pages 219 et 220], ils ont indiqué :

En conséquence, quels sont les critères qui permettent de qualifier d’analogue un motif de distinction? La réponse est évidente, il s’agit de chercher des motifs de distinction analogues ou semblables aux motifs énumérés à l’art. 15 — la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu’ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l’individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. Ce fait tend à indiquer que l’objet de l’identification de motifs analogues à la deuxième étape de l’analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu’il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s’attendre que nous changions pour avoir droit à l’égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l’art. 15 vise le déni du droit à l’égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés immuables, par exemple la religion. D’autres facteurs, que la jurisprudence a rattachés aux motifs énumérés et analogues, tel le fait que la décision produise des effets préjudiciables à une minorité discrète et isolée ou à un groupe qui a historiquement fait l’objet de discrimination, peuvent être considérés comme émanant du concept central que sont les caractéristiques personnelles immuables ou considérées immuables, caractéristiques qui ont trop souvent servi d’ersatz illégitimes et avilissants de décisions fondées sur le mérite des individus. [Non souligné dans l’original.]

[21]      La question qui se pose est la suivante : la résidence des appelants et la localisation de leurs exploitations agricoles à l’intérieur de la région désignée constituent-elles une caractéristique immuable comme la race, ou une caractéristique considérée immuable comme la religion? Par exemple, peut-on prouver que les personnes qui résident dans la région désignée ou qui y ont leurs exploitations agricoles constituent une minorité discrète et isolée ou un groupe qui a historiquement été désavantagé ou fait l’objet de discrimination? En clair, la résidence et la localisation d’une exploitation agricole à l’intérieur de la région désignée n’est pas une caractéristique immuable. Est-ce une caractéristique considérée immuable?

[22]      Aucune source n’a identifié le lieu de résidence comme un motif analogue. Certes, le lieu de résidence n’a pas été rejeté (voir R. c. Turpin)[17]. Toutefois, dans l’arrêt Corbiere, précité, la Cour suprême a indiqué que la résidence, dans son sens général, ne sera pas facilement reconnue comme un motif analogue. Les juges formant la majorité dans cet arrêt ont accepté la conclusion du juge L’Heureux-Dubé dans ses motifs concurrents portant que « le statut de membre hors réserve d’une bande »—qualifié par la majorité d’« autochtonité-lieu de résidence »—est un motif analogue. Toutefois, les juges majoritaires ont également dit que cette conclusion ne doit pas être interprétée comme signifiant que « la résidence habituelle » est un motif analogue. Aux paragraphes 14 et 15 [page 220], ils ont dit ceci :

Le juge L’Heureux-Dubé conclut, en dernière analyse, que le facteur de l’«autochtonité-lieu de résidence » constitue un motif analogue lorsqu’il se rapporte à la question de savoir si un membre d’une bande autochtone vit dans la réserve ou en dehors de celle-ci. Nous sommes d’accord avec cette conclusion. Il ressort clairement des propos du juge L’Heureux-Dubé que la distinction se rapporte à une caractéristique personnelle essentielle de l’identité personnelle des membres des bandes indiennes, caractéristique qui est considérée immuable au même titre que la religion ou la citoyenneté. Les membres hors réserve d’une bande autochtone ne peuvent devenir des membres habitant la réserve qu’à un prix considérable, si tant est qu’ils le peuvent.

Deux brefs commentaires s’imposent au sujet de ce nouveau motif analogue. Premièrement, il ne faut pas confondre qualité de membre hors réserve et lieu de résidence. Les décisions que sont appelés à prendre les Canadiens en général relativement à leur « lieu de résidence » ne sauraient être comparées aux décisions lourdes de conséquences que prennent les membres des bandes autochtones lorsqu’ils choisissent de vivre dans les réserves ou à l’extérieur de celles-ci, à supposer que ce choix soit possible. La réalité de ces personnes est unique et complexe. Par conséquent le fait de conclure, sur le plan des principes généraux, que le lieu de résidence est un motif analogue n’établit rien de nouveau. [Non souligné dans l’original.]

[23]      Il ressort de l’arrêt Corbiere que la résidence doit être associée à autre chose qui est fondamentale à l’identité de quelqu’un, qui est immuable ou à tout le moins considérée immuable. Ainsi, il ne suffit pas pour les fins de l’identification du motif analogue que le lieu de la résidence et de l’exploitation agricole d’un individu soit à l’intérieur de la région désignée ou même à tout endroit au Canada. Il faut quelque chose de plus.

[24]      Pour les fins du débat, je conviendrai que le fait d’être exploitant agricole comprend des aspects culturels et sociaux qui peuvent faire partie de l’identité de la personne. Je conviendrai également que la résidence sur une exploitation agricole peut, pour certains, être considérée modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. Toutefois, l’argument des appelants ne porte pas sur le fait d’être exploitant agricole et son impact sur leur identité. Leur demande porte plutôt sur l’incidence de la résidence et de l’exploitation d’une entreprise agricole dans la région désignée. Ainsi, au paragraphe 225 de leur mémoire, ils disent :

[traduction] En l’instance, les appelants ne font pas l’objet de discrimination du fait qu’ils sont exploitants agricoles. Ils font l’objet de discrimination parce qu’ils exploitent une entreprise agricole dans la région désignée et doivent cultiver du blé ou de l’orge. Par conséquent, le motif analogue est la situation géographique, la partie du Canada où les appelants exploitent leurs entreprises agricoles. [Souligné dans l’original.]

[25]      L’incidence que peut avoir sur une personne le fait que son exploitation agricole soit située à l’intérieur ou à l’extérieur de la région désignée, c’est-à-dire qu’elle soit ou non tenue de vendre son blé et son orge à la Commission canadienne du blé, n’est pas liée aux aspects essentiels de la dignité ou de l’identité de la personne que le paragraphe 15(1) veut protéger. En l’absence de facteurs comme la vulnérabilité associée au fait d’être membre d’une minorité discrète et isolée, ou d’une situation historique de discrimination ou de préjugés, le paragraphe 15(1) n’a pas pour objet de protéger les individus de tous les désavantages perçus incidents à leur lieu de résidence, même si la décision d’y vivre peut résulter de facteurs hors du contrôle de l’individu.

[26]      Il n’y a aucune preuve que les producteurs qui résident et exploitent une entreprise agricole dans la région désignée sont, du fait de leur localisation, des membres d’une minorité discrète ou isolée ou ont historiquement fait l’objet de discrimination ou de préjugés. Les appelants invoquent « l’aliénation de l’Ouest ». Toutefois, même si l’on accepte ce phénomène, il faut apporter la preuve d’une discrimination historique contre les Canadiens de l’Ouest pour établir que la résidence ou l’exploitation d’une entreprise agricole dans l’Ouest canadien constitue un motif analogue. Les appelants n’ont pas présenté une telle preuve. Leur argument est fondé uniquement sur un énoncé très vague :

[traduction] L’histoire du Canada est parsemée d’exemples établissant que le gouvernement national a traité les provinces de l’Ouest et les territoires du Nord différemment et moins favorablement que d’autres régions du pays. Il y a eu quelques fois des raisons historiques valables pour avoir agi de la sorte, d’autres fois non. « L’aliénation de l’Ouest » et « l’aliénation du Nord » se sont enracinées en stéréotypes réels et perçus, résultant en paternalisme et en distinction. Chaque cas est bien sûr un cas d’espèce mais les appelants font valoir que, dans le cas de la Loi sur la CCB, un tel traitement différencié fondé sur la situation géographie n’est plus acceptable et est inconstitutionnel.

Au cours de leur plaidoirie, ils ont parlé de désavantage ou d’impuissance politique.

[27]      Le fait que les appelants concèdent que « chaque cas est un cas d’espèce » donne à penser que même eux ne considèrent pas l’aliénation de l’Ouest comme le signe constant d’un motif analogue. Quoi qu’il en soit, l’affirmation générale de l’aliénation de l’Ouest ou du désavantage politique est insuffisante pour établir, au sens de la Charte, une situation historique de discrimination contre les Canadiens de l’Ouest et en particulier les producteurs de blé et d’orge dans la région désignée.

[28]      Dans le cadre de l’identification d’un motif analogue de distinction, il est habituellement nécessaire d’aller au-delà de l’objet des prétentions des appelants au regard de la Charte. Pour établir l’existence d’une minorité discrète ou isolée ou d’une situation historique de discrimination, il faut habituellement chercher un désavantage indépendant de la distinction juridique précise contestée[18]. Les appelants disent que l’obligation qu’ils ont de vendre leur blé et leur orge à la Commission canadienne du blé affecte leur dignité et leur estime de soi. Elle les prive de l’opportunité de faire librement la commercialisation de leurs produits, ce qui, selon eux, [traduction] « attaque le fondement même de leur moyen d’existence ». Ils prétendent que la capacité de commercialiser leur propre récolte est essentielle à la réalisation de leur identité d’« exploitant agricole » par opposition au simple « producteur ». Toutefois, les appelants n’ont soumis aucune preuve établissant que les producteurs de blé et d’orge dans la région désignée sont l’objet d’un désavantage autre que la plainte touchant la mise en commun obligatoire prévue à la Loi sur la Commission canadienne du blé.

[29]      Les appelants demandent à la Cour de tenir compte des commentaires du juge La Forest dans l’arrêt Godbout c. Longueuil (Ville)[19] où il a traité de la notion de résidence dans le cadre de l’article 7 de la Charte. Il a conclu en ces termes à la page 894 :

[…] le choix du lieu où l’on veut vivre est un acte fondamentalement personnel qui fait intervenir l’essence même des valeurs individuelles régissant l’organisation des affaires privées de chacun. Autrement dit, le type de considérations que je viens de mentionner met en évidence la nature essentiellement privée du choix d’un lieu pour établir sa demeure. À mon avis, l’État ne devrait pas être autorisé à s’immiscer dans ce processus décisionnel privé, à moins que des motifs impérieux ne justifient son intervention.

Dans l’arrêt Godbout, le juge La Forest, en son propre nom et au nom de deux de ses collègues de la Cour suprême, a décidé qu’une résolution municipale exigeant des employés municipaux qu’ils résident sur le territoire de la municipalité violait l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, la Cour à la majorité a expressément refusé de se prononcer sur l’article 7, préférant dans les circonstances rejeter le pourvoi en se fondant uniquement sur la Charte des droits et libertés de la personne du Québec[20].

[30]      Les appelants soutiennent que l’énoncé du juge La Forest dans l’arrêt Godbout leur est favorable car le choix de mener la vie d’exploitant agricole dans une région particulière n’est « [traduction] guère moins important que le choix de la municipalité où l’on va vivre »[21], et qu’ils ne devraient pas être pénalisés à cause de leur choix.

[31]      En ce qui concerne l’opinion du juge La Forest, étant donné l’opinion exprimée par les juges McLachlin et Bastarache au paragraphe 15 [page 220] de l’arrêt Corbiere selon laquelle :

Par conséquent, le fait de conclure, sur le plan des principes généraux que le lieu de résidence est un motif analogue n’établit rien de nouveau.

Je ne peux pas m’appuyer sur l’opinion de la minorité à l’égard de l’article 7 de la Charte dans l’arrêt Godbout pour décider que la résidence est un motif analogue en vertu du paragraphe 15(1).

[32]      Pour ces motifs, je ne peux conclure que la géographie en général, ou plus particulièrement que la résidence et la localisation des producteurs dont les fermes produisent du blé et de l’orge dans la région désignée constituent un motif analogue de discrimination. Cela étant, il n’est pas nécessaire de poursuivre. La demande fondée sur le paragraphe 15(1) doit être rejetée.

LA PLAINTE FONDÉE SUR L’ALINÉA 2d)

Description de la plainte

[33]      L’alinéa 2d) prévoit :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[…]

d) liberté d’association.

Les appelants disent que la commercialisation commune requise par la Loi sur la Commission canadienne du blé viole leur droit à la liberté d’association en ce que, pour commercialiser leur blé ou leur orge :

a) ils doivent s’associer à la Commission canadienne du blé;

b) ils doivent s’associer à tous les autres producteurs de blé et d’orge dans la région désignée;

c) ils ne peuvent volontairement s’associer à d’autres producteurs de leur choix.

[34]      Il apparaît immédiatement que leurs deux premiers motifs ne mettent pas en cause la liberté d’association mais la liberté de ne pas s’associer. En d’autres mots, la demande porte sur le fait qu’ils sont, contrairement au droit que leur garantit l’alinéa 2d), forcés de commercialiser leur blé et leur orge en association avec la Commission canadienne du blé et tous les autres producteurs de blé et d’orge dans la région désignée alors qu’ils préféreraient faire individuellement une telle mise en marché. Leur troisième plainte en est une de nature plus traditionnelle, à savoir qu’il leur est interdit de s’associer volontairement à d’autres producteurs dans la région désignée afin de commercialiser leur blé et leur orge.

[35]      Il convient de traiter ensemble les deux premières plaintes puisqu’elles n’en forment en fait qu’une seule.

La liberté de ne pas s’associer

[36]      La question de savoir si l’alinéa 2d) protège le droit de ne pas s’associer a été tranchée définitivement par la Cour suprême. Toutefois, s’exprimant au nom de trois des sept juges dans l’arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario[22], le juge La Forest a conclu que la liberté de ne pas être forcé de s’associer était reconnue par l’alinéa 2d). Aux pages 317 et 318 il a indiqué :

La question est donc de savoir si la protection de cet intérêt collectif et de l’intérêt individuel préexistant exige que la liberté de ne pas être forcé de s’associer soit reconnue en vertu de l’al. 2d) de la Charte.

À mon avis, la réponse est nettement affirmative. L’association forcée étouffera la possibilité pour l’individu de réaliser son épanouissement et son accomplissement personnels aussi sûrement que l’association volontaire la développera. De plus, la société ne saurait s’attendre à obtenir des contributions intéressantes de groupes ou d’associations qui ne représentent pas vraiment les convictions et le libre choix de leurs membres. Au contraire, on peut s’attendre à ce que ces groupes et associations aient, dans l’ensemble, un effet négatif sur le développement de la société en général […] La reconnaissance de la liberté de l’individu de ne pas s’associer est la contrepartie nécessaire d’une association constructive conforme aux idéaux démocratiques.

[37]      Le juge McLachlin, dans ses propres motifs, ne s’est pas prononcée sur ce point mais a indiqué qu’elle était portée à croire que dans certaines circonstances, l’association forcée peut violer l’alinéa 2d). À la page 343, elle a dit ceci :

La question suivante consiste à déterminer si l’al. 2d) comprend le droit de ne pas s’associer. Bien qu’il ne soit pas nécessaire, à mon avis, de résoudre cette question, je suis portée à croire que le droit protégé par l’al. 2d) ne s’arrête pas à la protection contre l’isolement imposé par l’État, comme l’affirment les intervenants la FTO et le CTC. Dans certaines circonstances, on peut soutenir que l’association forcée est aussi incompatible avec l’épanouissement personnel au moyen de l’activité collective que l’est l’expression forcée.

[38]      En l’instance, le juge de première instance s’est dit d’avis que l’alinéa 2d) protège le droit de ne pas s’associer[23].

[39]      En me fondant sur le raisonnement des juges La Forest et McLachlin dans l’arrêt Lavigne, je conviens que dans certaines circonstances l’alinéa 2d) peut protéger le droit de ne pas s’associer.

Distinction entre l’activité et l’aspect collectif de l’activité

[40]      Pour les fins du présent appel, la source la plus pertinente sur le droit d’association en vertu de l’alinéa 2d) est l’arrêt Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson[24] (OCCO). En vertu de la réglementation prise en application de la Loi sur les offices de produits agricoles[25], aucun œuf produit dans les Territoires du Nord-Ouest ne peut être légalement commercialisé sur le marché interprovincial ou de l’exportation. Des producteurs des Territoires du Nord-Ouest ont contesté la constitutionnalité de la loi de commercialisation fédérale. L’un des motifs allégués était que le régime violait l’alinéa 2d) de la Charte.

[41]      Pour la Cour à la majorité, les juges Iacobucci et Bastarache ont estimé qu’il n’y avait pas violation de l’alinéa 2d). Le point crucial de leur conclusion était que la liberté d’association protège uniquement les aspects collectifs de l’activité et non l’activité elle-même. Au paragraphe 105 [page 228], ils ont dit ceci :

Il ressort cependant de la jurisprudence relative à l’al. 2d) que la liberté d’association ne protège que l’aspect collectif de l’activité, non pas l’activité elle-même. Si l’activité doit être protégée par la Constitution, cette protection doit se trouver ailleurs qu’à l’al. 2d).

[42]      L’avocat des appelants concède que si la question porte sur l’activité, l’alinéa 2d) ne lui est d’aucun secours. Il fait valoir que ce n’est pas l’activité de commercialisation du blé et de l’orge qui est en cause mais plutôt l’association forcée avec la Commission canadienne du blé et tous les autres producteurs de blé et d’orge qui viole les droits des appelants. Il dit que la Loi sur la Commission canadienne du blé impose ces associations aux appelants, et qu’en l’absence de législation, il ne serait pas illégal pour un seul producteur de commercialiser le blé et l’orge sur le marché interprovincial et de l’exportation. C’est la loi obligeant les producteurs dans la région désignée à s’associer à la Commission et à chacun des autres producteurs qui rend illégale la commercialisation individuelle du blé et de l’orge. Ainsi, c’est l’aspect collectif du régime de commercialisation de la Commission canadienne du blé qui est en cause et, par conséquent, l’alinéa 2d) s’applique.

[43]      À mon avis, bien que la Loi sur la Commission canadienne du blé rende illégale la commercialisation du blé et de l’orge produits dans la région désignée en dehors du régime réglementaire de la Commission canadienne du blé, une telle interdiction légale ne peut pas servir de tremplin à la constitutionnalisation de l’activité elle-même, c’est-à-dire la commercialisation du blé et de l’orge, par le biais de l’alinéa 2d).

[44]      Au paragraphe 113 [page 232] de leurs motifs dans l’arrêt OCCO, les juges Iacobucci et Bastarache se sont exprimé ainsi :

[…] l’al. 2d) ne crée pas le droit d’accomplir collectivement ce qu’il est interdit d’accomplir individuellement […] Ainsi, peu importe que l’on affirme que l’activité est à la base de l’association ou que l’association est à la base de l’activité, cela revient au même : ce qu’on tente de faire, c’est d’étendre à des activités non protégées par la Constitution, si elles sont exercées par des individus, la protection constitutionnelle du seul fait que ces individus se sont associés pour les exercer.

[45]      Comme l’arrêt OCCO le réaffirme, le corollaire de la liberté garantie par la Charte d’exercer une activité en association est la liberté d’exercer cette activité individuellement. Bien que l’argument dans l’arrêt OCCO ait porté sur la liberté positive d’association, à mon avis, ce corollaire est également applicable dans le contexte d’une liberté négative d’association; si une personne revendique la liberté de ne pas être tenue de s’associer en application de l’alinéa 2d), il doit y avoir un intérêt en jeu qui soit reconnu par la Charte ailleurs qu’à l’alinéa 2d). Il ne suffit pas de dire qu’en l’absence d’obligation légale de s’associer, une activité serait légale si elle était exercée individuellement. Pour que l’argument portant sur l’aspect collectif puisse être retenu, l’activité individuelle empêchée par l’obligation légale de s’associer doit être une activité qui soit protégée par la Charte.

[46]      Par exemple, dans l’arrêt Lavigne, précité, le juge McLachlin a qualifié l’intérêt en cause comme étant :

[…] l’intérêt qu’a un individu d’être libre de ne pas être forcé de s’associer à des idées et à des valeurs auxquelles il ne souscrit pas volontairement. J’appellerai cela, aux fins de la présente affaire, l’intérêt de la liberté de ne pas se voir imposer la conformité idéologique[26].

La liberté de ne pas se voir imposer la conformité idéologique, comme l’a définie le juge McLachlin, se retrouve dans la Charte à l’alinéa 2a), la liberté de conscience et de religion, et à l’alinéa 2b), la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression.

[47]      Dans le présent appel, il ne fait aucun doute que les appelants sont obligés de vendre leur blé et leur orge à la Commission canadienne du blé et de s’associer aux autres producteurs de blé et d’orge dans la région désignée. Il est manifeste que l’intérêt que les appelants cherchent à protéger est la liberté de vendre leur blé et leur orge selon les arrangements qu’ils auront eux-mêmes choisis de conclure. Que cela soit perçu négativement comme la liberté de ne pas d’associer ou positivement comme la liberté de vendre leur blé et leur orge à leurs propres conditions, les appelants doivent démontrer comment la Charte, au-delà de l’alinéa 2d) lui-même, protège un tel intérêt.

[48]      À cet égard, il faut dire que ce ne sont pas toutes les activités exercées par les individus qui sont constitutionnellement protégées. Dans OCCO, les juges Iacobucci et Bastarache ont cité en les approuvant les propos du juge McIntyre dans l’arrêt Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.) [Renvoi relatif à l’Alberta][27] :

La Charte ne confère pas, ni n’a été conçue pour conférer, une protection constitutionnelle à tous les actes de l’individu qui lui sont essentiels pour atteindre ses buts ou objectifs personnels […]

[…]

Pour des raisons évidentes, la Charte ne confère pas de protection constitutionnelle à toutes les activités exercées par des individus. Par exemple, aucune protection n’est conférée par la Charte au droit de propriété, aux activités commerciales en général ni à une foule d’autres activités licites […] Il n’y a tout simplement rien qui justifie d’accorder la protection de la Charte à une activité simplement parce qu’elle est exercée par plus d’une personne.

Citant le juge Le Dain dans le même jugement, ils ont réaffirmé que les activités des individus ne sont pas toutes protégées par la Charte. Ils ont dit ceci [à la page 230] :

Il [le juge Le Dain] a ajouté […] que la question était de savoir si une activité particulière qu’exerce une association en poursuivant ses objectifs, doit être protégée par la Constitution ou faire l’objet d’une réglementation par voie de politiques législatives. Les droits au sujet desquels on réclame la protection de la Constitution, savoir les droits contemporains de négocier collectivement et de faire la grève, qui comportent pour l’employeur des responsabilités et obligations corrélatives, ne sont pas des droits ou libertés fondamentaux. Ce sont des créations de la loi qui mettent en jeu un équilibre entre des intérêts opposés dans un domaine qui, les tribunaux l’ont reconnu, exige une compétence spéciale.

[49]      Les juges Iacobucci et Bastarache ont reconnu qu’il n’est pas un seul commerce ou profession qu’une personne peut exercer seule. Toutefois, ils ont explicitement rejeté l’argument voulant que toutes les relations commerciales sont constitutionnalisées sous la rubrique de la liberté d’association. Au paragraphe 109 [pages 230 et 231], ils se sont exprimés comme suit :

On ne peut dire que la liberté de contracter et de commercer est un concept moderne. N’empêche que la réglementation du commerce, en particulier du commerce des denrées agricoles, comporte une pondération d’intérêts opposés qui exige une compétence spéciale. Pourtant, les arguments des intimés auraient pour effet de constitutionnaliser tous les rapports commerciaux sous la rubrique de la liberté d’association. Il n’est pas un seul commerce ou profession qu’une personne peut exercer seule. Selon le raisonnement de la Cour d’appel, toute forme de réglementation gouvernementale de l’économie qui affecte l’aptitude des gens à commercer violerait, au moins à première vue, l’al. 2d) et devrait être justifiée au sens de l’article premier. Comme l’a noté William Shores dans un commentaire de l’arrêt rendu, en l’espèce, par la Cour d’appel :

[traduction] L’interprétation de la liberté d’association qui protège le commerce élargit le rôle de la Charte en protégeant l’activité commerciale bien au-delà de tout ce qui a été reconnu jusqu’à ce jour par les tribunaux. Pareille interprétation constituerait une arme puissante contre une vaste gamme de régimes de réglementation.

(« Walking Onto an Unfamiliar Playing Field—Expanding the Freedom of Association to Cover Trade » (1996), 6 Reid’s Administrative Law 1.)

De plus, au sujet de l’argument selon lequel ce ne sont pas toutes les activités qui se voient conférer une protection constitutionnelle du seul fait qu’elles sont exercées en association, ils ont cité le juge en chef Dickson dans l’arrêt Renvoi relatif à l’Alberta, qui, à la page 366, indique que la liberté d’association de l’alinéa 2d) n’est :

pas […] une autorisation constitutionnelle illimitée pour toute activité collective. Le simple fait qu’une activité puisse être exercée par plusieurs personnes ensemble, aussi bien qu’individuellement, ne signifie pas que cette activité se voit conférer une protection constitutionnelle contre toute interdiction ou réglementation législative.

[50]      Enfin [au paragraphe 112, page 232], en faisant leurs les quatre propositions que le juge Sopinka a, dans l’arrêt Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (Commissaire)[28], dégagées du Renvoi relatif à l’Alberta, à savoir :

[…] premièrement, l’al. 2d) protège la liberté de constituer une association, de la maintenir et d’y appartenir; deuxièmement, l’al. 2d) ne protège pas une activité pour le seul motif que cette activité est un objet fondamental ou essentiel d’une association; troisièmement, l’al. 2d) protège l’exercice collectif des droits et libertés individuels consacrés par la Constitution; et quatrièmement, l’al. 2d) protège l’exercice collectif des droits légitimes des individus.

ils ont conclu que l’affaire OCCO relevait en tous points de la deuxième des quatre propositions.

[51]      Ils ont ajouté [au paragraphe 113, page 232] :

En outre, l’inverse de la quatrième proposition, à savoir que l’al. 2d) ne crée pas le droit d’accomplir collectivement ce qu’il est interdit d’accomplir individuellement, s’applique également. Ainsi, peu importe que l’on affirme que l’activité est à la base de l’association ou que l’association est à la base de l’activité, cela revient au même : ce qu’on tente de faire, c’est d’étendre à des activités non protégées par la Constitution, si elles sont exercées par des individus, la protection constitutionnelle du seul fait que ces individus se sont associés pour les exercer.

[52]      À mon humble avis, cette analyse règle, dans la présente affaire, le sort de la prétention, au regard de l’alinéa 2d), fondée sur la liberté de ne pas s’associer. Ce que les appelants ont tenté de faire est d’utiliser l’alinéa 2d) et l’argument de leur liberté de ne pas s’associer pour constitutionnaliser l’activité consistant à commercialiser individuellement le blé et l’orge sur le marché interprovincial et de l’exportation. Même si l’alinéa 2d) englobe le droit de ne pas s’associer dans certaines circonstances, ce droit ne peut pas être utilisé comme tremplin pour créer un droit constitutionnel d’exercer une activité individuellement lorsque la Charte ne fournit aucun autre fondement pour protéger l’activité.

[53]      Reste la plainte des appelants voulant que contrairement à l’alinéa 2d), il leur est interdit de s’associer volontairement à d’autres producteurs de leur choix pour vendre leur blé et leur orge. La seule réponse est que les appelants ne peuvent faire dans une association volontaire ce qu’ils ne peuvent faire individuellement. Puisque l’activité individuelle, la commercialisation du blé et de l’orge, n’est pas protégée constitutionnellement, il n’y a aucune base constitutionnelle pour prétendre qu’ils devraient pouvoir vendre leur blé et orge dans le cadre d’une association volontaire avec d’autres.

[54]      Pour ces motifs, la contestation des appelants fondée sur l’alinéa 2d) doit être rejetée.

LA PLAINTE FONDÉE SUR L’ARTICLE 6

[55]      L’article 6 de la Charte prévoit :

6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit :

a) de se déplacer dans tout le pays et d’établir leur résidence dans toute province;

b) de gagner leur vie dans toute province.

(3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés :

a) aux lois et usages d’application générale en vigueur dans une province donnée, s’ils n’établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle;

b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l’obtention des services sociaux publics.

(4) Les paragraphes (2) et (3) n’ont pas pour objet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans une province, la situation d’individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d’emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale.

La plainte des appelants

[56]      Les appelants disent que :

a) l’obligation de vendre le blé et l’orge à la Commission canadienne du blé viole leur droit de gagner leur vie dans les provinces où ils résident et produisent du blé et de l’orge;

b) la Loi sur la Commission canadienne du blé n’est pas une loi d’application générale dans une province;

c) en tout état de cause, la Loi crée une discrimination sur la base de la province de résidence actuelle.

Les observations que la Cour suprême a faites au sujet de la présente cause dans OCCO

[57]      Le juge Muldoon a conclu que la Loi sur la Commission canadienne du blé ne violait pas l’article 6 de la Charte. Son analyse, qui portait principalement sur l’alinéa 6(2)b), est antérieure à l’arrêt OCCO où la Cour suprême, à la majorité, a eu l’occasion de faire des commentaires sur l’article 6 dans le contexte de la présente affaire. Bien que les commentaires de la Cour suprême soient obiter, on ne peut pas les ignorer.

[58]      J’interprète le raisonnement des juges Iacobucci et Bastarache dans l’arrêt OCCO, relatif à la présente instance, comme suit :

1. Vu les faits en l’espèce, les alinéas 6(2)b) et 6(3)a) de la Charte s’appliquent.

L’affaire Archibald faisait clairement intervenir l’élément de la libre circulation pour gagner sa vie, parce que les producteurs de la région désignée qui tentaient d’offrir le fruit de leur labeur dans toute province du Canada étaient traités différemment de ceux de la région non désignée. [Au paragraphe 84, page 214.]

2. Le juge Muldoon s’est trompé lorsqu’il a examiné l’alinéa 6(2)b) isolément, alors qu’il est nécessaire d’examiner les alinéas 6(2)b) et 6(3)a) ensemble.

Notre Cour a reconnu que la liberté de circulation et d’établissement décrite à l’al. 6(2)b) doit être interprétée en fonction de la disposition en matière de discrimination contenue à l’al. 6(3)a), sinon elle sera manifestement trop large, vu la rubrique « Liberté de circulation et d’établissement ». Une fois que l’existence de cette interdépendance en matière d’interprétation est reconnue, il est plus logique d’interpréter les deux dispositions conjointement comme définissant un seul droit, plutôt qu’un droit « sauvegardé » de façon externe par un autre droit […] La disposition en matière de discrimination devrait faire partie intégrante de l’interprétation de l’objet et de la portée de la liberté de circulation et d’établissement décrite à l’al. 6(2)b). [Au paragraphe 54, page 192.]

Le juge Muldoon a conclu à l’absence de violation de l’al. 6(2)b), premièrement, parce que le désavantage économique subi n’était pas suffisant pour déclencher l’application de l’al. 6(2)b) et, deuxièmement, parce que même si l’application de cet alinéa avait été déclenchée en raison de l’existence de quelque désavantage économique, ce n’était pas suffisant pour influer sur la liberté de circulation et d’établissement qui est au cœur de l’art. 6. En toute déférence, ce raisonnement reflète le danger qu’il y a à examiner le droit garanti à l’al. 6(2)b) sans tenir compte de l’al. 6(3)a). Il ressort clairement d’une interprétation conjointe de ces dispositions que la loi qui établit une distinction fondée principalement sur le lieu de résidence en matière de gagne-pain viole la liberté de circulation et d’établissement, peu importe l’ampleur de cette incidence. [Au paragraphe 85, pages 214 et 215.]

3. L’ampleur du désavantage économique n’est pas une question qu’il faut examiner dans le cadre de l’analyse de l’article 6 mais plutôt dans le cadre de l’article premier.

C’est dans le cadre de l’analyse justificative fondée sur l’article premier qu’il vaut mieux examiner si l’incidence est négligeable au point de ne pas justifier la protection de l’art. 6. [Au paragraphe 85, page 215.]

4. Cependant, l’appréciation de l’incidence de la distinction légale contestée joue un rôle important lorsqu’il s’agit de déterminer si les objets apparents de la mesure législative sont valides au regard de l’alinéa 6(3)a), c’est-à-dire si la loi et les usages en vigueur dans une province donnée établissent entre les personnes une distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle.

Cependant, l’appréciation de l’incidence de la distinction légale contestée joue un rôle important lorsqu’il s’agit de déterminer si les objets apparents de la mesure législative sont valides. [Au paragraphe 86, page 215.]

[59]      Je déduis des commentaires des juges Iacobucci et Bastarache que, même si l’article 6 trouvait application en l’espèce, ils étaient convaincus que la Loi sur la Commission canadienne du blé était une loi d’application générale qui n’établissait aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle. Ils ont dit ceci au paragraphe 87 [pages 215 et 216] :

Il ressort d’une comparaison de l’incidence des lois applicables au producteur de la région désignée avec celle qu’elles ont sur le producteur de l’extérieur de cette région, que l’absence d’une « grande muraille » résulte du fait qu’il existe des raisons objectives, autres que le lieu de résidence, d’établir une distinction entre les deux régions.

Application du droit garanti par l’article 6

[60]      Afin de répondre aux arguments présentés en appel devant cette Cour, j’ajouterai les commentaires suivants. Pour que le droit prévu à l’alinéa 6(2)b), tel que modifié par l’alinéa 6(3)a), s’applique, le seuil à franchir est peu élevé. Bien qu’à première vue l’obligation de vendre le blé et l’orge puisse ne pas être considérée comme une atteinte au droit d’une personne de gagner sa vie dans une province, c’est la différence de traitement eu égard à la vente de blé et d’orge entre les producteurs de l’intérieur ou de l’extérieur de la région désignée qui déclenche le facteur de mobilité pour gagner sa vie. Dans OCCO, la Cour à la majorité a dit ceci au paragraphe 84 [page 214] :

Les « lois [discriminatoires] en vigueur dans une province » étaient les lois fédérales en vigueur dans les provinces des Prairies qui, par leurs dispositions particulières, établissaient une distinction entre les producteurs de provinces d’origine en fixant les conditions auxquelles ils pouvaient offrir leurs produits dans des provinces de destination.

Loi d’application générale dans une province

[61]      L’article 6 ayant été enclenché, il faut déterminer si la Loi sur la Commission canadienne du blé est une loi d’application générale en vigueur dans une province et, le cas échéant, si elle établit entre les personnes une distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle.

[62]      Les termes de l’alinéa 6(3)a) peuvent être interprétés comme suggérant que les lois et usages d’application générale en vigueur dans la province sont des lois ou des pratiques provinciales. Ainsi, le droit énoncé au paragraphe 6(2) est celui de se déplacer, d’établir sa résidence et de gagner sa vie « dans toute province ». Les lois et usages qui pourraient restreindre ces droits seraient des lois et usages adoptés ou imposés par une province en faveur de ses propres résidents. Toutefois, cela ne veut pas dire que les lois et usages fédéraux ne pourraient pas également avoir pour effet de créer des conditions variables en matière de gagne-pain dans différentes parties du Canada. Comme l’ont expliqué les juges Iacobucci et Bastarache aux paragraphes 61 [page 198] et 75 [page 207] de l’arrêt OCCO :

Des lois fédérales, ou des régimes législatifs établis de concert par les gouvernements fédéral et provinciaux, peuvent s’appliquer dans certaines provinces seulement et ainsi créer des conditions variables en matière de gagne-pain dans différentes provinces (Prince Edward Island Potato Marketing Board c. H.B. Willis Inc., [1952] 2 R.C.S. 392).

[…]

L’alinéa 6(3)a) s’applique aux « lois et usages d’application générale en vigueur dans une province donnée », ce qui comprend tant les lois fédérales que les lois provinciales en vigueur dans cette province.

Je conviens que la Loi sur la Commission canadienne du blé est une loi à laquelle l’alinéa 6(3)a) peut s’appliquer.

[63]      Il s’agit d’une loi fédérale d’application générale en vigueur dans les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta (voir OCCO, paragraphe 75 [page 207]). Toutefois, en Colombie-Britannique, elle ne s’applique qu’au district de Peace River et aux régions de Creston-Wynndel[29]. Cela veut-il dire que la Loi sur la Commission canadienne du blé n’est pas une loi d’application générale en Colombie-Britannique du fait qu’elle ne s’applique pas à toute la province? La Cour suprême semble ne pas penser de la sorte.

[64]      Commentant la décision qui fait l’objet du présent appel, les juges Iacobucci et Bastarache ont expressément signalé aux paragraphes 84 [page 214] et 87 [page 216] l’application géographique restreinte de la Loi sur la Commission canadienne du blé en Colombie-Britannique :

Dans la décision Archibald c. Canada, [1997] 3 C.F. 3351re inst.), la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C-24, qui s’applique seulement au Manitoba, en Alberta, en Saskatchewan et dans une partie de la Colombie-Britannique, était contestée pour le motif qu’elle violait l’al. 6(2)b), le par. 15(1) et l’al. 2d) de la Charte.

[…]

Le fait que la région désignée ne corresponde pas exactement à des frontières provinciales, et que la région soit caractérisée par la présence de vastes cultures céréalières qui la distinguent des autres régions du Canada, démontre également que les frontières des provinces ne servent que d’indicateur raisonnablement précis d’une réalité économique qui existe de façon générale dans ces provinces. [Non souligné dans l’original.]

[65]      Nonobstant le fait que la Loi ne s’appliquait pas dans toute la Colombie-Britannique, la Cour suprême n’a pas jugé que cela l’empêchait de déterminer si la Loi faisait une distinction principalement fondée sur la province de résidence antérieure ou actuelle, pour autant que la Colombie-Britannique est concernée. (Voir le paragraphe 59 ci-haut.) De plus, le fait que l’application de la Loi ne coïncidait pas exactement avec les frontières provinciales a été perçu comme une preuve supplémentaire que la Loi n’en était pas une qui faisait une distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle. (Voir le paragraphe 64 ci-haut.)

[66]      Il existe d’autres raisons pour lesquelles, dans le contexte de l’alinéa 6(3)a), une loi d’application générale n’a pas besoin d’être géographiquement applicable à toute une province. Il est tout de suite évident que les lois adoptées par les municipalités ne peuvent pas s’appliquer à l’extérieur des frontières de la municipalité. Or ces lois sont sans conteste assujetties aux dispositions sur la mobilité de l’article 6, même si ce ne sont pas des lois d’application générale à toute une province.

[67]      Dans le même esprit, dans l’arrêt MacKinnon c. Canada (Pêches et Océans)[30] qui portait sur la politique fédérale en matière de permis dans les principales zones de gestion de la pêche sur la côte atlantique, on souligne que les lois et usages seront quelques fois formulés pour s’appliquer à des régions géographiques spécifiques qui ne sont pas nécessairement conformes aux frontières provinciales car l’application uniforme à toute la province ou suivant les frontières provinciales peut ne pas être pertinente quant à la loi ou à l’usage[31].

[68]      Je suis convaincu que la Loi sur la Commission canadienne du blé est une loi d’application générale dans la région pour laquelle elle est considérée pertinente, soit les provinces des Prairies et des régions précises de culture céréalière en Colombie-Britannique choisies en fonction du volume de production de blé et d’orge et de la présence de systèmes de transport et d’ensilage essentiels aux opérations du régime de commercialisation de la Commission canadienne du blé.

[69]      Je connais le critère élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Kruger et autre c. La Reine[32], où le juge Dickson (tel était alors son titre) a énoncé comme suit la première partie d’une analyse en deux étapes pour vérifier si une loi en est une « d’application générale » :

En premier lieu, il faut examiner la portée territoriale de la Loi. Si la Loi n’a pas de portée uniforme sur tout le territoire, rien ne sert d’aller plus loin, il faut répondre par la négative.

[70]      Je reconnais de plus que le critère de l’arrêt Kruger a été appliqué par certains tribunaux[33] (dont la Cour d’appel fédérale[34]) dans le contexte de « l’application générale » de l’alinéa 6(3)a) de la Charte. Toutefois, dans l’optique de l’arrêt OCCO, l’exigence de l’uniformité territoriale telle que décrite dans Kruger, pourvoi dans lequel la Cour suprême interprétait une disposition de la Loi sur les Indiens[35] concernant l’applicabilité des lois provinciales aux Indiens, n’est pas applicable dans l’interprétation de l’expression « lois et usages d’application générale […] dans une province donnée » de l’alinéa 6(3)a) de la Charte. La Cour suprême a rendu l’arrêt Kruger avant l’adoption de la Charte, et ainsi n’a pu faire aucune comparaison contextuelle entre la mention des lois d’application générale apparaissant à l’article 88 de la Loi sur les Indiens et le libellé de l’alinéa 6(3)a) de la Charte. En commentant la présente affaire dans l’arrêt OCCO, la Cour suprême n’a pas fait référence au critère de l’arrêt Kruger.

[71]      Même si la Loi n’était pas considérée comme une loi d’application générale en Colombie-Britannique, il est manifeste que les appelants ne cherchent pas à contester le fonctionnement de la Loi dans cette province. Ainsi, aucun des individus appelants ne réside ni ne produit du blé ou de l’orge en Colombie-Britannique. La thèse des appelants est que la Loi viole leur droit de gagner leur vie en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba. Dans ces provinces, il est incontestable que la Loi sur la Commission canadienne du blé est une loi d’application générale en vigueur sur tout le territoire de chacune de ces provinces où les appelants résident et gagnent leur vie.

Distinction fondée principalement sur la résidence

[72]      La Loi sur la Commission canadienne du blé est-elle une loi qui établit une distinction fondée principalement sur la résidence antérieure ou actuelle? Il n’y a aucune allégation en l’instance portant que la Loi établit une distinction en fonction de la province de résidence antérieure. La seule question est de savoir si la loi établit une distinction fondée principalement sur la résidence actuelle. Tout en reconnaissant que la Loi crée un régime de commercialisation du blé et de l’orge produits dans la région désignée qui diffère du régime applicable à l’extérieur de cette région, je ne suis pas convaincu qu’une telle distinction constitue une distinction fondée principalement sur la province de résidence actuelle.

[73]      Se reportant spécifiquement à la présente affaire, la Cour suprême a dit dans l’arrêt OCCO qu’il existait des motifs objectifs pour faire une distinction entre la production du blé et de l’orge à l’intérieur et à l’extérieur de la région désignée. Au paragraphe 87 [page 216], les juges Iacobucci et Bastarache se sont exprimés comme suit :

Le grain est produit, pour la plus grande part, dans la région désignée et ce volume de production est précisément ce qui engendre les fluctuations de prix que le régime de la Commission canadienne du blé est destiné à atténuer. Dans la mesure où les producteurs de l’extérieur de la région désignée peuvent parfois être avantagés du fait qu’ils contrôlent davantage la commercialisation de leur grain, ils sont également défavorisés du fait qu’ils ont tendance à produire moins que leurs homologues de l’Ouest et qu’ils n’exercent que très peu d’influence, voire aucune, sur l’établissement du prix de leur grain. Pour les producteurs de l’Ouest, les intérêts en jeu dans la commercialisation de leur grain ont tendance à être plus élevés, ce qui signifie que l’effet atténuant du régime de la Commission canadienne du blé est davantage justifié dans leur cas. En ce sens, on peut faire remarquer à juste titre qu’il n’existe pas de « grande muraille » entre les gens des régions désignées et ceux de l’extérieur de ces régions.

Comme l’ont mentionné les juges Iacobucci et Bastarache, le fait que la région désignée se caractérise par de vastes régions de production céréalière qui se distinguent des autres régions du Canada démontre que la limitation du mandat et des activités de la Commission canadienne du blé à cette région correspond à une réalité économique. Il existe donc des raisons objectives pour restreindre les opérations liées au régime de commercialisation de la Commission canadienne du blé à la région désignée.

[74]      Je conclus que la Loi sur la Commission canadienne du blé n’est pas une loi qui établit une distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle.

[75]      La demande fondée sur l’article 6 doit être rejetée.

L’ARTICLE PREMIER

[76]      Bien qu’il n’ait pas conclu que la Loi sur la Commission canadienne du blé violait la Charte pour l’un quelconque des motifs allégués par les appelants, le juge Muldoon a fait une analyse détaillée au regard de l’article premier de la Charte, en appliquant le critère bien connu énoncé dans l’arrêt La Reine c. Oakes[36]. La Cour examinera les conclusions du juge de première instance afin de fournir une analyse complète des questions de droit qui ont été débattues en appel.

Les conclusions du juge de première instance

[77]      Afin de déterminer si la loi réalisait un objectif urgent et réel, le juge de première instance a passé en revue l’histoire de la Commission canadienne du blé depuis sa création en 1919, en passant par la chute dramatique des prix et des surplus de grain au cours des années 1930, l’importance stratégique d’un approvisionnement stable en grain durant la Seconde Guerre mondiale, les accords subséquents d’approvisionnement conclus avec le Royaume-Uni, les obligations en vertu des Accords internationaux sur le blé des années 1950 et 1960, et au fil des renouvellements périodiques de la législation sur la Commission canadienne du blé entre 1953 et 1967, l’importance, aux yeux du législateur, d’assurer la stabilité des prix et d’organiser la commercialisation du blé. La commercialisation des céréales de l’Ouest canadien a été un sujet de préoccupation nationale en raison de l’importance de l’industrie céréalière dans l’économie nationale. Le juge Muldoon [au paragraphe 157, page 423] a indiqué que l’objet de la loi était « d’organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l’exportation, la commercialisation du grain cultivé au Canada » et, selon lui, cela satisfaisait à la partie « préoccupations urgentes et réelles » du critère défini par l’arrêt Oakes.

[78]      Le juge de première instance n’a eu aucune difficulté à admettre l’existence d’un lien rationnel entre l’objectif d’organiser la commercialisation du grain et les mesures formulées dans la Loi sur la Commission canadienne du blé pour atteindre cet objectif.

[79]      Dans son analyse de l’atteinte minimale, le juge de première instance a indiqué que les appelants n’avaient pas demandé le démantèlement de la Commission canadienne du blé, mais seulement de ne pas être forcés de lui vendre leur blé et leur orge. Pour lui, la question était de savoir s’il était justifié de maintenir la Commission canadienne du blé comme syndicat non volontaire. Après avoir fait une analyse détaillée de la preuve, il a conclu que la Commission canadienne du blé ne serait pas viable dans un marché double, c’est-à-dire dans un marché où les producteurs auraient le choix de commercialiser leur blé et leur orge par l’entremise de la Commission canadienne du blé ou par eux-mêmes, individuellement ou en groupes. Il a fondé sa conclusion sur le témoignage de M. Murray Fulton, qu’il a jugé [au paragraphe 168, page 427] être « le spécialiste le plus crédible, sinon le seul, au sujet des coopératives et des systèmes de mise en commun ». Au paragraphe 169 [page 428], le juge de première instance a cité une étude de M. Fulton où il disait ceci :

[traduction] La raison pour laquelle un syndicat entièrement volontaire ne pourrait fonctionner aux côtés d’un marché au comptant est une fonction directe de la mise en commun. La mise en commun est un système par lequel les prix élevés et les prix bas—les prix que l’on obtient à des moments différents de la campagne agricole ainsi que sur des marchés différents—sont calculés en moyenne d’une façon pondérée afin d’obtenir le prix du syndicat. Le processus de calcul de la moyenne fait en sorte que, lorsque les prix du marché sont en hausse, le prix du syndicat sera généralement inférieur. À cause du prix inférieur, les agriculteurs livreront leurs produits au marché au comptant. Par contraste, lorsque les prix sont en baisse, le prix du syndicat sera généralement supérieur à celui du prix du marché au comptant. Cela incitera les producteurs à livrer leurs produits au syndicat. Résultat, le syndicat volontaire se retrouve avec une mise en commun de quantités relativement petites, ou bien avec des pertes considérables si les prix initiaux garantis sont présents.

[80]      Il a ensuite étudié la preuve soumise par les appelants au sujet d’autres marchés doubles de produits agricoles, mais a préféré la contre-preuve de M. Fulton portant que les marchés du blé et de l’orge de l’Ouest canadien étaient différents. Au paragraphe 174 [page 430], il a évoqué le « problème du travailleur non syndiqué qui bénéficie des activités syndicales » :

Le dernier grand facteur qui paralyserait un syndicat volontaire, pour ce qui est du blé et de l’orge dans l’Ouest du Canada, est que le syndicat ne pourrait éviter d’être déficitaire. À cause du [traduction] « problème du travailleur non syndiqué qui bénéficie des activités syndicales ». La seule façon d’éviter un déficit est de ne pas offrir un prix initial. Il y a donc peu d’incitation à livrer du grain au syndicat. Pour attirer les producteurs, le syndicat devrait offrir un prix initial élevé. Mais malheur au syndicat, s’il fallait que le prix du marché soit en-dessous du prix prévu! Il s’ensuivrait un déficit (pièce 73, à la page 5).

[81]      Le juge de première instance a ensuite fait référence à la preuve portant qu’un système de mise en commun dans un marché ouvert n’a pas eu de succès aux États-Unis et n’avait pas eu de succès au Canada entre 1935 et 1943. Il a aussi examiné et rejeté l’idée d’un « syndicat contractuel » en raison de la réticence des producteurs à livrer plus qu’une partie de leur récolte, ce qui minerait la viabilité de la Commission du blé dans sa commercialisation du blé et de l’orge, et des problèmes causés par les manquements contractuels et les frais afférents de recouvrement.

[82]      Pour ces motifs, le juge de première instance a conclu que le monopole de la Commission canadienne du blé dans la région désignée était essentiel et qu’il n’existait aucune solution de rechange viable qui permettrait à des producteurs de la région désignée de commercialiser le blé et l’orge à l’extérieur du régime de commercialisation de la Commission.

[83]      Dans son analyse sur la proportionnalité, le juge Muldoon a reconnu que le syndicat obligatoire de la Loi sur la Commission canadienne du blé portait atteinte aux appelants en ce sens qu’ils n’étaient pas toujours récompensés pour avoir produit un produit de grande qualité, qu’ils ne pouvaient pas maximiser le potentiel de leurs activités, qu’ils ne pouvaient pas toujours accéder sans délai à des marchés lucratifs, que leurs liquidités étaient affectées de manière défavorable et qu’ils étaient soumis à la mise en commun des frais ce qui, dans certains cas, était injuste et nuisait à leur rentabilité.

[84]      En revanche, la preuve n’a pas montré que l’obligation de mise en commun paralysait les activités des appelants, ou acculait ces derniers à la faillite, même si certains éléments tendaient à démontrer « qu’un système inflexible engendre de la frustration ».

[85]      Pour le juge de première instance, ce qui a fait pencher la balance dans son analyse de la proportionnalité en faveur de la loi a été

[…] que le gouvernement a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les intérêts de tous les agriculteurs de l’Ouest canadien, ainsi que l’effet éventuel sur tous les Canadiens, sont traités de manière à atténuer ce qui s’est avéré être un problème de taille, c’est-à-dire les effets dramatiques du marché ouvert[37].

Le juge de première instance a donc conclu que les effets négatifs de cette situation sur les droits des appelants ne l’emportaient pas sur les avantages favorables de la commercialisation méthodique du blé et de l’orge par la Commission canadienne du blé.

Arguments supplémentaires présentés devant la Cour

Les préoccupations urgentes et réelles

[86]      Dans leur mémoire, les appelants font valoir que le juge de première instance a erronément identifié la stabilisation des prix et la commercialisation méthodique comme un objectif du régime. Ils disent que l’octroi d’un monopole à la Commission n’avait pas pour but « la commercialisation méthodique du grain » et plus précisément la stabilité des prix, mais a été à l’origine motivé par des objectifs liés aux besoins en approvisionnement durant la Seconde Guerre mondiale, à l’obligation de s’acquitter des contrats d’approvisionnement conclus avec le Royaume-Uni durant la période de l’après-guerre et, par la suite, de satisfaire aux engagements souscrits par le gouvernement en vertu des Accords internationaux sur le blé (qui sont depuis devenus caducs). Cette succession d’exigences reflète des objectifs de la loi sur la Commission qui ne sont plus ni urgents ni réels.

[87]      Dans leur plaidoirie, les appelants ont convenu que la commercialisation méthodique était un objectif de la loi de 1967 sur la Commission canadienne du blé. Ils semblent toutefois soutenir que la stabilité des prix n’était pas un objectif de la Loi. Ils plaident également que le juge de première instance a ignoré à tort l’impact de la loi sur la dignité de la personne des producteurs qui préféreraient commercialiser leur blé et leur orge sans être soumis au monopole de la Commission canadienne du blé.

[88]      Un examen des motifs du juge de première instance démontre qu’il a tenu compte de tous ces facteurs. Bien qu’il soit vrai que la loi limite les possibilités entrepreneuriales des producteurs, il s’agit d’une question dont on doit tenir compte dans l’analyse de la proportionnalité.

[89]      Je ne vois aucune erreur dans l’analyse que le juge de première instance fait du critère des préoccupations urgentes et réelles.

Lien rationnel

[90]      Dans leur plaidoirie, les appelants ont convenu que si les objectifs de la loi étaient la commercialisation méthodique des grains et la stabilité des prix, il existait un lien rationnel entre les objectifs de la Loi sur la Commission canadienne du blé et les mesures mises en place par la Loi pour atteindre ces objectifs.

Atteinte minimale

[91]      Les appelants font valoir que la loi constitue une atteinte totale, et non pas minimale, à leurs droits de vendre leur blé et leur orge à leurs propres conditions. Ils disent que le juge de première instance n’a pas apprécié les droits spécifiques dont ils alléguaient la violation et, par conséquent, qu’il n’a pas fait une analyse adéquate de la question de l’atteinte minimale. Ils font également valoir qu’il n’a pas bien envisagé les solutions de rechange de la commercialisation double et des contrats d’approvisionnement à plus long terme entre les producteurs et la Commission canadienne du blé.

[92]      La question est la suivante : le monopole complet de la Commission canadienne du blé sur la commercialisation du blé et de l’orge produits dans la région désignée ne porte-il pas atteinte aux droits des appelants plus que ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre les objectifs de la loi[38], ou une forme de contrôle moindre serait-elle possible?

[93]      Le juge de première instance a entendu de nombreux témoignages. Il a préféré celui de M. Fulton qui a rejeté l’option du marché double et a traité des difficultés liées aux accords contractuels d’approvisionnement entre les producteurs et la Commission. Quels que soient les termes de ces contrats, M. Fulton a dit qu’ils étaient susceptibles d’entraîner des problèmes de manquement et de frais de recouvrement connexes. Il était loisible au juge de première instance d’accepter le témoignage de M. Fulton et de conclure qu’il n’existait aucune autre solution viable qui porterait moins atteinte aux droits des appelants garantis par la Charte que ne le fait la Loi sur la Commission canadienne du blé.

[94]      Dans l’arrêt RJR-MacDonald, précité [note 11], le juge McLachlin (tel était alors son titre), a indiqué au paragraphe 141 [pages 334 et 335] :

[…] bien qu’une cour d’appel ne soit pas liée par les conclusions du juge de première instance relativement à la preuve en matière de sciences humaines, elle devrait continuer d’être consciente du fait que le juge de première instance a eu l’avantage d’entendre de première main des témoignages d’experts contradictoires. Les conclusions du juge de première instance sur la crédibilité de certains témoins peuvent être utiles lorsque la cour d’appel fait l’examen du dossier.

Or le juge de première instance a conclu au paragraphe 168 [page 427] :

De tous les experts en agronomie que les deux parties ont fait témoigner, M. Fulton était le spécialiste le plus crédible, sinon le seul, au sujet des coopératives et des systèmes de mise en commun.

Après avoir examiné l’analyse de l’atteinte minimale faite par le juge de première instance et le dossier sur lequel il s’est fondé, j’accepte ses conclusions sur la crédibilité et sa conviction, fondée sur la preuve, que la Commission canadienne du blé ne serait pas viable sans monopole sur le blé et l’orge dans la région désignée. Il en découle que les suggestions que les appelants ont faites à cette Cour au sujet des solutions de rechange que représente le marché double ne peuvent pas être considérées comme « des solutions de rechange raisonnables » au monopole de la Commission qui permettraient de satisfaire aux objectifs de la Loi.

[95]      Dans l’arrêt RJR-MacDonald, le juge McLachlin a indiqué au paragraphe 160 [pages 342-343] :

La restriction doit être « minimale », c’est-à-dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d’adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation […] Par contre, si le gouvernement omet d’expliquer pourquoi il n’a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi peut être déclarée non valide.

[96]      En l’instance, il semble qu’on a apporté quelques ajustements à la loi et à la manière suivant laquelle elle est appliquée par le gouvernement : le monopole de la Commission se limite au blé et à l’orge et il s’applique uniquement dans les régions où ces cultures sont les plus intensives. De plus, la Loi et le Règlement prévoient l’octroi de licences pour l’exportation[39] et les ventes d’une province à une autre[40]. Les producteurs peuvent demander de telles licences pour transporter et vendre eux-mêmes le blé et l’orge. Il a été mis en preuve devant le juge de première instance que le régime était lourd et frustrant. Quoi qu’il en soit, le gouvernement a soumis une preuve qui a satisfait le juge de première instance expliquant pourquoi une mesure moins attentatoire et tout aussi efficace n’était pas disponible. Je ne peux pas voir comment on pourrait arriver à une conclusion contraire à celle du juge de première instance sur cette question de l’atteinte minimale.

Proportionnalité des effets

[97]      Les effets nuisibles du système de mise en commun obligatoire de la Commission canadienne du blé sont, du point de vue des appelants, nombreux. Ils font valoir qu’ils ne peuvent commercialiser leur blé et leur orge de manière à tirer le maximum de leurs récoltes. Ils prétendent que la Commission ne protège pas les producteurs contre le bas prix des céréales. Bien que ce soit la fonction de commercialisation exclusive de la Commission qui soit en cause, les appelants font valoir que la mise en commun obligatoire affecte à peu près tous les aspects de leurs exploitations agricoles. Ils font également valoir que le monopole de la Commission les prive de l’esprit d’entrepreneurship dont ils jouiraient s’ils exploitaient à leur manière leurs entreprises agricoles.

[98]      Le juge de première instance s’est montré attentif à ces effets indésirables allégués par les appelants, dont la privation du sens de l’entrepreneurship. Il y a opposé ce que le Parlement considère comme un problème d’importance—les effets indésirables d’un marché ouvert sur la commercialisation du blé et de l’orge de l’Ouest.

[99]      Le juge de première instance a conclu que les effets nuisibles sur les droits des appelants étaient compensés par les effets salutaires de la commercialisation méthodique du blé et de l’orge par la Commission canadienne du blé. Il est arrivé à ces conclusions en faisant référence aux objectifs de la Loi sur la Commission canadienne du blé et à ses effets salutaires. Je ne vois aucune erreur dans l’analyse du juge de première instance en ce qui concerne sa conclusion eu égard au dernier volet du critère de l’arrêt Oakes.

[100]   J’ajouterais qu’il y a aussi une bonne raison pour que dans son approche, la Cour fasse preuve de retenue à l’égard du critère de la proportionnalité des effets. En conférant à la Commission canadienne du blé un monopole dans la région désignée, le Parlement tranche entre des intérêts opposés—ceux des producteurs de la région désignée qui appuient la Commission canadienne du blé et ceux qui s’y opposent. Alors que les appelants sont d’avis que la Loi sur la Commission canadienne du blé a des effets néfastes sur eux, d’autres producteurs semblent en effet disposer à se priver des avantages d’un marché ouvert en échange des bénéfices qu’ils retirent de la Commission canadienne du blé, laquelle commercialise leur blé et leur orge, pourvoit au transport et fixe à leur avantage un prix commun pour leurs récoltes. Le législateur est mieux placé pour juger des effets néfastes et des avantages du monopole de la Commission canadienne du blé que ne l’est la Cour. Je ferais donc preuve d’une grande retenue à l’égard du législateur en ce qui concerne le critère de la proportionnalité des effets.

[101]   Le juge de première instance s’est montré critique à l’égard de la jurisprudence de la Cour suprême qu’il a interprétée comme exigeant que seul l’objectif premier de la loi soit pris en considération aux fins de l’analyse de l’article premier. Indépendamment de l’opinion qu’il a exprimée, il s’est fondé sur l’objet de la loi au moment où elle a été réadoptée par le Parlement pour la dernière fois en 1967. L’opinion du juge de première instance sur ce point ne soulève aucune question. Pas plus que ses commentaires au sujet de l’article 91, catégorie 2 de la Loi constitutionnelle de 1967, le pouvoir fédéral en matière de trafic et de commerce, n’affectent la validité de son analyse fondée sur l’arrêt Oakes.

[102]   Je suis d’accord avec le juge de première instance pour dire que s’il y a eu violation d’un droit quelconque des appelants garanti par la Charte par l’une quelconque des dispositions contestées de la Loi sur la Commission canadienne du blé, l’intimée a fait la preuve qu’elles constituent des limites raisonnables dans une société libre et démocratique.

[103]   Je profiterais de l’occasion pour faire observer qu’en l’instance, les appelants n’ont pas précisé initialement les dispositions de la Loi sur la Commission canadienne du blé et du Règlement sur la Commission canadienne du blé dont ils alléguaient l’inconstitutionnalité. Ce n’est qu’après en avoir été requis qu’ils ont produit une liste des parties contestées de la Loi et du Règlement, liste reprise à l’annexe A des présents motifs. Dans une contestation d’ordre constitutionnel, il ne suffit pas de faire uniquement référence à un concept ou un processus imposé par une loi. Les dispositions contestées doivent être spécifiées.

CONCLUSION

[104]   L’appel est rejeté avec dépens.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

ANNEXE A

Dispositions législatives contestées en vertu

de l’alinéa 2d), des paragraphes 6(2) et

6(3), ou paragraphe 15(1) de la

Charte canadienne des droits et libertés

1. La Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C-24 (tel qu’elle s’applique en date du 13 juillet 1995)

INTERPRÉTATION (article 2)

paragraphe 2(1) « carnet de livraison »

« contingent »

« ordonnance »

« région désignée »

paragraphe 2(3)

paragraphe 2(4)

PARTIE I—LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ (articles 3 à 22)

alinéa 17(3)b) (Cette disposition a par la suite été abrogée par L.C. 1998, ch. 17, art. 9)

article 20

article 21

PARTIE II—CONTRÔLE DES SILOS ET DES CHEMINS DE FER (articles 23 à 30)

en entier, à l’exception de l’article 29 [art. 24 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 38, art. 6), 25 (mod., idem, art. 7)]

PARTIE III—ORGANISATION DU MARCHÉ INTERPROVINCIAL ET DE L’EXPORTATION DU BLÉ (articles 31 à 44)

en entier [art. 32 (mod. par L.C. 1995, ch. 31, art. 2), 33 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 38, art. 8; L.C. 1991, ch. 33, art. 2; 1994, ch. 39, art. 1; 1995, ch. 31, art. 3), 33.1 à 33.5 (édicté par L.C. 1994, ch. 39, art. 2), 43 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 37, art. 32)]

PARTIE IV—RÉGLEMENTATION DU COMMERCE INTERPROVINCIAL ET DE L’EXPORTATION DU BLÉ (articles 45 et 46)

article 45 (toutes les mentions à « seule la Commission »)

alinéa 46d) (partie) [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 49]

PARTIE VI—PLANS DE COMMERCIALISATION

(articles 48 à 60)

paragraphe 48(2)

article 55

article 57

paragraphe 60(1) (partie)

PARTIE VII—DISPOSITIONS GÉNÉRALES

(articles 61 à 77)

article 64

article 65

paragraphe 66(1) (partie)

paragraphe 66(2)

article 67

alinéa 68(2)b)

alinéa 72(2)c) (partie)

article 75

2. Le Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C., ch. 397 (tel qu’il s’applique en date du 13 juillet 1995)

article 2 « acres cessibles » [mod. par DORS/93-390, art. 1]

« demande » [mod. par DORS/89-365, art. 3]

« requérant »

articles 3, 4, 5, 6, 7, 8 (en ce qui concerne les carnets de livraison) [art. 3 (mod. par DORS/89-365, art. 2, 3, 4), 4 (mod., idem, art. 3), 6 (mod., idem, art. 2), 7 (mod., idem, art. 3), 8 (mod par DORS/84-408, art. 1; 89-365, art. 2, 3)]

article 14 (en ce qui concerne les licences (partie))

articles 21, 22, 23, 24, 25 (en ce qui concerne les acres cessibles et les acres contingentées) [art. 21 (mod. par DORS/88-385, art. 1; 89-365, art. 1), 23 (mod., idem, art. 2, 3), 24 (mod., idem, art. 3; 93-390, art. 8)]



[1] [1997] 3 C.F. 335 (1re inst.).

[2] L.R.C. (1985), ch. C-24.

[3] Qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur la Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[4] La référence aux « régions Creston-Wynndel » a été subséquemment supprimée de la définition au moyen de modifications à la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.C. 1998 ch. 17, art. 1.

[5] L’art. 32(1)a) [mod. par L.C. 1998, ch. 17, art. 18] prévoit :

32. (1) Il incombe à la Commission de commercialiser, dans le cadre du commerce interprovincial et de l’exportation, le blé produit dans la région désignée. À cette fin, elle :

a) achète tout le blé produit dans la région désignée et que les producteurs offrent de lui vendre et de lui livrer à un silo, à un wagon ou à tout autre endroit conformément à la présente loi, aux règlements et à ses arrêtés;

La définition de « région désignée », à l’art. 2(1), est ainsi conçue :

2. (1) […]

« région désignée » La région formée des provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et d’Alberta, de la partie de la province de la Colombie-Britannique connue sous le nom de district de Peace River, ainsi que des régions éventuellement incluses dans cette région en application du paragraphe (3).

[6] L’art. 45c) prévoit :

45. Sauf autorisation contraire des règlements, seule la Commission peut :

[…]

c) vendre ou consentir à vendre du blé ou des produits du blé se trouvant dans une province pour livraison dans une autre province ou à l’étranger;

[7] En vertu de l’art. 16(2) [mod. par DORS/93-486, art. 3] du Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C., ch. 397, le blé et l’orge classifiés à des fins de consommation par le bétail ou la volaille pour livraison en quelque lieu au Canada n’ont pas à être vendus à la Commission. L’art. 16(2) prévoit :

16. (1) […]

(2) Le titulaire de licence, au sens de l’article 2 de la Loi sur les grains du Canada, est autorisé à vendre et à acheter des grains de provende, des produits du blé ou des produits de l’orge se trouvant au Manitoba, en Saskatchewan ou en Alberta pour livraison en quelque lieu du Canada non situé dans la province d’achat, à des fins de consommation par le bétail ou la volaille, ainsi qu’à transporter ou à faire transporter ces grains ou ces produits jusqu’à ce lieu.

Comme la demande des appelants a trait au régime de commercialisation de la Commission canadienne du blé, les mots blé et orge signifieront généralement, dans les présents motifs, le blé et l’orge autre que le blé et l’orge à des fins de consommation par le bétail ou la volaille au Canada.

[8] Toutefois, en vertu des art. 46c) [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 49] et e), le gouverneur en conseil peut, par règlement, prévoir l’octroi de licences pour l’exportation ou la vente d’une province à une autre du blé et de l’orge. Les art. 46c) et e) prévoient :

46. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

[…]

c) prévoir l’octroi de licences pour les opérations—exportation, vente ou achat pour livraison à l’étranger de blé ou de produits du blé—qui seraient par ailleurs interdites par la présente partie;

[…]

e) prévoir l’octroi de licences pour les opérations—transport du blé ou de produits du blé d’une province à une autre, ou vente ou achat pour livraison en quelque lieu du Canada du blé ou de produits du blé—qui seraient par ailleurs interdites par la présente partie, et fixer les conditions applicables à l’octroi de ces licences ou à l’exercice des droits qu’elles accordent;

En vertu des art. 14 [mod. par DORS/95-338, art. 1] et 14.1 [édicté par DORS/93-360, art. 2; 93-486, art. 2] du Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C., ch. 397, la Commission peut octroyer de telles licences à certaines conditions. Les articles 14 et 14.1 prévoient :

14. La Commission peut octroyer des licences pour l’exportation ou pour la vente ou l’achat en vue de la livraison à l’étranger de blé, de produits du blé, d’orge ou de produits de l’orge si les conditions suivantes sont réunies :

a) l’exportation, la vente ou l’achat des grains ou des produits pour lesquels une licence est demandée ne nuit pas, dans le cadre du commerce interprovincial ou de l’exportation, à la commercialisation par la Commission du grain cultivé au Canada;

b) le demandeur verse à la Commission une somme qui, de l’avis de celle-ci, correspond à l’avantage pécuniaire que représente la licence, lequel avantage découle uniquement, d’une part, du fait que sans cette licence l’exportation serait interdite et, d’autre part, des différences existant à ce moment entre les prix intérieurs et extérieurs des grains ou des produits en question.

14.1 La Commission peut octroyer des licences pour le transport d’une province à une autre ou pour la vente ou la livraison en quelque lieu du Canada de blé, de produits du blé, d’orge ou de produits de l’orge, ces licences étant octroyées à titre gratuit.

[9] La commercialisation du blé et de l’orge produits dans des régions autres que la région désignée peut faire l’objet d’un régime de commercialisation réglementé au niveau provincial mais ne fait actuellement l’objet d’aucun régime de commercialisation en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé ni d’aucune autre loi fédérale.

[10] Même si les art. 32 et 45 ne mentionnent que le blé, ils s’appliquent également à l’orge en raison de l’art. 47(2)a) de la Loi et du Règlement. L’art. 47(2)a) de la Loi prévoit :

47. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, étendre l’application de la partie III ou de la partie IV, ou des deux, à l’avoine et à l’orge, ou à l’un des deux.

(2) En cas d’application du paragraphe (1), les dispositions de la partie en cause sont réputées édictées de nouveau dans la présente partie, sous réserve de ce qui suit :

a) le terme « avoine » ou « orge », selon le cas, est substitué au terme « blé »;

En vertu du décret P.C. 1989-987, en date du 25 mai 1989, le gouvernement en conseil a adopté l’art. 1 du décret DORS/89-282, qui étend l’application des parties III et IV de la Loi à l’orge. L’art. 9 du Règlement sur la Commission canadienne du blé prévoit :

9. L’application des parties III et IV de la Loi est étendue à l’orge.

[11] Voir, à titre d’exemple, R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143.

[12] Voir Wong c. Canada, [1997] 1 C.F. 193 (1re inst.).

[13] 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [(mod. par Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]].

[14] Par exemple, dans l’arrêt Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, aux par. 61 à 66 [page 197 à 202], la majorité a interprété l’art. 6 de la Charte dans l’optique du type de réglementation économique que les art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 permettent, et de l’art. 121 de cette même loi qui traite de la libre circulation des marchandises d’une province à l’autre.

[15] Murphy v. Canadian Pacific Railway Company and The Attorney General of Canada, [1958] R.C.S. 626.

[16] [1999] 2 R.C.S. 203.

[17] [1989] 1 R.C.S. 1296.

[18] Dans l’affaire R. v. Turpin, supra, note 17, à la p. 1332, le juge Wilson déclare : « À mon avis, la constatation d’une discrimination nécessitera le plus souvent, mais peut-être pas toujours, de rechercher le désavantage qui existe indépendamment de la distinction juridique précise contestée. »

[19] [1997] 3 R.C.S. 844.

[20] L.R.Q., ch. C-12, art. 5.

[21] Mémoire des appelants, par. 235.

[22] [1991] 2 R.C.S. 211.

[23] Supra, note 1, au paragraphe 71 [p. 378 et 379].

[24] Supra, note 14.

[25] L.R.C. (1985), ch. F-4. Les règlements sur les œufs dont il a été question dans l’arrêt OCCO étaient : la Proclamation visant l’Office de commercialisation des œufs, C.R.C., ch. 646, le Règlement de 1986 de l’Office canadien de commercialisation des œufs sur le contingentement, DORS/86-8 et le Règlement de 1987 sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada, DORS/87-242.

[26] Lavigne, supra, note 22, à la p. 344.

[27] [1987] 1 R.C.S. 313, aux p. 404 et 405.

[28] [1990] 2 R.C.S. 367.

[29] Par la suite, les régions Creston-Wynndel ont été enlevées de la région désignée. Supra, note 4.

[30] [1987] 1 C.F. 490 (1re inst.).

[31] Ibid., à la p. 504, le juge Martin a dit ceci :

Les restrictions géographiques imposées à la flottille de pêche côtière s’appliquent de façon générale à tous les pêcheurs de cette flotte. Les restrictions sont imposées, non pas en fonction de la province actuelle ou antérieure de résidence, mais en fonction des zones où, anciennement, les pêcheurs de cette flotte avaient pêché.

[32] [1978] 1 R.C.S. 104, à la p. 110.

[33] Voir la décision de la Cour d’appel de l’Ontario Skapinker, Re (1983), 40 O.R. (2d) 481. En faisant droit à l’appel de la Cour d’appel de l’Ontario, la Cour suprême n’a pas fait de commentaires sur la question de la loi d’application générale [[1984] 1 R.C.S. 357]. Voir également : Mia and Medical Services Commission of British Columbia, Re (1985), 17 D.L.R. (4th) 385 (C.S.C.-B.), le juge McEachern.

[34] Demaere c. La Reine (Canada), [1983] 2 C.F. 755 (C.A.).

[35] S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 88.

[36] [1986] 1 R.C.S. 103.

[37] Supra, note 1, au par. 183 [p. 434].

[38] Voir M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, au par. 118 [p. 77], le juge Iacobucci.

[39] Voir l’art. 14 du Règlement sur la Commission canadienne du blé, supra, note 8.

[40] Voir l’art. 14.1 du Règlement, supra, note 8.

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